Canon romain et liturgie nouvelle

De Salve Regina

La réforme de 1969
Auteur : Dom E. Guillou
Date de publication originale : Inconnu

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen

LE CANON ROMAIN ET LA LITURGIE NOUVELLE

LIMINAIRE

Permutatio sed non profectus

 

St Vincent de Lérins.

La question a été posée. Elle le reste. Comment se fait-il qu’un protestant réputé proche de nous, qui a contribué à la confection de la nouvelle messe et sait par conséquent à quoi s’en tenir  ait pu, dès sa promulgation déclarer que celle-là enfin était théologiquement admissible par ses frères ? Quelles sont donc les différences théologiques - et autres - d’avec celle jusque-là célébrée et dont le canon romain est le noyau inchangé ? Par la défense et illustration de cette prière essentielle le présent ouvrage s’efforcera de le montrer en faisant comprendre en même temps pourquoi sa concession a été purement tactique puisque jusqu’aux messes du pape chose incroyable, ce joyau est négligé qui a été utilisé, privilégié, imposé depuis un millénaire et demi. Il faut pour cela une cause correspondante. Ça été l’introduction dans l’Eglise d’un esprit nouveau qui n’a pu aller sans un flottement de doctrine. Il a fallu non plus développement homogène mais évolution, tradition, même dite « vivante » mais rupture: NON PROFECTUS SED PERMUTATIO, non progrès mais changement. Comment en est-on venu là ? Comment la cathédrale de Chartres a-t-elle pu être fermée devant trente mille jeunes venus assister à la messe traditionnelle après avoir parcouru plus de vingt lieues en priant ? C’est une histoire qui confond l’esprit. Pourquoi la mauvaise volonté des évêques et de l’organisme liturgique romain à accorder licence de cette messe ? Un Concile fait de plus de deux mille têtes s’est proposé de soulever une nouvelle Pentecôte, la première ne suffisant pas. Du jamais vu ! NOVA SINT OMNIA ! L’archéologue, l’érudit, l’exégète, l’aggiornamentiste le traducteur, le pastoral, le « frère séparé », l’expert en toutes choses, l’ouvert à son temps, le cordonnier, qui sais-je encore ? Tout le monde s’en mêla : et les ruisseaux de ce déluge dévalant à la fois de tant de cimes prétentieuses firent un beau torrent qui tout emporta. Il y eut des pleurs, chez tel ou tel, car : « est bien fou du cerveau Qui prétend contenter tout le monde et son père. » Mais les dégâts sont grands, nombreux, impardonnables : quelle négligence du sacré ! Quel danger pour l’unité catholique ! Au moins « l’Eglise constitutionnelle » ne se détacha-t-elle pas de la langue sacrée. Elle comprit l’excellent plaidoyer de l’évêque-citoyen de Dax, Saurine, en faveur du latin. Cela ne fut pas pour rien dans le rattrapage de ce schisme. Inversement, les saints Cyrille et Méthode en forçant la main du Pape ne se sont pas rendu compte qu’ils renonçaient à un mur de protection contre l’orthodoxie, séparée de Rome. Il ne sera bientôt plus possible de prier et de chanter d’une même voix, UNA VOCE, de nation à nation, voire de paroisse à paroisse, ou de s’y retrouver d’une année à l’autre. Le tardif et trop maigre JUBILATE DEO, destiné à y parer, est resté lettre morte. On ne pourra bientôt plus proclamer ensemble le CREDO ; quant à le vivre et l’admettre tous en tout point ... Dieu nous épargne l’ultime catastrophe ! Car la liturgie est pour la foi d’une souveraine importance et c’est une vérité d’expérience, confirmée par tous les observateurs fort bien résumée par Cyrille Vogel, professeur à la Faculté de Théologie de l’Université de Strasbourg : « la communauté se définit mieux par le culte qu’elle pratique que par la croyance qu’elle professe. » S’il y a entre le culte et la croyance quelque différences même par omission, le résultats sont incalculables et d’une extrême gravité. Toutes les hérésies, pour durer et s’imposer, se sont fait une liturgie appropriée. Quand Pie XI a voulu combattre efficacement « le laïcisme, peste de notre temps », il a estimé ne pouvoir mieux faire qu’instituer une fête du Christ-Roi. Il y a deux cents ans, quand la Révolution a voulu tout renverser, elle s’est attaquée à tous les symboles du passé, grattant les fleurs de lys, décapitant jusqu’aux statues et elle a imaginé un nouveau calendrier. Si le peuple français n’avait eu un attachement invétéré aux fêtes et aux cérémonies chrétiennes, ç’en était fait de dix-huit siècles d’histoire. Elle va loin cette parole du grand évêque de Poitiers, le cardinal Pie : « la question sociale ne sera dénouée que par la question religieuse et la question religieuse tient surtout à une question de culte. » Aujourd’hui faute de pouvoir les supprimer, c’est par une paganisation du dimanche et de nos fêtes chrétiennes qu’on éloigne les hommes de la foi. Tout le monde se souvient du discours de Symmaque dans l’affaire de « l’Autel de la Victoire. » Le vieil orateur païen tenait aux usages qui perpétuaient la religion romaine. Saint Ambroise lui répondait : « Le monde, après avoir longtemps erré, a changé de route pour arriver à la maturité et à la perfection ; que ce qui l’en blâment accusent la moisson parce qu’elle ne mûrit pas les premiers jours, qu’ils reprochent à la vendange d’attendre l’automne, qu’ils se plaignent de l’olive parce qu’elle est le dernier fruit de l’année. N’est-il pas vrai qu’avec le temps tout se perfectionne ? Ce n’est pas à son lever que le soleil est le plus brillant ; c’est à mesure qu’il avance qu’il éclate de lumière. » Cet argument par le progrès vaut encore pour la liturgie qui bénéficie des acquis et embellissements du goût et de la piété, du développement doctrinal, autant dire de l’action séculaire du Saint-Esprit promise à la Sainte Eglise. L’argument de progrès est diaboliquement employé, aujourd’hui, pour la régression vers la Religion d’Assise. Or telle était celle que prônait le Romain attardé. « Reconnaissons, disait-il, que cet Etre auquel s’adressent les prières de tous les hommes est le même pour tous. Nous contemplons tous les mêmes astres ; le même ciel nous est commun ; nous sommes contenus dans le même univers. Qu’importe la manière dont chacun cherche la vérité ? Un seul chemin ne peut suffire pour arriver à ce grand mystère : UNO ITINERE NON POTEST PERVENIRE AD TAM GRANDE SECRETUM ! »Quelques-uns des sénateurs, collègues chrétiens de Symmaque, ont été ébranlés par ce langage, le libéralisme moderne en a multiplié la race. Pie XII, canonisant Pie X, a parlé de la myopie des modernistes. Les progressistes d’aujourd’hui n’ont même d’yeux qu’en arrière de la tête.

 

I - COMME PRÉVISIBLE ET PREVU...

 

« Nous sommes en droit d’exiger des nouvelles liturgies une doctrine plus pure, une autorité plus grande, un caractère plus élevé. »
(Dom Guéranger)

 

Des sages au premier rang desquels il convient de citer Mgr Lefebvre, demandèrent que Vatican II  procédât par définitions ou affirmations claires et précises comme les Conciles précédents. C’était pensera « l’ancienne », dans un temps où la pratique urnale de la décadence démocratique a fini par égaliser toutes les opinions et émousser la vérité. Le vrai, maintenant, c’est la sincérité laquelle n’a pas tardé à engendrer l’hypocrisie. Aux normes établies se sont opposés anticipations ou dépassements incessants. Dans une telle mentalité, étant donné les préoccupations prioritaires d’adaptation et d’œcuménisme, l’heure n’était vraiment pas choisie pour une bonne restauration de la liturgie, c’est-à-dire dans le respect de la tradition dont elle est l’expression même et pour « un plus grand éclat de vérité » qui seul la justifierait selon la pensée de Dom Guéranger. Il s’est trouvé quelqu’un pour le dire avant le désastre, non sans avoir contribué à ce malheur par une critique abusive du canon romain. Cette dernière audace lui valut d’être traduit par ses amis français et édité par le C.N.P.L. ou Centre National de Pastorale Liturgique (Centre National de Pagaille Liturgique, d’après le « Lexique » du P. Lelong). Dom Vagaggini, c’est ainsi qu’il se nomme, est en effet un homme de sérail, connaissant par suite les faiblesses et les tocades de son monde. Placé devant l’obligation de reconstruire ce qu’il avait démoli, il a été pris de vertige. Qu’allait-on réaliser ? Eh bien, ce fut ce qu’il craignait. Ce fut ce que les allergiques à la nouvelle messe ne font que constater post factum. Ils n’inventent rien, on ne peut rien leur reprocher. C’était prévisible et prévu. La nouvelle messe fut précédée d’un essai devant les participants du synode romain d’octobre 67. On attribue à notre auteur le canon qui fut alors présenté et sans doute faut-il en voir le souvenir dans la troisième prière eucharistique. Mais comme l’a dit Mgr Barrai dans « The Detroit News » du 27.06.69, quand il s’est agi d’en venir à l’acte, « les six protestants membres du Consilium chargé de la liturgie ne furent pas simplement des observateurs ; ils furent de vrais experts-conseils. Cela n’aurait pas signifié grand’chose s’ils s’étaient bornés à écouter ; ils ont pris part au travail. » Ce n’est pas un « intégriste » qui parle ainsi... Un « traditionaliste » tel que Dom Oury a pu entreprendre de rassurer ses amis, en avançant le contraire ; mais il y a différence entre plaidoyer romaniste et démonstration. Reste que le principal  animateur et responsable de la nouvelle messe a été Mgr Bugnini (Annibal de son prénom) qui, au dire de Mgr Lefebvre (Lettre aux amis de la Fraternité Saint-Pie X, n 10) et de Tito Casini, le célèbre auteur italien de « La Tunique déchirée », a été reconnu affilié à la Maçonnerie. Il avait été écarté de sa chaire. Le Concile l’a remis en selle. Des retours toujours dangereux. Voici donc ce qu’écrivait Dom Vagaggini, expert ès-liturgie, dans « Le Canon romain et la Réforme liturgique » , p. 143« On pourrait être tenté de considérer comme un idéal aujourd’hui du point de vue des idées théologiques qu’une anaphore (ou canon) soit de type le plus archaïque possible, aux conceptions théologiques extrêmement simples et pour ainsi dire encore indifférenciées. Sous cet aspect, on pourrait penser prendre pour modèle l’anaphore d’Hippolyte ou l’anaphore d’Addai et Mari. On sait en effet que certains voudraient employer l’anaphore d’Hippolyte à la place du canon romain. »Et l’auteur précise pourquoi :« On peut être porté à un tel désir par divers motifs : défiance envers toute « théologie », défiance aujourd’hui largement répandue dans certains milieux - [ceux précisément des réformateurs néo-liturgistes], une certaine façon, sûrement très superficielle, de comprendre l’esprit oecuménique et notre devoir d’aller à la rencontre des frères séparés protestants, en nous mettant sur un terrain pour ainsi dire indifférencié - [ donc équivoque ] - dans la question eucharistique ; le goût de l’archéologie, parfois très vif chez les liturgistes qui ne sont que philologues et historiens de la liturgie.« Mais s’engager sur cette route serait faire, je crois, une oeuvre irréelle et, au fond, se laisser aller à un archéologisme érudit et, aujourd’hui, antihistorique » - [autrement dit anti-traditionnel] -.Dom Vagaggini posait en « principe » qu’« une nouvelle anaphore a le droit et le devoir non seulement d’être profondément théologique, mais encore de refléter, à sa manière, les préoccupations théologiques de l’Eglise d’aujourd’hui », celles donc que le pape Paul VI lui-même a exposées dans son CREDO et dans l’encyclique MYSTERIUM FIDEI sur la Sainte Eucharistie ; préoccupations qui n’apparaissent plus, c’est le moins que l’on puisse dire dans le nouvel ordo missae et qui ont même été écartées dans la première définition de la messe donnée par les fabricateurs du nouvel ordo missae ; cette définition a dû être modifiée, mais n’en reste pas moins la description de ce qui a été réalisé et de ce qui est resté inchangé. Nous y reviendrons. Enfin Dom Vagaggini, qui savait encore une fois à quoi s’en tenir, ayant apporté tant d’eau au moulin de ses amis, notait que « tout nouveau canon devait être non seulement rédigé mais pensé en latin et non pas composé à partir directement de la langue ou du goût des divers peuples, ceci pour la raison suivante : le jour où cela se produirait, dit-il, et dans la mesure où cela se produira, par cela même ces peuples décrocheront plus ou moins de la liturgie romaine et ils évolueront plus ou moins rapidement vers un type de liturgie différente » Ibid p. 49).Il conviendrait, tout de même, de se souvenir que la liturgie a toujours tendu à 1’unité de langue et pas seulement de pensée, car ce qui la caractérise c’est précisément le visible et le sensible. Elle est, comme l’a si bien dit Dom Guéranger, de l’ordre de l’Incarnation. Au début, elle adopta le grec commun ou koiné parlé dans le bassin méditerranéen et lorsque l’empire romain s’étendit au Nord, c’est le latin qui s’imposa, influençant ensuite toutes nos langues occidentales dont il reste le fond commun. Faudra-t-il bientôt emporter un écouteur-traducteur individuel à l’étranger pour y entendre la messe ? ... Ce serait une manière d’avoir des catholiques « branchés. » Les avertissements de Dom Vagaggini ont été inutiles. Ils peuvent seulement servir, aujourd’hui, à rassurer ceux qui pourraient être tentés de croire à une exagération des catholiques le plus légitimement soucieux de fidélité à la tradition et à la théologie. Et maintenant comment en est-on venu des craintes sus-dites à la « révolution » que, dix ans après le Concile, Hang Küng (N.C. n 554) saluait comme un « virage à 180° » ? En utilisant des textes qui disaient habilement le pour et le contre, avec une hypocrisie que dès le début Schillebeek lui-même reproche à ses amis. (N.C. N° 479).

 

 

II - « L’ENRICHISSEMENT DES NOUVELLES PRIERES »

 

... « Reste à savoir si cette variété incessante est plus favorable à la prière que la répétition des mêmes formules... Notre Seigneur dans le jardin des oliviers, priant son Père, répétait les mêmes paroles. »

 
(Dom Guéranger, Def. d’Astros - 225)
« De même qu’on ne fait pas de la tradition comme on veut, on ne fait non plus de la liturgie à volonté. »
(Dom Guéranger, I.L.II. 283)

 

Au canon traditionnel s’ajoutent depuis août 68 trois nouvelles a prières eucharistiques. » Nous les appellerons aussi « anaphores »ou même « canons » car elles étaient supposées fixes et définitives... Leur étaient jointes deux préfaces spéciales, une pour la première - appelée seconde (PREX. II) - et une pour la troisième - devenue quatrième (PREX. IV a) -.

 

 

LES NOUVELLES PREFACES

Il a été composé aussi huit nouvelles préfaces dont il convient de parler un peu. Il y avait pour l’Avent une préface autorisée dans plusieurs diocèses. Elle évoquait la miséricordieuse fidélité divine venant apporter à l’homme, comme promis, vérité, grâce et force perdues par la faute originelle. Deux préfaces la remplacent maintenant qui ne la valent pas ne serait-ce que littérairement : l’une pour avant le 17 Décembre, l’autre pour après, quand commencent les grandes antiennes « O» de Magnificat et que l’office divin se prépare plus précisément au mystère même de la naissance du Christ. Cela peut se concevoir. Cependant, la suppression des Quatre-Temps est une manière bien curieuse de respecter l’antiquité ; ceux d’hiver préparaient très heureusement à Noël. Il y a ensuite deux préfaces pour le Carême, l’une à employer les jours de la semaine, l’autre, nouvelle, le dimanche où la majorité des fidèles n’entendra plus rappeler ce « jeûne corporel qui réprime les vices, élève l’esprit, donne force et attire la récompense. » Il y a maintenant une préface de l’Eucharistie, supprimant le report à la préface de Noël, jusque là saisissant rappel de cette présence réelle qui continue l’Incarnation. Remarquons, à l’occasion, que la Fête-Dieu fait maintenant partie d’un groupe spécial dans le missel avec les fêtes du Sacré-Cœur, du Christ-Roi et de la Trinité. Sont-elles en attente d’ un embarquement pour Cayenne ? Il y a deux préfaces pour les dimanches ordinaires qui éliminent celle de la Trinité, maintenue seulement pour la fête proprement dite. Notons que le terme de « Trinité » n’est plus employé par la nouvelle messe après suppression de la dernière oraison de l’offertoire SUSCIPE SANCTA TRINITAS et de la prière finale, PLACEAT, imposée par saint Pie V. Depuis l’élimination de l’heure de Prime, le très beau symbole trinitaire dit de saint Athanase, récité encore le jour de la fête, ne figure plus à l’office. La première de ces préfaces dominicales fait savoir au « Père saint, Dieu éternel et tout puissant» que « nous portons désormais ces noms glorieux : nation sainte, peuple racheté, race choisie, sacerdoce royal. »  Des fois qu’Il l’oublierait. Enfin deux préfaces communes dont la première trouve moyen d’utiliser le sublime passage de saint Paul aux Philippiens en passant sous silence ce qui en fait le noeud et la raison profonde, à savoir l’obéissance : OBEDIENS USQUE AD MORTEM. (Curieuse est aussi la traduction-trahison de la désobéissance première, passée au bleu dans la Prière Eucharistique IV). Evidemment, ce n’est pas une vertu à la mode chez ceux qui se disent « l’aile marchante de l’Eglise... » Mais une aile, au fait, est-ce que ça marche ? Inutile de dire que les créateurs, une fois en verve, ne s’en sont pas tenus là. Dans le missel « romain » édité en 1976 il y a beaucoup d’autres préfaces, notamment trois pour le mariage - (le mariage déjà essayé, le mariage qui sera respecté... et le mariage qui sera démoli... pourquoi pas ?) Il y a cinq préfaces pour les défunts. Enfin de quoi décourager le commentateur. SAT PRATA BIBERUNT, dirait Virgile. Autrefois la sagesse romaine de saint Grégoire le Grand a su déjà mettre fin à une semblable logorrhée, ramenant les préfaces à quelques-unes qui mettent en seule valeur les grandes fêtes liturgiques.

 

LES ORAISONS DIVERSES

Quelques mots sur l’abondante production d’oraisons diverses pour tout et le reste : « Le développement des peuples... Le travail des hommes... Un réunion de chefs d’Etat... Pour un défunt handicapé mental » afin qu’il puisse jouir au ciel, enfin, « de l’égalité avec ses frères. » Comme la liberté ne peut qu’être jointe à l’égalité, voici la belle oraison : « Dieu libre et saint, tu veux faire de toute l’humanité un peuple d’hommes libres. » ... Et fraternels : tout le monde est beau, tout le monde est bon ! Plus d’oraisons « contre les persécuteurs. » Sans doute pourra-t-on voter pour n’importe qui, car, chose curieuse, il n’y a pas d’oraison pour de bonnes élections. Il est vrai que nos liturges de bureaux se sont bien gardés de mettre aux voix leur chambardement : les traditionalistes sont-ils encore des hommes ? Leur sentiment ne compte pas. Et voilà que nos créateurs intempérants oublient même de prier pour les animaux comme la bonne vieille Eglise qui se souvient de la crêche. Plus d’oraisons « pour obtenir de pleurer ses péchés», « pour repousser les mauvaises pensées », « pour demander la chasteté », « pour demander l’humilité », enfin, ce qui ne leur eût pas fait de mal. Et quel français ! « Le Royaume dont nous avons l’espérance » ... « les grâces que tu nous as faites ... aide-nous à les retourner vers ta gloire. ».. « Après avoir reçu notre part de vivres » ... « Travailler à la construction de son corps » ... « par la coupe et le pain de ton Royaume, fais ressortir l’image de Celui qu’ils ont choisi d’imiter ... etc ... etc ... Dom Guéranger avait bien raison: « dans la voie des nouveautés, quand on a franchi un certain degré, on ne s’arrête plus. » On n’a pas dû présenter ces merveilles à peaufiner à l’écrivain de service, Patrice de la Tour du Pin, trop poète pour ne pas déclarer à l’hebdomadaire protestant Réforme (20.03.1965) « Il est difficile d’exprimer le mystère dans une autre langue » que le latin. Moins humble Annibal B. a écrit (Die. 1445, 603-4) que le travail de ses « groupes d’études du concilium »» c’est du ciselé » ! ...

