Catéchisme du Concile de Trente : Troisième partie

De Salve Regina

Grands catéchismes
Auteur : Catéchisme du Concile de Trente
Date de publication originale : 1564-1566

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen
Remarque particulière : Cette version ne comprend pas les notes. Scanné d’après le reprint que les éditions Dominique Martin Morin ont fait du numéro 136 (septembre-octobre 1969) de la revue ‘Itinéraires’. (‘Itinéraires’ reprenait sans rien y changer le texte des éditions Desclée et Cie, imprimatur à Tournai, le 17 juillet 1923.). Les définitions dogmatiques postérieures à la rédaction du Catéchisme du Concile de Trente (Immaculée Conception, Infaillibilité pontificale, Assomption), qui figurent en annexe, ont été ajoutées dans la réédition de 1984.

Sommaire

Troisième partie — Du Décalogue

Chapitre vingt-huitième — Des Commandements de Dieu en général

Saint Augustin n’a pas craint de dire que le Décalogue est le sommaire et l’abrégé de toutes les Lois. Bien que Dieu eût fait pour son peuple un grand nombre de prescriptions, néanmoins Il ne donne à Moïse que les deux tables de pierre, appelées les tables du témoignage, pour être déposées dans l’Arche. Et en effet, il est facile de constater que tous les autres Commandements de Dieu dépendent des dix qui furent gravés sur les tables de pierre, si on les examine de près, et si on les entend comme il convient. Et ces dix Commandements dépendent eux-mêmes des deux préceptes de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain, dans lesquels sont renfermés la Loi et les Prophètes. 

§ I. — NÉCESSITÉ D’ÉTUDIER ET D’EXPLIQUER LE DÉCALOGUE.

Le Décalogue étant l’abrégé de tous les devoirs, les Pasteurs sont obligés de le méditer jour et nuit, non seulement pour y conformer leur propre vie, mais encore pour instruire dans la Loi du Seigneur le peuple qui leur est confié. Car  « les lèvres du Prêtre sont dépositaires de la science, et les peuples recevront de sa bouche l’explication de la Loi, parce qu’il est l’ange du Seigneur des armées. » Ces paroles s’appliquent admirablement aux Prêtres de la Loi nouvelle, parce qu’étant plus rapprochés de Dieu que ceux de la Loi ancienne, ils doivent  « se transformer de clarté en clarté, comme par l’Esprit du Seigneur. » D’ailleurs, puisque Jésus-Christ Lui-même leur a donné le nom de  « lumière », leur devoir et leur rôle, c’est d’être  « la lumière de ceux qui sont dans les ténèbres, les docteurs des ignorants, les maures des enfants ; et si  quelqu’un tombe par surprise dans quelque péché, c’est à ceux qui sont spirituels à le relever. »

Au tribunal de la Pénitence ils sont de véritables juges, et la sentence qu’ils portent est en raison de l’espèce et de la grandeur des fautes. Si donc ils ne veulent ni s’abuser eux-mêmes, ni abuser les autres par leur ignorance, il est nécessaire qu’ils étudient la Loi de Dieu avec le plus grand soin, et qu’ils sachent l’interpréter avec sagesse, afin de pouvoir rendre sur toute faute, action ou omission, un jugement conforme à cette règle divine, et encore comme dit l’Apôtre  afin de pouvoir donner « la saine Doctrine », c’est-à-dire, une doctrine exempte de toute erreur, et capable de guérir les maladies de l’âme, qui sont les péchés, et de faire des Fidèles  « un peuple agréable à Dieu par la pratique des bonnes œuvres. »

§ II. — DIEU AUTEUR DU DÉCALOGUE.

Mais dans ces sortes d’explications, le Pasteur doit rechercher, tant pour lui-même que pour les autres, les motifs les plus propres à obtenir l’obéissance à cette Loi. Or, parmi ces motifs, le plus puissant pour déterminer le cœur humain à observer les prescriptions dont nous parlons, c’est la pensée que Dieu Lui-même en est l’Auteur. Bien qu’il soit dit  « que la Loi a été donnée par le ministère des Anges », nul ne peut douter qu’elle n’ait Dieu Lui-même pour auteur. nous en avons une preuve plus que suffisante, non seulement dans les paroles du législateur que nous allons expliquer, mais encore dans une multitude de passages des saintes Écritures, qui sont assez connus des Pasteurs.

Il n’est personne en effet qui ne sente au fond du cœur une Loi que Dieu Lui-même y a gravée, et qui lui fait discerner le bien du mal, le juste de l’injuste, l’honnête de ce qui ne l’est pas. Or la nature et la portée de cette Loi ne diffèrent en rien de la Loi écrite, par conséquent il est nécessaire que Dieu, Auteur de la seconde, soit en même temps l’Auteur de la première.

Il faut donc enseigner que cette Loi intérieure, au moment où Dieu donna à Moise la Loi écrite, était obscurcie et presque éteinte dans tous les esprits par la corruption des mœurs, et par une dépravation invétérée ; on conçoit dès lors que Dieu ait voulu renouveler et faire revivre une Loi déjà existante plutôt que de porter une Loi nouvelle. Les Fidèles ne doivent donc pas s’imaginer qu’ils ne sont pas tenus d’accomplir le Décalogue, parce qu’ils ont entendu dire que la Loi de Moïse était abrogée. Car il est bien certain qu’on doit se soumettre à ces divins préceptes, non pas parce que Moïse les a promulgués, mais parce qu’ils sont gravés dans tous les cœur », et qu’ils ont été expliqués et confirmés par Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même.

Toutefois, (et cette pensée aura une grande force de persuasion), il sera très utile d’engager les Fidèles à se rappeler que Dieu Lui-même est l’Auteur de la Loi ; Dieu dont nous ne pouvons révoquer en doute la Sagesse et l’équité, Dieu enfin dont la Force et la Puissance sont telles qu’il nous est impossible d’y échapper. Aussi, quand Il ordonne par ses Prophètes l’observation de sa Loi, nous l’entendons dire: « Je suis le Seigneur Dieu. » Et au commencement du Décalogue:  « Je suis le Seigneur votre Dieu » et ailleurs:  « si Je suis le Seigneur, où est la crainte que vous avez de moi » ?

Mais cette pensée n’excitera pas seulement les Fidèles à garder les Commandements de Dieu, elle les portera encore à Le remercier d’avoir fait connaître ses volontés qui nous donnent les moyens d’opérer notre salut. L’Écriture, dans beaucoup d’endroits, rappelle aux hommes ce grand bienfait, et les exhorte à sentir tout ensemble leur propre dignité et la bonté de Dieu comme dans ce passage du Deutéronome:  « Telle sera votre Sagesse et votre Intelligence devant nous les peuples, que tous ceux qui auront connaissance de ces commandements diront: voilà un peuple sage et intelligent, voilà une grande nation. » Et dans celui-ci du Psalmiste:  « Il n’a pas agi de la sorte avec toutes les nations ; Il ne leur a pas ainsi manifesté ses jugements. »

Si le Pasteur a soin de rapporter et de dépeindre ensuite, d’après l’autorité de la Sainte Écriture, la manière dont la Loi fut donnée, les Fidèles n’auront pas de peine à comprendre avec quelle piété et quelle soumission ils doivent accomplir des Commandements qui leur viennent de Dieu.

Trois jours avant la promulgation du Décalogue, sur l’ordre formel de Dieu, tous les Hébreux furent obligés de laver leurs vêtements et de garder la continence, afin d’être purs et plus prêts à recevoir la Loi du Seigneur. Quand les trois jours de préparation furent passés, ils vinrent tous au pied de la montagne, où Dieu avait résolu de leur donner sa Loi par l’intermédiaire de Moise. Moise en effet fut appelé seul sur la Montagne. Alors Dieu lui apparut dans tout l’éclat de sa Majesté. Il se mit à parler avec lui et lui donna les préceptes du Décalogue au milieu des tonnerres, des feux, des éclairs, et d’un nuage épais qui couvrit toute la Montagne. Or, que voulait la Sagesse divine par tous ces prodiges ? Sinon de montrer avec quelle pureté de cœur et quelle humilité nous devons accueillir sa Loi, et quels châtiments terribles sa justice nous réserve, si nous n’y faisons pas attention.

Ce n’est pas assez ; le Pasteur devra faire voir aussi que cette Loi n’est pas difficile à accomplir. Il lui suffira pour cela d’apporter cette raison donnée par Saint Augustin:  « Comment, dit-il, peut-il être impossible à l’homme d’aimer son Créateur qui le comble de tant de biens, d’aimer un père qui l’a tant aimé, d’aimer sa propre chair dans ses frères ? Or, celui qui aime accomplit la Loi. » C’est ce qui faisait dire à l’Apôtre Saint Jean:  « Les Commandements de Dieu ne sont point pénibles. » En effet, dit à son tour Saint Bernard,  « on ne pouvait exiger de l’homme rien de plus juste, rien de plus digne, rien de plus avantageux pour lui. » De là aussi cette exclamation de Saint Augustin, admirant la Bonté infinie de Dieu:  « Qu’est-ce que l’homme, ô mon Dieu, pour que Vous lui ordonniez de Vous aimer, et que Vous le menaciez des plus grands châtiments, s’il ne Vous aime pas ? n’est-ce pas déjà un assez grand châtiment de ne Vous aimer pas ? »

Si quelqu’un s’excusait de ne pouvoir aimer Dieu, en alléguant la faiblesse de sa nature, il faudrait lui apprendre que Dieu qui exige que nous L’aimions, allume Lui-même le feu de son Amour dans nos cœurs par le Saint-Esprit, et que le Père céleste communique toujours cet esprit de bonté et d’amour à ceux qui le Lui demandent. Saint Augustin avait donc bien raison de dire:  « Seigneur, donnez-moi tout ce que Vous exigez, et exigez tout ce que Vous voulez. » Ainsi donc, puisque Dieu est toujours disposé à nous aider, surtout depuis que son divin Fils Notre-Seigneur Jésus-Christ est mort pour nous, et a chassé loin de nous par sa Mort le prince des ténèbres, personne ne peut plus s’écarter de la Loi de Dieu par la difficulté de l’observer. II n’y a rien de difficile pour celui qui aime.

§ III. — NÉCESSITÉ DE GARDER LES COMMANDEMENTS.

Le Pasteur disposera d’un moyen très puissant pour obtenir ce qu’il demande ici, s’il a soin de bien montrer que l’observation des Commandements de Dieu est d’une nécessité absolue. Et il insistera d’autant plus sur ce point qu’aujourd’hui il ne manque pas d’hommes, qui ne craignent pas de soutenir, pour leur malheur, que cette Loi, facile ou difficile, n’est pas nécessaire au salut. Pour réfuter cette doctrine impie et criminelle, il n’aura qu’à invoquer le témoignage de la Sainte Écriture, et particulièrement de ce même Apôtre sur l’autorité duquel on s’efforce d’appuyer cette erreur funeste. Que dit en effet l’Apôtre:  « Il importe peu d’être circoncis, ou incirconcis, ce qui est absolument nécessaire, c’est l’observation des Commandements de Dieu. » Quand ensuite il répète ailleurs la même maxime et nous dit que  « La nouvelle créature en Jésus-Christ vaut seule quelque chose », il nous fait clairement entendre que par cette nouvelle créature en Jésus-Christ il veut signifier celui qui observe les Commandements de Dieu. Car avoir reçu les Commandements de Dieu et les observer, c’est L’aimer, d’après ce témoignage de Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même dans Saint Jean:  « Celui qui M’aime gardera ma parole. » En effet, quoique l’homme puisse cesser d’être impie, avant d’avoir accompli des actes extérieurs de chaque précepte de la Loi, cependant il est impossible à celui qui a l’usage de sa raison, de passer de l’impiété à la justice, sans avoir le cœur disposé à garder tous les Commandements de Dieu.

§ IV. — AVANTAGE DE LA LOI DE DIEU.

Enfin, pour ne rien omettre de ce qui peut amener le peuple chrétien à pratiquer la Loi, le Pasteur aura soin de montrer combien les fruits qu’elle porte sont nombreux et consolants. A cette fin il n’aura qu’à citer le Psaume dix-huitième qui célèbre les mérites de la Loi de Dieu. Et le plus grand des mérites de cette Loi, c’est de révéler la gloire de son Auteur et de faire ressortir sa divine Majesté, bien mieux encore que les corps célestes eux-mêmes dont la beauté éclatante et l’ordre magnifique frappent d’admiration les peuples les plus barbares et les obligent à reconnaître la Gloire, la Sagesse et la Puissance de l’Artiste incomparable, Créateur de toutes choses. Cette Loi  élève et convertit les âmes à Dieu ; c’est elle qui nous instruit de ses Voies, nous révèle sa très sainte Volonté, et nous fait marcher dans le chemin que Lui-même nous a tracé. Mais comme il n’y a que ceux qui craignent Dieu qui sont les vrais sages, le Psalmiste attribue encore à la Loi cette vertu singulière « de donner la sagesse aux petits. »  Et enfin, dit-il, ceux qui l’observent fidèlement possèdent des joies pures, des consolations abondantes puisées dans la contemplation des divins Mystères, des récompenses infinies en cette vie et en l’autre.

Cependant prenons garde d’accomplir cette sainte Loi moins pour notre avantage que pour l’amour que nous devons à Dieu, précisément parce qu’Il a bien voulu nous exprimer sa Volonté en nous la donnant. Et puisque toutes les autres créatures Lui sont soumises, n’est-il pas bien plus juste encore que nous-mêmes Lui obéissions en toutes choses

Mais il ne faut pas passer sous silence une réflexion qui nous fait sentir vivement la Clémence de Dieu à notre égard, et apprécier les trésors de son infinie Bonté. Ce Dieu pouvait nous obliger à servir les intérêts de sa Gloire, sans aucune récompense, néanmoins il Lui a plu de rapprocher tellement sa Gloire de notre avantage, que ce qui sert à Le glorifier, sert aussi à notre propre bien. Cette considération est très forte et très frappante. Le Pasteur ne manquera pas de montrer aux Fidèles avec le Prophète que  « Dans l’accomplissement de la Loi se trouvent d’abondantes récompenses. » Dieu ne nous promet pas seulement les bénédictions qui semblent se rapporter plutôt au bonheur terrestre, comme  « les bénédictions de nos villes et de nos champs », mais II nous propose encore  « un immense trésor dans le ciel, et  cette mesure pleine, pressée, entassée, coulant par-dessus les bords », que nous méritons avec l’aide de sa divine miséricorde, par des œuvres de justice et de piété.


Chapitre vingt-neuvième — Du premier Commandement

« Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai tiré de la terre d’Égypte, de la maison de servitude ; tu n’auras point de dieux étrangers devant Moi ; tu ne te feras point d’idoles », etc.

Cette Loi que Dieu donna aux Juifs sur le mont Sinaï, la nature l’avait imprimée et gravée longtemps auparavant dans le cœur de tous les hommes, et tous les hommes pour ce motif étaient obligés de l’accomplir. Dieu l’avait ainsi voulu. II sera donc très utile d’expliquer avec soin aux Fidèles les termes mêmes dans lesquels elle fut promulguée par Moïse, qui en fut le ministre et l’interprète, et de leur faire connaître l’histoire si pleine de mystères du peuple hébreu.

§ I. — RÉCIT ABRÉGÉ DE L’HISTOIRE SACRÉE.

Les Pasteurs commenceront par raconter que de toutes les nations qui vivaient sur la terre, Dieu en choisit une qui descendait d’Abraham. Ce saint Patriarche, pour obéir à Dieu, avait habité comme étranger la terre de Chanaan, et Dieu lui avait promis de lui donner cette terre ; mais ni lui ni ses descendants ne la possédèrent qu’après avoir erré pendant plus de quatre cents ans. Durant ce long pèlerinage, Dieu ne les abandonna jamais. Ils allaient de nation en nation, de peuple en peuple, mais nulle part II ne souffrit qu’on leur fît aucun mal, et même Il punit les rois qui voulaient leur nuire. Avant qu’ils descendissent en Égypte, Il envoya dans ce pays un homme dont la sagesse devait les préserver, eux et les Égyptiens, des suites de la famine. Il les entoura tellement de sa Bonté protectrice, que malgré la résistance de Pharaon et son acharnement à les perdre, ils se multiplièrent prodigieusement. Puis quand Il les vit dans l’affliction et soumis au plus dur esclavage, Il suscita un chef dans la personne de Moïse pour les tirer d’Égypte par la puissance de son bras. C’est de cette délivrance que Dieu fait mention au commencement de la Loi. quand Il dit:  « Je suis le Seigneur ton Dieu qui t’ai tiré de la terre d’Égypte, de la maison de servitude. »

Ici le Pasteur fera remarquer avec soin que si Dieu choisit cette nation entre toutes, pour l’appeler son peuple, et pour être plus spécialement connu et servi par elle, ce n’est point qu’elle fût plus nombreuse ou plus juste que les autres, comme Dieu ne manque pas de le lui rappeler ; mais c’est qu’Il le voulut ainsi pour rendre plus sensible et plus éclatante aux yeux de tous sa Puissance et sa Bonté, en comblant de bienfaits et de richesse une nation si peu nombreuse et si pauvre. Quelque misérable que fût l’état des Hébreux, Dieu s’attacha à eux, et les aima, au point que le Maître du ciel et de la terre ne rougit point d’être appelé leur Dieu.  Son but était de provoquer les autres peuples à les imiter, et d’amener tous les hommes à embrasser son culte, par le bonheur dont Il comblait les Israélites sous leurs yeux. De même l’Apôtre Saint Paul déclarera plus tard  qu’Il a excité l’émulation de son peuple, en lui représentant le bonheur des Gentils, et la connaissance du vrai Dieu qu’Il leur avait donnée.

Ensuite le Pasteur enseignera aux Fidèles que Dieu laissa longtemps les Patriarches hébreux errer comme des voyageurs en pays étranger, et leurs descendants gémir sous l’oppression et l’accablement de la plus dure servitude, pour nous apprendre qu’on ne peut être ami de Dieu, sans être ennemi du monde et étranger sur la terre, et par conséquent qu’il est d’autant plus facile de gagner son amitié qu’on est plus détaché et séparé du monde. En même temps, Il voulait nous faire comprendre, à nous qui Lui rendons le culte qu’Il mérite, qu’il y a infiniment plus de bonheur à Le servir, qu’à servir le monde. C’est ce que l’Écriture nous rappelle quand elle dit:  « Les enfants de Judas seront soumis à Sésac, afin qu’ils apprennent quelle différence il y a entre mon service et le service des rois de fa terre ».

Il expliquera aussi que Dieu n’accomplit sa promesse qu’après plus de quatre cents ans, afin d’entretenir son peuple dans la Foi et l’Espérance. Le Seigneur en effet veut que ses enfants dépendent continuellement de Lui et qu’ils mettent tout leur espoir dans sa bonté, comme nous le dirons en développant le premier Commandement.

Enfin il marquera le temps et le lieu où le peuple d’Israël reçut de Dieu cette Loi. Ce fut après sa sortie d’Égypte et dès qu’il fut entré dans le désert, afin que le souvenir de sa récente délivrance et la vue d’une région si sauvage le rendît plus propre à recevoir ses Commandements. Les hommes en effet s’attachent fortement à ceux dont ils viennent d’éprouver la bonté, et ils se réfugient sous la protection de Dieu, lorsqu’ils se voient privés de tout secours humain. Et c’est ce qui nous fait conclure que nous sommes d’autant mieux disposés à recevoir les Vérités divines, que nous fuyons davantage les attraits du monde et les plaisirs mauvais. Aussi est-il écrit dans le Prophète:  « A qui le Seigneur enseignera-t-il sa Loi ? A qui donnera-t-il l’intelligence de sa parole ? Aux enfants sevrés et arrachés du sein de leurs mères. »

§ II. — APPLICATION DE CETTE HISTOIRE AUX CHRÉTIENS.

Que le Pasteur s’efforce donc, autant qu’il le pourra, d’amener les Fidèles à avoir toujours présentes à l’esprit ces paroles si graves: Je suis le Seigneur votre Dieu. Elles leur feront comprendre qu’ils ont pour législateur le Créateur Lui-même, Celui qui leur a donné la vie et qui la leur conserve, et leur permettront de répéter en toute vérité :  « Oui, il est notre Seigneur et notre Dieu: nous sommes le peuple de ses pâturages, le troupeau de sa droite. » Ces paroles souvent répétées, et avec une sainte ardeur, auront la vertu de les rendre plus prompts à obéir à la Loi, et de les éloigner du péché.

Quant aux suivantes: « Qui vous ai tirés de la terre d’Égypte, de la maison de servitude, » bien qu’elles semblent s’appliquer uniquement aux Hébreux délivrés de la domination des Égyptiens, néanmoins si l’on considère ce qu’est en elle-même l’œuvre du salut de tous, il est facile de voir qu’elles se rapportent infiniment mieux aux Chrétiens qui ont été arrachés par Dieu Lui-même non pas à la servitude d’Égypte, mais à la région du péché et à la puissance des ténèbres, pour être introduits enfin dans le Royaume de son Fils bien-aimé. C’est ce grand bienfait qu’avait en vue le Prophète Jérémie quand il disait:  « Voici que des jours viennent, dit le Seigneur, oie l’on ne dira plus: Vive le Seigneur, qui a tiré les enfants d’Israël de la terre d’Égypte ! mais vive le Seigneur, qui a rappelé les enfants d’Israël du Septentrion, et de toutes les parties de la terre où ils avaient été dispersés, pour les réunir dans la terre qui avait été donnée à leurs pères ! Voilà, dit le Seigneur, que J’enverrai des pêcheurs en grand nombre, et ils pêcheront les enfants d’Israël. »

En effet, ce Père infiniment bon a rassemblé, par son Fils,. ses enfants dispersés , afin que désormais esclaves de la justice et non plus du péché , nous le servions en marchant devant Lui tous les jours de notre vie dans la sainteté et la justice .

Ainsi à toutes les tentations sachons opposer, comme un bouclier, ces paroles de l’Apôtre : « Étant mort au péché, comment pourrions-nous vivre encore dans le péché ? » nous ne sommes plus à nous, mais à Celui qui est mort et qui est ressuscité pour nous. C’est le Seigneur notre Dieu Lui-même qui nous a achetés au prix de son Sang. Comment pourrions-nous pécher encore contre Lui, et de nouveau l’attacher à la croix ? puisque nous sommes vraiment libres, de cette liberté que Jésus-Christ Lui-même nous a rendue , faisons servir nos membres à la justice, et à notre propre sanctification, comme nous les avons fait servir à l’injustice et à l’iniquité.

§ III. — OBJET DU PREMIER COMMANDEMENT.

« Vous n’aurez point de dieux étrangers devant Moi. » Le Pasteur fera remarquer que dans le Décalogue la première place est pour les choses qui regardent Dieu, et la seconde pour celles qui regardent le prochain. C’est qu’en effet Dieu est la cause des devoirs que nous accomplissons envers le prochain. Et ce prochain nous ne l’aimons conformément à l’ordre de Dieu que si nous l’aimons pour Dieu. — On sait que la première des deux tables de pierre renfermait les Commandements qui ont Dieu pour objet. — Le Pasteur montrera ensuite que les paroles qui expriment le premier Commandement contiennent deux préceptes, dont l’un a pour but de commander et l’autre de défendre.

Car en se servant de ces mots: vous n’aurez point de dieux étrangers devant Moi, Dieu disait en d’autres termes : vous M’adorerez, Moi le Dieu véritable, mais vous n’aurez point de culte pour les dieux étrangers.

Le premier de ces préceptes embrasse la Foi, l’Espérance et la Charité. Qui dit Dieu, en effet, dit un être constant, immuable, toujours le même, fidèle, parfaitement juste. D’où il suit que nous devons nécessairement accepter ses oracles, et avoir en Lui une Foi et une confiance entières. Il est Tout-Puissant, clément, infiniment porté à faire du bien. Qui pourrait ne pas mettre en Lui toutes ses espérances ? et qui pourrait ne pas l’aimer en contemplant les trésors de bonté et de tendresse qu’Il a répandus sur nous ? de là cette formule que Dieu emploie dans la sainte Écriture soit au commencement, soit à la fin de ses préceptes: Je suis le Seigneur.

Voici la seconde partie du précepte: vous n’aurez point de dieux étrangers devant Moi. Si le Législateur l’a aussi formulée, ce n’est pas que sa volonté n’eût été assez clairement expliquée dans cette partie impérative et positive de son Commandement: Vous M’adorerez, Moi le seul Dieu. Car s’il y a un Dieu, il n’y en a qu’un. Mais c’était pour dissiper l’aveuglement d’un grand nombre d’hommes, qui, tout en faisant profession d’adorer le vrai Dieu, avaient cependant des hommages pour une multitude de divinités ; et il y avait quelques Juifs dans ce cas ; on le voit par ces reproches que leur faisait le Prophète Elie : « Jusques à quand boiterez-vous des deux côtés ? » Ce fut aussi le crime des Samaritains , qui adoraient en même temps et le Dieu d’Israël et les divinités des nations.

A ces explications il faudra ajouter que ce Commandement est le premier et le plus grand de tous, non seulement par le rang qu’il occupe, mais encore par sa nature, sa dignité, et son excellence. nous devons à Dieu infiniment plus d’amour, de respect et de soumission qu’à nos supérieurs et à ceux qui nous gouvernent. C’est Lui qui nous a créés ; c’est Lui qui nous conserve, qui nous a nourris dès le sein de nos mères, qui ensuite nous a appelés à la lumière ; c’est Lui enfin qui nous fournit toutes les choses nécessaires à notre vie et à notre entretien.

Ceux-là donc pèchent contre ce premier Commandement, qui n’ont ni la Foi, ni l’Espérance, ni la Charité. Et leur nombre, hélas ! est extrêmement considérable. Ce sont ceux qui tombent dans l’hérésie, qui ne croient pas ce que la sainte Église notre mère nous propose à croire ; ceux qui ont foi aux songes, aux augures et à toutes les vaines superstitions de ce genre ; ceux qui désespèrent de leur salut, qui manquent de confiance dans la miséricorde divine ; ceux qui ne s’appuient que sur les richesses, la santé et les forces du corps. On peut voir, pour plus de détails, les Auteurs qui ont écrit sur les vices et les vertus.

§ IV. — DU CULTE ET DE L’INVOCATION DES ANGES ET DES SAINTS.

En expliquant ce Commandement, le Pasteur fera soigneusement remarquer aux Fidèles que le culte et l’invocation des Saints, des Anges et des Âmes bienheureuses qui jouissent de la Gloire du ciel, comme aussi le respect pour les corps mêmes et les reliques des Saints, tel que l’Église l’a toujours pratiqué, ne sont nullement contraires à l’esprit de ce premier Commandement. Est-il un homme assez insensé pour s’imaginer qu’un souverain qui interdirait à ses sujets de prendre la qualité de roi, et d’exiger les hommages et les honneurs qui ne sont dus qu’à cette dignité suprême, défendrait par là -même d’honorer les magistrats ? Quoiqu’il soit dit que les Chrétiens, à l’exemple des Saints de l’Ancien testament, adorent les Anges, cependant ce culte qu’ils leur rendent diffère essentiellement de celui qu’ils offrent à Dieu. Et si quelquefois nous voyons les Anges refuser les honneurs qui leur étaient rendus par des hommes, cela signifie simplement qu’ils ne voulaient point prendre pour eux la gloire qui n’est due qu’à Dieu. Car le même esprit-Saint qui a dit : « A Dieu seul honneur et gloire », nous ordonne néanmoins d’honorer nos parents et les vieillards. Les Saints n’adoraient que Dieu seul, et cependant comme le remarque l’Écriture, ils avaient pour les rois une espèce d’adoration, en ce sens qu’ils les honoraient assez pour se prosterner devant eux. Or si les rois par qui Dieu gouverne le monde ont droit à de tels honneurs, les esprits angéliques que Dieu a faits ses ministres, qu’Il emploie non seulement dans le gouvernement de son Église, mais encore dans celui de l’univers entier, et dont la protection nous délivre tous les jours des plus grands dangers et de l’âme et du corps, ces esprits bienheureux ne recevront-ils pas de nous, bien qu’ils ne se montrent point visiblement à nos yeux, des honneurs d’autant plus grands qu’eux-mêmes l’emportent en dignité sur tous les rois de la terre ?

Ajoutez à cela la Charité qu’ils ont pour nous. C’est cette Charité qui les fait prier, comme nous le voyons dans la sainte Écriture, pour les provinces dont ils sont les protecteurs. Et il n’est pas permis de douter qu’ils n’agissent de même envers ceux dont ils sont les Gardiens, puisqu’ils présentent à Dieu nos prières et nos larmes. Voilà pourquoi le Seigneur nous enseigne dans l’Évangile : « Qu’il ne faut point scandaliser même les plus petits enfants, parce que leurs Anges qui sont dans le ciel voient sans cesse la face du Père qui est dans le ciel. »

Il faut donc invoquer les Anges, et parce qu’ils voient Dieu continuellement, et parce qu’ils se chargent avec joie du soin qui leur est confié de veiller à notre salut. L’Écriture sainte nous rapporte des exemples de ces invocations. Ainsi Jacob prie l’Ange avec lequel il avait lutté, de le bénir. Il lui fait même une sorte de violence, car il proteste qu’il ne le laissera point aller, avant d’avoir reçu sa bénédiction. Et non seulement il invoqua l’Ange qu’il voyait, mais encore il en invoqua un autre qu’il ne voyait pas, le jour où il disait : « Que l’Ange qui m’a délivré de tout mal bénisse mes enfants ! »

D’où l’on peut conclure aussi que les honneurs rendus aux Saints qui sont morts dans le Seigneur, les invocations qu’on leur adresse, la vénération dont on entoure leurs reliques et leurs cendres sacrées, toutes ces pieuses pratiques, loin de diminuer la Gloire de Dieu, l’augmentent au contraire, parce qu’elles élèvent et confirment les espérances des hommes, et qu’elles les excitent à marcher sur les traces des Saints. Au reste ce culte est approuvé par le second Concile de Nicée, ceux de Gangres et de Trente, et par l’autorité des Saints Pères.

