Apologie sur le Canon romain dit de saint Pie V

De Salve Regina

La réforme de 1969
Auteur : R.P. R.-TH. Calmel, O.P.
Source web : [Revue Itinéraires n° 157 Consulter]
Date de publication originale : Novembre 1971

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen

Apologie pour le Canon romain

Première section : Le silence intentionnel

Un certain nombre de prêtres n'ont pas fait difficulté d'adopter les nouvelles Preces Eucharisticae pour offrir le Saint Sacrifice. Plus souvent encore que la Prex III ou la Prex IV ils ont adopté la Prex II, ultra‑rapide et tellement a‑typique qu'elle est utilisée par les Protestants. Mais, du reste, qu'elles soient Quarta, Tertia vel Secunda, les nouvelles Preces sont toutes atteintes du même mal incurable ; altérées par les mêmes omissions ; affectées de la même tare, par‑là même frappées à mort.


Avant de le montrer, observons que trop souvent hélas ! les prêtres qui se sont ralliés n'ont pas pris le temps, la peine, le risque de réfléchir profondément à ce qu'ils faisaient. On peut penser qu'un examen attentif des omissions n'aurait pas permis à leur conscience de se tenir quitte à peu de frais avec l'aban­don du Canon romain, car ces omissions sont en elles‑mêmes très graves.


Comme d'autre part elles ne sont pas compensées par le fameux enrichissement biblique des nouvelles Preces on est en droit de penser que, par un silence intentionnel, les novateurs ont cherché à détruire la Messe.


1. Une première omission, une des plus apparentes, se rapporte au Qui Pridie, c'est‑à‑dire à la présentation immédiate des paroles consécratoires. Les novateurs ont supprimé toute allusion aux mains saintes et adorables du Christ, à ses Yeux levés au ciel, à la toute‑puissance de son Père. Ils ont fait ces trois suppressions juste au moment où la consécration va mettre en cause la Toute‑Puissance du Père et la sainte humanité du Fils. On est alors amené à s'interroger sur l'intention qui les a guidés. Pourquoi ce silence ? Pourquoi à ce moment‑là ? s'ils avaient voulu nous détourner d'attacher de l'importance à cela même qui constitue la Messe auraient‑ils procédé différemment ? Un tel silence, à un tel moment : il n'y avait peut‑être pas de moyen plus simple et plus habile d'entraîner les prêtres à perdre de vue l'essentiel de la Messe : la transsubstantiation sacrificielle, effet de la toute‑puissance divine. Mais si le prêtre perd de vue l'essentiel de la Messe il en viendra peu à peu, surtout en une période de subversion hérétique, à ne plus offrir validement la Sainte Messe. On croit entendre l'explication perfide de quelque démon du modernisme : « Vous pouvez estimer qu'il y a transsubstantiation et que par là‑même le Sacrifice est réellement offert. Nous ne vous demandons pas de penser ou de soutenir le contraire. La seule chose qui nous intéresse c'est que vous en finissiez avec ce rappel intempestif de la Toute‑Puissance de Dieu : ad te, Deum, Patrem suum omnipotentem alors que vous allez dire les paroles consécratoires. Laissez tomber ce qui est à notre avis un embellissement inutile, introduit en vertu de préjugés dogmatiques : et elevatis oculis in caelum ad Te, Deum, Patrem suum omnipotentem... Item tibi gratias agens.

« Pour vous, la Messe est le don suprême du cœur de Jésus Christ, le Fils de Dieu incarné rédempteur, qui est infiniment cher à son Père et que l'Eglise aime par‑dessus tout. Il vous arrive de prêcher sur les versets du chapitre treizième de saint Jean : Cum dilexisset suos qui erant in hoc mundo in finem dilexit eos[1]. Prêchez cela tant que vous voudrez. Loin de nous de vous demander une rétractation ouverte. Nous exigeons seulement que, juste avant de consacrer, vous cessiez de vous attendrir avec l'Eglise, ‑ serait‑ce par le seul mot dilectissimi, sur l'amour du Père pour son Fils Jésus‑Christ et sur l'amour de Jésus‑Christ pour l'Eglise lorsqu'il a opéré la première transsubstantiation. Donc plus de dilectissimi Filii tui avant de dire le ut nobis Corpus et Sanguis fiat... Et pas davantage de ces expressions qui feraient songer de trop près à la divinité de Jésus, inséparable de sa nature humaine. On ne doit plus évoquer en termes clairs la sanctification ineffable de la nature humaine par la divinité. Pourquoi donc parler avec tant de révérence des mains du Christ ? Tenez‑vous au texte de l'Ecriture sans expliciter d'aucune façon les vérités que l'Eglise y perçoit depuis toujours. Donc terminées les merveilleuses précisions : accepit panem in sanctas et venerabiles manus suas... Terminé le : accipiens et hunc praeclarum calicem in sanctas ac venerabiles manus suas... »


2. Cette première omission n'est qu'un modeste début. Elle se complète, si on peut dire, par une addition qui détourne de voir un mystère de foi dans la consécration elle‑même ; dans le sacrifice sacramentellement offert ici et maintenant. En in­troduisant les trois dialogues ad libitum, en demandant au prêtre de s'entretenir avec Passemblée aussitôt après la consé­cration, les novateurs semblent nous dire : « D'après vous, le prêtre est seul à consacrer ; l'assemblée ne partage pas ce pouvoir. D'après vous, le caractère baptismal qui rend le chrétien capable de participer au Saint‑Sacrifice et d'y communier, ne l'ordonne pas à consacrer le pain et le vin. Vous pouvez garder cette position. Simplement nous vous demandons d'entrer en conversation avec l'assemblée juste après la consécration. Vous penserez de cela ce que vous voudrez et l'assemblée fera comme vous. Notre idée à nous c'est qu'un bon dialogue placé au bon endroit conduira peu à peu les chrétiens, non moins que les prêtres, à revoir les théories anciennes du sacerdoce ministériel. Nous demandons en outre que, dans ce dialogue, rien ne soit affirmé de trop clair, mais aussi que rien ne soit explicitement nié, touchant la présence réelle substantielle, l'oblation objective du sacrifice passé, rendu présent sous forme sacramentelle. Il est important que vos acclamations ne soulignent point ceci ‑ la consécration elle‑même constitue un mysterium fidei. Dans notre dialogue nous entendons que le mysterium fidei soit référé uniquement soit à la Passion et à la Résurrection, soit au repas eucharistique. Pas de référence nette à la consécration, à son effet de présence substantielle et de sacrifice objectif. »


3. Pour peu que l’on porte attention à la manière inaccoutumée de parler à Dieu dans les nouvelles Preces on s'aperçoit que les novateurs, par l'exclusion des termes appropriés, cherchent à nous faire oublier les mystères révélés au sujet du Seigneur à qui nous offrons la Messe. C'est le Dieu très saint offensé par nos péchés, c'est le Dieu tout‑puissant qui, se servant de sa puissance en faveur de sa miséricorde, accomplit la transsubstantiation sacramentelle et met ainsi entre les mains de l'Eglise le sacrifice satisfactoire de son propre Fils incarné. Par les suppressions des formules touchant le mystère de Dieu à qui la Messe est offerte, les novateurs nous donnent à penser qu'ils ont raisonné à peu près comme ceci : « Que les prêtres continuent de prêcher comme ils l'entendent sur les attributs de Dieu. Mais quand ils offrent à Dieu le sacrifice public, le sacrifice destiné à l'Eglise entière, qu'ils se bornent à invoquer Dieu comme Domine ; à la rigueur clemens Pater dans les Preces III et IV qui ne sont pas d'un usage habituel. Donc, que l'on mette au rancart ces espèces d'invocations litaniques : Te igitur clementissime Pater... Ibique reddunt vota sua aeterno Deo vivo et vero... offerimus praeclarae Majestatis tuae. Omnipotens Deus... in conspectu divinae Majestatis tuae. Et puis qu'on nous laisse en paix avec le rappel du devoir de dévotion, de soumission, de dépendance, de réparation ; qu'on ne fasse plus ces allusions humiliantes à notre soi‑disant indignité ou bien à l'obligation où nous sommes de prier humblement pour être préservés de l'Enfer éternel et comptés au nombre des élus. Que tout cela ait un rapport intrinsèque avec la. Messe, nous ne disons pas le contraire. Mais nous ne voulons pas le savoir. Donc on ne continuera plus de dire : quorum tibi nota (est) devotio... oblationem servitutis nostrae... atque ad aeterna damnatione nos eripi... nos servi tui... de tuis donis ac datis... nobis quoque peccatoribus famulis tuis... intra quorum nos consorlium non aestimator meriti sed veniae quaesumus largitor admitte. »


C'est ici la troisième série d'omissions, celles qui portent sur le mystère de Dieu à qui nous offrons la Messe.


4. Les omissions de la quatrième série ont trait aux saints et aux bienheureux en l'honneur de qui nous célébrons la Messe. On ne nous interdit pas de célébrer en l'honneur de nos frères du ciel, ni même, au‑dessus de tous, en l'honneur de la bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu et la nôtre. On nous demande toutefois d'être tout à fait discrets. D'abord nous ne devons plus nommer aucun des saints ; pas un seul ; pas même saint Pierre et saint Paul. Ensuite nous devons ne plus parler de leurs mérites. Quant à la bienheureuse Marie, toujours Vierge et Mère de Dieu, on fera silence sur le privilège de sa virginité perpétuelle. On nous permet, bien sûr, de nommer la Vierge Marie, mais on biffe semper devant Virgo. On interdit la procession de nos intercesseurs : beati Joseph beatorum Apostolorum ac Martyrum tuorum Petri et Pauli et les autres... Cum tuis sanctis apostolis ac martyribus, cum Joanne, Stephano et caeteri. On ne fait plus mention de leurs mérites : quorum meritis...


5. La cinquième série d'omissions concerne les effets de la Messe pour l'Eglise catholique. On ne nous défend pas de croire que l'un des fruits principaux de la Messe est la sanctifica­tion et l'extension de la seule Eglise catholique, à l'exclusion des fausses religions et des sectes innombrables. On tient cepen­dant à ce que nous ne fassions plus état en termes explicites, alors que nous disons la Messe, de la croyance orthodoxe au sujet de l'Eglise. Les omissions sont calculées pour nous voiler et dissimuler une vérité primordiale sur les fruits du Saint Sacrifice. On semble ignorer désormais que si la Messe profite aux non‑baptisés eux‑mêmes c'est en leur obtenant des grâces pour se convertir à l'Eglise catholique comme telle. On a donc barré impitoyablement : pro Ecclesia tua sancta catholica quam... regere digneris toto orbe terrarum ; et encore : pro omnibus orthodoxis atque catholicae et apostolicae fidei cultoribus.