 

LES PRIERES EUCHARISTIQUES

Défendu même dans sa teneur latine par des sages comme le P. Bouyer, fort surtout de son antiquité et de sa pratique multiséculaire, le canon romain ne pouvait pas ne pas faire figuration dans la nouvelle messe et en premier lieu. Une fiche de consolation ! La naïveté romaniste de Dom Oury put croire et dire, alors, que ce trésor « inégalable » garderait « prééminence » et qu’il « n’était pas question de le remplacer » : ne prévoyait-on pas à Rome son emploi le dimanche et surtout à Noël, à l’Epiphanie, à Pâques, à l’Ascension et à la Pentecôte où il comporte une incise propre. On l’utiliserait aussi lors de la fête des saints mentionnés au Canon (maintenant ad libitum). Pourquoi pas, à tant faire de tromper son monde, à toute fête de pape, évêque au prêtre ayant employé ce canon au cours de plus d’un millénaire et demi ? Plus clairvoyant, le « père de l’Eglise » qui sévit dans la presse française lors du Concile, Henri Fesquet, ne faisait pas de manières pour dire : « la seule permission d’employer d’autres canons que le canon romain conduira rapidement à la disparition presque totale de ce dernier.., Le président d’UNA VOCE internationale eut raison, lui, de penser qu’avec l’introduction de nouvelles anaphores, une manière discrète avait été choisie pour se débarrasser non seulement du canon romain, mais aussi de la doctrine de la messe. »

 

LA PRIERE EUCHARISTIQUE II ou CANON D’HIPPOLYTE

 

La préface accolée au Canon d’Hippolyte parle bien de « Jésus Rédempteur et Sauveur », mais il faut s’en contenter. L’anaphore elle-même « n’insiste pus - c’est nous qui soulignons cet euphémisme - sur le caractère sacrificiel de la messe, en dehors des paroles de l’institution ; c’est là une de ses limites. Elle reflète la théologie d’Hippolyte, volontairement archaïsante qui ne s’attache pas à cet esprit. » (Dom Oury, Ami du Clergé, 18.07.1968). Or il n’était pas impossible d’y remédier car cette prière, si courte qu’elle a été traitée de simple « schéma », n’en a pas moins emprunté quatre à cinq fois à des sources différentes sans perdre son unité. Mais par contre la traduction de cette anaphore a trouvé moyen de justifier la comparaison que nous pouvons faire de notre temps avec le XVIIIème siècle, « époque sans poésie » (Paul Hazard, La crise de la conscience européenne). Le pédant n’a pas trouvé de son goût « la rosée du Saint-Esprit » (SPIRITUS TUI RORE), il s’en est soigneusement abrité ; de même, malgré la belle référence à un verset du psaume IV : (LUMEN VULTUS TUI) « la lumière du visage » divin contemplé dans les cieux ne doit plus être qu’une lumière sans figure ! A ce prosaïsme se sont jointes deux expurgations caractéristiques du texte original : plus de « Pour être fortifié dans la vérité de foi » (AD CONFIRMATIONEM FIDEI IN VERITATE) car le mot de vérité n’est plus de mise, comme chacun sait, personne ne doit se croire « propriétaire de la vérité. » L’autre omission se comprend plus encore, car elle traumatiserait. Avant d’évoquer l’institution, Hippolyte a osé dire « Pour détruire la mort, rompre la chaîne des démons, fouler au pied l’enfer. » Tout au plus pouvait-on corriger des expressions comme celle d’« enfant de Dieu » (puer-païs) appliquée au Seigneur. De toute façon cette remise en usage d’une anaphore qui paraît bien n’avoir été créée que pour un sacre ou une ordination sacerdotale, n’est pas innocente. Le « tu nous as choisis pour servir en ta présence » dans un contexte qui ne fait nulle part la distinction entre le prêtre et les fidèles confine à l’hérésie. Il est à signaler aussi que la prière pour l’unité, après la consécration, pourrait autoriser les interconcélébrations : « Humblement, nous te demandons qu’en ayant part au corps et au sang du Christ, nous soyons rassemblés par l’Esprit-Saint en un seul corps. » Vite fait et à bon compte quand on a par ailleurs rayé la confirmation « dans la vérité de la foi. »D’autre part, bien que ce soit la mieux venue des anaphores, il eut été bon de ne pas favoriser par un canon si bref l’écourtement de l’Eucharistie proprement dite. Il paraît que cette prière plaît aux « jeunes. » Il serait préférable de plaire à Dieu et de respecter la tradition. On se demande s’il n’y a pas eu dans le dénichage de cette vieille anaphore du prêtre Hippolyte une intention de décri du canon romain : « Il paraît bien, dit le P. Bouyer (L’Eucharistie, 1966), que c’est parce que les liturgies qu’il voyait où il était, lui déplaisaient tout autant que le reste, qu’il a jugé nécessaire d’en produire une de sa façon », et pour un groupe d’admirateurs dont il se comportait comme le pape, s’opposant aux pontifes Zéphirin et Callixte. Le personnage, qui a bénéficié du titre de saint à cause de son martyre, serait maintenant traité de raciste car il ne voulait pas du mariage entre personnes de condition libre et esclave. Il était de plus partisan d’un parfait rigorisme pénitentiel, voire, ce qui est plus étrange encore, allergique à la théologie trinitaire.

 

LA PREX III

A la différence de la deuxième prière eucharistique qui tient de l’original son unité, la troisième est faite d’une quinzaine d’emprunts ou centons. Ils ont été agencés par un moderne et unique auteur, tandis que le canon romain rassemble, lui, avec bonheur, des prières dont l’origine s’échelonne sans doute sur les trois ou quatre premiers siècles, formant un précieux recueil qui nous apporte la voix de la Rome chrétienne primitive. L’auteur de PREX III ne semble plus être Dom Vagaggini, bien que la nouvelle création paraisse destinée, comme le premier essai, au remplacement de l’Eucharistie traditionnelle, parce que moins longue et plus composée. Elle fait sérieux bien qu’on ne puisse dire actuel, car dès le début Mgr Huygue aurait désiré des prières moins «imperméables », abandonnant  « le langage condensé et allusif. » Les nouvelles anaphores devraient traduire, écrivait-il (La Maison Dieu, n 92) « la joie et les espoirs de l’homme d’aujourd’hui, la réussite technique qui parachève la création, la scandaleuse différence entre pays riches et pays pauvres, la menace de guerre qu’aggrave la course aux armements, le mouvement puissant du progrès humain..., l’insécurité de l’emploi..., la multiplication des laissés-pour-compte de la civilisation, enfants handicapés, vieillards abandonnés, déficients mentaux » et pourquoi pas : évêques déboussolés ? Le mouvement est lancé. Le fourre-tout de la prière universelle, les prêches où l’on ne parle plus du Bon Dieu, cela ne suffit plus. En route pour l’élaboration d’eucharisties appropriées ! N’était-ce pas la manière des premières célébrations d’après saint Justin ? Il est vrai qu’on a vite estimé sage d’y renoncer, mais nos rénovateurs veulent refaire l’histoire comme si l’expérience ne comptait pas. Ne va-t-on pas jusqu’à parler de « construire l’Eglise », comme si nous habitions sous des huttes ? Dans pareille atmosphère, la PREX III fait plutôt rassurante figure ; elle devrait même l’emporter sur la deuxième prière, si trop de prêtres n’allaient au plus court. Sa relative étendue n’apporte cependant rien de clair et de ferme sur les points importants de la Messe. Comme les autres canons, elle ne fait jamais la distinction entre prêtre et fidèle, ce qui est grave. Le traducteur a dû même être rappelé à l’ordre, mais en vain, dès le 16 mars 1969, par Charles Nobili, (alias Dom Oury, dans L’Homme nouveau). Le texte latin supplie le Père d’agréer « la victime par l’immolation de laquelle Il a voulu être apaisé : IMMOLATIONE PLACARI. « Cela devient : « Regarde, Seigneur, le sacrifice de ton Eglise et daigne y reconnaître celui de ton Fils. » Le commentateur solesmien peut dire : « C’est tout un aspect de la présentation biblique du mystère de la croix auquel les fidèles n’auront plus accès à travers les termes décolorés et prosaïques de la traduction officielle », la seule qu’ils entendent à la messe. L’immolation est un des mots qui écorchent les oreilles sensibles et l’on ne supporte plus l’image d’un Dieu qui devrait être apaisé (PLACARD, comme s’il pouvait se mettre en colère. Alors, pourquoi parler de « sacrement de la réconciliation ». si Dieu ne peut non plus se fâcher ? La pastoralisation devient une pasteurisation de pédants sans qu’on s’aperçoive que dé-poétisation et dé-sacralisation s’appellent. Au point, dans la même PREX, de rendre méconnaissable le texte classique de Malachie (I, 11) : « Depuis le levant jusqu’au couchant mon Nom est grand parmi les nations, l’on m’apporte des sacrifices en tout lieu et l’on offre en mon Nom une oblation pure. » Si le canon III omet ici de parler de sacrifice, il se contente aussi « d’oblation pure » (OBLATIO PURA) pour rappeler la Sainte Ecriture. Mais voilà : le traducteur est un grand savant ; il sait ce que personne n’ignore : le soleil ne se lève ni ne se couche ! Il faut reléguer de telles images dans le passé ... D’autant que ce folklore risque de faire penser à cette orientation de la prière dont on ne veut plus. On ne veut plus aussi, ni là, ni dans la prière suivante, d’un « Père très clément » ; le Dieu de la nouvelle génération n’est plus qu’un « Père très aimant» qui met « des coussins sous les coudes » ... L’Eglise « catholique », quant à elle, doit se débarrasser d’un adjectif si précis ; elle n’est plus que « le peuple des rachetés » ou « de ceux qui l’appartiennent.» Quant au TIBI PLACENTES, « ceux qui te plaisent » du memento des morts, ils ne sont plus, pour le traducteur, que ceux dont « tu connais la droiture .... » Partout, dans les nouvelles prières, aussi bien en latin qu’en français, saint Pierre et saint Paul ont disparu ; collégialisme oblige. Partout aussi et jusque dans le canon romain traduit-trahi, l’expression MYSTERIUM FIDEI (mystère de la foi) de la consécration du vin a été rejetée après le récit de l’institution sans qu’on puisse en fournir de justification historique.

 

LA PREX IV

La définition tridentine infaillible de la messe n’apparaît pas plus qu’ailleurs dans la IVème Prière eucharistique. Certains détails la distinguent cependant, par exemple l’insistance de la préface, qui lui est adjointe, sur « les Anges innombrables qui servent Dieu nuit et jour, se tiennent devant lui, contemplent sa face et ne cessent jamais de le louer » ; mais leurs ailes paraissent voler au-dessus de la tête de « l’homme d’aujourd’hui », pour lequel d’ailleurs, cette anaphore nouvelle, faite de vingt-deux emprunts, est quasi mort-née. Dommage, car elle rappelle la manière grecque des « Constitutions apostoliques » et plus lointainement de l’eucharistie juive du repas pascal, célébrée par Notre Seigneur avec ses apôtres lors de (institution. II est vrai que nos préfaces remplissent aujourd’hui ce rôle d’actions de grâces. Si le canon IV a pour but de nous rapprocher de l’Orient, on peut regretter, comme Max Thurian lui-même, la disparition pratique du KYRIE ELEISON devant le pitoyable et pâteux « Prends pitié. » Voilà à quoi la manie vernaculariste aboutit, alors que toute notre liturgie latine conserve depuis des siècles ce KYRIE grec qui le montre en accord avec la masse compacte des chrétiens orientaux non slaves, uniates ou séparés de Rome quel que soit l’idiome dans lequel ils célèbrent. Le chant grégorien s’est plu même à orner gracieusement la précieuse survivance. On a vu plus haut qu’une nouvelle préface ordinaire énucléait le sublime texte de saint Paul aux Philippiens - (faute que l’on retrouve dans la première préface de l’Avent) - Dans la PREX IV, c’est le traducteur lui-même qui renâcle devant le terme d’obéissance. Adam, qui est devenu dans la dite prière l’homme tout court et tout indistinct, n’a plus désobéi (NON OBOEDIENS, précise le texte), il a simplement « perdu l’amitié de Dieu en se détournant de lui. » C’est plus discret. De même le HOSTIA signifiant victime est remplacé deux fois par « offrande. » Les allergies et lubies ordinaires atteignent donc toutes les prières ; on les verra affaiblir le canon romain lui-même.Le moment est venu d’aborder le problème que semblent poser les nouvelles prières où l’on a introduit une « épiclèse » ou prière au Saint-Esprit qui ne figurait à l’origine dans aucune prière eucharistique. (Même en Orient où l’épiclèse a pris ensuite une ampleur qui étonne après la consécration réduite alors apparemment au simple . récit de l’institution »). Or voici comment s’exprime la PREX IV avant ce « récit» : que ce même Esprit-Saint... sanctifie ces offrandes qu’elles deviennent ainsi - (c’est nous qui soulignons) - le corps et le sang de ton fils. » La PREX II dit de son côté : sanctifie ces offrandes en répandant sur elles ton Esprit : qu’elles deviennent pour nous le Corps et le Sang ... etc. » Et la PREX III : Sanctifie ces offrandes pour qu’elles deviennent le Corps et le Sang de ton Fils.» Le VENI SANCTIFICATOR (Venez, Sanctificateur) de notre offertoire, qui demande à l’Esprit-Saint de bénir nos offrandes écarte, lui, tout dérapage éventuel compromettant le rôle de consécrateur du prêtre agissant au nom et place du Christ unique Prêtre. Que le Saint-Esprit qui, pour nous, procède du Fils, coopère à la consécration, le contraire serait invraisemblable puisque c’est déjà COOPERANTE SPIRITU SANCTO, par la coopération du Saint-Esprit, que le Sauveur a été conçu et nous a rachetés sur la croix. Notons, au passage, que si l’épiclèse est de nécessité, l’emploi du Canon romain dans la messe nouvelle ne convient plus car le VENI SANCTIFICATOR a disparu de l’actuel offertoire judaïsant et le QUAM OBLATIONEM ne le remplace pas clairement.

 

III - L’AVEU

 

Au début du nouveau MISSEL ROMAIN, parmi les éloges hyperboliques que se décernent, par Paul VI interposé, les auteurs de cette oeuvre, il y a un paragraphe qui nous parait significatif. Il rappelle les vérités fondamentales à partir desquelles nous venons de juger des productions néo-liturgiques. Le voici dans sa traduction française « En des temps vraiment difficiles où, sur la nature sacrificielle de la messe, le sacerdoce ministériel, la présence réelle et permanente du Christ sous les espèces eucharistiques, la foi catholique avait été mise en danger, il fallait avant tout, pour saint Pie V, préserver une tradition relativement récente (c’est nous qui soulignons), injustement attaquée, en introduisant le moins possible de changements dans le rite sacré. »Si nous comprenons bien, les points de foi que saint Pie V a dû privilégier en les défendant contre les attaques injustes des protestants auraient été de « tradition relativement récente », ce qui expliquerait ces attaques elles-mêmes. En replaçant ce passage dans le contexte général, il semble que l’heure aurait sonné de dépasser ces oppositions grâce à une tradition cette fois mieux connue et plus ancienne. Est-ce une pierre jetée dans le jardin tridentin des cardinaux Ottaviani et Bacci (voir chapitre suivant), ou même du Paul VI de MYSTERIUM FIDEI, l’encyclique discutée alors par « l’aile marchante » de l’Eglise ? Allez le savoir ! Une chose est sûre : plus question de mettre l’accent sur les points dont nous venons de constater de fait la presque inexistence. Constatation faite aussi par les protestants. De l’irréfutable accumulation de textes néo-oecuménistes officiels dressée par l’abbé Cellier (La dimension oecuménique de la réforme liturgique, 1987, p. 68) extrayons la confirmation d’un pasteur luthérien de Hambourg (1976), Jordhan : « Les nouvelles prières eucharistiques constituent un jalon décisif dans l’histoire de l’évolution de la liturgie romaine. Car le canon romain était devenu (!), selon J.A. Jungmann, « presque exclusivement une prière sacrificielle et une prière de demande à partir du TE IGITUR. Que maintenant cette tradition, jugée par la Réforme protestante, comme une fausse route manifeste, ait été abandonnée de façon non équivoque, cela constitue un événement qui peut être évalué à bon droit comme un grand progrès vers l’unité. » - A remarquer ; c’est le canon plus que millénaire qui serait « devenu » une « fausse route manifeste ! En fait de « tradition récente », cela se pose là ! où s’arrêtera-t-on dans la tromperie ? Décidément, Dom Guéranger avait bien raison de refuser de mettre le doigt dans l’engrenage et de répondre à Mgr d’Astros qui lui vantait la science d’érudits jansénistes : « Quelque versés dans les Saintes Ecritures que puissent être les hérétiques, ils ne peuvent jamais être en état de travailler à la correction des livres liturgiques et encore moins à leur fabrication ... l’Ecriture Sainte et la tradition n’ont qu’un cri contre une telle faiblesse ... L’Eglise n’a jamais rien voulu devoir aux hérétiques ; elle eût craint d’annoncer par là quelle était peu assurée de l’Esprit que son Epoux a déposé en elle jusqu’à la consommation des siècles. Leur science, leur éloquence, leur sagesse prétendue, elle a tout repoussé et cela dans tous les siècles. Elle tient trop à montrer à ses enfants, par sa conduite, qu’un des premiers moyens de conserver la foi, une des premières marques de l’unité, c’est la fuite des hérétiques. Elle n’a donc jamais emprunté leur secours pour aucune de ses formules de foi ou de prière, car, dit saint Grégoire le Grand que j’aime toujours à citer, « ce qui fait la richesse des hérétiques, c’est la sagesse charnelle. Appuyés sur elle, dans leur perversité, ils se montrent riches en paroles : mais l’Eglise recherche d’autant moins cette richesse qu’elle la dépasse par l’intelligence spirituelle qui est en elle (Mon Job, lib.V). » (Défense d’Astros, p. 245-247). C’est grâce à des papes dignes de lui succéder qu’il y a encore de la foi.Quand, à Pie XII faisant dire au P. Messimeo dans la Civilta Catolica que « l’humanisme intégral » de Maritain était un « paganisme intégral », succède un Paul VI qui dans Populorum Progressio déclare : « C’est un humanisme plénier qu’il faut promouvoir » (cf. Madiran Itinéraires p. 130, n° 234), les esprits se sentent en « branloire » comme s’exprimait Montaigne. Et que dire lorsqu’à une époque quiétiste et dévirilisée spirituellement, on entend de pareilles paroles papales : « A partir du Concile s’est propagée dans l’Eglise une onde de sérénité et d’optimisme, un christianisme stimulant et positif, ami de la vie, des valeurs terrestres .. Une intention de rendre le christianisme acceptable et aimable, indulgent et ouvert, débarrassé de tout rigorisme moyenâgeux, de toute interprétation pessimiste des hommes, de leurs moeurs. » (Doc. cat. 20 cet. 69, 1598, col. 1372).Un billet pour le Paradis terrestre ou le grand soir...

 

IV - LA NOUVELLE DEFINITION

 