Mais afin que le Pasteur soit en état de mieux réfuter les adversaires de cette vérité, il devra lire surtout Saint Jérôme contre Vigilance, et Saint Jean Damascène. Et encore aux raisons qu’ils apportent il faut joindre une considération qui prime toutes les autres: nous sommes ici en présence d’une coutume qui remonte aux Apôtres, et qui s’est maintenue et conservée sans interruption dans l’Église de Dieu. toutefois, aucune autre preuve ne peut être plus évidente ni plus solide que le témoignage même de la sainte Écriture, laquelle célèbre d’une manière admirable les louanges des Saints. Il est des Saints en effet dont la Parole de Dieu même dans nos Livres sacrés a publié hautement la gloire. Dés lors pourquoi les hommes ne leur rendraient-ils pas des honneurs particuliers ? — enfin un autre motif plus puissant encore d’honorer et d’invoquer les Saints, c’est qu’ils prient continuellement pour le salut des hommes, et que nous devons à leurs mérites et à leur crédit un grand nombre des bienfaits que Dieu nous accorde.

S’il y a dans le ciel une grande joie  pour un pécheur qui fait pénitence, peut-on douter que les Saints ne viennent en aide aux pénitents qui les invoquent, qu’ils ne répondent à leurs prières en obtenant le pardon de leurs péchés et la grâce de la réconciliation avec Dieu ?

Si on prétend, comme quelques-uns l’ont fait, que la protection des Saints est inutile, attendu que Dieu n’a pas besoin d’interprète pour recevoir nos prières, c’est une assertion fausse et impie, réfutée d’ailleurs par ce mot de Saint Augustin:  « Il est beaucoup de choses que Dieu n’accorderait pas sans le secours et les bons offices d’un médiateur et d’un intercesseur. » Remarque pleinement justifiée par les exemples fameux d’Abimélech et des amis de Job. Ce ne fut en effet que par les prières de ces deux Patriarches qu’ils obtinrent le pardon de leurs péchés.

Voudrait-on alléguer encore que c’est l’affaiblissement ou le défaut de Foi qui nous font recourir au patronage et à l’intercession des Saints ? mais que répondre alors à l’exemple du Centurion ?  nous connaissons l’éloge admirable que Notre-Seigneur fait de sa Foi. Et pourtant cet homme lui avait envoyé quelques anciens d’entre les Juifs pour le prier de guérir son serviteur qui était malade.

Sans doute nous devons reconnaître  « que nous n’avons qu’un seul Médiateur, Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui nous a réconciliés par son Sang  avec le Père céleste, et qui, nous ayant rachetés pour l’éternité, est entré une seule fois dans le Sanctuaire, où il ne cesse d’intercéder pour nous. » Mais ceci ne prouve nullement que nous ne devions pas recourir à l’intercession des Saints. Si nous n’avions pas le droit d’implorer leur protection, par cela seul que nous avons Jésus-Christ pour Avocat, l’Apôtre Saint Paul n’eût jamais témoigné tant d’empressement à se faire recommander et aider auprès de Dieu par les prières de ses Frères encore vivants. Car il est bien évident que les prières des Justes qui sont encore en ce monde ne diminueraient pas moins que celles des Saints du ciel la gloire et la dignité de notre Médiateur Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Mais quel est celui qui, au récit des merveilles opérées sur les tombeaux des Saints, ne voudrait pas reconnaître le culte qu’on leur rend, et n’aurait pas pleine confiance dans leur protection ? c’est là que les aveugles ont recouvré la vue, que les infirmes et les paralytiques ont repris l’usage de leurs membres ; c’est là que la vie a été rendue aux morts, et que les démons ont été chassés des corps qu’ils possédaient. Et ces miracles nous sont attestés par des témoins dignes de foi. Des hommes comme Saint Ambroise et Saint Augustin nous les racontent dans leurs écrits , non pas, comme un grand nombre, pour en avoir entendu parler, non pas même, comme un bien plus grand nombre encore pour les avoir lus, mais pour les avoir vus de leurs propres yeux.

Enfin, que dirons-nous de plus ? si les vêtements et les ombres même des Saints pouvaient, avant leur sortie de ce monde, chasser les maladies et rendre les forces perdues, qui oserait soutenir que Dieu ne peut opérer les mêmes prodiges par le moyen de leurs cendres sacrées, de leurs

ossements et de leurs autres reliques ? On eut un jour une preuve de ce que nous disons, lorsque le cadavre jeté par hasard dans le tombeau d’Elisée revint tout à coup à la vie, au seul contact du corps du Prophète.

§ V. — CHOSES DÉFENDUES PAR LE PREMIER COMMANDEMENT.

 « Vous ne ferez point d’images taillées, ni de figures des créatures qui sont dans le ciel et sur la terre, dans les eaux et sous la terre ; vous n’adorerez point toutes ces choses et vous ne les honorerez point. »

Quelques-uns ont vu dans ces paroles un second précepte différent du premier, et en même temps ils ont prétendu que les deux derniers Commandements du Décalogue n’en faisaient qu’un. Au contraire Saint Augustin maintient la séparation de ces deux derniers préceptes, et soutient que notre texte fait partie du premier. nous nous rangeons volontiers à son sentiment, parce qu’il est consacré dans l’Église Au surplus, nous avons une excellente raison de penser de la sorte: c’est qu’il était convenable de joindre au premier Commandement les récompenses et les punitions qui s’y rapportent.

Mais que personne ne s’imagine que Dieu défend par ce Commandement la peinture, la sculpture et la gravure. Car nous lisons dans la Sainte Écriture que sur l’ordre de Dieu même les hébreux firent des figures et des images, par exemple les Chérubins et le serpent d’airain. Les images étaient défendues uniquement pour empêcher qu’on ne retranchât quelque chose du culte dû à Dieu, pour le leur attribuer comme à de vraies divinités.

Or, il y a évidemment, par rapport à ce précepte, deux manières principales d’outrager la Majesté de Dieu. La première c’est d’adorer des idoles et des images comme on adore Dieu Lui-même, de croire qu’il y a en elles une sorte de divinité et de vertu spéciale qui méritent qu’on leur rende un culte, ou bien encore de leur adresser nos prières et de mettre en elles notre confiance, comme autrefois les païens mettaient leurs espérances dans leurs idoles. La Sainte Écriture leur en fait souvent le reproche.

La seconde c’est de vouloir représenter Dieu sous une forme sensible, comme si la Divinité pouvait être vue des yeux du corps, ou exprimée avec des couleurs et par des figures. « Qui pourrait, comme dit Saint Jean Damascène,  représenter Dieu qui ne tombe point sous le sens de la vue, qui n’a pas de corps, qui ne peut être limité en aucune manière, ni dépeint par aucune figure ? » Cette pensée est développée en détail dans le second Concile de Nicée . C’est pourquoi l’Apôtre a très bien dit des Gentils  « qu’ils avaient transporté la gloire d’un Dieu incorruptible à des figures d’oiseaux, de quadrupèdes et de serpents. » Car ils adoraient tous ces animaux comme la Divinité même dans les images qu’ils en faisaient. C’est pour cela qu’on appelle idolâtres les Israélites qui s’écriaient devant la statue du veau d’or:  « Israël, voilà. les dieux, voilà ceux qui t’ont tiré de la ferre d’Égypte » car par là  « ils changeaient le Dieu de gloire contre la figure d’un veau qui mange l’herbe des champs. »

Ainsi donc après avoir défendu d’adorer des dieux étrangers, Dieu, voulant détruire toute idolâtrie, défendit aussi de tirer de l’airain ou de toute autre matière une image de la Divinité. Ce qui a fait dire à Isaïe:  « A qui ferez-vous ressembler Dieu ? quelle forme et quelle image Lui donnerez-vous ? »

Il est certain que tel est le sens de ce Commandement. Car outre les Saints Pères qui l’interprètent de cette manière, comme on peut le voir dans les actes du septième Concile général, les paroles suivantes que nous lisons dans le Deutéronome et que Moïse adressa au peuple pour le détourner de l’idolâtrie, nous en donnent une autre preuve :  « Vous n’avez pas vu que Dieu ait pris aucune forme le jour où, sur la montagne d’Horeb, Il vous parla au milieu des éclairs. » Ce sage législateur leur tenait ce langage pour les empêcher de se laisser tromper et séduire et d’en venir à représenter la Divinité par des images, et à rendre à la créature l’honneur qui n’est dû qu’à Dieu.

25. 1. 4 de ort. fid. c., 17.

28. Exod., 32, 4.

30. Is., 40, 18.

26. Conc. nic. 2 Act. 3.

29. Ps., 105, 20.

31. Deut., 3, 15, 16.

27. Rom., 1, 23.

§ VI. — ON PEUT CEPENDANT CHEZ LES CHRÉTIENS REPRÉSENTER LA DIVINITÉ PAR DES SYMBOLES.

Cependant il ne faudrait pas croire qu’on pèche contre la Religion et la Loi de Dieu, lorsqu’on représente quelqu’une des trois Personnes de la Sainte Trinité par certaines figures sous lesquelles elles apparurent dans l’Ancien et dans le nouveau testament. nul n’est assez ignorant pour croire que ces images soient l’expression réelle de la Divinité. Le Pasteur aura soin de déclarer qu’elles servent seulement à rappeler certaines propriétés et certaines opérations qu’on attribue à Dieu. C’est ainsi que le Prophète Daniel  le dépeint « comme un vieillard (l’ancien des jours) assis sur un trône avec des livres ouverts devant Lui. » Il voulait par là nous représenter son Éternité et cette Sagesse infinie qui considère toutes les pensées et toutes les actions des hommes pour les juger.

On donne également aux Anges la forme humaine à laquelle on ajoute des ailes. C’est pour nous faire comprendre toute leur bienveillance pour le genre humain, et toute leur promptitude à exécuter les ordres de Dieu . « Ils sont tous des esprits au service du Seigneur, envoyés pour remplir un ministère en faveur de ceux qui doivent hériter du salut. » La colombe et les langues de feu qui figurent le Saint-Esprit dans l’Évangile et les Actes des Apôtres indiquent des attributs qui lui sont propres, et qui sont trop familiers à tout le monde pour qu’il soit nécessaire de nous y arrêter plus longtemps.

§ VII. — LES IMAGES DE JÉSUS-CHRIST, DE LA SAINTE VIERGE ET DES SAINTS SONT PERMISES.

En ce qui regarde Notre-Seigneur Jésus-Christ, sa très Sainte et très chaste Mère, et tous les autres Saints, comme ils ont été revêtus de la nature humaine, non seulement il n’est pas défendu par ce commandement de représenter et d’honorer leurs images ; mais au contraire ces actes ont toujours eu un caractère de piété sincère et de vive reconnaissance. Aussi bien les monuments des temps apostoliques, les conciles œcuméniques et un grand nombre de Saints Pères et de Docteurs sont d’accord pour déposer en leur faveur.

Le Pasteur ne se contentera donc pas d’enseigner qu’il est permis d’avoir des images dans les églises et de leur rendre des honneurs et un culte, puisque ce culte se rapporte à la personne même des saints ; mais il établira encore les grands avantages que cette pratique a procurés aux Fidèles jusqu’à ce jour, comme on le voit dans le livre de Saint Jean Damascène qui a pour titre du Culte des images, et comme l’enseigne le septième Concile général, c’est-à-dire le second Concile de Nicée.

Toutefois, comme l’ennemi du genre humain cherche sans cesse à corrompre par ses ruses et ses tromperies les institutions les plus saintes, si le Pasteur vient à remarquer qu’il s’est glissé sur ce point quelque erreur parmi le peuple, il fera tous ses efforts pour le corriger, conformément au décret du Concile de Trente. Et même si les circonstances le permettent, il devra expliquer le décret lui-même. Ainsi il apprendra aux ignorants et à ceux qui ne comprennent pas le but de l’institution des images, qu’elles ont pour objet de nous faire connaître l’histoire des deux testaments, et de nous en renouveler de temps en temps le souvenir, afin que la pensée des bienfaits de Dieu nous excite à L’honorer davantage et augmente dans nos cœur s le feu de l’amour que nous avons pour Lui. Le Pasteur montrera aussi que si l’on place dans nos temples les images des Saints, c’est afin que nous honorions ceux qu’elles représentent, et que, avertis par leur exemple, nous soyons capables de former sur eux notre vie et nos mœurs.

§ VIII. – MOTIFS D’OBSERVER LA LOI : RECOMPENSES ET CHATIMENTS

« Je suis le Seigneur votre Dieu, le Dieu fort et jaloux, qui poursuis l’iniquité des pères dans les enfants jusqu’à la troisième et quatrième génération de ceux qui me haïssent ; et qui fais miséricorde jusqu’à mille générations à ceux qui M’aiment et qui gardent mes préceptes. »

Il y a deux choses, dans cette dernière partie du premier Commandement. qui demandent à être expliquées avec grand soin.

La première, c’est que la menace ici accompagne très justement le précepte, parce que la violation de ce premier Commandement est le plus grand des crimes, et que les hommes sont très portés à le commettre. Cependant la question des peines est l’appendice obligé de tous les préceptes. Il n’y a pas de loi en effet qui n’ait ses châtiments et ses récompenses pour amener les hommes à observer ses prescriptions. Voilà pourquoi on rencontre si souvent dans l’Écriture Sainte tant de promesses de la part de Dieu. Et sans nous arrêter aux témoignages presque innombrables que nous trouverions dans l’Ancien testament, méditons ceux que l’Évangile nous fait lire:  « Si vous voulez entrer dans la vie, observez les Commandements. » Et ailleurs:  « Celui-là entrera dans le Royaume des Cieux qui fait la volonté de mon Père qui est dans le ciel. »  « Tout arbre qui ne porte pas de bon fruit sera coupé et jeté au feu. »  « Quiconque se fâchera contre son frère méritera d’être condamné par le jugement. »  « Si vous ne pardonnez point les péchés d’autrui, votre Père ne vous pardonnera point les vôtres. »

La seconde chose, c’est qu’il faut expliquer ces paroles d’une manière bien différente, à ceux qui sont parfaits. Et à ceux qui sont encore charnels.

Les hommes parfaits, qui se laissent conduire par l’esprit de Dieu et qui Lui obéissent avec joie et empressement, reçoivent la menace de ces châtiments comme une nouvelle très agréable et comme une grande preuve de la bienveillance divine à leur égard. Ils y voient la sollicitude d’un Père plein de tendresse, qui oblige en quelque sorte les hommes, tantôt par des récompenses, tantôt par des châtiments, à L’adorer et à Le servir. Ils reconnaissent dans ce Commandement qu’Il veut bien leur faire, un effet de cette bonté infinie du Seigneur qui se sert de ses créatures pour procurer la gloire de son nom. Et non seulement ils reconnaissent en cela sa bonté, mais ils ont encore la ferme espérance qu’en ordonnant ce qu’Il veut, II leur accordera les forces nécessaires pour exécuter ce qu’Il demande.

Les hommes charnels au contraire, qui ne sont pas encore délivrés de l’esprit de servitude, et qui s’abstiennent de faire le mal plutôt par la crainte des châtiments que par l’amour de la vertu, trouvent l’appendice dont nous parlons très dur et très sévère. Le Pasteur ne manquera pas d’élever leurs âmes par de pieuses exhortations, et de les conduire comme par la main à l’accomplissement de la Loi. Au surplus, toutes les fois qu’il aura l’occasion d’expliquer quelque précepte, il devra tenir compte de ces observations.

Remarquons encore qu’il y a dans ces paroles qui terminent le premier Commandement, ce qu’on pourrait appeler deux aiguillons, capables d’exciter les hommes charnels aussi bien que les hommes spirituels à l’observation de la Loi.

Et d’abord, ces mots, « le Dieu fort, » doivent être expliqués avec d’autant plus de soin, que souvent la chair, trop peu effrayée des menaces divines, invente pour son usage différentes raisons qui la feront échapper sûrement à la colère de Dieu, et éviter ses châtiments. Mais quiconque est assuré que Dieu est le Dieu fort, redit avec David:  « Où irai-je pour m’éloigner de votre esprit ? Où fuirai-je pour me dérober à votre vue ? » D’autres fois la chair se défie des promesses divines, exagère les forces de l’ennemi, et s’imagine qu’elle ne pourra jamais résister à ses efforts. Au contraire, ceux qui ont une Foi vive, ferme et solide, une Foi qui s’appuie sur la Force même et la Vertu de Dieu, sentent leur courage se ranimer et se fortifier car ils se disent à eux-mêmes:  « Le Seigneur est ma lumière et mon salut. Qui craindrai-je ? »

Le second aiguillon, c’est la jalousie divine. très souvent les hommes s’imaginent que Dieu ne s’occupe point des choses humaines, pas même de notre fidélité ou de notre négligence à garder sa Loi. De là de graves désordres dans leur vie. Mais quand on est convaincu que Dieu est un Dieu jaloux, cette pensée retient facilement dans le devoir.

Toutefois la jalousie que nous attribuons à Dieu n’est point celle qui agite et trouble l’esprit. La jalousie de Dieu, c’est cet Amour, cette Charité qu’il a pour nous, et qui l’empêche de laisser jamais personne s’éloigner de Lui impunément. En effet, dit le Prophète David,  « Il perd fous ceux qui Le renient »

Ainsi la jalousie dont nous parlons, n’est rien autre chose que cette justice toujours calme et sereine. qui répudie l’âme corrompue par l’erreur et les passions, et qui la repousse parce qu’elle est indigne de rester l’épouse de son Dieu. A coup sûr, elle doit nous paraître bien douce et bien agréable, cette jalousie de Dieu, puisqu’elle est une preuve assurée de l’immense, de l’incroyable Amour qu’Il a pour nous. Et comme parmi les hommes il n’y a point d’amour plus vif, d’union plus forte et plus étroite que celle qui est cimentée par le mariage, Dieu nous montre combien Il nous aime, lorsqu’il se compare si souvent, vis-à-vis de nos âmes, à un fiancé, ou à un Époux, et s’appelle Lui-même un Époux jaloux. C’est pourquoi le Prêtre ne manquera pas d’apprendre aux Fidèles qu’ils doivent être tellement passionnés pour tout ce qui regarde le culte et l’honneur de Dieu, qu’on puisse dire d’eux avec vérité que non seulement ils Lui sont attachés, mais même qu’ils L’aiment d’un amour de jalousie, à l’exemple de celui qui disait de lui-même:  « J’ai été rempli de zèle pour le Seigneur le Dieu des armées, » et comme Jésus-Christ Lui-même dont il est écrit:  « Le zèle de votre Maison me dévore. »

Quant à la menace qui termine ce précepte, elle signifie que Dieu ne laissera point les pécheurs impunis, mais qu’Il les châtiera comme un bon Père, ou qu’Il les punira sévèrement et sans pitié comme un juge. C’est ce que nous déclare positivement Moise:  « et vous saurez que le Seigneur votre Dieu est un Dieu fort et fidèle, gardant son alliance en faisant miséricorde d ceux qui L’aiment et qui gardent ses préceptes, jusqu’à mille générations, et punissant sur-le-champ ceux qui le haïssent. » C’est aussi ce que dit Josué:  « Vous ne pourrez servir le Seigneur, car c’est un Dieu saint, un Dieu fort et jaloux, et Il ne pardonnera point vos crimes, ni vos péchés. Si vous abandonnez le Seigneur, et si vous servez des dieux étrangers, Il se tournera contre vous, II vous affligera et Il vous renversera. »

Mais il faut bien montrer au peuple que si Dieu, à la fin de ce premier précepte, menace de punir les méchants et les impies jusqu’à la troisième et quatrième génération, cela ne veut pas dire que tous les descendants portent toujours la peine des crimes de leurs ancêtres, mais que si les coupables et leurs enfants pèchent impunément, jamais leur postérité entière n’échappera à la colère de Dieu. Et n’évitera ses châtiments. C’est ce qui arriva pour le roi Josias. A cause de sa piété extraordinaire, Dieu l’avait épargné. Il lui avait accordé de mourir en paix, d’être enseveli dans le tombeau de ses pères et de ne pas être témoin des malheurs qui devaient bientôt tomber sur Jérusalem et la tribu de Juda, à cause des impiétés de Manassès. Mais à peine fut-il mort que la vengeance de Dieu s’exerça contre sa postérité et n’épargna pas même ses enfants.

Comment concilier maintenant ces paroles que nous venons d’expliquer avec ce qui est dit dans le prophète Ezéchiel:  « C’est l’âme qui a péché qui mourra ? » Saint Grégoire, d’accord sur ce point avec tous les Pères de l’antiquité, répond admirablement:  « Quiconque imite l’iniquité d’un père corrompu, est enchaîné à son sort ; mais quiconque n’imite point cette iniquité, n’est point accablé par le poids des crimes de son père. Ainsi le fils pervers d’un père pervers comme lui, paie non seulement pour ses fautes, mais encore pour celles de son père, puisque, aux crimes de celui-ci qu’il savait avoir provoqué le courroux du Seigneur, il n’a pas craint d’ajouter sa propre perversité. Et c’est justice que celui qui, en présence d’un Juge inflexible, ose néanmoins suivre les voies iniques de son père, soit forcé d’expier les fautes de ce père dans la vie présente. »

Enfin le Pasteur aura grand soin de rappeler combien la bonté et la miséricorde de Dieu l’emportent sur sa justice. Car si sa colère s’étend jusqu’à la troisième et quatrième génération, sa miséricorde va jusqu’à la millième.

Ces paroles, « de ceux qui Me haïssent » nous montrent toute la grandeur du péché de ceux qui transgressent ce premier Commandement. Qu’y a-t-il en effet de plus détestable et de plus odieux que de haïr la souveraine bonté. la souveraine vérité ? Or c’est ce que font tous les pécheurs. Car de même que  « Celui qui a reçu les Commandements et qui les observe, aime Dieu », de même celui qui méprise la Loi de Dieu et qui n’observe point ses Commandements doit passer à bon droit pour un homme qui hait Dieu.

Quant aux mots de la fin, « à ceux qui M’aiment, » ils nous apprennent de quelle manière et pour quel motif nous devons garder la Loi. Il est nécessaire que ce soit le motif de la Charité, c’est-à-dire de l’amour même que nous avons pour Dieu. C’est ce qu’il faudra rappeler dans l’explication de chacun des Commandements.


Chapitre trentième — Du second Commandement

VOUS NE PRENDREZ POINT EN VAIN LE NOM DU SEIGNEUR VOTRE DIEU.

Le premier Commandement, que nous venons d’expliquer, et qui nous ordonne de rendre à Dieu un culte saint et plein de respect, renferme nécessairement le Commandement dont nous avons à parler maintenant, et qui est le second. Qui veut être honoré, en effet, veut par là -même qu’on parle de lui avec une déférence parfaite, et il défend même le contraire. C’est ce que nous indiquent clairement ces paroles du Seigneur dans Malachie:  « Le fils doit honorer son père, et le serviteur son maître ; si donc Je suis votre Père, où sont les honneurs qui me sont dus ? » Mais Dieu, pour nous faire comprendre la grandeur du devoir qu’Il nous impose ici, a voulu nous prescrire, sur l’honneur qui doit environner la sainteté de son, nom divin, un précepte spécial, et qu’Il a exprimé en termes très clairs et très formels. Et cette raison doit suffire pour montrer au Pasteur que ce n’est pas assez de parler de ce Commandement d’une manière générale, mais qu’il faut au contraire s’y arrêter assez longtemps, afin de pouvoir donner aux Fidèles les explications particulières claires et précises dont ils ont besoin. Et il ne peut apporter à ce travail trop de diligence et de zèle, puisque, malheureusement, il est des hommes tellement aveuglés par l’erreur, qu’ils ne craignent pas de maudire Celui que les Anges glorifient. Loin d’être retenus par la Loi donnée par Dieu Lui-même, ils ont l’audace et la témérité d’avilir la Majesté divine par leurs blasphèmes de tous les jours, et presque de tous les instants. Qui ne voit en effet qu’on affirme tout avec serment ? qu’on met des imprécations et des exécrations partout ? Presque tous ceux qui vendent, qui achètent, ou qui traitent quelque affaire, ont recours au serment, et prennent mille fois en vain le nom du Seigneur, même dans les choses les plus légères et les plus frivoles. C’est donc un véritable devoir pour le Pasteur de redoubler de soin et de zèle, afin de rappeler souvent aux Fidèles combien ce crime est énorme et détestable.

La première chose à faire remarquer dans l’explication de ce précepte c’est que s’il est certaines choses qu’il défend, il en est d’autres qu’il commande, et que les hommes sont obligés d’accomplir. Ces deux points veulent être traités séparément. Et pour que cet enseignement soit plus facile et plus clair, il faut commencer par les choses que la Loi commande, pour parler ensuite de celles qu’elle défend. Or ce qu’elle commande, c’est d’honorer le saint nom de Dieu et de ne jurer par ce nom qu’avec un religieux respect. Ce qu’elle défend, c’est que personne n’ose mépriser ce nom sacré, ne le prenne en vain, et ne jure à faux par Lui, témérairement ou sans motif.

§ I. — CE QUI EST ORDONNÉ PAR LE SECOND COMMANDEMENT.

Dans la partie de ce précepte qui nous ordonne d’honorer le saint nom de Dieu, le Pasteur ne manquera pas de faire observer aux Fidèles que ce ne sont pas les lettres, ni les syllabes qu’il faut considérer, ni le nom en lui-même, mais la chose exprimée par ce nom, c’est-à-dire la toute Puissance, et l’éternelle Majesté d’un seul Dieu en trois Personnes. Cette déclaration nous montre immédiatement combien était vaine la superstition d’un certain

nombre de Juifs qui voulaient bien écrire le nom de Dieu, mais qui n’osaient pas Le prononcer, comme si la vertu de ce nom eût été dans les lettres qui Le composent, et non pas dans la chose qu’Il signifie. Et quoiqu’il soit écrit au singulier, dans la Loi, « Vous ne prendrez point le nom de Dieu en vain, » cela ne doit pas s’entendre d’un nom unique, mais de tous ceux que l’on donne habituellement à la Divinité. Car la vérité est que nous Lui donnons beaucoup de noms, comme ceux de Seigneur, de tout Puissant, de Seigneur des armées, de Roi des Rois, de Fort et plusieurs autres de ce genre que nous lisons dans la Sainte Écriture et qui sont tous également respectables.

Ensuite il faut apprendre aux Fidèles comment on rend au nom adorable de Dieu l’honneur qu’Il réclame ; car il n’est pas permis à des Chrétiens qui doivent avoir sans cesse à la bouche les louanges de Dieu d’ignorer une chose si utile et si nécessaire au salut.

Or il y a plusieurs manières de louer ce divin nom, cependant on peut dire qu’elles sont toutes renfermées, en ce qu’elles ont d’essentiel, dans celles que nous allons expliquer.

Premièrement, nous louons Dieu. quand nous confessons hardiment devant tout le monde, qu’Il est notre Seigneur et notre Dieu, et quand, reconnaissant Jésus-Christ pour l’Auteur de notre salut, nous Le proclamons notre Sauveur.

Nous Le louons encore, lorsque nous étudions avec autant de respect et d’attention sa Parole sainte, expression de sa sainte Volonté ; lorsque nous méditons cette Parole avec assiduité ; lorsque nous cherchons avec tout le zèle possible à nous en instruire, soit en la lisant, soit en l’écoutant, selon que nos emplois et notre état nous le permettent.

Enfin nous honorons, nous vénérons ce nom sacré, lorsque par devoir ou par dévotion nous célébrons ses louanges, et Lui rendons des Actions de grâces particulières pour tout ce qui nous arrive, l’adversité comme la prospérité. Ainsi le roi Prophète disait:  « Mon âme, bénis le Seigneur, et m’oublie jamais les grâces que tu as reçues de Lui. » Et dans plusieurs autres Psaumes ce même Prophète célèbre les louanges de Dieu dans les chants les plus suaves, et avec l’accent de l’amour et de la reconnaissance. Ainsi Job, cet admirable modèle de patience, étant tombé dans les plus grandes et les plus horribles calamités, ne cessa jamais de louer Dieu avec une grandeur d’âme étonnante et un invincible courage. Ainsi nous-même, si nous souffrons cruellement dans notre corps et dans notre âme, si les misères et les afflictions de la vie nous accablent, hâtons-nous d’employer ce qui nous reste de volonté et de courage, pour louer Dieu quand même et répéter avec Job:  « que le nom du Seigneur soit béni ! »

Mais nous ne L’honorons pas moins, ce nom adorable, lorsque nous implorons son secours avec confiance, soit afin d’être délivrés de nos maux, soit afin d’obtenir de Lui la constance et la force dont nous avons besoin pour les supporter sans faiblir. Dieu Lui-même veut que nous agissions ainsi : « Invoquez-Moi, dit-Il, au jour de la tribulation ; Je vous délivrerai, et vous Me glorifierez. » Il y a dans l’Écriture, et spécialement dans les Psaumes 26, 43 et 118, de nombreux et magnifiques exemples de cette invocation.

C’est encore traiter ce nom divin avec honneur que de Le prendre à témoin pour faire croire à notre parole. Mais cette manière diffère beaucoup des précédentes. Car celles dont nous venons de parler sont de leur nature si excellentes et si désirables, que rien ne peut être plus avantageux pour l’homme, et que ce qu’il doit rechercher avec le plus d’empressement, c’est de s’y exercer et le jour et la nuit. « Je bénirai le Seigneur en tout temps, disait David , sa louange sera toujours dans ma bouche. » Au contraire, quoique le serment soit bon en lui-même, l’usage fréquent ne peut en être louable.

Et voici la raison de cette différence. Le serment n’a été institué que pour servir de remède à la faiblesse humaine, et comme un moyen nécessaire pour prouver ce que nous avançons. De même qu’il ne faut donner aux corps que les remèdes nécessaires, et que l’application trop fréquente de ces mêmes remèdes serait dangereuse ; de même aussi il n’est pas utile de jurer sans raison grave et légitime. Et si l’on a trop souvent recours au serment, loin d’être avantageux, il entraîne avec lui les plus graves inconvénients.

C’est pourquoi Saint Jean Chrysostome dit très bien que l’usage du serment ne remonte point au commencement du monde, mais à des temps bien postérieurs, lorsque la malice des hommes, propagée en tout sens, couvrait l’univers entier ; que plus rien n’était ni dans son ordre ni à sa place, que la perturbation et la confusion étaient partout ; qu’en haut, en bas tout était emporté pèle-mêle dans un désordre universel, et que pour comble de tous les maux, presque tous les hommes s’étaient livrés au culte honteux des idoles. Ce ne fut qu’après cet intervalle, bien long sans doute, que le serment se glissa dans les rapports des hommes entre eux. La perfidie et la corruption devinrent telles que les hommes se décidaient difficilement à croire à la parole les uns des autres, et ils furent obligés de prendre Dieu à témoin de ce qu’ils disaient.

