Apologétique et existence de Dieu : Différence entre versions

De Salve Regina

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Version actuelle datée du 2 mai 2017 à 15:03

Apologétique
Auteur : Sébastien Lutz

Résumé : Etude apologétique sur les 5 voies de St Thomas qui permettent de parvenir à le certitude rationnelle de l'existence de Dieu.
Difficulté de lecture : ♦♦♦ Difficile

Sommaire

Introduction : L’existence de Dieu

L’existence de Dieu est le point de départ fondamental de la démonstration de la Révélation. Il est en effet évident que si Dieu n’existe pas, notre travail d’apologétique serait terminé avant d’avoir commencé et que nous pourrions achever notre enquête. Par ailleurs, si Dieu existe, tout semble couler de source. Une citation de Victor Cousin, un athée du XIX siècle, montre bien en effet toutes les conséquences qu’implique l’existence de Dieu : " Dans le genre humain , le spiritualisme (qui implique la foi en Dieu) est représenté par le christianisme, le christianisme lui-même est excellemment représenté par l’Eglise catholique, et le Saint Père représentant de tout l’ordre intellectuel et moral. Je tiens cette suite de propositions comme inattaquable, et je me chargerais de les établir victorieusement contre qui que ce fût, pourvu que l’adversaire admis Dieu, c’est-à-dire un Dieu véritable, doué d’intelligence, de liberté et d’amour ". Il faut pourtant bien s’entendre sur ce que nous allons démontrer. Il ne s’agit pas du Dieu chrétien, qui est Trinité et que seule la révélation peut connaître. Il s’agit plutôt de l’être suprême dont, bon grès mal grès, l’ensemble des peuples au cours de l’histoire ont professé ou conçu de manière approximative l’existence. C’est un Dieu empirique que l’on peut définir de la manière suivante : être suprême, existant par soi et cause de tout ce qui est. Les recherches sur les religions primitives ont en effet montré que, même chez les populations primitives, on constate la croyance en un créateur universel. Seulement, ils s’en désintéressent, parce qu’ils croient qu’ils ne peuvent entrer en communication avec lui et que ce dernier se désintéresse du sort des créatures. De même, chez les peuples polythéistes, il faut bien reconnaître qu’il y a eu parmi les dieux, un être à part auxquels étaient subordonnés d’autres dieux : Zeus chez les grecs, Jupiter chez les romains, Wotan chez les germains, Mardouk chez les babyloniens ou Baal chez les phéniciens ; c’est toujours ce même principe suprême qui est à l’oeuvre. Une citation de Cicéron nous suffit sur ce sujet là : " aucune nation, écrit l’orateur dans son De natura deorum, n’est si grossière et si sauvage, qu’elle ne croit à l’existence des dieux, encore qu’elle se trompe sur leur nature. " C’est donc cette croyance générale qui motive notre enquête et nous oblige à nous demander quelle est la raison de cette persuasion, même confuse, en un être suprême.

Nous diviserons notre enquête en trois articles : 1° La démontrabilité de l’existence de Dieu 2° Les preuves de l’existence de Dieu ; 3° Synthèse des preuves

 

Article 1 : La démontrabilité de l’existence de Dieu

Adversaires

On peut classer les adversaires de la démonstration de l’existence de Dieu en deux catégories : ceux qui pensent que l'on n’a pas besoin de démontrer l’existence de Dieu et ceux qui pensent que la démonstration rationnelle est impossible.

La démonstration de Dieu n’est pas nécessaire

L’ontologisme consiste à dire que l’existence de Dieu est évidente par elle-même à partir du moment où l’on raisonne sur le concept même de Dieu.

Voici comment raisonne saint Anselme : " Nous croyons que tu es tel que rien de plus grand ne peut être conçu. Et certainement l’être tel qu’on n’en peut concevoir de plus grand ne peut pas exister seulement dans l’esprit. Si en effet il n’existait que dans l’esprit, on pourrait penser qu’il existe aussi en réalité : alors il serait plus grand…. Sans aucun doute, il existe donc, et dans l’intelligence et dans la réalité, un être tel que rien de plus grand ne peut être conçu. "

De même Descartes : " Je trouve manifestement que l’existence ne peut être non plus séparée de l’essence de Dieu, que l’essence d’un triangle rectiligne la grandeur de ses trois angles égaux à deux droits, ou bien encore l’idée d’une montagne à l’idée d’une vallée ; en sorte qu’il n’y a pas moins de répugnance de concevoir Dieu (c’est-à-dire un être souverainement parfait) auquel manque l’existence (c’est-à-dire quelque perfection) que de concevoir une montagne qui n’ait point de vallée (….). Dire que quelque attribut est contenu dans la nature ou dans le concept d’une chose, c’est la même chose que de dire que cet attribut est vrai de cette chose, et qu’on peut assurer qu’il est tel. Or, il se trouve que l’existence nécessaire est contenue dans la nature ou dans le concept de Dieu. Donc il est vrai de dire que l’existence nécessaire est en Dieu, ou bien que Dieu existe. "

L’argument a été résumé ainsi par saint Thomas :

" Dès qu’on a compris ce que signifie ce mot : Dieu, aussitôt on sait qu’il existe.

  • En effet, ce mot signifie un être tel qu’on ne peut en concevoir de plus grand
  • Or qui existe à la fois dans la réalité et dans l’esprit est plus grand que ce qui existe uniquement dans l’esprit.
  • Donc, puisque le mot étant compris, Dieu est dans l’esprit, on sait du même coup qu’il est dans la réalité.

L’existence de Dieu est donc évidente " (I, q. 2, a.1, 3 objection) ; elle n’a pas besoin d’être démontrée.

La démonstration rationnelle est impossible

Les agnostiques athées (empiristes ou idéalistes)

Nous avons déjà évoqué l’empirisme et l’idéalisme qui prétendent que la raison humaine, est enfermée dans le cercle de ses phénomènes, Il ne faut donc pas s’étonner qu’ils nient que la raison n’est pas capable d’en franchir les limites et donc de s’élever jusqu’à Dieu.

Les agnostiques religieux
  • les traditionalistes

Les traditionalistes ne nient pas l’existence de Dieu, mais prétendent qu’il est nécessaire d’une révélation pour que l’homme puisse le connaître. Il s’agit d’une réaction née au XIXe siècle, sous l’entreprise de philosophes comme Joseph DE MAISTRE (1753-1821), Louis DE BONALD (1754-1840) ou Félicité de LAMENNAIS (1817-1823), réaction née contre les " philosophes " de la Révolution française qui avaient exalté la raison humaine. LAMENNAIS écrit que le " raisonnement est insuffisant pour conduire l’homme à la certitude " tandis que " l’autorité, ou la raison générale manifestée par le témoignage ou la parole, est le moyen nécessaire pour parvenir à la connaissance de la vérité. " Si donc il existe des preuves de Dieu, il s’agit " de moyens de mettre cette grande vérité à la portée de la raison individuelle et comme un secours offert à sa faiblesse pour l’aider à s’élever à la raison générale. " BONALD prétend de même qu’il est " nécessaire et surtout philosophique de commencer par dire je crois. "  Il raisonne ainsi pour prouver la nécessité de la révélation : pour penser, il faut le langage. Or sans elle, il est impossible de créer des mots, si on ne pense pas déjà. Il faut donc que le langage ait été révélé à l’homme par Dieu. Si l’homme connaît Dieu, c’est donc suite à la révélation primitive du langage. Par la suite cette révélation s’est transmise de génération en génération.  

  • L’immanentisme

L’immanentisme lui aussi nie la capacité de la raison humaine à dépasser l’ordre des phénomènes. Mais il propose une autre voie pour parvenir à Dieu. Dieu selon lui n’est pas objet de science mais d’expérience ; il y a donc une révélation de Dieu qui se produit à l’intérieur de la conscience. " Si Dieu, écrit Edouard LE ROY, peut être connu ce ne sera jamais que par l’expérience ; et comme ici l’expérimentation est impossible, cette expérience devra être immanente, impliquée dans l’exercice de la vie. " C’est le besoin de religieux, " l’inquiétude humaine " qui permet d’une certaine manière de penser que Dieu existe. Cette expérience lui donne l’assurance que Dieu existe, car qui ne sent pas Dieu en dehors de son cœur, ne le trouvera jamais. " Somme toute, écrit encore LE ROY, on croit en Dieu plus qu’on ne le prouve. A vrai dire on ne le démontre pas : on l’expérimente, on le vit ". Autrement dit, Dieu existe parce qu’il correspond aux exigences de ma subconscience. Un autre témoin de cette méthode est le philosophe Blondel (1861-1949) qui analyse l’action. Son raisonnement est simple : l’analyse de notre activité nous montre que nous ne sommes jamais satisfaits de ce que nous atteignons ; nous aspirons toujours à l’infini, à l’idéal. Notre nature demande un absolu qui ne se trouve dans aucune des expériences que nous faisons. Or ce surcroît postulé par notre nature, c’est la foi en Dieu qui seul peut nous le donner. Au bout de l’expérience humaine se trouve donc Dieu " On ne peut savoir, écrit Blondel, ce qui en est que par une expérimentation effective. Qui a compris la nécessité, qui a senti le besoin de la foi, doit agit comme s’il l’avait déjà, pour qu’elle jaillisse en sa conscience… Car ce n’est pas de la pensée qu’elle passe au cœur ; c’est de la pratique qu’elle tire une lumière divine pour l’esprit. " Une autre solution plus réaliste a été proposée par Bergson : " Un objet qui existe est un objet qui est perçu ou qui pourrait l’être. Il est donc donné dans une expérience réelle ou possible ". Mais qui peut prétendre expérimenter Dieu ? Le mystique. Or " l’accord des mystiques entre eux est frappant ". Ils parcourent les mêmes étapes, aboutissent au même terme. " Leur accord profond est le signe d’une identité d’intuition qui s’expliquerait le plus simplement par l’existence réelle de l’Etre avec lequel ils se croient en communication. "  