« La Sainte Messe est le sacrifice du Corps et du Sang de Jésus-Christ offert sur nos autels sous l’apparence du pain et du vin, en mémoire du Sacrifice de la Croix... Sacrifice non-sanglant où Jésus-Christ nous applique les mérites du sacrifice de la croix... On offre à Dieu le sacrifice de la messe pour quatre fins : pour lui rendre l’honneur qui lui est dû ; pour le remercier de ses bienfaits ; pour l’apaiser et lui donner une satisfaction convenable de nos péchés ; pour obtenir toutes les grâces qui nous sont nécessaires. » (Petit Catéchisme de saint Pie X.) Par l’article 7 de L’INSTITUTIO GENERALIS expliquant et décrivant la nouvelle messe, le P. Bugnini et ses consorts ont eux-mêmes défini ce qu’ils avaient fait : a La Cène du Seigneur ou Messe est la syntaxe sacrée ou le rassemblement du peuple de Dieu sous la présidence du prêtre pour célébrer le mémorial du Seigneur. C’est pourquoi vaut éminemment, pour l’assemblée locale de la Sainte Eglise la promesse du Christ : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux. Le plus pur protestant n’y trouverait rien à redire. Le prêtre est président ; ce n’est pas lui qui compte mais l’Assemblée. La réunion des fidèles opère la présence du Seigneur, non la consécration, où le célébrant agit au nom et en place du Christ. Nous sommes en plein irréalisme sacramentel. Parler encore de sacrifice n’a pas de sens concret. Il n’est plus question à la messe que de « faire mémoire » comme on a osé le dire et le publier officiellement. Venir ensuite prétendre que le caractère sacrificiel est assuré par l’ajout paulinien : « livré pour nous » dans la consécration du pain au corps de Jésus est une tromperie. Certes, l’expression de saint Paul figure dans les autres liturgies reçues, mais depuis, les protestants s’en servirent pour donner le sens de récit à ce que l’on appelle d’ailleurs maintenant « le récit de l’institution » alors que la tradition parle de consécration. Emerveillé d’une érudition qui ne tient pourtant pas lieu de jugement, ami et admirateur depuis longtemps des premiers critiques de la liturgie, Paul VI signa, pensant, il est vrai, que selon sa demande la nouvelle messe et sa présentation avaient été soumises à la Congrégation de la Foi. Mais quelle ne fut pas sa surprise de recevoir du cardinal Ottaviani et du cardinal Bacci un « bref examen » du Nouvel Ordo Missae où la messe nouvelle était accusée de « s’éloigner de façon impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique telle qu’elle a été formulée à la XXème session du Concile de Trente. » Pareille critique de l’ancien Préfet du Saint-Office avait de quoi faire réfléchir, ainsi que la stupéfiante définition de l’article 7. Ordre fut donné de le corriger, ce que firent ses auteurs en prétendant que c’était du pareil au même ! Et en effet ce qu’ils ne changèrent pas, c’est ce que leur première définition décrivait. Bien mieux, lors du Congrès Eucharistique de Lourdes où devait venir Jean-Paul II, on revint officiellement à l’article 7 originel. A se demander qui commande dans l’Eglise, chose très grave. De la même façon, Paul VI avait, in extremis, exigé, lors du Concile, une « nota praevia », c’est-à-dire une note qui devait passer avant toute chose pour endiguer un collégialisme excessif. Cela n’a pas empêché le « 89 » de l’Eglise, c’est-à-dire la réduction du Pape au rôle honorifique de souverain constitutionnel à la merci de conférences épiscopales, elles-mêmes tenues par des groupes de pression. De même Paul VI avait dû prévenir que la déclaration sur la liberté religieuse n’annulait pas l’enseignement pontifical antérieur. Cela n’a pas empêché la « canonisation »» conciliaire de la Liberté de découronner » en pratique le Christ-Roi et jusque dans les textes liturgiques de l’office voulus par Pie XI. La même chose est donc advenue à la messe. Le Nouvel Ordo Missae imposé d’abord par les Conférences épiscopales toutes puissantes et les organes romains a fini par l’être par le Pape lui-même en s’appuyant sur des ordres inférieurs, chose étrange remarquée alors par le Chanoine Berthod, supérieur d’Ecône. Rien n’a, régulièrement et dans les formes juridiques appropriées et nécessaires, substitué la nouvelle messe à la messe traditionnelle. Celle-ci garde tous les droits que lui a conférés solennellement le pape saint Pie V en y ajoutant même un privilège spécial octroyé pour toujours à tous ceux qui l’utiliseront. Bien mieux, vu les dangers présents de contamination protestante, cette messe est d’une particulière nécessité. Le cardinal Ottaviani ne manqua pas, peu de temps après la promulgation du Nouvel Ordo Missae, de dire au canoniste rigoureux qu’est Louis Salleron que non seulement la messe traditionnelle n’est pas abolie, mais son maintien est bon pour la foi. Le cardinal Oddi vient de le redire : « La messe de saint Pie V n’a jamais été révoquée. » Il est donc tout à fait étrange de parler maintenant d’« autorisation » et plus encore d’y mettre des conditions. L’abus de pouvoir est malheureusement ce qui arrive quand la doctrine fléchit. L’autorité prend alors le pas et les libéraux qui disent tant de mal de l’Eglise-institution en viennent à se comporter en tyranneaux. Ah ! quelle facilité au contraire, quel épanouissement, quelle paix où la tradition est respectée ! Heureuse l’Eglise où la foi brille comme le soleil en plein midi (FIDES VELUT MERIDIES) et commande tout et tous. Inutile de s’étendre sur ce qui a été abordé dans ce chapitre. Ces questions ont été abondamment et sérieusement étudiées par ailleurs, tant au point de vue juridique par Louis Salleron que par rapport aux canons du Concile de Trente par l’Abbé Aulagnier (La Messe Catholique, 1977). Dans cette dernière plaquette, l’auteur rappelle, comme plus haut, que le Conseil Permanent de l’Episcopat, précisant sa pensée sur la « célébration eucharistique » (8.12.76), prescrit aux pasteurs « de se référer à la Présentation générale Inastitutio Getteratis de Février 1969, tel qu’on en  trouve le texte au début de tous les missels d’autel.» Les missels ne donnant pas l’article 7 tel qu’il a été formulé « en février 1969 », il s’ensuit donc que l’épiscopat français considère la correction demandée par Paul VI comme de la poudre aux yeux ... Les correcteurs n’ont d’ailleurs pas manqué de le dire. Il y a tromperie. En voici une autre. L’article 12 de l’Institulio Generalis ne craint pas de préciser - (alors que le Concile de Trente déclare anathème qui prétendrait condamnable le silence du canon) - . « La nature des prières présidentielles exige qu’elles soient prononcées à haute et intelligible voix et écoutées par tous avec attention. » D’écoutées, elles seront bientôt dites par tous ; rien ne l’empêche, puisqu’il s’agit de « prières présidentielles », donc d’un simple délégué du peuple chrétien, jouissant avec les assistants d’un même sacerdoce, selon l’hérésie protestante. « L’ordination du ministre, a dit Max Thurian, ne l’arrache pas à la condition commune du Laïcat. » Nous reviendrons sur ce point capital. Après avoir parcouru, à la lumière des principes fondamentaux, la pléthorique et insignifiante production des prières de bureau, censées enrichir mais, en réalité étouffant et supplantant la tradition, venons-en au canon romain lui-même. Le Père Calmel l'a particulièrement bien compris et défendu (Articles rassemblés par Itinéraires n 206). La présente étude ne dispense pas de s'y reporter, bien au contraire.

 

 

V - LE CANON DE LA MESSE ROMAINE

 

« La préface étant achevée, disait Dom Guéranger à ses novices « Explication de la Sainte Messe », éd. Assoc. S. Jérôme, 1985, p.100), le SANCTUS, résonne ; alors le prêtre entre dans le nuage. On ne l'entendra plus que lorsque la grande prière sera finie. Cette prière a reçu le nom de CANON MISSAE, c'est-à-dire règle de la messe, et cela parce que cette partie est vraiment ce qui constitue la messe ; c'est ce que l'on peut appeler par excellence la messe. » Elle ne doit pas être étouffée par la première partie consacrée spécialement à la parole ou par les prières non spécifiquement sacerdotales. Le prêtre doit toujours apparaître pour ce qu'il est avant tout : l'homme des sacrements, c'est-à-dire de l'autel en premier lieu. Il incarne la présence et la puissance sanctificatrices du Sauveur divin. L'Eglise se distingue par là ; et l'expression la plus forte en est le canon de la messe, réservé au sacrificateur. La messe ne peut être pour le prêtre l'occasion rêvée de dire ou faire n'importe quoi, par respect pour le Seigneur, ou même trop de bonnes choses, par pitié pour les fidèles : ils ne les retiendraient pas ; leur mémoire a des limites ... et parfois leur patience.

Le canon romain n'est pas la seule prière sacerdotale de l'Eglise universelle, mais sans doute la plus simple et la plus belle, en tout cas la plus adaptée à l'esprit occidental, qui sous bien des rapports s'est imposée au monde entier. Presque entièrement formé dès le IVème siècle, il brille par son antiquité ; ce qui est d'une importance majeure pour l'exactitude et la continuité de la foi eucharistique. Aucun n'a connu plus grande diffusion, reliant autant de nations autour du siège de Pierre. Il nous est parvenu comme chargé de la piété de tant de saints prêtres et pontifes, que le fidèle se doit de le connaître et de le méditer avec le plus grand respect et la plus scrupuleuse attention.

 

 

VI - LE CANON ROMAIN

 

 

TE IGITUR

 

TE IGITUR, CLEMENTISSIME PATER, PER JESUM CHRISTUM FILIUM TUUM DOMINUM NOSTRUM, SUPPLICES ROGAMUS AC PETIMUS, UTI ACCEPTA HABEAS ET BENEDICAS HIEC DONA, MEC MUNERA, HEC SANCTA SACRIFICIA ILLIBATA. IN PRIMIS QUAE TIBI OFFERIMUS PRO ECCL ESIA TUA SANCTA CATHOLICA QUAM PACIFICARE, CUSTODIRE, ADUNARE ET REGERE DIGNERIS TOTO ORBE TERRARUM : UNA CUM FAMULO TUO PAPA NOSTRO... ET ANTISTITE NOSTRO... ET OMNIBUS ORTHODOXIS, ATQUE CATHOLICIE ET APOSTOL ICIE FIDEI CULTORIBUS.

 

Nous Vous prions donc avec une humilité profonde, Père très clément et nous Vous conjurons par Jésus-Christ, votre Fils, Notre Seigneur, d'agréer et de bénir ces dons, ces présents, ces sacrifices, purs et sans tache, que nous Vous offrons premièrement pour votre sainte Eglise catholique. Qu'il Vous plaise de lui donner la paix, de la garder, de la maintenir dans l'unité, et de la gouverner par toute la terre, et, avec elle, votre serviteur notre saint l'ère le Pape..., notre Evêque... et tous ceux qui ont le culte de la foi orthodoxe catholique et apostolique.

 

 

TE

 

La grammaire latine commence par décliner Rosa - la rose, comme si l'étude et l'amour de cette langue, devenue sacrée, introduisait dans un jardin fleuri. De ce jardin, il n'est pas nécessaire d'avoir parcouru toutes les allées pour comprendre le canon romain. Son latin est facile et ne peut faire écran à la piété d'aucun prêtre. Cette prière se récite en silence. Mais supposons-la prononcée de nouveau à haute voix ou chantée, le latin s'imposerait encore plus, car cette prière revient au prêtre, seul consécrateur. Comme les fidèles y acquiescent par l’Amen de la fin, ils pénétreront d'autant mieux le sens des paroles qu'ils en auront goûté la beauté, cette beauté qui doit toujours faire corps avec la liturgie, pour lui donner des ailes en direction du Paradis. Dans un ouvrage intitulé Le Catholicisme populaire (1974) un prêtre de paroisse constatait que pour les catholiques eux-mêmes « le langage liturgique traditionnel était un antique poème » dont « ils recevaient le message, d'abord au niveau de leur mémoire » puis « de leur imagination et de leur sensibilité. » La culture populaire est « surtout celle des sons, des images, des battements de coeur, » Et que dire du chant grégorien lié à cette langue « autrement musicale que le français disait le connaisseur Duruflé. La messe« traduite » est une messe de « retardataires » écrivait de son côté Mauriac. Le pape Paul VI lui-même parlait du « noble latin », mais c'était le désigner, hélas, en tant que noble comme « ci-devant. » Les catholiques doivent se garder de cet esprit révolutionnaire qui dégrade tout ; ils aiment que les saints mystères s'enveloppent d'un certain secret ; ils appartiennent au peuple que saint Pie X avait si bien compris et qui aime « à prier sur de la beauté. »

 

Cette beauté se manifeste dès le premier mot de notre canon romain.

 

Le TE, ce VOUS complément direct, projeté en avant, que seul permet le latin, fait penser à un autre joyau de notre liturgie : le TE DEUM entièrement construit sur cette projection du VOUS au début de la phrase et de toutes ses parties.

 

Le latin tutoie toujours alors que le français ne se le permet plus qu'en poésie.

Lors de la Renaissance païenne, les pédants qui faisaient la loi étaient en adoration devant le grec et le latin classiques ; ils tentèrent d'en imposer les modes au génie français. Lors de la mort de son fils chéri, François Ier pria le Seigneur en le tutoyant. Mais cette manière archaïque n'a subsisté que chez les protestants, non sans quelques résistances, puisque, au XVIIIème siècle, un pasteur calviniste suisse demande à Montesquieu si c'est bien convenable. En régressant vers les réformés, la néo-liturgie s'est écartée des bonnes manières. Dans L’Ami du Clergé (22.04.1965) le savant abbé Carmignac rappelle pourtant que l'hébreu lui-même possède bel et bien « spécialement pour Dieu un pluriel d'excellence ou de majesté qu'il utilise toujours avec le terme ELOHIM, Dieu, et ADONIM, Seigneur, et parfois avec d'autres termes.

 

Cette particularité est d'autant plus curieuse qu'on sait avec quelle intransigeance l'Ancien Testament pourfend le polythéisme. » De toute façon, le TU français sent l'irrespect et le sans-gêne, sinon le refus de toute supériorité comme en 89. Arguera-t-on d'intimité ? Rien n'est justement plus contraire au génie de la prière publique.

 

Très tôt, dès avant le Xème siècle, la foi dans le renouvellement sacramentel du sacrifice du Seigneur a donné l'idée aux enlumineurs de représenter au début du canon le Christ en croix sur le T initial à cause de sa forme. Le prêtre devait même déposer sur cette croix un baiser ; pour cette raison, la composition finissant par couvrir toute une page, une petite croix fut ajoutée au bas de la grande image. A partir du XIIème siècle, ce baiser fut transféré à l'autel, autre symbole du Christ Prêtre et Victime puisqu'il est signé de cinq croix rappelant les cinq plaies du Sauveur.

 

De toute façon les nouvelles prières commencent toutes par le V de VERE SANCTUS : Toi qui es vraiment saint, s'adressant au Père, alors que SANCTUS s'achève par le BENEDICTUS, béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. La cohérence est d'autant moins grande que le triple SANCTUS précédent fait penser à la Trinité tout entière et que les pièces originelles auxquelles le VERE SANCTUS a été emprunté s'appliquaient au Christ et introduisaient ainsi, ex abrupto, à la consécration du pain et du vin opérée par Jésus à la Sainte Cène.

 

Quant au canon d'Hippolyte, il ne contenait ni VERE SANTUS ni le SANCTUS, et il se présentait comme un tout à partir du dialogue de notre actuelle préface. L'IGITUR du canon romain rappelle l'unité primitive.

 

IGITUR

 

Le second terme de notre canon est IGITUR (donc) ; il a pour but de relier l'action de grâces à l'oblation. L'action de grâce, c'est-à-dire, en grec, « l'eucharistie » s'exprime dans la préface. Au dialogue solennel et tout à fait primitif qui la précède répond l'Amen non moins solennel de la fin du canon. Le prêtre chante la reconnaissance et la foi de l'Eglise avant de présenter son offrande à l'agrément divin. Il se met, comme l'indique le mot (PRAE-FARI) en présence de Dieu et non des fidèles car c'est à Lui on 'il s'adresse. Dès le dialogue, il ne se tourne plus vers eux pour le DOMINUS VOBISCUM ; et à l'invite du SURSUM CORDA ils répondent : HABEMUS AD DOMINUM, .« Nous nous tournons vers le Seigneur » ; eux aussi c'est à Dieu qu'ils s'adressent non au prêtre qui leur fait face. L'orientation est la même pour le célébrant et les participants. Comme pour la conservation du canon en latin, il s'est trouvé des sages pour demander que la liturgie de la parole se distinguât de celle du sacrifice. Mais les révolutions sont plus faciles à lancer qu'à retenir. La messe « face au peuple » n'est qu'une « messe à l'envers » disait Paul Claudel scandalisé par cette nouvelle mode qu'aucune tradition ne justifie. Dans les maisons particulières où la persécution obligeait les premiers chrétiens à se réunir, l'assemblée se tournait vers le mur oriental signé d'une croix. Plus de quarante sermons de saint Augustin s'achèvent par la formule « et maintenant tournés vers le Seigneur » - CONVERSI AD DOMINUM. Jusqu'à nos jours, la liturgie lyonnaise qui plaçait le trône de l'évêque face au peuple amenait le pontife avec toute sa suite devant l'autel pour la célébration eucharistique face à l'Orient. On peut même dire qu'à partir du XVIème siècle où la règle de l’orientation fut abandonnée, l'esprit n’en persista pas moins, non seulement dans maintes rubriques mais dans le fait que le chevet de l’Eglise était occupé par un retable très solennel ou un très bel autel vers lequel prêtre et fidèles se tournaient également. Il s'agit là de beaucoup plus qu'une habitude, il s'agit d'une tradition pleine de sens à l'inverse exactement de la Religion de l'Homme : tout diriger vers Dieu (SOLI DEO HONOR ET GLORIA). «. A Lui seul gloire et honneur dans les siècles. » (St. Paul II. Tim). Comment la néo-liturgie, si gonflée d'elle-même, a-t-elle pu en arriver à faire mentir la messe jusque dans nos cathédrales et églises orientées, quand la prière publique est tout illuminée du symbolisme solaire, par ses fêtes-clés, ses heures, son renouvellement annuel ? Cela relève de la barbarie.

 

Le fin du fin serait maintenant de rassembler autour d'une table le plus grand nombre de djellabas pour ne dire qu'une seule messe. Mieux vaut la concélébration avec les Anges dont parle la préface et qu'illustre si bien l'art de la chapelle de Versailles. Partout, entre toutes les arcades, apparaissent des Anges qui invitent l'assistance à se ressouvenir de la passion du Seigneur, pendant qu'au-dessus de l'autel d'autres se penchent avec amour ; un grand Ange guide du doigt les regards vers la voûte qui, à l'Orient, au-dessus, représente la résurrection.

 

 

LA VRAIE CONCELEBRATION

 

Si L’IGITUR relie le canon à la préface il n’est pas douteux que la préface ait attiré le SANCTUS. Elle s'achève sur la magnifique évocation des Anges que la vision d'Isaïe et l'Apocalypse montrent entourant le Trois-Fois-Saint. Le Seigneur est vraiment le « Dieu des armées célestes » : DEUS SABAOTH. La plus élémentaire connaissance de la liturgie aurait dû empêcher de traduire très déistement cette expression par « Dieu de l'univers » ou pourquoi pas plus franchement et drôlement : « Dieu des étoiles »... ! A croire que les bergers de Bethléem avaient la berlue quand ils ont fait pareille confusion et qu'ils ont entendu les astres leur parler ! Mais voilà, il ne doit plus y avoir « d'armées. » Si les Anges s'en mêlent maintenant ! Eh bien, oui, ils s'en mêlent, avec pour chef saint Michel. La néo-liturgie ne lui offre plus qu'un siège, le 29 septembre, avec les deux autres archanges et la prière de Léon XIII après la messe est une vieille lune. Le concile ne sait plus ce que c'est que « l’Eglise militante. » Dialogue et liberté partout ! La démobilisation a modifié nombre d'oraisons. Contentons-nous de la dernière en date, avant la naissance conciliaire du « chrétien d'aujourd'hui » :  la postcommunion de la fête du Christ-Roi : « Nourris de l'aliment qui donne la vie éternelle, Seigneur, nous qui sommes fiers de combattre sous les insignes du Christ-Roi, nous vous demandons de régner pour toujours avec lui dans le ciel. » Cela devient : « Après avoir partagé le pain de l'immortalité, nous te supplions, Seigneur, nous qui mettons notre gloire à obéir au Christ, Roi de l'univers, fais que nous puissions vivre avec lui, éternellement, dans la demeure du ciel. »

 

CLEMENTISSIME PATER

 

A la démilitarisation ne peut correspondre qu'un Dieu sans justice, dont on ne veut plus voir que la bonté. Mgr Baussart, auxiliaire de Paris, nous disait avant le Concile : le grand danger de notre temps est le quiétisme. Il est certain que la liturgie nouvelle penche du côté du Dieu de Marcion. Dès la traduction moderne et officielle du CLEMENTISSIME PATER, on en a le sentiment.

 

Quand Corneille intitule sa tragédie de Cinna .« la clémence d'Auguste », il emploie ce terme dans son sens exact, signifiant que la bonté s'exerce alors que ce devrait être la justice et une justice d'autant plus sévère que plus haute est l'autorité offensée et plus grave la faute. Rien ne convient mieux pour s'adresser à la divine Majesté de la part des pauvres pécheurs que nous sommes. Nous avons tant de peine à pardonner les offenses faites à nos petites et susceptibles personnes, malgré la volonté du Seigneur : « Bienheureux les miséricordieux car ils obtiendront miséricorde. » L'humilité, le sens de notre misère s'imposent en présence du Seigneur trois fois Saint. Telle est l'atmosphère générale de notre canon romain et de lui seul. Quoi de plus utile en ces temps où l'on a perdu le sens du péché parce que d'abord le sens de Dieu ? La religion rousseauiste de l'homme a tout envahi. Voilà ce que devrait combattre une liturgie adaptée aux besoins de notre temps.

 

Or il faut constater l'orientation contraire, dès la mauvaise traduction du CLEMENTISSIME PATER, Père très clément, par « Père infiniment bon » ! Sans doute le terme de clément rappelle-t-il dans notre canon l'usage du vieil empire romain (de même que le titre de « Souverain Pontife » que portaient les empereurs et que la nouvelle liturgie vient de supprimer ainsi que la messe créée par Pie XII) . Mais la Vulgate n'a pas trouvé de terme plus juste dans la prière solennelle de Moïse sur le Sinaï.

En réalité, la manie qui trahit le sens de « clémence » est la même que celle qui remplace le terme de miséricorde par amour. On semble gêné car ce qui rappelle notre misère de pécheurs. Ainsi dans la nouvelle messe du Saint Sacrement, l’épître de saint Paul est-elle écourtée de sa finale et la Communion remplacée, où l'Apôtre affirme la condamnation de qui mange et boit indignement le Corps et le Sang du Seigneur. Etait-ce pour faire d'une pierre deux coups ? Ce passage est particulièrement affirmatif du réalisme eucharistique. Autre exemple concernant cette fois le péché originel, plus ou moins passé au bleu par la mentalité actuelle et par les nouveaux catéchismes. L'oraison de la messe du Christ Roi a été amputée de l'expression PECCATI VULNERE, la blessure du péché, responsable de la division des nations ; il serait pourtant plus utile que jamais de rappeler les conséquences de la chute première, quand on s’imagine que la paix ne dépend plus que du dialogue et de la liberté. N'est-ce pas le péché originel qui affecte d'utopisme cette prétention ?

 

 

PER JESUM CHRISTUM FILIUM TUUM DOMINUM NOSTRUM

 

Les premiers mots de la Préface et du Canon mettent en la présence du « Seigneur saint, Père tout-puissant, Dieu éternel »  infiniment juste et infiniment bon ; il est la clémence même. Sa toute-puissance, il la met au service de sa miséricorde, comme dit une des plus belles oraisons du dimanche. II nous a envoyé son propre fils » chercher et sauver ceux qui étaient perdus » ; c'est-à-dire tous les hommes. Avec quelle piété, quelle reconnaissance, quelle confiance, le Prêtre prononce-t-il le «« Par Jésus-Christ votre Fils Notre Seigneur » PER JESUM CHRISTUM FILIUM TUUM, DOMINUM NOSTRUM. Jésus est le Fils de Dieu, l'objet de toutes ses complaisances. Impossible de mesurer l'amour qui l'unit au Père et qui est le Saint-Esprit. Comme Dieu, il est notre Créateur et Providence, personne n'échappe à son domaine. Comme homme, il est le premier de toutes les créatures, prenant leur tête, agissant et parlant en leur nom. Comme Sauveur, il est l'inépuisable source du pardon pour celui qui fait humblement pénitence. Quelle merveille que cette médiation qui relie terre et ciel ! Quelle joie, spéciale au canon romain d'y répéter plusieurs fois le PER CHRISTUM DOMINUM NOSTRUM en attendant qu'il s'épanouisse dans cette extraordinaire et sublime finale, si belle que les nouvelles « prières eucharistiques » ont dû l'emprunter.