§ II. — DU SERMENT.

Le point capital dans cette partie du second Commandement que nous expliquons, est d’apprendre aux fidèles la manière de jurer religieusement et saintement. Le Pasteur devra donc enseigner que jurer, c’est simplement prendre Dieu à témoin, quels que soient d’ailleurs la formule et les mots qu’on emploie. Ainsi, dire: Dieu m’est témoin, et dire, par Dieu, c’est tout un. C’est encore jurer que de prendre à témoins, pour se faire croire, des créatures comme les saints Évangiles, la Croix, les Reliques des Saints, leurs noms et autres choses de ce genre. Car ce ne sont pas ces objets pris en eux-mêmes qui donnent au serment force et autorité, c’est Dieu seul dont la souveraine Majesté brille dans ses créatures. Ainsi jurer par l’Évangile, c’est jurer par Dieu même dont la Vérité est contenue et exprimée dans l’Évangile Il en est de même quand on jure par les Saints qui sont les temples de Dieu, qui ont en Foi dans la Vérité Évangélique, qui L’ont environnée de tous leurs respects, qui L’ont répandue par toute la terre, et au sein des nations les plus éloignées.

Il en faut dire autant du serment que l’on fait avec imprécation, comme Saint Paul par ces paroles : « Je prends Dieu à témoin, sur ma vie. » Un serment de cette nature nous livre au jugement de Dieu, comme au vengeur du mensonge. toutefois nous reconnaissons que plusieurs de ces formules ne sauraient passer pour de véritables serments ; mais il est bon d’observer vis-à -vis d’elles ce qui a été dit du serment, et de leur appliquer exactement les mêmes principes et les mimes règles.

II y a deux sortes de serments. Le premier est le serinent d’affirmation. II consiste à affirmer par jurement une chose présente ou passée. L’Apôtre nous en donne un exemple dans son Epître aux Galates, quand il dit  : « Je prends Dieu à témoin que je ne mens pas. » — Le second est le serment de promesse, ou de menace. II se rapporte entièrement à l’avenir. On l’emploie pour promettre, — et confirmer sa promesse, — qu’une chose se fera de telle ou telle manière. Ce fut le serment de David. Jurant par le Seigneur son Dieu , il promit à Bethsabée, son épouse, que Salomon, son fils, serait son héritier, et son successeur sur le trône.

§ III. — CONDITIONS NÉCESSAIRES POUR QUE LE SERMENT SOIT PERMIS.

Quoiqu’il suffise, pour qu’il y ait serment, de prendre Dieu à témoin, cependant pour que ce serment soit légitime et saint, plusieurs conditions sont requises, qui veulent être expliquées avec soin.

Le Prophète Jérémie les énumère, comme le remarque Saint Jérôme, en peu de mots, quand il dit : « Vous jurerez par cette parole: Vive le Seigneur ! mais avec hérité, avec jugement et avec justice. » Et il faut reconnaître que ce texte est un véritable résumé de tout ce qui rend un serment parfait, c’est-à-dire précisément la vérité, le jugement et la justice.

La première condition du serment est donc la vérité. Il faut que ce qui est avancé soit vrai, et que celui qui jure, le regarde comme tel, non pas témérairement, et sur de vaines conjectures, mais en s’appuyant sur les raisons les plus solides. — La même condition est requise pour le serment qui accompagne une promesse. Celui qui promet doit être disposé à tenir sa parole et à s’exécuter quand le temps sera venu. Et comme on ne peut supposer qu’un homme de bien s’engage jamais à faire une chose qu’il regarderait comme contraire sua Commandements et à la tris sainte Volonté de Dieu, tout ce qu’il aura pu promettre et jurer par serment, il ne manquera pas de l’accomplir ; à moins que les circonstances n’aient tellement changé les choses qu’il ne puisse garder sa parole et rester fidèle à ses promesses, sans encourir le mécontentement et l’indignation de Dieu. David montre parfaitement combien la vérité est nécessaire au serment, quand il dit : « Celui qui jure à son prochain, et qui tient sa parole. »

En second lieu il faut jurer avec jugement ; c’est-à-dire qu’il ne faut point recourir au serment d’une manière téméraire et inconsidérée, mais après examen, et mûre réflexion. Ainsi, avant de jurer, il faut voir s’il y a nécessité ou non ; peser attentivement l’affaire pour s’assurer qu’elle a besoin d’être prouvée par serment ; considérer le lieu, le temps et toutes les autres circonstances qui s’y rattachent ; ne se laisser entraîner ni par la haine, ni par l’amitié, ni par aucun mouvement déréglé de l’âme, mais uniquement par la nécessité et l’importance de ce qui est en question. Si on néglige de faire ces réflexions et de prendre ces précautions scrupuleuses, on fera nécessairement un serment précipité et téméraire. tels sont les serments sacrilèges de ces hommes qui pour les choses les plus légères et les plus futiles, jurent sans raison, sans examen, mais uniquement par une coupable habitude. C’est ce que nous voyons chaque jour et partout, entre vendeurs et acheteurs. Ceux-là pour vendre plus cher, ceux-ci pour acheter à meilleur marché, ne craignent pas d’employer le serment pour vanter ou déprécier la marchandise. — C’est parce que le jugement et la prudence sont nécessaires pour jurer, et que les enfants n’ont pas encore assez de perspicacité et de discernement en pareil cas, que le Pape Saint Corneille défendit par décret d’exiger d’eux le serment avant l’âge de puberté, c’est-à-dire avant l’âge de quatorze ans.

La troisième et dernière condition est la justice. Et c’est surtout quand il s’agit de promesses que cette justice est requise. Si quelqu’un promet avec serment une chose injuste et déshonnête, il pèche d’abord en jurant, et il commet un second crime en accomplissant sa promesse. L’Évangile nous fournit un exemple de ce double crime dans la personne du roi Hérode. Ce malheureux s’était lié d’abord par un serment téméraire, puis, pour tenir son serment il osa donner à une danseuse, comme pria de sa danse, la tête de Saint Jean Baptiste. tel fut encore le serment de ces Juifs, dont nous parlent les Actes des Apôtres, qui « avaient juré de ne prendre aucune nourriture, avant d’avoir fait périr Saint Paul.  »

Après ces explications, il est hors de doute que l’on peut jurer en sûreté de conscience quand on observe religieusement toutes les conditions dont nous venons de parler, et qui en effet entourent le serment comme d’une espèce de sauvegarde. — Au surplus, nous ne manquons pas d’arguments pour prouver ce que nous avançons. Ainsi la Loi du Seigneur « qui est sainte et sans tache »  renferme ce Commandement:  « Vous craindrez le Seigneur votre Dieu, et vous ne servirez que Lui, et vous jurerez par son Nom. » Le Prophète David nous dit : « Ceux qui jurent par le Seigneur seront loués. »

On voit aussi, dans le nouveau testament, que les Saints Apôtres, ces éclatantes lumières de l’Église, ont eux-mêmes usé du serment dans l’occasion.. Les Épîtres de Saint Paul ne nous laissent aucun doute sur ce point.

Il convient d’ajouter que les Anges eux-mêmes font quelquefois des serments. Il est écrit dans l’Apocalypse de Saint Jean que  « l’Ange jura par Celui qui vit dans les sicles des siècles. »

Enfin Dieu Lui-même, le Roi des Anges, a recours au serment. Dans plusieurs endroits de l’Ancien testament II s’en sert pour confirmer ses promesses à Abraham et à David. Celui-ci nous dit dans le Psaume 109:  « Le Seigneur l’a juré, et Il ne s’en repentira point: vous êtes le Prêtre éternel selon l’ordre de Melchisédech. » — Si l’on considère en effet ce qu’est le serment en lui-même dans sa cause et dans sa fin, il est facile de montrer que c’est un acte très louable. II a sa cause et son principe dans la Foi qui porte les hommes à croire que Dieu est la Source de toute vérité, qu’Il ne peut par conséquent ni être trompé, ni tromper personne, que tout est à nu et à découvert devant ses yeux, que son admirable Providence veille sur toutes choses et gouverne le monde entier. C’est sous l’empire de ces sentiments que nous invoquons Dieu comme témoin de la vérité. Il serait donc impie et criminel de n’avoir pas confiance en Lui. — La fin du serment, le but spécial qu’il se propose c’est de prouver la justice et l’innocence, de terminer les procès et les différends. Ainsi l’enseigne l’Apôtre lui-même dans son Epître aux Hébreux.

Et cette doctrine n’est nullement contraire à ces paroles de notre Sauveur en Saint Matthieu:  « Vous avez appris qu’il a été dit aux Anciens: Vous ne vous parjurerez point, vous vous acquitterez des serments que vous aurez faits au Seigneur. Et mot je vous dis que vous ne devrez jurez aucunement: ni par le ciel qui est le trône de Dieu ; ni par la terre qui est son marchepied ; ni par Jérusalem, parce que c’est la ville du grand roi: ni même par votre tête, parce qu’il ne dépend pas de vous d’en rendre un seul cheveu blanc ou noir. Bornez-vous à dire: cela est, cela n’est pas. S’il y a quelque chose de plus, il vient du mal. » En effet on ne saurait soutenir que ces paroles condamnent le jurement en général et d’une manière absolue, puisque, comme nous l’avons vu plus haut, notre Seigneur Jésus-Christ Lui-même et les Apôtres ont juré, et même fréquemment. Notre-Seigneur n’avait donc pour but en parlant de la sorte que de réfuter la coupable erreur des Juifs qui se figuraient que dans le serment il n’y avait qu’une seule chose à éviter, le mensonge, et qui dés lors juraient et faisaient jurer les autres à tout propos pour les choses les plus vaines et les moins importantes. C’est cette coutume que le Sauveur blâme et réprouve ; et voilà pourquoi Il enseigne qu’il faut s’abstenir entièrement de jurer, à moins que la nécessité ne le demande.

D’ailleurs le serment est un effet de la faiblesse humaine, et, à ce point de vue, il procède réellement du mal. C’est une marque de l’inconstance de celui qui jure, ou de l’obstination de celui qui fait jurer, puisqu’il na, veut pas se laisser persuader autrement. toutefois, nous le répétons, le serment trouve son excuse dans la nécessité. Et lorsque notre Sauveur nous dit: « bornez-vous à ces mots, cela est, cela n’est pas, » Il nous montre assez, par cette manière de parler, que ce qu’Il veut défendre c’est l’habitude de jurer dans les entretiens familiers, et pour des choses de peu d’importance. En somme Il nous avertit de ne pas être trop faciles et trop enclins à faire serment. Et c’est aussi ce qu’il faut enseigner avec le plus grand soin, et répéter souvent aux Fidèles, car selon l’Écriture et le témoignage des Pères, la trop grande facilité à jurer engendre une infinité de maux. Il est écrit dans l’Ecclésiaste:  « N’habituez point votre bouche au serment, car il en résulterait de grands maux. » Et encore « l’homme qui jure souvent sera rempli d’iniquités, l’affliction ne s’éloignera point de sa maison. » On peut lire dans Saint Basile et dans Saint Augustin tout ce qu’ils ont écrit à ce sujet dans leurs livres contre le mensonge.

Mais c’est assez sur ce que ce précepte ordonne, voyons maintenant ce qu’il défend.

§ IV. — CE QUI EST DÉFENDU PAR LE SECOND COMMANDEMENT.

Il nous est défendu par ce Commandement de prendre en vain le nom du Seigneur. Celui qui se laisse aller à jurer sans réflexion et avec témérité, se rend évidemment coupable d’un péché grave, et la grièveté de ce péché est facile à établir d’après ces paroles: Vous ne prendrez point en vain le nom du Seigneur. Il semble en effet que Dieu Lui-même vient nous dire en d’autres termes que ce qui rend cette faute si odieuse et si impie, c’est qu’elle diminue en quelque sorte sa Majesté, la Majesté de Celui que nous reconnaissons pour notre Seigneur et pour notre Dieu.

Ce précepte nous défend encore de jurer à faux, c’est-à-dire contre la vérité. Celui qui ne recule pas épouvanté devant un pareil crime, et qui ose prendre Dieu à témoin d’un mensonge, Lui fait une injure infinie. Il l’accuse, ni plus ni moins, d’ignorance en pensant qu’il est des vérités qui peuvent Lui échapper, ou bien de malice et d’iniquité, comme si Dieu était capable de confirmer un mensonge par son propre témoignage. Or on jure à faux non pas seulement quand on jure qu’une chose est vraie, sachant bien qu’elle est fausse, mais aussi quand on affirme avec serment la vérité d’une chose que l’on croit fausse, encore qu’elle soit vraie au fond. Mentir c’est parler contre sa pensée et contre ses sentiments intimes ; par conséquent dans le cas présent il y a évidemment mensonge et parjure.

Par la même raison il y a aussi parjure quand on affirme par serment une chose que l’on croit vraie, et qui cependant est fausse, à moins que l’on ait mis tous ses soins et tout son zèle à s’en assurer et à la vérifier. Bien que les paroles soient ici d’accord avec la pensée, néanmoins il y a violation du précepte.

Il y a encore parjure dans celui qui a fait une promesse avec serment, sans avoir l’intention de l’accomplir, ou qui, s’il a eu cette intention, n’accomplit pas ce qu’il a promis. C’est le péché de ceux qui se sont liés envers Dieu par des vœux qu’ils n’exécutent point.

Une autre manière de pécher contre ce précepte, c’est d’émettre un serment qui ne serait point accompagné de la justice, laquelle est une des conditions nécessaires du serment légitime. Ainsi celui qui promet avec serment de commettre un péché mortel, un meurtre par exemple, viole incontestablement le précepte:, lors même qu’il parlerait sérieusement et du fond du cœur, et que son serment aurait pour lui la vérité, celle des trois conditions exigées, à laquelle nous avons donné le premier rang.

A ces serments défendus il faut encore ajouter ceux qui naissent d’une sorte de mépris, comme les serments de ne point obéir aux conseils de l’Évangile, par exemple ceux qui exhortent au célibat et à la pauvreté. Sans doute personne n’est rigoureusement tenu de suivre ces conseils, mais jurer de ne pas vouloir s’y soumettre, c’est mépriser et violer les conseils de Dieu par cet indigne serment.

C’est violer également le deuxième précepte, et pécher contre le jugement, que de jurer pour une chose qui est vraie et que l’on croit telle, mais en ne s’appuyant que sur de simples conjectures et sur des raisons prises de trop loin. Quoique la vérité accompagne un serment de cette nature, il s’y mêle néanmoins une sorte de fausseté, puisque celui qui fait serment avec témérité, s’expose grandement à faire un parjure.

Celui-là jure encore contre la vérité, qui jure par les faux dieux. Qu’y a-t-il en effet de plus opposé à la vérité que de prendre à témoin des divinités mensongères et imaginaires, comme si elles étaient le vrai Dieu Lui-même ?

Mais si l’Écriture nous dit, en nous défendant le parjure:  « Vous ne déshonorerez point le Nom de votre Dieu, » elle condamne par là même toute espèce de négligence dans tous les devoirs que ce précepte nous impose, et spécialement en ce qui concerne la Parole de Dieu, dont la Majesté est infiniment respectable non seulement auprès des personnes de piété, mais quelquefois même auprès des impies, ainsi que nous l’apprend l’exemple d’Eglon, roi des Moabites, au Livre des Juges. Or, c’est traiter la Parole de Dieu d’une manière absolument injurieuse que de détourner la sainte Écriture de son sens droit et naturel, pour lui donner un sens conforme à la doctrine des impies et des hérétiques. Le Prince des Apôtres nous met en garde contre ce crime dans ce texte qu’il faut citer:  « Il y a quelques endroits difficiles à entendre, que des hommes ignorants et légers détournent à de mauvais sens aussi bien que les autres Écritures, pour leur propre ruine. »

C’est encore déshonorer honteusement l’Écriture que d’en employer les maximes et les paroles, qui sont dignes de toute notre vénération, à des choses purement profanes, comme aussi de s’en servir dans des contes, dans des fables ridicules et vaines, pour des flatteries, des médisances, des sorts, des libelles diffamatoires et autres choses de cette nature. Le Concile de Trente condamne ces pratiques détestables et veut qu’on les punisse.

Enfin, de même que ceux qui réclament et implorent le secours de Dieu dans leurs infortunes, L’honorent et Lui rendent hommage ; de même ceux qui n’invoquent point son appui, Le privent d’un honneur auquel Il a droit. C’est de ces malheureux que David veut parler, quand il dit :  « Ils n’ont pas invoqué le Seigneur, c’est pourquoi ils ont tremblé d’épouvante, là où il n’y avait rien à craindre. »

Mais il en est qui sont enchaînés dans les liens d’un crime beaucoup plus détestable encore ; ce sont ceux qui d’une bouche impure et souillée osent blasphémer et maudire le nom adorable de Dieu, ce nom digne de toutes les bénédictions et de toutes les louanges des créatures, ainsi que le nom des Saints qui règnent avec Lui dans le ciel. Ce crime est si horrible et si monstrueux, que parfois nos Saints Livres pour le nommer se servent du mot (contraire) bénédiction.

§ V. — CHATIMENTS DE CEUX QUI VIOLENT LE SECOND COMMANDEMENT.

La crainte des peines et du châtiment est d’ordinaire un excellent moyen de réprimer le penchant que nous avons à désobéir à Dieu. C’est pourquoi le Pasteur pour toucher davantage les cœurs et disposer plus facilement les Fidèles à l’observation de ce précepte, devra leur expliquer avec soin ces paroles qui en sont comme une dépendance nécessaire:  « Le Seigneur ne tiendra point pour innocent celui qui aura pris en vain le nom du Seigneur son Dieu. » Et d’abord il leur montrera combien Dieu a eu raison de joindre des menaces à ce Commandement. Ces menaces en effet nous font connaître et la gravité du péché et la bonté de Dieu, qui bien loin de se réjouir de notre perte, cherche par des menaces salutaires à nous détourner du mal, afin que nous ne devenions point l’objet de sa colère, mais plutôt de sa clémence et de sa miséricorde. II convient que le Pasteur insiste fortement sur ce point, afin que les Fidèles, connaissant l’énormité de ce crime, en conçoivent une horreur plus vive et mettent tous leurs soins à l’éviter.

Il fera remarquer ensuite que le penchant des hommes à commettre ce péché est si grand, qu’il n’eût pas suffi de le défendre simplement, mais que la Loi avait besoin d’être accompagnée de menaces. On ne saurait croire combien cette pensée peut être utile aux Fidèles. Car de même que rien ne nous est plus nuisible qu’une téméraire confiance en nos propres forces, de même le sentiment de notre faiblesse nous est extrêmement avantageux.

Le Pasteur ajoutera enfin que si Dieu n’a point décerné de châtiment particulier contre ce crime, Il a affirmé d’une manière générale que ceux qui s’en rendraient coupables ne resteraient pas impunis.

Nous avons donc lieu de croire que les maux dont nous souffrons chaque jour sont pour nous avertir de nos désobéissances en cette matière. Il est permis de penser en effet que les hommes ne sont sujets à de si grandes calamités, que parce qu’ils manquent à ce Commandement. Et l’on peut s’attendre qu’en mettant sous leurs yeux le tableau de ces malheurs, on les rendra plus sages, et mieux avisés pour l’avenir. Que les Fidèles, frappés d’une sainte frayeur, évitent donc ce péché avec tout le soin possible ! Car s’il est vrai qu’au jugement dernier il faudra rendre compte de toute parole oiseuse, que sera-ce de ces crimes affreux qui font un tel mépris du nom adorable de Dieu ?


Chapitre trente-et-unième — Du troisième Commandement

« Souvenez-vous de sanctifier le jour du Sabbat, vous travaillerez et vous ferez tous vos ouvrages pendant six jours: mais le septième jour est le Sabbat du Seigneur votre Dieu. Vous ne ferez aucune œuvre servile en ce jour, ni vous, ni votre fils, ni votre fille, ni votre serviteur, ni votre servante, ni vos bêtes de somme, ni l’étranger qui est parmi vous ; car le Seigneur a fait en six jours le ciel, et la terre, la mer et tout ce qu’ils renferment, et Il s’est reposé le septième jour. C’est pourquoi le Seigneur a béni le jour du sabbat. »

Le troisième Commandement a pour objet le culte extérieur que nous devons à Dieu. Ce culte est une conséquence naturelle des obligations imposées par le premier. Il vient donc ici parfaitement à sa place. Car si nous honorons Dieu pieusement au fond de nos cœur », comment pourrions-nous, avec la Foi et l’Espérance que nous avons en Lui, ne pas L’environner d’un culte extérieur et Lui témoigner ouvertement notre reconnaissance ? Mais comme ces devoirs sont difficiles à remplir pour ceux qui sont occupés des affaires de ce monde, il s’agissait de leur rendre cette obligation plus facile en la fixant à des époques déterminées.

Ce Commandement, s’il est bien pratiqué, est de nature à produire des fruits et des avantages admirables. Il importe donc grandement que le Pasteur déploie, pour l’expliquer, tout le zèle dont il est capable. Et un premier et puissant motif pour lui d’enflammer ce zèle sera dans ces paroles: souvenez-vous ; car si les Fidèles sont obligés de se souvenir de ce précepte, c’est au Pasteur à le leur remettre en mémoire par des avertissements et des instructions souvent répétés.

Et ce qui fait voir combien il est important pour les Fidèles d’observer ce Commandement, c’est que, en l’accomplissant avec soin, ils se rendront facile et aisée la pratique de tous les autres. Ainsi une des obligations qu’ils ont à remplir aux jours de Fêtes, c’est de se réunir à l’Église pour y entendre la Parole de Dieu. Or il est bien certain que plus ils feront de progrès dans la connaissance de la Loi divine, plus ils seront disposés à la garder de tout leur cœur. C’est pourquoi la solennité et le culte du Sabbat sont très souvent recommandés dans nos Saints Livres. L’Exode, le Lévitique, le Deutéronome, les Prophètes Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, rapportent tous expressément le précepte de la sanctification du Sabbat.

Il faut aussi avertir et exhorter les princes et les magistrats d’avoir à seconder de toute leur autorité les Pasteurs de l’Église dans tout ce qui intéresse le maintien et le développement de ce culte, et même de faire des lois pour assurer l’observation du précepte ecclésiastique.

§ I. — COMPARAISON DU TROISIÈME COMMANDEMENT AVEC LES AUTRES.

En expliquant ce précepte, il ne faut pas négliger d’enseigner aux Fidèles en quoi il ressemble aux autres, et en quoi il diffère. Ce sera un moyen de leur faire connaître clairement les motifs pour lesquels nous ne sanctifions plus le jour du Sabbat, mais le jour du Dimanche.

Il y a cette différence capitale entre ce Commandement et les autres, que ceux-ci étant fondés sur la nature elle-même, sont de tous les temps, et ne peuvent jamais changer. Aussi, quoique la Loi de Moïse soit abrogée, le peuple chrétien continue d’observer tous les préceptes des deux tables de la Loi. Et cela, non pas parce que Moise l’a ordonné, et pour lui obéir, mais parce qu’ils tiennent à la nature, et que les hommes sont obligés de se conformer à ce qu’elle demande. Mais le précepte de la sanctification du Sabbat, si on le considère uniquement par rapport à ce jour, n’est ni fixe ni constant. Au contraire il peut changer, et c’est plutôt une loi cérémonielle qu’une loi morale. II n’a pas non plus sa raison d’être dans la nature ; car ce n’est pas elle qui nous enseigne et qui nous dispose à choisir un jour plutôt qu’un autre pour rendre à Dieu un culte extérieur. Aussi bien les Israélites ne sanctifièrent le jour du Sabbat qu’après avoir été délivrés de la servitude de Pharaon. Mais ce précepte devait être aboli su moment où le culte et les cérémonies mosaïques allaient tomber en désuétude, c’est-à-dire à la mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ces cérémonies n’étaient en effet que des images et des ombres de la lumière et de la vérité ; il fallait nécessairement qu’elles disparussent devant cette Lumière, cette Vérité même qui est Jésus-Christ. C’est pourquoi Saint Paul reprenait les Galates de ce qu’ils étaient encore attachés aux cérémonies de la Loi:  « Vous observez les jours et les mois, leur disait-il, les semaines et les années ; mais je crains pour vous que je n’aie travaillé en vain parmi vous. » II parle de la même manière au Colossiens.

Voilà en quoi ce précepte diffère des autres, c’est qu’il regarde directement le culte et les cérémonies. Mais il a cela de commun avec tous, qu’à un autre point de vue il se rapporte à la morale et au droit naturel. Car le culte divin et la vertu de religion, prescrits par ce Commandement, sont de droit naturel, puisque la nature veut que nous employons certaines heures de notre temps aux choses qui regardent le culte du Seigneur. Et la preuve, c’est que chez toutes les nations nous trouvons des Fêtes, et des Fêtes publiques, établies en l’honneur de la Divinité. Et de même qu’il est naturel à l’homme de réserver un certain temps pour les fonctions nécessaires à la vie du corps, comme le repos, le sommeil, et autres choses semblables, de même la nature demande qu’il y ait certains moments déterminés, pendant lesquels l’âme puisse se retremper dans la contemplation de Dieu. Si donc une certaine partie de notre temps doit être employée au culte que nous devons à Dieu, le précepte qui l’ordonne appartient évidemment à la loi morale.

C’est pour cette raison que les Apôtres résolurent de consacrer au culte de Dieu le premier des sept jours de la semaine, et l’appelèrent le jour du Seigneur. Saint Jean dans son Apocalypse  fait mention de ce jour ; et l’Apôtre veut  qu’on recueille les aumônes des Fidèles le premier jour après le Sabbat, c’est-à-dire, comme l’explique Saint Jean Chrysostome, le jour du Dimanche. Ce qui nous montre que déjà, dans ce temps-là, le jour du Seigneur était un jour saint dans l’Église — Mais afin que les Fidèles sachent parfaitement ce qu’ils ont à faire, et ce qu’ils ont à éviter, en ce jour, il ne sera pas hors de propos, que le Pasteur explique soigneusement chacune des paroles du précepte tout entier — lequel se divise très bien en quatre parties.

§ II. — SOUVENEZ-VOUS DE SANCTIFIER LE JOUR DU SABBAT.

La première chose à expliquer ici, c’est le sens précis de ces paroles: souvenez-vous de sanctifier le jour du Sabbat. Le mot souvenez-vous, placé, non sans motif. En tête du précepte, nous indique que la sanctification de ce jour appartient aux lois cérémonielles. C’est un point qu’il semblait utile de rappeler au peuple ; car encore que la loi naturelle nous enseigne que nous sommes obligés de consacrer un certain temps à rendre à Dieu un culte extérieur, elle ne prescrit point le jour où il convient le mieux de le faire.

En second lieu il faut montrer aux Fidèles que ces mêmes paroles nous avertissent de quelle manière nous devons travailler pendant la semaine ; en d’autres termes, elles nous rappellent l’obligation où nous sommes de ne jamais perdre de vue le jour de Fête pendant notre travail. Le Dimanche étant un jour où nous avons, en quelque sorte, à rendre compte à Dieu de nos actions et de notre travail, il importe extrêmement que ces actions et ce travail soient tels que Dieu ne les répudie pas, et qu’ils ne deviennent jamais pour nous, comme dit l’Écriture , un sujet de sanglots et de remords.

Enfin, ces mots, souvenez-vous, etc. nous remettent en mémoire une vérité bien frappante, c’est que nous ne manquerons pas d’occasions d’oublier ce précepte. nous y seront sollicités, tantôt par l’exemple de ceux qui n’en

tiennent aucun compte, tantôt par l’amour des spectacles et des jeux qui nous détournent si souvent du culte de religion et de piété que nous devons à Dieu en ce saint jour. — Venons maintenant à ce qu’il faut entendre par Sabbat.

Sabbat est un mot hébreu qui signifie en latin cessatio, c’est-à-dire, repos. Ainsi sabbatiser, dans la langue latine, s’appelle cessare et requiescere, c’est-à-dire cesser d’agir, se reposer. Le septième jour a reçu le nom de Sabbat, parce que Dieu, après avoir achevé entièrement l’œuvre de la création du monde, se reposa en ce jour de tous ses travaux. D’ailleurs le Seigneur Lui-même lui donne ce nom dans l’Exode. Plus tard le nom de Sabbat a été attribué non seulement au septième jour, mais encore, à cause de sa dignité, à la semaine elle-même. C’est en ce sens qu’il faut entendre les paroles du Pharisien : « Je jeûne deux fois pendant le Sabbat. » Voilà pour la signification du mot.

Quant à la sanctification du Sabbat, d’après la sainte Écriture, c’est la cessation des travaux du corps et des affaires temporelles. Cette vérité est clairement exprimée dans les paroles suivantes du précepte: Vous ne travaillerez pas. Mais il y a autre chose ; sans quoi il eût suffit de dire dans le Deutéronome : « Observez le jour du Sabbat. » Et puisqu’on ajoute dans le même endroit « pour le sanctifier », cela nous fait bien voir que le Sabbat est un jour saint, consacré à des actes religieux et au service du Seigneur. nous célébrons donc le Sabbat d’une manière pleine et parfaite, lorsque nous rendons à Dieu des devoirs de piété et de religion. C’est vraiment là le Sabbat qu’Isaïe appelle : « Le jour des délices », parce qu’en effet les jours de Fêtes sont des jours de délices pour le Seigneur et pour les hommes pieux. Et si à ce culte religieux et sacré du Sabbat nous joignons des œuvres de miséricorde, ce même Prophète nous promet au même endroit les récompenses les plus belles et les plus précieuses.

Ainsi le sens propre et précis de ce Commandement est que l’homme, en un temps déterminé, interrompe ses affaires ordinaires et les travaux manuels, pour s’appliquer d’esprit et de corps à honorer Dieu et à Lui rendre tous les hommages qu’Il réclame.

§ III. — VOUS TRAVAILLEREZ PENDANT SIX JOURS, ETC.