Critique de ces positions

L’argument ontologique

Remarquons d’abord que si l’existence de Dieu était évidente, l’athéisme serait impossible. Or il y a des athées, c’est donc que la preuve que l’existence de Dieu n’est pas évidente et qu’elle a besoin d’une démonstration. (I, q. 2, a.1, sed contra).
D’autre part, l’argument ontologique n’est pas probant, car il consiste à passer de l’ordre idéal à l’ordre réel. Il est vrai que l’idée de parfait, implique l’idée d’existence : sinon le concept de parfait est incohérent. Pour autant cela ne suffit pas à prouver que Dieu existe réellement. En effet, comme on raisonne sur des idées, la conclusion que l’on tire de ces idées est une conclusion logique. Nous obtenons un être de raison qui implique l’existence à titre nécessaire. Or rien ne nous garantit qu’un être de raison, même impliquant à titre nécessaire l’existence, existe réellement, car ce qui a une valeur logique, n’a pas automatiquement une valeur ontologique. L’idée d’existence nécessaire ne doit pas être confondue avec le fait d’exister nécessairement.
Par conséquent, la seule chose que l’argument de saint Anselme ou de Descartes prouve, c’est que si Dieu existe, il ne peut pas ne pas exister  ou que chez lui l’existence est nécessaire.
 

L’agnosticisme athée ou religieux

Les trois positions que nous avons exposées ont comme point commun la défiance dans la capacité qu’a notre raison de parvenir à une certitude, soit pour des motifs religieux (les traditionalistes qui affirment, à la suite des protestants, la corruption totale de la raison à cause du péché originel) soit pour des motifs philosophiques (les agnostiques ou les immanentistes qui professent l’empirisme ou de l’idéalisme). Nous avons déjà longuement réfuté ces positions dans une étude précédente en montrant que nous appréhendons les quiddités des choses et que nos principes ont une valeur transcendante ; il est inutile d’y revenir. Nous nous contenterons de soulever quelques graves problèmes posés par leurs conceptions, ou, comme pour l’agnosticisme, de réfuter la forme populaire de l’objection.

L’agnosticisme

La forme populaire de l’objection qui est la suivante : " Nous ne pouvons pas affirmer l’existence de quelque chose qui dépasse notre connaissance sensible. En effet, l’intelligence ne tire toutes ses connaissances que de la connaissance sensible. Or Dieu est immatériel, il est donc par nature inconnaissable "
Réponse : Il est vrai que nous ne tirons nos connaissances que du sensible. Dieu par conséquent, ne sera jamais atteint directement : on ne le trouvera ni derrière un microscope ni derrière une lunette astronomique. Par contre, rien n’empêche de penser a priori qu’il puisse être atteint indirectement. En effet, nous sommes certains l’existence d’une quantité de choses par voie indirecte, bien que nous ne les voyions pas. Nous ne voyons en fait que leurs effets, mais ceux-ci sont suffisants pour affirmer l’existence de cette chose. Ainsi, si je rentre chez moi et que je vois tout mon appartement mis à sac, les armoires éventrées, les tiroirs ouverts et des objets manquants, je peux affirmer avec certitude que mon appartement a été cambriolé. Or, je n’ai pas vu le cambrioleur : je ne sais ni à quoi il ressemble, ni son nom, ni si c’est une femme ou un homme. Je n’ai aucune connaissance directe de lui. Pourtant je suis absolument certain de son existence parce que s’il n’y avait pas eu de cambrioleur, mon appartement n’aurait pas été mis dans cet état. Voilà donc une certitude tout à fait légitime, même si j’ai acquis sa connaissance par voie indirecte : j’ai conclu à l’existence d’une cause à partir d’un effet.
 

Le traditionalisme

Le traditionalisme pose un grave problème pour l’acte de foi. Pour en effet que je croie à l’existence de Dieu d’après le témoignage divin, je dois savoir que Dieu existe, qu’il a donné un témoignage, qu’il faut croire en ce témoignage, et que ce témoignage a été conservé sans être altéré. Or tous ces points ne peuvent pas venir d’une révélation parce qu’ils sont prérequis à l’acceptation de la révélation. Par conséquent, l’existence de Dieu ne peut pas venir de la révélation, mais doit pouvoir être connue d’une autre manière. Autrement dit, si l’existence de Dieu est révélée, je commets un cercle vicieux : comment croire que Dieu puisse parler si je ne sais pas préalablement qu’il existe ?
 

L’immanentisme

La philosophie immanente renoue d’une certaine manière avec la pensée augustinienne qui veut que le cœur de l’homme ne soit pas apaisé tant qu’il n’a pas trouvé Dieu. On pense également à Pascal et sa " misère de l’homme sans Dieu ". Cependant elle est incapable, malgré ses pénétrantes analyses, de pouvoir affirmer avec certitude l’existence de Dieu. Elle peut être utile pour préparer l’âme à découvrir Dieu, fortifier ou maintenir sa croyance, mais elle demeure insuffisante. L’expérience mystique de BERGSON en effet n’est ni un moyen universel, ni un moyen objectif. Pour le mystique d’abord, qu’est-ce qui peut lui garantir qu’il s’agit d’une réelle expérience avec la transcendance et non une émotion religieuse subjective ? ; pour le non-mystique ensuite, comment contrôler la réalité authentique de l’expérience mystique ? Celle-ci est par nature invérifiable. Jamais une intuition, a fortiori une intuition supposée, ne constituera une preuve. Plus grave encore, une telle méthode risque d’aboutir à des résultats contradictoires. Le musulman ou le protestant pourront avoir, comme la catholique, la même expérience religieuse, le même sentiment subjectif de la présence et de la nécessité de Dieu en leur âme. Tous, en pratiquant leur religion, peuvent faire une expérience mystique forte et, à n’en pas douter, sincère. Nous sommes donc en droit de récuser une méthode qui établit avec la même autorité et la même certitude les thèses les plus opposées. Enfin, une telle méthode opère une grave confusion entre le naturel et le surnaturel. Naturellement en effet, Dieu n’est pas un objet de l’expérience humaine ; il ne peut l’être que surnaturellement, parce que c’est une grâce que Dieu fait à certains hommes.

Conclusion : la seule démonstration possible est d’ordre rationnel

Résumons les points acquis pour le moment. 1° L’existence de Dieu n’est pas évidente 2° Je suis en droit pourtant, sous peine de rendre mon acte de foi contradictoire et irrationnel, d’exiger une démonstration de l’existence de Dieu. 3° Cette démonstration ne peut pas être la méthode d’immanence ou l’expérience des mystiques parce qu’une telle méthode est subjective. Il ne reste donc qu’un seul moyen possible : la démonstration rationnelle qui s’appuiera sur la raison et ses principes qui sont communs à tous les hommes. Or il y a deux sortes de démonstrations rationnelles : la démonstration a priori et la démonstration a posteriori. La première appelée aussi démonstration propter quid (pourquoi) est celle qui se fait par l’essence de la chose ou par ses propriétés nécessaires : on démontre ainsi que l’homme est capable de rire parce qu’il est un animal raisonnable. La seconde appelée aussi quia prouve que la chose est en se fondant sur ses effets donnés dans l’expérience. Nous avons vu plus haut, en critiquant l’argument ontologique, l’échec de la démonstration a priori de l’existence de Dieu. Il ne reste donc que la deuxième méthode qui consistera à partir de l’existence des choses qui nous entourent pour découvrir Dieu comme cause de cette existence. Une telle démonstration est tout à fait légitime comme nous l’avons vu en donnant l’exemple du cambrioleur. Jean DAUJAT donne un autre exemple pour montrer la validité d’une démonstration a posteriori. " Tandis que j’écris j’ai ma montre sous les yeux pour ne pas oublier l’heure et je vois, et par-là je connais directement, le mouvement des aiguilles, mais je ne vois pas le ressort qui est dans ma montre et n’en ai aucune connaissance directe. Pourtant l’existence de ce ressort m’est connue de manière absolument certaine quoique indirecte par l’intermédiaire du mouvement des aiguilles, parce que, s’il n’y avait de ressort dans cette montre, les aiguilles ne marcheraient pas. " Cette distinction entre les deux démonstrations apporte également la réponse à une objection assez subtile : la démontrabilité de quelque assertion ou entité que ce soit, dit-on, suppose qu’on en ait auparavant une définition. Or le mot " Dieu " est avant tout caractérisé par ce qu’il n’est pas : " Dieu est immatériel ", " Dieu n’est pas un objet de l’expérience humaine, il ne peut l’être que surnaturellement ", " Dieu est au-dessus de toute chose " c’est-à-dire qu’il ne peut être référencé à ce qui est communément appréhendé. Cette objection a déjà été examinée par saint Thomas d'Aquin : " Le moyen terme d'une démonstration est la définition du sujet qui nous fait connaître ce qu'il est. Or ce Dieu nous ne pouvons pas savoir ce qu'il est mais seulement ce qu'il n'est pas. Donc nous ne pouvons pas démontrer Dieu " (I, q. 2., a. 2, objection 2). Pour répondre à l'objection, il faut bien avoir en tête que la démonstration a posteriori (quia) par les effets part de ce qui n'est premier que dans l'ordre de notre connaissance et que par conséquent, il est nécessaire d'employer l'effet au lieu de la définition de la cause pour prouver l'existence de celle-ci. " En effet pour prouver qu'une chose existe, on doit prendre comme moyen non sa définition, mais la signification qu'on lui donne, car avant de se demander ce qu'est une chose on doit se demander si elle existe. Or les noms de Dieu lui sont donnés par ses effets, comme nous le montrerons " (I, 2, 2, ad 2).    