 

Le prêtre lève solennellement les mains et ses yeux se portent au ciel en même temps que sur le crucifix. Il s'incline ensuite profondément pour baiser l'autel dont les cinq croix gravées rappellent les cinq plaies du sauveur et qui contient des reliques de martyrs et confesseurs entraînés par sa grâce dans son sacrifice. La messe se célèbre donc aussi a « en l'honneur » des saints, comme le rappelle la dernière oraison de l'offertoire (maintenant supprimée) . Nous comprenons que le Seigneur se rend à nouveau présent pour nous associer comme eux à son oblation sacrificielle à son père.

 

Par cette profonde inclination, le prêtre se considère tout le premier indigne des mystères qu'il va célébrer ;  il avait eu soin de le confesser franchement dans la première oraison d'offertoire (aujourd'hui disparue) . Le mot latin SUPPLICES qui accompagne son geste comme il l’accompagnera également dans le SUPPLICES TE ROGAMUS d'après la consécration, est un terme très fort. Il rappelle l'attitude du condamné offrant sa tête au glaive de la justice (d'où notre mot a supplice »). Mais ici le prêtre sait que le Christ est mort à notre place, car lui seul pouvait expier nos fautes. Alors, devant un tel amour, les mots se pressent sur ses lèvres : « Humblement prosternés, nous vous demandons, nous vous conjurons d'avoir pour agréables et de bénir ces dons, ces présents, ces offrandes saintes et pures ». Et à chacun de ces trois mots, le prêtre trace le signe de la croix sur les oblats pour signifier qu'ils vont être la matière du renouvellement sacramentel du sacrifice du Calvaire. Au cours du canon romain, le prêtre renouvellera souvent ces signes qui sont en même temps des bénédictions tant que la consécration n'est pas faite. Après ces bénédictions, le prêtre garde les mains levées en position d'orant, comme dans les catacombes. La sobriété et l'heureux conservatisme romain n'ont pas admis les bras étendus en croix comme au Moyen Age.

 

Il prie d'abord (IN PRIMIS) pour la paix, la garde, l’unité, l'heureux gouvernement de l'Eglise tout entière dont il est, à la messe, le représentant consacré. Il l'appelle clairement « catholique » ; l' « Unique peuple des rachetés »  a un nom précis. Daigne le Père entourer la nouvelle Jérusalem d'un rempart et d'un avant-mur de défense. Daigne Dieu poster sur ses murailles des gardes vigilants, soucieux de ne point laisser pénétrer l'erreur qui divise et qui démolit jusqu'à l'autorité puisque la foi seule nous fait reconnaître le successeur de Pierre comme jouissant après le chef des Apôtres du privilège et du devoir de confirmer ses frères. » Pour lui, le Seigneur a prié afin qu'il ne défaille pas. Pour lui, nous vous prions nous-mêmes, ô Père très clément, ainsi que pour notre évêque et pour tous ceux qui sont dans la droite doctrine, qui partagent avec nous la même croyance catholique et apostolique ».

 

Notre traduction vient de choisir l'application de la finale de la première prière du canon aux fidèles en général. La traduction officielle ne parle que de la hiérarchie : « Nous vous présentons nos offrandes en même temps pour votre serviteur notre Pape N., notre évêque N., et tous ceux qui veillent fidèlement sur la foi catholique. » Comme nous en avons tous  « la garde obligée », selon Dom Guéranger, le texte officiel ne pose pas de problème. Il confirme lui-même l'insistance de notre commentaire sur le CUSTODIRE, c'est-à-dire la sauvegarde, la défense, le maintien d'une foi exacte, vraiment catholique et apostolique. Aucune prière eucharistique nouvelle ne présente la même caractéristique. Il est toujours loisible d'arguer qu'il n'est pas possible de tout dire à propos de tout, mais il est tout de même étrange que dans un canon aussi court que celui d'Hippolyte, ait été supprimée la demande finale d'être « confirmés dans la foi »...

 

Dans la traduction officielle, basée sur une étude critique de Dom Batte, l'UNA CUM ou « en union avec » des sédévacantistes de toute nuance n'équivaut plus qu'à la conjonction « et » renforcée soit pour le besoin de reprendre la phrase, soit pour correspondre au style solennel du canon romain. De toute façon, tout catholique reste toujours en union avec le Pape dans la sphère précise où s'exerce l'assistance divine, infaillibilité confirmée par le fait que dès qu'il y a écart de la tradition dogmatique, le discours papal s'empêtre dans des contradictions.

 

Recueillons le bon grain, sachant que pour le reste, il est plus nécessaire que jamais de demander à Dieu, avec les très antiques Litanies Majeures, que soient « conservés dans la sainte religion » les « ordres ecclésiastiques » et le « Seigneur apostolique » lui-même : UT DOMINUM APOSTOLICUM ET OMNES ECCLESIASTICOS ORDINES IN SANCTA RELIGIONE CONSERVARE DIGNERIS, TE ROGAMUS, AUDI NOS.

 

 

VII - MÉMENTO DES VIVANTS

 

MEMENTO, DOMINE, FAMUL OR UM, FAMULARUMQUE TUARUM... ET... ET OMNIUM CIRCUMSTANTIUM, QUORUM, TIBIFIDES COGNITA EST, ET N07A DEVOTIO, PRO QUIBUS TIBI OFFERIMUS, VEL QUI TIBI OFFERUNT HOC SACRIFICI UM LA UDIS PRO SE, SUISQUE OMNIBUS PRO R117DEMPTIONE ANIMAR UM S UAR UM, PRO SI'E SAL UTIS ET INCOLUMITATIS SURE TIBIQUE REDDUNT VOTA SUA,ETERNO DEO, VIVO ET VERO.

 

Souvenez-vous, Seigneur, de ceux que nous Vous recommandons, vos serviteurs et vos servantes... et de tous les fidèles ici présents, dont Vous connaissez la foi et la piété. Nous Vous offrons ce Sacrifice de

louange et ils Vous ,offrent, pour eux-mêmes et pour leur famille. Ils en attendent la rédemption de leurs âmes, leur salut et leur conservation. C'est à Vous qu'ils offrent leurs vœux, à Vous le Dieu éternel, vivant et véritable.

 

 

MEMENTO DES VIVANTS

 

GLORIA FILIORUM PATRES EORUM.

 

« souvenez-vous, seigneur de vos serviteurs...

et de vos servantes... : FAMULORUM FAMULARUMQUE TUARUM.

 

Pour les prières nouvelles, le Pape seul a droit au titre de serviteur, mais pas les simples fidèles, sauf dans les oraisons des défunts, nous verrons pourquoi. Les Pères Roguet-Rouillart pitoyables traducteurs du MEMENTO romain, ont mis le mot « serviteur » entre parenthèses et celui de servante a disparu, démocratie oblige. Rien n'est plus beau pourtant que de se vouloir les serviteurs et les servantes de Dieu. Quelle assurance d'être entendu, d'être exaucé, que de faire partie de sa maison ! Nous avons été créés pour l’aimer et pour le servir. La liberté nous a été donnée pour cela, pour que nous en ayons le mérite. En soi, elle n'existe pas, elle n'existe qu'en s'exerçant et elle s'exerce d'autant plus qu'elle entre dans les vues du Seigneur qui seul est libre parce que tout-puissant. Les moins libres des hommes sont ceux qui croient l'être le plus, les dévergondés sans loi, esclaves de leurs mauvais instincts. Les plus libres des hommes sont les serviteurs et servantes de Dieu. Ces expressions-là, il convient au plus haut point de les garder.

 

Que demande pour eux le prêtre, pour « ceux dont la foi et la piété sont connues », présents ou absents ? .« La rédemption de leurs âmes, la sécurité et le salut qu'ils espèrent. » Il faut mettre l'accent sur ce mot d'âme ; il n'a plus cours que dans le canon romain où les traducteurs ont d'ailleurs trouvé le moyen de l'éliminer. Or il s'agit d'un terme capital nécessaire à « l'homme d'aujourd'hui. » Pour notre époque matérialiste, l'âme n'existe plus et cette erreur a pénétré jusque dans l'Église, cette « vigne ravagée » déplorée par von Hildebrand ; il a relevé « la négation de l'immortalité de l'âme, de la distinction entre âme et corps chez le R.P. Schillebeecks » (V.R. p. 22-23). ,. Le mythe de l'âme immortelle vient de l'Orient » écrit sans barguiner un certain Frère Pierre Pascal (La Vie Catholique illustrée : 23.07.1975). Le judaïsme antique ne le connaît pas. Pour la Bible, quand l'homme disparaît tout s'en va. Il a pourtant cette promesse qu'à la fin des temps, il sortira du néant où la mort l'aura plongé pour ressusciter corps et âme. Plus tard la théologie chrétienne a repris pour son compte la croyance à l'immortalité de l'âme. Aujourd'hui toutefois certains croyants et certains théologiens remettent en question cette conviction. Cette dernière ne fait d'ailleurs pas partie de l'affirmation centrale de la foi : « le Christ est ressuscité ; lorsqu'il viendra, nous ressusciterons avec lui. .» A se demander le cas que ce théologien moderne fait du CREDO que le Pape Paul VI estima nécessaire de publier lors de « l'Année de la Foi. » Le Pape y insistait volontairement sur l'existence de l'âme immortelle. Eh bien, la non-traduction d'ANIMA, l'âme, dans le canon romain n’est pas innocente parce que la même suppression a défiguré le DOMINE NON SUM DIGNUS d'avant la communion. Bien pis le nouveau NON SUM DIGNUS récité une seule fois, prêtre et fidèles ensemble, ne comporte plus L'ANIMA même en latin . Elle s'est envolée jusque des nombreuses oraisons pour les défunts remplacée par un « serviteur » bien utile. Qu'est-il besoin alors de prier pour les défunts puisqu'ils n'existent plus ? Que signifie au juste l'expression des nouvelles prières sur la mort « dans l’espérance de la résurrection » ? A l'instant suprême, est-ce à la résurrection de nos corps que nous pensons ou bien à paraître aussitôt devant Dieu, à le rejoindre enfin dans sa lumière ?

 

 

VIII - COMMUNICANTES

 

 

COMMUNICANTES ET MEMORIAM VENERANTES IN PRIMIS GLORIOSe SEMPER VIRGINIS MARLIE GENITRICIS DEI ET DOMINI NOSTRI JESU CHRISTI : SED ET BEATI JOSEPH, EJUSDEM VIRGINIS SPONSI ET BEATOR UM APOSTOLOR UM AC MARTYRUM TUORUM PETRI ET IAULI, ANDREIE, JACOBI, JOANNIS, THOMIE, JACOBI, PHILIPPI, BARTHOLOMIEI, MATTHIEI, SIMONIS, ET THADDIEILINl, CLETI, CLEMENTIS,XYSTI, CORNELII, CYPRIANI, LAURENTH, CHRYSOGONI, JOANNIS ET PAULI, COSMIE ET DAMIANI : ET OMNIUMSANCTOR UM T UOR UM QUORUM MERITIS PRECIBUSQUE CONCEDAS, UT IN OMNIBUS, PROTECTIONIS TUIE MUNIAMUR AUXILIO. PER EUMDEM CHRISTUM DOMINUM NOSTRUM. AMEN.

 

Unis avec eux dans une même communion, nous vénérons la mémoire de la glorieuse Marie toujours Vierge, Mère de notre Dieu et Seigneur Jésus-Christ, et ensuite du bienheureux Joseph, époux de la Vierge, et de vos bienheureux Apôtres et Martyrs, Pierre et Paul, André, Jacques, Jean, Thomas, Jacques, Philippe, Barthélemy, Matthieu, Simon et Thadée, Lin, Clet, Clément, Xiste, Corneille, Cyprien, Laurent Chrysogone,Jean et Paul, Côme et Damien et de tous vos Saints. Parleurs mérites et leur intercession, daignez nous accorder en toutes choses le secours de votre protection. Par le même Jésus-Christ Notre Seigneur. Ainsi soit-il.

 

 

MORIBUS ANTIQUIS RES STAT ROMANA VIRISQUE  (ENNIUS)

 

Le COMMUNICANTES occupe une place importante dans le canon romain et c'est une grave erreur d'avoir rendu facultative la liste des martyrs nommément commémorés. Car nous avons là un écho de ces a litanies » qui furent l'une des expressions liturgiques les plus primitives. Nous y retrouvons aussi l'atmosphère virile des premiers siècles de l'Église où le sang des martyrs fut une semence de chrétiens. Avant de songer à célébrer les saints « confesseurs » (c'est-à-dire non-martyrs), ce sont les héros qui avaient répandu leur sang pour le Christ et en union avec lui qui étaient tétés, vénérés par dessus tout.

 

Il n'est encore question que d'eux dans notre canon romain comme dans notre antique TE DEUM qui nous en exalte . « la blanche armée. » Armée, le mot est très juste, car qu'il s'agisse de la période décrite par les Actes des Apôtres où les chrétiens sont, dans leurs chefs, en butte à la haine juive, qu'il s'agisse des siècles de la persécution romaine, non sans lien avec la première, où les disciples du Christ furent poursuivis et martyrisés par un puissant empire qui s'imaginait menacé et qui ne pouvait accepter une religion allant à l'encontre de ses jeux et de ses débauches-, les premiers chrétiens ne se laissèrent pas assimiler aux autre, refusèrent de faire brûler l'encens sur les autels des « divins empereurs. » Il faut imaginer ce qu'il a fallu, dans ces premiers âges, de grâces, de foi et de courage, accompagnés souvent de miracles bien nécessaires, pour venir à bout de tels obstacles, pour soulever la lourde chape du paganisme où tout était dieu excepté Dieu lui-même, pour faire de la capitale de l'erreur celle de la vérité, de la puissance terrestre acquise par le fer, une puissance acquise par la croix, inversant ROMA en AMOR.

 

Est-ce qu'il n'y a pas sans cesse à en remercier le Ciel ? Que les prières eucharistiques sorties de bureaux modernes confortablement tapissés n'y aient pas songé, cela s'explique, hélas ! Mais que le canon d'Hippolyte appelé « tradition apostolique » et composé avant la paix de Constantin ne comporte aucune mention des martyrs n'est pas à son honneur.

 

Il ne parle même pas, quel étrange oubli chez un prêtre de Rome ! de saint Pierre et de saint Paul qui ont fondé la ville éternelle dans leur sang. Ils ne sont pas non plus cités par les deux autres eucharisties. C'est le black-out complet, collégialisme oblige. Le nouveau CONFITEOR ne connaît plus les deux grands apôtres. Et la nouvelle messe achève de les enterrer en supprimant les deux oraisons qui les nommaient : la dernière de l’offertoire et celle amputée qui suit le PATER. L'oraison du 22 février, fête de « la Chaire de saint  Pierre », parlait du pouvoir des clefs (plutôt gênant) ; elle est remplacée par une autre, glissante, où l'Église est fondée non sur Pierre mais « sur la foi de Pierre », à savoir, disent les Protestants, sa déclaration : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant... » L'esprit anti-romain de Vatican II se couvrait par exemple d'une opposition possible mais anormale : l'autorité est mi service, non un pouvoir (Cf. Fesquet, Le Monde, 22.10.63).

 

 

IN PRIMIS GLORIOSIE SEMPER VIRGINIS MARIAE

 

La bienheureuse Vierge Marie, Mère de notre Dieu et Seigneur Jésus-Christ, figure dans toutes les prières, mais dans le CONFITEOR nouveau, le mot toujours Vierge, SEMPER, n'a pas été traduit. Cette précision est même absente dans les trois nouvelles prières. Dans le canon romain, c'est le titre de glorieuse, GLORIOSIE, qui n'a pas eu l'heur de plaire aux Révérends RogucbRouillart. Il était pourtant appelé par son humilité même et par sa conséquence, la gloire de l'Assomption en corps et en âme. Marie n'est-elle pas la Reine des Martyrs, elle dont le coeur fut transpercé, au pied de la croix, du glaive mystérieux qui rappelle celui de l'Ange gardant l'accès du Paradis fermé ? Désormais, la nouvelle Eve nous en rouvre la porte. Il n'est pas certain cependant, que la mention de la Mère de Dieu soit aussi ancienne dans le canon que celle de saint Pierre et de saint Paul.

 

On sait qu'au Concile lorsque le Pape consacra le titre de «« Marie mère de l'Église », il y eut quelque mauvaise humeur. Alors qu'on eût attendu le titre de Marie-Corédemptrice, on a senti passer le

vent protestant. La liturgie nouvelle est même retournée à la froideur janséniste : désormais le titre d'« Annonciation de la Bienheureuse Vierge Marie » a livré la place à l'« Incarnation du Fils de Dieu. » Mgr d'Astros s'étonnait de ce que Dom Guéranger n'approuvât pas pareille nouveauté gallicane. Il lui disait : « Célébrer la grandeur du Fils, n'est-ce pas exalter la gloire de la Mère ? »

 

Le grand « Docteur de la liturgie » répondait :

« Non, Monseigneur, célébrer les grandeurs de la Mère, c'est exalter la gloire du Fils. » (Dot. d'Astros, p.194).

 

De même la « Purification » de Notre-Dame a cédé la place à la « Présentation du Seigneur » dans la néo-liturgie, alors que la très humble obéissance de la Toute-Pure lui donne une grandeur qui montre mieux son rôle de Nouvelle Eve prenant l'initiative de racheter à Dieu Celui qui nous a rachetés pour Dieu par cette obéissance et cette humilité de la croix qui a réparé l'orgueil d'Adam. Dans le même esprit de la gloire de Marie, il eût été sage de laisser au 2 juillet la « Visitation de Notre-Dame » car, à cette date, elle complète le mystère de la Naissance de Jean-Baptiste fêtée huit jours plus tôt. Elle met en relief le fait que la première annonce du Précurseur, dès le sein de sa mère, a été pour exalter la dignité de Marie. Bien sûr, la fête de la Royauté de Notre-Dame pouvait être repoussée du dernier jour du mois de Marie à l'octave de l'Assomption ; mais c'est la fête du Cœur immaculé de Marie qui eût alors convenu au trente-et-un mai. D'autant que le transfert de la Visitation à ce jour-là s'explique mal. Partie aussitôt le 25 Mars et en toute hâte chez sa cousine Elisabeth, la Vierge n'a pas dû mettre jusqu'à deux mois pour arriver... Il n'y avait vraiment pas de quoi vanter ce changement. Relisons plutôt la belle page de saint Ambroise à ce sujet dans son commentaire de saint Luc.

 

 

LA PREMIERE LISTE DES SAINTS

 

On sait que Jean XXIII introduisit saint Joseph dans le canon. Ce ne fut pas sans protestation de « l'aile marchante. » Soucieux déjà du futur 89 de l'Église, le P. Congar regretta cette insertion « motu proprio », tandis que les Informations Catholiques Internationales opposaient à ce changement l'excellent conservatisme orthodoxe. Elles se sont bien rattrapées depuis. Désormais la mention de saint Joseph reste une prérogative du canon romain.

 

Après le saint époux de Marie commence une liste de vingt-quatre noms où aux douze disciples répondent symétriquement douze martyrs : cinq papes, à partir du premier successeur de Pierre, un évêque, saint Cyprien, un diacre, saint Laurent, troisième protecteur de Rome, et cinq laïques. L'ordre hiérarchique est observé. Le dernier pape cité, Cornelius, est mort en 253. Saint Cyprien, évêque de Carthage, fut martyrisé en 258.

 

A plusieurs reprises, saint Augustin a prononcé son panégyrique, mais déjà son culte était célébré à Rome. Tous les autres martyrs étaient de même populaires dans la ville éternelle qu'ils en soient ou non originaires, mais tous y avaient leurs reliques, sauf saint Cyprien l'Africain.

 

Dans la liturgie propre à d'autres églises, par exemple la messe ambrosienne de Milan, la liste ne mantionnait que les saints locaux. Mais l'esprit du diptyque romain est le même. C'est pour les prêtres qui énumèrent ces noms glorieux un acte de romanité. C'est affirmer aussi que la « chose romaine », RES ROMANA, comme s'exprimait le vieil Ennius doit à ses martyrs, à leur courage, à leur foi insigne, sa prééminence et sa stabilité.