La seconde partie du précepte nous dit positivement que Dieu a consacré le septième jour à son culte. Il est écrit en effet: « Vous travaillerez pendant six jours, vous ferez fous vos ouvrages pendant ce temps, mais le septième jour est le Sabbat du Seigneur votre Dieu. » Ces paroles nous ordonnent en d’autres termes de considérer le Sabbat comme consacré au Seigneur, de nous acquitter en ce jour des devoirs religieux qui lui sont dus et enfin de voir dans ce septième jour un mémorial du repos du Seigneur.

Ce jour fut donc dédié au culte divin, parce qu’il ne convenait pas de laisser à un peuple grossier la faculté de fixer ce temps à son gré. On pouvait craindre que, pour honorer le vrai Dieu, il n’imitât les fêtes sacrées des Égyptiens Ainsi Dieu voulut que le septième jour, qui est le dernier de la semaine, fût réservé pour son culte. Et il y avait là plus d’un mystère. Voilà pourquoi dans l’Exode et dans Ezéchiel Il appelle ce jour un signe . « Ayez soin, dit-il, d’observer mon Sabbat, parce qu’il est le signe de l’alliance qui existe entre Moi, vous et toute votre postérité ; afin que vous sachiez que c’est Moi qui vous sanctifie. »

C’était un signe, parce qu’en voyant ce jour consacré au service divin, les hommes devaient apprendre par là à se consacrer eux-mêmes à Dieu et à se sanctifier devant Lui. Car ce qui fait qu’un jour est vraiment saint, c’est qu’on l’emploie spécialement à la pratique de la Sainteté et de la Religion.

C’était aussi un signe et comme un monument de la création de cet admirable univers.

Un signe encore, destiné à rappeler aux Israélites qu’ils n’avaient été déliés et délivrés du joug si dur de la servitude d’Égypte que par le secours de Dieu. C’est ce que le Seigneur Lui-même atteste par ces paroles : « Souvenez-vous que vous avez été esclaves en Égypte, et que vous avez été tirés de la servitude par la main puissante de votre Dieu, et par la force de son bras. C’est pourquoi Il vous a commandé de garder le jour du Sabbat. »

Enfin ce jour était le signe du Sabbat spirituel et céleste. Or le Sabbat spirituel consiste dans un saint et mystérieux repos, dans lequel les Fidèles se trouvent quand, dépouillés du vieil homme enseveli avec Jésus-Christ, ils reviennent à une vie nouvelle, et s’appliquent avec soin à faire des actions conformes à la piété chrétienne: « Car ceux qui autrefois n’étaient que ténèbres , devenus lumière en Notre-Seigneur, doivent marcher comme des enfants de lumière dans la voie de tout bien et de foute justice et n’avoir rien de commun avec les,. ouvres infructueuses des ténèbres. »

Mais le Sabbat céleste, comme le remarque Saint Cyrille , en expliquant ces paroles de l’Apôtre , il est encore un Sabbat pour le peuple de Dieu, consiste dans cette autre vie, où, réunis à Jésus-Christ, nous serons comblés de toutes sortes de biens et délivrés entièrement du péché. C’est ce que le Prophète nous apprend par ces paroles : « Il n’y aura en ce lieu ni lion ni autre bête dangereuse, mais tout y sera pur et saint. » Lorsqu’en effet les élus jouiront de la vue de Dieu, ils seront remplis de toutes sortes de biens. C’est ce qui doit engager les Pasteurs à presser les Fidèles par ces paroles : « Hâtons-nous d’entrer dans ce repos. »

Outre le septième jour, le peuple Juif avait encore d’autres jours de Fête qui appartenaient à Dieu et qu’Il avait établis pour ne pas laisser perdre la mémoire de ses immenses bienfaits.

§ IV. — LE DIMANCHE SUBSTITUÉ AU SABBAT. FÊTES DE L’ÉGLISE.

L’Église a jugé à propos de transporter le culte et la solennité du Sabbat au jour du Seigneur, c’est-à-dire, au Dimanche. De même que ce fut en ce jour que la lumière commença à éclairer le monde, de même aussi ce fut en ce jour que notre Rédempteur, en nous ouvrant l’entrée de la Vie Éternelle par sa Résurrection, nous fit passer des ténèbres à la vie véritable. C’est pour cela que les Apôtres l’appelèrent le jour du Seigneur.

De plus, nous voyons dans nos Saints Livres que ce jour est grand et solennel, parce qu’il marque le commencement de la création du monde, et nous rappelle la descente du Saint-Esprit sur les Apôtres.

Aux premiers temps de l’Église et dans les âges suivants, les Apôtres et nos Pères établirent d’autres jours de Fêtes, pour célébrer pieusement et saintement la mémoire des bienfaits de Dieu. Parmi ces Fêtes, les plus solennelles sont celles qui ont été instituées en l’honneur des mystères de notre Rédemption. Ensuite viennent celles qui ont été établies pour honorer la très sainte Vierge, les Apôtres, les martyrs, et tous les autres saints qui règnent avec Jésus-Christ. nous y louons la puissance et la bonté de Dieu qui a donné la victoire à ses élus. nous leur rendons les honneurs qu’ils méritent, et leurs exemples nous excitent à les imiter.

Et comme l’un des plus puissants motifs d’observer ce précepte est contenu dans ces paroles: « Vous travaillerez six jours, mais le septième jour est le Sabbat du Seigneur votre Dieu, » le Pasteur aura soin de les expliquer avec toute la précision possible. En les méditant, il verra sans peine qu’il doit exhorter les Fidèles à ne point mener une vie oisive et paresseuse, mais au contraire à se souvenir du Commandement de l’Apôtre qui veut que  « chacun travaille de ses propres mains, selon son état ».

Enfin si le Seigneur nous ordonne par ce précepte de faire notre ouvrage pendant six jours, c’est pour que nous ne soyons pas tentés de renvoyer au jour de Fête ce qui doit se faire pendant les six jours de la semaine, et aussi pour que notre esprit ne soit pas détourné, le Dimanche, du soin et de l’attention qu’il doit aux choses divines.

§ V. — DES OEUVRES SERVILES.

Nous voici à la troisième partie du précepte, qui décrit en quelque sorte la manière dont nous devons sanctifier le jour du Sabbat, mais qui s’applique surtout à exposer ce qu’il nous est défendu de faire en ce jour. Ainsi dit le Seigneur: « vous ne ferez aucune œuvre servile en ce jour, ni vous, ni votre fils, ni votre fille, ni votre serviteur, ni votre servante, ni vos bêtes de somme, ni l’étranger qui est parmi vous ». Ces paroles nous montrent d’abord que nous devons éviter tout ce qui peut entraver le culte divin. D’où il est aisé de conclure que les œuvres serviles de toute espèce sont défendues (en ce jour), non parce qu’elles sont indignes ou mauvaises de leur nature, mais parce qu’elles seraient capables de détourner notre esprit du service de Dieu, qui est la fin du précepte. A plus forte raison devons-nous éviter le péché qui non seulement éloigne notre esprit du goût des choses saintes, mais nous détache entièrement de son amour.

Les actions et les œuvres, quoique serviles, qui intéressent le culte, comme par exemple la décoration d’un autel ou d’une église pour un jour de Fête, et autres travaux du même genre ne sont point défendues par ce Commandement. Voilà pourquoi Notre-Seigneur a dit:  : « Les Prêtres dans le temple violent le Sabbat, et pourtant ils ne sont point coupables. »

Il ne faut pas non plus considérer comme prohibés par cette Loi, les travaux accomplis pour sauver des choses qui autrement seraient en danger de se perdre. Les saints Canons les ont permis expressément. Et il est encore beaucoup d’autres œuvres que dans l’Évangile Notre-Seigneur a déclarées licites pour les jours de Fêtes. C’est ce que le Pasteur pourra facilement remarquer dans Saint Matthieu et Saint Jean.

Pour ne rien omettre de ce qui pourrait empêcher la célébration du Sabbat, Dieu, dans son précepte, a fait mention même des bêtes de somme. Leurs travaux, en effet, détourneraient l’homme de la sanctification de ce saint jour. Car si pendant le Sabbat on emploie les bêtes pour n’importe quel ouvrage, il est nécessaire que l’homme soit là pour les conduire. Elles ne peuvent rien par elles-mêmes, elles ne font qu’aider l’homme. Or ce dernier n’a pas le droit de travailler ce jour-là, par conséquent les animaux à son service ne l’auront pas non, plus. — et puis, si Dieu veut par cette défense nous faire épargner les animaux dans le travail, il veut bien plus encore que nous évitions d’être inhumains envers ceux qui sont à notre service.

§ VI. — QUELLES SONT LES OEUVRES COMMANDÉES LE DIMANCHE ?

Le Pasteur n’aura garde d’oublier qu’il doit très soigneusement faire connaître aux Fidèles les œuvres et les actions qu’ils sont tenus d’accomplir les jours de Fête. C’est à savoir: d’aller à l’Église, d’assister au très saint sacrifice de la Messe avec une piété sincère et une attention soutenue, et de recevoir fréquemment les divins Sacrements institués pour guérir les blessures de notre âme, et pour nous aider à opérer notre Salut.

Mais comme il n’y a rien de meilleur ni de plus utile aux Chrétiens que de confesser souvent leurs péchés aux Prêtres, le Pasteur ne manquera pas de les exhorter à -remplir ce devoir. Il pourra d’ailleurs puiser ses preuves et ses raisons dans ce que nous avons enseigné et prescrit à cet égard, en parlant du sacrement de Pénitence. Mais il ne se bornera pas à les exciter à la Confession fréquente, il multipliera ses instances les plus pressantes pour leur faire recevoir le plus souvent possible le très saint sacrement de l’Eucharistie.

Ils doivent aussi écouter avec attention et exactitude les instructions religieuses. Il n’est rien de plus insupportable et de plus indigne que de mépriser la Parole de Jésus-Christ, ou de l’entendre avec négligence. — enfin ils voudront s’exercer et s’appliquer fréquemment à prier et à louer Dieu, mettre tous leurs soins à s’instruire des règles de la vie chrétienne, et pratiquer de leur mieux toutes les œuvres de vraie piété, comme l’aumône aux pauvres et aux nécessiteux, la visite des malades, les consolations portées aux affligés et à ceux qui gémissent sous les coups de la douleur. Car il est écrit dans Saint Jacques:  « La Religion pure et sans tache aux yeux de Dieu notre Père, consiste à venir au secours des orphelins et des veuves qui sont dans l’affliction. » — Il sera aisé de conclure de ce que nous venons de dire quelles sont les actions contraires à ce Commandement.

§ VII. — PRINCIPAUX AVANTAGES DE LA SANCTIFICATION DU DIMANCHE.

Il est encore du devoir du Pasteur de garder sous la main un certain nombre d’Auteurs où il pourra puiser les arguments et les motifs les plus propres à persuader aux Fidèles qu’ils doivent observer ce troisième Commandement avec tout le zèle, et toute l’exactitude possible. Or, le meilleur argument est celui-ci: leur faire sentir et comprendre pleinement combien il est juste et raisonnable qu’il y ait certains jours entièrement consacrés au culte divin, et pendant lesquels nous nous appliquerons spécialement à connaître, à aimer et adorer un Dieu qui nous a comblés de grands et innombrables bienfaits. S’Il tous avait ordonné de Lui rendre chaque jour un culte religieux, ne devrions-nous pas faire tous nos efforts pour remplir un pareil ordre avec joie et empressement, surtout en considérant les bienfaits immenses et inappréciables que nous avons reçus de Lui ? Mais puisqu’Il n’a réservé à son culte qu’un petit nombre de jours, pourrions-nous nous montrer négligents, ou trouver des difficultés dans l’observation d’un devoir, que d’ailleurs nous ne pouvons omettre sans nous rendre coupables d’un péché très grave ?

Le Pasteur fera ensuite connaître combien est grande l’excellence de ce Commandement, puisque ceux qui l’accomplissent avec fidélité, semblent jouir de la Présence de Dieu et converser avec Lui. Quand nous prions, en effet, nous contemplons la Majesté divine et nous nous entretenons réellement avec Dieu. En écoutant les prédicateurs qui nous parlent pieusement et saintement des vérités religieuses, c’est encore la Voix de Dieu que nous entendons par leur organe. Enfin dans le Sacrifice de la Messe nous adorons Notre-Seigneur Jésus-Christ véritablement présent sur l’Autel. — tels sont les avantages dont jouissent principalement ceux qui observent ce précepte avec fidélité.

Mais ceux qui le négligent complètement, par le fait qu’ils désobéissent à Dieu et à l’Église, en méprisant ce Commandement, deviennent les ennemis de Dieu et de ses saintes Lois ; d’autant que ce précepte est de ceux dont l’accomplissement n’impose aucune peine. En effet, Dieu ne nous commande rien de pénible, Lui pour qui nous devrions supporter même ce qu’il y aurait de plus dur, s’Il nous le commandait. Au contraire Il veut que nous passions les jours de Fête dans le repos, et sans aucune préoccupation des choses de la terre. Dés lors, refuser de nous soumettre à une Loi si douce, ne serait-ce pas faire preuve d’une insolente témérité ? Pensons donc à ces terribles châtiments dont Dieu a frappé ceux qui l’ont foulée aux pieds, comme nous pouvons le voir dans le Livre des nombres . Cet exemple nous sera utile.

Et pour ne point tomber dans un si grand péché, il sera très avantageux que nous ayons souvent à l’esprit les premiers mots de ce troisième Commandement: « souvenez-vous ». Puis nous nous remettrons devant les yeux le tableau des avantages et des privilèges que nous assure l’observation du Dimanche, ainsi que nous l’avons dit plus haut, et nous ne manquerons pas de nous arrêter à une foule d’autres considérations de ce genre, qu’un Pasteur sage et appliqué saura développer dans l’occasion avec toute l’ampleur nécessaire.


Chapitre trente-deuxième — Du quatrième Commandement

Honorez votre Père et votre mère, afin que vous viviez longtemps sur la terre que le Seigneur Dieu vous donnera.

Les trois Commandements que nous venons d’expliquer sont les premiers à cause de la dignité. Et de l’excellence de leur objet. Ceux que nous abordons maintenant ne tiennent que le second rang, mais on peut dire qu’ils ne sont pas moins nécessaires. Les premiers se rapportent directement à notre fin qui est Dieu ; les seconds ont pour objet immédiat la Charité envers le prochain, mais logiquement, c’est-à-dire, s’ils atteignent leur but, ils nous mènent aussi à Dieu, ce but suprême pour lequel nous aimons le prochain lui-même. Ce qui a fait dire à Notre-Seigneur Jésus-Christ  que le précepte d’aimer Dieu et le précepte d’aimer le prochain sont deus Commandements semblables. Quant à celui que nous expliquons ici, à peine peut-on dire et énumérer les avantages immenses qu’il renferme. Ses fruits sont abondants et exquis. Il est comme le signe qui fait briller notre soumission et notre attachement au premier Commandement. « Celui qui n’aime point son frère qu’il voit, dit l’Apôtre Saint Jean,  comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas ? » On peut dire de même: si nous n’avons ni respect ni amour pour nos parents, que nous devons aimer selon Dieu, eux que nous avons presque continuellement sous les yeux, quel honneur et quel culte aurons-nous pour Dieu qui est aussi notre Père — Père tout puissant et infiniment bon, mais qui ne tombe jamais sous nos regards ? On voit par là combien ces deux Commandements ont de rapports l’un avec l’autre.

Ce quatrième précepte est d’une application très étendue. Outre ceux qui nous ont donné la vie, il est un grand nombre de personnes qu’il nous fait un devoir d’honorer comme nos pères et nos mères, à cause de leur autorité, de leur dignité, du besoin que nous avons d’elles, ou de l’excellence de leurs fonctions. II rend aussi moins lourde la charge des parents et des supérieurs, dont le soin principal est d’amener ceux qui sont placés sous leur autorité à vivre dignement et d’une manière conforme à la Loi divine. Or il est évident que cette tâche leur deviendra très facile si leurs inférieurs sont convaincus que c’est Dieu Lui-même qui leur impose l’obligation d’honorer leurs pères et leurs mères.

Pour atteindre ce but, il est nécessaire de connaître la différence qui existe entre les préceptes de la première table et ceux de la seconde.

§ I. — DIFFÉRENCE DES TROIS PREMIERS COMMANDEMENTS ET DES SUIVANTS.

Voici ce que le Pasteur expliquera tout d’abord. Il enseignera que les divins préceptes du Décalogue furent gravés sur deux tables différentes. La première, comme nous l’apprennent les Saints Pères, contenait les trois Commandements que nous venons de commenter, et la seconde les sept autres. Cet ordre est absolument logique, et nous fait comprendre par avance l’importance relative des préceptes, par la place même qu’ils occupent. tout ce que la Loi divine, en effet, ordonne ou défend dans nos Saints Livres se rapporte toujours à deux catégories. L’amour de Dieu ou l’amour du prochain, voilà le fond de toutes ses prescriptions. Or, les trois Commandements précédents nous apprennent quel amour nous devons à Dieu, et les sept qui suivent renferment les devoirs de Charité que les hommes sont obligés de pratiquer les uns envers les autres. Ce n’est donc pas sans raison qu’on les a divisés en préceptes de la première table, et en préceptes de la seconde.

Les trois premiers Commandements dont nous avons parlé ont Dieu pour objet, c’est-à-dire le souverain bien. L’objet des autres est le bien du prochain. Les premiers proposent l’amour souverain, les seconds, l’amour le plus grand après l’amour souverain. Les uns regardent la fin suprême elle-même, les autres seulement ce qui se rapporte à cette fin.

Au reste l’amour de Dieu ne dépend que de Lui-même, puisque c’est pour Lui-même et non à cause d’un autre que Dieu doit être souverainement aimé. L’amour du prochain, au contraire, a sa source dans l’amour de Dieu qui doit être en effet sa règle invariable. Car si nous aimons nos parents, si nous obéissons à nos supérieurs, si nous respectons ceux qui sont au dessus de nous, ce doit être principalement parce que Dieu est le Créateur, parce qu’Il a voulu les élever au dessus de nous, et que par leur entremise II veille sur les autres hommes, les gouverne et les conserve. Et comme c’est Dieu lui-même qui nous commande de les honorer, nous devons le faire précisément par le motif qui les a rendus dignes de cet honneur. D’où il suit que l’honneur que nous rendons à nos pères et mères semble plutôt se rapporter à Dieu qu’à eux personnellement. C’est ce qu’on peut voir dans Saint Matthieu, quand il est question du respect envers les supérieurs.  « Celui qui vous reçoit me reçoit. » L’Apôtre Saint Paul, dans son Epître aux Ephésiens, ne craint pas de dire:  « Serviteurs, obéissez à ceux qui sont vos maîtres selon la chair, avec crainte, avec respect, et dans la simplicité de votre cœur, comme à Jésus-Christ Lui-même. ne les servez pas seulement lorsqu’ils ont l’œil sur vous, comme si vous ne vouliez que plaire aux hommes, mais comme vrais serviteurs de Jésus-Christ. »

Mais remarquons-le bien, ni nos hommages, ni notre piété, ni le culte que nous rendons à Dieu ne seront jamais parfaits, car l’amour que nous Lui devons n’a pas de limites et peut s’accroître indéfiniment. Il est même nécessaire que cet amour devienne de jour en jour plus ardent et plus fort, puisque Lui-même veut que nous L’aimions  de tout notre cœur, de toute notre âme et de toutes nos forces. Au contraire l’amour que nous avons pour le prochain a ses limites ; vu que le Seigneur nous ordonne de l’aimer comme nous-mêmes. Celui donc qui dépasserait ces bornes, et qui en viendrait à aimer Dieu et le prochain d’un amour égal, commettrait un grand crime. « Si quelqu’un vient à Moi, dit le Seigneur,  et ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sueurs et même sa propre vie, celui-là ne saurait être mon disciple. »

Et c’est dans ce même esprit qu’Il dit à un jeune homme qui voulait d’abord inhumer son père, et Le suivre, après  « Laissez les morts ensevelir les morts. » Mais cette vérité devient plus claire encore par ces paroles que Saint Matthieu met dans la bouche de Notre-Seigneur:  « Celui qui aime son père ou sa mère plus que Moi, n’est pas digne de Moi. »

Nous ne pouvons douter cependant que nous ne soyons obligés d’avoir pour nos parents un amour très grand et un respect très profond. Mais avant tout la piété exige que nos premiers hommages et notre principal culte appartiennent à Dieu, qui est le Principe et le Créateur de toutes choses. Elle exige également que nous aimions nos parents mortels d’ici-bas, de manière que tout, dans cet amour, ait pour fin dernière notre Père céleste et éternel. — Que si, d’aucunes fois, il nous commandent des choses contraires aux préceptes divins, il est hors de doute que nous devons absolument préférer la volonté de Dieu à leurs caprices. C’est le moment de nous rappeler cet oracle de l’Esprit Saint: : « Il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes. »

§ II. — HONOREZ VOTRE PÈRE ET VOTRE MÈRE.

Après ces préliminaires, le Pasteur expliquera les mots de ce Commandement, et d’abord ce que signifie le premier: honorez. Honorer quelqu’un c’est avoir pour lui des sentiments d’estime, et faire très grand cas de tout ce qui se rapporte à lui. Cet honneur suppose nécessairement l’amour, le respect, l’obéissance, le service. Ce n’est pas sans motif que Dieu en nous donnant cette Loi a employé ce mot honorez, au lieu de aimez ou craignez, bien que cependant nous soyons obligés d’aimer fortement et de craindre nos parents. Car celui qui aime n’honore pas toujours, et celui qui craint n’honore pas non plus nécessairement. Mais celui qui honore du fond du cœur, possède par là -même l’amour et la crainte.

Après avoir donné ces explications le Pasteur devra dire quels sont ceux qui sont désignés par le nom de pères dans ce Commandement.

Or, quoique la Loi entende principalement ici ceux qui nous ont donné la vie, néanmoins ce nom de pères s’applique encore à d’autres que la Loi semble aussi avoir en vue, comme il est facile de le conclure de plusieurs endroits de la Sainte Écriture En effet, outre nos pères naturels, nos Livres sacrés, ainsi que nous l’avons vu plus haut, nous donnent encore d’autres pères que nous devons respecter et honorer d’une manière spéciale. tels sont les chefs de l’Église, les Pasteurs et les Prêtres, comme l’attestent ces paroles de l’Apôtre aux Corinthiens: : « Je ne vous écris point ces choses, pour vous causer de la honte ; mais je vous avertis comme mes plus chers enfants. Quand même vous auriez dix mille maîtres en Jésus-Christ, vous n’auriez pas plusieurs pères, puisque c’est moi qui, par l’Évangile, vous ai engendrés en Jésus-Christ. » On dit encore dans l’Ecclésiastique:  « Honorons la mémoire des hommes illustres et de nos pères dans leur postérité. »

Ceux qui exercent un commandement, une magistrature, une autorité, ceux qui gouvernent la chose publique, reçoivent aussi le nom de pères. C’est ainsi que Naaman était appelé père de ses serviteurs.

Nous nommons encore pères les personnes au soin, à la fidélité, à la probité et à la sagesse desquelles d’autres sont confiés, comme par exemple les tuteurs, les curateurs, les précepteurs, les maîtres. C’est ainsi que les enfants des prophètes appelaient Elie et Elisée leurs pères.

Enfin nous donnons également ce nom aux vieillards, à ceux qui sont très avancés en âge et que nous devons particulièrement respecter.

Le Pasteur, dans ses instructions, insistera donc sur ce point que nous devons honorer tous ceux à qui on donne le nom de pères, mais surtout ceux qui sont pères selon la chair, puisque c’est d’eux avant tout que parle la Loi. Ils sont en effet pour nous comme une personnification du Dieu immortel ; nous contemplons en eux l’image de notre origine. Ce sont eux qui nous ont transmis la vie. C’est d’eux que Dieu s’est servi pour nous donner une âme et une intelligence. Ce sont eux qui nous ont ouvert la porte des Sacrements, qui nous ont instruits de la Religion, qui ont formé en nous l’homme et le citoyen, qui nous ont élevés dans la pureté des mœurs et la vraie Vie chrétienne. — Le Pasteur n’oubliera pas de faire remarquer ici que le mot de mère a été inséré très justement dans ce Commandement. Dieu voulait nous rappeler par là tous les services et tous les bienfaits dont nous sommes redevables à nos mères, les soins et la sollicitude avec lesquels elles nous ont portés, les peines et les douleurs au milieu desquelles elles nous ont mis au monde et élevés.

§ III. — EN QUOI CONSISTE L’HONNEUR DÛ AUX PARENTS.

[Si nous voulons pratiquer ce Commandement comme Dieu nous le demande], il faut que l’honneur et les égards que nous témoignons à nos pères et mères procèdent de l’amour que nous avons pour eux, c’est-à-dire d’un sentiment sincère et profond de l’âme. Et certes, nous le leur devons bien, à cause de la tendresse qu’ils ont pour nous ; tendresse telle qu’ils ne reculent devant aucune fatigue, aucun effort, aucun danger pour nous la prouver, et que rien ne peut leur être plus agréable que de se sentir aimés par des enfants que de leur côté ils aiment si vivement. Joseph qui, après le Pharaon, était le plus puissant et le plus honoré de toute l’Égypte, reçut son père à son arrivée dans ce pays avec les plus grandes marques d’honneur. Salomon, voyant un jour sa Mère venir à lui, se leva, la salua avec un profond respect, et la fit asseoir à sa droite sur le trône royal.

Il est encore d’autres devoirs que nous devons accomplir envers nos parents, si nous voulons leur rendre tout l’honneur auquel ils ont droit. Ainsi nous les honorons

lorsque nous demandons humblement à Dieu que tout leur réussisse très heureusement, qu’ils soient environnés de la faveur et de la considération publiques, et surtout aimés de Dieu, et agréables aux Saints qui sont dans le ciel.

Nous les honorons aussi, lorsque nous réglons nos dispositions sur leur jugement et sur leur volonté. C’est le conseil de Salomon:  « Écoutez, ô mon fils, les instructions de votre père, et n’abandonnez point la loi de votre mère. Ces instructions et cette obéissance seront un ornement pour votre tête et comme un collier à votre cou. » Saint Paul a des recommandations du même genre  : « Enfants, dit-il, obéissez à vos parents dans le Seigneur ; car cela est juste. » Et encore : « Enfants, obéissez en tout à vos parents, car cela est agréable à Dieu. » D’ailleurs ces maximes trouvent leur confirmation dans l’exemple des plus saints personnages. Quand Isaac  fut lié par son père pour être sacrifié, il obéit humblement et sans résistance. Et les Réchabites,  pour ne jamais désobéir à leur père, s’abstinrent pour toujours de l’usage du vin.

Nous honorons encore nos parents, lorsque nous imitons leurs bonnes actions, et leur conduite vertueuse. En effet, la plus grande marque d’estime que l’on puisse donner à quelqu’un, c’est de vouloir lui ressembler.

C’est encore les honorer que de demander leur avis, et surtout de le suivre.

Nous les honorons enfin, si nous avons soin de subvenir à leurs besoins, en leur procurant ce que réclament la nourriture et l’entretien. C’est ce que Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même nous enseigne, quand II reproche aux Pharisiens leur impiété.  « Pourquoi vous-mêmes, leur dit-Il, violez-vous le Commandement de Dieu, pour suivre votre tradition ? Car Dieu a dit: honorez votre père et votre mère: celui qui maudira son père et sa mère sera puni de mort. Mais vous, vous dites: quiconque dira à son père ou à sa mère: toute offrande que je présenterai, vous servira ; celui-là n’honorera pas son père et sa mère ; et vous avez rendu vain le Commandement de Dieu à cause de votre tradition. »

Accomplir nos devoirs envers nos pères et mères est pour nous une obligation de tous les instants, mais surtout dans leurs maladies graves et dangereuses. C’est alors que nous devons faire le nécessaire pour qu’ils ne soient point privés de la Confession et des autres Sacrements que les Chrétiens sont tenus de recevoir aux approches de la mort. Il faut aussi veiller de très près à ce qu’ils reçoivent fréquemment la visite d’hommes pieux et craignant Dieu, capables de les fortifier s’ils sont faibles et de les aider de leurs conseils, et s’ils sont déjà bien disposés, d’élever de plus en plus leur âme par l’espérance de l’immortalité, afin que, entièrement détachés des choses humaines, ils se confient uniquement à Dieu. Ainsi fortifiés et comme environnés de ce magnifique cortège des vertus de Foi, de Charité et de Religion, non seulement ils ne craindront pas la mort puisqu’elle est inévitable, mais même ils la désireront puisqu’elle ouvre directement l’éternité.

En dernier lieu, nous honorons encore nos parents après leur mort, en leur faisant des funérailles dignes d’eux, en leur donnant une sépulture convenable, en faisant célébrer pour eux des Sacrifices anniversaires, et en exécutant avec fidélité leurs dernières volontés.

§ IV. — QUI SONT CEUX QUE L’ON DOIT ENCORE HONORER AVEC LES PARENTS, ET COMMENT ?

Ce n’est pas seulement envers ceux qui nous ont transmis la vie naturelle que nous sommes redevables des devoirs dont nous venons de parler, c’est aussi envers ceux qui portent le nom de pères, c’est-à-dire les Évêques, les Prêtres, les rois, les princes, les magistrats, les tuteurs, les curateurs, les maîtres, les précepteurs, les vieillards et autres semblables. tous méritent de ressentir les effets, de notre charité, de notre obéissance et de nos efforts, mais pas au même degré.