Quant à l'Eglise souffrante on ne fera plus d'allusion manifeste à ses souffrances. Que l'un des effets de la Messe soit de servir aux défunts ce n'est pas nié ; mais de quelle manière? On n'en dit rien. On ne demande plus que la Messe ait précisément cet effet d'arracher aux flammes mystérieures les défunts qui reposent dans le Christ et de les introduire in locum refrigerii.


6. Avec les omissions de la sixième série c'est la nature même de la Messe qui est en cause. Les novateurs se refusent à nous suggérer que la Messe est le sacrifice parfait qui accomplit les sacrifices figuratifs. Que l'Ancien Testament soit la figure du Nouveau, en particulier que les sacrifices des patriarches et des lévites aient été agréables à Dieu seulement en considération du Sacrifice de la Croix, et donc de la Messe qui contient d'une manière mystique mais réelle le Sacrifice de la Croix, ce sont là des vérités premières de la foi catholique, des vérités inséparables de l'institution par le Seigneur du Sacrifice sacramentel de la nouvelle et éternelle alliance. Le Canon par le fait de mentionner les sacrifices figuratifs laisse entendre suffisamment que le Sacrifice de la Messe n'est point figure mais réalité. On comprend que les novateurs n'aient pas supporté une suggestion aussi éclairante. C'est pour cela qu'ils ont enlevé des nouveaux formulaires tout ce qui aurait présenté quelque équivalence du grand texte qui rejoint et qui oppose les deux catégories de sacrifices : sicuti accepta habere dignatus es munera pueri tui justi Abel et sacrificium patriarchas nostri Abrahae et quod tibi obtulit summus sacerdos tuus Melchisedech... On a ôté également toute mention de l'autel. On ne veut plus nous faire souvenir, comme le suggérait le Supplices te rogamus, que la victime de l'autel d'ici‑bas est le même Seigneur, le même Souverain Prêtre qui intercède dans le ciel devant la divine Majesté. On ne dit plus rien qui ressemble à la prière : Jube haec perferri per manus sancti Angeli tui in sublime altare tuum, in conspectu divinae Majestatis tuae ut quotquot et hac altaris participatione...


Au total les novateurs exigent de tout prêtre qui célèbre selon les nouvelles Preces eucharisticae qu'il élimine les termes et les expressions qui mettent clairement en accord les prières de la Messe avec la vraie Messe et seulement avec celle‑là. On supprimé donc d'abord les termes et les expressions qui illuminent, mystérieusement sans doute, mais d'un rayon très pur, le mystère de la consécration au moment où il s'accomplit ; on supprime encore toutes les formules qui dans les prières oblatives, suppliantes et adorantes d'avant ou d'après la consécration, nous obligent à tenir pour ce qu'il est Dieu à qui nous offrons la Messe ; à nous tenir pour ce que nous sommes, nous qui offrons la Messe ; à tenir pour ce qu'ils sont les effets de la Messe qui est offerte.


Les novateurs attachent le plus grand prix à ce silence. C'est leur première préoccupation. Il suffira, pensent‑ils, que le silence s'étende à toutes les Messes de la chrétienté, qu’il s'étende assez vite, pour que les Messes ne tardent pas à se défaire, faute d'être soutenues par des prières en rapport avec ce qu'elles sont. Et comme les novateurs ne tiennent pas à exaspérer ceux qui leur cèdent sur des points importants, ils tolèrent encore bien des choses. Ils nous disent en somme : « Accordez‑nous les silences des nouvelles prières du Canon proprement dit puisque nous vous accordons les anciens textes de la Préface et de la doxologie du Per Ipsum. Nous ne touchons pas aux diverses Préfaces, au Sanctus, à la doxologie finale ; mais de votre côté accédez à notre requête de silence sur le elevatis oculis in caelum ad Te, Deum, Patrem suum omnipotentent ; le ab Aeterne damnatione ; le semper Virgo et tant d'autres passages que nous avons effacés. Bien sûr nous tolérons également les morceaux grégoriens de tout le Kyriale. Si vous prenez les nouvelles Preces, comme certaines abbayes n'ont pas hésité à le faire, nous aurions mauvaise grâce à vous tenir rigueur du Kyriale ancien et grégorien. »


Nous leur répondrons que les concessions qu'ils daignent nous faire ne nous donnent pas le change. Nous savons que les plus belles mélodies ne parviendront pas à rompre le silence sur les points essentiels où les novateurs ont essayé de l'imposer. Sans doute ont‑ils remis en honneur le Sanctus et la Doxologie. Ils interdisent au ‑prêtre de commencer le Canon avant que ne soit achevé le Sanctus ; ils prescrivent une grande élévation à la fin du Canon en chantant solennellement le Per Ipsum. Ce n'est pas nous qui trouverons à redire ; d'autant que cette amélioration des rubriques était demandée depuis des siècles (1). Il reste que l'action de grâce qui introduit et qui clôture le Canon sera privée de son sens le jour où la Messe, tout en conservant le récit de l’institution, aura fini par se dénaturer quant à son essence, sa raison d'être, ses effets. Or le silence des nouvelles Preces doit acheminer la Messe à se dénaturer quant à ses effets, son objet, sa raison d'être. tout en conservant le récit de l'institution. Ce novum silentium du novus Ordo est calculé pour ça.


Voyons maintenant comment les prétendus enrichissements des nouvelles prières ne sont là que pour servir d'alibi ; ils ne corrigent pas du tout les omissions quant au fond; ils représentent les tentatives les plus insidieuses du camouflage biblique.


Si quelque prêtre, hésitant et surpris, objectait aux auteurs du novus Ordo : « Voudriez‑vous par hasard nous interdire de nous avouer pécheurs et serviteurs lorsque nous offrons le Saint Sacrifice ? Seulement : Nobis omnibus filiis tuis : plus de Nobis quoque peccatoribus ? » On peut imaginer sans peine quelle serait la réponse des novateurs : « Ne vous fâchez donc pas. Lisez plutôt, dans la Prex IV, la suite du Nobis omnibus filiis tuis. Lisez ceci : in regno tuo ubi cum universa creatura, a corruptione peccati et mortis liberata, te glorificemnus... Vous y percevez à coup sûr une réminiscence du chapitre VIII des Romains : La création elle‑même sera délivrée de la servitude de la corruption (VIII, 21) ... Etes‑vous insensible à la plénitude de ces évocations ? » ‑ A cela le prêtre de répondre : " En réalité j'en constate surtout le vide, l'astuce à faire le vide. Car enfin les auteurs des nouvelles Preces ont fait endosser le péché à toute la création mais l'homme pécheur n'existe plus. Ils se refusent à dire que les pécheurs c'est nous : nobis peccatoribus. »


A qui lui reproche d'enlever de la Messe le souvenir des patriarches, la mémoire des saints qui offrirent des sacrifices préparatoires et symboliques, l'escamoteur moderniste répondra peut‑être : « Abel, Abraham, Melchisédech, il est vrai qu'on n'en parle plus. Mais en revanche que de textes scripturaires discrètement rappelés et savamment enchâssés dans le Confitemur tibi Pater sancte, de la Prex IV ; et des trouvailles du foedera pluries hominibus obtulisti eosque per prophetas erudisti... et ces élargissements par l'introduction du simple mot hominibus... Les alliances et les prophéties ne sont plus étroitement réservées aux Hébreux, elles sont étendues à tous les hommes, hominibus. Non plus seulement Moïse et les douze prophètes mais, sans doute, Bouddha et Lao‑Tseu et même pourquoi pas ? ceux que nous appelons grossièrement les sorciers du Néanderthal : foedera pluries hominibus obtulisti eosque per prophetas erudisti... Comptez‑vous cela pour rien ? » ‑ Oui, du point de vue du Sacrifice que nous offrons présentement, nous le comptons pour rien. On se moque de nous. Il ne s'agit pas à la Messe de ces foedera, de ces obscures alliances sur lesquelles on n'apporte pas un mot de précision ; il ne s'agit même pas, a proprement parler, de l'enseignement des prophètes (per prophetas erudisti) ; il s'agit du vrai Sacrifice, du sanctum sacrificium annoncé par les sacrifices symboliques d'Abel, d'Abraham, de Melchisédech. On nous détourne de ce qui est en cause avec les grandes tirades d'un biblisme fumeux.


Sous prétexte d'un enrichissement prétendu biblique on a appauvri les prières de la Messe de ce qui les faisait loyalement eucharistiques et catholiques. Pour autant on a détourné le sens de la Bible : car c'est de l'Eucharistie catholique que rend témoignage le texte sacré. Un double principe a présidé à la composition des nouveaux formulaires silence catholique effectif, enrichissement biblique apparent silence sur ce qui donne au Canon romain latin (antérieur au novus Ordo) une signification strictement catholique, en rapport immédiat et exclusif avec l'Eucharistie catholique. Dans ce nouveau formulaire, bourré d'omissions et plein de vides, l'Eglise ne retrouve ni sa foi ni sa piété.


Je n'ignore pas que certains prêtres, qui se sont laissé prendre aux arguments spécieux d'une théologie apparemment très scientifique, se détournent pour cela d'examiner de près les nouvelles Preces eucharisticae. Ils évitent ainsi d'ailleurs les inconvénients et les souffrances de plus d'une espèce que pourrait entraîner un refus motivé à la suite d'un examen approfondi. Leur position sociologique demeure confortable malgré les difficultés actuelles. On peut quand même se demander si, en une période où la Messe est insidieusement attaquée, leur confession de la foi dans la Messe demeure suffisante.