 

A une époque où l'empire romain aimait se réclamer des hommes illustres qui avaient fait sa rondeur, le saint Augustin de la Cité de Dieu pouvait écrire fièrement après Tertullien que d'autres héros les avaient surpassés : « Convoite plutôt notre bonheur, ô nature romaine si digne d’éloges- Garde-toi de le confondre avec l'infâme frivolité et l’imposture des idoles ! Les dons naturels qui méritent en toi des louanges, seule la vraie piété peut les purifier et les parfaire ; l’impiété, elle, les gaspille et attire sur eux le châtiment... Autrefois tu as connu la gloire cocaïne nation, mais par un mystérieux jugement de la divine Providence, la vraie religion a manqué à ton choix. Réveille-toi, il fait jour ! Comme tu tes réveillée en certains des tiens dont la vertu parfaite et mime les souffrances endurées Pour la vraie foi sont notre gloire ! En se dressant sans répit contre les puissances les plus hostiles et en triomphant par leur mort courageuse, ils nous ont, par leur sang, enfanté notre patrie : SANGUINE NOBIS IIANC PATRIAM PEPERERE SUO (Enéide, XI, 24-25). C'est cette patrie que nous t'invitons à rejoindre... C'est dans cette patrie que tu régneras véritablement et toujours, car là ce n'est plus le foyer de Vesta ni la pierre du Capitole, c'est le Dieu unique et véritable « qui ne fixe à ta puissance ni bornes ni durée et te donnera un empire sans fin „ : NEC ME7AS RERUM TEMPORA PONIT IMPERIUM SINE FINE DABIT (Enéide 1, 278-279). Renonce à te tourner vers les dieux faux et trompeurs ! Rejette-les plutôt avec mépris, dans ton essor vers la vraie liberté : IN VERAM EMICANS LIBERTATEM (II, XXIX, 1-2). » Voilà le souffle qui passe dans l'antique et incomparable canon de la Rome catholique, notre mère, écrivions-nous dans Itinéraires (n 230). C'est moins que jamais le moment de s'emberlificoter dans les méandres et les compromissions d'une diplomatie qui ne sauve rien ou dans la naïveté d'un pacifisme invertébré. L'Église a besoin de savoir que ce que le monde inquiet attend d'elle est tout autre chose pour réaccéder à la « vraie liberté »», celle qui ne peut à nouveau briller que par une Rome forte, sainement rajeunie. IN VERAM EMICANS LIBERTATEM.

 

Le canon romain compte sur le trésor des mérites des Saints. Cela n'est pas protestant. Aussi le trésor est-il épuisé pour les nouvelles Prières. On ne profite plus de ces mérites.

 

Le COMMUNICANTES des grandes tètes de Noël, de l'Épiphanie, de Pâques, de l'Ascension, de la Pentecôte comporte l'insertion d'une formule appropriée où la distinction de Noël et de l’Épiphanie est fort claire. Et à Pâques comme à l'Ascension, le réalisme de la Résurrection n'est pas moins affirmé que pour l'Ascension où Notre Seigneur nous est montré entrant au Ciel avec notre nature : une belle correction pour les nouveaux catéchismes.

 

Dom Guéranger raconte, dans l’ANNÉE LITURGIQUE, pour le 5 Mai, fête de saint Pie V :

 

« Traversant un jour, avec l'ambassadeur de Pologne, la place du Vatican, qui s'étend sur le sol où fut autrefois le cirque de Néron, il (le saint Pape) se sent saisi d'enthousiasme pour la gloire et le courage des martyrs qui souffrirent en ce lieu dans la première persécution. Il se baisse, et prend dans sa main une poignée de poussière dans ce champ du martyre, foulé par tant de générations de fidèles depuis la paix de Constantin. Il verse cette poussière dans un linge que lui présente l’ambassadeur ; mais lorsque celui-ci, rentré chez lui, ouvre le linge, il le trouve tout imprégné d'un sang vermeil que l'on eût dit avoir été versé à l'heure même : la poussière avait disparu.

 

La foi du Pontife avait évoqué le sang des martyrs, et ce sang généreux reparaissait à son appel pour attester, en face de l'hérésie, que l'Église romaine, au XVIème siècle, était toujours celle pour laquelle ces héros avaient donné leur vie sous Néron. »

L'Église est le Christ continué, même dans sa Passion.

 

L'insistante mémoire des martyrs au Canon romain (ainsi que les reliques dans l'autel) est chose fondamentale, dans la logique de l'Incarnation. L'Église, née du cœur percé de Jésus, devait être fondée dans le sang des martyrs. Cela reste la loi de sa perpétuité et la messe en est le sacrement. Si la messe n'est pas un sacrifice entraînant le nôtre, la foi est vaine car la résurrection qui la fonde n'a plus de raison d'être.

 

Saint Grégoire le Grand, chaque dimanche de Quasimodo, commente ainsi la parole de Notre Seigneur « Comme mon Père m'a envoyé, ainsi je vous envoie » :  « Le Père a envoyé le Fils, en décrétant qu'il s'incarnerait pour la rédemption du genre humain. Il a voulu qu'il vînt dans le monde pour y souffrir et quoiqu'il ait exposé son Fils à la souffrance, il n'a pas laissé de l'aimer. Aussi les Apôtres qu'il a choisis, le Seigneur ne les envoie-t-il pas dans le monde aux joies du monde, mais Il les envoie, comme Il a été envoyé lui-même, à la souffrance. Or comme le Père aime son Fils quoiqu'il l'expose à la croix, ainsi le Maître aime ses disciples quand il les envoie pourtant par le monde pour y souffrir. Comme mon Père, dit-il, m'a envoyé, moi aussi je vous envoie, c'est-à-dire, lorsque je vous expose aux embûches des persécuteurs, je vous aime de ce même amour dont m'aime mon Père . » Et quel amour infini !

 

La distance est vraiment infranchissable entre la messe catholique et la Cène-repas commémoratif, entre la vraie pensée chrétienne et le prétendu Père-bourreau » imaginé par les « ouverts-au-monde » conciliaristes et conciliants.

 

 

IX - HANC IGITUR

 

HANC IGITUR OBLATIONEM SERVITUTIS NOSTRAE, SED ET CUNCTIE FAMILLE ME, QUAESUMUS, DOMINE, UT PLACATUS ACCIPIAS, DIESQUE NOSTROS IN TUA PACE DISPONAS, ATQUE AB IETERNA DAMNATIONE NOS ERIPI ET INELECTORUM TUORUM JUBEAS GREGE NUMERARI: PER CHRISTUM DOMINUM NOSI RUM AMEN.

 

 

Cette oblation de notre servitude qui est aussi celle de toute votre famille, nous Vous prions donc, Seigneur, de la recevoir favorablement ; établissez nos jours dans votre paix, délivrez-nous de la damnation éternelle et admettez-nous au nombre de vos élus. Par Jésus-Christ Notre Seigneur. Amen.

 

 

HANC IGITUR

 

Avant de prononcer cette prière et pendant ,out le temps qu'il la récite, le prêtre tient les deux mains étendues au-dessus de l'hostie et du calice. Cette imposition des mains, dans le rite eucharistique, est déjà représentée sur une fresque de la Catacombe de Callixte (IIIème siècle). II s'agit de la sanctification des oblats destinés au sacrifice.

 

Comme la prière s'adresse à un Dieu fléchi, rendu propice, apaisé, PGACA7'US, l'idée de propitiation, d'expiation y est nettement marquée. Le geste de l'imposition des mains a fini alors par s'imposer, rejoignant le sens du Lévitique (I, 4 et XVI, 20-21). Le grand prêtre, le jour de l'Expiation, tendait les mains sur la tête du bouc vivant pour le charger des iniquités des enfants d'Israël avant de l'envoyer au désert. Le prêtre chrétien se souvient que le Seigneur Jésus a assumé tous nos péchés pour apaiser son Père offensé. L'HANC IGITUR traditionnel est dans la parfaite ligne du Saint-Sacrifice offert pour la rémission de nos péchés. Eh bien, l'imposition des mains n'aura plus ce sens car la nouvelle manière d'accommoder le canon romain ne permet plus au prêtre ce geste expiatoire. Il est réduit à sa plus simple expression aux premiers mots de la prière suivante. Même brièveté dans les trois anaphores nouvelles (11, TIl et IV). Quant à la traduction Roguet-Rouillart, elle est pleinement aseptisée, sinon trahie :

 

« Voici l'offrande que nous présentons devant toi, nous, tes serviteurs et ta famille entière ; dans ta bienveillance, accepte-là. Assure toi-même la paix de notre vie, arrache-nous à la damnation et reçois-nous parmi Les élus. »

 

Qui les empêchait, ces bons Pères, de parler de la damnation éternelle comme dans le texte. Toujours la même crainte d'effrayer qui a fait supprimer, on l'a vu, ce début de consécration dans le canon d'Hippolyte : « Il s'est livré à la Passion pour abolir la mort, briser les liens du diable, fouler aux pieds l'enfer. » Mais enfin, le Seigneur est bien venu pour chasser et vaincre celui qu'il appelait redoutablement « le Prince de ce monde. » Et comment, sinon par sa croix ? EL que renouvelle la messe, sinon cette victoire ? Il y a déjà des années que la mémoire de la croix a été supprimée pendant le Temps pascal, et plus longtemps encore la solennelle vénération de la Croix le jour de Pâques dans la liturgie gallicane ; mais enfin que penser de la récente suppression de la messe votive de la Sainte Croix ? Et du remplacement de la communion du 14 Septembre qui osait dire ; « l'or le signe de votre Croix, Seigneur, délivrez-nous de nos ennemis ., ? Il y aurait encore à dire à ce sujet, mais le pire, à notre avis, c'est l'épuration des oraisons de saint Camille de Lellis. En accord avec l'apostolat des Camilliens, il était demandé de pouvoir . au moment de la mort, vaincre le démon, notre ennemi, et parvenir à la récompense du ciel », de « recevoir consolation et sécurité dans la dernière agonie », d'« être réconfortés, à l'heure de notre mort, par les sacrements et purifiés de toutes nos fautes. » Tout cela se réduit à quelque chose qui fera pâmer d'admiration qui ne peut plus se reporter au missel traditionnel : « Répands en nous ton esprit d'amour, et quand nous t'aurons servi dans nos frères, nous pourrons, à l'heure de quitter ce monde, nous en aller vers toi en toute paix. » I1 n'y a plus qu'à dire AMEN .

 

A l’HANC IGITUR habituel s'ajoute à Pâques et pendant son octave une prière spéciale pour les nouveaux baptisés que le Seigneur « a daigné faire renaître dans l'eau et l'Esprit‑Saint » afin de leur accorder « le pardon de tous leurs péchés. » Il en est ainsi à la Pentecôte. L'Épître et les chants de la Vigile ainsi qu'une antienne de Vêpres rappellent aussi qu'avant 1956 cette grande fête était l'occasion, aux premiers siècles, de baptiser les catéchumènes qui n'avaient pu l'être à Pâques.

 

Ce qui a disparu ensuite avec la nouvelle liturgie, c'est l'octave de la Pentecôte .

 

 

OBLATIONEM SERVIT UTIS NOSTRAE SED ET CUNCTAE FAMILIAE TUAS.

 

Dans l’ HANC IGITUR comme dans la prière qui suit la consécration appelée « l'anamnèse », la distinction est faite entre l'oblation du prêtre et celle des fidèles, appelés ici « la famille de Dieu » et là « son peuple saint. » Ils offrent en tant que devenus prêtres par le baptême, mais le prêtre par la vertu du sacrement de l'ordre. Toute confusion sur ce point est hérétique. « On répète cette vérité incontestable en elle‑même, mais dont il est facile d'abuser... que le peuple offre avec le prêtre, afin d'étayer ce laïcisme... qui apparut avec un si éclatant triomphe dans la Constitution civile du clergé », écrivait Dom Guéranger dans les dernières pages de sa sévère et lucide critique de la liturgie de ce XVIIIème siècle où, comme de nos jours, « l'indifférence, le mépris, l'oubli même du passé fut « la grande maladie des hommes. »

 

La même prétention marqua au XVIème siècle la révolte protestante. Dans l'Ouest, autrefois, il n'y avait pas de « ramassage » (!) scolaire, bien que le bourg et donc l'école fussent éloignés souvent d'une demi‑heure, quelquefois plus. Par groupes de villages, les « gars » ‑ qui ne partaient pas à la même heure que les « filles » ‑cheminaient cartable au dos. Les routes ne sont pas droites en pays de bocage ; bordées d'arbres étêtés pendant l'hiver pour le feu des maisons, elles peuvent à un tournant réserver quelque surprise, par exemple l'apparition d'un âne ‑ (il n'y en a plus maintenant qu'au figuré) . Le premier des gamins qui apercevait l'innocent animal s'empressait de saisir la casquette de son voisin, la jetait dans le fossé en disant : « Tu as salué le ministre ! » Rien n'était plus déshonorant... Des batailles s'en suivaient. Cet âge est sans pitié...

 

D'où venait la curieuse coutume ?

 

D'un temps déjà lointain où les luttes religieuses troublèrent la paix de la Tradition. Les catholiques, pour se préserver d'une propagande exaspérante, associèrent à l'âne, que ses disgracieux et sonores braiements font passer pour « bête », le « ministre » ou pasteur protestant qui prétendait après quinze siècles réapprendre aux chrétiens leur religion.

 

Autre temps, autres mœurs. Dépassons l'écorce des choses pour atteindre la réalité. La vérité, c'est qu'il y a, bel et bien, une distinction profonde, inchangée, inchangeable, entre catholicisme et protestantisme. Les Réformés ne reconnaissent pas le sacerdoce, le caractère spécial divinement conféré par le sacrement de l'Ordre. Pour eux, essentiellement, tout chrétien est prêtre et roi au titre de son baptême. S'il y a des « pasteurs », c'est par spécialisation purement sociale et non sacramentelle ; ils sont des prédicants plutôt que des consécrateurs ; ils sont au service de la communauté comme « ministres », comme exerçant en son nom une fonction, un point, c'est tout.

 

'Voici ce que déclarait Luther en 1520 : « La première muraille élevée par les Romanistes est la distinction des clercs et des laïcs. On a découvert que le Pape, les évêques, les prêtres... composent l'état ecclésiastique, tandis que les princes, les seigneurs, les artisans, les paysans, forment l'état séculier. C'est une pure invention et un mensonge. Tous les chrétiens sont en vérité de l'état ecclésiastique, il n'y a entre eux aucune différence que celle de la fonction... Tout ce qui sort du baptême peut se vanter d'être consacré prêtre, évêque et pape, bien qu'il ne convienne pas à tous d'exercer cette fonction. »

 

Le pasteur Leplay, dans les « Études » d'Avril 1976, ne parle pas autrement : « Il nous faut rappeler d'abord l'importance fondamentale et l'actualité permanente, pour le protestantisme, de la doctrine du sacerdoce universel. Elle fut une des grandes institutions des Réformateurs et la plus annonciatrice des temps modernes. »

 

Rien de plus exact que ceci : les Réformateurs ont posé, sur le plan religieux, les bases de l'égalitarisme, dogme premier des démocraties, voie toute tracée vers l'égalitarisme communiste.

 

Ils l'ont fait en éliminant ou en vidant de sa substance le sacrement de l'Ordre, ce sacrement de l'action divine qui, comme son beau nom l'indique, structure le catholicisme.

 

Dès lors, tout ce qui atteint de nos jours le sacerdoce traditionnel et authentique doit être considéré comme de capitale importance. L'ordre même de la société s'en ressent.

Or il s'opère aujourd'hui dans l'Église un envahissement sournois du protestantisme égalitaire. Cela ne se fait pas par des affirmations ou des négations claires qui seraient aussitôt condamnées ou perçues de tous, mais par des mœurs, des façons d'agir et de se comporter, des nouveautés liturgiques, insensibilisant petit à petit les intelligences au risque de leur ôter, plus ou moins tôt, la faculté de réagir.

 

Au nombre des graves dangers dont la néo‑liturgie ne nous défend plus, le principal est l'oblitération du rôle sui generis du prêtre, seul sacrificateur et « donneur de sacré » comme signifie le terme de « sacerdoce. »

 

A la messe il agit persona Christi c'est‑à‑dire tenant le rôle du Christ, médiateur avec lui entre le ciel et la terre, par la grâce du sacrement de l'Ordre. Il n'est pas le délégué de la communauté des fidèles ou le simple président de l'Eucharistie. Sans lui il ne peut y avoir de consécration et donc de présence réelle substantielle ; et sans cette présence, il n'y a pas sacrifice. La messe n'est plus qu'une Cène, un partage communautaire dans le ressouvenir de la Passion du Seigneur.

 

Comme les fidèles n'entendent pas le prêtre récitant le canon et bien que ce silence même exprime qu'il s'agit d'une prière consécratoire proprement sacerdotale, la distinction que fait alors le célébrant entre le « peuple saint » et lui, est rendue sensible, ailleurs par un CONFITEOR propre et un DOMINE NON SUM DIGNUS propre et une communion séparée de celle de l'assistance jusqu'à la réservation au prêtre de la communion au Précieux Sang. Or ces différences visibles ont disparu de la nouvelle messe. Pis encore, la complaisance oecuméniste est allée jusqu'à la traduction‑trahison de la réponse du peuple à l'invitation sacerdotale de l'ORATE FRATRES. Alors qu'il eût fallu traduire : « Que le Seigneur reçoive de vos mains le sacrifice à la louange et à la gloire de son nom, ainsi que pour notre bien et celui de la sainte Église », on impose maintenant :

 

« Prions ensemble, au moment d'offrir le sacrifice de toute l'Église. » Comme si cela ne suffisait pas, on a supprimé toutes les prières où le prêtre parle en son nom, employant un je ou EGO sans confusion, à savoir la première oraison de l'Offertoire : SUSCIPE, SANCTE PATER et le PLACEAT de la fin de la messe, expressément voulu par saint Pie V et que voici : « Agréez, Trinité sainte, l'hommage de votre serviteur : ce sacrifice que malgré mon indignité j'ai présenté aux regards de votre Majesté ; rendez‑le digne de vous plaire, et capable, par l'effet de votre miséricorde, d'attirer votre pardon sur moi‑même et sur tous ceux pour qui je l'ai offert. Par le Christ Notre Seigneur. » Voilà qui est clair à souhait.

 

Devant de telles constatations et quand on a vu par ailleurs que les nouvelles prières, bien loin d'éviter la confusion, l'entretiennent toutes au contraire, il n'y a plus qu'à lever l'échelle. Nous sommes ici au coeur de la compromission hérético‑oecuméniste.

 

 

 

X – QUAM OBLATIONEM

 

QUAM OBLATIONEM TU, DEUS, IN OMNIBUS, QUAESUMUS BENEDICTAM, ADSCRIPTAM, RATAM, RATIONABILEM, ACCEPTABILEMQUE FACERE DIGNERIS : UT NOBIS CORPUS ET SANGUIS FIAT DILECTISSIMI FILII TUI DOMINE NOSTRI JESUS‑CHRISTI.

 

Nous vous en supplions, ô Vous, notre Dieu, qu'il Vous plaise de faire que cette oblation soit pleinement bénie, agréée, ratifiée, raisonnable et acceptable ; afin qu'elle devienne, pour nous, le Corps et le Sang de votre Fils bien‑aimé, Notre Seigneur Jésus‑Christ.

 

 

QUAM OBLATIONEM

 

« Je confesse que dans la messe est consommé un sacrifice véritable pour les vivants et pour les

morts, que dans le très saint sacrement de l'Eucharistie, le corps et le sang en même temps que l'âme et la divinité de Notre Seigneur Jésus‑Christ sont réellement et véritablement présents, qu'il se produit une transformation de toute la substance du vin dans le sang. Cette transformation, l'Eglise la nomme la transsubstantiation. Je confesse en outre que le Christ tout entier et le véritable sacrement sont présents sous une seule espèce. »

 

Dans le serment solennel que tous les Pères de Vatican II durent signer dès le départ.

 

Le QUAM OBLATIONEM, qui n'a pas son pareil dans les nouvelles « prières eucharistiques », est capital pour la notion de sacrifice véritable, dûment affirmé et précisé, sans échappatoire possible. La revue Concilium (1976, Sème fascicule) est intitulée : « Sommes‑nous d'accord avec Luther ? » La réponse est : Oui, c'est chose faite pour l'essentiel. Le Professeur Brosseder de Münich assure qu'en général « on peut dire que les réclamations essentielles de Luther ont été acceptées du côté catholique. » Et le Professeur Hermann Pesch met les points sur les I : « Dans la théologie et dans la liturgie, le caractère sacrificiel de la messe est devenu un adiaphoron ‑ (autrement dit, car il n'est pas donné à tous d'être pédant : une chose indifférente et non essentielle) ; en conséquence les reproches décisifs de Luther n'ont plus aucun objet. » Comme l'a constaté aussi l'éminent pasteur Melh : « Il y a bel et bien effacement de l'idée selon laquelle la messe constituerait un sacrifice... Evolution décisive de la liturgie catholique. » La réforme conciliaire de la messe a donc trahi le serment initial de tous les Pères.