Voici ce qui est écrit des Évêques et des Prêtres:  « Que les Prêtres qui gouvernent bien soient doublement honorés, principalement ceux qui travaillent à prêcher et à instruire. » Et quelles marques d’affection profonde les Galates ne donnèrent-ils pas à l’Apôtre Saint Paul, pour qu’il pût rendre à leur bienveillance ce témoignage incroyable :  « Oui, je l’atteste, vous étiez prêts alors, si la chose eût été possible, à vous arracher les yeux pour me les donner ? »

Il faut aussi fournir aux Prêtres les choses qui leur sont nécessaires pour vivre. « Quel est le soldat, demande l’Apôtre, , qui fait la guerre à ses dépens ? » et n’est-il pas écrit dans l’Ecclésiastique ?  « Honorez les Prêtres purifiez-vous par les oblations présentées de vos mains, donnez-leur la part des prémices et des hosties d’expiation, comme il a été ordonné. » L’Apôtre enseigne qu’il faut aussi leur obéir.  « Obéissez, dit-il, à vos conducteurs et soyez-leur soumis, car ils veillent sur vos âmes comme devant en rendre compte. » Bien plus, Notre-Seigneur Jésus-Christ commande d’obéir même aux mauvais Prêtres, lorsqu’il dit, en parlant des Scribes et des Pharisiens :  « Ils sont assis sur la chaire de Moise ; en conséquence, faites tout ce qu’ils vous ordonnent, mais ne faites point ce qu’ils font ; car ils disent ce qu’il faut faire et ne le font point. »

Il en faut dire autant des rois, des princes, des magistrats et de tous ceux à qui nous devons être soumis. L’Apôtre Saint Paul, dans son Epître aux Romains,  s’étend longuement sur l’honneur, les égards et le respect qui leur sont dus. Ailleurs,  il nous avertit que nous devons prier pour eux. Saint Pierre nous dit à son tour:  « Soyez soumis, pour l’amour de Dieu, à toute créature revêtue du pouvoir, soit au roi comme au souverain, soit au gouverneur, comme étant envoyé par lui. » — Car si nous leur rendons honneur, c’est à Dieu que cet honneur s’adresse. Les dignités humaines, si hautes qu’elles soient, n’obtiennent nos respects et nos hommages, qu’autant que nous voyons en elles l’image de la puissance même de Dieu. Et en agissant ainsi, nous vénérons en même temps la divine Providence qui confie à quelques hommes la charge des fonctions publiques, et qui se sert d’eux comme d’autant de ministres qui tiennent d’Elle leur pouvoir.

S’il se rencontre parfois des magistrats indignes, ce n’est ni leur perversité, ni leur malice que nous honorons, mais l’autorité divine qui est en eux. Et même, ce qui paraîtra peut-être incroyable, les inimitiés, les colères, les haines implacables qu’ils peuvent nourrir dans leur cœur contre nous, ne sont point des raisons suffisantes pour nous dispenser de nos devoirs envers eux. David ne rendit-il point les plus grand services à Saül, quoique celui-ci fût son plus cruel ennemi ? C’est ce qu’il nous rappelle lui-même par ces paroles:  « J’étais pacifique avec ceux qui haïssent la paix. »

Cependant, s’ils avaient le malheur d’ordonner quelque chose de mauvais ou d’injuste, comme alors ils n’agiraient plus de par cette autorité légitime qu’ils ont reçue de Dieu, mais en suivant leurs sentiments injustes et pervers, nous ne serions obligés en aucune façon de leur obéir.

Quand le Pasteur aura exposé successivement les différents points que nous venons de traiter, il ne manquera pas de faire remarquer combien est belle et convenable la récompense réservée à ceux qui observent ce quatrième Commandement de Dieu. Or le premier fruit de leur obéissance, c’est une longue vie. On mérite en effet de jouir très longtemps d’un bienfait dont on garde fidèlement la mémoire. Ceux donc qui honorent leurs parents et qui leur témoignent une vive reconnaissance pour le bienfait de la vie et de la lumière, ont droit à jouir de la vie jusqu’à la plus grande vieillesse. Mais cette promesse divine veut être expliquée plus au long. Il faut savoir qu’elle n’a pas seulement pour objet la Vie Éternelle et bienheureuse, mais encore cette vie que nous avons à passer sur la terre. Saint Paul exprime très bien cette vérité quand il dit:  « La piété est utile à tout: elle a les promesses de la vie présente et celles de la vie future. »

Et qu’on veuille bien le croire, cette récompense n’est ni vile, ni méprisable, encore que de très saints personnages comme Job , David , et Saint Paul  aient désiré la mort, et qu’il soit peu agréable de voir sa vie se prolonger, quand on est accablé de chagrin et de misère. Car ces paroles qui accompagnent la promesse divine : Que le Seigneur voire Dieu vous donnera, n’assurent pas seulement la longueur de la vie mais encore le repos, la tranquillité, la santé nécessaires pour vivre heureusement. Aussi bien le Deutéronome ne dit pas seulement:  « afin que vous viviez longtemps, » il ajoute: « afin que vous soyez heureux sur la terre. » Et l’Apôtre, plus tard,  redit la même chose.

Dieu accorde ces biens à ceux dont Il veut récompenser la piété, autrement Il ne serait ni fidèle ni constant dans ses promesses ; puisqu’il arrive quelquefois que les enfants qui se distinguent le plus par leur piété filiale, ne jouissent pas pour cela d’une longue existence. Si Dieu le permet ainsi, c’est à coup sûr pour leur plus grand bien. Ils sortent de la vie, avant d’avoir abandonné le chemin de la vertu et du devoir . « Ils sont enlevés, disent nos Saints Livres, de peur que la malice ne corrompe leur esprit, et que l’illusion ne séduise leur âme. » Ou bien encore parce que, au moment où la ruine et le bouleversement de toutes choses menacent le monde, ils sont dégagés des liens du corps pour échapper aux calamités publiques. Le juste, dit le Prophète , « a été soustrait à la malice des hommes, » de peur que son innocence et son salut même ne fussent en danger, lorsque Dieu par ses châtiments punirait les crimes des hommes ; ou enfin, pour leur épargner dans les temps de grande désolation, les douleurs, les deuils et les amertumes que nous cause la mort de nos amis et de nos proches. C’est la raison pour laquelle nous devons être saisis de crainte lorsque Dieu rappelle à Lui les gens de bien par une mort prématurée.

§ VI. — CHATIMENT RÉSERVÉ A CEUX QUI VIOLENT LE QUATRIÈME PRÉCEPTE.

Mais si Dieu promet une récompense et des avantages aux enfants qui sont reconnaissants envers leurs parents, il réserve des peines terribles aux fils ingrats et dénaturés. Il est écrit:  « Celui qui aura maudit son père ou sa mère sera puni de mort ; et  celui qui afflige son père et chasse sa mère est un misérable et un infâme ; puis encore:  « Celui qui maudit son père ou sa mère, verra sa lampe s’éteindre au milieu des ténèbres. » Et enfin  que l’œil qui insulte à son père, et qui tourne en dérision l’enfantement de sa mère, soit arraché par les corbeaux des torrents °t dévoré par les fils de l’aigle. » nous voyons dans l’Écriture que souvent la colère de Dieu s’est appesantie sur les enfants qui avaient outragé leurs parents. David ne reste point sans vengeance. Son fils révolté Absalon meurt percé de trois coups de lance: juste punition de son crime.

De même il est écrit de ceux qui n’obéissent point aux Prêtres : « Celui qui s’enorgueillira, ne voulant point obéir au commandement du Prêtre qui en ce temps-là sera ministre du Seigneur notre Dieu, ni d la sentence du juge ; celui-là mourra. »

§ VII. — DEVOIRS DES PARENTS ET DES SUPÉRIEURS ENVERS LEURS ENFANTS ET LEURS INFÉRIEURS.

Si la Loi divine ordonne aux enfants d’honorer leurs parents, de leur obéir, de les respecter, elle fait aussi aux parents une obligation et une charge spéciale d’élever leurs enfants dans des principes parfaits et des mœurs pures, de leur donner d’excellentes règles de conduite, de les habituer à la pratique des devoirs de la Religion, et de leur inspirer pour Dieu un profond et inviolable respect. Ainsi, nous dit l’Écriture, firent les parents de la chaste Suzanne.

Que le Pasteur ait donc soin de rappeler aux pères et mères qu’ils sont obligés de donner à leurs enfants des leçons de vertu, de justice, de continence, de modestie et de sainteté. Ils doivent surtout éviter trois défauts, qui ne sont que trop communs

Le premier, de les traiter trop durement, soit en paroles, soit en actions. Saint Paul, dans son Epître aux Colossiens ne dit-il pas : « Vous, pères, ne provoquez point vos enfants à la colère, de peur qu’ils ne tombent dans l’abattement. » Car s’ils craignent tout, ils sont en grand danger de perdre tout courage. Le Pasteur leur recommandera donc d’éviter une trop grande sévérité, et de corriger leurs enfants plutôt que de s’en venger.

Le second défaut, d’user d’une molle indulgence, quand les enfants ont commis quelque faute, et qu’il faudrait les réprimander et sévir contre eux. Il arrive souvent que la trop grande douceur, et la trop grande facilité des parents dépravent les enfants. Pour les détourner de cette indulgence mauvaise, le Pasteur n’hésitera pas à leur citer l’exemple du grand prêtre Héli qui, pour avoir été trop bon envers ses fils, fut frappé par Dieu du dernier châtiment .

Le troisième enfin, et c’est le plus honteux, de se proposer dans l’éducation et l’instruction de leurs enfants des desseins condamnables, comme le font, hélas ! un trop grand nombre de parents, qui n’ont d’autre pensée et d’autre soin que celui de laisser à leurs enfants des richesses, de l’argent, un vaste et magnifique patrimoine. Ils ne les forment point à la religion, à la piété, pas même à l’exercice d’un emploi honorable, mais au contraire à l’avarice et à l’augmentation de leur fortune, peu jaloux de la considération et du salut de leurs enfants, pourvu qu’ils soient riches et opulents. Peut-on dire, peut-on imaginer rien de plus déplorable ? C’est ainsi qu’ils en font plutôt les héritiers de leurs crimes et de leurs désordres que de leur opulence ; et au lieu de les guider vers le ciel, ils les entraînent aux supplices éternels de l’enfer.

Que le Prêtre donc fasse entendre aux parents les meilleures instructions ! qu’il les excite à imiter le saint homme Tobie et ses vertus, afin qu’ayant formé leurs enfants comme il convient au service de Dieu et à la sainteté, ils en recueillent à leur tour les fruits les plus abondants d’amour, de respect et d’obéissance.


Chapitre trente-troisième — Du cinquième Commandement

VOUS NE TUEREZ POINT.

Le grand bonheur promis aux pacifiques, puisqu’ils seront appelés enfants de Dieu , est pour les pasteurs un motif bien puissant de faire connaître ce Commandement aux Fidèles avec tout le soin et toute la clarté possibles. Car pour établir la concorde entre les hommes, il n’est pas de moyen plus efficace que de les amener tous, par une explication parfaite, à l’observer religieusement comme ils le doivent. Alors il sera permis d’espérer que vivant dans une conformité parfaite de sentiments, ils s’appliqueront à entretenir au milieu d’eux l’union et la paix.

Ce qui montre encore combien il est nécessaire d’insister sur ce précepte, c’est qu’aussitôt après le déluge, la première et l’unique défense que Dieu fit aux hommes fut la transgression de ce Commandement : « Je demanderai compte de votre sang à quiconque l’aura versé, soit l’homme, soit la bête. » Et dans l’Évangile, lorsque Notre-Seigneur rappelle les Commandements de la Loi de Moise, le premier qu’Il explique, nous dit Saint Matthieu, est précisément celui-ci : « Il a été dit aux anciens: vous ne tuerez point », et le reste qui est rapporté au même endroit.

De leur côté les Fidèles doivent écouter avec attention et empressement ce qu’on leur dit de ce précepte, puisqu’il est fait pour protéger la vie de chacun de nous en particulier et que ces paroles: Vous ne tuerez point, défendent absolument l’homicide. Ainsi donc chaque homme doit recevoir ce Commandement avec autant de joie que si Dieu lui défendait, sous les peines et les menaces les plus terribles, d’attenter à sa propre vie. Mais si nous devons aimer à entendre parler de ce précepte nous devons aimer également à éviter le mal qu’il défend.

En expliquant Lui-même cette Loi, Notre-Seigneur Jésus-Christ a montré qu’elle renferme deux choses: l’une qui nous est défendue, c’est de tuer ; l’autre qui nous est commandée, c’est d’avoir une charité et un amour sincères pour nos ennemis, de vivre en paix avec tout le monde, et de supporter patiemment toutes les souffrances de la vie.

§ I. — QUELS SONT LES MEURTRES QUI NE SONT POINT ICI DÉFENDUS.

Dans la partie du précepte qui défend le meurtre, il faut d’abord faire remarquer aux Fidèles qu’il y a des meurtres qui ne sont point compris dans cette défense. Ainsi il n’est pas défendu de tuer les bêtes ; puisque Dieu nous a permis de nous en nourrir, Il nous a permis par là -même de les tuer. Ce qui a fait dire à Saint Augustin  : « Lorsque nous lisons ces paroles: Vous ne tuerez point, cela ne peut s’entendre des arbres qui n’ont aucune sensibilité, ni des animaux sans raison, parce qu’ils ne nous sont unis par aucun lien social. »

Il est une autre espèce de meurtre qui est également permise, ce sont les homicides ordonnés par les magistrats qui ont droit de vie et de mort pour sévir contre les criminels que les tribunaux condamnent, et pour protéger les innocents. Quand donc ils remplissent leurs fonctions avec équité, non seulement ils ne sont point coupables de meurtre, mais au contraire ils observent très fidèlement la Loi de Dieu qui le défend. Le but de cette Loi est en effet de veiller à la conservation de la vie des hommes, par conséquent les châtiments infligés par les magistrats, qui sont les vengeurs légitimes du crime, ne tendent qu’à mettre notre vie en sûreté, en réprimant l’audace et l’injustice par les supplices. C’est ce qui faisait dire à David : « Dés le matin je songeais à exterminer tous les coupables, pour retrancher de la cité de Dieu les artisans d’iniquité. »

Par la même raison, ceux qui, dans une guerre juste, ôtent la vie à leurs ennemis, ne sont point coupables d’homicide, pourvu qu’ils n’obéissent point à la cupidité et à la cruauté, mais qu’ils ne cherchent que le bien public. Les meurtres qui se font par la volonté formelle de Dieu ne sont point non plus des péchés. Les enfants de Lévi qui firent périr en un seul jour tant de milliers d’hommes ne commirent aucune faute. Après le massacre, Moïse leur dit:  « Vous avez aujourd’hui consacré vos mains au Seigneur. » Celui qui involontairement et sans préméditation donne la mort à quelqu’un, n’est pas coupable non plus. Voici ce que le Deutéronome dit à ce sujet:  « Celui qui, sans y penser, aura frappé un autre avec lequel il n’aura point eu de dispute les deux jours précédents, et qui étant allé avec lui dans une forêt simplement pour y couper du bois, lui aura donné un coup et l’aura tué avec sa cognée qui lui aura échappé des mains, ou qui a quitté son manche, ne sera point coupable de la mort de cet homme. » Ces sortes de meurtres ne sont ni volontaires ni commis à dessein, ils ne sauraient donc être mis au nombre des péchés. C’est ce que nous confirme Saint Augustin:  « Si contre notre volonté, dit-il, il arrive du mal des actions que nous faisons licitement et pour le bien, ce mal ne doit pas nous être imputé. »

Toutefois il est deux cas où nous pouvons être coupables d’homicide, sans qu’il y ait eu préméditation de notre part

En premier lieu, si quelqu’un vient à tuer son semblable, en faisant une action injuste ; par exemple, en frappant une femme enceinte à coups de pied, ou à coups de poing, de manière à causer la mort de son enfant ; sans doute il n’est pas volontairement cause de cette mort, mais il en est coupable, par la raison qu’il lui est absolument défendu de frapper une femme enceinte. En second lieu, si on donne la mort à quelqu’un par imprudence, et faute d’avoir pris les précautions et les soins nécessaires, pour éviter un tel malheur.

De même encore, celui qui en défendant sa propre vie tue son agresseur, malgré les précautions qu’il prend pour ne le point frapper mortellement, n’est nullement coupable d’homicide. tous ces meurtres dont nous venons de parler ne tombent point sous les prescriptions de la Loi. Mais les autres sont absolument défendus, soit qu’on les considère du côté de celui qui donne la mort, ou du côté de celui qui la reçoit, ou enfin selon les différentes manières dont l’homicide peut être commis.

§ II. — MEURTRES DÉFENDUS.

Et d’abord la loi défend le meurtre à tout le monde. Elle n’excepte personne ; ni riches, ni pauvres, ni puissants, ni maîtres, ni parents. Elle ne fait aucune distinction. Défense à tous de tuer.

Défense de tuer qui que ce soit ! La Loi s’étend à tous. Il n’est personne, quelle que soit la bassesse de sa condition, qui ne soit protégé par elle.

Bien plus, défense de se tuer soi-même. nul n’a assez de pouvoir sur sa propre vie, pour se donner la mort quand il lui plaît. C’est pour cela que la Loi ne dit pas: vous ne tuerez point les autres, mais simplement: vous ne tuerez point.

Si maintenant nous examinons les différentes manières de commettre un meurtre, il n’en est point qui ne soit interdite par ce précepte. non seulement il n’est permis à personne d’ôter la vie à son semblable de ses propres mains, ou avec le fer, la pierre, le bâton, le lacet ou le poison, mais il est encore défendu d’y contribuer de ses conseils, de ses moyens, de son secours ou de quelque manière que ce soit. C’est pourquoi les Juifs firent preuve d’un aveuglement bien étrange, en s’imaginant qu’ils observaient ce précepte, pourvu seulement qu’ils n’eussent pas commis le meurtre de leurs mains.

§ III. — AUTRES CHOSES DÉFENDUES PAR CE PRÉCEPTE.

Un Chrétien qui sait, par l’interprétation de notre Seigneur Jésus-Christ Lui-même, que la Loi dont nous parlons est spirituelle, c’est-à-dire qu’elle nous ordonne d’avoir non seulement les mains pures, mais encore le cœur droit et irréprochable, ce Chrétien, disons-nous, ne peut se contenter de ce que les Juifs regardaient comme surabondant. Ainsi, d’après l’enseignement de l’Évangile, nous n’avons même pas le droit de nous mettre en colère contre notre frère. Notre-Seigneur ne dit-il pas ?  « Mais Moi Je vous le dis, quiconque se met en colère contre son frère, sera condamné par le jugement ; celui qui dira à son frère: Raca, sera condamné par le conseil ; et celui qui l’appellera fou, méritera d’être condamné au feu éternel de l’enfer. »

Ces paroles nous montrent clairement que celui qui se met en colère contre son frère, même s’il tient sa colère renfermée dans son cœur, ne laisse pas d’être coupable ; que celui qui la fait éclater au dehors d’une manière quelconque, commet un péché grave, et son péché est bien plus grave encore s’il ne craint pas de traiter son frère avec dureté, et de le charger d’injures.

Ceci est vrai, lorsque nous nous mettons en colère sans raison. Mais il y a une colère légitime et selon Dieu c’est celle qui nous fait réprimander, quand elles sont en faute, les personnes placées sous nos ordres et qui nous doivent obéissance. La colère du Chrétien ne procède point des sens, ni des émotions de la passion, elle vient du Saint-Esprit, dont nous sommes les temples, et il faut que Jésus-Christ habite dans ces temples.

Il est encore beaucoup d’autres choses que notre Seigneur nous a recommandées, et qui tiennent à l’observation parfaite de ce Commandement. Par exemple:  « Ne résistez pas à ceux qui vous maltraitent. Si quelqu’un vous a frappé sur la joue droite, présentez-lui encore l’autre. Si quelqu’un veut plaider contre vous pour vous prendre votre tunique, abandonnez-lui encore votre manteau. Et si quelqu’un vous force de faire mille pas avec lui, faites-en deux mille. »

De tout ce que nous venons de dire il est aisé de conclure combien les hommes sont enclins aux péchés défendus par ce Commandement, et par conséquent combien il s’en trouve, hélas ! qui sont homicides, non de la main, mais du cœur.

§ IV. — MOYENS D’ÉVITER LES FAUTES CONTRAIRES AU CINQUIÈME COMMANDEMENT.

L’écriture ne manque pas de remèdes à opposer à un mal si funeste. Le devoir du Pasteur sera donc de les indiquer soigneusement aux Fidèles. Or, le remède le plus efficace est de leur faire comprendre combien l’homicide est un crime énorme ; et cette vérité peut se prouver par plusieurs passages très importants de nos Saints Livres, où nous voyons Dieu détester tellement l’homicide qu’il nous assure qu’Il vengera la mort de l’homme sur les bêtes, et qu’Il ordonne de tuer l’animal qui aura seulement blessé un homme. Et si Dieu a voulu inspirer à l’homme tant d’horreur du sang, c’est uniquement pour le détourner par tous les moyens du crime affreux de l’homicide, et en préserver autant son cœur que ses mains.

Les homicides sont les ennemis les plus acharnés du genre humain et même de la nature ; car ils détruisent, autant qu’il est en eux, l’œuvre de Dieu, en détruisant l’homme pour lequel Il nous atteste qu’Il a fait toutes choses. Il y a plus: comme il est défendu dans la Genèse de tuer l’homme, parce que Dieu l’a créé à son image et à sa ressemblance, celui-là Lui fait une injure insigne, qui porte pour ainsi dire sur Lui une main criminelle, en faisant disparaître son image du milieu du monde. C’est en méditant devant Dieu cette triste vérité que David se plaint si amèrement des hommes sanguinaires.  « Leurs pieds, dit-il, sont agiles pour répandre le sang. » Il ne dit pas simplement: ils tuent, mais: ils répandent le sang. Or il emploie ces mots pour faire ressortir davantage l’énormité de cet abominable crime et la cruauté insensée de ceux qui le commettent. De même encore pour montrer avec quelle précipitation ils sont poussés au mal par une sorte de violence diabolique, il dit: leurs pieds sont agiles.

§ V. — CE QUI EST COMMANDÉ PAR CE PRÉCEPTE.

Cette deuxième partie du précepte ne défend pas ; elle commande. Et ce que Notre-Seigneur Jésus-Christ exige de nous, c’est que nous vivions en paix avec tout le monde. Voici d’ailleurs comme Il explique ce commandement:  « Si lorsque vous présentez votre offrande à l’Autel, vous vous souvenez que votre frère a quelque chose sur le cœur contre vous, laissez là votre offrande devant l’Autel et allez d’abord vous réconcilier avec votre frère, puis vous viendrez faire votre offrande. » Le Pasteur aura soin d’expliquer ces paroles de manière à faire comprendre que notre Charité doit s’étendre à tous les hommes sans exception. Et il multipliera ses exhortations pour porter les Fidèles à cette grande vertu de l’amour du prochain si visiblement contenue dans ce précepte. En effet, la haine y étant clairement défendue, puisque « celui qui hait son frère est homicide, » il s’ensuit nécessairement que l’amour et la charité envers le prochain y sont commandés. Ce n’est pas tout, car en même temps que ce précepte nous fait un devoir de la Charité universelle, il nous ordonne également toutes les obligations et toutes les œuvres qui en sont une suite naturelle. Ainsi, « la Charité est patiente », dit Saint Paul , donc la patience nous est commandée, cette patience dans laquelle Notre-Seigneur nous assure que nous posséderons nos âmes.  Il en est de même de la bienfaisance, qui est l’amie et la compagne de la Charité, car la Charité est bienfaisante . Or la bienfaisance et la bonté vont très loin. Ce sont elles principalement qui font que nous soulageons les pauvres en ce qui leur est nécessaire, que nous donnons à manger à ceux qui ont faim, à boire à ceux qui ont soif, des vêtements à ceux qui sont nus, en un mot que nos libéralités sont d’autant plus grandes que nous constatons des besoins plus étendus. tous ces actes de bonté et de bienfaisance, déjà très beaux et très méritoires par eux-mêmes, le deviennent bien davantage encore, lorsque nous les exerçons envers des ennemis. Car notre Sauveur nous dit:  « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. » Et Saint Paul ajoute:  « Si votre ennemi a faim, donnez-lui d manger ; s’il a soif, donnez-lui à boire ; en agissant ainsi vous amasserez des charbons de feu sur sa tête. ne vous laissez point vaincre par le mal, mais cherchez à vaincre le mal par le bien. »

Si nous considérons enfin la loi de la Charité, toujours par rapport à la bienveillance, nous n’aurons pas de peine à comprendre qu’elle nous oblige à pratiquer en toutes choses la douceur, la retenue, la réserve et toutes les autres vertus de ce genre.

Mais le devoir qui l’emporte, et de beaucoup, sur tous les autres, le devoir de Charité par excellence, celui auquel nous devons nous exercer le plus, c’est de remettre et de pardonner d’un bon cœur les injures qu’on nous a faites. Pour nous amener à la pratique de cette vertu, la Sainte Écriture, comme nous l’avons dit plus haut, multiplie les recommandations et les exhortations. non seulement elle appelle heureux ceux qui pardonnent en toute sincérité, mais elle leur promet de la part de Dieu la rémission de leurs péchés ; tandis que cette rémission est refusée à ceux qui négligent ou refusent de remplir ce devoir.

Mais comme le désir de la vengeance est pour ainsi dire inné dans le cœur de l’homme, le Pasteur mettra tous ses soins, non seulement à rappeler aux Fidèles qu’ils doivent oublier et pardonner les injures, mais encore à faire en sorte de le leur persuader. Et comme les Saints Pères ont beaucoup parlé de cette matière, il ne manquera pas de les consulter, pour vaincre l’opiniâtreté de ceux qui veulent s’obstiner et s’endurcir dans la résolution de se venger. Il devra tenir toujours prêts les arguments si concluants que leur piété leur a suggérés, et qu’ils ont si bien appropriés à la question.

Il pourra se servir utilement des trois considérations suivantes :

D’abord il importe grandement de bien persuader à celui qui se croit offensé que l’auteur principal de l’injure ou du dommage qu’il a reçu, n’est pas celui sur lequel il désire se venger. C’est ainsi que l’avait compris Job, cet homme admirable qui, accablé des traitements les plus cruels par les Sabéens, les Chaldéens et le démon, ne tient d’eux aucun compte, mais se contente, en homme droit et vraiment pieux, de prononcer ces paroles, si dignes de sa vertu et de sa Foi:  « Le Seigneur m’avait tout donné, le Seigneur m’a tout ôté. »

De te !les paroles et un tel exemple de patience sont bien propres à convaincre les Chrétiens que tout ce que nous souffrons en cette vie vient de Dieu, Père et Auteur de toute justice et de toute miséricorde. Et sa bonté pour nous est si grande qu’Il ne nous punit point comme des ennemis, mais qu’Il nous corrige et nous châtie comme ses enfants.

Et de fait, si nous voulons y réfléchir, nous devons reconnaître que les hommes, dans les maux que nous souffrons, ne sont que les ministres et les exécuteurs de la justice divine. On peut en venir à concevoir contre quelqu’un une haine criminelle, et même lui souhaiter le plus grand mal, mais on ne peut lui nuire qu’avec la permission de Dieu. Voilà pourquoi Joseph supporta patiemment les traitements impies de ses frères, et David les injures de Séméi. Il est encore un raisonnement qui s’applique très bien à notre sujet, c’est celui de Saint Jean Chrysostome, et qu’il a développé avec tant de bonheur et d’habileté. « Personne, dit-il, n’éprouve de mal que celui qu’il se fait à lui-même. Car ceux qui croient avoir été traités d’une manière injurieuse n’auront pas de peine à comprendre, s’ils y pensent en toute sincérité, qu’ils n’ont reçu des autres aucune injure, aucun dommage pour leur âme, encore qu’on leur ait fait quelques maux qui sont purement extérieurs. Au contraire, ils se font à eux-mêmes le plus grand mal, quand ils souillent leur âme par la haine, la cupidité et la jalousie. »

En second lieu, il y a deux grands avantages pour ceux qui en vue de plaire à Dieu pardonnent volontiers les Injures qu’on leur a faites. Le premier, c’est le pardon de nos fautes que Dieu nous a promis, si nous pardonnons celles des autres envers nous: d’où il est aisé de conclure combien cet acte de Charité lui est agréable. Le second, c’est que nous nous élevons à un nouveau degré de dignité et de perfection, car en pardonnant nous devenons en quelque sorte semblables à Dieu, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et qui fait pleuvoir sur les pécheurs comme sur les justes.

Enfin il faut avoir soin de bien montrer les inconvénients qui nous attendent, si nous ne voulons point pardonner les injures que nous avons reçues. Le Pasteur représentera donc à ceux qui ne peuvent se déterminer à pardonner à leurs ennemis, que la haine n’est pas seulement un péché grave, mais encore un péché qui tire de sa durée même une gravité sans cesse croissante. Car celui qui a le malheur de nourrir cette passion dans son âme, a soif en quelque sorte du sang de son ennemi. Il passera, en vue de sa vengeance, ses jours et ses nuits à rouler dans son esprit quelque projet mauvais, toujours occupé de, pensées de meurtre et de choses détestables. C’est pourquoi il devient impossible, ou du moins très difficile de l’amener à pardonner, en tout ou en partie, les injures qu’il a reçues. Aussi on a comparé très justement la haine à une plaie dans laquelle le trait reste enfoncé.

Il est encore beaucoup d’autres inconvénients et de péchés dont la haine devient pour ainsi dire le lien et le centre. C’est ce qui a fait dire à Saint Jean:  « Celui qui hait son frère est dans les ténèbres, et il marche dans les ténèbres, et il ne sait où il va, parce que les ténèbres l’ont aveuglé. » Par conséquent, il est condamné à des chutes fréquentes ; car comment approuver les paroles ou les actes de quelqu’un qu’on déteste ? De là des jugements téméraires et injustes, des colères, des jalousies, des médisances et autres péchés semblables, qui n’épargnent pas même — cela ne se voit que trop souvent — ceux qui sont unis par les liens du sang ou de l’amitié. C’est ainsi qu’un seul péché en engendre beaucoup d’autres.

Et certes, ce n’est pas sans motif que ce péché de la haine est appelé péché diabolique, puisque  « le diable est homicide dès le commencement » Voilà pourquoi notre Seigneur Jésus-Christ, voyant que les Pharisiens voulaient Le faire mourir, leur disait:  « Le démon est votre père, et vous êtes de lui. »

Outre ce que nous venons de dire et toutes les raisons que nous avons apportées pour faire détester ce crime, nos Saints Livres nous proposent encore contre lui plusieurs remèdes d’une grande efficacité.

Le premier, et le meilleur de tous, est l’exemple de Notre-Seigneur Jésus-Christ, que nous devons faire en sorte d’imiter. Lui qui ne pouvait pas même être soupçonné du moindre péché, Lui, (l’innocence même), après avoir été indignement battu de verges, couronné d’épines et cloué à une croix, laisse tomber de ses lèvres cette prière si pleine de Charité:  « mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font, » bien que  son sang répandu parlât déjà, au témoignage de l’Apôtre, plus éloquemment que celui d’Abel.