Donc ils ont écouté des théologiens leur dire ceci : étant donné la distance, en quelque sorte impossible à combler, qui s'étend entre d'une part les paroles de la consécration véritablement sacramentelle, reçues du Christ et prononcées en son nom, et d'autre part les Preces eucharisticae qui viennent de l'Eglise et sont dépourvues de valeur sacramentelle, étant donnée cette distance, puisque vous faites la consécration avec toute la foi et la piété dont vous êtes capable, les Preces n'ont pas une telle importance, si du moins elles ne sont pas formellement hérétiques ; et, de fait, elles ne le sont pas. Cette argumentation est inacceptable pour la raison majeure que jamais l'Eglise ne l'a acceptée. La Sainte Eglise, qui est plus savante que les plus savants de ses fils, n'a jamais dit ni pensé ceci : « J'ai tellement conscience de la dénivellation entre les paroles de la consécration qui ne peuvent changer, que le Christ prononce en quelque sorte lui‑même, et les prières du Canon qui ne sont pas d'institution divine, que j'ai tirées de mon cœur d'Epouse ‑ (et qui, à la différence de la consécration, n'exigent pas une expression unique puisqu'elles diffèrent en Orient et en Occident) -j'ai une conscience tellement vive de cette dénivellation que, après tout, les Preces eucharisticae ne m'importent pas tellement : pourvu qu'elles n'expriment pas une hérésie formelle, je ne vais pas m'inquiéter de savoir si elles sont en fuite vers l'hérésie. Quelles ne soient pas carrément hérétiques, c'est tout ce qui m'intéresse. »


Ce n'est pas une conclusion semblable que l'Eglise a tirée de la différence, certes très réelle entre le Canon et la formule consécratoire Et cependant, si quelqu'un a conscience de cette différence prodigieuse, si quelqu'un la perçoit par l'intuition mystique et non par la seule déduction savante, c'est bien la sainte Eglise, l'Epouse du Verbe Incarné. Or si l’Eglise n'a pas tiré la conclusion que nous avons exposée, qui de ses enfants, qui surtout de ses prêtres, se risquerait à conclure autrement que la Mater Ecclesia ? Sur les rapports entre les mystères révélés et l'expression en langage rationnel, l'Eglisea su de tous temps que : une chose est la différence de plans, une autre chose l'impossibilité d'harmonie. Dénivellation n'est pas si l'on peut dire extrincésisme. L'Eglise estime que l'har­monie est réalisable entre d'un côté les prières exprimées en termes de discours logique, qui préparent et accompagnent la consécration, d'un autre côté le mystère, supérieur à tous les dis­cours, rendu présent sous un signe, par la formule consécra­toire. Pour l'Eglise il n'y a pas incompatibilité ni opposition entre le mystère divin et l'expression humaine. Il doit y avoir, il y a de fait, harmonie, convenance, traduction fidèle. Le dé­ploiement traditionnel de toute la liturgie catholique n'est pas autre chose que l'harmonie réalisée entre le sacrement dont l'accomplissement relève de l'action du Christ, ‑ le prêtren'étant que l'instrument, ‑ et le rite officiel dont l'ordonnance relève de l'Eglise, de son initiative propre, encore que cette initiative soit assistée du Saint‑Esprit. Pour en revenir à la Messe, disons que la dénivellation des plans entre la consécra­tion et le Canon n'a rien à voir avec leur incompatibilité, au point crue le formulaire du Canon serait une chose à peu près indifférente. L'Eglise a toujours estimé que certains formu­laires étaient souverainement appropriés ; d'autres beaucoup moins ; d'autres encore, compatibles au premier abord, se découvraient, pour peu qu'on les examine, en tendance vers l'abolition du réalisme sacramentel et de la consécration. Il est des formulaires trop a‑typiques par rapport au mystère opéré à la consécration pour que ce mystère ne soit pas mis en danger, menacé de s'évanouir dans une commémoration qui sera justement sans mystère. Il y a des prières soi‑disant eucha­ristiques qui glissent vers l'abolition de l'Eucharistie. Si elles glissent dans cette direction c'est pour arriver au but. Ou plutôt c'est pour induire les prêtres et les fidèles à atteindre ce but, à se laisser entraîner sur la pente de la cène hérétique jusqu'à supprimer la validité de la Messe. ‑ Il n'est que d'analyser de près les nouvelles Preces (et lOrdo novus tout entier sans parler des Oraisons du nouveau sanctoral) pour vérifier qu'elles sont en fuite vers l'hérésie. Si les omissions qui les affectent ne sont pas intentionnelles, si toute la structure du novus Ordo n'est pas intentionnelle, c'est‑à‑dire si les multiples silences des nouvelles Preces n'ont pas l'intention de faire oublier le mystère de la Messe et par là de rendre la Messe nulle, simple­ment figurative et donc nulle, s'il n'en est pas ainsi, que les responsables nous le démontrent. Nul, depuis deux ou trois ans, n'a encore réussi à prouver au peuple chrétien, aux prêtres et aux fidèles, que l'intention indubitable du novus Ordo, avec ses silences eucharistiques et ses bavardages bibliques, était celle ci : nous donner un sens plus vif de l'objectivité sacramentel du Saint Sacrifice ; nous rendre plus humblement conscient de notre condition de serviteurs et de pécheurs, qui nous oblige à offrir le Saint Sacrifice ; approfondir notre sentiment de la sainteté et de la miséricorde de Dieu à qui nous offrons le Sacrifice ; nous faire prier pour l'Eglise catholique comme telle, puisque c'est d'abord à son intention qu'est célébré le Sacrifice ; enfin nous préparer à communier au Saint Sacrifice avec les plus profondes dispositions d'adoration et de foi. En effet celui qui est le pain vivant de notre divinisation est d'abord l'hostie sainte de notre rédemption. Nous ne demandons pas mieux que de comprendre enfin que l'intention des nouvelles Preces n'est pas de dissimuler mais de mettre en lumière ces aspects essentiels de la Messe et par là‑même de défendre plus sûrement la validité et la dignité de la Messe. Qu'attendez‑vous pour avancer des preuves ?


Les rites et formulaires de l'Offertoire et surtout du Canon et de la Communion sont autre chose que les cadres de la Messe. Cette expression du Cardinal Journet n'est pas heureuse. Le cadre en effet ne relève pas comme le tableau de l'ordre de la représentation ; c'est une bordure utilitaire qui assure la protection du tableau, mais qui ne touche en rien à la représentation. Le cadre fait ressortir plus ou moins le tableau, il ne peut le modifier ; il demeure rigoureusement extrinsèque. An contraire les prières et les rites symboliques de la Messe ont un rapport intime avec le signe, efficace en lui‑même et proprement divin, de la consécration. Les cérémonies liturgiques diffèrent essentiellement d'un simple cadre. Le signe sacramentel de la consécration peut fort bien être annulé par les rites et les prières qui l'entourent, lorsqu'ils suggèrent une interprétation non sacramentelle ; non sacramentellement sacrificielle. C'est même cela qui est arrivé en Angleterre, au XVIe siècle lorsque la consécration, matériellement inchangée, fuit insérée dans un Canon forgé par l'Anglicanisme. C'est ce qui arriverait peu à peu au XXe siècle si l'on persistait à insérer la consécration dans un Ordo et des Preces d'orientation moderniste. Si les cérémonies et prières de Cranmer n'avaient été ,qu'un cadre, la Messe serait demeurée valide. Si les cérémonies et prières forgées par les novateurs du XXe siècle n'étaient qu'un cadre la Messe ne serait pas menacée.


Il est facile comme fait le Cardinal Journet à la fin de son livre sur la Messe[2], de mettre en relief le caractère partiel des formes liturgiques. Certes toutes les cérémonies et toutes. les oraisons sont insuffisantes par rapport au mystère transcendant de la consécration. Cependant le réalisme théologique demande non seulement de voir cela, qui est trop clair, mais surtout de s'apercevoir que certaines formes liturgiques, toutes partielles qu'elles soient, gardent une absolue fidélité au mystère. Le Canon romain est dans ce cas. D'autres formes, en revanche, sont hypocritement infidèles. C'est le cas des nouvelles Preces eucharisticae. Le réalisme théologique ne demande pas seulement de saisir qu'il y a décalage entre le signe sacramentel et l'ordonnance rituelle. Il faut comprendre aussi qu'il peut y avoir opposition. Et l'opposition indirecte et dissimulée du novus Ordo est sans doute la plus grave. Parce que nous sommes des êtres humains les signes sacramentels, - et avant tout, le signe sacramentel par quoi se réalise la Messe c'est‑a‑dire la consécration, ‑ ces signes sacramentels ne se tiennent pas en l'air, comme ça, tout seuls, dans des espaces imaginaires, hors d'atteinte des cérémonies qui les entourent. Ils exigent des cérémonies et des prières liturgiques qui soient adaptées à leur mystère et le mettent dans tout son jour. Une théologie réaliste des sacrements est donc inséparable d'une réflexion attentive sur l'ordonnance rituelle[3]. Même sans aucune variation dans la matérialité du signe sacramentel celui‑ci, du fait de certaines dispositions de l'ordonnance rituelle, peut* être annulé et donc perdre sa valeur de sacrement. S'il est une forme d'hérésie qui consiste à rejeter tel ou tel sacrement en refusant d'en accomplir le rite, il est une autre forme d'hérésie, et combien plus dangereuse, qui consiste à pervertir de manière indirecte et oblique le sacrement ; on continue d'accomplir le rite sacramentel proprement dit, mais à l'intérieur d'une ordonnance rituelle qui l'annule ou tend à l'annuler. C'est tout le procédé du novus Ordo missae


Il est très vrai que les Anciens connaissaient une grande variété de rites. Qu'on lise des études historiques sur la Liturgie, par exemple les travaux de Salaville sur l'Epiclèse, ou bien Eucharistie du Père Bouyer ou quelques ouvrages semblables ‑ on sera étonné par l'abondance des formulaires et des cérémonies. Quelle Profusion en l'honneur du mystère ; quelle luxuriance ! Mais justement c'est en l'honneur du mystère de la Messe catholique, en l'honneur de ce mystère seul, qu'il y a profusion. Cette luxuriance est ordonnée ; elle est exclusivement relative au sacriflee non sanglant réalisé sur l'autel par la transsubstantiation. Que pouvez‑vous conclure de là en faveur du pluralisme des nouvelles prières eucharistiques ? Celles‑ci ne sont‑elles pas intentionnellement a‑typiques, vagues, peu définies ? Leur relation au mystère n'est‑elle pas imprécise ? Vous ne pouvez donc pas conclure du pluralisme des Anciens, mis en relief par les études historiques, au pluralisme du Novus Ordo. Le pluralisme des Anciens est commandé par un sentiment prodigieux de l'Absolu du mystère ; c'est un effort admirable pour s'y adapter, un effort qui se reconnaît insuffisant, mais qui respecte toujours le mystère de la Messe, qui en affirme en toute netteté la transcendance. Le pluralisme du Novus Ordo au contraire est commandé par une volonté de relativiser le mystère. C'est une tentative pour démanteler la Messe catholique de telle sorte qu'elle convienne également aux hérétiques. Ne cherchez pas d'autre explication à l'exclusion de fait prononcée contre le latin, à la haine féroce contre l'offertoire et surtout contre le Canon d'avant Paul VI. Mais on essaie de nous faire perdre la tête en venant nous raconter des choses très compliquées et fort obscures sur le pluralisme liturgique des Anciens. Se servir ainsi de l'histoire c'est jeter de la poudre aux yeux. Car l'histoire de l'Eglise ne montre pas du tout qu'on ait jamais reconnu des droits à cette sorte de pluralisme liturgique qui tend à supprimer la Messe. ‑ L'histoire nous enseigne que, pour l'autel du Dieu vivant on a multiplié les bouquets de fleurs vivantes ; un jour des roses ; des lys le lendemain ; ‑ ici des Oeillets et là des chrysanthèmes. Mais jamais encore on n'avait eu l'idée d'orner le saint autel avec des bouquets en matière plastique. Les novateurs historicistes se couvrent de ridicule quand ils veulent justifier, par la profusion antique des grands bouquets de fleurs naturelles, le déballage tout moderne des bouquets de pacotille et des fleurs artificielles diversement coloriées.