 

Mais qu'entendre par sacrifice ? Dans les bonnes familles, on apprend aux enfants à faire de petits sacrifices ; il est classique aussi de parler de sacrifice de louange. Toute oblation est une louange à Dieu, puisqu'elle est un témoignage de soumission à sa divinité (Saint Thomas d'Aquin, II, II, 85, 4), mais « si l'on fait hommage à Dieu d'une chose en l'employant tout entière dans un rite sacré dont elle doit être la matière, c'est à la fois une oblation et un sacrifice (II, II, 86, 1). » Tout sacrifice est donc une oblation mais non réciproquement (II, II, 85, 3) : OMNE SACRIFICIUM EST OBLATIO SED NON CONVERTITUR. Dans le sacrifice, tout est fixé par une loi positive : la manière, l'objet, l'auteur, le destinataire, la fin. C'est le summum de l'ordre. Eh bien c'est justement ce qui caractérise le sacrifice du Christ, comme le dit avec raison le P. Menessier un véritable rituel destiné à « effacer les péchés du monde », à « remettre nos fautes », il n'y a pas eu, il ne pourra jamais y avoir de pareille « oblation sainte et de sacrifice immaculé » que celle qui à la messe renouvelle l'oblation sacrificielle du Calvaire. « Dieu a fixé éternellement, dit le Père Menessier commentant saint Thomas II, Il, 86, les détails de ce grand drame, comme il l'eût fait d'une liturgie. Le Christ montant au Calvaire en accomplit religieusement les moindres exigences. L'obéissance préside à son sacrifice. Il accomplit une volonté de Dieu que les symboles du rituel de l'Ancienne Alliance,  divinement révélés et inspirés, signifiaient par avance. Rendant à son Père selon le mode par lui fixé, l'hommage public, universel et définitif que requiert sa sainteté injuriée, il inaugure l'Alliance nouvelle. INITIAVIT RITUM CHRISTIANAE RELIGIONIS. »

 

Le grand texte de saint Paul aux Philippiens, résumant le geste sublime du Fils de Dieu fait homme « se rendant obéissant jusqu'à la mort et la mort de la Croix » est au cœur de notre messe‑sacrifice, comme de la liturgie de la Passion. Nous avons relevé plus haut l'extraordinaire énucléation subie par ce passage dans deux préfaces nouvelles. Il est absolument fondamental de placer la messe dans l'atmosphère obédientielle. Par là, le saint sacrifice est le summum de l'ordre. C'est grâce à lui que le monde subsiste, car il fait contre‑poids à toutes nos désobéissances. Rien n'est plus juste que d'appeler sacrement de l'Ordre l'ordination du prêtre, dont le rôle premier n'est pas l'apostolat mais la célébration de l'Eucharistie. Or rien aussi ne manifeste mieux que l'obéissance est la condition première de la messe, que ces précisions minutieuses et répétées de notre QUAM OBLATIONEM, au moment où vont être consacrés grâce à cela le pain et le vin au corps et au sang du Christ. Notre Seigneur est appelé alors d'une manière si douce « le Fils très aimé » du Père, DILECTISSIMI FILII TUI. Nul besoin, à ce moment, de préciser que son oblation a été pleinement volontaire et consentie : elle a été un acte d'amour infini de la part du Père comme du Fils. Et ce DILECTISSIMI a une résonnance extrême dans le coeur du prêtre qui va s'identifier en quelque sorte au Christ par la consécration. Ne va‑t‑il pas être, avec lui, enveloppé de ce divin Amour ?

 

Jusqu'ici, le prêtre a parlé et prié au nom de tous les baptisés, c'est‑à‑dire de l'Eglise tout entière. Or cette Eglise est hiérarchique ; il a donc précisé dans l'HANC IGITUR, et il le fera dans l'UNDE ET MEMORES, son appartenance à un corps sacerdotal spécialement voué au Service de Dieu (SERVI­TUTIS NOSTRE) par le sacrement de l'Ordre. Mais la société ecclésiale n'a qu'une seule Tête, un seul Prêtre souverain, un seul Maître. Pour cette raison, le « nous » du célébrant ne le confond jamais ni avec les fidèles ni avec les autres prêtres. Il doit être, à la messe, comme personne unique et principale, le garant de la présence et de l'action du seul Seigneur : c'est le Christ Jésus qui doit être vu comme enseignant par sa bouche dans la liturgie de la Parole. C'est Lui qui par sa bouche va consacrer le pain et le vin de la vie éternelle : Ceci est mon corps ; ceci est le calice de mon sang. Mais il veut que son ministre lui soit réellement « configuré. » Le prêtre ne le représente pas seulement, il n'est pas un simple intermédiaire ; il devient acteur du Sacrifice avec Lui et dans sa dépendance. (On pense ici, analogiquement, à Marie co‑rédemptrice, mère du prêtre). Rien, dans la religion catholique, de la désincarnation protestante. Après avoir imposé les mains sur l'ordinand pour lui conférer le sacerdoce, l'évêque lui précise qu'il lui confère par là‑même un « pouvoir » propre, non aliénable et perpétuel : « ACCIPE POTESTATEM. Recevez le pouvoir de célébrer la sainte messe pour les vivants comme pour les morts. » Telle est la sublime grandeur d'un prêtre, il est un « autre Christ » et cependant il n'y a qu'un seul Christ. Nous entrons dans un mystère de foi, dans un mystère d'amour. Qui nous dira les limites de la charité de Dieu, VISCERA MISERICORDI,E DEI NOSTRI ? Jusqu'où Il se livre, jusqu'où Il s'est livré !

 

 

XI -  QUI, PRIDIE

 

QUI, PRIDIE QUAM PATERET UR, ACCEPIT PANEM IN SANCTAS AC VENERABILES MANUS SUAS : ET, ELEVATIS OCULIS IN CEL UM AD TE DEUM PATREM SUUM OMNIPOTENTEM, TIBI GRATIAS AGENS, BENEDIXIT, FREGIT,

DEDITQUE DISCIPULIS SUIS, DICENS : ACCIPE ET MAND UCATE EX HOC OMNES :

 

HOC EST ENIM CORPUS MEUM.

 

SIMILI MODO POSTAUAM COENAT UM EST, ACCIPIENS ET NUNC PMCLAR UM CALICEM IN SANCTAS AC VENERABILES MANUS SUAS :ITEM TIBI GRATIAS A GENS, BENEDIXIT, DEDITQ UE DISCIP ULIS SUIS, DICENS : ACCIPITE ET BIBITE EX EO OMNES.

 

HIC EST ENIM CALIX SANGUINIS MEI, NOVI ET AERTERNI TESTAMENTI :MYSTERIUM FIDEI, QUI PRO VOBIS ET PRO MULTIS EFFUNDETUR IN REMISSIONEM PECCATORUM.

 

HIEC QUOTIESCUMQUE FECERITIS, IN MEI MEMORIAM FACIETIS

 

La veille de sa Passion, il prit du pain dans ses mains saintes et vénérables et ayant levé les yeux au ciel vers Vous, Dieu, son Père tout‑puissant, Vous rendant grâces, le bénit, le rompit et le donna à ses disciples en disant : « Prenez et mangez‑en tous :

 

CAR CECI EST MON CORPS.

 

De même, après la Cène, Jésus prit entre ses mains saintes et vénérables ce précieux calice, rendit grâces de nouveau, le bénit et le donna à ses disciples en disant Prenez et buvez en tous :

 

CAR CECI EST LE CALICE DE MON SANG, LE SANG DE LA NOUVELLE ET ETERNELLE ALLIANCE, MYSTERE DE FOI, QUI SERA REPANDU POUR. VOUS ET POUR BEAUCOUP EN REMISSION DES PECHES.

 

Toutes les fois que vous ferez ces choses, vous les ferez en mémoire de moi.

 

PRIDIE QUAM PATERETUR

 

O SALUTARIS HOSTIA !

 

chanté dans toutes les églises de France autrefois avec à la fin : SERVA LILIUM à la place de FER AUXILIUM.

 

Après les conditions du sacrifice précisées par l'HANC OBLATIONEM avec un luxe voulu et très romain d'adjectifs que les pédants croient des redondances inutiles, commence la consécration proprement dite et c'est en liant indissolublement le renouvellement de la sainte Cène à la Passion du Seigneur: PRIDIE QUAM PATERETUR. Ce jour où le Seigneur a institué le sacrement de son corps et de son sang, il a anticipé, sacramentellement aussi, sur l'oblation sacrificielle qu'il allait faire en sa Passion. Il a rendu par là‑même son sacrifice renouvelable de façon non sanglante et interdit à jamais de ne s'en tenir qu'à la Cène seule dans le simple souvenir de sa passion. Il a signifié aussi, par la consécration séparée du pain et du vin à son corps et à son sang la totalité, la plénitude de son immolation sur la croix, où son âme n'a pas été seule séparée de son corps par une véritable mort mais le corps lui‑même vidé de tout son sang par d'incroyables souffrances.

 

Le canon romain n'avait vraiment pas besoin, pour être sacrificiel, de l'ajout : « livré pour vous » (QUOD PRO VOBIS TRADETUR) au « Ceci est mon corps » (HOC EST ENIM CORPUS MEUM). D'autant que le texte de saint Paul auquel cette adjonction a été empruntée dit au futur : « qui sera livré. » Le traducteur a‑t‑il voulu masquer la supercherie d'un simple récit plutôt que d'une consécration ? Il aurait fallu aussi qu'il supprimât le futur : « sera versé » (EFFUNDETUR) de la consécration du vin ; il n'a point traduit : ceci est le calice de mon sang versé pour vous ... En réalité, l'ajout n'a été appliqué au canon romain que pour l'aligner sur les nouvelles prières. C'est à celles‑ci qu'on a pensé donner par là une couleur sacrificielle absente par ailleurs. Mais ces néo‑liturgistes ont commis là une faute majeure comme liturgistes ; ils n'ont pas vu que ce ne sont pas les textes scripturaires qui suffisent puisque le rôle et la fonction propre de la liturgie est de les commenter, de les préciser, de les insérer dans un écrin précieux et protecteur pour alimenter la foi et la piété. Dom Guéranger dont le sens liturgique est si sûr et profond, a pris le soin de le dire dans ses Institutions liturgiques (III, 40‑41), en citant, en bon bénédictin, celui que saint Benoît appelait « notre père saint Basile. » Pour le grand docteur oriental, dans « les paroles d'invocation qui se prononcent quand on offre le pain de l'Eucharistie et le calice de bénédiction, nous ne nous contentons pas de ce que rapporte l'Apôtre ou l'Evangile, mais nous récitons, avant et après, d'autres paroles, comme ayant beaucoup d'importance pour le mystère : TANQUAM MULTUM HABENTIA MOMENTI AD MYSTERIUM. Ce passage, dit Dom Guéranger, est admirable pour prouver l'existence d'une tradition divine et apostolique qui complète l'enseignement des Ecritures sur le sacrifice et les sacrements. N'est‑ce pas ce que le Seigneur a fait tout le premier à la Sainte Cène et que nous rappelle la liturgie : il a « eucharistié », il a inséré le mystère de la consécration dans une prière eucharistique : GRATIAS AGENS. Et lorsque tout récemment le pape Pie XII précisa le geste qui conférait le sacerdoce : l'imposition des mains, il ne manqua pas de dire que les autres gestes et paroles devaient être maintenus pour donner tout son sens à la sacramentelle imposition des mains. En a‑t‑on tenu compte dans les nouveaux rites d'ordination.

Allez‑y voir, quand la traduction officielle du Pontifical est encore en discussion. Laissons‑les « délabyrinther leur pensée », traduire leur ACCIPE OBLATIONEM PLEBIS SANCTE DEO OFFERENDAM, substitué au clair et net ACCIPE POTESTATEM de la tradition et de la manière romaines : « Recevez le pouvoir d'offrir à Dieu le Saint‑Sacrifice et de célébrer la messe tant pour les vivants que pour les morts. » Un pouvoir, reçu une fois pour toutes, ça ne fait ni protestant ni moderne. Mais refuser d'en parler, c'est favoriser l'indistinction entre validité et licéité, avec le résultat paradoxal d'un intolérable absolutisme qui finit par engendrer révolte et anarchie. Du beau travail d'apprentis‑sorciers.

 

Le « DE SACRAMENTIS », dit de saint Ambroise, ajoute des détails à la consécration qui ne sont pas dans l'Evangile. De même l'ancienne anaphore d’Hippolyte où ils ont été supprimés par les néo‑liturges. Ici, le « livré pour vous » est d'ailleurs une pure répétition, parfaitement inutile sans un « récit de l'institution » commençant par dire que Jésus fut « livré » (Prières II et III). II faut se dire aussi qu'après tout, c'est la consécration du sang du Seigneur qui met normalement l'accent sur le sacrifice (et le sacrifice d'expiation). Car la présence réelle est déjà exprimée et réalisée par la consécration du corps du Christ. A ce propos, notons que le Concile de Trente a pris soin de déclarer anathème qui nierait que le Christ est déjà présent par la première consécration : corps, sang, âme, divinité. On peut se demander s'il n'y avait pas négation de cette présence réelle, substantielle, dans la revendication de communier au corps et au sang. D'où la difficulté que la Cour de France eut de faire admettre la communion traditionnelle sous les deux espèces à la cérémonie du sacre, lors du Concile de Trente.

 

Il est clair, en outre, que s'en tenir à saint Paul et à l'Evangile dans la consécration de la messe est consentir à l'équivoque, car les protestants ne les interprètent pas comme nous. Si la liturgie ne nous départage pas sur le point le plus capital après le sacerdoce ministériel, la foi eucharistique est en danger mortel. De ce péril, la tradition de l'Eglise s'est toujours défendue. On a même vu un pape, Pie VI, condamner comme « pernicieuse » jusqu'à la seule omission du terme de transsubstantiation par le Concile de Pistoie, alors que, par ailleurs, l'expression de la foi était exacte. Or voilà que maintenant ce terme, inutilisé aussi par la récente présentation de la nouvelle messe (2) est dévié de son sens par des protestants comme le Professeur genevois Leenhardt dont Max Thurian partage les idées. Il prétend que « substance » est une notion inconnue de la langue hébraïque ou araméenne, parlée par Notre Seigneur. Mais le Christ a‑t‑il parlé de substance ? Et ce terme n'a‑t‑il pas été employé par la théologie catholique faute d'un autre mot, quitte à lui conférer ou conserver le sens qui permet par le terme de transsubstantiation de rendre exactement la réalité toute simple : Ceci est mon corps, ceci est mon sang

 

Donc ce n'est plus du pain ni du vin, malgré les apparences, le goût, l'odeur. Pour ledit Professeur, il y a bien présence réelle, mais créée par la foi . Le communiant reçoit bien le Christ, mais le pain et le vin subsistent ; il ne faut pas tomber dans le « chosisme » qui a trop marqué la pratique de l'Eglise catholique et dont elle se libèrerait enfin .

 

Une cogitation, cette fois de « théologiens » catholiques, ajoute maintenant à la transsub­stantiation la transfinalisation (Prenez et mangez ...) et la transsignification (la mémoire de la Passion) pour expliquer par ce préfixe « trans » qu'il y a passage du matériel au spirituel dans l'acception du sens ou du but des paroles du Christ qui précèdent et qui suivent le « Ceci est mon corps » et « Ceci est le calice de mon sang. » On en vient alors, par le rapprochement des trois « trans » à prendre aussi la « substantiation » dans un sens spirituel. Quoi qu'il en soit, le fait est là, la néo‑liturgie met intentionnellement toutes les paroles du Christ à la Cène sur le même plan ; elle sont toutes imprimées en majuscules et, quand il y a lieu, chantées de la même manière. Il n'y a plus que dans la messe traditionnelle, avec son canon non retouché, qu'est seule en majuscules la formule consécratoire, agissant, comme dit la théologie, par la propre vertu des paroles: VI VERBORUM.

 

Dans ce même canon non réformé ou plutôt non ridiculisé par les néo‑liturges, la formule « Ceci est mon corps » n'a pas été adornée de « livré pour vous » emprunté à saint Paul et sur lequel ils ont aligné toutes les prières eucharistiques. Certes la plupart des liturgies reçues le font, mais ce n'est pas rien de s'en tenir aux deux évangiles de saint Matthieu et de saint Marc, d'autant que ce dernier a été l'évangéliste de saint Pierre ; il n'a pu parler sur un point si fondamental autrement que lui ; il l'a vu et entendu célébrer l'eucharistie. Ne serait‑ce que par romanité, par fidélité au premier pasteur de l'Eglise, le simple HOC EST ENIM CORPUS MEUM conserve ses lettres de haute noblesse. Surtout, surtout, nous voyons mieux que le « Ceci est mon corps » de la messe a valeur de déclaration nette et sans ambiguïté possible. Il s'agit de beaucoup plus qu'un apanage du canon romain, il s'agit d'une affirmation de foi indispensable et formelle.

 

Oyez, Messieurs, cette merveille, disait un recycleur néo‑liturge devant un aréopage de prêtres ébahis, qui découvraient l'Amérique après Colomb et Vespuce ; la nouvelle messe respecte le texte de saint Paul ; elle ne choisit pas non plus entre les paroles de la Cène pour ne mettre en valeur que le seul HOC EST ENIM CORPUS MEUM ; elle ne se permet pas d'introduire un corps étranger (MYSTERIUM FIDEI) dans la formule de consécration du vin ! Hélas, personne ne s'est trouvé pour lui dire : allez vous rhabiller ! Allez apprendre le rôle et la nature de la liturgie dont vous vous prétendez connaisseur et réformateur. Le canon romain a fait ce qu'a toujours fait l'Eglise orante, témoin saint Basile ; il souligne ce qui doit être souligné, il commente, il éclaire, il orne, il exprime la foi en même temps que la piété. C'est son rôle propre. Il est sur le plan de la prière l'illustration de la maxime catholique qui associe l'Ecriture et la Tradition ; oui, que les choses soient ainsi est d'une « grande importance » et l'a toujours été. Reprocherait‑on à l'Eglise de n'avoir pas été protestante avant la lettre ou de rester elle‑même ensuite, le Saint‑Esprit qui l'assiste ne pouvant se contredire ?

 

Alors donc que les nouvelles prières eucharistiques s'en tiennent, de façon protestante, aux seules paroles tirées de l'Ecriture et ne font qu'une sèche présentation des faits et gestes, le canon romain au contraire se montre soucieux par toute une « mise en scène », d'actualiser concrè­tement, d'approfondir, de « liturgiser » le récit de la Sainte Cène. Le prêtre calque ses gestes sur ceux du Christ, et quand il prend l'hostie entre ses doigts, c'est comme avec « les mains saintes et vénérables » du Seigneur. Comme lui, bien que l'Evangile ne le mentionne pas, il lève les yeux « vers le Père Tout‑Puissant. » Ne faut‑il pas montrer qu'à ce moment‑là Jésus s'est référé à son Père, à sa toute puissance pour un pareil miracle. Cette particularité est en effet notée par l'Evangile dans trois prodiges singulièrement significatifs : la multiplication des pains, annonce de l'Eucharistie, la guérison du sourd‑muet où l'Eglise a vu pour cela une annonce du baptême, la résurrection de Lazare, annonce de sa propre résurrection. Oui, dans l'Eucharistie, le Christ a voulu montrer qu'il agissait avec son Père dans le Saint‑Esprit. Une oeuvre trinitaire mettant la toute puissance divine au service de la miséricorde. Voilà le prodige qui est signifié par les yeux du prêtre se portant vers le ciel, comme ceux du Christ dans sa grande prière sacerdotale. Il s'agit du miracle des miracles pour la vie éternelle. « Je vis de la vie du Père. Ainsi celui qui se nourrit de moi vivra de ma vie. » Quelle transmission ! Quel indicible « mystère de foi » (MYSTERIUM FIDEI) !

 

Comment s'étonner de ce qu'un tel cri d'admiration et de reconnaissance éperdue s'échappe des lèvres de l'Eglise avant même que soit achevée la formule de consécration du vin au Sang de Jésus ? C'est par le sang que s'exprime la vie, c'est par lui que vient toute rédemption. C'est le sang de Jésus qui nous a rachetés, c'est lui qui a signé la Nouvelle et Eternelle Alliance qui remplace la première, depuis qu'à l'heure de la mort de la croix le voile du temple s'est déchiré, abolissant les sacrifices de l'ancienne Loi qui n'avaient d'autre but que d'annoncer le vrai testament, celui qui ne pourrait plus qu'être renouvelé sacramentellement d'âge en âge. On notera ici que l'Eglise ajoute le mot « éternelle » à « nouvelle alliance » bien qu'il ne se trouve ni dans saint Paul ni dans les Evangiles.

C'est le sang du Christ et lui seul qui désormais nous régénère en nous constituant de la famille de Dieu, de sa « consanguinité. » Oui, quelle merveille inouïe où nous est dévoilé le mystère même du nom de Jésus‑Sauveur qui lui a été donné par le Ciel même, dès avant sa conception dans le sein très pur de l'humble servante du Seigneur. Voilà le sang où se baigne l'Eglise, choisie pour être une épouse unique et immaculée ; elle s'en souvient alors, quand elle évoque dans la consécration le « calice précieux » du Psaume XXII, le chant des nouveaux baptisés qu'elle enfante à Pâques et à la Pentecôte, et qui s'approchent pour la première fois de la Table Sainte : « Le Seigneur est mon berger, je ne manquerai de rien. Il me fait reposer dans de verts pâturages. Il me mène près des eaux rafraî­chissantes. Il restaure mon âme. Il dresse devant moi une table en face de mes ennemis. Il répand l'huile sur ma tête. Ah ! qu'il est beau, qu'il est enivrant le calice du Seigneur QUAM PRECLARUS EST!

 

C'est ce calice précieux du Christ à la Cène que le prêtre tient en main : HUNC PRAECLARUM CALICEM, oui, celui‑là même : HUNC . Quelle appropriation ! et surtout dans le « Ceci est mon corps », prononcé par le prêtre et ainsi préparé, dans le « Ceci est le calice de mon sang » ..., il est difficile, à ce moment de la messe, de ne pas sentir toute la beauté de la consécration romaine, tout le soin que la liturgie sainte y a apporté, toute la foi claire et toute l'émouvante piété que l'Eglise y manifeste. Quel joyau, quelle merveille inégalée, inégalable !