L’Ecclésiastique nous propose un autre remède. C’est la pensée de la mort et du jugement.  « Souvenez-vous de vos fins dernières, dit-il, et jamais vous ne pécherez. » En d’autres termes, pensez souvent, ou mieux ayez sans cesse dans la pensée que vous devez mourir bientôt. Et comme alors il sera très désirable et même très nécessaire pour vous d’obtenir la très grande miséricorde de Dieu, vous devez dès maintenant et toujours vous remettre sous les yeux cette miséricorde dont vous avez tant besoin. C’est le moyen d’éteindre dans votre âme ce feu infernal de la haine et de la vengeance. Rien n’est plus propre en effet à vous faire obtenir la divine miséricorde que l’oubli des injures et l’amour de ceux qui vous ont offensé, vous ou les vôtres, soit en paroles, soit en actions.


Chapitre trente-quatrième — Du sixième Commandement

VOUS NE SEREZ POINT ADULTÈRES.

Le lien qui unit le mari et la femme est très étroit. Partant, rien ne peut leur être plus agréable que de se sentir aimés l’un de l’autre d’un amour tendre et loyal. Au contraire, rien ne saurait leur être plus pénible que de voir cet amour, qu’ils se doivent et qui est si légitime, s’en aller honteusement vers d’autres. Il était donc juste et absolument dans l’ordre qu’après la Loi qui protège la vie de l’homme contre le meurtre. Dieu plaçât immédiatement celle qui défend l’adultère, afin que personne n’osât violer ou détruire cette union si sainte et si honorable du Mariage, ce foyer si ardent de Charité et d’amour.

Mais en traitant cette matière, le Pasteur ne devra manquer ni de circonspection ni de prudence. Il traitera ce sujet avec la réserve la plus mesurée. n’est-il pas à craindre en effet qu’en voulant expliquer longuement et en détail les différentes manières de transgresser ce précepte, il ne vienne à dire des choses qui pourraient troubler les âmes délicates au lieu de les éclairer ?

Or, ce Commandement est très étendu et fort complexe. Et pourtant le Pasteur ne doit rien passer sous silence. Chaque chose doit venir à sa place.

Il se divise en deux parties, l’une qui défend formellement l’adultère, l’autre qui nous commande implicitement la chasteté de l’âme et du corps.

Commençons d’abord par ce qui est défendu.

§ I. — DE L’ADULTÈRE.

L’adultère est la violation du droit le plus sacré qui unit par serment inviolable les Époux l’un à l’autre. L’Époux qui manquerait de fidélité à son Épouse commettrait une faute très grave ; quiconque libre pécherait avec une personne non libre, se rendrait gravement coupable aux yeux de Dieu.

Selon Saint Ambroise et Saint Augustin, ce Commandement porté contre l’adultère s’étend à tout ce qui est déshonnête et impur. Et nos Saints Livres, ceux de l’Ancien, comme ceux du nouveau testament, ne nous permettent pas d’être d’un avis différent. Ainsi, outre l’adultère, d’autres genres de libertinage sont encore punis dans Moise. La Genèse nous rapporte un jugement de Juda contre sa belle-fille , et le Deutéronome défend positivement qu’aucune des filles d’Israël ne se livre au mal . Tobie faisait cette exhortation à son fils : « Gardez-vous, ô mon fils, de toute impudicité » ; et l’Ecclésiastique nous dit : « Rougissez de jeter les yeux sur une femme de mauvaise vie. »

Dans l’Évangile, Notre-Seigneur Jésus-Christ nous assure  « que du cœur sortent les adultères et les intentions mauvaises qui rendent l’homme coupable. » Quant à Saint Paul, c’est dans une foule de passages, et dans les termes les plus sévères, qu’il flétrit ce péché. Ici il dit : « La volonté de Dieu est que vous soyez saints et que vous évitiez l’impudicité ; là  Fuyez ce vice ; ailleurs Evitez les impudiques ; puis  Qu’on n’entende pas même parler parmi vous de ce péché, ni d’impureté de quelque sorte, ni d’avarice ; puis encore : ni les impudiques, ni les adultères, ni les efféminés, ni les abominables ne seront héritiers du Royaume de Dieu. »

La principale raison pour laquelle l’adultère est expressément défendu dans ce Commandement, c’est que, outre la turpitude qui lui est commune avec toutes les autres espèces d’impuretés, il est en même temps un acte d’injustice flagrante non seulement contre le prochain, mais même contre la société civile. Il est certain d’ailleurs que celui qui ne sait pas s’abstenir des autres péchés d’impureté sera bien vite entraîné jusqu’à l’adultère.

Il est donc facile de comprendre qu’en défendant l’adultère, Dieu a défendu en même temps toute sorte d’impureté, capable de souiller le corps. De plus le libertinage intérieur du cœur est également défendu, car cette Loi est essentiellement spirituelle. nous en avons la preuve dans ces paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Vous savez qu’il a été dit aux Anciens: vous ne serez point adultères ; mais Moi Je vous dis que quiconque regarde une femme avec une intention mauvaise, a déjà commis t’adultère dans son cœur. »

Voilà ce qu’il nous a semblé que le Pasteur pouvait dire en public sur cette matière, en y ajoutant toutefois ce que le Saint Concile de Trente  a décrété contre les adultères, et contre ceux qui s’exposent à vivre dans l’habitude du mal et des fréquentations mauvaises. Il laissera de côté toutes les autres variétés de péchés contre ce Commandement, pour n’en parler qu’en particulier, et encore, selon que les circonstances et la situation des personnes lui en feront un devoir:

Il reste à expliquer maintenant la partie du précepte qui commande.

§ II. — CE QUI EST COMMANDÉ PAR LE SIXIÈME COMMANDEMENT.

Il faut donc apprendre aux Fidèles et les exhorter très vivement à pratiquer avec tout le soin possible la vertu de pureté , « à se purifier de tout ce qui souille la chair et l’esprit, poursuivant l’œuvre de leur sanctification dans la crainte de Dieu. » Il faut surtout leur faire remarquer que, si la vertu de chasteté brille d’un éclat particulier dans ceux qui gardent religieusement l’excellente et divine vertu de virginité, elle peut aussi être pratiquée par ceux qui vivent dans le célibat, et même par les personnes mariées qui savent se conserver pures et innocentes de tous les excès défendus.

Les saints Pères nous indiquent un grand nombre de remèdes pour nous apprendre à réprimer et à dompter nos passions. Le Pasteur ne manquera pas de les faire connaître aux Fidèles, en les expliquant avec tout le soin possible.

§ III. — REMÈDES CONTRE LES MAUVAISES PENSÉES.

Ces remèdes sont de deux sortes: les uns sont du domaine de la pensée, les autres appartiennent à l’action.

Les remèdes qui procèdent de la pensée consistent principalement en ce que nous comprenions très bien tout ce qu’il y a de honteux et de pernicieux dans le péché d’impureté. Cette connaissance une fois acquise, il nous sera plus facile de le détester. Or ce qui nous fait sentir combien ce crime est funeste, c’est que ceux qui ont le malheur de le commettre, sont par le fait repoussés et exclus du Royaume de Dieu. Voilà bien le dernier de tous les maux.

Sans doute, ce malheur est commun à tous les péchés mortels, mais le péché dont nous parlons a cela de particulier que ceux qui s’en rendent coupables, pèchent contre leur propre corps. C’est l’enseignement de l’Apôtre. Il dit expressément : « Fuyez l’impudicité ; tous les autres péchés se commettent hors de nous ; mais celui qui s’abandonne à l’impudicité pèche contre lui-même, » c’est-à-dire qu’il se fait injure en profanant sa sainteté. Voilà pourquoi Saint Paul dit encore aux Thessaloniciens : « La volonté de Dieu c’est que vous deveniez des Saints, et que vous évitiez l’impudicité, et que chacun de vous sache posséder son corps dans la sainteté et l’honnêteté, ne suivant point les entraînements de la passion, comme font les nations qui ignorent Dieu. » Ensuite, ce qui est plus criminel encore, c’est que le Chrétien qui pèche honteusement avec une femme de mauvaise vie, profane ses membres qui sont les membres de Notre-Seigneur Jésus-Christ. « Ne savez-vous pas, dit l’Apôtre , que vos corps sont les membres de Jésus-Christ ? Peut-on transformer des membres de Jésus-Christ en instruments de péché ? A Dieu ne plaise I ne savez-vous pas que celui qui pèche avec une femme de mauvaise vie se réduit au plus honteux esclavage ? » D’ailleurs, au témoignage du même Apôtre , le Chrétien est le Temple du Saint-Esprit, et violer ce temple, n’est-ce pas en chasser cet esprit de Dieu.

En ce qui concerne l’adultère, il ne faut pas oublier qu’il renferme en lui-même une injustice très grande. Car, suivant la doctrine de Saint Paul, ceux que le mariage unit sont tellement soumis au pouvoir l’un de l’autre , qu’ils ne sont plus seuls maîtres d’eux-mêmes. Ils sont au contraire enchaînés entre eux et asservis l’un à l’autre, au point que le mari doit se conformer à la volonté de la femme, et la femme à celle du mari. Et par conséquent, celui des deux qui viole un droit légitime en devenant infidèle à son serment, commet une injustice très criminelle. Et comme la crainte de l’infamie est un motif très puissant pour porter les hommes à l’accomplissement de ce qui est ordonné, et pour les détourner de ce qui est défendu, le Pasteur aura grand soin de montrer aux Fidèles que l’adultère imprime sur le front de celui qui le commet un stigmate d’ignominie. nos Livres saints nous disent expressément:  « Celui qui est adultère perdra son âme par la folie de son cœur. Il amassera sur sa tête l’opprobre et la honte, et son infamie ne s’effacera jamais. »

Enfin la sévérité des châtiments réservés aux adultères nous démontre suffisamment la grandeur de leur crime. On sait que la Loi de Moïse les condamnait à être lapidés. Bien plus, ne lisons-nous pas que pour le crime d’un seul, non seulement Dieu a frappé le coupable, mais une ville tout entière, celle des Sichimites ? La Sainte Écriture nous fournit encore plusieurs autres exemples des châtiments exercés par Dieu contre ceux qui violent ce Commandement. Le Pasteur fera bien de les rassembler et de les raconter aux Fidèles, pour les détourner de plus en plus de ces excès abominables. Ainsi furent détruits les habitants de Sodome et des villes voisines, les israélites qui avaient péché avec les filles de Moab dans le désert, et les Benjamites.

Et même ceux qui échappent à la mort, n’échappent ni aux douleurs, ni aux tourments cruels dont ils sont souvent la victime. Ils sont punis du plus terrible des châtiments, l’aveuglement de l’esprit. Dès lors ils ne tiennent plus compte de rien. Dieu, réputation, dignité, enfants, eux-mêmes, tout est oublié. Ils deviennent ainsi tellement pervers et incapables, qu’on, ne peut leur confier rien d’important, et qu’ils ne sont plus guère propres à aucune fonction sérieuse. L’exemple de David et de Salomon nous le prouve bien. Le premier, après son adultère, se trouva tout à coup si différent de lui-même, que de très doux qu’il était, il devint cruel et barbare, et qu’il fit exposer à une mort certaine un de ses plus zélés serviteurs, le fidèle Urie. Le second, livré tout entier à ses honteuses passions, en vint à cet excès d’abandonner sa religion et d’adorer les faux dieux. tant il est vrai que ce péché, comme dit le Prophète Osée , « emporte le cœur de l’homme, » et le plus souvent même, « le rend aveugle ».

§ IV. — AUTRES REMÈDES CONTRE L’IMPURETÉ.

Venons maintenant aux remèdes qui sont du domaine de l’action.

Le premier est de fuir l’oisiveté. C’est en s’énervant dans ce vice, comme dit Ezéchiel , que les Sodomites se précipitèrent dans les désordres si honteux de leurs horribles débauches,

Le second est d’éviter l’intempérance avec le plus grand soin. « Je les ai rassasiés, dit le Prophète, et ils ont commis l’adultère. » En effet, c’est une cause d’impureté que de prendre des aliments avec excès. C’est ce que notre Seigneur veut nous faire entendre, quand Il nous dit:  « prenez garde de laisser vos cœurs s’appesantir dans l’intempérance et l’ivresse. » Saint Paul nous dit aussi:  « Ne vous enivrez point par le vin, d’où naît la luxure. »

Mais ce qui allume le plus ordinairement la passion impure dans les cœur », ce sont les regards. C’est pourquoi Notre-Seigneur nous dit:  « Si votre œil vous scandalise, arrachez-le, et jetez-le loin de vous. » Les Prophètes avaient parlé dans le même sens. « J’ai fait un pacte avec mes yeux, dit Job , pour éviter toute pensée dangereuse. » Et d’ailleurs, nous avons des exemples presque innombrables des désordres qui ont eu leur source dans la curiosité mauvaise des regards. Il n’y a qu’à se rappeler le péché de David, celui du roi de Sichem, et enfin celui des vieillards qui se firent les calomniateurs de Suzanne.

Les parures trop élégantes, si bien faites, malheureusement, pour attirer les regards, sont encore une des sources les plus ordinaires de l’impureté. De là cet avertissement que nous donne l’Ecclésiaste:  « détournez vos yeux d’une femme parée ». Et comme les femmes sont d’ordinaire trop attachées aux ornements du corps, il est nécessaire que le Pasteur les avertisse de temps en temps d’éviter ce défaut, et même de leur faire entendre sur ce point le langage sévère de l’Apôtre Saint Pierre:  « Que les femmes ne se parent point au dehors par l’art de leur chevelure, par les ornements d’or, ni par la beauté des vêtements. » Et Saint Paul, de son côté, leur défend  « les cheveux frisés, les ornements d’or, les pierres précieuses, les vêtements somptueux. » Souvent en effet ces ornements extérieurs ont fait perdre le véritable ornement de l’âme et du corps.

Mais si la trop grande recherche dans la parure porte habituellement au péché de l’impureté, les discours et entretiens déshonnêtes n’y conduisent pas moins. Les propos obscènes sont comme une flamme ardente qui allume dans le cœur des jeunes gens le feu de l’impureté. « Les entretiens mauvais corrompent les bonnes mœurs, » dit l’Apôtre . Il en est de même des chants trop tendres, et trop efféminés, des danses, des livres licencieux ou peu chastes, ainsi que des tableaux qui représentent quelque chose de honteux. toutes ces choses doivent être évitées avec le plus grand soin, car elles sont capables d’éveiller des sentiments dangereux dans le cœur de la jeunesse et de l’exposer au péril. Sur ce point le Pasteur doit surtout recommander aux Fidèles d’observer religieusement ce que le saint Concile de Trente a réglé avec tant de sagesse et de piété.

Si l’on met tous ses soins à éviter tout ce que nous venons de rappeler, on ne laisse presque pas de place à la passion impure. Mais il ne faut pas oublier que les moyens les plus puissants pour la comprimer et la réduire sont la Confession fréquente et la fréquente Communion, avec des prières assidues et ferventes, l’aumône et le jeûne. La chasteté est un don de Dieu  ; qu’Il ne refuse jamais à ceux qui le demandent comme il faut. « Il ne permet pas que nous soyons tentés au-dessus de nos forces. »

Enfin il faut exercer le corps non seulement par des jeûnes, et spécialement par ceux que l’Église prescrit, mais aussi par des veilles, par de pieux pèlerinages, et par d’autres mortifications. C’est le moyen de dompter nos appétits mauvais, et de produire des actes très méritoires de la vertu de tempérance. « Ceux qui combattent dans l’arène, dit Saint Paul , [en parlant de la mortification], s’abstiennent de toutes choses, et cependant ce n’est que pour obtenir une couronne corruptible, au lieu que la nôtre est incorruptible. » Peu après il ajoute: « Je châtie mon corps et je le réduis en servitude, de crainte qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois réprouvé moi-même. » Ailleurs il dit encore:  « ne cherchez pas à contenter votre choir dans ses désirs ».


Chapitre trente-cinquième — Du septième Commandement

VOUS NE DÉROBEREZ POINT.

C’est une pratique fort ancienne dans l’Église que de chercher à pénétrer les Fidèles de la nature et de l’importance de ce Commandement. nous en avons pour preuve ce reproche adressé par l’Apôtre à des hommes qui détournaient les autres des vices dont ils étaient eux-mêmes tout couverts.  « Vous instruisez les autres, et vous ne vous instruisez pas vous-mêmes. Vous prêchez qu’il ne faut pas voler, et vous volez vous-mêmes. » Grâce à cet enseignement, non seulement on parvenait à corriger les hommes de ce péché alors très fréquent, mais même on réussissait à apaiser les querelles, les procès et tous les autres maux que le vol amène ordinairement avec lui. Mais puisque malheureusement l’époque où nous vivons nous donne le spectacle des mêmes fautes avec les mêmes inconvénients et les mêmes malheurs qui en sont la suite, les Pasteurs se feront un devoir, à l’exemple des Saints Pères et des Maîtres de la discipline chrétienne, d’insister fortement sur ce point, et d’expliquer en détail, et avec tout le zèle possible, la nature et la portée de ce Commandement. Leur première occupation et leurs premiers soins seront de bien faire ressortir l’amour immense de Dieu pour nous. Il ne s’est pas contenté, en effet, ce Dieu infiniment bon, de mettre en sûreté notre vie, notre corps, notre honneur et notre réputation par ces deux préceptes: Vous ne tuerez point ; vous ne serez point adultère. Mais Il a voulu aussi par cet autre commandement, Vous ne déroberez point, entourer d’une sorte de garde, protéger et défendre tous nos biens extérieurs. Car quelle idée attacher à ces paroles, sinon celle que nous avons indiquée plus haut, en traitant des Commandements qui précèdent, à savoir, que Dieu défend de prendre ou d’endommager les biens d’autrui dont Il se déclare le Protecteur ? Or, plus le bienfait de la Loi divine est étendu, plus aussi nous devons être reconnaissants envers Dieu, qui en est l’Auteur. Et comme la meilleure manière d’avoir cette reconnaissance et de la Lui prouver, c’est non seulement de recevoir avec joie ses préceptes, mais encore de les pratiquer fidèlement, il faudra exciter (et enflammer) les Fidèles à observer exactement celui dont nous parlons.

Le septième Commandement — comme les précédents — se divise en deux parties: la première qui défend le vol, et qui est explicitement formulée ; la seconde qui est implicitement contenue et renfermée dans la première, et qui nous ordonne d’être bienfaisants et généreux envers nos semblables. Parlons d’abord de la première, Vous ne déroberez point.

§ I. — QU’EST-CE QUE LE VOL ?

Il y a lieu de faire remarquer tout d’abord que voler ne signifie pas seulement prendre quelque chose à quelqu’un, secrètement et malgré lui, mais encore retenir une chose contre la volonté de celui à qui elle appartient. Car il est impossible de s’arrêter même à la pensée que Dieu qui défend le vol, puisse approuver la rapine, qui est un vol commis avec violence et outrage. Et Saint Paul n’a-t-il pas dit, en propres termes:  « Les ravisseurs du bien d’autrui ne posséderont point le Royaume de Dieu. » C’est pourquoi il ajoute que nous devons éviter avec soin de les fréquenter et de les imiter. Cependant, quoique la rapine soit un péché plus grave que le simple vol — puisque non seulement elle enlève, mais enlève avec violence et insulte — ce n’est pas sans une raison profonde que Dieu, dans ce Commandement, s’est servi du mot vol qui est un terme plus adouci, et en même temps plus général et plus étendu que celui de rapine ; la rapine en effet ne peut être commise et consommée que par des êtres plus forts et plus audacieux que leur victime. Au surplus, tout le inonde comprendra que là où les fautes légères sont défendues, les fautes graves de même espèce le sont aussi, et nécessairement.

La possession et l’usage injustes du bien d’autrui prennent des noms différents, selon la diversité des choses qui sont soustraites à leur propriétaires, malgré eux et à leur insu. Ainsi enlever quelque chose à un particulier, cela s’appelle un vol. Enlever le bien public, c’est un péculat. Réduire en servitude une personne libre ou s’approprier l’esclave d’un autre, c’est un plagiat. Dérober une chose sacrée, c’est un sacrilège. C’est le péché le plus énorme et le plus détestable qu’on puisse commettre contre ce Commandement: et pourtant, hélas ! il est très commun de nos jours. Des biens que la sagesse et la piété avaient voulu absolument consacrer au service divin, aux Ministres de l’Église et au soulagement des pauvres ne sont-ils pas détournés trop souvent pour satisfaire les passions et les plaisirs coupables de ceux qui les ont ravis ?

Mais ce précepte ne défend pas seulement le vol proprement dit, c’est-à-dire l’action extérieure du vol, il en défend aussi le désir et la volonté. C’est qu’en effet, il y a une loi spirituelle qui atteint le cœur, source de nos pensées et de nos résolutions. « Car c’est du cœur, dit Notre-Seigneur dans Saint Matthieu , que viennent tes mauvaises pensées, tes homicides, tes impudicités, tes vols et les faux témoignages. »

§ II. — LE VOL EST UN GRAND PÉCHÉ.

Les lumières naturelles et la raison seule suffisent pour nous faire comprendre la gravité de ce péché. En effet, le vol est entièrement contraire à la justice, qui attribue à chacun ce qui lui appartient. La distribution et le partage des biens, établis dès l’origine par le droit des gens, confirmés d’ailleurs par les Lois divines et humaines, doivent être tellement inviolables, que chacun puisse posséder paisiblement ce qui lui appartient de droit ; sans quoi la société est impossible.. Aussi, comme le dit l’Apôtre , « Ni les voleurs, ni les avares, ni tes ivrognes, ni les médisants, ni les ravisseurs du bien d’autrui ne posséderont le Royaume de Dieu. »

L’énormité de ce péché et l’horreur qu’il doit inspirer se révèlent encore par les suites funestes qu’il trame après lui. Il est la source d’une foule de jugements indiscrets et téméraires sur un grand nombre de personnes ; il produit des haines, des inimitiés, et quelquefois même des condamnations terribles de personnes innocentes.

D’ailleurs Dieu ne fait-il pas une obligation rigoureuse de réparer le dommage qu’on a causé à son semblable en lui dérobant son bien ? « Point de rémission du péché, dit Saint Augustin , sans lu restitution de l’objet enlevé. » Mais cette restitution, pour les personnes habituées à s’enrichir aux dépens du prochain, ne présente-t-elle pas les plus grandes difficultés ? chacun peut en juger par soi-même et par la conduite ordinaire des autres. Dans tous les cas, voici ce qu’en pense le Prophète Habacuc : « Malheur à celui qui amasse des biens qui ne lui appartiennent pas, et qui ne cesse de s’entourer d’une boue épaisse ! » Cette boue épaisse, c’est la possession du bien d’autrui. Il est bien difficile d’en sortir et de s’en débarrasser.

§ III. — DIFFÉRENTES ESPÈCES DE VOL.

Il y a tant d’espèces différentes de vols, qu’il serait très difficile de les énumérer toutes. II suffira d’expliquer avec soin le vol et la rapine, qui sont les deux espèces auxquelles se rapporte tout ce que nous allons dire sur ce sujet. Le Pasteur fera donc tous ses efforts et ne négligera rien pour inspirer aux Fidèles une vive horreur de ce crime et pour les en détourner. Parlons d’abord de la première espèce.

On se rend coupable de vol, quand on achète des choses volées, ou que l’on garde celles qui ont été trouvées, saisies, ou enlevées de quelque manière que ce soit. « Trouver et ne pas rendre, dit Saint Augustin , c’est prendre ! » Toutefois, si l’on ne peut en aucune façon découvrir celui à qui appartient l’objet trouvé, il faut en faire profiter les pauvres. Celui qui ne veut pas restituer dans ce cas montre bien qu’il serait prêt à dérober tout ce qui lui tomberait sous la main, s’il pouvait l’emporter.

On commet le même crime lorsque, en vendant, ou en achetant, on a recours à la fraude et à des paroles mensongères. Ces fraudes et ces mensonges sont toujours punis de Dieu. Mais les plus coupables et les plus iniques en ce genre de vol sont ceux qui vendent comme bonnes et parfaites, des marchandises falsifiées et corrompues, ou qui trompent les acheteurs sur le poids, la mesure, le nombre et la règle. On lit dans le Deutéronome : « Vous n’aurez point dans votre sac deux poids différents ; » et dans le Lévitique : « Ne faites point tort par vos jugements, par vos poids et vos mesures. Que vos balances, vos poids, vos setiers et vos boisseaux soient justes ! » on lit aussi dans un autre endroit : « Le double poids est une abomination aux yeux de Dieu ; la balance frauduleuse n’est pas bonne. »

Il y a encore vol évident, lorsque des ouvriers et des artisans n’ont pas travaillé d’une manière suffisante et comme ils le devaient, et que néanmoins ils exigent leur salaire en entier. Il faut dire la même chose des serviteurs et des gardiens infidèles. Et même ces sortes de voleurs sont beaucoup plus condamnables que les autres, car les clés défendent au moins contre les voleurs ordinaires, tandis qu’il n’y a rien de caché, ni de fermé pour le voleur domestique.

Sont aussi probablement coupables de vol, ceux qui par des discours pleins de dissimulation et d’artifice, ou par une feinte pauvreté, parviennent à extorquer de l’argent ; et même leur faute est d’autant plus grave qu’ils joignent le mensonge au vol.

Enfin il faut mettre aussi au nombre des voleurs ceux qui, étant payés pour remplir quelque fonction particulière ou publique, n’y donnent que peu ou point de temps, négligent leur charge, mais n’oublient point d’en toucher les profits et les émoluments.

Il existe une multitude d’autres manières de voler. toutes viennent de l’avarice si ingénieuse à découvrir les moyens d’avoir de l’argent. II serait trop long, et même presque impossible, comme nous l’avons dit, d’en faire l’énumération.

§ IV. — DE LA RAPINE.

La rapine est la seconde espèce de vol. Mais avant de l’expliquer aux Fidèles, il importe grandement que le Pasteur leur rappelle ces paroles de l’Apôtre : « Ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation et dans le piège du démon. » Qu’il ne laisse jamais non plu: oublier ce précepte . « Tout ce que vous voulez que le ; hommes vous fassent, faites-le leur aussi ; » ni cet autre : « Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas que l’on vous fit à vous-même. »

La rapine s’étend très loin. Ainsi, ceux qui ne paient point leur salaire aux ouvriers, sont de véritables ravisseurs. Saint Jacques les invite à la pénitence en ces termes:  « Allons, riches, pleurez maintenant, poussez des cris et des hurlements à cause des malheurs qui doivent fondre sur vous. » Et il leur en donne la raison en disant: « Voilà que le salaire que vous dérobez aux ouvriers qui ont moissonné vos champs crie contre vous, et que ces cris sont montés jusqu’aux oreilles du Dieu des armées. » Ce genre de rapine est absolument réprouvé dans le Lévitique, dans le Deutéronome, dans Malachie et dans Tobie.

Sont également coupables de rapine: ceux qui ne paient point à l’Église et aux princes les impôts, les tributs, les dîmes et tout ce qui leur est dû, ou bien qui le détournent à leur profit: les usuriers, ces ravisseurs si durs et si cruels qui pillent le pauvre peuple, et l’écrasent de leurs intérêts exorbitants. — L’usure est tout ce qui se perçoit au delà de ce qui a été prêté, soit argent, soit autre chose qui puisse s’acheter et s’estimer à prix d’argent. — II est écrit dans le Prophète Ezéchiel : « Ne recevez ni usure ni rien au delà de votre prêt. » Et Notre-Seigneur nous dit dans Saint Luc : « Prêtez sans rien espérer de là. » Ce crime fut toujours très grave et très odieux, même chez les païens. De là cette maxime: Qu’est-ce que prêter à usure ? Qu’est-ce que tuer un homme ? pour marquer qu’à leurs yeux, il n’y avait pas de différence. En effet, prêter à usure, n’est-ce pas, en quelque sorte, vendre deux fois la même chose, ou bien vendre ce qui n’est pas ?

Sont coupables aussi de rapine ces juges à l’âme vénale, qui vendent la justice, qui se laissent corrompre par l’argent et les présents, et font perdre les meilleures causes aux petits et aux pauvres.

Il en est de même de ceux qui trompent leurs créanciers, qui nient leurs dettes, ou qui, ayant obtenu du temps pour payer, achètent des marchandises sur leur parole, ou sur la parole d’un autre, et qui finalement ne paient point. Leur faute est d’autant plus grave, que les marchands prennent occasion de leur infidélité et de leurs tromperies pour vendre tout beaucoup plus cher au détriment de tous. C’est bien à eux que semble s’appliquer cette plainte de David : « Le pécheur empruntera, et il ne paiera point. »

Que dirons-nous de ces riches qui poursuivent des débiteurs insolvables, leur réclament avec la dernière rigueur ce qu’ils ont prêté, et ne craignent pas de retenir pour gage, contre la défense de Dieu, même les choses qui sont nécessaires à ces malheureux ? « Si vous prenez en gage, dit le Seigneur , le vêtement de votre prochain, vous le lui rendrez avant le coucher du soleil, car c’est le seul qu’il possède pour se couvrir et sur quoi dormir. S’il crie vers Moi, Je l’exaucerai parce que Je suis miséricordieux. » Nous n’avons donc pas tort d’appeler rapacité, et par conséquent rapine, la dureté de créanciers si cruels.

Les saints Pères mettent aussi au nombre des ravisseurs, ou hommes de rapine, ceux qui dans une disette accaparent le blé, et sont cause que la vie devient chère et très dure. Il en est de même pour toutes les autres choses nécessaires à la nourriture et à la subsistance. C’est sur eux que tombe la malédiction de Salomon : « Quiconque cache le blé, sera maudit du peuple. » Les Pasteurs ne craindront point de les avertir du mal énorme qu’ils font, de les reprendre sans ménagement, et de mettre sous leurs yeux tous les châtiments réservés à de pareils crimes.

Voilà ce que le septième Commandement nous défend. Venons maintenant à ce qu’il nous ordonne.

§ V. — DE LA RESTITUTION.

