Analyse sur les discours historiques de Paul VI du 19 et du 26 novembre 1969

De Salve Regina

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La réforme de 1969
Source : Revue Le Courrier de Rome n° 50
Date de publication originale : 1984

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen
Remarque particulière : Les discours historiques du 19 et du 26 novembre sont les deux discours de Paul VI sur la nouvelle messe. Cet article reproduit les principaux passages du commentaire paru dans le Courrier de ROme.

I. - Les quatre plus un motifs de l'autodémolition de la Messe

Paul VI s'est donc décidé à parler de la nouvelle messe façonnée sur ses ordres. Il en a parlé en deux occasions, principalement. Où ? et quand ? Non point dans quelque grand document doctrinal, dans quelque solennel consistoire cardinalice, NON : au cours de ces allocutions qu'il prononce le mercredi devant une assemblée disparate de pèlerins, de touristes et de curieux.

La première allocution est du 19 novembre, la seconde du 26.

Nombreux sont ceux qui ont été surpris de cette réserve : Qu'un événement tel que l'introduction d'une NOUVELLE MESSE (événement si extraordinaire que le Pape la désigne comme " une nouvelle époque de la vie de l'Église " ), qu'un tel évènement ait été expliqué aux fidèles après sept mois d'attente et d'une manière aussi discrète quelle pouvait paraître évasive, cela pose plusieurs questions...

En effet, la Constitution Missale Romanum qui promulgue l'ordonnance de cette messe réformée est datée du 3 avril 1969 ( ... C'était la date du Jeudi-Saint De cet avril au suivant novembre, que s'est-il passé ? Autant qu'on sache, les imprimeurs ont imprimé, les traducteurs ont traduit, on nous assure qu’ici et là les catéchistes du nouveau rite ont catéchisé.)

Cependant le Pape se taisait. Il attendait. Mais quoi donc ?

Les fidèles, eux aussi, attendaient.

Nous parlons des fervents, des dociles, de ceux qu'on a, depuis 1965, ballottés, promenés, les yeux bandés, à travers un labyrinthe de déclarations contradictoires, d'expérimentations, de contraintes ambiguës et graduelles, comme on ferait aux apprentis inconscients d'une initiation.

Ils attendaient que le Souverain Pontife leur donnât les raisons ou, du moins, les motifs de l'abandon d'un rite multiséculaire dont on leur chantait les louanges au moment même où on le démolissait

Car si l'institution de toute loi exige une raison, la substitution d'une loi nouvelle à une autre exige, elle, deux et trois raisons. Il faut, en effet, convaincre la communauté :

    • a) Que la loi précédente était devenue mauvaise ou inutile  
       
      b) Que la loi substituée ne sera pas exposée aux mêmes défauts, dans un délai plus ou, moins long
      c) Que les bienfaits escomptés de cette nouvelle loi sont tels qu'ils compensent largement et certainement les inconvénients inséparables de toute mutation de coutume.    

Alors, comme des milliers de fidèles, nous attendions cette double, cette triple justification.

Nous l'attendions, mais, en même temps, nous la redoutions.

Quelles bonnes raisons pourrait-on, en effet donner d'une réforme qui, elle, apparaissait si évidemment mauvaise ?

La justification en clair de ce bouleversement ne risquait-elle pas d'apparaître pire que le bouleversement lui-même ? N'allait-elle pas révéler, d'une manière cette fois incontestable, des arrière-pensées dont le seul soupçon nous épouvantait ? Dans la meilleure des hypothèses, il était certain que le Pouvoir Souverain allait s'exposer à une CONTESTATION. En effet, une coutume établie subsiste par elle-même sua mole stat. Ses défauts, si elle en a, sont fondus dans la masse des qualités qui l'ont fait longtemps survivre : on n'y pense plus ; on les accepte ou, doucement, on les corrige. L'innovation, au contraire, doit prouver son droit à l'existence ; pour être elle doit vaincre ; et, pour vaincre, elle doit détruire. Or, on ne détruit pas sans faire crier.

Ce que nous avions redouté est, hélas, arrivé. Le Pape a parlé. Il a fait connaître ses raisons, ses justifications, ses excuses. Il a cru même devoir ajouter des consolations. Eh bien ! nous le dirons aussi bas que possible et comme ne parlant qu'à nous-même : ses consolations nous ont fait plus de mal que ses blessures...

Paul VI entend donner QUATRE bons motifs à sa RÉFORME :

1° Elle est un acte de fidélité -aux " volontés " du Vatican Il.

2° Elle veut ranimer les sclérosés et réveiller les endormis.

3° Au lieu d'un " diaphragme opaque " , la messe sera désormais " un cristal transparent ", pour " l'enfance, la jeunesse, le monde du travail et celui des affaires ". (... des affaires ! ).