 

Mais de quels grands mystères avons‑nous là l'aboutissement sacramentel ?


XII – UNDE ET MEMORES

 

UNDE ET MEMORES, DOMINE, NOS SERVI TUI SED ET PLEBS TUA SANCTA EJUSDEM CHRISTI FILA TUI DOMINI NOSTRI TAM BEATAE PASSIONIS, NEC NON ET AB INFERIS RESURRECTIONIS SED ET IN CELOS GLORIOSE ASCENSIONIS, OFFERIMUS PRAECLARE MAJESTATI TUE, DE TUIS DONIS AC DATIS, HOSTIAM PURAM, HOSTIAM SANCTAM, HOSTIAM IMMACULATAM, PANEM SANCTUM VITE AETERNE ET CALICEM SALUTIS PERPETUAE.

 

C'est pourquoi, Seigneur, nous, vos serviteurs et, avec nous, votre peuple saint, nous rappelant la bienheureuse Passion de ce même Christ votre Fils, Notre Seigneur et sa Résurrection des enfers et aussi sa glorieuse Ascension au Ciel, nous offrons à votre divine Majesté, de vos dons et de vos bienfaits, l'Hostie pure, l'Hostie sainte, l'Hostie sans tache, le Pain sacré de la vie qui ne finira point et le Calice du salut éternel.

 

UNDE ET MEMORES

 

MEMORIAM FECIT MIRABILIUM SUORUM MISERATOR ET MISERICORS DOMINUS

Ps. 110, 4.

 

La prière qui suit la consécration s'appelle anamnèse, d'un terme grec qui signifie mémoire, parce qu'elle rappelle les mystères conjoints de la Passion, de la Résurrection et de l'Ascension.

 

Mais il convient de noter ici (parce que l'on n'a pas craint de défigurer le canon lui‑même) que la néo‑liturgie a inséré entre le « récit de l'Institution » et l'anamnèse une acclamation du peuple que voici :

 

« Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus,

Nous célébrons ta résurrection,

Nous attendons ta venue dans la gloire. »

 

La traduction exacte du latin qui fait loi devrait être : « Nous célébrons ta résurrection en attendant ton retour. » Pour des gens qui n'ont pas voulu souligner, dans les paroles de la Cène, le seul « Voici mon corps » par respect du texte évangélique, ce coup de pouce est une contradiction à leur principe. Le texte latin était discret, la traduction ne l'est plus, elle est même une invention. Dans quel sens ? Celui qui détourne l'attention de la présence réelle HIC ET NUNC pour l'orienter vers l'avènement glorieux du dernier jour.

 

Voici donc, après le soulignement indu de l'acclamation, pour détourner de la présence réelle de Jésus descendu sur l'autel l'attention de l'assistance, voici la contradiction au principe du respect de l'Ecriture, voici enfin une répétition inutile ‑ (ailleurs redoutée partout) ‑ car cette proclamation fait double emploi avec la nouvelle prière qui suit ... où il est encore question de la venue désirée. Cela fait vraiment beaucoup et mérite une médaille encore ininventée .

Heureusement, la défiguration imposée au canon romain n'a pas atteint l'UNDE ET MEMORES, le rappel de la glorification du Seigneur par « sa bienheureuse mort, sa résurrection du séjour des morts et sa glorieuse ascension dans le Ciel. » Il s'agit‑là d'un même grand mystère que la messe prolonge sacramen­tellement pour nous en dispenser les grâces.

 

L'anamnèse des nouvelles prières est fort courte. Après avoir cité Passion et Résurrection, elles s'embarquent à toute voile pour Cythère ! Elles se mettent au diapason de la précédente proclamation pour souhaiter, pour attendre la future glorieuse venue.

 

L'anamnèse a pourtant de quoi occuper pleinement notre esprit, car la messe n'est pas autre chose que l'aboutissement sacramentel des trois mystères qui ne font qu'un, de la « bienheureuse passion » du Fils de Dieu, Jésus‑Christ, notre Seigneur « de sa résurrection du séjour des, morts et de sa glorieuse ascension dans le ciel. »

 

La belle expression contrastée d'« heureuse passion » s'explique par les deux mystères qui s'ensuivent et qui font apparaître la croix comme l'instrument de la victoire du Christ. Le DE SACRAMENTIS dit de saint Ambroise est même explicite ; il parle de GLORIOSISSIME PASSIONIS : de passion très glorieuse. Le triomphe de la croix sera plénier, quand elle paraîtra sur les nuées du ciel et que le nombre des rachetés sera complet. Mais la gloire et la seconde venue du Seigneur ne feront que confirmer en clair une victoire déjà acquise et que le canon romain confesse comme telle par l'expression de « glorieuse ascension. » Jésus n'a pas attendu pour dire : j'ai vaincu le monde ; et à la veille de sa mort, il prie ainsi : « Père, glorifie‑moi de la gloire que j'ai auprès de toi. » Rien n'est plus normal alors que la solennisation de la messe, expression sacra­mentelle de la victoire du Christ.

 

L'Eglise n'a point à rougir de ce que les oecuménistes à tout crin appellent son « triom­phalisme » qu'il s'agisse de la messe, de la maison de Dieu, des processions ou saluts au T.S. Sacrement. Les néo‑liturges craignent d'être « chosistes », voire « idolâtres ». Puissent‑ils réfléchir à l'étrange contradiction de leur nouvelle liturgie ; au lieu de placer par côté le trône de l'évêque, ils le dressent face au peuple, et quel spectacle que ces concélébrateurs qui s'exposent aux regards ! Alors que la sainte liturgie traditionnelle préoccupée de la seule gloire de Dieu tourne tous les yeux vers la croix et le tabernacle, vers le symbole glorieux de la victoire du Christ, unique lumière du monde.

Au début, la glorieuse Ascension faisait corps avec Pâques. C'est, en effet, cette exaltation que met en pleine valeur l'admirable refrain de la Semaine Sainte qui définit le sacrifice : « Il s'est fait obéissant jusqu'à la mort et la mort de la croix, voilà pourquoi il a été exalté au‑dessus de tout nom et tout genou fléchit devant lui au ciel, sur la terre et dans les enfers. » Mais le temps pascal n'étant qu'une extension de Pâques, un alleluia continué, il a été bon de mettre l'Ascension à sa place dans le temps, c'est‑à‑dire le quarantième jour après Pâques .

 

Le canon de la messe porte aussi le nom grec d'anaphore qui veut dire « offrande. » Ce qui est offert à la messe, comme l'exprime notre UNDE ET MEMORES, c'est la « victime parfaite, la victime sainte, la victime sans tache, le Pain sacré de la vie éternelle et le Calice de l'éternel salut » .

 

La prière précise que ces offrandes sont tirées des biens que le Seigneur nous a donnés : DE TUIS DONIS AC DATIS. Par ces choses qui nous appartiennent, c'est nous‑mêmes que nous offrons, dont nous faisons retour à Dieu. Les apparences du pain et du vin qui subsistent après la consécration et que nous appelons : « les saintes espèces », restent toujours présentes dans le canon romain et c'est une de ses caractéristiques précieuses. Nous ne devons jamais oublier que le Seigneur vient à la messe pour nous entraîner dans son oblation sacrificielle. Saint Thomas a noté la chose dans la Somme Théologique à propos du SUPPLICES (S.T. 111, 9, 83, art. 4 ad 37) : ce qui est transporté par l'Ange sur le sublime autel du Ciel n'est point le Corps du Christ qui y réside à demeure, mais l'acte oblatoire, l'oblation que nous faisons sur notre autel terrestre par notre prière.

 

 

XIII – SUPRA QUAE

 

SUPRA QUAE PROPITIO AC SERENO VULTU RESPICERE DIGNERIS, ET ACCEPTA HABERE SIC UTI ACCEPTA HABERE DI GNATUS ES MUNERA PUERI TUI JUSTI ABEL ET SACRIFICIUM PATRIARCHE NOSTRI ABRAM ET Q UOD TIBI OBTULIT SUMMUS SACERDOS TUUS MELCHISEDECH, SANCTUM SACRIFICI UM, IMMACULATAM HOSTIAM.

 

 

Jetez un regard de complaisance et de bonté sur ces offrandes, et daignez les agréer, comme il Vous a plu d'agréer les présents du juste Abel, votre serviteur, le sacrifice de notre patriarche Abraham et celui que Vous offrit Melchisedech votre grand‑prêtre, Sacrifice Saint, Hostie sans tache.


SUPRA QUA ET ANTIQUUM DOCUMENTUM NOVO CEDAT RITUI.

Saint Thomas d'Aquin

 

Saint Thomas se reportait à la loi mosaïque pour préciser la notion de sacrifice. Car les sacrifices antérieurs que mentionne le SUPRA QUAE répondent aux mêmes conditions, ainsi que le montre clairement le sacrifice d'Abraham : le Seigneur désigne la victime, le mode d'immolation, le pays et la montagne où il faut se rendre. Il s'agit d'une obéissance et par là, l'obéissance du Christ jusqu'à la mort de la croix est figurée. « En ta postérité seront bénies toutes les nations de la terre, parce que tu as obéi à ma voix », dit Dieu. De ce sublime sacrifice du grand « patriarche », le SUPRA QUE rapproche celui d'Abel et celui de Melchisédech, non moins significatifs. Ils appartiennent tous les trois à la période qui a précédé Moïse parce que ce qui a été aboli par la mort de la Croix est la religion juive proprement dite. L'Eglise se relie, par delà, AD ABRAHAM PATREM NOSTRUM, comme dit le BENEDICTUS. Le MAGNIFICAT n'est pas moins explicite : SICUT LOCUTUS EST AD PATRES NOSTROS, ABRAHAM ET SEMINI EJUS IN SIEC ULA ... Cette race d'Abraham, les innombrables fils de la Promesse, est répandue dans toutes les nations. Le nouveau peuple de Dieu n'a pas de frontières, il ne connaît ni juif ni grec. Un même sang coule dans ses veines, le sang rédempteur de Jésus. Aux douze tribus répondent maintenant les douze Apôtres dont la voix s'est fait entendre par toute la terre. L'Eglise est bâtie sur ces colonnes, la pierre angulaire étant le Christ, celle que le peuple juif a rejetée. La distinction est formelle et saint Paul n'a cessé de la rappeler entre l'Eglise et la Synagogue.

 

Il y va tout bonnement de l'existence et de la nature même du Christianisme. Le SUPRA QUE situe donc notre messe dans la ligne des plus antiques et vénérables sacrifices, il la donne comme leur réalisation définitive et parfaite, SANCTUM SACRIFICIUM, IMMACULATAM HOSTIAM .

 

Le sacrifice offert par le prêtre qui agit au nom de l'Eglise et en place du Christ, ‑ (toujours le caractère concret de la liturgie traditionnelle) ‑ est vraiment celui de la victime parfaite et sans tache rassemblant et sublimant les sacrifices d’Abel , d'Abraham et de Melchisédech. Le nouvel Abel a été tué par son frère aîné comme Jésus par le peuple élu ; le nouvel Isaac, unique fils de son père, a été le premier d'une multitude de frères et le nouveau Prêtre et Roi a inauguré l'oblation pure et offerte en tous lieux, de l'Orient à l'Occident, prédite par le prophète.

L'évocation d'Abel, d'Abraham et de Melchisédech donne à notre SUPRA QUE une exquise saveur d'antiquité. Dieu sait si les néo‑liturges ont donné dans l'archaïsme, malgré la défense de l'encyclique de Pie XII sur la liturgie ! Mais ils ont oublié de perpétuer une prière qui nous apportait avec tant de fraîcheur la piété des premiers siècles, l'expression de la foi eucharistique qui inspirait encore, au tout début du XVIIIème siècle, les artistes sculptant le tabernacle (hélas disparu!) de la chapelle de Versailles .

 

Le thème remonte aux «Constitutions Apos­toliques » et aux catacombes ; il a été ensuite merveilleusement illustré par les mosaïques de Ravenne. On y montre même les deux re­présentations d'Abel et de Melchisédech d'une part et de l'autre, du sacrifice d'Abraham en relation avec la mystérieuse visite des trois anges annonçant à notre « patriarche », malgré la vieillesse de Sara, une postérité plus nombreuse que le sable de la mer. Sara dit : « Dieu m'a donné de quoi rire ; quiconque l'apprendra rira à mon sujet. » Elle ajouta : « Qui eût dit à Abraham : Sara allaitera des enfants ? Car j'ai donné un fils à sa vieillesse ! » Combien plus miraculeuse fut la naissance du fils de Marie ! Et si Abraham, partant pour le sacrifice, n'a pas voulu en parler à Sara qui ne l'eût pas supporté, Dieu a permis que Marie fût au pied de la croix, s'unissant au supplice destiné à susciter une multitude d'enfants de Dieu .

 

Le sacrifice d’Abraham a atteint le sommet de la foi et de l'obéissance ; mais que dire de l'amour du Père des Cieux livrant à la mort son fils pour la vie du monde ?

 

Il y a dans cette évocation du sacrifice du « patriarche », « père de notre foi » un insondable mystère. C'est à qui du Père ou du Fils aura le plus d'amour. Oui, la messe qui perpétue le sacrifice de la croix nous plonge en plein infini : on n'en mesure ni la hauteur, ni la largeur, ni la profondeur. C'est par l'amour sans limite qu'il porte à son Père que le Christ s'est fait prêtre et victime ; il entendait que l'homme, séparé de Dieu par le péché, puisse oser désormais dire avec lui : « Notre Père. »

 

Au sacrifice d'Abraham, Dieu n'a demandé que l'obéissance de foi : Isaac n'a pas été immolé. Un bélier s'est présenté dans un buisson pour le remplacer. C'était l'annonce de l'Agneau qui, lui, a été immolé et couronné d'épines. C'est aussi par référence aux immolations d'Abel, à la différence de l'offrande de Caïn faite des « fruits du travail de l'homme », qu'a été signifiée par avance, et jusque dans son propre sang, la rédemption qui allait s'accomplir sur une croix ensanglantée ; sacrifice tel,d'une telle plénitude, d'une telle perfection, d'une telle puissance de rachat et de salut, qu'une fois réalisé, il ne se répète plus. Son renouvellement est d'ordre réel mais sacramentel et non sanglant, sous les espèces du pain et du vin selon l'ordre de Melchisédech.

 

L'évocation du mystérieux prêtre et roi ne s'expliquerait pas si la messe catholique était, comme le protestantisme ose le prétendre, une répétition proprement dite. Pareille accusation ne peut s'expliquer que par le rejet du sacerdoce.

 

Cette prière du SUPRA QUE dont nous n'en finirions pas de méditer tous les aspects, est un des joyaux de l'admirable canon romain ; rien de pareil ne se trouve dans les récentes compositions de bureau appelées « prières eucharistiques. »

 

Le SUPPLICES qui suit est aussi une pure merveille.

 

 

XIV – SUPPLICES TE ROGAMUS

 

SUPPLICES TE ROGAMUS, OMNIPOTENS DEUS: JUBE HIEC PERFERRI PER MANUS SANCTI ANGELI TUI IN SUBLIME ALTARE TUUM, IN CONSPECTU DIVINIE MAJESTATIS TUAE : UT QUOTQUOT, EX HAC ALTARIS PARTICIPATIONE, SACRO‑SANCTUM FILII TUI CORPUS ET SANGUINEM SUMPSERIMUS, OMNI BENEDICTIONE CAELESTI ET GRATIA REPLEAMUR. PER EUMDEM CHRIST UM DOMINUM NOSTRUM. AMEN.

 

Nous Vous en supplions, Dieu tout­-puissant, commandez que cette oblation soit portée par les mains de votre Saint Ange, sur votre autel sublime, en présence de votre divine Majesté afin que nous tous qui, participant à cet autel, aurons reçu le Corps saint et sacré et le Sang de votre Fils, nous soyons comblés de toutes les grâces et de toutes les bénédictions du ciel. Par le même Jésus‑Christ Notre Seigneur. Ainsi soit‑il.


SUPPLICES TE ROGAMUS

 

« En vérité, je vous le dis : vous verrez le Ciel ouvert et les Anges de Dieu montant et descendant sur le Fils de l'Homme. »

(St Jean, I, 51).

 

Le SUPPLICES TE ROGAMUS qui suit le SUPRA QUAE a été admiré de tout temps par les vrais liturgistes, depuis Florus de Lyon et Yves de Chartres au XIème siècle, jusqu'au R.P. Bouyer de nos jours.

 

La prière commence par la profonde inclination qui accompagnait déjà le mot de SUPPLICES au début du canon ; de même que venait d'être évoquée par le triple SANCTUS la majestueuse vision d'Isaïe, c'est plutôt ici, grâce à l'idée d'autel, l'Agneau immolé de l'Apocalypse qui nous est présenté debout, parce que vivant pour interpeller sans cesse pour nous et recevant l'hommage « d'une multitude d'anges, des myriades et des milliers de milliers », chantant : « A celui qui est assis sur le trône et à l'Agneau louange, honneur, gloire et puissance dans les siècles des siècles ! »

 

Le SUPPLICES relie donc l'autel céleste à celui de la terre où l'Agneau se voile sous les humbles « espèces » qui nous représentent. Il se fait un échange sublime. Les Anges montent et descendent pour porter notre oblation unie à celle de Jésus et pour nous rapporter « toute bénédiction

et toute grâce » par l'union au Corps très saint, au Sang très pur de Notre Seigneur Jésus‑Christ, le Fils de Dieu.

 

On s'est interrogé sur l'Ange dont il est question dans cette prière. Que ce soit saint Michel, « le prévôt du Paradis », ne pose pas de problème. Mais pourquoi tout seul ? Le DE SACRAMENTIS qui très tôt nous fait connaître au moins des fragments du canon romain met ici l'Ange au pluriel. Il est apparu à Jeanne d'Arc, chacun le sait ; or, dans son procès, la sainte parle aussi des Anges qui l'accompagnaient.

 

N'est‑ce pas d'ailleurs l'idée, qu'impose la finale de toutes les préfaces aussi bien que le SANCTUS du Seigneur SABAOTH, Dieu des armées célestes. Les Anges participent au saint sacrifice comme nous les voyons présents au Calvaire. Qui ne connaît l'admirable Bréa de Nice avec ses Anges gracieux qui partagent l'extrême douleur de Marie tenant sur ses genoux son Fils mort. L'existence angélique est une des grandes vérités catholiques, antithèse d'une autre, non moins certaine, celle des « esprits mauvais répandus dans le monde pour la perte des âmes » .

A partir de ce SUPPLICES qui nous a ouvert le Ciel, la pensée des cieux inspire le reste du canon, dans le MEMENTO des défunts et le NOBIS QUOQUE PECCATORIBUS où, à la faveur d'une nouvelle liste de saints martyrs, la miséricorde divine est suppliée de nous donner part à leur béatitude, malgré notre indignité.

 

XV- MEMENTO DES DEFUNTS

 

MEMENTO ETIAM, DOMINE, FAMULORUM FAMULARUMQUE TUARUM ... QUI NOS PRAECESSERUNT CUM SIGNO FIDEI ET DORMIUNT IN SOMNO PALIS.  IPSIS, DOMINE, ET OMNIBUS IN CHRISTO QUIESCENTIBUS, LOCUM REFRIGERII, LUCIS ET PALIS UT INDULGEAS, DEPRECAMUR. PER EUMDEM CHRISTUM DOMINUM NOSTRUM. AMEN

 

 

Souvenez‑Vous aussi, Seigneur, de nos défunts, vos serviteurs et vos servantes qui nous ont précédés marqués du sceau de la foi et dorment du sommeil de la paix.

Nous Vous supplions, Seigneur, de les admettre, eux et tous ceux qui reposent dans le Christ, au lieu du rafraîchissement, de la lumière et de la paix. Par le même Jésus‑Christ Notre Seigneur. Ainsi soit‑il.

 

 

MEMENTO DES DEFUNTS

 

SIGNAT UM EST SUPER NOS LUMEN VULT US T UI, DOMINE.

Ps, IV, 7.

 

Quand le bienheureux et bien nommé Fra Angelico nous décrit le paradis et qu'il y montre les Anges tenant la main des élus pour une ronde sacrée dans un printanier paysage verdoyant et fleuri, on se demande s'il n'a pas pénétré dans les cieux ; non, il ne fait que continuer une tradition très antique dont une des plus belles réalisations est la mosaïque de saint Apollinaire à Ravenne. Notre MEMENTO relève du même esprit, il traduit la même antiquité. Comment Paul VI pouvait‑il dire à Jean Guitton que par sa réforme liturgique avait été « retrouvée la source qui est la tradition la plus ancienne, la plus primitive, la plus proche des origines. Or cette tradition a été obscurcie au cours des siècles et particulièrement au Concile de Trente. » Merci pour le Concile de Trente, dont les effets furent si bénéfiques, traité si légèrement par un pape qui veut nous faire respecter le sien aux fruits empoisonnés. Son Annibal, touchant aux oraisons du Vendredi‑Saint s'est contenté de verser de joyeuses larmes sur des textes qui, pendant des siècles, « ont alimenté la piété chrétienne avec tant d'efficacité et qui ont encore aujourd'hui le parfum spirituel des temps héroïques de l'Eglise primitive » (cf. Celier, p. 34). L'Eglise n'a plus besoin de héros?