Serait‑il Possible de s'autoriser de l'obéissance pour éviter de tirer les conclusions pratiques où ne manque pas de nous conduire l'analyse des nouvelles Preces ? Je ne pense pas que l’obéissance soit ici en cause. L'obéissance en effet se mesure rigoureusement sur la nature de l'ordre et sa légitimité. Il est de fait que le précepte d'abandonner, même dans les Messes coram populo, l'Ordo de saint Pie V, ce précepte n existe pas canoni­quement. Ce précepte n'existe pas comme précepte. Il existe la caricature de l'interdiction c'est‑à‑dire une pression administrative et sociologique, accablante et perfide, substituée à une interdiction en forme canonique, sous peine de péché grave. Que l'on nous montre donc une interdiction rédigée en termes équivalents à ceux‑ci : le prêtre qui aurait l'audace d'offrir le Saint Sacrifice conformément à l'Ordo du Pape saint Pie V et en latin, aurait chargé sa conscience d'un péché mortel et encouru de ce fait la peine d'excommunication.

Si le Pape actuel n'édicte pas un précepte ayant forme et force canonique, il est quand même clair que ses préférences personnelles vont au novus Ordo. Est‑ce à un simple prêtre de s'opposer ? ‑ Tout prêtre doit distinguer soigneusement entre les préférences personnelles du Pape et les préceptes clairs et canoniques qu'il porte régulièrement, en se tenant dans la tradition de tous les Papes, en exprimant en outre sans équivoque possible sa volonté expresse de nous « lier » sous peine de péché mortel. Si les préférences personnelles du Pape favo­risent manifestement un péché, notre devoir est de résister à ces préférences. En cherchant par pression administrative et par intimidation à imposer ce novus Ordo qui glisse vers la destruction de la Messe, il est sûr que le Pape objectivement, favorise un péché, non pas n'importe quel péché ; mais, ce qui est très grave, un péché contre la foi et les sacrements de la foi. Nous n'avons pas à nous rendre complice.


Je sais très bien que de telles propositions ont de quoi faire peur. Que l'on comprenne cependant qu'elles sont écrites sans la moindre animosité. Tout au contraire incite les tenants de la Messe de toujours à redoubler leur supplication pour le Vicaire de Jésus‑Christ. Mais enfin la Prière ne nous met pas un bandeau sur les yeux, au contraire elle permet de mieux voir. Une fois au moins il est arrivé qu'un Pape ait favorisé le péché contre la foi. Comment oublier l'anathème porté par saint Léon II contre son prédécesseur Honorius : « Nous anathématisons les inventeurs de l’erreur nouvelle (le monothélisme) c est‑à‑dire Théodore de Pharan, Cyrus d'Alexandrie ... et aussi Honorius qui n'a point fait effort pour faire resplendir cette Eglise apostolique par l'enseignement de la Tradition apostolique , mais a permis, par une trahison exécrable, que cette Eglise sans tache fut souillée. »[4]. Du fait que saint Léon II, en 683, ait jeté l'anathème sur son malheureux prédécesseur on ne peut certainement rien conclure contre le dogme défini de l'infaillibilité pontificale, puisque Honorius n'avait point parlé ex cathedra, mais on doit retenir que l'autorité du Pape ne requiert jamais une obéissance aveugle ; parfois même elle ne mérite pas d'être suivie.


On nous demande : vous avez l'audace de comparer sur certains points Paul VI et Honorius 1er ? Sans hésiter nous disons : oui sur certains points. Et si l'on nous objecte que cette comparaison manque de fondement il faudra, pour nous convaincre, prendre la peine de justifier une foule d'actes considérables du présent pontificat ; il faudra prouver que le refus de sévir canoniquement contre les auteurs et propagateurs des hérésies les plus sinistres, qui est l'une des nouveautés du gouvernement actuel du successeur de Pierre, il faudra prouver, dis‑je, que cette abstention d'exercer le pouvoir de lier, bien loin de favoriser l'hérésie, rend au contraire le plus grand service à la foi catholique. Nulle sanction n'ayant été portée soit contre les auteurs du Catéchisme hollandais, soit contre leurs adaptateurs en langue française, soit contre les présidents des églises nationales qui ont foulé au pied Humanae Vitae soit contre les évêques qui autorisent les célébrations liturgiques les plus scandaleusement sacrilèges, nulle intervention autre que des discours platoniques n'ayant fait barrage aux propagateurs de l'apostasie, il faudra prouver que le Pontife du XXe siècle qui gouverne de cette façon n'offre pas le moindre trait de ressemblance avec son prédécesseur du VIIe siècle, avec cet Honorius Ier, contre qui saint Léon II s'est élevé solennellement : « Nous anathématisons les inventeurs de l'erreur nouvelle (le monothélisme) c' est‑à‑dire Théodore de Pharan, Cyrus d'Alexandrie... et aussi Honorius qui n'a point fait effort pour faire resplendir cette Eglise apostolique par l'enseignement de la Tradition apostolique, mais a permis, par une trahison exécrable, que cette Eglise sans tache fût souillée. »


Autant le modernisme l'emporte sur le monothélisme en perversion essentielle et en habileté tactique de pénétration, autant la négligence de la part du 263e Pape à exercer le pouvoir de lier l’emporte en gravité sur l'incurie de son prédécesseur du VIIe siècle. Nous n’avons pas à nous rendre complices de cette négligence ou de ce refus. Nous sommes dans une situation où l’obéissance deviendrait complicité et véritable péché. Nous avons à maintenir la Tradition et à prier.


Les novateurs en détournant le prêtre de dire le Canon romain ne demandent qu'une chose : le silence. Qu'on s'en tienne au nouvel Ordo car il organise le silence. Silence, dans les nouvelles prières de la Messe, sur tous les points où elles devraient étre explicites au sujet de la Messe.


Le diable moderniste s'est juré d'obtenir le silence. Il n'aboutira pas. Impossible de nous taire. C'est la foi qui nous oblige à. parler. C'est la foi dans la Messe qui nous oblige à dire sans le Canon romain latin. Non possumus non loqui. Credidi propter quod locutus sum.


Deuxième section : Maintenir le Canon romain

Même si certains prêtres acceptent de réciter n'importe quel « canon », sans se tracasser de rien, du moment que la consécration. est valide, il est évident que l'Eglise ne s'est jamais satisfaite à si bol, compte. Depuis toujours C'est tout un pour l'Eglise d'assurer la validité de la consécration et de l'entourer d'un certain formulaire qui est à la fois transparent au mystère divin et nous incite à la plus humble piété. Pour l'Eglise ‑vouloir faire la consécration valide c'este pratiquement et depuis toujours, vouloir faire la consécration à l'intérieur d'un formulaire d'oblation approprié. Pour l'Eglise d'Occident le Canon romain latin est ce formulaire. (Il est entendu une fois pour toutes que je parle de ce Canon dans son état originel, avant les changements que les auteurs du Novus Ordo ont eu l'impiété de lui faire subir.)


I

Le moderniste ne croit pas au réalisme sacrificiel de la Messe parce qu'il ne croit pas à la transsubstantiation. Le moderniste ne reconnaît pas en l'Eglise catholique la dépositaire unique et infaillible de la Révélation surnaturelle et du sacrement du Salut, parce qu'il admet l'équivalence entre toutes les confessions, et même entre formes culturelles et institutions religieuses. Si le Christ, pour le moderniste, est la figure la plus sublime de la montée humaine, il ne saurait être question toutefois de reconnaître en Jésus, né de la Vierge crucifié sous Ponce Pilate et ressuscité dans sa chair le troisième jour, le Fils de Dieu fait homme, Celui dont nous confessons avec Nicée, Constantinople, Ephèse et Chalcédoine qu'il est le Verbe consubstantiel au Père, personne unique et divine subsistant en deux natures, seul Rédempteur de nos péchés. Juge suprême des vivants et des morts.


Il reste que, sans avoir la foi, le moderniste se donne pour catholique. Son cas n'est pas simple. C'est un hérétique d'un genre très particulier : un hérétique doublé d'un traître. S'il demeure dans l'Eglise, s'il recherche même et s'il obtient les postes les plus élevés, c'est en vue d'opérer une transformation graduelle mais radicale. L'Eglise doit évoluer par ses soins jus­qu’à devenir une superreligion adaptée à toutes les autres reli­gions, assez a‑typique pour regrouper les humains sans exiger d’eux qu'ils reçoivent le même Credo ; assez utopique pour les lancer dans la construction d'un monde promothéen, totalement ranchi des servitudes du premier Adam.


Tel étant le caractère du moderniste on comprend qu'il n'ait aucune envie de supprimer ostensiblement la Sainte Messe. La manière directe d'un quelconque réformateur combatif et fana­tique mais loyal, répugne à son personnage,tout pétri de men­songe. Son jeu est autrement subtil. Il sait fort bien que pour faire évoluer l'Eglise il faut avant tout changer la Messe. Mais il faut aussi dans une entreprise d'une telle envergure éviter tant que possible de donner l'éveil. La difficulté serait résolue si l'on arrivait à forger une Messe qui, d'une part, serait encore acceptable par ceux qui n'ont pas varié dans la foi catholique et d'autre part ne répugnerait pas à ceux qui ont une foi beaucoup plus large ; c'est‑à‑dire à ceux qui n'ont pas de foi du tout. (En effet une foi qui se veut plus large que celle du Credo catholique est la négation de la foi.) De fait, la diffi­culté des modernistes à forger une Messe qui puisse demeurer une Messe, bien qu'elle soit équivoque et qu'elle tende à l’abolition de la Messe, bref la difficulté de mentir avec une habileté suprême a été finalement résolue. Il a suffi de recourir à trois expédients simultanés et qui se complètent l'un l'autre invention de nouvelles prières eucharistiques et « correction » du Canon romain ; ensuite introduction des langues nationales substitution de la pression sociologique et de l'intimidation à une promulgation régulière et canonique.