Article 2 : Les preuves de l’existence de Dieu

Nous allons exposer ici cinq preuves de l’existence de Dieu. Il s’agit des cinq voies proposées, il y a six siècles, par saint Thomas d’Aquin dans sa Somme de Théologie ( I, q. 2, a. 3 ). Nous croyons qu’elles n’ont rien perdu de leur efficacité et de la valeur, et nous nous contenterons juste de les développer pour les faire comprendre à un esprit moderne, par nature peu métaphysicien.

Première voie : la preuve par le mouvement.

LES FAITS : il y a dans le monde des êtres qui changent c’est-à-dire des êtres qui passent de la puissance à l’acte.

L’existence du changement est sans doute l’expérience la plus universelle qui soit. Certains philosophes, Parménide par exemple, ont nié l’existence du changement, mais cela n’est pas raisonnable : toute l’expérience proteste contre une telle affirmation. Il y a différentes sortes de changement. Nous en voyons d’abord hors de nous : le mouvement local (celui des planètes, des astres, des animaux qui volent ou qui nagent ; au niveau microscopique, le mouvement des électrons autour du noyau etc.), les changements qualitatifs ou quantitatifs (le chaton que j’ai eu pour mon anniversaire est devenu chat) et enfin des changements substantiels (des êtres naissent ou meurent, des corps se combinent et se désintègrent). Nous constatons également des changements en nous : nous prenons des décisions, nous changeons d’avis, nous passons de l’ignorance à la connaissance.

Ces changements peuvent être exprimés d’une manière métaphysique. Tout changement en effet comporte un terme a quo (à partir duquel) , un terme ad quem (vers lequel) et un sujet qui change, c’est-à-dire un élément permanent entre ces deux termes. En effet, pour reprendre l’exemple précédent, le chaton que j’ai reçu l’année dernière est bien le même individu que le chat qui ronronne sur mon canapé actuellement. Et pourtant, entre les deux, quels changements ! Or ici se pose un problème : si l’on applique le principe d’identité, il semble bien que le changement soit impossible. D’où vient que le terme ancien (le chaton) peut devenir le terme nouveau (le chat) ?

  • Ce ne peut pas être selon ce qu’il est, puisqu’il est déjà tout ce qu’il est et n’a plus à la devenir: on ne saurait blanchir la blancheur. L’être ne peut pas venir de l’être, puisque l’être existe déjà.
  • Ce ne peut pas être selon ce qu’il n’est pas, puisque à ce point de vue il n’est rien. L’être ne peut pas venir du non-être, car le non-être n’est pas et du néant rien ne vient.

Historiquement, cette antinomie entre le changement et l’apparente contraction qu’il implique a provoqué deux attitudes. Soit on a voulu maintenir le principe d’identité et à ce moment là, on a dû abandonner le changement (Parménide, Spinoza) ; soit on a voulu maintenir la réalité du mouvement, et alors là, il a fallu abandonner le principe d’identité (Héraclite, Bergson), mais, du coup, le changement est devenu inintelligible. Or il est clair, qu’on ne peut nier aucun des deux points. Le changement, tout comme le principe d’identité, sont tous les deux aussi incontestables. On ne peut choisir, sous peine de rejeter une des deux données du problème, entre le devenir pur et le monisme de l’être immuable. Rien n’est plus absurde et anti-intellectuel qu’une philosophie qui ne rend compte que d’une partie de la réalité.

Par conséquent, si l’on veut que le changement soit possible (contre Parménide) et intelligible (contre Héraclite), il faut admettre qu’il se produit dans un sujet apte à recevoir une nouvelle perfection : cette aptitude est appelée puissance ; la perfection reçue acte et le changement passage de l’acte à la puissance. Ainsi, le sujet est et n’est pas ce qu’il va devenir, il ne l’est pas en acte, mais il l’est déjà en puissance. En d’autres termes, si l’on envisage le changement, il faut admettre une perfection à acquérir (nous appelons ce terme ad quem " acte "), un manque ou une privation de cet acte (terme a quo) et un sujet qui a une aptitude réelle à acquérir cet acte manquant (nous appelons ce sujet " puissance ") . Le chaton n’était pas encore le chat qu’il est devenu, mais il avait réellement en lui de quoi devenir ce chat. Par contre, il n’aurait pas pu devenir lion ou oiseau. Une fois devenu chat, il est être en acte. Avant, il était en puissance de cet acte : il avait l’aptitude à recevoir cette détermination définie. Un changement comprendra donc 1° un acte déjà présent (l’acte d’être chaton), 2° un acte absent (la privation de l’acte d’être chat) et réellement possible (la puissance d’être chat). Il se définira donc comme le passage de la puissance à l’acte ou plus exactement comme le passage de l’état privation-puissance à l’état d’acte par rapport à l’acte absent. Il est l’acte d’un être en puissance en tant qu’il est puissance.

PRINCIPES d’INTERPRETATION DES FAITS :

  • Tout ce qui est mû, est mû par un autre.
  • Il est impossible de remonter à l’infini dans une série de moteurs subordonnés ; il faut un moteur non mû.
  • Tout ce qui est mû, est mû par un autre ; Le mouvement dont il est question ici tout est compris dans son sens le plus général et dans son explication métaphysique que nous avons donnée : la puissance de la puissance à l’acte. Nous incluons ainsi toutes les formes de devenir de quelque nature qu’elles soient. Nous affirmons ainsi que tout être qui passe de la puissance à l’acte, ne peut effectuer ce passage de lui-même, mais a besoin d’être mis sous la dépendance essentielle d’un autre être en acte. Pourquoi ? Parce que l’être en puissance, ne possède pas encore l’acte de la réalité vers laquelle il tend. S’il la possédait, il serait en effet en acte de cette réalité et non en puissance. Or, personne ne donne ce qu’il n’a pas. S’il se donnait lui-même l’acte dont il est la puissance, cela voudrait dire qu’il est en même temps en puissance d’une réalité –puisqu’il est sujet du mouvement- et en acte de cette même réalité, puisqu’il serait l’auteur du même mouvement. Or une telle affirmation est contradictoire. Par conséquent, tout être en puissance passe à l’acte en vertu d’un autre être que lui-même : tout ce qui est mû, est mû par un autre.

Difficulté : il semble bien que ce principe ne s’applique pas aux êtres vivants : la plante pousse toute seule, l’animal bondit sur sa proie, nous prenons nos décisions du fait de notre propre volonté.

Réponse : le principe exposé plus haut s’applique également aux mouvements vitaux. La croissance des plantes par exemple dépend d’énergies cosmiques (le soleil, la terre, l’eau) et est donc un effet de celles-ci. De même, c’est cette gazelle et non une autre qui a provoqué le bond du lion. Ce sont les cellules du lion, qui ont provoqué la contraction de ses muscles, c’est tel motif qui a provoqué notre décision, telle sensation qui a permis d’élaborer tel acte d’intelligence.

  • Il est impossible de remonter à l’infini dans une série de moteurs subordonnés ; il faut un moteur non mû.

Nous venons de voir que tout ce qui est mû, est mû par un autre. Appelons ce qui meut " moteur ". Ce moteur, suffit-il à expliquer le changement ? Si ce moteur, pour mouvoir, a dû passer de la puissance à l’acte, le problème reste intact, car il faut un autre moteur. Or, il impossible d’imaginer une série infinie de moteurs mus, l’infinité des moteurs ne change rien au problème, car il faut expliquer la cause première du mouvement. Sans un premier moteur non mû, il n’y a rien qui est mû. Les moteurs seconds ne meuvent que selon qu’ils sont mus par un moteur premier. A. D. SERTILLANGES donne un exemple très frappant pour faire comprendre cette vérité : " Multipliez les causes intermédiaires jusqu’à l’infini, vous compliquez l’instrument, vous ne fabriquez pas une cause ; vous allongez le canal, vous ne faites pas une source. Si la source n’existe pas, l’intermédiaire reste impuissant et le résultat ne saurait se produire, ou plutôt il n’y aurait ni intermédiaire ni résultat c’est-à-dire que tout disparaît. " Autre exemple, si on prend un train, le wagon par lui-même n’a pas le pouvoir d’avancer ; il ne peut avancer que s’il y a une locomotive qui le tire. On aura beau multiplier le nombre de wagons, et même imaginer un nombre infini de wagons, tant qu’on ne m’aura pas montré la motrice, on expliquera toujours comment le mouvement se transmet et jamais comme il se donne.