 

Non seulement le Concile de Trente a eu le souci de la Tradition, de toute la Tradition, mais il s'est spécialement gardé de « faire le moindre ajout, la moindre correction, la moindre substitution au canon romain, coeur de notre messe traditionnelle, une prière qui respire le plus évident parfum d'antiquité. » Nous l'avons vu notamment avec le SUPRA QUE, le Q UAM OBLATIONEM, le QUI PRIDIE QUAM PATERETUR. Rien n'est plus clair dans le MEMENTO des défunts. Comme le nard précieux que Marie‑Madeleine répandit sur la tête et les pieds du Seigneur en « signe de sa sépulture », l'antique parfum émanant de cette prière embaume la sépulture de ceux qui meurent dans le Christ, « marqués du sceau de la foi et qui dorment du sommeil de la paix. » La paix évoquée deux fois, le « sommeil de la paix », Dom Guéranger pense tout de suite aux Catacombes, à l'IN PACE qu'on y trouve partout et que nous recherchons en vain dans la IIème et IIIème prières eucharistiques.

 

Quant à l'idée de sommeil, elle‑même très primitive, elle nous rappelle le mot de Notre Seigneur parlant de la fille de Jaïre qu'il allait ressusciter : « Elle n'est pas morte, elle dort. » Même expression pour parler de Lazare. Nos cimetières, comme l'indique l'origine grecque du mot, sont les champs du sommeil en attendant la résurrection. Cette image de sommeil annonce donc avec le sens poétique et la discrétion des Anciens, le retour à la vie de nos corps eux‑mêmes. Mais comme l'âme n'existe plus néo‑liturgiquement, il y a quelque chose d'étrange dans l'insistance actuelle sur la résurrection. D'après la prière II, nos agonisants s'endormiraient « dans l'espérance de la résurrection », un point c'est tout. Dans le texte latin il y a : « Souvenez‑vous (pardon, souviens‑toi) dans votre miséricorde, IN TUA MISERICORDIA. Dans une anaphore pourtant si brève, ces mots ont disparu ! ... Et la prière ajoute (ça il ne faut pas le manquer !) : « Souviens‑toi aussi de tous les hommes qui ont quitté cette vie. » Voilà quelque chose de tout à fait nouveau et qui ne se rattache pas, quoi qu'en dise Paul VI, à la « tradition la plus ancienne, la plus primitive, la plus proche des origines, obscurcie au cours des siècles. » Non, la manière première et toujours maintenue, a été de prier pour ceux qui ont fait profession de la foi catholique et apostolique et qui sont morts baptisés. L'âme qui est au Purgatoire fait partie de l'Eglise, « l'Eglise souffrante » ici évoquée après l'Eglise militante et triomphante au début du canon. L'innovation de la prière III est tout de même plus discrète ; on y prie « pour les hommes qui ont quitté ce monde et dont tu connais la droiture. » La droiture, nous l'avons vu plus haut, est‑ce que cela suffit ? En tout cas, cela traduit mal le TIBI PLACENTES du latin (ceux qui t'ont plu).

 

Enfin, IVème prière : « Souviens‑toi de nos frères qui sont morts dans la paix du Christ et de tous les morts dont toi seul connais la foi. » ...Et qui ne seraient pas morts dans la paix du Christ qui n'auraient pas fait partie du divin bercail où le Bon Pasteur a eu le soin constant de préserver du loup et des mercenaires ses brebis : « Père, ceux que tu m'as donnés, je les ai gardés. » Elle était vraiment belle cette image du bercail dont se sont enchantés les premiers siècles chrétiens. Ils ont aimé représenter le compatissant Berger portant sur ses épaules sa brebis. Ils ont compris le Dieu d'Ezéchiel : « Je retirerai du milieu des peuples mes brebis et les rassemblerai de partout. Je les ferai paître sur les montagnes d'Israël, au bord du ruisseau, dans les pâturages les plus fertiles... Là, elles se reposeront au milieu d'herbages verdoyants ... C'est moi-même qui ferai paître mes brebis et qui les ferai se reposer, dit le Seigneur ».

 

Les anciens voyaient dans l'Eglise un bercail bien gardé par le Bon Pasteur, avec le bâton de sa croix, dans le paysage idyllique d'une prairie printanière où paissent des brebis d'une blancheur éclatante. Tel est le royaume « du rafraîchissement, de la lumière et de la paix », dont parle notre MEMENTO des morts ; et de ce royaume l'Eglise est la préfigure, ce qui explique d'ailleurs qu'il ne soit pas question dans sa liturgie de ceux qui ne sont pas du bercail ; la messe est le bien propre des chrétiens, leur pâturage sacré qui les nourrit et les désaltère. La prière du début du canon ne se fait que pour ceux qui ont la foi et sont de l'Eglise catholique et apostolique. Le MEMENTO des morts du canon romain relie étroitement l'Eglise et le Ciel, comme le SUPPLICES unissait l'autel de la terre à celui des cieux. Les brebis du bercail sont les baptisés, ceux qui ont reçu le signe de la foi (CUM SIGNO FIDEI). Le signe de la croix tracé sur le front du néophyte a été dès l'origine la manière de désigner le sacrement de l'initiation chrétienne. La croix résume toute la foi, c'est elle qui départage les rachetés par la Passion du Christ et ceux qui ne l'ont pas été. Tracée sur le front du baptisé, la croix devient la marque de l'appartenance au Christ, de la même manière que les brebis d'un bercail recevaient la marque de leur possesseur et le soldat le signe qui l'eût désigné comme déserteur, s'il avait refusé de servir sa patrie. Le baptême étant un sacrement de caractère, rien ne l'exprimait mieux que ce « saint sceau indissoluble » et ce « gage du royaume » dont parlait saint Cyrille de Jérusalem. Pour les « Constitutions Apostoliques », le signe de la croix était le « sceau de l'alliance nouvelle », l'équivalent pour le chrétien de la circoncision abolie. C'est le signe de l'Agneau dont parle l'Apocalypse. C'est le TAU (T) du salut qui écarta l'Ange exterminateur et qui permit, grâce à la libération de l'Egypte, l'entrée dans la Terre Promise. Par ce signe de la foi, le baptisé ne contracte pas seulement un devoir de fidélité au Christ, mais le Christ s'engage à son égard tout le premier. Quelle profondeur dans cette prière du canon romain!

 

Et quelle assurance de prédestination ! Le nombre des élus est fixé. Le jugement final ne viendra pas « avant que les Anges n'aient marqué au front les serviteurs de Dieu », dit l'Apocalypse,

« tous ceux qui viennent de la grande tribulation , qui ont lavé leurs robes et les ont blanchies dans le sang de l'Agneau ... Ils sont devant le trône de Dieu ; ils le servent nuit et jour dans son temple.

 

Celui qui est assis sur le trône déploie sa tente au‑dessus d'eux ; ils n'ont plus faim ni soif ; le soleil ne les accable plus ni aucune chaleur brûlante ; car l'Agneau qui est au milieu du trône les fait paître et les conduit aux sources des eaux de la vie ... Ils ont son nom ‑ (Jésus‑Sauveur) ‑ sur leur front. Le Seigneur les illumine ... Et j'entendis une voix qui venait du ciel disant : Heureux les morts qui meurent dans le Seigneur ! ‑ Oui, dit l'Esprit, qu'ils se reposent de leurs peines, car leurs oeuvres les suivent. »

 

Voilà dans quelle atmosphère se situe notre admirable MEMENTO du canon romain, celle des premiers âges de la sainte liturgie, depuis les Catacombes jusqu'aux basiliques des VIème et VIIème siècles.

 

XVI  -  NOBIS QUOQUE PECCATORIBUS

 

NOBIS QUOQUE PECCATORIBUS, FAMULIS TUIS, DE MULTITUDINE MISERATIONUM T UAR UM SPERANTIB US, PAR TEM ALIQUAM ET SOCIETATEM DONARE DIGNERIS, CUM TUIS SANCTIS APOSTOLIS ET MARTYRIBUS, CUM JOANNE, STEPHANO, MATTHIA, BARNABA, IGNATIO, ALEXANDRO, MARCELLINO, PETRO, FELICITATE, PERPETUA, AGATHA, LUCIA, AGNETE, CECILIA, ANASTASIA, ET OMNIBUS SANCTIS TUIS INTRA QUORUM NOS CONSORTIUM NON AESTIMATOR MERITI SED VENIAE, QUESUMUS, LARGITOR ADMITTE.

PER CHRISTUM DOMINUM NOSTRUM

 

PER QUEM HEC OMNIA, DOMINE, SEMPER BONA CREAS, SANCTIFICAS, VIVIFICAS,  BENEDICIS, ET PRIESTAS NOBIS.

 

PER IPSUM ET CUM IPSO ET IN IPSO EST TIBI DEO PATRI OMNIPOTENTI IN UNITATE SPIRITUS SANCTI OMNIS HONOR ET GLORIA. PER OMNIA SECULA SAECULORUM.

 

Pour nous aussi, pécheurs, qui sommes vos serviteurs et espérons en la multitude de vos miséricordes, daignez aussi nous donner part au céleste héritage et nous réunir à vos saints Apôtres et Martyrs, à Jean, Etienne, Matthias, Barnabé, Ignace, Alexandre, Marcellin, Pierre, Félicité, Perpétue, Agathe, Lucie, Agnès, Cécile, Anastasie et à tous vos saints. Nous vous en supplions : recevez‑nous en leur sainte société, non point en considération de nos mérites, mais en usant d'indulgence à notre égard.

 

Au nom de Notre Seigneur Jésus‑Christ. Par qui, Seigneur, Vous créez sans cesse tous ces biens, Vous les sanctifiez, Vous les vivifiez, Vous les bénissez et Vous nous les donnez.

 

C'est par Lui, et avec Lui et en Lui, que tout honneur et toute gloire Vous sont rendus ô Dieu, Père tout‑puissant, en l'unité du Saint‑Esprit. Dans tous les siècles des siècles.

 

NOBIS QUOQUE PECCATORIBUS

 

De l'éternel printemps des cieux nous nous sentons biens indignes, quoique de la famille de Dieu par le baptême (FAMULIS) ; nous sommes de pauvres pêcheurs (PECCATORIBUS). Le but de cet ouvrage n'étant pas de faire l'histoire de la messe, il importe peu de savoir pourquoi, ici le prêtre élève la voix, ainsi qu'au début du NON SUM DIGNUS. C'est l'humilité que ce rite inspire maintenant et cette attitude convient à toute la messe, à l'exemple du publicain de la parabole évangélique, seul agréé par le Seigneur. La liturgie traditionnelle est réaliste, elle ne se berce pas d'illusions. Parce qu'elle se place devant Dieu, elle est pleine de sa  révérence. Le culte de l'homme lui fait horreur. Elle préfère mépriser sans nuance les choses terrestres que de ne pas aimer de tout coeur les choses célestes.

A l'occasion de la seconde liste de saints et de saintes ‑ (sept martyrs et sept martyres à la suite de saint Jean‑Baptiste) ‑ le prêtre ne demande plus leur secours et leur protection comme dans le COMMUNICANTES, il prie humblement le Seigneur que nous ayons tous part avec eux dans la lumière, non pas à CAUSE de nos mérites qui sont minces, mais par l'effet de cette libéralité dans le pardon qui convient à Dieu : LARGITAS ! Oui, Seigneur, selon l'expression de votre Serviteur David pécheur mais repentant (Ps. MISERERE, 2), c'est dans le seul espoir « de l'abondance de vos miséricordes » (DE MULTITUDINE MISERA­TIONUM TUARUM) que nous pouvons accéder à la société de pareils martyrs dans le Ciel.

 

L’œil exercé du liturgiste dans l'âme que fut le Père Calmel a vu dans la finale de la PREX  IVa une sorte de réplique du NOBIS QUOQUE PEC­CATORIBUS à la mode nouvelle. Au canon romain, nous nous avouons à la fois pécheurs et serviteurs. Voici comment il faudrait prier maintenant

(PREX IVa) « A nous qui sommes tes enfants, accorde, Père très bon, l'héritage de la vie éternelle auprès de .... et de tous les Saints, dans ton Royaume, où nous pourrons, avec la création tout entière enfin libérée du péché et de la mort, Te glorifier par le Christ, Notre Seigneur par qui tu donnes au monde toute grâce et tout bien. » Quelle merveille cette réminiscence du chapitre VIII de l'Epître aux Romains : « La création elle‑même sera délivrée de la servitude de la corruption. »

 

Le Dominicain ne s'en laisse pas conter (Itinéraires n° 206, p. 136). « Les auteurs des nouvelles PRECES ont fait endosser le péché à toute la création, mais l'homme pécheur n'existe plus. Ils se refusent à dire que les pécheurs, c'est nous NOBIS PECCATORIB US. »

 

Il y a un autre utile recours à la SOLA SCRIPTURA : c'est la nouvelle traduction de l'AGNUS DEI. PECCATA MUNDI ? Non ... PECCATUM MUNDI, le péché du monde... C'est bien commode : l'homme innocent, la société coupable ; on connaît l'antienne.

 

Les bénédictions qui suivent rappellent sans doute qu'autrefois les fidèles apportaient des fruits sur l'autel comme pour unir à la table du Seigneur celle de la famille. Encore maintenant, dans les monastères, les raisins nouveaux sont apportés à ce moment du canon, le jour de la saint Sixte, coïncidant la plupart du temps avec la fête de la Transfiguration (6 Août). Le Jeudi‑Saint, l'évêque s'arrête au PER QUEM pour procéder à la bénédiction de l'huile des infirmes. Rien n'empêche que maintenant les signes de croix soient faits sur les oblats consacrés, car la permanence des « espèces » rappelle sans cesse, nous l'avons dit plus haut, notre oblation propre.

 

Avant d'aborder l'admirable conclusion de la prière eucharistique romaine, il faut signaler son plein accord avec le PATER que saint Grégoire le Grand a été bien inspiré de placer à sa suite. « Abrégé de tout l'Evangile », comme disait Tertullien, l'oraison dominicale résume en même temps toute la messe. Elle en constitue, si je puis dire, la charnière sacrée : tout y est orienté d'abord à la gloire de Dieu, proclamée par la fin du canon ; et, à partir du PANEM NOSTRUM qui fait penser au « Pain supersubstantiel », tout prépare à la communion. A cette intime rencontre nous ne pouvons aller que l'âme pardonnée, c'est‑à‑dire remettant les propres offenses qui nous ont été faites. ‑ (Ici, la traduction officielle est étrange : il faudrait pardonner « aussi » à ceux qui nous ont offensés ; alors nous pardonnons à ceux qui ne nous offensent pas ?) ‑ Munis du pain des forts, nous pouvons surmonter les tentations du démon ‑ (non pas celles de Dieu ! C'est une grave injure que de s'exprimer ainsi dans le nouveau PATER). Libérés du mal nous serons dans la paix du Christ, celle que le monde ne donne pas, assimilés à Celui que nous avons reçu dans l'humilité et le ferme désir d'être toujours plus à lui.

 

Dans cette suite logique, que vient faire l'acclamation : « A toi le règne, à toi la puissance et la gloire dans les siècles des siècles ! » A la fin de la prière qui s'articule à la dernière demande du PATER : LIBERA NOS A MALO, libérez‑nous du mal ?

 

Puisque cette invention, belle en soi, tenait tant au cœur des néoliturges, ils pouvaient la situer aussitôt le canon, comme une sorte d'explication du grand AMEN final. C'eût été ne pas contrevenir à leur grand principe de non‑répétition. En tout cas, la maladie du changement a troublé l'harmonie d'un développement normal.

 

Mais il est une harmonie autrement grave, dangereusement troublée depuis Vatican II, par la raréfaction du Saint‑Sacrifice, à cause de la concélébration. A la concélébration, il n'y a qu'une seule messe. L'ordre du monde et le bien de l'Eglise réclament contre pareilles pratiques quand il s'agit de l'oblation salvatrice. Comment ne le voit‑on pas ? ne le crie‑t‑on pas 9 et quels hommages ravis à Dieu ! .

 

Au contraire, quelle assurance de grâces, d'ordre et de paix sur le pays quand partout dans le choeur de tant d'églises et de chapelles, les cierges s'allumaient chaque matin et les cloches annonçaient la venue du Christ parmi nous ! Quelle image de Paradis sur terre que ces premières heures monastiques qui émerveillaient Suger, le grand abbé de Saint‑Denis, quand les abbatiales devenaient des ruches bourdonnantes de prière par ces messes célébrées dans la couronne des chapelles rayonnantes pendant que le soleil s'élevait dans le ciel enflammant la mosaïque des verrières !

XVII  - PER IPSUM ET CUM IPSO ET IN IPSO

Soli Deo honor et gloria

(St Paul I, Tim. 1, 17)

 

« Maintenant donc, ô notre Dieu, nous Vous louons et nous célébrons votre Nom glorieux. Car qui suis‑je et qui est mon peuple pour que nous ayons le pouvoir et la force de faire de pareilles offrandes ? »

(I Par. XXIX, 13‑14, cantique de David).

 

Pour la troisième fois pendant le canon romain, le prêtre va tracer cinq petits signes de croix, mais cette fois après avoir fait la génuflexion et pris l'Hostie sacrée dans la main. Il dit alors solennellement : « Par Lui, avec Lui et en Lui ; ‑ (le Christ présent sous les saintes espèces) ‑ sont rendus au Père Tout‑Puissant, dans l'unité du Saint‑Esprit tout honneur et toute gloire ! » A ces derniers mots il élève l'Hostie ainsi que le Calice comme pour signifier « qu'une fois élevé le Sauveur attire tout à Lui. »

Ici, à la messe, au terme de la grande prière sacrificielle, les cinq croix tracées par le prêtre et répondant à celles qui sont représentées sur la pierre d'autel évoquent les cinq plaies qui ont été ouvertes sur la croix et d'où le sang rédempteur s'est répandu jusqu'à la dernière goutte dans une immolation pleine et entière d'obéissance et d'amour, pour la rémission des péchés. Car c'est du renouvellement sacramentel de cette parfaite oblation que dépendent à jamais gloire et honneur à l'Auguste Trinité.

 

Cette conclusion de l'Eucharistie romaine est d'une extraordinaire grandeur, d'une profondeur abyssale, d'une largeur sans limite. En l'empruntant et en la traduisant la néo‑liturgie a trouvé le moyen d'en affaiblir le sens.

 

Après avoir supprimé les signes de croix qui l'accompagnent, elle a omis de traduire l'indicatif présent, comme s'il ne s'agissait que d'un souhait. Or il s'agit d'une réalité qui s'opère HIC ET NUNC et qui est proprement inouïe. Elle était appelée dès le dialogue de la Préface comme l'aspiration de tous les coeurs, comme une obligation primordiale de l'esprit ; rendre à Dieu un hommage digne de Lui, à la mesure de sa majesté, satisfaisant au premier devoir de la Justice: VERE DIGNUM ET JUSTUM,AEQUUM ET SALUTARE. Pareil désir nous dépasse, il nous est impossible de rendre gloire à Dieu d'une façon pleinement digne et juste, nous, chétives créatures et par surcroît créatures pécheresses.

 

Pourtant l'ordre l'exige ; il incombe à l'homme d'être la voix de toute la création merveilleuse restaurée plus merveilleusement encore. Eh bien, c'est chose faite, vraiment réalisée. Quelle joie pour le prêtre, quelle joie pour nous, pour toute l'Eglise, pour le monde entier ! Oui, honneur et gloire sont rendus à Dieu grâce à la messe, par Lui (le Christ immolé, qui seul le peut), avec Lui et en Lui. Sans la messe tout serait désordonné, déséquilibré, désorienté. Par la messe tout est rétabli qui ne pouvait l'être par les anciens sacrifices. Unis au Fils de Dieu, une multitude de fils osent maintenant s'adresser à un Père qui les agrée et qui les aime, à travers son Fils, dans l'unité du Saint‑Esprit. Par le Christ Jésus, Notre Seigneur, avec Lui et en Lui, le nom du Dieu trois fois saint est sanctifié sur la terre comme au Ciel ; sur la terre comme au Ciel son règne est perpétué, sur la terre comme au Ciel, sa volonté est faite. Le Prêtre, agent du Prêtre souverain, vient de réaliser une action qui unit vraiment le Ciel à la terre et la lui subordonne. L'AMEN qui se fait entendre ensuite, serait‑il prononcé par un simple servant, retentit comme l'AMEN des cieux, pareil à la voix d'une foule immense, au bruit des grandes eaux, au fracas de puissants tonnerres.

 

« Alleluia ! Il règne, le Seigneur notre Dieu, le Tout‑Puissant ! Réjouissons‑nous, tressaillons d'allégresse et rendons Lui gloire ! AMEN. »


EPILOGUE

 

« Si le sacrifice de la messe s'éteignait, nous ne tarderions pas à retomber dans l'état dépravé où se trouvaient les peuples souillés par le paganisme, et telle sera l'oeuvre de l'Antéchrist ; Il prendra tous les moyens d'empêcher la célébration de la sainte messe, afin que ce grand contre‑poids soit abattu, et que Dieu mette fin alors à toute chose, n'ayant plus de raison de les faire subsister. Nous pouvons facilement le comprendre, car depuis le protestantisme, nous voyons beaucoup moins de force au sein des sociétés. Des guerres civiles se sont élevées, portant avec elles la désolation, et cela uniquement parce que l'intensité du sacrifice de la messe est diminuée. C'est le commencement de ce qui arrivera lorsque le diable et ses suppôts seront déchaînés par toute la terre, y mettant le trouble et la désolation, ainsi que Daniel nous en avertit. » (Dom Guéranger)

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