La première chose que ce Commandement nous ordonne, c’est la restitution. [Rappelons-nous le mot de Saint Augustin]: « Point de rémission du péché, sans la restitution de l’objet volé. » Et comme l’obligation de restituer n’atteint pas seulement celui qui a perpétré le vol [de ses propres mains], mais encore tous ceux qui y ont participé de quelque manière que ce soit, il est nécessaire que les Pasteurs enseignent clairement comment on peut tremper dans le vol et la rapine, afin qu’on sache bien quelles sont les personnes qui ne peuvent se soustraire à cette loi de la satisfaction et de la restitution.

Nous nous trouvons ici en face de plusieurs catégories.

La première comprend ceux qui commandent expressément de voler. Ceux-là non seulement sont les complices et les auteurs du vol, mais à vrai dire, ils sont plus coupables que tous les autres.

La seconde renferme ceux qui se bornent à être les conseillers et les instigateurs du vol, parce qu’ils n’ont pas assez d’autorité pour le commander ; ils sont aussi coupables que les premiers, et doivent être placés sur la même ligne, quoique leur action ne soit pas la même.

La troisième se compose de ceux qui sont d’intelligence avec les voleurs.

La quatrième, de ceux qui participent au vol et qui en retirent quelque profit, si toutefois il est permis d’appeler profit ce qui leur vaudra un éternel supplice, à moins qu’ils ne viennent à résipiscence. C’est de cette espèce de voleurs que David vent parler quand il dit: : « Lorsque vous voyiez un voleur, vous couriez avec lui. »

La cinquième compte ceux qui, pouvant parfaitement empêcher le vol, le souffrent et le permettent, bien loin de s’y opposer et de le rendre impossible.

La sixième, ceux qui, sachant très bien qu’un vol a été commis, et où il a été commis, non seulement n’en disent rien, mais même vont jusqu’à feindre de n’en rien savoir.

La septième et dernière, tous ceux qui se font les aides des voleurs, leurs gardiens, leurs protecteurs, qui au besoin leur fournissent asile et domicile. — tous ceux qui participent au vol de l’une ou l’autre de ces manières, sont tenus de satisfaire à ceux qui ont été volés, et il ne faut pas négliger de les exhorter fortement à l’accomplissement de cet indispensable devoir.

Il est difficile d’exempter entièrement du péché de vol ceux qui le louent et l’approuvent. Et il faut dire la même chose des enfants de famille et des femmes qui ne craignent pas de dérober de l’argent à leurs parents et à leurs maris.

§ VI. — DES OEUVRES DE MISÉRICORDE.

Le septième Commandement nous impose encore une autre obligation. Il veut que nous ayons compassion des pauvres et des malheureux, et que nous sachions employer nos ressources et nos moyens pour les soulager dans leurs besoins et leur détresse. Or, ce sujet étant un de ceux qui demandent à être traités très fréquemment, d’une manière très étendue, les Pasteurs puiseront leurs développements dans les ouvrages de très saints Auteurs, comme Saint Cyprien, Saint Jean Chrysostome, Saint Grégoire de Naziance et d’autres encore qui ont écrit de si belles pages sur l’aumône. Ainsi ils n’auront aucune peine à s’acquitter de leur devoir. Ils chercheront à enflammer les Fidèles du désir et de l’ardeur de secourir ceux qui ne vivent que de la charité d’autrui. Mais surtout ils voudront leur montrer clairement combien il est pour eux nécessaire de faire l’aumône — c’est-à-dire de venir généreusement en aide aux malheureux, et par leur argent et par leurs soins — en leur rappelant cette vérité, impossible à nier, que Dieu, au jour suprême du jugement, repoussera honteusement et enverra au feu éternel de l’Enfer ceux qui auront omis et négligé le devoir de l’aumône, tandis qu’au contraire il comblera de louanges et introduira dans le ciel ceux qui auront fait du bien aux indigents. C’est Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même qui a prononcé cette double sentence:  « Venez, les bénis de mon Père, possédez le Royaume qui vous a été préparé » et « Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel ! »

En outre les Prêtres auront soin de citer aux Fidèles d’autres textes de la Sainte Écriture, bien faits pour les convaincre.  « Donnez, et l’on vous donnera ! »

Ils insisteront sur cette autre promesse de Dieu, la plus riche et la plus magnifique qui se puisse imaginer:  « Personne ne quittera pour Moi (ce qu’il possède), qu’il n’en reçoive cent fois autant dans cette vie, et le salut éternel dans l’autre. »

Il ne manquera pas d’ajouter ces autres paroles du Sauveur:  « Employez les richesses d’iniquité à vous acquérir des amis, afin que lorsque vous viendrez à manquer, ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels. »

Puis, en développant les différentes parties de ce devoir sacré, ils s’appliqueront à bien faire comprendre que ceux qui ne sont pas en situation de donner aux pauvres, doivent au moins leur prêter de bonne grâce, selon ce Commandement du Seigneur:  « Prêtez, sans rien espérer de votre prêt. » Et David a exprimé en ces termes le mérite d’une telle conduite:  « Heureux celui qui a compassion des pauvres et qui leur prête ! »

§ VII. — IL FAUT SE METTRE EN ÉTAT DE FAIRE L’AUMÔNE.

Si l’on n’a pas les moyens de venir en aide à ceux qui attendent leur vie de la compassion des autres, la piété chrétienne veut qu’on se mette en état de soulager leur détresse, en s’occupant pour eux, en travaillant de ses mains, s’il le faut. Ce sera en même temps un excellent moyen de fuir l’oisiveté. C’est à quoi l’Apôtre Saint Paul exhorte tous les Fidèles par son propre exemple, quand il écrit aux Thessaloniciens:  « Vous savez bien que vous êtes obligés de nous imiter. » Et dans une autre Epître il dit encore aux mêmes:  « Appliquez-vous à vivre en repos, faites ce qui est de votre devoir, et travaillez de vos propres mains, ainsi que nous vous l’avons commandé. » Et aux Ephésiens:  « Que celui qui dérobait, ne dérobe plus désormais, mais plutôt qu’il s’occupe en travaillant des mains à quelque ouvrage utile, afin qu’il ait de quoi soulager celui qui est dans le besoin. »

Enfin il faut vivre avec frugalité, et faire en sorte d’épargner le bien d’autrui, afin de n’être pas à charge, ni insupportable aux autres. Cette vertu, qui est la tempérance, brille d’une manière admirable dans la personne de tous les Apôtres, mais elle éclate surtout dans Saint Paul, qui a le droit d’écrire en ces termes aux Thessaloniciens:  « Vous vous souvenez, mes Frères, des peines et des fatigues que nous avons essuyées en travaillant jour et nuit, pour n’être à charge à aucun de vous pendant que nous vous annoncions l’Évangile de Dieu », et qui répète dans un autre endroit: « Nous avons été accablé de travail le jour et la nuit pour n’être à charge à personne. »

§ VIII. — CHATIMENTS DU VOL: RÉCOMPENSES DES CEUVRES DE MISÉRICORDE.

Mais afin d’inspirer aux Fidèles une horreur plus vive encore pour toute espèce de vols, les Pasteurs auront soin de leur montrer dans les Prophètes et les autres Auteurs sacrés, combien ces actions criminelles sont en exécration devant Dieu, et quelles menaces effrayantes Il a voulu faire à ceux qui les commettent:  « Écoutez ceci, s’écrie le Prophète Amos, vous qui dévorez le pauvre et qui faites languir tous les indigents ; vous qui dites: quand sera passée la néoménie, afin que nous puissions vendre nos récoltes ? quand finira le Sabbat, afin que nous puissions ouvrir nos greniers ? Vous qui diminuez l’Epha, qui augmentez le poids du sicle et qui vous servez de balances trompeuses. »

Les mêmes menaces se trouvent dans Jérémie, dans les Proverbes et dans l’Ecclésiastique. Et on ne peut douter que la plupart des maux dont souffre notre siècle ne remontent à ces causes.

Au surplus, afin d’accoutumer les Chrétiens à exercer envers les pauvres et les malheureux tous les offices de libéralité et de bienfaisance qui se rapportent à cette seconde partie du septième Commandement, les Pasteurs ne manqueront pas de faire briller à leurs yeux les splendides récompenses que Dieu réserve en cette vie et en l’autre à ceux qui se seront montrés bons et charitables envers les pauvres.

§ IX. — EXCUSES DES VOLEURS.

Il ne manque pas de gens qui cherchent à excuser même leurs vols. Aussi bien, faut-il leur déclarer positivement que leur péché sera sans excuse devant Dieu. II y a plus loin de diminuer leur faute, ils l’aggravent singulièrement en voulant la justifier. Il ne faut donc pas tolérer le luxe et les plaisirs de certains nobles, qui pensent atténuer leur crime en soutenant que s’ils s’emparent du bien d’autrui, ce n’est ni par cupidité, ni par avarice, mais seulement pour conserver la grandeur de leur famille et de leurs ancêtres, dont la considération et la dignité périraient, s’ils ne pouvaient plus les maintenir avec le bien des autres. Il faut détruire cette erreur pernicieuse, en leur faisant voir qu’il n’y a qu’un moyen légitime de conserver et d’augmenter leurs biens, la puissance et la gloire de leurs ancêtres, c’est d’obéir à la volonté de Dieu et d’observer ses Commandements. Que le mépris de ces Commandements peut causer la ruine des familles les plus riches et les mieux établies, précipiter les rois de leur trône, et du faîte des honneurs, et obliger Dieu, en quelque sorte, à élever à leur place des hommes de basse extraction. Et pour qui ils n’avaient que de la haine et du mépris. C’est ainsi que ces orgueilleux enflamment contre eux la colère de Dieu, et d’une manière terrible. Écoutons plutôt ces paroles que le Prophète Isaïe met dans la bouche de Dieu même:  « Tes princes sont infidèles ; ils sont d’intelligence avec les voleurs ; ils aiment les présents ; ils recherchent les récompenses ; c’est pourquoi voici ce que dit le Seigneur, le Dieu des armées, le Dieu fort d’Israël malheur à eux ; le temps viendra où Je me réjouirai de la perte de mes ennemis, et où Je me vengerai d’eux ; au lieu que Je te prendrai sous ma protection, et Je te purifierai de toutes tes souillures. »

D’autres, [pour essayer de se justifier] ne parlent pas de la splendeur et de la gloire de leur maison ; ils ne prennent le bien d’autrui, disent-ils, que pour mener une vie plus facile et plus élégante. Il faut les réfuter aussi et leur montrer combien leurs paroles et leurs actions sont impies, puisqu’ils ne craignent pas de mettre les avantages

et les douceurs de la vie au-dessus de la volonté et de la gloire de Dieu, que nous offensons étrangement en négligeant ses préceptes. D’ailleurs, quels avantages peut-il y avoir dans le vol qui a des conséquences si funestes ? « Le voleur, dit l’Ecclésiastique , sera couvert de confusion et dévoré par les remords. » Mais en supposant même qu’il n’y ait rien de semblable à craindre, est-ce que le vol ne déshonore point le nom adorable de Dieu ? n’est-il pas contraire à sa très sainte volonté ? ne méprise-t-il pas ses préceptes les plus salutaires ? et par le fait, ne devient-il pas la source de toutes les erreurs, de tous les crimes, de toutes les impiétés ?

Faut-il ajouter que l’on entend quelquefois des voleurs soutenir qu’ils ne sont aucunement coupables, parce que s’ils prennent quelque chose, c’est à des gens riches et dans l’abondance, tellement riches, qu’ils n’en éprouvent aucun dommage, si même ils s’en aperçoivent. Cette excuse n’en est pas une. Elle est aussi misérable que criminelle.

Un autre va jusqu’à s’imaginer qu’il est parfaitement excusé, parce que, dit-il, il a contracté une si grande habitude de prendre le bien d’autrui qu’il ne peut plus s’en empêcher. Mais si ce malheureux n’écoute pas le conseil de l’Apôtre qui lui dit:  « Que celui qui dérobait, ne dérobe plus, » il faudra bien qu’il s’habitue, qu’il le veuille ou non, à endurer les éternels supplices.

Plusieurs, pour excuser leurs larcins, se rejettent sur l’occasion. C’est en effet un proverbe banal, à force d’être répété, que « l’occasion fait le larron ». Mais il faut absolument les détromper, en leur rappelant que nous sommes obligés de résister à nos penchants déréglés. Car en vérité s’il fallait mettre sur-le-champ à exécution tout ce que la passion inspire, où s’arrêterait-on dans le crime, le désordre et l’infamie ? c’est donc une excuse tellement honteuse, qu’elle est plutôt l’aveu d’une extrême faiblesse de volonté, et d’une injustice criante.

D’autre part, prétendre qu’on ne pèche point, parce qu’on ne se trouve pas dans l’occasion, n’est-ce pas avouer, pour ainsi dire, que l’on pécherait sans cesse, si l’occasion ne cessait de se présenter ?

Il en est aussi qui soutiennent qu’ils sont en droit de voler pour se venger des torts dont ils ont été victimes. Il faut leur répondre, premièrement qu’il n’est permis à personne de se venger, ensuite que nul n’est juge dans sa propre cause, et que par conséquent il est encore bien moins permis de punir quelqu’un pour des injustices que d’autres auront commises contre vous.

Enfin on en rencontre qui croient que leur vol est assez justifié et non répréhensible, parce qu’ils le commettent pour payer des dettes accablantes dont ils ne pourraient se libérer autrement. A de tels hommes il faut montrer que de toutes les dettes, la plus lourde, la plus accablante pour le genre humain est celle dont nous parlons à Dieu chaque jour dans l’Oraison dominicale: Remettez-nous nos dettes ;  que par suite, c’est une insigne folie d’augmenter sa dette envers Dieu, c’est-à-dire ses péchés, pour s’acquitter envers les hommes ; qu’il vaut infiniment mieux être jeté dans un cachot que d’être un jour livré aux feux éternels de l’enfer ; qu’il est bien plus terrible d’être condamné au tribunal de Dieu qu’au tribunal des hommes ; et enfin qu’ils doivent recourir avec confiance à la bonté de ce même Dieu, toujours prêt à les assister et à leur accorder tout ce qui leur est nécessaire.

Il ne manque pas d’autres prétextes dont on se sert pour essayer de justifier le vol. Des Pasteurs zélés, habiles et appliqués, les réfuteront sans peine, de manière à former et à posséder un peuple  « fidèle à pratiquer les bonnes œuvres ».

Chapitre trente-sixième — Du huitième Commandement

VOUS NE PORTEREZ POINT DE FAUX TEMOIGNAGE CONTRE VOTRE PROCHAIN.

Voici une raison capable de nous faire comprendre qu’il est non seulement utile, mais nécessaire d’expliquer très souvent ce précepte, et de rappeler à tous les devoirs qu’il impose. nous voulons parler de la déclaration si autorisée de l’Apôtre Saint Jacques, lequel ne craint pas d’affirmer que « celui qui ne pèche point en paroles est un homme parfait »  et un peu plus loin ajoute: « La langue n’est qu’une petite partie du corps, et cependant quels effets ne produit-elle pas ! Il ne faut qu’une étincelle pour embraser une grande forêt », et le reste qui est dans le même sens. — Ces paroles nous apprennent deux choses: la première, que le péché de la langue est extrêmement répandu. C’est ce que nous confirme de son côté le Prophète David. « Tout homme est menteur », dit-il , comme si ce péché était le seul qui pût s’étendre à tous les hommes. La seconde, c’est qu’il est la source de maux innombrables. Car souvent le coup de langue du médisant cause la perte de la fortune, de la réputation, de la vie, du salut même, soit pour celui qui est atteint par la médisance, parce qu’il supporte mal l’injure qu’on lui fait, et qu’il manque de courage pour ne s’en point venger, soit pour celui qui est l’auteur de l’offense, parce que, victime d’une mauvaise honte et de la crainte exagérée du qu’en dira-t-on, il ne peut se déterminer à donner satisfaction à celui qu’il a blessé. C’est pourquoi il ne faut pas manquer d’exhorter les Fidèles à rendre à Dieu les plus vives actions de grâces de ce qu’il a défendu expressément le faux témoignage, en nous donnant un précepte très salutaire, qui ne nous interdit pas seulement d’injurier les autres, mais qui nous protège encore, si on l’observe, contre les injures que les autres seraient tentés de nous faire.

Afin de garder, en expliquant ce précepte, le même ordre et la même marche que dans ceux qui précèdent, nous avons à remarquer qu’il renferme deux prescriptions distinctes: l’une négative, qui nous défend de porter faux témoignage, l’autre positive, qui nous ordonne d’écarter résolument de notre conduite toute dissimulation et tout mensonge, et de mesurer nos paroles et nos actes sur la simple vérité. Double devoir que l’Apôtre Saint Paul rappelait aux Ephésiens, quand il leur disait:  « Ne séparons pas la vérité de la charité, afin de croître en Jésus-Christ dans toutes choses. »

§ I. — DU FAUX TÉMOIGNAGE.

On entend ordinairement par faux témoignage tout ce qui est affirmé et soutenu de quelqu’un, contre la vérité, en bonne ou en mauvaise part, devant la justice ou non. Cependant le faux témoignage qui nous est spécialement défendu par ce précepte, c’est celui qui se fait en justice, avec serment, contre la vérité. Car si le témoin jure par le nom même de Dieu, c’est parce qu’un témoignage qui s’appuie sur ce nom sacré n’en acquiert que plus de poids et d’autorité. Mais d’autre part comme ce témoignage est très dangereux dans ses conséquences, Dieu le défend d’autant plus fortement. C’est qu’en effet le juge lui-même n’a pas le droit de récuser des témoins qui affirment avec serment, s’ils ne tombent pas sous les exceptions prévues par la Loi, ou bien s’ils ne sont pas reconnus pour gens de mauvaise foi et sans aucune probité. Et la raison en est que la Loi divine nous ordonne expressément de tenir « pour constant et véritable le témoignage de deux ou trois personnes » . — Mais afin que les Fidèles comprennent parfaitement la nature et l’étendue de ce précepte, il importe avant toutes choses de bien leur apprendre ce qu’il faut entendre par le prochain, contre qui il est défendu de porter faux témoignage.

Or, le prochain, selon l’enseignement de Notre-Seigneur Jésus-Christ, c’est tout homme qui a besoin de nous, qu’il nous soit proche ou éloigné, concitoyen ou étranger, ami ou ennemi.

C’est un crime en effet de penser qu’on puisse faire un faux témoignage contre des ennemis, lorsque Dieu et notre Seigneur nous font un précepte de les aimer.

Mais il y a plus ; comme chacun de nous, dans un certain sens, est à soi-même son prochain, personne n’a le droit de porter contre soi-même un faux témoignage. Ceux qui ont le malheur de commettre un pareil crime, en se diffamant et en se couvrant de honte, se nuisent à eux-mêmes d’abord, et en même temps ils font tort à l’Église, comme ceux qui se suicident nuisent à la société. C’est l’enseignement formel de Saint Augustin:  « Les personnes peu éclairées, dit-il, pourraient penser qu’il n’est pas défendu de se porter comme faux témoin contre soi-même, parce que dans la formule du Commandement il est dit seulement: contre le prochain ; mais que celui qui a fait contre lui-même une déposition fausse n’aille pas se croire innocent, puisque la règle de l’amour du prochain, c’est de l’aimer comme soi-même. »

Et parce qu’il nous est défendu de faire tort au prochain par le faux témoignage, il faut bien nous garder d’en conclure que le parjure nous est permis pour rendre quelque service ou procurer quelque avantage à ceux qui nous sont unis par les liens du sang ou de la Religion. Il ne faut être utile à personne par le mensonge, encore moins par le parjure. C’est pourquoi Saint Augustin, dans une lettre à Crescence sur le mensonge , ne craint pas de dire, en s’appuyant sur l’autorité de l’Apôtre Saint Paul, que le mensonge doit être mis au nombre des faux témoignages, quand même il décernerait à quelqu’un de fausses louanges. Il rapporte d’abord les paroles de l’Apôtre: nous serons nous-mêmes convaincus d’avoir été de faux témoins, parce que nous avons porté témoignage contre Dieu même, en disant qu’Il a ressuscité Jésus-Christ, qu’Il n’a cependant pas ressuscité, si les morts ne ressuscitent pas, puis il ajoute : l’Apôtre regarde comme faux témoignage de dire une chose fausse de Jésus-Christ, quoiqu’elle soit à sa Gloire .

N’arrive-t-il pas très souvent d’ailleurs que celui qui favorise quelqu’un par son faux témoignage, porte par là même préjudice à un autre ? ne met-il pas le juge dans une sorte d’erreur invincible ? Aussi qu’arrive-t-il ? le juge trompé par de faux serments est forcé de prononcer contre le droit en faveur de l’injustice.

Quelquefois même celui qui a gagné sa cause en justice, grâce au faux témoignage d’un complice, et cela impunément, celui-là, disons-nous, est tout fier de sa victoire, dès lors il rend l’habitude de corrompre des témoins, dans l’espoir qu’avec leur aide, il réussira dans toutes ses entreprises.

Le faux témoignage est également très funeste au témoin lui-même. Aux yeux de celui qu’il a criminellement servi par son serment, il n’est plus qu’un parjure et un vil imposteur ; mais par contre, en voyant que son mensonge a réussi, il se trouve encouragé au mal et prend de jour en jour des habitudes plus grandes de hardiesse et d’impiété.

Mais si la fausseté, le mensonge et le parjure sont nettement défendus aux témoins, ils le sont tout autant aux accusateurs, aux accusés, aux protecteurs, aux parents, aux procureurs, aux avocats, en un mot à tous ceux qui ont part aux jugements.

Enfin Dieu défend, non seulement devant les juges, mais même partout ailleurs, un témoignage quelconque capable de porter préjudice ou de causer quelque dommage au prochain. Il est écrit en effet dans le Lévitique, à l’endroit même où ces défenses sont faites à plusieurs reprises:  « Vous ne déroberez point, vous ne mentirez point ; et personne ne trompera son prochain. » Des paroles si claires ne permettent pas de douter que Dieu, par ce précepte, ne réprouve et ne condamne absolument tout mensonge, quel qu’il soit. David dans ses Psaumes nous l’atteste aussi, et très clairement : « Vous perdrez, dit-il, tous ceux qui profèrent le mensonge. »

§ II. — DE LA MÉDISANCE ET DE LA CALOMNIE.

Le huitième Commandement de Dieu ne nous défend pas seulement le faux témoignage, il nous interdit de plus le vice et l’habitude détestables de la médisance, cette véritable peste, qui donne naissance à une multitude incroyable d’inconvénients très fâcheux et de maux de toute espèce. Cette habitude criminelle de déchirer et d’outrager secrètement son prochain est vigoureusement condamnée en beaucoup d’endroits de nos Saints Livres. David nous dit:  « Je ne recevais pas le médisant à ma table. » Et l’Apôtre Saint Jacques ajoute de son côté:  « Mes Frères, ne parlez point mal les uns des autres. »

Mais l’Écriture Sainte ne se borne pas à condamner la médisance, elle nous fournit des exemples qui mettent en pleine lumière toute l’énormité de ce crime. Ainsi Aman, par ses infâmes calomnies, enflamme tellement la colère d’Assuérus contre les Juifs, que ce prince ordonne de les faire tous périr. L’Histoire sainte est remplie de traits semblables. Les Pasteurs ne manqueront pas de les rappeler aux Fidèles, afin de les détourner de cet horrible péché.

Pour comprendre et pénétrer toute la malice de la médisance, il faut savoir qu’on blesse la réputation du prochain, non seulement en employant contre lui la calomnie, mais encore en augmentant et en exagérant ses fautes réelles. Et même si quelqu’un a commis un péché très secret dont la révélation doit nécessairement être préjudiciable à son honneur et le couvrir de honte, celui qui fait connaître ce péché, dans un lieu, dans un temps et à des personnes qui ne sont pas obligées de le savoir, doit passer à juste titre pour un calomniateur et un médisant.

Mais de toutes les calomnies, la plus coupable, à coup sûr, est celle qui s’en prend à la Doctrine catholique, et à ceux qui la prêchent. Et quiconque accorde des éloges aux propagateurs de l’erreur et des mauvais principes commet la même faute. Il faut en dire autant de ceux qui, en entendant la détraction et la médisance, non seulement ne blâment point les calomniateurs, mais les écoutent avec plaisir. C’est ce qui a fait dire à Saint Bernard et à Saint Jérôme, qu’il n’est pas facile de distinguer lequel est le plus coupable de celui qui médit, ou de celui qui écoute la médisance ; « car, disent-ils,  il n’y aurait point de médisant s’il n’y avait personne pour écouter la médisance ».

On désobéit également à ce précepte, si par ses artifices on met la désunion et le désaccord entre les hommes ; si l’on se plaît à semer des dissensions, à miner et à détruire, par des rapports mensongers, les liaisons et les sociétés les mieux établies, à pousser les meilleurs amis à des inimitiés irréconciliables, et même à les armer les uns contre les autres. Détestable peste que Dieu condamne et défend quand il dit:  « Vous ne serez ni délateur, ni détracteur au Milieu de mon peuple. » C’était le crime d’un bon nombre de conseillers de Saül qui s’efforçaient de le détacher de David, et l’animaient contre lui.

§ III. — LA FLATTERIE, LE MENSONGE ET LA DISSIMULATION.

Nous trouvons encore, parmi ceux qui pèchent contre ce huitième Commandement, les flatteurs, les adulateurs qui, par des complaisances et des louanges hypocrites, cherchent à s’insinuer dans l’esprit et le cœur de ceux dont ils attendent la faveur, de l’argent et des honneurs. Vils complaisants qui appellent, comme le dit le Prophète , « mal ce qui est bien, et bien ce qui est mal ». Tristes gens que David nous avertit d’éloigner et de chasser de notre société, lorsqu’il nous dit:  « que le juste me reprenne par charité et qu’il me corrige, mais que le pécheur ne répande point ses parfums sur ma tête ! » encore que les flatteurs dont nous parlons ne disent point de mal de leur prochain, ils ne laissent pas de lui être très nuisibles, puisque, en le louant jusque dans ses fautes, ils sont cause qu’il persévère dans le mal, jusqu’à la fin de sa vie.

La flatterie, ou l’adulation la plus coupable en ce genre, est celle qui n’a en vue que le malheur et la ruine des autres. Ainsi Saül, pour exposer David à la fureur et au glaive des Philistins, c’est-à-dire selon lui, pour l’envoyer a une mort certaine, le flattait par ces belles paroles:  « Voici Mérob ma fille aînée ; je vous la donnerai comme épouse. Soyez seulement homme de cœur, et combattez les combats du Seigneur ! » Ainsi les Juifs pour surprendre Notre-Seigneur dans ses paroles Lui disaient insidieusement:  « Maître, nous savons que vous êtes sincère, et que Vous enseignez la Voie de Dieu selon la Vérité. »

Et cependant il y a quelque chose de bien plus pernicieux encore, ce sont ces discours que des amis, des alliés, des parents n’ont pas honte de tenir à un malade mortellement atteint, et déjà prêt à rendre le dernier soupir, discours dans lesquels ils affirment à ce moribond qu’il n’est pas en danger, lui ordonnent d’être gai et souriant, le détournent de la Confession de ses péchés, comme d’une pensée trop triste, et enfin écartent de son esprit tout souci et toute idée des terribles dangers dans lesquels il se trouve.

II faut donc éviter toute espèce de mensonge, et avant tout, celui qui peut causer au prochain un dommage considérable. Mais ne pas craindre de mentir contre la Religion ou dans des choses qui s’y rapportent, c’est joindre l’impiété à la fourberie.

II ne faut pas oublier que Dieu est encore grièvement offensé par les injures et les outrages qu’on répand dans les libelles diffamatoires et autres productions du même genre.

Il est même indigne d’un chrétien de chercher à tromper son prochain par un mensonge joyeux ou officieux, encore que ce mensonge n’entraîne pour personne ni profit, ni perte. L’avertissement de Saint Paul sur ce point est formel. « Evitez le mensonge, dit-il , que chacun de vous parle selon la vérité ! » C’est qu’en effet, du mensonge pour rire au mensonge grave, la pente est très rapide. Le mensonge joyeux fait contracter l’habitude de mentir. Dès lors on passe pour n’être point sincère et l’on est obligé d’affirmer sans cesse avec serment pour faire croire à sa parole.

Enfin ce Commandement nous défend toute espèce d’hypocrisie ou de dissimulation. La dissimulation dans les paroles aussi bien que dans les actions est également condamnable, puisque les unes et les autres sont comme le signe et la marque de ce que nous avons dans le cœur. Voilà pourquoi Notre-Seigneur, dans ses fréquents reproches aux Pharisiens, les traite d’hypocrites.

Nous avons expliqué ce que le huitième Commandement défend. Voyons maintenant ce qu’il ordonne.

§ IV. — A QUOI NOUS SOMMES OBLIGÉS PAR CE COMMANDEMENT.

L’objet propre de cette deuxième partie du précepte est que les tribunaux jugent avec équité et conformément aux Lois: elle a également pour but d’empêcher qu’on n’attire les causes à soi en empiétant sur les juridictions. « Car il n’est pas permis, comme le dit l’Apôtre , de juger le serviteur d’autrui, » de peur de prononcer sans une connaissance suffisante de la cause. Ce fut le crime précisément de cette assemblée des prêtres et des scribes qui condamnèrent Saint Étienne, comme ce fut aussi le péché de ces magistrats de Philippes, dont l’Apôtre a dit:  « Après nous avoir publiquement battus de verges, et sans jugement préalable, nous qui sommes citoyens romains, ils nous ont jetés en prison, et maintenant ils nous en font sortir en secret. »

Il ne faut ni condamner les innocents, ni renvoyer les coupables, ni se laisser séduire par des présents ou par la faveur, par la haine ou par l’amitié. Aussi Moise ne manque pas d’adresser aux vieillards qu’il avait établis juges d’Israël, cet avertissement célèbre:  « Jugez toujours selon la justice le citoyen comme l’étranger ; ne mettez point de différence entre les individus ; écoutez le petit comme le grand ; ne faites acception de personne, parce que vous jugez pour Dieu. »

Quant aux accusés et aux criminels, Dieu leur fait un devoir de confesser la vérité, lorsqu’ils sont interrogés selon les formes de la justice. Cette confession est un hommage éclatant à la Gloire de Dieu. C’est la pensée de Josué : Lorsqu’il exhorte Achan à dire la vérité, il lui parle de la sorte:  « Mon fils, rendez gloire au Seigneur, Dieu d’Israël. »

Et parce que ce précepte s’adresse spécialement aux témoins, le Pasteur aura grand soin d’en parler comme il convient. C’est qu’en effet ce huitième Commandement n’a pas seulement pour but de défendre le faux témoignage, mais encore de nous commander de dire la vérité. Dans les affaires humaines, le témoignage conforme à la vérité est extrêmement important. Il y a une multitude de choses que nous ne pouvons connaître que sur la bonne foi des témoins. Rien donc n’est plus nécessaire qu’un témoignage véridique dans ces choses que nous ne savons pas, et que cependant nous n’avons pas le droit d’ignorer. De là ce mot de Saint Augustin:  « Celui qui tait la vérité, et celui qui profère le mensonge sont également coupables, le premier parce qu’il ne veut pas être utile, le second parce qu’il cherche à nuire. »

Il peut être permis quelquefois de taire la vérité, mais il faut que ce soit hors des tribunaux. En justice, un témoin interrogé par un juge compétent, doit faire connaître la vérité tout entière, mais à condition de ne pas trop se fier à sa mémoire, et de prendre garde d’affirmer comme certain ce dont il n’est pas absolument sûr.