Conclusion : il existe un premier moteur non mû

La conclusion s’impose d’elle-même : il faut un moteur non mû, absolument immobile. Ce moteur est sans mélange d’acte et de puissance ; il est Acte pur. Sujet lui-même d’aucun devenir, il est Celui par qui tout devenir peut être réalisé. Il existe par soi et ne dépend d’aucun d’autre. Il est également immuable, puisqu’il est Acte pur et qu’il n’a rien à acquérir. Enfin, parce qu’il échappe au changement, il est hors du temps : il n’a ni commencement ni fin. Il est l’éternel présent qui embrasse dans son existence et dans son acte, toutes les successions. Son action s’exerce sur tous les moteurs seconds dans un même acte indivis. En un mot, il est la transcendance même.

Difficulté : Un moteur immobile est une notion contradictoire. En effet faire passer de la puissance à l’acte, implique un avant et un après, un commencement. Or l’immobilité est opposée au commencement. On reconnaît ici la 4eme antinomie de Kant " Supposez qu’il y ait hors du monde une cause absolument nécessaire, cette cause étant le premier membre dans la série de causes des changements du monde, commencerait d’abord l’existence de ces changements et de leur série. Or il faudrait qu’elle commençât à agir et sa causalité entrerait dans le temps, par conséquent dans l’ensemble des phénomènes, c’est-à-dire dans le monde. D’où il suit qu’elle-même, la cause, ne serait pas hors du temps, ce qui est contraire à l’hypothèse. "

Réponse :  Le raisonnement de Kant est faux car il suppose que l’exercice de la causalité implique un changement dans la cause elle-même. Or ce n’est pas dans la cause que le changement se produit, mais dans l’effet : tout le changement se produit du côté de l’être qui reçoit le mouvement de la cause. L’acte de causer est donc formellement immanent du côté de Dieu (il ne se distingue pas de lui) et virtuellement transitif du côté de la créature. De même, le temps étant la mesure du mouvement selon l’avant et l’après, seul ce qui change appartient au temps, Celui qui ne change pas est hors du temps, car hors du mouvement.

 

Scolion : L’absurdité du devenir pur

" Les choses étant mouvement, il n’y a plus à se demander comment elles reçoivent celui-ci ".

Il est vrai que l’expérience ne nous donne que des êtres en mouvement. Mieux, elle ne peut nous donner que cela, car c’est la caractéristique de l’être contingent que d’être soumis au devenir perpétuel. Pour autant, cette même expérience nous fait voir au sein des êtres en mouvement une certaine stabilité : l’arbre perd ses feuilles, mais il garde ses branches ; le chaton est devenu chat, mais c’est toujours le même individu. Or cette stabilité est une nécessité pour rendre le devenir intelligible, en effet si ce n’est pas le même individu qui change, il n’y a plus mouvement, mais pure succession d’êtres sans lien les uns avec les autres, plus de mouvement mais substitution. Par conséquent, le mouvement exige une réalité permanente au sein même du devenir, c’est-à-dire, on l’a vu, une puissance qui passe à l’acte.  


Deuxième voie : la preuve par les causes efficientes

LES FAITS : il existe des causes subordonnées les unes aux autres

L’expérience la plus évidente est que tous les phénomènes que nous percevons apparaissent comme une chaîne non seulement chronologique mais causale. Deux cas peuvent être considérés ici. 1° Un phénomène ne peut exister que sous l’action d’un autre phénomène : la rose dans mon jardin n’a pu germer que parce qu’il a y eu une génération successive de graines. Le phénomène A. a été causé par le phénomène B., lui-même causé par le phénomène C. etc. 2° Un phénomène ne peut agir que sous l’action de plusieurs autres phénomènes concomitants. Cette même rose ne peut germer que sous l’action conjuguée de plusieurs phénomènes : la présence d’oxygène, d’eau ou de chaleur suffisante. Cette deuxième causalité a été envisagée dans la première preuve.

PRINCIPES d’INTERPRETATION DES FAITS

  • Rien ne se cause soi-même
  • Il est impossible de remonter à l’infini dans les causes subordonnées
  • Rien ne se cause soi-même

1° Causer, en tant que faire exister, implique l’existence car ce qui n’est pas ne fait rien.

2° Causer, en tant qu’agir, implique l’existence, car ce qui n’existe pas n’agit pas.

Or si une chose qui n’existe pas, était cause d’elle-même, elle serait antérieure à elle-même, elle pourrait être avant d’être, ce qui veut dire qu’elle serait à la fois existante et non existante, ce qui est contradictoire. De même, on l’a vu à propos de la première preuve, commencer d’exister dans un sujet préexistant, c’est-à-dire être agi, suppose de passer de la puissance à l’acte. Or si une chose pouvant passer elle-même de la puissance à l’acte (c’est-à-dire se donner d’elle-même telle ou telle détermination), il faudrait qu’elle la possède déjà en acte, c’est-à-dire qu’elle soit en même temps et sous le même acte et puissance, être et non-être.

On voit par-là l’inanité des critiques sur principe de causalité. Rappelons pour mémoire sa formulation par Auguste Comte : " Nos études réelles sont strictement circonscrites à l’analyse des causes effectives, c’est-à-dire leurs relations constantes de succession et de similitudes, et ne peuvent nullement concerner leur nature intime, ni leur cause, ou première ou finale, ni leur mode essentiel de production. ". De même pour Kant, c’est notre esprit qui imagine un ordre dans les faits, la causalité n’est qu’une forme a priori de l’entendement : on ne fait que relier deux perceptions. Cela ne tient pas la route. Il faut bien distinguer les phénomènes et la causalité. Prenons un exemple pour faire apparaître la différence. J’expérimente tous les jours de façon équivalente que le soleil se lève et que chaque chose qui commence d’exister a besoin d’une cause. Cependant, je peux très bien imaginer que le soleil cesse de se lever à la suite d’une perturbation du cours des astres, mais je ne peux concevoir qu’une chose puisse exister sans cause. La relation de cause est donc une relation fondée sur l’être même, car l’intellect saisit qu’il existe entre relation ontologique entre la cause et son effet. Les sens ne nous offrent qu’une pure succession, mais l’intelligence est capable de saisir dans le donné sensible l’intelligibilité de cette succession et voit bien que refuser cette intelligibilité conduit à l’absurde. Le principe de causalité est donc par conséquent une loi de l’esprit parce que c’est avant tout et premièrement une loi de l’être.

D’autres critiques voient une remise en cause du principe de causalité au nom la mécanique quantique qui a montré les limites du déterminisme dans les lois de la physique.

Réponse : Il faut là encore opérer une distinction entre trois degrés d'abstraction. 1° On laisse de côté les phénomènes particuliers pour ne considérer que les natures universelles et les lois universelles des phénomènes physiques et sensibles par lesquels la réalité se manifeste à notre expérience... 2° On laisse de côté les propriétés physiques et sensibles des choses pour ne considérer que ce qu'il y a en elles de quantitatif et les relations entre les quantités, ce degré d'abstraction est celui des sciences mathématiques et, pour une certaine part, de la physique moderne quantique, qui construit un modèle mathématique à partir de la réalité observée. 3° On laisse de cotés les quantités comme les propriétés physiques des choses, et on ne considère plus dans les choses que ce qui a de premier: leur être même. Chacun de ces trois degrés a une manière propre de raisonner. Ceci est particulièrement vrai pour les preuves de l'existence de Dieu qui font appel au principe de causalité. Pour le physicien, la causalité est une régularité dans la succession de deux phénomènes sensibles : il dira que le phénomène A est la cause du phénomène B, si le phénomène A est toujours accompagné ou suivi du phénomène B. On a parfaitement raison de rappeler qu'au niveau micro-structural de la matière explorée par la physique quantique, c'est-à-dire par la science physico-mathématique, la notion de déterminisme entre les phénomènes physiques observables a été remplacée par l'idée beaucoup plus souple de probabilité entre ces phénomènes. Mais à partir de cette constatation, expérimentalement vraie, on effectue un saut épistémologique inacceptable en concluant que le principe de causalité n'est pas valide. En effet, pour le métaphysicien, la causalité est une dépendance d'existence : il dira que A est cause de B si l'être de B dépend de l'être de A. Or on confond ici deux domaines totalement distincts. Pour le physicien, en mécanique quantique, il est impossible de prévoir grâce à ces modèles mathématiques un conséquent, à partir d'un antécédent connu. Il dira simplement qu'à partir de cet antécédent il est probable que tel conséquent surviendra. Ceci est vrai, mais prouve seulement les limites d'efficacité des lois physico-mathématiques. Il ne faut pas confondre le déterminisme du côté de la nature des phénomènes et le déterminisme du côté du physicien. Dans la nature le déterminisme est absolu sinon le réel est inintelligible car l'être passerait seul de la puissance à l'acte : il se donnerait ce qu'il n'a pas. Le physicien, lui, se place à un autre point de vue : il juge qu'un phénomène qui ne peut pas être atteint par ses instruments et ses mesures est pour lui inexistant. Or ce n'est pas parce que un phénomène est pour nous inexistant (parce que inatteignable par nos instruments), qu'il n'existe pas dans la nature. Il est impossible de trouver un physicien qui niera en fait que l'apparition d'un nouveau phénomène met en jeu directement ou indirectement un agent physique qui le produit à titre nécessaire. Même en physique quantique, le déterminisme du côté de la nature reste absolu. Louis de Broglie dans son ouvrage, Continu et discontinu est formel là dessus. Il rappelle bien que un fait "indéterminé" au sens physique n'est pas un fait sans cause, il a au contraire sa cause proportionnée, ce qui veut dire sa cause prédéterminée à le produire. Mais cette cause n'est pas connaissable à l'expérience physique. Ces longues précisions donnent exactement le statut de notre preuve. Celle-ci n'est pas une preuve mécaniste, mais métaphysique. La preuve métaphysique que nous développons n'explique pas le mouvement en terme d'énergie potentielle ou réelle (explication fondée sur le 2eme degré d’abstraction), mais en terme d'acte et de puissance.