Si l'on veut bien saisir l'intention moderniste de ces Preces Eucharisticae mises en concurrence avec le Canon romain latin et très souvent substituées à ce Canon, il faut auparavant avoir considéré trois choses : la nature de la Messe ; les éléments qui en assurent en même temps que la validité une présentation digne et pieuse ; enfin les moyens mis en oeuvre pour tout détruire.


La Messe est le même sacrifice que celui de la Croix, mais offert d'une manière non sanglante par le ministère des prêtres ; c'est le sacrifice du Testament Nouveau et éternel offert actuellement, mais sous un signe ; c'est le mémorial efficace, le mémorial sacramentel et non simplement représentatif, du seul Sacrifice qui soit agréé par la Trinité Sainte. C'est le même Sacrifice que celui de la Croix, mais offert sous les espèces du pain et du vin ; c'est‑à‑dire offert de telle sorte que la victime de notre rédemption soit en même temps la nourriture de notre divinisation.


Pour assurer la validité de la Messe et pour la célébrer avec la dignité qui s'impose, l'Eglise depuis l'époque patristique a établi un formulaire et prescrit des attitudes. Le formulaire est composé d'un ensemble de prières oblatives, adorantes, suppliantes, ayant un rapport direct avec la consécration. Ces prières laissent voir avec une transparence sans ombre que le récit de l'institution, lu pendant la Messe, opère objectivement le Saint Sacrifice. Il est infiniment autre chose qu’une lecture simplement évocatrice de la dernière Cène, sans efficience véritable.


Non seulement les prières du Canon romain avant et après la Consécration, mais encore la formule qui encadre immédiatement les paroles sacramentelles, sont composées de telle sorte qu'elles manifestent en toute limpidité la réalité objective du Sacrifice, sa nature et ses effets. Elles sont dignes en toute chose du Seigneur qui nous a dit : Le Père cherche des adorateurs en esprit et en vérité. Il offre infailliblement le Saint Sacrifice en esprit et en vérité le prêtre qui se laisse guider et porter par le Canon romain.


Quels moyens sont mis en oeuvre pour ruiner le Canon romain, pour faire régner l'équivoque et l'indévotion dans une ordonnance rituelle qui n'était jusqu'ici que vérité et piété ? Ces moyens sont les déplacements, les ajouts et surtout le silence intentionnel. On commence par reporter après la consécration la plus grande partie des Preces Eucharisticae ; juste une brève invocation au Saint‑Esprit enclavée entre le Sanctus et le récit de l'institution ; on veut à toute force que le prêtre vienne butter contre la consécration sans lui laisser le temps convenable pour prendre conscience de ce qu'il va faire, sans lui permettre de se préparer au mystère infini qu’il va réaliser.


‑ Ensuite, juste après la consécration on tourne l'attention du prêtre vers l'assemblée pour engager un dialogue qui, sans être hérétique, ne fait aucune allusion précise au Saint‑Sacrifice, offert ici et maintenant. ‑ Enfin si l'on a retenu, vaille que vaille, certaines idées du Canon romain sur la nature de la Messe et sur ses effets, on les a systématiquement énervées et affaiblies par des omissions bien calculées : le Seigneur Dieu à qui le Sacrifice est offert n'est plus invoqué sous les titres de sa toute‑puissance ou de sa clémence‑infinie ; ‑ pas un mot de notre condition de serviteurs et de pécheurs, tenus à ces deux titres d'offrir le Saint Sacrifice ; ‑ rien sur l'Eglise en tant que catholiaue et apostolique. ‑ Pour tout achever on stérilise, non sans doute la formule sacramentelle de la consécration, mais du moins sa présentation immédiate, en la privant de toute référence au Père Tout‑Puissant. ‑ Par suite de ces altérations et manipulations les richesses inépuisables, mais bien définies, du rite consécratoire ne sont plus convenablement expli citées.

Les dispositions intérieures requises pour recevoir les fruits surnaturels du Saint Sacrifice ne sont plus favorisées comme il convient. Comment éviter que prêtres et fidèles, peu à peu, cessent de percevoir la signification de la Messe et que la Messe catholique glisse vers la cène protestante


A nos appréhensions l'avocat du diable répondra sans doute : vous n avez rien à craindre car nous avons gardé l'équivalent des formules du Canon romain. Hélas ! lui répondrons‑nous tout de suite, montrez‑nous donc les formules équivalentes au Qui Pridie qui, au moment le plus solennel de la Messe et pour préparer l'action consécratoire, dont tout dépend, nous réfèrent à la Toute‑Puissance de Dieu et à la sainte humanité du Christ. Inutile d'insister, vous savez fort bien que vous avez fait sauter le : accepit panem in sanctas ac venerabiles manus suas et ele­vatis oculis in coelum ad te, Deum, Patrem suum omnipoten­tem...


L'avocat du diable continuera peut‑être : Tenez compte malgré tout que, même si dans la Prex II nous n'avons pas jugé opportun d'introduire les ternies : sacrificium, oblatio, hostia, cependant nous les avons gardés dans les Preces III et IV. L'allusion au mystère de la Messe comme sacrifice réel n'est quand même pas supprimée ? A quoi nous répondrons , ce n'est Pas douteux ; cependant pour quel motif cette référence sacrificielle (sauf dans la Prex III) arrive‑t‑elle seulement après la consécration ? Pourquoi ce retard et ce déplacement ? La mention du sacrifice n'aurait‑elle donc pas une place normale avant la transsubstantiation consécratoire qui précisément accomplit le sacrifice ? Si vous aviez voulu amener le prêtre à perdre de vue la valeur sacrificielle de la consécration auriez‑vous procédé d'une autre manière ?


II

Mais avant de poursuivre la comparaison et pour disposer de toutes les données indispensables relisons de près le Canon romain.


Le Te igitur clementissime Pater, PREMIÈRE prière préparatoire à la Consécration, demande que soit agréé le Saint Sacrifice en spécifiant l'un de ses effets majeurs, obtenir tous les biens véritables pour la Sainte Eglise catholique et apostolique. Cette prière s'adresse au Père au titre de sa suprême clémence, car il n'y aurait aucun sens à offrir le Sacrifice si le Père ne nous avait donné le gage de son infinie clémence, de sa miséricorde sans limite par la croix rédemptrice de Notre‑Seigneur et par le sacrement de son corps et de son sang. (Cette mention de la miséricorde du Père est évidemment un aveu implicite et repentant de nos offenses et de nos péchés.) ‑ Voici les termes qui implorent l'acceptation du Sacrifice : Te igitur, clementissime Pater, per Jesum Christum, Filium tuum, Dominum nostrum, supplices rogamus, ac petimus, uti accepta habeas et benedicas, haec dona, haec munera, haec sancta sacrificia illibata. Voici les termes qui spécifient l'un des effets majeurs de la Messe : In primis, quae tibi offerimus pro Ecclesia tua sancta catholica : quam pacificare, custodire, adunare et regere digneris toto orbe terrarum : una cum famulo tuo Papa nostro N. et Antistite nostro N. et omnibus orthodoxis, atque catholicae et apostolicae fidei cultoribus.


Dans le Memento, SECONDE prière préparatoire à la consécration, l'Eglise recommande certains fidèles déterminés, ainsi que tous les assistants, mais en ayant soin de faire valoir leur foi orthodoxe, leur dévotion, leur qualité présente de partici­pants pieux à l'oblation du sacriflee de louange. En les recommandant, l'Eglise indique les effets que la Messe doit produire en eux : rédemption de l'âme, espérance de salut, protection et sauvegarde dans tous les domaines. Ce Memento s'adresse au Seigneur au titre où il est Dieu éternel, vivant, véritable. – Voici en quels termes les fidèles du Memento sont désignés et quali­fiés en vue d'être présentés au Seigneur : et omnium circumstantium quorum tibi fides cognita est et nota devotio, pro quibus tibi offerimus vel qui tibi offerunt hoc sacrificium laudis.


Le Communicantes, TROISIÈME prière. préparatoire, peut s'appeler une prière de communion des saints, L'Eglise militante, avant d'offrir le Sacrifice qui lui a été confié, tient à se mettre ,explicitement en liaison avec l'Eglise triomphante. Elle commence par vénérer la bienheureuse Marie toujours vierge. Il faut en effet la nommer en premier, et tout à fait à part des autreg saints puisque par son intercession elle préside au don de la grâce qui fait les saints. Afin que notre vénération ne soit pas un èclair fugitif, à peine perceptible, l'Eglise prend le temps énumérer un à un les douze apôtres ; viennent ensuite douze martyrs des premiers siècles. Mais en avant du cortège des g rands intercesseurs, en tête de la procession s'avance saint Joseph ; il vient immédiatement après la Vierge ; il est en effet son très chaste et très digne époux ; de plus son rôle s'est exercé dans la constitution même du mystère de l'Incarnation, alors que la mission des apôtres et des martyrs se rapporte seulement à la prédication et à la confession du mystère du Salut déjà réalisé.


La QUATRIEME prière préparatoire, Hanc igitur, se réfère de nouveau, explicitement, au Saint Sacrifice. Nous prions le Seigneur de l'agréer en précisant à quelle intention et en vue de quels effets ; la paix dans nos jours d'ici‑bas, la préservation de la demnation éternelle, « l'agrégation » au nombre des élus (In electorum grege). Dans ce Hanc igitur nous nous tenons devant Dieu comme des serviteurs et non seulement comme des fils ;. nous demandons à Dieu d'agréer notre oblation au titre de sa miséricorde ut placatus accipias ; bref nous prions comme des. pécheurs offrant à Dieu un sacrifice propitiatoire.


La CINQUIEME prière, le Quam oblationem, demande avec beaucoup de force et d'amour l'accomplissement de la transsubstantiation sacrificielle. Ici, la référence au Sacrifice réel et objectif est encore plus vive et plus nette que dans, le Te igitur, le Memento, le Hanc igitur oblationem. Le Quam oblationem redouble d'insistance et accumule les expressions complémentaires pour obtenir que l'oblation (ici présente) soit faite en toutes choses et sous tous les rapports une oblation bénie, admise, ratifiée, raisonnable (et spirituelle), acceptable. Nous disons « raisonnable » par opposition aux sacrifices d'animaux, sacrifices charnels et figuratifs de l'Ancien Testament. Nous demandons pour tout résumer en deux mots, que notre oblation devienne soit faite (fiat) le corps et le sang du Fils très aimé du Père céleste.