4° La réforme, enfin, veut être " une gymnastique résolue de sociologie chrétienne ".

Et le motif " ŒCUMENIQUE " ? La métamorphose des rites de la messe accomplie de manière à les rendre acceptables aux Protestants qui, jusque-là, les abominaient ? Si étrange que cela paraisse, Paul VI n'a soufflé mot de ce motif. Ce motif a, pourtant, c'est notoire, le plus frappé protestants et catholiques, qui l'ont unanimement reconnu à chaque page de l'Ordo.

Nous ferons quelques observations sur ce singulier silence, mais nous devons auparavant examiner dans le détail les motifs avoués. Nous les rapporterons, un par un, et nous dirons chaque fois, avec une respectueuse franchise, notre sentiment à leur égard, comme nous y sommes implicitement invités. - Nos citations seront faites sur le texte italien paru dans l'Osservatore Romano (O.R.) du 20 et du 27 novembre, traduit par nous-même : la référence désignera la colonne.        

II. - Les " volontés " du Concile

ou ses ambiguïtés ?

" Il sera bon que nous nous rendions compte des motifs pour lesquels a été introduite cette grave mutation : l'obéissance au Concile ( ... ). Ce premier motif n'est pas simplement canonique, c'est-à-dire relatif à un précepte extérieur ( ... ) ; c'est la volonté du Christ et le souffle de l'Esprit Saint, qui appellent l'Église à cette mutation. Nous devons y reconnaître LE MOMENT PROPHÉTIQUE qui PASSE dans le corps mystique du Christ, qu'est exactement l'Église, et qui la SECOUE, la RÉVEILLE, et l'oblige à mettre à neuf l’ART mystérieux de sa prière... " (O.R. : 27 nov., col. 1.)

Nous rendons nos lecteurs attentifs à trois termes de ce passage : le " moment prophétique " (à rapprocher des célèbres " signes des temps ") ; ensuite l'Église " secouée et réveillée " ; enfin, 1’ " art ". (ou : la technique) de la prière. Chacun de ces mots est lourd de sens : un sens double et triple, que certains alchimistes en extrairont après avoir imposé leur vocabulaire hermétique au Pape...

Mais nous ne voulons retenir aujourd'hui, de cette première justification, que l'invocation du Concile. C'est le Concile, dit Paul VI, qui a voulu cette énorme " mutation " des rites de la Messe, et il renvoie au § 50 du décret conciliaire sur la liturgie.

Nous lisons, nous relisons ce paragraphe qui recommande, en effet, en termes vagues et généraux, une certaine révision de l'ordonnance de la Messe. Mais, les yeux dans les yeux, nous demandons aux 2 000 et quelques évêques qui ont voté ce paragraphe : Est-il vrai qu'à l'heure du vote, en 19-62, vous avez voulu :

    • a) Que l'Offertoire fût supprimé ?  
       
      b) Que trois nouveaux canons fussent ajoutés au canon romain du IVè siècle (reçu sans doute des disciples de saint Pierre, peut-être de Pierre lui-même, et récité, depuis, sans le moindre changement) ?
      c) Que les textes de l'ordinaire de la Messe devinssent tels que nous les lisons aujourd'hui : inexpressifs, ou plats, ou polyvalents ? Tels, enfin, qu'ils paraissent, désormais et subitement, agréables à des hommes qui ne croient ni à la transsubstantiation, ni à l'oblation sacrificielle, ni à un sacerdoce ?    

Répondez, Messeigneurs, devant ce Dieu qui ne perd pas la mémoire et qui, s'il le fallait, réveillerait la vôtre au Dernier Jour!

Non ! Non ! Le Concile n'a pas voulu cela, et quand certains d'entre vous veulent faire croire le contraire, ils sont forcés d'inventer ce qu'ils appellent la " dynamique " de Vatican II, la " logique " de Vatican II. N'est-ce pas, Mgr Suenens ?

Qu'il y ait eu, dans une multitude de ces textes, votés à la sauvette par des prélats dont les trois quarts ne comprenaient pas le latin (dixit Congar), qu'il y ait eu CETTE logique, ce dynamisme, dont on a tiré, depuis le Te Deum final, toutes les subversions que nous voyons, c'est indubitable.

Mais on peut imaginer UNE AUTRE logique, UN AUTRE dynamisme dont on aurait pu tirer tout le contraire.

C'est tellement vrai qu'on a dû créer une " Commission d'interprétation des décrets du Concile Vatican II " : institution qui était assurément imaginable, mais dont en fait, les attributions, si elles étaient normalement exercées, aboutiraient à une révision du Concile radicale et perpétuelle: sorte d'académie chargée, comme celle du Quai Conti, de tenir sans cesse à jour un dictionnaire et, en même temps, collège d'haruspices, investis du pouvoir de lire dans les entrailles des textes conciliaires.