  • Il est impossible de remonter à l’infini dans les causes subordonnées

Cela a déjà été montré dans la première voie. Est-il possible d’imaginer cependant une circularité de causes, de sorte que les éléments de l’univers soient en causalité réciproque ? Non, car une telle hypothèse se ramène à celles examinées précédemment. En effet, que l’enchaînement des causes soit circulaire ou linéaire, cela importe peu, car ce qui est recherché ici ce n’est pas la transmission des causes, mais la source de celles-ci. Si l’on admet un enchaînement circulaire cela veut dire que chaque partie de cet enchaînement se produit lui-même au moins à titre médiat. Or cela répugne, car il agirait avant d’exister. En effet, il n’existerait qu’en tant que produit par un autre à partir de ses propres effets, et dans ce cas, alors qu’il n’est pas encore produit, il a déjà produit son effet. En d’autres termes, le même être serait à la fois et dans le même moment causant et causé. Or en tant que causant, il devrait exister pour causer et en tant que causé, il ne devrait pas avoir l’existence. Il devrait à la fois être et ne pas être.

Conclusion : il existe un être par soi, non causé et donc absolument indépendant.

Troisième voie : la preuve par la contingence.

LES FAITS : il existe des êtres contingents

Là encore nous partons d’un fait d’expérience évident : il y des êtres qui commencent et finissent d’exister. Cela est particulièrement évident pour nous-mêmes : nous sommes nés et nous mourrons un jour. Voilà une certitude inattaquable. De même dans l’ordre minéral, des substances nouvelles apparaissent et disparaissent. Ces êtres appelons-les contingents c’est-à-dire êtres qui pourraient ne pas être ou ne pas exister.

PRINCIPE d’INTERPRETATION DES FAITS

Or tout être contingent ne peut exister que s’il reçoit actuellement l’existence par un être nécessaire ou non contingent.
Un être contingent se définit, on l’a dit, par son aptitude à pouvoir ou ne pas pouvoir exister. Or s’il peut ne pas exister, c’est qui ne trouve pas en lui-même la raison de son existence : s’il trouvait en lui-même, l’existence lui conviendrait nécessairement à titre de propriété essentielle. Du coup, il ne pourrait pas ne pas exister ; il ne serait pas contingent, et il existerait depuis toujours. Or s’il ne trouve pas en lui-même son existence, il la tient d’un autre. Maintenant, posons-nous la question : cet autre dont il tient son existence, est-il contingent ou nécessaire ? S’il est nécessaire, l’affaire est entendue, nous tenons là Dieu. S’il est contingent, on ne fait que repousser le problème car il faut se poser la même question jusqu’à ce qu’on trouve la raison qui rende compte de l’existence de cette collection d’êtres contingents. Cela sera soit dans une collection infinie d’êtres contingents, soit dans un être nécessaire. Or il est impossible que ce soit dans une collection infinie d’êtres contingents, car un ensemble même infini d’êtres contingents, est suffisant pour exister : si aucun d’eux n’a de raison suffisante pour rendre compte de sa propre existence, le tout lui-même est contingent. Il faut donc, pour expliquer l’existence des êtres contingents, un être nécessaire.
Difficulté n° 1 : L’existence d’un monde éternel
Notre preuve, comme la précédente, n’établit absolument pas que le monde ait été créé. En effet, elle reste également valide même dans l’hypothèse d’un monde éternel. Il faut en effet distinguer deux sortes de subordinations : une accidentelle et une essentielle. La première est celle où l’effet dépend de la cause comme d’une condition sine qua non de son existence, mais sans en dépendre actuellement pour exister. C’est le fameux problème de l’œuf et de la poule. L’oeuf pour commencer d’exister dépend de la poule, mais une fois pondu l’œuf peut continuer d’exister même si la poule disparaît. Une telle série peut donc exister depuis toute éternité et la régression à l’infini est de soi possible. Dans la subordination essentielle en revanche l’effet ne peut exister que sous l’influence actuelle de la cause. Ainsi, si l’on supprime le premier terme, toute la série s’effondre. Dans une montre, pour reprendre encore une fois un exemple mille fois cité, le mouvement des aiguilles dépend d’une série de rouages qui sont en dépendance essentielle et actuelle du ressort. Par conséquent, le nombre infini de rouages est de soi insuffisant pour expliquer le mouvement des aiguilles, il faut, en dernière analyse, un ressort. Or dans le cas de la preuve que nous venons d’exposer, la contingence est une subordination essentielle à un être nécessaire. On peut donc très bien imaginer un monde éternel, sans pour autant penser une notion contradictoire. Pourtant, ce monde éternel n’en serait pas moins sous la dépendance depuis toute éternité d’un être non-contigent. Notre preuve est donc valide, non parce que nous affirmons qu’il faut que le monde ait commencé, mais parce que nous constatons qu’il y a dans le monde des êtres qui ont commencé d’exister.    
Difficulté n° 2 : Les lois de la nature.
La preuve établit l’existence du nécessaire, mais ce nécessaire n’est pas forcément Dieu, il peut être les lois de la nature
Réponse : Les lois de la nature n’expliquent que la succession des phénomènes et non l’existence ce ceux-ci ; elles ne fondent pas l’existence de ces phénomènes mais la présupposent au contraire. Les lois de fait sont elles-mêmes contingentes, car si l’on supprime les phénomènes auxquels elles s’appliquent, les lois n’ont plus de raison d’être. " Supprimez l’existence contingente des phénomènes, cet être nécessaire qu’est la loi n’est plus qu’une vérité hypothétique, qui demande à être fondée sur un absolu en fait (..) mais qui ne peut être cet absolu. " Notre preuve ne porte pas sur le comment ou le pourquoi des phénomènes mais sur l’existence de ceux-ci. Elle ne cherche pas à savoir dans quelles conditions et à cause de quelles lois, les êtres commencement et finissent ; elle va plus loin, elle monte plus haut : elle permet d’expliquer pourquoi l’être contingent qui n’a pas en lui-même de quoi exister, existe en fait.

Conclusion : il existe un être qui est absolument nécessaire

Cette voie met en lumière la " fragilité ontologique " des êtres de notre expérience. En effet, la présence de Dieu est constamment nécessaire pour que nous ne retombions pas dans le néant. Dieu est donc présent jusqu’aux plus petites régions de l’être. Partout où quelque chose existe et quelque que soit cette chose, Dieu ne cesse à chaque instant de lui communiquer l’existence et de l’y soutenir.


Quatrième voie : la preuve par les degrés de perfection.

LES FAITS : il existe des degrés de perfection dans les êtres.

On peut distinguer deux sortes de perfections. Les unes sont liées à l’étendue : qualités matérielles ou qualités sensibles : les intensités d’une même qualité ; ce corps est plus ou moins lumineux, la vie de mon chat est plus complexe que celle de mon rosier. Les autres, bien que données dans l’étendue ne lui sont pas liées. Ce sont les perfections transcendantales qui atteignent tout être, soit qu’on le considère en soi (unité), par rapport à l’intelligence (vérité), à l’appétit (la bonté) ou à l’intelligence et à l’appétit (la beauté). Ces perfections aussi ne sont pas données avec la même intensité dans tous les êtres : toutes les œuvres d’art n’ont pas la même beauté. De même, l’être en acte a plus de consistance ontologique que l’être en puissance, le bien moral est supérieur au bien utile ; l’unité d’un organisme vivant est supérieure à l’unité d’une machine. Or s’il y a des degrés dans les perfections, cela veut dire que ces perfections sont reçues dans l’être en étant limitées. En effet, si ce n’était pas le cas, on ne pourrait pas comparer deux êtres entre eux selon leur perfection, puisqu’ils ne pourraient pas se différencier l’un de l’autre : aucun des deux ne serait supérieur à l’autre.

PRINCIPE d’INTERPRETATION DES FAITS

Les êtres ne tirent donc pas leur perfection d’eux-mêmes mais d’un être qui les possède à l’infini.
Si les êtres avaient leur perfection d’eux-mêmes, ils l’auraient sans limite : rien ne peut limiter ce que l’on a par soi-même. Une perfection ne peut pas être le principe de sa propre limitation. De soi, par exemple, le Bien ne contient aucune limite, il n’implique aucune borne : le Bien en soi est indépassable, illimité. Or les êtres de notre expérience sont limités. La beauté par exemple est toujours limitée à tel degré ou tel ordre. Par conséquent, les êtres qui ont des perfections limitées, ne tiennent pas leur perfection d’eux-mêmes, mais d’un autre. C’est toujours le principe de causalité qui est à l’œuvre : ce qui n’existe pas par soi existe par un autre.

Un tel être existe donc

Nous pouvons donc affirmer l’existence d’un être qui possède en soi, c’est-à-dire au plus haut degré, les perfections transcendantes de l’être. Un tel être sera souverainement en soi Un, Bon, Vrai et Beau. Il réalise à l’infini toutes ces perfections que nous trouvons dans la nature et il en sera la cause exemplaire : les êtres de l’univers ne feront qu’y participer.    