Comme si tant d'insistance ne suffisait pas à manifester le réalisme des paroles consécratoires, l'Eglise dans le Qui pridie nous donne une présentation de ces paroles qui fait encore valoir leur efficacité sacramentelle. L'Eglise en effet ne rapporte les paroles de l'institution qu'après les avoir serties dans un écrin lumineux. Elle ne répète Hoc est enim Corpus meum... Hic est enim calix Sanguinis mei qu'en faisant mémoire de la Toute‑Puissance du Père et de la sainte humanité de son Fils. L'Eglise rappelle en outre que c'est un grand mystère de foi, parce que le Sacrifice rédempteur du Fils de Dieu incarné est, ici et aujourd'hui, offert en toute vérité, quoique sous un signe.


Avec la consécration le Sacrifice est consommé. En vertu des paroles sacramentelles le Christ est substantiellement présent et offert ici et aujourd'hui , du pain et du vin ne restent que les apparences. Nous sommes appelés à nous unir à ce Christ, présent comme immolé, puisque l'hostie de notre rédemption est indivisiblement l'aliment de notre divinisation. Il s'offre comme victime sous un signe tel qu'il soit en même temps nourriture : prenez et mangez tous de ceci car ceci est mon corps... prenez et buvez‑en tous, car c’est le calice de mon sang...


Cependant il ne convient pas de communier aussitôt. Si, comme il se doit, nous voulons prendre conscience du mystère ineffable réalisé par la consécration, l'offrir dévotement, en recueillir les fruits, il est nécessaire de continuer de prier en des oraisons suffisamment longues et explicites. Démantelée de prières ayant cette double qualité, la consécration laisserait perdre son sens et la communion ne trouverait pas le sien. De là les cinq prières qui suivent la consécration avant la doxologie du Per Ipsum et avant le Pater noster qui nous introduira directement à la communion.


La PREMIÈRE prière d'après la consécration est purement oblative. Dans le Unde et Memores l'Eglise fait mémoire de la Passion, de la Résurrection et de l'Ascension en offrant l'hostie, toujours ici présente, de la Passion accomplie à Jérusalem une fois pour toutes. C'est bien dans le passé que le Seigneur s'immola d'une manière sanglante, mais dans le présent il continue d'être immolé, quoique d'une manière non sanglante. Il est ici, sur cet autel, en qualité d'hostie pure, sainte, immaculée ; la même hostie que celle du Golgotha. Une telle offrande est vraiment proportionnée à la Majesté divine. C'est sans doute pourquoi l'Eglise dit solennellement : Nos servi tui sed et plebs tua sancta offerimus praeclarae Majestati tuae. Pas un instant l'Eglise n'oublie qu'elle serait incapable de présenter cette oblation absolument digne de Dieu, si Dieu le premier, a partir de dons terrestres qui viennent de lui (de tuis donis ac datis) ne l'avait mise entre ses mains, par le miracle de la transsubstantiation : offerimus... de tuis donis ac datis hostiam puram.


Dans la SECONDE prière d'après la consécration, l'Eglise im­plore la faveur de Dieu sur le sacrifice de la loi de grâce, en évoquant la faveur jadis accordée aux sacrifices les plus célèbres et les plus saints de la loi de nature et de la loi écrite. Ce supra quae qui compare deux ordres de sacrifices présuppose l'effi­cacité de la consécration. Si la consécration était en effet un simple souvenir, sans vertu efficiente, sans réalisation objec­tive, que viendrait faire ici le rappel de ces sacrifices qui, bien certainement, n'étaient que symbole, allusion et figure. La consécration est d'un autre ordre : l'ordre sacramentel ; le sacrifice de la croix lui‑même est offert sur l'autel mais sous un signe. Sanctum sacrificium, immaculatam hostiam.


La TROISIÈME prière, le supplices expose une double requête : que notre sacrifice s'oit présenté à la Majesté divine par suite, que la communion qui nous y fera participer porte en nous tous ses fruits. L'Eglise supplie le Dieu Tout‑Puissant que son Ange, c'est‑à‑dire son Envoyé par excellence, Jésus Christ lui‑même, veuille présenter sur l'autel céleste le sacrifice sacramentel qu'il a réalisé, par le ministère du prêtre, sur cet autel terrestre. De la sorte, en participant à l'autel d'ici-bas, en recevant le Corps et le Sang très saints du Fils de Dieu, nous serons remplis de toute bénédiction et de toute grâce. Etant donné la gravité de ces demandes, il est naturel que lEglise s'adresse à Dieu au titre de sa Toute‑Puissance.


La QUATRIEME prière, le Memento des défunts, demande à fasse sentir son effet sur l'Eglise souffrante. Que nos frères tré Passés qui sont en proie aux flammes mystérieuses du Purga toire soient arrachés à l'obscurité et aux tourments qui le éprouvent dans ce lieu d'expiation et de purification. L'Eglise n'intercède pas indistinctement pour tous les défunts ; elle ne prie pas pour les damnés (pour ceux qui ab aeterna damnatione non fuerunt erepti)[5] mais pour les seuls fidèles décédés dans la paix du Christ : d'abord ceux qui ont reçu le caractère du baptême sacramentel (qui nos proecesserunt cum signo fidei) ; ensuite ceux qui, au moins par le baptême de désir, ont mérité de reposer dans le Christ (omnibus in Christo quiescentibus).


Avec la CINQUIÈME prière d'après la consécration, le Nobis quoque peccatoribus, nous passons du Memento des défunts à une sorte de Memento des vivants. Nous demandons en effet pour nous autres pécheurs d'avoir quelque part avec nos frères et sœurs du Paradis ; des frères et des sœurs ayant un nom et un visage : le précurseur Jean‑Baptiste, le premier martyr Etienne, les deux Apôtres désignés après l’Ascension : Matthias et Barnabé, enfin des martyrs et des vierges d'Alexandrie, de Carthage et de Rome : Félicité, Perpétue, Agathe, Lucie, Agnès, Cécile, Anastasie. Cette sorte de Memento dans une perspective de Paradis est le plus humble qu’on puisse imaginer. Plus nous avons conscience que l'objet de notre demande est sublime et gratuit (partem aliquam et societatem cum sanctis tuis apostolis et martyribus), plus aussi nous éprouvons notre indignité et notre incapacité (intra quorum nos consortium non aestimator meriti sed veniae, quaesumus, largitor admitte).


Le Nobis quoque peccatoribus ainsi que le Memento des défunts sont intimement liés au Sacrifice. Ils s'adressent à Dieu en effet, non pas seulement par le Christ, mais par le Christ qui a sanctifié nos dons ; en d'autres termes par le Christ qui vient d'offrir mystiquement son sacrifice en opérant la transsubstantiation sacramentelle des dons de son Eglise.


Après les cinq prières oblatives, adorantes et suppliantes qui préparent la consécration, après le Te igitur et le Memento, après le Communicantes, le Hanc oblationem et le Quam oblationem, lorsque le prêtre en vient à dire le récit de l'institution il est suffisamment éclairé sur sa réalité objective, sa consistance réelle, sa portée infinie. Il lui est moralement impossible de dire les paroles sacramentelles au titre de simple lecteur d'un récit et comme in personna ipsius legentis sacerdotis[6]. Il les dira in personna Ipsius Christi Filii Dei, étant porté par le mouvement si vigoureux et si pur, tout entier tendu vers la sacramentalité, du Te igitur et du Memento, de l'Hanc igitur et du Quam oblationem.


Lorsque s'élèvera, en conclusion du Canon, la grande doxologie du Per Ipsum c'est en toute certitude qu'elle montera vers Dieu le Père Tout‑Puissant, dans l'unité du Saint‑Esprit, par le Christ lui‑même avec lui et en lui.


La consécration en effet ayant été préparée et suivie par les prières que nous avons tenté de résumer ne peut avoir d'autre valeur que sacramentelle. Les formules qui entourent la consécration, soit avant, soit après, en manifestent le réalisme sacramentel avec tant de vigueur qu'il est moralement impossible de dire le récit de l'institution au titre d'une simple évocation symbolique, et donc inopérante et vide.


Prières suppliantes et oblatives, et qui traduisent toujours le sentiment de l'adoration chrétienne la plus profonde ; prières dont le lien avec la réalité, objective du sacrifice, sa nature et ses fruits demeure toujours harmonieux et fort ; prières qui manifestent avec douceur et clarté les effets de la Messe pour l'Eglise catholique militante, pour l'honneur des saints et la consolation des fidèles trépassés ; prières qui nous engeignent à supplier Dieu et à l'adorer en toute décence et humilité, non seulement comme des fils et des serviteurs, mais comme des pécheurs qui ont un besoin essentiel de recevoir, par la Messe, les bienfaits infinis de la Croix : tel nous apparaît le Canon romain. Il est sans doute impossible de mieux préparer et mieux entourer la consécration.


III

Alors que les prières du Canon romain sont parfaitement adaptées au mystère, les nouvelles prières eucharistiques sont savamment désadaptées. La simple classification des omissions sans aucune équivalence nous en donnera quelque idée.


S'agit‑il des termes ou des expressions qui marquent la valeur sacramentelle des paroles de la consécration, nous avons ceci : dans les trois nouvelles Preces eucharisticae le Qui pridie disparu ; dans les trois également : addition intempestive d'un dialogue postconsécratoire. Or c'est le moment pour le prêtre, d'offrir à Dieu l'hostie pure qui vient de s'immoler mystiquement à ses paroles, mais ce n'est pas encore le moment de s'occuper des fidèles ; encore moins de s'adresser à eux en gardant le silence sur les aspects premiers du mysterium fidei : immolation actuelle, présence réelle.


Relevons également dans les nouvelles Preces, sans exception aucune, la réduction systématique des cinq prières qui préparent la consécration à une seule prière, scandaleusement brève et rapide. C'est toujours une invocation adressée au Saint Esprit à toute vitesse et comme à la dérobée. La longue digression biblique de la Prex eucharistica quarta n'est là que pour donner le change : en réalité dans la Prex quarta la prière de préparation proprement dite est aussi vite expédiée que dans les autres. Dans la seule Prex tertia, l'invocation, toujours aussi abrégée, comporte cependant une formule très explicite : munera quie tibi sacranda deferimus.