Nous allons donner un exemple des labeurs de cette assemblée : un exemple qui vient tout droit à notre objet : la Messe.

L'un des schémas soumis au Concile concernait " les sources de la Révélation ". Sujet capital entre tous. Il devait faire l'objet d'une Constitution dogmatique! Rédigé par la commission préparatoire, au cours des deux ans qui précédèrent le Concile, approuvé par la Commission centrale et par le Pape (Jean XXIII), il n'avait plus qu'à être soumis à l'Assemblée qui devait normalement l'adopter sans histoire. On se souvient du conflit profond que la discussion scandaleuse de ce schéma provoqua entre les Pères : y avait-il deux sources de la Révélation (Ecriture et Tradition) ou une seule (Écriture) ? - Afin de ne pas créer une division irréparable qui, disait-on, eût mis en danger la poursuite de cet étrange concile, Jean XXIII-le-débonnaire ordonna le " renvoi à la Commission ". (C'est dans l'euphorie de cet ajournement que la Constitution sur la Liturgie passa comme lettre à la poste ... )

Nous voici au vif de l'affaire : au terme des diverses manipulations opérées dans les commissions, sous-commissions et officines adjointes, le texte revint à l'Assemblée, enrichi d'une petite phrase introduite par une main " experte ". La voici :

" L'Eglise a de tout temps vénéré l'Ecriture COMME (velut) le Corps du Seigneur Lui-même, puisqu'elle ne cesse de tirer le pain de vie aussi bien de la Parole de Dieu que du Corps du Christ. "

De nombreux Pères protestèrent aussitôt contre un parallélisme dont l'inspiration protestante était manifeste : ou l'on majorait la Bible ou l'on minimisait l'Eucharistie, en les associant étroitement au moyen de ce " velut ".

Vaines protestations : cette fois ` comme tant d'autres fois, la Commission fut plus forte que le Concile. La seule... concession que firent les " experts " fut de remplacer " velut " par " sicut et " ! ! !

L'équivoque subsistait, c'était évident, et l'entêtement des experts révélait assez ce qu'ils avaient en tête. On vota. Le texte passa et, avec lui, l'équivoque.

Alors, trois ans APRÈS le Concile, un naïf vrai ou faux posa à la susnommée " Commission d'interprétation " la question suivante :

" Est-ce que l'adverbe sicut peut signifier que la vénération due à la Sainte Écriture est la même, à égalité, que celle qui est due à la Ste Eucharistie ? " ! ! !

Réponse sans surprise : cette vénération doit être rendue " d'une manière et pour une raison différentes ". - Réponse " approuvée à l'audience du 5 février 1968, par S.S. Paul VI qui ordonna de la publier ". -La cause était finie ? Attendez !

... Un an après, voici ce que nous lisons dans l'Institutio, qui précède le nouvel Ordo Missae (ed. typica pp. 15 et 21) :

N° 8 : " A la Messe, le repas de la parole de Dieu et du Corps du Christ est servi, d'où les fidèles tirent leur instruction et leur réconfort. "

N° 9 : " Quand on lit à l'Église les Saintes Écritures. le Christ, présent dans sa parole, annonce l'Evangile. "

N° 33 : " Au cours des leçons (= de la Messe), le Christ lui-même est présent par sa parole au milieu des fidèles. "

Au n° 34, encore : " In lectionibus mensa verbiDei paratur... ",

... Formules qui, prises absolument, seraient admissibles, et dont on trouve la trace chez quelques Pères de l'Église, mais qui, dans le confusionnisme œcuménique où les chrétiens sont jetés, porte une saveur hérétique indubitable : celle qui réduit la " présence " eucharistique à un sens métaphorique : le sens d'une intimité produite par la seule foi, sans une réalité objective, OPÉRÉE (opus operatum) dans l'ACTE de la TRANSSUBSTANTIATION. Selon le mot de Zwingli, manger (l'Eucharistie), n'est pas autre chose que croire : edere est credere.

C'est l'usage obstiné, répété, constant de la métaphore qui étonne et qui trouble ! Les " experts " sont arrivés à l'imposer à Paul VI lui-même qui s'en inspire à trois reprises dans sa Constitution (ed. typ. : p. 7, p. 8 et p. 11) en se référant précisément à un texte du Concile (à la p. 8).

Mais ce sujet des invocations abusives ou frauduleuses du Vatican II est infini et, nous entraînerait trop loin. Qui donc nous en donnera au plus tôt une démonstration développée ? Quand donc Paul VI lèvera-t-il son interdiction, si étrange, de livrer aux studieux TOUS les actes, sans exception, de ce Concile ?