Cinquième voie : la preuve par la finalité

LES FAITS : il y a de l’ordre dans le monde, et spécialement un ordre de finalité

On peut distinguer deux types d’ordre : dynamique et statique. L’ordre dynamique est un rapport qui a pour fonction d’unifier des termes distincts pour en faire un tout. Ainsi, le chef d’une armée unifie l’action de ses soldats pour donner à leurs actions, qui de soi seraient diverses et contradictoires, une unité et une cohésion qui permettra de remporter la victoire. Au sens statique l’ordre est une disposition d’éléments selon un aspect défini de sorte les uns soient relatés aux autres. Si je classe une liste de mots par ordre alphabétique, ces mots sont en lien les uns avec les autres selon la suite des lettres dans l’alphabet. De même, une série de nombre est dite ordonnée s’il existe un rapport de proportion (arithmétique ou géométrique) entre les membres consécutifs de la suite. Pour faire bref, on peut définir l’ordre comme une unité dans la diversité.
Or l’ordre du monde tant au point de vue dynamique que statique est un fait les plus éclatants qui doit pour peu qu’on se donne la peine de réfléchir.
Cet ordre éclate premièrement dans l’univers considéré dans sa stabilité. L’ensemble des êtres de l’univers est ainsi hiérarchisé suivant leur degré de perfection en genres et en espèces de plus en plus complexes du minéral jusqu’à l’homme. Cette hiérarchisation a permis aux scientifiques de dresser par induction des tables de classification. C’est ainsi que l’on trouve des sciences aussi diverses que la chimie, la géologie la botanique ou la biologie. Or au sien même de ces sciences on trouve des points communs car les perfections des formes les plus basses (molécules) se trouvent incluses dans les formes les plus hautes (la vie). Ces relations entre les différents êtres (dépendance, ressemblances) constituent bien une première forme d’ordre au sein de l’univers, car le divers possède bien une certaine unité.
Cet ordre éclate clairement aussi dans l’univers considéré dans son dynamisme. Cela est vrai tout d’abord, quand on considère l’univers matériel dans sa structure macroscopique (les étoiles, les galaxies, les trous noirs…) ou microscopique ( l’atome). Toute la physique moderne en effet, découvre que celui-ci est régi par des lois mathématiques et intelligibles.
Cela est encore plus vrai dans le vivant.
Le corps humain par exemple est une unité organique. Pourtant cette unité organique regroupe en fait une multitude de cellules, de nerfs, de muscles très divers pour former des tissus. Ces tissus eux-mêmes sont ordonnés à des fonctions précises : la vue, l’ouïe, la digestion, la respiration. Chacun de ses tissus jouit d’une autonomie propre et des propriétés typiques, mais tous ont en commun de produire l’unité spécifique de la vie humaine.
Cette unité de fonctions et de finalité se voit particulièrement dans la reproduction où deux gamètes s’unissent pour former un processus complexe qui est ordonné à la production d’un être vivant. Ceci n’est possible que grâce à l’ADN qui est un véritable code qui contient toute l’information nécessaire pour engager un processus parfaitement autonome et finalisé par l’être vivant à venir mais déjà contenu dans toutes ses caractéristiques. " Sitôt que les 23 chromosomes paternels sont réunis avec les 23 chromosomes maternels, toute l’information génétique, nécessaire pour exprimer toutes les qualités innées de l’individu nouveau, se trouve rassemblée. De même que l’introduction d’une mini cassette dans un magnétophone permet la restitution d’une symphonie, de même le nouvel être commence à s’exprimer sitôt qu’il est conçu ". De même l’œuf d’un saumon se développe d’un selon un plan spécifique : il ne donnera jamais un singe ou un éléphant.
La finalité éclate encore dans le développement des cellules et la synthèse des protéines. Il est remarquable qu’à ce sujet, la science n’ait pas trouvé mieux pour décrire le phénomène que d’utiliser des métaphores de la communication intelligente et rationnelle: elle parle de " messages ", d’" instructions programmées " ou d’" informations programmées " stockées dans " des bibliothèques ", qu’il faut " coder " puis " décoder " ; " transcrire " puis " traduire ".
Au niveau des animaux on constate une finalité similaire. Voici quelques exemples frappants de ce que les animaux réalisent sans avoir de connaissance intellectuelle de ce qu’ils font mais uniquement par instinct :
" Les cellules des abeilles pourraient être rondes, triangulaires ou carrées. Or on s’est aperçu que le forme hexagonale était celle qui perdait le moins de place, qui utilisait le moins de matériaux et convenait le mieux à la stabilité des cellules. Pour construire une seule cellule il faut au moins 120 abeilles. Parfois celles-ci font erreurs de construction ; mais celles-ci sont capables de s’en apercevoir et font les retouches nécessaires.
Le castor construit un barrage pour deux raisons : d’une part celui-ci lui sert de garde manger en conservant les branches –lestées avec des pierres- au fond de l’eau, à l’abri des épaisses couches de glace d’hiver. D’autre part, il lui sert à maintenir l’entrée de son abri au-dessous du niveau de l’eau, ce qui empêche aux prédateurs non aquatiques d’y pénétrer. La construction du barrage obéit aux lois de la physique hydraulique : les rondins de bois sont arrangés, enchevêtrés et assemblés de telle sorte qu’ils donnent de la cohésion à l’ensemble. L’abattage et la découpe se font en amont du barrage pour que la force du courant aide au transport.
Le phasme, par photomimétisme, c’est-à-dire en ressemblant parfaitement à un végétal, passe inaperçu dans les forêts tropicales. Il a même la faculté de changer l’intensité de sa couleur et donc de passer encore mieux inaperçu suivant l’éclairage.
L’indicateur, petit oiseau, et le ratel, sorte de blaireau, vivent dans le sud du Sahara. Lorsque l’indicateur a trouvé un nid d’abeille, il pousse un cri particulier pour faire venir le ratel. Celui-ci, de ses puissantes griffe, évente le nid d’abeilles pour manger le miel, ce qui permet à l’indicateur de manger de cire son aliment préféré.
Il existe une araignée en Australie qui au bout d’un fil de cinq centimètres attache une boulette de gomme très adhésive qu’elle a sécrétée secrètement. Cette boulette sert de leurre par son aspect et dégage une odeur de fleur qui attire les papillons la nuit. A l’approche de sa proie, l’araignée fait tourner la boulette comme une fronde et englue sa proie. "
 

PRINCIPE d’INTERPRETATION DES FAITS

L’ordre, c’est-à-dire la tendance à une fin, exige une cause d’ordre intellectuel. Il exclut donc le hasard.

Preuve inductive tirée d’exemples analogiques.

Qu’on permette de donner ici une longue citation de FENELON, qui a particulièrement bien illustré ce point dans ouvrage méconnu sur l’existence de Dieu :

" Mais enfin toute la nature montre l'art infini de son auteur. Quand je parle d'un art, je veux dire un assemblage de moyens choisis tout exprès pour parvenir à une fin précise : c' est un ordre, un arrangement, une industrie, un dessein suivi. Le hasard est tout au contraire une cause aveugle et nécessaire, qui ne prépare, qui n'arrange, qui ne choisit rien, et qui n'a ni volonté ni intelligence. Or je soutiens que l'univers porte le caractère d'une cause infiniment puissante et industrieuse. Je soutiens que le hasard, c'est-à-dire le concours aveugle et fortuit des causes nécessaires et privées de raison, ne peut avoir formé ce tout. C'est ici qu'il est bon de rappeler les célèbres comparaisons des anciens. Qui trouverait dans une île déserte et inconnue à tous les hommes une belle statue de marbre, dirait aussitôt : sans doute il y a eu ici autrefois des hommes : je reconnais la main d'un habile sculpteur : j'admire avec quelle délicatesse il a su proportionner tous les membres de ce corps, pour leur donner tant de beauté, de grâce, de majesté, de vie, de tendresse, de mouvement et d'action. Que répondrait cet homme si quelqu'un s'avisait de lui dire : non, un sculpteur ne fit jamais cette statue. Elle est faite, il est vrai, selon le goût le plus exquis, et dans les règles de la perfection ; mais c'est le hasard tout seul qui l'a faite. Parmi tant de morceaux de marbre, il y en a eu un qui s'est formé ainsi de lui-même ; les pluies et les vents l'ont détaché de la montagne ; un orage très violent l'a jeté tout droit sur ce piédestal, qui s’était préparé de lui-même dans cette place. C'est un Apollon parfait comme celui du Belvedère : c'est une Vénus qui égale celle de Médicis : c'est un Hercule qui ressemble à celui de Farnèse. Vous croiriez, il est vrai, que cette figure marche, qu'elle vit, qu'elle pense, et qu'elle va parler : mais elle ne doit rien à l'art ; et c' est un coup aveugle du hasard, qui l'a si bien finie et placée. Si on avait devant les yeux un beau tableau qui représentât, par exemple, le passage de la mer Rouge, avec Moïse, à la voix duquel les eaux se fendent, et s'élèvent comme deux murs, pour faire passer les israélites à pied sec au travers des abîmes ; on verrait d'un côté cette multitude innombrable de peuples pleins de confiance et de joie, levant les mains au ciel ; de l'autre côté on apercevrait Pharaon avec les égyptiens, pleins de trouble et d'effroi à la vue des vagues qui se rassembleraient pour les engloutir. En vérité, où serait l'homme qui osât dire qu'une servante barbouillant au hasard cette toile avec un balai, les couleurs se seraient rangées d'elles-mêmes pour former ce vif coloris, ces attitudes si variées, ces airs de tête si passionnés, cette belle ordonnance de figures en si grand nombre sans confusion, ces accommodements de draperies, ces distributions de lumière, ces dégradations de couleurs, cette exacte perspective, enfin tout ce que le plus beau génie d'un peintre peut rassembler ? Encore s'il n'était question que d'un peu d’écume à la bouche d'un cheval, j'avoue, suivant l'histoire qu'on en raconte, et que je suppose sans l'examiner, qu'un coup de pinceau jeté de dépit par le peintre pourrait une seule fois dans la suite des siècles la bien représenter. Mais au moins le peintre avait-il déjà choisi avec dessein les couleurs les plus propres à représenter cette écume pour les préparer au bout du pinceau. Ainsi ce n'est qu'un peu de hasard qui a achevé ce que l'art avait déjà commencé. De plus, cet ouvrage de l'art et du hasard tout ensemble n'était qu'un peu d'écume, objet confus, et propre à faire honneur à un coup de hasard ; objet informe, qui ne demande qu'un peu de couleur blanchâtre échappée au pinceau, sans aucune figure précise, ni aucune correction de dessin. Quelle comparaison de cette écume avec tout un dessin d'histoire suivie, où l'imagination la plus féconde, et le génie le plus hardi, étant soutenus par la science des règles, suffisent à peine pour exécuter ce qui compose un tableau excellent ? "