S'agit‑il, dans les nouvelles Preces, d'affirmer en termes clairs l'accomplissement actuel du sacrifice nous avons ceci : dans la Prex II nous n'avons rien. Eviction pure et simple des mots oblatio, hostia, sacrificium. Dans la Prex III nous relevons cependant une fois sacrificium, une fois oblatio, deux fois hostia. Dans la Prex IV une fois sacrificium, une fois hostia. Altare est inconnu des trois Preces


S'agit‑il des termes et expressions qui suggèrent la Majesté de Dieu à qui nous offrons le Sacrifice, en aucune des trois Preces on ne rencontre : Omnipotens Deus, divina Maiestas, praeclara Majestas.


Pour ce qui est des termes et expressions qui évoquent l'offense faite à Dieu, la nécessité où nous sommes de recevoir le pardon, la miséricorde divine qui nous fait grâce en vertu du Sacrifice de Jésus‑Christ, jamais dans aucune des trois Preces, jamais une formule comme : clementissime Pater, ut indulgeas, non aestimator meriti sed veniae, largitor admitte. Simplement dans les Prex III et IV : clemens Pater prononcé comme à regret, comme s'il nous suffisait d'une clémence ordinaire et banale. Le mot benignus figure une fois dans les Preces III et IV.


La Prex III y ajoute, une seule fois, placatus (sous la forme placari), miseratus, propitius. On n'évite pas de se dire que les auteurs de ces prières ont un sentiment mesquin de la miséricorde de Dieu. Car Dieu, dans sa miséricorde infinie, ne s'est pas contenté de nous donner son propre Fils, il a voulu encore nous laisser, sous forme sacramentelle, le Sacrifice de ce Fils.


Les termes ou expressions rappelant notre condition de serviteurs, notre état de pécheurs qui ont besoin d'offrir le sacrifice, ces termes ont été supprimés dans toutes les Preces ; plus de servi tui, servitutis nostrae, peccatores, ab aeternae damnatione nos eripi.

Nous avons déjà remarqué que la bienheureuse Vierge Marie n'est jamais dite semper virgo ; que les mérites des saints sont ignorés ; enfin que pour exprimer les effets de la Messe par rapport à lEglise catholique on ne dit jamais justement que l'Eglise soit catholique et sainte et apostolique ; de même que la foi mentionnée dans les seules Preces III et IV (jamais dans la Prex II) cette foi n'est pas déclarée catholique et apostolique.


On nous vante parfois l'enrichissement biblique des nou­velles anaphores. Regardons‑y de près ; nous verrons si l’on ne­ se moque pas de nous, si l'enrichissement prétendu n'est pas, en vérité, un détournement habile. Lorsque par exemple, dans la Prex eucharistica tertia, on s'exprime en ces termes : universos filios tuos ubique dispersos tibi, clemens Pater, miseratus conjunge, il est quand même visible que l'on affaiblit, mais en s'abritant derrière une allusion implicite au IVe Evangile, on affaiblit la prière du Canon romain ‑ pro Ecclesia tua sancta catholica quam ... regere digneris toto orbe terrarum. En passant dans la Prex tertia, cette supplication paraît devenir plus scripturaire la réminiscence de saint Jean est bien visible : ut filios Dei qui erant dispersi congregaret in unum (Jo. XI, 52)[7] (1). Seulement la façon de présenter cette réminiscence l'expose aux interprétations les plus fâcheuses, les plus contraires au Sacrifice de la Croix et au Sacriflee de la Messe qui en est le mémorial efficace. On ne tombe pas nécessairement dans une inter­prétation rationaliste ou syncrétiste de l'Ecriture, mais plus rien n'empêche d'y tomber. Alors en effet que le prêtre qui offre la Messe selon le Canon romain demande, au Père de rassembler tous ses enfants, non pas de n'importe quelle façon mais dans l'Eglise sainte et catholique, au contraire le prêtre qui offre la Messe selon la Prex eucharistica tertia n'entre pas dans ces précisions nécessaires. La nouvelle Messe ignore de propos délibéré cet effet premier du Saint Sacrifice rassembler mais non pas n'importe où les brebis dispersées les réunir au sein de l'Eglise catholique seule, parce que, en vue du salut éternel, le Seigneur ne connaÎt pas d'autre rassemblement. La substitution de omnes filios tuos ubique dispersos à l'expression traditionnelle : pro Ecclesia tua sancta catholica quam regere digneris toto orbe terrarum loin d'être un enrichissement biblique représente plutôt une altération grave, camouflée de biblisme. Ce ne serait pas une bonne défense d'objecter : un peu avant le omnes filios tuos, la Prex tertia demande l'affermissement de la foi et de la charité. Quelle foi ? En insérant le terme foi on veut nous endormir puisqu'on refuse de dire, au contraire du Canon romain, si cette foi est oui ou non orthodoxe ; là où le Canon romain offrait la Messe pro omnibus orthodoxis atque catholicae et apostolicae fidei cultoribus la Prex tertia se refuse à rien savoir de la catholicité ni de l'apostolicité de notre foi. Quant aux Preces secunda et quarta elles sont sous ce rapport encore plus imprécises.


On nous objectera peut‑être : pourquoi donc s’attacher tellement aux termes catholique et apostolique quand on sait que tout homme de bonne volonté, entièrement fidèle à la lumière d'En‑Haut, a reçu le baptême de feu et donc fait partie de l'Eglise ? Mais s'il fait partie de l'Eglise c'est parce qu'il accepte, serait‑ce d'une manière très implicite, l'Eglise de Dieu telle qu'elle est ; or elle est à jamais catholique et apostolique. Si l'Eglise récusait ces deux notes qui sont consécutives à son mystère, les hommes qui l'ignorent invinciblement, mais qui sont justiflés par une foi implicite, ne pourraient jamais lui appartenir car elle n'existerait pas ; elle manquerait de ce qui la constitue dans son être. Sous prétexte que, dans certaines conditions, certains hommes n'ayant pas reçu le baptême d'eau et ne possédant pas explicitement la foi orthodoxe appartiennent cependant à l'Eglise, il est absurde de rejeter les notes de catholicité et d'orthodoxie, les définitions immuables et les rites déterminés ; car les hommes justifiés par le baptême de désir appartiennent seulement à cette Eglise‑là, qui est catholique et orthodoxe, avec ses définitions et ses rites.


Disons pour conclure le bref examen des nouvelles Preces que rien n'y est laissé au hasard. Tout est calculé. Tout s'infléchit dans une direction précise. On voulait aboutir à des formulaires a‑typiques destinés à favoriser la destruction de la Messe. Il fallait donc recourir à une phraséologie réticente, et même essentiellement fuyante, ayant multiplié les omissions qui touchent à l'essentiel ; une phraséologie qui sans rendre nécessairement, ni tout de suite, les Messes invalides, préparerait les prêtres à les rendre telles en les obligeant à se tenir, quand ils disent les prières de la Messe, aussi loin que possible du mystère qu'ils célèbrent. On a réussi ce tour de force sinistre. Ce beau résultat pourra‑t‑il durer ? C'est une autre question. D'avance nous pouvons répondre par la négative. Les prêtres comprendront de plus en plus où on veut les mener et ils redresseront enfin la tête. Le Seigneur ne les a pas faits prêtres pour que, se laiisant prendre dans l’engrenage de rites et de formulaires hypocrites, ils marchent la tête basse et se laissent finalement transformer en pasteurs, de sorte que la seule et vraie Messe, la Messe catholique, s'évanouisse dans la cène protestante. Le grand moyen de l'éviter, et le seul en définitive, est de nous tenir au Canon romain latin ‑ (et à l'Offertoire et en général au Missel) ‑ d'avant le novus Ordo.


Nous confesserons la foi de l'Eglise dans la Messe en conservant l'Ordo de saint Pie V.


IV

Imaginez en vous reportant autour des années 1950, quelque Père Abbé visiteur, au caractère despotique, écrivant aux Moines et Moniales de sa Congrégation : « Mes Révérends Pères, mes Révérendes Soeurs, à supposer qu'un jour nos Seigneurs les évêques, avec nombre de prêtres séculiers, décident de célébrer la Messe en langue vulgaire, je vous ordonne de garder le latin. En revanche notez bien ceci : je vous défends, pendant tout le Canon, maintenu obligatoirement en latin, d'invoquer jamais Dieu comme Père très clément, ou Tout‑Puissant, ou Eternel, ou Vivant et Vrai ; je vous défends en outre de parler de la Majesté divine à qui vous offrez l'hostie ; cette hostie elle‑même vous cesserez de la déclarer pure, sainte et immaculée.Vous cesserez enfin de vous reconnaître pécheurs et serviteurs. Vous continuerez d'offrir la Messe Pour l'Eglise, mais interdiction de la déclarer sainte et catholique, gardienne de la foi apostolique et orthodoxe. En priant pour les défunts pendant le Saint Sacrifice ne dites plus rien du fameux locum refrigerii. En faisant mémoire de la Vierge cessez de la proclamer toujours vierge ; beata virgo est largement suffisant. Le texte de la consécration devra s'en tenir à la lettre de l'Ecriture ; il sera dépouillé des vains ornements qui sentent leur précision dogmatique : ad Te, Patrem suum omnipotentem et tout ce qui précède sur les mains du Christ et sur son regard élevé vers le ciel. De plus le récit de l'institution sera étoffé d'un dialogue. Le prêtre n'aura pas plutôt fini la consécration qu'il sera tenu d'entonner un couplet acclamatoire avec le peuple de Dieu, ‑ cette assemblée de laïques dont jusqu'à nos jours on a trop méconnu le sacerdoce. Au sujet d'Abel, Abraham, Melchisédech, au sujet de l'Ange mystérieux ou de l'autel céleste, ou de l'Enfer éternel on est prié de n'en plus faire aucune mention. Quant aux signes de croix et aux agenouillements ils sont laissés ad libitum ; il n'est d'ailleurs pas interdit de les supprimer purement et simplement. Tout cela pour satisfaire aux impératifs nouveaux d'une Messe élargie, rendue oecuménique, mise à la disposition des pasteurs protestants, au lieu d'être orgueilleusement réservée aux seuls prêtres catholiques. »


On n'imagine pas de telles ordonnances il y a de cela trois ou quatre lustres. Le Père Abbé de notre fable, aussi dévoyé,


aussi tyrannique qu'on le suppose, aurait été incapable d'envisager pareilles destructions. A supposer cependant qu'il les eût conçues et même édictées, on se demande combien de moines et de moniales auraient baissé la tête et accepté de les appliquer au nom d'une obéissance soi‑disant religieuse.