III. - Sommeil paresseux

ou sainte quiétude ?

Parlant, dans son deuxième discours, du désarroi que sa réforme va produire, Paul VI a eu le courage de dire (O.R. :, 27 nov., col. 1) :

" Nous pourrons observer que les personnes les plus troublées seront les PERSONNES PIEUSES ". - Pourquoi ? " Parce que, ayant leur façon, oh ! respectable, d'écouter la Messe, elles se sentiront arrachées à leurs pensées coutumières (…). Les PRÊTRES eux-mêmes éprouveront peut-être quelque désagrément (molestia). "

Ainsi, à l'égard de ces pieux, de ces dociles, l'on ne " cèdera " pas, comme on a fait pour les expérimentateurs pétulants qui faisaient " ce qui leur plaisait ". La raison ? La voici ; c'est le deuxième motif de la réforme :

" L'identité des paroles et des gestes à l'autel " créait, dit Paul VI, une habitude telle qu' " on n'y faisait plus attention ". La réforme pauline " en arrachant les assistants à leurs dévotions personnelles accoutumées " les arrachera aussi à " leur assoupissement habituel " : loro assopimento abituale...

On renouvellera donc les rites sacrés, comme le Majordome Martin a fait du mobilier des appartements particuliers : on prendra " du suédois ".

Pauvre cher et grand Padre Pio, détaché de tout, SAUF de cette messe latine qu'il supplia ses Supérieurs de lui laisser ! Il s' " assoupissait "? -Oui, mais en Dieu...

Les éveillés au chanvre indien, en qui placent-ils leur veille ? Et combien de temps faudra-t-il pour que leur neuf soit devenu du vieux ?

... Ils s'endormiront, eux aussi, un jour, mais d'un autre sommeil, et, comme dit un psaume, " ils ne retrouveront plus, au réveil, leurs bras ". (Ps. LXXV, 6).

N'y aurait-il pas là l'un des traits secrets de l'aggiornamento ? - Ces hommes-là S'ENNUIENT C'est leur âme qu'il faudrait rendre neuve.

IV. -" Un cristal transparent "

pour le mystère de la foi

Troisième motif en faveur de la nouvelle messe (O.R. 26 nov., col. 2) :

Voici la plus grande nouveauté : celle de la langue... Pour qui sait la beauté, la puissance, la sacralité expressive du latin, assurément sa substitution par la langue vulgaire est un grand sacrifice : nous perdons le parler des siècles chrétiens, nous devenons comme intrus et profanes dans l'enceinte littéraire de l’expression sacrée, et par là nous perdrons une grande part de cet étonnant et incomparable fait artistique et spirituel, qu'est le chant grégorien. Ah ! oui, nous avons raison de nous attrister et d'être comme désolés. Et qu'allons-nous donc mettre à la place de cette langue angélique ? C'est un sacrifice d'un prix inestimable.

Et pour quelle raison ? Quelle chose a plus de valeur que ces valeurs altissimes de notre Eglise ?

La réponse paraît banale et prosaïque, mais elle est valable, parce que humaine, parce que apostolique. L’intelligence de la prière vaut plus que les vêtements de soie, vétustes, dont l'Eglise s'est couverte.

Ce qui vaut plus, c'est la participation du peuple, de ce peuple moderne, assoiffé d'un langage clair, intelligible, apte à être traduit dans sa conversation PROFANE.

Si le divin latin tenait séparés de nous l'enfance, la jeunesse, le monde du travail et des affaires, s'il était un DIAPHRAGME opaque, au lieu d'un CRISTAL TRANSPARENT, nous, pêcheurs d'âmes, ferions-nous un bon calcul ?

" Ces raisons ", ces ironies imperceptibles, ces louanges plus cruelles que des ironies, ces espérances supposées, elles vont infiniment, au delà de l'engagement dogmatique ou pastoral qu'elles manifestent : ce sont des habitus fondamentaux de la raison et du cœur qu'elles révèlent au chrétien stupéfait...

Devant ce ton, devant ce style, devant cette logique dont il ne connaît aucun exemple dans les actes pontificaux, et dans ceux de Paul VI lui-même, que dirait-il ce fidèle, qui soit compatible avec sa dévotion au successeur de Pierre et, en même temps, aux exigences de sa foi ?

Que dirait-il, s'il ne se reconnaît douloureusement la grâce d'un Dante ni d'une Catherine de Sienne ?

Il ne dira rien, mais, comme fit un jour, Notre-Seigneur, il baissera la tête et ce que son cœur ne peut plus porter, il l'écrira, du doigt, sur la poussière... (Jean : VIII, 6-8.)

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