Difficulté : La valeur de l’analogie dépend de la valeur de l’induction qui porte par définition sur des phénomènes concrets, individuels et singuliers. Or les phénomènes sont, potentiellement du moins, en nombre infini. Qui sait si demain, un autre phénomène ne viendra pas contredire cette induction. Il est donc impossible, tant qu’on n'a pas vérifié tous les phénomènes, de tirer une loi universelle.

Réponse : Cette difficulté naît de l’empirisme dont nous avons déjà parlé. Pour faire bref, il est évident que si l’induction avait uniquement son fondement dans l’énumération des singuliers, la conclusion ne serait que probable. Cela arrive quelquefois. Ainsi, si une personne voit une dizaine d’individus appartenants à la même nationalité affectés de tel défaut, elle en conclut que tous les individus de cette nationalité ont ce défaut. Elle dira ainsi " Micha est polonais et boit beaucoup donc tous les polonais sont des alcooliques ". Pourtant, il arrive le fondement de l’induction n’est pas dans l’énumération des singuliers, mais dans la perception d’un lien essentiel entre deux phénomènes. L’esprit humain dégageant du sensible une propriété d’un être voit qu’il s’agit là d’un prédicat essentiel et peut ainsi affirmer, sans connaître tous les singuliers, que ce prédicat lui convient nécessairement. Or pour le principe qui nous occupe, nous voyons bien que l’intelligence n’est pas une cause accidentelle de l’ordre, mais nécessaire et que seule elle est capable de la causer. L’induction bien qu’incomplète est donc parfaite, et l’on peut passer des œuvres humaines aux organismes sans difficulté.

Preuve déductive tirée de l’analyse de la notion d’ordre et de fin
  • L’univers est composé d’une multitude d’êtres indépendants entre eux qui peuvent se combiner de façon infinie sans pour autant que ces combinaisons engendrent de soi une unité  ; or aucune cause irrationnelle ne peut réduire à l’unité des éléments qui de soi sont indifférents à toute unité (en effet, chaque cause particulière est déterminée à son effet propre et non à unifier la pluralité) ; il est donc nécessaire d’admettre une cause rationnelle à l’origine de cet ordre.
  • On l’a vu, l’ordre peut être défini comme un rapport entre la partie et le tout, l’adaptation des moyens à un but déterminé ou encore la domination de l’un sur le multiple. Affirmer que les multiplicités sont ordonnées suppose donc que la fin exerce une véritable causalité sur le multiple sans quoi cet ordre serait sans raison d’être. Il faut bien que l’efficience soit déterminée par la fin, sans quoi il n’y a pas d’efficience : si je ne me dirige ni en haut, ni en bas, ni à droite, ni à gauche, je ne vais nulle part. La préexistence de la fin est donc nécessaire à deux titres :
    • pour provoquer l’efficience
    • pour adapter les éléments du divers vers l’un à titre de moyens.

Or la fin dans son être naturel ne peut pas être cause : elle est l’effet et le résultat de l’action. La forme d’Apollon ou de Vénus n’est pas la cause, mais l’effet du sculpteur ; la vision est l’effet de l’œil et non la cause de celui-ci. Elle ne peut donc préexister qu’à titre intentionnel c’est-à-dire dans une intelligence qui, transcendant le temps dans sa successivité, est capable de la voir pré réalisée et, d’autre part, connaissant la convenance des moyens, est seule capable de les adapter à leur fin. C’est la leçon de saint Thomas : " L’ordonnancement de plusieurs choses ne peut se faire que par la connaissance du rapport et de la proportion que les choses ordonnées ont entre elles, et à quelque chose de plus haut qu’elles qui est leur fin ; car l’ordre de plusieurs choses entres elles est subordonné à leur ordonnancement à leur fin. Or connaître le rapport et les proportions de certaines choses, c’est le propre de celui qui a leur intellect (…) Tout ordonnancement doit donc se faire par la sagesse d’un être pensant " (SCG, II, 23)

  • Le hasard est par nature incapable de réaliser l’unité du divers. En effet, par nature le hasard est indéterminé et il est indifférent à réaliser tel ou tel effet. Il n’est rien d’autre que la rencontre accidentelle des deux séries de causes indépendantes. Mon chat renverse un verre en cristal et le fait tomber (1ere cause), sur un coussin oublié par terre (2eme cause indépendante de la 1ere). Le verre ne se brise pas (effet du hasard). Or une rencontre accidentelle par définition n’arrive que rarement et ne peut produire qu’un effet qui n’a pas raison de fin. Si donc le monde était régi par le hasard les notions d’ordre et de stabilité n’auraient aucun sens. Prétendre que le hasard est cause c’est assigner comme signe intelligible de l’ordre, le désordre lui-même et que l’accidentel se confond avec le nécessaire : " Comment peut-on croire que des processus aléatoires aient pu construire une réalité dont les plus petits éléments –une protéine ou un gène- sont d’une complexité bien au-delà de la portée de nos capacités créatrices ? Cette réalité est l’antithèse même du hasard, elle dépasse de loin tout ce que l’intelligence humaine a produit. A côte du niveau d’ingéniosité et de complexité moléculaire, nos objets même les plus avancés paraissent grossiers "
  • Expliquer enfin l’ordre par les lois de la nature ou la nécessité revient à faire une pétition de principe car, les lois sont l’ordre même et ne peuvent servir à l’expliquer. Par ailleurs, nous avons vu dans la troisième preuve que le monde est contingent, les lois qui régissent le monde sont donc elles-mêmes contingentes. En d’autres termes, si les lois sont nécessitantes, elles ne sont pas nécessitées. Qui donc a fait ces lois ?

Difficulté n° 1 : La science moderne a prouvé que les êtres vivants sont apparus par l’évolutionnisme.

Réponse : Acceptons le fait de l’évolutionnisme. Cela ne pose en soi aucune difficulté à notre preuve, car l’évolution est très nettement finalisée ; elle suppose que le vivant converge vers une finalité d’ensemble et se complexifie au fur et à mesure. Or si la science peut à la rigueur prouver le fait de l’évolutionnisme, elle reste bien incapable d’expliquer le pourquoi autrement qu’en parlant de hasard, ce qui, on l’a vu, ne tient pas la route Elle peut ainsi expliquer la succession des causes efficientes qui ont présidé à l’apparition de l’homme, mais cette succession est une description du phénomène et non son explication. C’est comme si, pour expliquer l’apparition d’une horloge, on se contentait de décrire les étapes et les lois mécaniques qui ont présidé à sa fabrication en oubliant de considérer l’horloger qui les a réalisées.

Difficulté n° 2 : La loi d’indétermination d’Heisemberg affirme qu’il n’y a pas de lois pour les particules prises en particulier, mais seulement pour un ensemble de particules ; ainsi dans un récipient le mouvement des particules est désordonné ; nous ne pouvons seulement prédire que la pression sur les parois du récipient sera constante en tous points. Or cette prédiction se fait, non en raison de lois dynamiques, mais en raison de lois statistiques. Il n’y a donc pas d’ordre dans le monde, parce qu’il n’y a pas de lois fixes, mais seulement le hasard.