Or voici que la Congrégation pour le culte divin a lancé des directives non moins insolites, non moins énormes que celles que j'ai signalées. Que feront alors la plupart des monastères ? De quelle manière vont‑ils célébrer justement le culte divin ? Est‑ce que par hasard des directives et notifications que l'on aurait tenues, il y a trois ou quatre lustres pour ce qu'elles sont en vérité, c'est‑à‑dire sacrilèges et modernistes, ont été rendues tout à coup saintes et bienfaisantes et méritent d'être obéies du fait d'avoir été, non pas même promulguées selon les règles canoniques, mais hypocritement imposées par un Hannibal Bunîgni, décoré du titre de secrétaire de la Congrégation pour le Culte divin, sans doute par antiphrase et pour se moquer du monde ?


Si nous passons des monastères aux Ordres apostoliques composés de clercs, chacun sait que l'arbitraire dans la célébration de la Messe, quand ce n'est pas la désinvolture, l'irrespect et le sacrilège même, sont en train de se généraliser.


Cependant la doctrine enseignée par les théologiens de ces Ordres apostoliques demeurait en général, jusqu'à ces derniers temps, solide et traditionnelle. Elle était incompatible, cette doctrine, avec les retouches, altérations, orientations des nouvelles Messes. On se demande alors : pourquoi ces théologiens ont‑ils laissé passer sans rien dire, sans faire la moindre remarque ? En tout cas, s'ils ont fait des remarques, ils ont donné si peu de voix que l'on n'a pas entendu. Entre beaucoup d’autres raisons on peut relever les deux suivantes : d'abord la connaissance du modernisme leur est étrangère l'analyse des moyens spécifiques de ce type d'hérésie ne les intéresse pas ; ils n'ont pas compris que les procédés sociologiques de pénétration, de domination, mis en oeuvre par le modernîsme étaient rigoureusement inséparables des erreurs doctrinales proprement dites. S'intéresser non seulement à des erreurs ouvertement professées mais à des manœuvres révolutionnaires leur paraît indigne de la théologie scientifique. Ils se figurent que la Messe n'est pas vraiment menacée puisque le formulaire des nouvelles Preces eucharisticae ne nie pas ou vertement, explicitement, le réalisme sacramentel de la consécration. Cependant il est une autre raison qui explique pourquoi des théologiens traditionnels ont pu disserter sur toutes choses sans jamais rencontrer sur le chemin une hérésie qui avance masquée : c'est le décalage qui existait entre d'une part un travail de conceptualisation savante, d'ailleurs juste, et d'autre part l'attention humble et vigoureuse à ce formulaire du Canon romain qu’ils ont dit chaque jour pendant des dizaines d'années. Quoique correcte, leur théologie de la Messe avait fort peu de choses à voir avec ce Canon qui porte et entoure la Messe depuis un millénaire et demi. Théologie d'un côté, prière de l'autre ; peu ou point de communication entre les deux. Les nouvelles Preces eucharisticae peuvent multiplier les omissions intentionnelles sur la transcendance de Dieu à qui la Messe est offerte, sur l'objectivité sacramentelle de la consécration, sur les effets de la Messe pour l'Eglise militante, de cela ils ne s'aperçoivent pas ; en tout cas trop faiblement pour le dire et s'indigner. Ils continuent à enseigner une doctrine correcte sur notre état de pécheurs qui nous oblige à offrir le sacrifice, sur la sacramentalité du sacrifice. sur la sainteté de Dieu offensé par nos péchés, sur la nécessité d'un sacrifice de propitiation et cela leur suffit ; ils ne vont pas encore se livrer à une étude comparative entre les Preces nouvelles et le Canon ancien. Pour ces théologiens, qui cependant sont prêtres, le formulaire selon lequel ils célèbrent la Messe n'a pas grande importance (à condition certes de n'être pas carrément hérétique) du« moment que dans leurs cours et dans leurs livres ils exposent sur la Messe les thèses traditionnelles. Comme s'il y avait en eux deux personnages, comme si le théologien, tout à coup, en rédigeant ou en professant ses leçons magistrales se trouvait frappé d'amnésie sur ce qu'il venait de dire et de faire comme prêtre, à l'autel du Seigneur.


Si, comme il arrive presque toujours, on enseigne la théologie étant prêtre, il importe d'avoir la conscience la plus vive de. ce qui est impliqué dans l'office sacerdotal et dans les actions qui en relèvent, la première de toutes étant d'offrir le Saint Sacrifice de la Messe.


V

Ce que j'attends des prêtres, dit l'Eglise, c'est qu'ils offrent le Saint Sacrifice le moins indignement qu'il se pourra. C'est avant tout pour cet office que je les ai ordonnés. La prédication de la saine doctrine, l'étude sacrée, les divers ministères en paroisse ou ailleurs, je ne les attends de leur zèle apostolique que reliés à leur fonction spéciflquement sacerdotale et dans son intime dépendance. Avant d'être préposés au corps mystique ils sont députés au corps eucharistique.


Qu'ils méditent les prières de l'offertoire et surtout les prières du Canon romain, latin, antérieur aux récentes manipulations. Que, ayant médité ces prières, ils les récitent dans la foi, en se souvenant que j'ai maintenu intact ce formulaire depuis au moins quatorze ou quinze siècles. Ils se déferont alors de la conception aberrante, si répandue dans le clergé, qui admet une relativité à peu près totale du formulaire, pourvu que soient prononcées les paroles de la consécration. Comme si j'avais bâclé les prières et les rites de la Messe, comme si je les avais composés pour autre chose que pour expliciter en toute franchise et toute piété le contenu et les effets des formules sacramentelles ; comme si ces formules elles‑mêmes, que j’ai reçues de mon Epoux et Seigneur, le Verbe de Dieu né de la Vierge, n'étaient pas exposées à devenir nulles, faute d'un contexte approprié. Et de fait elles sont devenues inopérantes et vides, tout en demeurant matériellement identiques, lorsque les Protestants les ont insérées dans un contexte qui en per­vertit la signification. Le récit de l'institution ne suffit pas à garantir la validité de la Messe si le contexte le fait glisser vers un changement de sens. Le récit de l'institution maintenu inva­riable mais prononcé par des pasteurs hérétiques, ne laisse pas d'être entièrement inefficace.


Que mes prêtres méditent le Canon et, guidés par moi, ils sauront le remettre en honneur, ils ne s'abandonneront plus au sommeil d'un rubricisme sans âme. Ils comprendront que si c'est un progrès d'avoir solennisé le Per Ipsum, un changement louable de faire reposer l'hostie sur la patène et non plus sur le seul corporal, une disposition utile de réciter le Canon à voix basse et non plus d'une voix rigoureusement imperceptible, 'en revanche, c'est une hypocrisie horrible d'avoir lié ces réformes, qui sont heureuses, à un bouleversement du formulaire qui est, ni plus ni moins, une tentative dissimulée de corruption intégrale. S'il est bon de ne pas rejeter ces réformes, il est indispensable, serait‑ce contre le gré des autorités, de les soustraire à un danger imminent de corruption.


Que mes enfants admettent l'existence et l'activité du démon de l'hérésie. Si les démons des passions charnelles, la peur, la luxure, l'avarice sont les plus visibles et les plus remuants, les démons de la perversion hérétique ne sont ni plus faibles, ni moins actifs. Non est nobis collactatio adversus carnem et sanguinem, sed adversus principes et potestates...[8]. Que mes enfants mettant à profit, dans la lumière de l'Esprit‑Saint, les leçons qui se dégagent de ma longue histoire, osent réfléchir sur l'une des causes les plus certaines du succès des hérétiques. Ceux‑ci ne seraient pas allés bien loin, ils auraient vite tourné court, s'ils n'avaient rencontré la complicité des évêques ; parfois même, on ne peut le nier, une certaine connivence, indécise mais vertigineuse, de celui‑là qui est le père commun des pasteurs et des fidèles, le Vicaire en ce monde de mon Chef invisible qui règne dans les cieux et ne cesse de me défendre.


Que l'obéissance de mes enfants soit toujours dans la lumière et les Yeux grands ouverts ; filiale et nourrie d'oraison, mais ne se rabaissant jamais à devenir inconditionnelle et servile ; ca tout détenteur de l'autorité peut Décher ; si le Pape, dans certaines conditions ne peut pas se tromper, il est également des circonstances où il peut se servir de son Pouvoir ou négliger de s'en servir de telle sorte qu'il s'oppose à la loi de Dieu ; dans ce cas, il ne faut pas le suivre ; mieux vaut obéir à Dieu qu'aux hommes.


Je demande à mes enfants d'être les témoins de la foi que je leur ai transmise et des sept sacrements que je garde au moyen de rites appropriés ; en particulier, être les témoins de la Messe de toujours, celle qui tient depuis des siècles et des siècles, grâce à l'offertoire et au Canon romain. Ne point pactiser ; être témoins de la foi et de la Messe ; ne pas s'arrêter de prier ; surtout invoquer Notre‑Dame, parce qu'elle est médiatrice de toute grâce et qu'elle extermine les hérésies : Cunctas hereses soja interimisti, dum Gabrielis Archangeli dictis credidisti[9]. Elle défendra victorieusement, contre les inventeurs d'une Messe oecuménique, que chacun tournerait à sa façon et interpréterait comme bon lui semble, la Messe catholique, la Messe loyale et impossible à tourner, inexpugnable et indestructible, la Messe romaine d'avant le présent pontificat, la Messe romaine avec le Canon romain.


R‑. Th. Calmel, o. P.




  1. Ayant aimé les siens qui étaient en ce monde, il les aima jusqu'à la fin (Jo. XIII, 1).
  2. Paru chez Desclée de Brouwer !à Paris ; voir page 315 et suiv. Livre de théologie classique, utilisable dans l'ensemble par un lecteur cultivé.
  3. On peut se reporter à notre Brève Apologie pour l'Eglise de toujours.
  4. Texte et traduction dans Dictionnaire de Théologie Catholique au mot Honorius ler, col. 120.
  5. Ceux qui n'ont pas été arrachés à la damnation éternelle. (Voir le Hanc igitur oblationem.)
  6. Comme si était en cause seulement sa personne privée de prêtre qui fait une lecture.
  7. Pour rassembler dans l'unité les enfants de Dieu qui étaient dispersés.
  8. Nous n'avons pas à lutter seulement contre la chair et le sang, mais contre les principautés et les puissances... (Il s'agit des puissances démoniaques) (Eph. 6, 12).
  9. A vous seule, vous exterminez toutes les hérésies du fait que vous avez cru aux paroles de l'Archange Gabriel. (Office de l'Annonciation dans le Bréviaire antérieur aux récentes manipulations.)
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