Réponse : Il faut bien s’entendre sur les mots. La loi d’indétermination d’Heisemberg ne doit pas faire illusion ; ce n’est pas parce que les particules ont un mouvement indéterminable que leur mouvement est indéterminé ; il dépend juste d’un certain nombre de facteurs qui échappent pour le moment à l’investigation scientifique. Que le mouvement des particules soit déterminé c’est en effet une évidence. Tout mouvement consiste, on l’a dit, dans le passage de puissance à l’acte ; l’acte est le terme de l’action ; son point d’arrivée. Or affirmer qu’une action existe et n’a pas de terme, revient à dire qu’elle a sa nature déterminée (puisqu’elle existe) et qu’elle ne l’a (puisqu’elle n’a pas de terme). C’est nier le principe de contradiction. Or le terme d’une action, c’est sa fin. Par conséquent, le mouvement d’une particule est finalisé, même si, en ce qui nous concerne, nous sommes incapables de déterminer sa position, au vu du nombre très important de paramètres qui la conditionnent et qui peuvent se télescoper. Ce qui vient d’être dit est très important, car cela prouve que le hasard pur n’existe pas. En effet, le hasard, on l’a vu, n’est rien d’autre que la rencontre accidentelle de deux causes déterminées. Le hasard vient donc de notre ignorance des séries causales dans leur complétude. Mais pour une Intelligence qui tient sous son regard tous les événements en connaissant les séries causales dans tous leurs aspects, il n’y a pas de hasard. Nous verrons que c’est là l’attribut de la Providence pour laquelle tous les événements qui nous paraissent fortuits sont pré-connus car causés depuis toute éternité.

Difficulté n° 3 : Le hasard est bien capable de produire des systèmes très complexes mais en nombre très faible par rapport aux systèmes plus élémentaires. Jetons 10 dés simultanément , il est tout à fait possible que l’on obtienne dix " 1 " dès le premier jet. La probabilité est très faible mais pas nulle. Il est donc inutile d’invoquer une Intelligence divine, les lois des probabilités sont suffisantes.

Réponse : Si l’on veut se placer du côté des lois de la statistique, il faut également rappeler le théorème de Borel qui dit que, lorsque la probabilité d'un événement est située au-dessous d'un certain seuil, même si elle n'est pas nulle, on doit considérer, pour des raisons fondées sur la limite des suites, que cet événement est rigoureusement impossible. Il donne comme exemple le fait que l'humanité puisse disparaître suite à la naissance exclusive de garçons ou le départ de trains de la SNCF vides un jour de départ en vacances parce que tout le monde a décidé de partir le lendemain, phénomènes dont la probabilité est certes non nulle, mais dont tout le monde admet intuitivement qu'ils sont impossibles. Il ne faut pas oublier que la probabilité d'un événement se calcule dans des conditions d'espace temps limitées. Le polytechnicien Georges Salet s'est donné la peine de calculer dans son ouvrage Hasard et certitude, les probabilités au-dessous desquelles un événement chimique n'a pas pu se réaliser sur la terre. Il fait rentrer dans son calcul trois variables : la quantité de matière disponible sur la terre, la durée minimale de ces réactions et l'âge de la terre. Il estime ainsi qu'un événement dont la probabilité est inférieure à 10 puissance 100 n'a pas pu se produire. Certes, ce nombre n'est pas une évaluation rigoureuse, il ne représente qu'une limite certaine et signifie qu'un événement d'une probabilité inférieure ne pourrait se produire que si, par exemple, la quantité de matière mise en jeu était beaucoup plus importante. Il calcule ensuite pour qu'une mutation sélection fasse apparaître dans l'ADN un nouvel organe, ou qu'une séquence d'acides animés donne une cellule vivante très simple. L'auteur montre que ces probabilités sont très faibles et dépassent le seuil minimal. Il retrouve ainsi par-là, mais d'une manière différente, le principe métaphysique simple que nous énonçons dans notre thèse : le hasard pur est inapte à expliquer la notion d'ordre. Nous sommes donc confrontés à une contradiction espistémologique : comment se fait-il que l'évolutionnisme ait pu avoir lieu alors qu'il est en fait statistiquement impossible ? Le seul moyen de sortir de cette aporie est d'affirmer qu'il y a eu une intelligence rectrice.    

CONCLUSION : Il existe une intelligence ordonnatrice ; cette intelligence est un être infini.

L’argument que nous venons d’exposer conduit à l’existence d’une intelligence. Kant pourtant fait une difficulté. Bien qu’il traite cette preuve avec beaucoup de respect, il affirme que la preuve conduit à l’existence d’une intelligence, mais que rien ne nous garantit que cette intelligence soit infinie. Elle peut seulement être très puissante ; c’est une sorte de démiurge, de " grand architecte " de l’univers, mais en aucun cas, on peut formellement l’identifier avec Dieu, qui s’il existe, est une intelligence infinie. L’objection ne porte pas. Premièrement, cette intelligence à laquelle nous sommes parvenus, existe par soi-même, ou par un autre. Si elle existe par soi-même, elle reçoit de cet autre le pouvoir de produire l’ordre. Elle est donc elle-même ordonnée à produire l’ordre, et c’est donc de cet autre qu’elle dépend. Cet autre est également intelligence ordonnatrice, puisqu’il l’a lui-même ordonnée. Or on ne peut pas remonter à l’infini dans ce processus ; il faut donc un être qui existe par soi et qui est donc intelligence infinie. D’autre part, si cette intelligence n’est pas infinie, elle est limitée. Sa vie intellectuelle est donc un mélange de perfection et d’imperfection. Elle demande donc en vertu de la 4eme preuve, qui traite de principe de participation, une source explicative de cette perfection, c’est-à-dire une Intelligence réalisée à l’infini.    


Article 3 : Synthèse des preuves

Différences entre les cinq voies

Les cinq voies partent toutes de l’observation du monde qui nous entoure, mais elles sont fondées sur cinq aspects différents de cette réalité ; elles nous révèlent donc cinq aspects différents de l’Etre suprême auquel elles aboutissent. On peut les synthétiser dans le schéma suivant :  


Tout être qui tombe sous notre observation est  Il dépend donc 
1° changeant 1° d’un moteur immobile, Acte Pur
2° causé et causant 2° d’une cause incausée
3° contingent 3° d’un être nécessaire
4 ° composé de perfection et d’imperfection 4° d’un être parfait et simple
5° ordonné à quelque chose 5° d’une intelligence ordonnatrice

Ressemblances entre les cinq voies

Les cinq voies se ressemblent pourtant par :

  • Leur point de départ : l’existence du monde. On peut finalement les résumer à ceci " Dieu existe parce que le monde existe. "
  • Le moyen terme qu’elles utilisent qui est le principe de causalité ou du principe de raison suffisante : "  tout être qui n’a pas en soi sa raison d’être, l’a dans un autre. En d’autres termes, sous une forme plus populaire  : " l’être ne sort pas du néant ", ou " le plus ne sort pas du moins ".
  • Leur mouvement ascendant : elles nous obligent à nous élever à chaque fois vers le même terme en convergeant toutes vers l’Etre existant par soi, celui dont l’essence est identique à l’existence. Chacune se suffit à elle-même, il n’est pas nécessaire de les utiliser toutes, car quelque soit le point de vue adopté, l’esprit est tenu de choisir entre ces deux conclusions :

ou Dieu, ou l’absurdité radicale (Garrigou-Lagrange).

   

Leur hiérarchie

La preuve par le mouvement est la première. C’est tout naturel, car c’est l’aspect le plus flagrant de l’univers. S’il n’y avait pas de changement, nous ne percevrions ni la causalité, ni la contingence, ni la finalité des êtres. Le point de départ des preuves sont toujours des êtres changeants ; simplement, le changement est analysé en lui-même (1ere voie), comme causé ( 2eme voie), comme contingent (3eme), en fonction des degrés d’être parcourus par lui (4eme), et enfin dans sa destination et son ordination (5eme voie). L’être est toujours dans ces cas composé d’acte et de puissance et il réclame en dernière instance et quelque soit le point de vue adopté, l’Acte Pur.

La preuve par la finalité est naturellement la dernière parce que la finalité est le terme du changement ; elle englobe toutes les autres causalités. La finalité arrive enfin à l’attribut le plus précis de Dieu : l’intelligence pure ; elle permet de préciser et de dépasser tous les autres attributs déjà découverts.    


Annexe

Voici un texte de saint Augustin qui, sous une forme poétique, traduit bien la démarche réaliste qui a présidé aux preuves de l’existence de Dieu que nous venons d’exposer.

" J’ai interrogé la terre pour savoir si elle était mon Dieu, et elle m’a dit qu’elle ne l’était pas ; et toutes les créatures qui l’habitent m’ont fait la même réponse ; alors j’ai interrogé la mer et les abysses et les reptiles qui l’habitent ; et ils m’ont répondu : Nous ne sommes pas ton Dieu ; recherche au-dessus de nous. J’ai interrogé les airs mais le ciel et tous ses habitants m’ont répondu : Anaximène se trompe, nous ne sommes pas ton Dieu. J’ai interrogé le firmament, le soleil, la lune et les étoiles et ils m’ont dit : nous ne sommes pas non plus ton Dieu. Alors j’ai dit à tous les êtres qui m’environnent : vous m’avez dit que vous n’êtes pas mon Dieu, mais dites-moi quelque chose de lui. Alors tous se sont exclamés d’une voie forte : C’est lui qui nous a faits. J’ai interrogé enfin la masse de l’univers : dis-moi oui ou non si tu es mon Dieu  et il m’a répondu d’une voix puissante : Je ne le suis pas, mais je suis par lui, celui que tu cherches en moi, c’est lui qui m’a fait ; cherche au-dessus de moi celui qui me gouverne et qui t’a fait toi aussi. Pour interroger les créatures, il faut les observer attentivement, et leur réponse c’est l’attestation de l’existence de Dieu, parce que toutes crient : Dieu nous a faits, parce que, comme le dit l’Apôtre Ce qu’il y a d’invisible depuis la création du monde se laisse voir à l’intelligence à travers ses œuvres. ( Rom 1, 20) "

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