Les autres personnes que ce précepte oblige également à dire la vérité sont les avoués et les avocats, les procureurs et les accusateurs.

Les avoués et les avocats ne refuseront ni leurs services ni leur appui à ceux qui en ont besoin ;ils se chargeront généreusement de la défense du pauvre ; ils ne prendront point de mauvaises causes pour les soutenir, ils ne feront point durer les procès par calomnie, ou par avarice, et ils auront soin de régler leurs honoraires selon le droit et la justice.

De leur côté, les procureurs et accusateurs devront prendre bien garde de ne point se laisser entraîner par affection, par haine, ou par quelque autre passion, à poursuivre qui que ce soit sur d’iniques imputations,

Enfin la Loi de Dieu ordonne à toutes les personnes pieuses d’être toujours sincères et véridiques dans leurs entretiens et leurs discours, et de ne jamais rien dire qui puisse blesser la réputation d’autrui, pas même de ceux qui les auront offensées ou maltraitées. Elles ne doivent pas oublier en effet qu’il y a entre elles et ces malheureux l’union et les rapports qui existent entre les membres d’un même corps.

§ V. — MOTIFS DE DÉTESTER LE MENSONGE.

Afin que les Fidèles se détournent plus facilement du vice abject du mensonge, le Pasteur leur en fera voir toute la honte et l’énormité. Dans nos Saints Livres, le démon est

23. Attribué à Saint Augustin par Gratien, mais à tort ; on le trouve pareillement dans Saint Isidore L, 3, cap., 19.

appelé le père du mensonge. « Parce qu’il n’est point demeuré dans la vérité, nous dit l’Apôtre Saint Jean , il est menteur et père du mensonge. »

Pour essayer de détruire un désordre si funeste, le Pasteur ajoutera à cette parole de Saint Jean, tous les maux que le mensonge apporte avec lui ; et comme ces maux sont innombrables, il lui suffira de faire connaître ceux d’entre eux qui sont autant de sources d’où dérivent tous les autres.

Et d’abord, pour montrer combien l’homme faux et menteur offense Dieu grièvement, et à quel degré il encourt sa haine, il citera cette parole de Salomon dans les Proverbes: « Il y a six choses que le Seigneur hait, et une septième qui est en abomination devant Lui: des yeux altiers, une langue calomniatrice, des mains qui versent le sang innocent, un cœur qui médite des pensées mauvaises, des pieds prompts II courir au mal, un homme menteur, un témoin faux. » Dés lors qui pourrait préserver des derniers châtiments celui que Dieu poursuit d’une haine si terrible ?

Et puis, comme le dit l’Apôtre Saint Jacques , « Quoi de plus odieux et de plus infâme que d’employer la même langue à bénir Dieu votre Père et à maudire les hommes qui sont créés à son image et à sa ressemblance, comme si une fontaine pouvait, par la même ouverture, donner une eau douce et une eau amère ! » Et en effet, cette langue qui tout à l’heure louait Dieu et Le glorifiait, ne Le couvre-t-elle pas maintenant de honte et d’opprobre, autant qu’elle le peut, par les mensonges qu’elle profère ? Aussi les menteurs sont-ils exclus de la béatitude céleste. Car à cette demande que David fait à Dieu:  « Seigneur, qui demeurera dans vos tabernacles ? » le Saint-Esprit répond « Celui qui dit la vérité dans la sincérité de son cœur, et dont la langue ne connaît pas l’artifice. »

Ce qui fait encore que le mensonge est un très grand mal, c’est qu’ils constitue une maladie de l’âme presque incurable. Car le péché que l’on commet en accusant quelqu’un d’un faux crime, ou bien en blessant son honneur et sa réputation, ce péché ne peut être remis qu’autant que le calomniateur a réparé son tort envers sa victime. Mais précisément, ainsi que nous l’avons déjà remarqué, cette réparation est très difficile à faire, parce qu’on se trouve retenu par une fausse honte ou par un faux point d’honneur. D’où il suit que celui qui est coupable de ce péché est pour ainsi dire voué aux supplices éternels de l’enfer. Personne en effet n’a le droit d’espérer qu’il obtiendra le pardon de ses calomnies et de ses diffamations, tant qu’il n’aura pas satisfait à celui dont il a souillé l’honneur et la réputation, soit publiquement et en justice, soit dans des entretiens privés et familiers.

Enfin les suites funestes du mensonge s’étendent très loin, et nous atteignent tous. La fausseté et le mensonge font disparaître la vérité et la confiance, qui sont les liens nécessaires de la société, et sans lesquels les rapports entre les hommes tombent dans une confusion telle que le monde ressemble à un véritable enfer.

Le Pasteur comprendra dés lors qu’il doit exhorter les Fidèles à éviter de trop parler. La modération dans les paroles fait fuir les autres péchés, et surtout elle est un préservatif assuré contre le mensonge, vice auquel échappent difficilement ceux qui parlent trop.

§ VI. — VAINES EXCUSES DES MENTEURS.

Le Pasteur s’appliquera également à détruire l’erreur de ceux qui s’excusent sur le peu d’importance des conversations, et qui prétendent autoriser leurs mensonges par l’exemple de ces sages du monde qui ont pour maxime, disent-ils, de savoir mentir à propos. Il leur fera observer, ce qui est très vrai « que la prudence de la chair est la mort de l’âme » . Il les exhortera à mettre en Dieu leur confiance, au milieu des difficultés et des extrémités les plus fâcheuses, et à ne recourir jamais au grossier artifice du mensonge ; car ceux qui se servent de ce subterfuge, laissent voir clairement qu’ils comptent plus sur leur prudence personnelle que sur la Providence de Dieu.

Ceux qui rejettent la cause de leur mensonge sur les menteurs qui les ont trompés les premiers, ont besoin qu’on leur rappelle qu’il n’est pas permis à l’homme de se venger lui-même ; qu’il ne faut point rendre le mal pour le mal, mais au contraire chercher « à vaincre le mal par le bien »  ; et que, quand même la vengeance serait permise, il ne peut jamais être utile à personne de se venger à ses dépens, ce qui arriverait sûrement et avec un préjudice considérable si l’on avait recours au mensonge.

Si on en trouve qui apportent pour excuse l’infirmité et la fragilité naturelles, il faut leur remettre en mémoire l’obligation où ils sont d’implorer le secours divin, et de ne point se laisser vaincre par la nature. D’autres diront qu’ils ont contracté l’habitude de mentir. Il faut les exhorter à multiplier leurs efforts pour contracter l’habitude contraire, de dire toujours la vérité, d’autant que ceux qui pèchent par habitude, sont plus coupables que les autres. Quant à ceux — et ils ne sont pas rares — qui prétendent se justifier sur l’exemple des autres hommes qui, selon eux, mentent et se parjurent à tout propos, il faut les détromper par cette considération, que nous ne devons point imiter les méchants, mais bien plutôt les reprendre et faire en sorte de les corriger ; que si, par malheur, nous mentons nous-mêmes, notre parole aura bien moins d’autorité pour faire accepter nos reproches et nos bons conseils.

Ceux qui défendent leurs mensonges en alléguant qu’ils ont éprouvé souvent de graves ennuis parce qu’ils avaient dit la vérité, les Prêtres les réfuteront en leur montrant que par de telles paroles ils s’accusent, bien plus qu’ils ne s’excusent. Le devoir du vrai Chrétien en effet, n’est-il pas de tout souffrir plutôt que de mentir ?

Enfin nous avons encore deux sortes de personnes qui veulent excuser leurs mensonges: celles qui prétendent ne mentir que par plaisanterie, et celles qui le font pour leur utilité, parce que, disent-elles, elles ne pourraient ni bien vendre ni bien acheter, si elles n’avaient recours au mensonge. Les Pasteurs les tireront de leur erreur les unes et les autres. Ils écarteront les premières de ce vice en leur remontrant que rien n’augmente plus l’habitude du mensonge, que de mentir sans aucune retenue. Ils ajouteront  « qu’il leur faudra rendre compte de toute parole oiseuse ». Et pour les secondes, ils ne craindront point de les reprendre fortement, et de leur montrer qu’une excuse d’un pareil genre ne fait qu’augmenter leur faute, puisqu’elles prouvent bien par là qu’elles n’accordent ni autorité ni confiance à ces paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Cherchez premièrement le Royaume de Dieu et sa justice et tout le reste vous sera donné par surcroît. »

Chapitre trente-septième — Du neuvième et du dixième Commandement

Vous ne convoiterez point la maison de votre prochain, et vous ne désirerez point sa femme, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, ni rien de ce qui lui appartient.

La première chose à remarquer dans ces deux derniers Commandements, c’est qu’ils nous donnent pour ainsi dire, le moyen infaillible de garder tous les autres. Car ils ont pour objet et pour fin de prescrire à celui qui veut fidèlement observer les Commandements précédents, d’éviter avec le plus grand soin les désirs déréglés. Celui qui ne convoite rien, est content de ce qu’il possède, il ne désire point le bien des autres, il se réjouit de leurs avantages, rend gloire au Dieu immortel, et lui témoigne les plus vives actions de grâces ; il observe le Sabbat, c’est-à-dire, qu’il jouit d’un repos perpétuel, il respecte ses supérieurs, et enfin il ne blesse personne ni en paroles, ni en actions, ni d’aucune autre manière. La convoitise est la racine et la source de tous les maux, et ceux dont elle enflamme les passions se précipitent dans tous les désordres et dans tous les crimes.

Ces réflexions ne peuvent que rendre le Pasteur plus zélé à expliquer ces deux Commandements, et les fidèles plus attentifs à l’écouter et à le suivre.

Nous avons réuni ces deux préceptes parce qu’ils se ressemblent du côté de leur objet, et que la manière de les expliquer est la même ; cependant le Pasteur pourra les traiter ensemble ou séparément, selon qu’il le trouvera plus commode pour ses exhortations et ses instructions. Mais s’il a entrepris d’expliquer en détail le Décalogue, il devra montrer la différence réelle de ces deux Commandements et des deux genres de convoitise qu’ils condamnent. C’est ce que Saint Augustin met très bien en lumière dans son Livre des Questions sur l’Exode .

§ I. — DIFFÉRENCE ET NnÉCESSITÉ DE CES DEUX COMMANDEMENTS.

L’une des convoitises dont nous parlons ne voit et ne cherche que ce qui est utile et avantageux, l’autre court après le plaisir et la volupté. Celui qui désire la maison ou la terre de son voisin, poursuit ce qui est utile et profitable plutôt que la volupté. Au contraire celui qui désire la femme d’autrui, cherche le plaisir et non pas l’utilité.

Ces deux Commandements étaient nécessaires. En voici la double raison: la première, c’est qu’il fallait expliquer le sens du dixième et du septième précepte. Sans doute, en voyant l’adultère défendu, on pouvait en conclure, avec les seules lumières naturelles, qu’il est défendu également de désirer la femme d’un autre ; car il est permis d’user de ce que l’on peut désirer sans crime. Cependant la plupart des Juifs, aveuglés par le péché, ne pouvaient se persuader que Dieu eût fait cette défense. Et même un bon nombre d’entre eux, qui se donnaient comme interprètes de la Loi, et qui par conséquent devaient bien la connaître, étaient tombés dans cette erreur, comme on peut le voir par ces paroles de Notre-Seigneur dans Saint Matthieu : « Vous savez qu’il a été dit aux Anciens vous ne commettrez point d’adultères ; mais moi, je vous dis... etc. ».

La seconde raison [de la nécessité de ces deux Commandements] c’est qu’ils défendent d’une manière claire et distincte des choses que le sixième et le septième ne défendaient que d’une manière générale. Ainsi, par exemple, le septième Commandement défend de désirer injustement ou de ravir le bien d’autrui ; mais ici il est défendu de le désirer de quelque manière que ce soit, même si l’on pouvait l’acquérir justement et légitimement, dés que cette acquisition pourrait causer quelque dommage au prochain.

Avant d’en venir à l’explication de ce 9° et 10° précepte, il faudra, avant toutes choses, faire remarquer ana fidèles non seulement qu’ils nous obligent à réprimer nos convoitises, mais encore à reconnaître l’infinie bonté de Dieu envers nous. Par les Commandements précédents, II nous avait entourés comme d’une sorte de garde pour nous mettre, nous et nos biens, à l’abri des violences du prochain ; par ces deux derniers, II nous défend contre nous-mêmes et contre nos convoitises mauvaises, qui ne pouvaient manquer de nous nuire, s’il nous eût été loisible de tout désirer et de tout souhaiter. Dès lors par le seul fait que Dieu nous défend la convoitise, l’aiguillon des passions malsaines qui nous pousse d’ordinaire à toute sorte d’actions répréhensibles, se trouve émoussé pour ainsi dire ; il nous presse moins, et délivrés de ses sollicitations importunes, nous avons plus de temps pour remplir les devoirs nombreux et si importants que la Religion et la piété nous prescrivent envers Dieu.

Et ce n’est pas là seulement ce que ces deux Commandements nous apprennent. ils nous montrent encore que la Loi de Dieu, pour être observée comme il convient, non seulement exige l’accomplissement extérieur du devoir mais encore les sentiments intimes de l’âme. Et c’est ce qui met une grande différence entre les lois humaines et les lois divines. Les premières se contentent des actes extérieurs, les secondes, par cela même que « Dieu voit au fond du cœur », demandent, avec la préparation de l’âme, une grande pureté et intégrité de cœur.

La Loi de Dieu est donc comme un miroir où nous apercevons les vices de notre nature. Ce gui a fait dire à l’Apôtre : « Je n’aurais point connu la concupiscence, si la Loi ne m’avait dit: vous ne convoiterez point. » En effet la concupiscence, qui est comme le foyer du péché, et qui tire son origine du péché même, demeure perpétuellement fixée en nous ; et c’est ce qui nous fait sentir que nous naissons dans le péché. Dès lors nous recourons en suppliants à Celui qui peut seul en laver les souillures.

Autre reste ces deux Commandements ont cela de commun avec les huit autres, qu’ils sont tout à la fois positifs et négatifs ; ils commandent et ils défendent. Et pour bien les faire comprendre, le Pasteur doit les expliquer séparément.

§ II. — QU’EST-CE QUE LA CONCUPISCENCE

Il ne faut pas s’imaginer que ce précepte condamne tous les désirs, ni qu’il considère comme vicieuse une concupiscence qui ne l’est pas. « L’esprit convoite contre la chair », dit Saint Paul  ; David « désirait en tout temps les ordonnances de Dieu avec la plus vive ardeur » . Le Pasteur devra donc faire connaître aux Fidèles quelle est cette concupiscence qui est ici défendue.

Il faut entendre par ce mot, comme un mouvement, un élan de l’âme qui nous porte vivement à désirer les choses agréables que nous n’avons pas. Et de même que les autres mouvements de notre âme ne sont pas nécessairement et perpétuellement mauvais, de même l’ardeur de la concupiscence n’est pas nécessairement vicieuse. Ainsi ce n’est pas un mal de désirer de manger et de boire, de se chauffer quand on a froid, ou de chercher le froid quand on a chaud. Il faut dire au contraire que ces désirs sont bons en eux-mêmes, car c’est Dieu qui les a mis en nous. Mais le péché de nos premiers parents a dépravé ces désirs légitimes, ils se sont élancés au-delà des bornes naturelles, et maintenant ils nous poussent trop souvent à convoiter des choses que l’esprit et la raison condamnent.

Toutefois, si nous savons modérer cette ardeur et la contenir dans les justes limites, elle nous devient souvent très utile. D’abord, elle est cause que nous adressons à Dieu des prières assidues, pour Lui demander humblement

et instamment ce que nous désirons le plus. La prière est l’interprète naturel de nos désirs, et si cet élan légitime n’existait pas, les prières ne seraient pas si nombreuses dans l’Église de Dieu.

Ensuite elle nous rend plus chers et plus précieux les dons de Dieu ; car plus nous désirons une chose avec ardeur, plus l’objet de notre désir nous devient cher et agréable lorsque nous l’avons obtenu.

Enfin le plaisir même que nous procure la chose désirée lorsque nous la possédons, nous porte à remercier Dieu avec une piété beaucoup plus grande. Si donc il est quelquefois permis de convoiter, nous sommes obligés d’avouer que tout élan de convoitise n’est point défendu. Et quoique l’Apôtre Saint Paul dise que « la convoitise est un péché » , il faut entendre cette parole dans le sens que lui donne Moise,  puisqu’il cite son témoignage. D’ailleurs lui-même laisse voir clairement qu’il pense de même. Dans son Epître aux Galates,  il appelle cette convoitise « la convoitise de la chair. Conduisez-vous, dit-il, par le mouvement de l’esprit, et vous n’accomplirez point les désirs de la chair. »

On ne défend donc point ici ce désir naturel et modéré, qui ne sort point de ses limites, et bien moins encore cette convoitise toute spirituelle d’une âme pure, qui nous fait soupirer après les choses qui combattent la chair. nos Saints Livres eux-mêmes nous y exhortent. « Désirez mes entretiens, »  et encore:  « venez à Moi, vous tous qui Me désirez avec ardeur. » Ainsi ce que Dieu nous interdit dans ce Commandement, ce n’est pas cette puissance même de convoiter dont nous pouvons user pour le bien et pour le mal, mais bien l’exercice de cette convoitise déréglée que l’on appelle la concupiscence de la chair, et le foyer du péché ; convoitise qui nous rend toujours coupables, dés que notre cœur y donne son consentement.

§ III. — QUELLE EST LA CONVOITISE QUI EST ICI DÉFENDUE

Dieu défend donc ici uniquement cette ardeur de convoitise que l’Apôtre appelle concupiscence de la chair, c’est-à-dire ces élans de désirs qui ne sont point modérés par la raison, et qui ne restent point dans les limites que Dieu a établies. Cette convoitise est réprouvée, ou parce qu’elle désire le mal, comme l’adultère, l’intempérance, l’homicide, et autres crimes abominables dont l’Apôtre a dit:  « ne nous livrons point aux mauvais désirs, comme les Juifs s’y livrèrent ; » ou parce que, si les choses que l’on désire ne sont pas mauvaises de leur nature, il est cependant défendu de les désirer pour d’autres motifs

telles sont les choses que Dieu et l’Église nous défendent de posséder. Car il ne peut nous être permis de désirer ce qu’il ne nous est point permis de posséder. tels furent, dans la Loi de Moise, l’or et l’argent dont les idoles étaient faites, et que Dieu, dans le Deutéronome, défendait aux Juifs de convoiter.

Une troisième raison qui rend cette convoitise coupable et absolument défendue, c’est lorsqu’elle désire des choses qui appartiennent à autrui, comme sa maison, son serviteur, sa servante, son champ, sa femme, son bœuf, son âne et tous les autres biens que la Loi de Dieu nous défend de convoiter, uniquement parce qu’ils ne sont pas à nous.

Le désir de toutes ces choses est criminel, et il est compté parmi les péchés les plus considérables, lorsque le cœur y donne son consentement formel. Car le péché excité par les désirs déréglés de la concupiscence, prend plaisir au mal, soit qu’il l’approuve, soit seulement qu’il n’y résiste point. Ainsi l’enseigne l’Apôtre Saint Jacques, dans ce texte célèbre Où il nous montre l’origine et le progrès du péché:  « Chacun est tenté par sa propre concupiscence qui l’emporte et l’attire. Ensuite, quand la concupiscence produit son effet, cet effet est le péché, et le péché, lorsqu’il est accompli, produit la mort. »

Ainsi donc, quand la Loi nous dit: Vous ne convoiterez point, elle nous dit. En d’autres termes, d’éloigner nos désirs de tout ce qui ne nous appartient pas. Car la soif du bien du prochain est immense, infinie, et jamais rassasiée, ainsi qu’il est écrit:  « l’avare ne sera jamais rassasié d’argent », ce qui a fait dire à Isaïe:  « Malheur à vous qui joignez maison à maison, et un champ à un autre ! »

Mais chacun des termes du précepte veut être expliqué séparément. Ainsi l’on comprendra mieux la laideur et l’énormité du péché dont nous parlons.

§ IV. — DIFFÉRENTES ESPÈCES DE BIEN D’AUTRUI QUE L’ONnE DOIT PAS DÉSIRER.

Le Pasteur enseignera aux Fidèles que ce mot de maison désigne non seulement le lieu ou l’on habite, mais en général tous les biens que l’on possède. C’est dans ce sens que les Ecrivains sacrés l’ont employé le plus ordinairement. Ainsi il est dit dans l’Exode:  « Dieu bâtit des maisons aux sages femmes. » Ces paroles signifient évidemment que Dieu étendit et augmenta leurs biens. Cette interprétation du mot maison nous montre que la Loi de Dieu nous défend de désirer avec avidité les richesses,

et de porter envie à la fortune, à la puissance, à la noblesse des autres. Dieu veut que nous soyons contents de notre condition, quelle qu’elle soit, basse ou élevée. nous devons voir aussi dans ce mot la défense de désirer la gloire du prochain, car la gloire fait partie de la maison.

Les mots qui suivent: le bœuf, l’âne, indiquent qu’il nous est défendu de convoiter non seulement les choses considérables, comme la maison, la noblesse, la gloire, parce qu’elles appartiennent à autrui ; mais même les petites, et n’importe lesquelles, animées ou inanimées.

Vient ensuite le mot serviteur. Il faut l’entendre aussi bien des captifs que des serviteurs de toutes sortes et autrefois des esclaves ; nous n’avons pas le droit de les convoiter, pas plus que ce qui appartient à un autre. Quant aux hommes libres qui servent volontairement, soit par intérêt, soit par affection ou par dévouement, on ne doit rien employer, ni paroles, ni craintes, ni promesses, ni argent pour les corrompre et les engager à quitter ceux à

qui ils se sont spontanément attachés. Et même s’ils viennent à les quitter avant le temps qu’ils avaient promis de rester à leur service, il faut les avertir que ce précepte leur fait une obligation formelle de rentrer chez leurs maîtres.

Que si, dans ce même précepte, il est fait mention du prochain, — c’est pour rendre plus évident le mauvais penchant des hommes qui ont l’habitude de jeter leurs désirs sur les terres, les maisons ou toute autre chose qui les touche. Et en effet le voisinage, qui est d’ordinaire un des éléments de l’amitié, devient souvent une source de haines par le dérèglement de la cupidité.

Toutefois, ce n’est pas violer ce Commandement que de désirer d’acheter des objets que nos voisins ont à vendre, ou de les acheter à leur juste pria. non seulement nous ne faisons point tort au prochain en agissant de la sorte, mais nous lui rendons un grand service, puisque l’argent qu’il reçoit lui sera plus avantageux et plus commode que ce qu’il met en vente.

§ V. — IL EST DÉFENDU DE DÉSIRER LA FEMME DE SON PROCHAIN.

Après la Loi qui nous défend de désirer en général le bien d’autrui, vient celle qui nous interdit de convoiter sa femme. Cette Loi n’atteint pas seulement la passion coupable qui fait désirer la femme d’un autre en vue de l’adultère, mais encore le simple désir de l’épouser. Car lorsqu’il était permis de répudier sa femme, il pouvait arriver facilement que celle qui était répudiée par l’un, fût épousée par l’autre. Et c’est pourquoi Notre-Seigneur a voulu porter cette défense, pour que les maris ne fussent point tentés de laisser leurs femmes, ni les femmes de se montrer difficiles et fâcheuses afin de mettre leurs maris dans la nécessité de leur donner le billet de répudiation.

Mais aujourd’hui ce péché est beaucoup plus grave, puisqu’il est défendu d’épouser une femme même répudiée, tant que son mari n’est pas mort. Celui qui aura le malheur de désirer la femme de son prochain, tombera facilement dans l’un de ces deux crimes, ou de souhaiter la mort du mari, ou de désirer l’adultère.

Il en faut dire autant des femmes qui sont fiancées. La Loi de Dieu interdit de les convoiter, puisque chercher à rompre ces sortes de promesses c’est fouler aux pieds le plus sacré des engagements.

Cependant si quelqu’un désirait avoir pour épouse une femme mariée, mais qu’il croirait libre, et qu’il fût résolu à ne pas la demander en mariage, dans le cas où il saurait qu’elle est déjà l’épouse d’un autre, cet homme, avec des intentions telles, ne violerait certainement point le précepte que nous expliquons. Ce fut le cas, comme nous le voyons dans l’Écriture, de Pharaon et d’Abimelech, qui désiraient prendre Sara pour femme, parce qu’ils ne la croyaient pas mariée, la regardant comme la sœur, et non comme l’épouse d’Abraham.

§ VI. — CE QUE DIEU ORDONNE PAR CES DEUX COMMANDEMENTS.

Pour faire connaître aux Fidèles les remèdes que Dieu a préparés pour détruire l’effet de nos convoitises mauvaises, le Pasteur devra leur expliquer la seconde disposition de la Loi. Or, d’après cette disposition, « si les richesses abondent dans notre maison, nous ne devons pas attacher notre cœur  ». Au contraire nous devons être prêts à les sacrifier dans l’intérêt de la Foi et de notre Salut. De même nous devons nous en servir généreusement pour venir en aide à la détresse du pauvre. Mais si les biens de la fortune nous manquent, nous saurons supporter de bon cœur et même avec joie notre indigence. D’ailleurs, si nous nous dépouillons charitablement de ce qui nous appartient, nous aurons bientôt éteint en nous le désir de ce qui ne nous appartient pas.

Ajoutons que le Pasteur trouvera facilement, soit dans l’Écriture Sainte, soit dans les Pères tout ce que l’on peut dire au peuple sur l’éloge de la pauvreté et sur le mépris des richesses.

Cette Loi nous ordonne également de désirer de tout notre cœur et avec la plus vive ardeur l’accomplissement, non de nos propres vœux, mais de la volonté de Dieu, ainsi qu’il est dit dans l’Oraison Dominicale. Or la volonté de Dieu, c’est que nous travaillions d’une manière toute particulière à devenir des saints ; que nous conservions la sincérité du cœur, avec une pureté parfaite ; que nous nous exercions à ces œuvres de l’esprit, qui sont contraires à celles des sens ; qu’après avoir dompté nos appétits, nous suivions toujours le droit chemin en toutes choses, avec la lumière et le jugement de la saine raison ; et que enfin, nous sachions réprimer vigoureusement tout sentiment qui pourrait devenir une occasion funeste pour nos convoitises et nos passions.

Or, pour éteindre cette ardeur des passions, il nous sera très utile de considérer attentivement les inconvénients qui en sont la suite.

Le premier de ces inconvénients, c’est que, si nous obéissons à nos convoitises déréglées, le péché dominera dans notre âme, avec toute sa puissance et toute sa tyrannie. Voilà pourquoi l’Apôtre nous fait cette recommandation:  « Que le péché ne règne point dans votre corps mortel, en sorte que vous obéissiez à ses mauvais désirs. » De même, en effet, qu’en résistant aux passions, on détruit la force du péché, de même en y succombant, on chasse le Seigneur de son royaume, pour installer le péché à sa place.

Le second inconvénient, c’est que la concupiscence est comme une source intarissable qui donne naissance à tous les autres péchés, ainsi que nous l’enseigne l’Apôtre Saint Jacques  ; et Saint Jean dit de son côté:  « Tout ce qui est dans le monde, est concupiscence de la chair, concupiscence des yeux, et orgueil de la vie. »

Le troisième, c’est que les passions mauvaises obscurcissent la raison et faussent le jugement. Les hommes sont aveuglés par les ténèbres de la convoitise, dès lors, tout ce qu’ils désirent devient pour eux honnête et parfait.

Enfin, cette même convoitise étouffe en nous la parole que Dieu Lui-même — ce grand cultivateur -- a déposée dans nos âmes. « Le grain semé dans les épinces, dit Saint Marc, est la figure de ceux qui entendent la parole et qui la laissent étouffer par les maux de la vie, par l’illusion des richesses, et par tous les effets des passions ; ce qui fait qu’elle ne porte aucun fruit. »

§ VII. — QUI SONT CEUX QUI PÈCHENT CONTRE CES DEUX COMMANDEMENTS.

Le Pasteur ne manquera pas de dire, en terminant cette explication, qui sont ceux qui ont le plus à lutter contre leurs convoitises criminelles, et que par conséquent il doit exhorter le plus à observer ce précepte.

Ce sont ceux qui se plaisent à des divertissements indécents, ou qui se livrent sans modération aux jeux même permis ; les marchands, qui désirent la disette, ou la cherté des marchandises, qui voient avec chagrin qu’ils ne sont pas les seuls pour acheter et pour vendre, ce qui leur permettrait de vendre plus cher et d’acheter à plus bas prix ; ceux qui souhaitent que leurs semblables soient dans la misère, afin de réaliser du profit soit en leur vendant, soit en leur achetant ; les militaires qui demandent la guerre pour avoir la licence de voler et de piller ; les médecins qui désirent des malades ; les hommes de loi qui réclament des causes, et des procès importants et nombreux ; les ouvriers qui voudraient qu’il y eût rareté et disette de tout ce qui est nécessaire à la nourriture et à l’entretien, pour gagner davantage.

Sont encore très coupables en ce genre ceux qui sont désireux et avides de la gloire et de la considération des autres, et qui ne se privent pas de les attaquer par la calomnie ; surtout s’ils sont eux-mêmes des êtres lâches et sans mérite, car la considération et la gloire sont le prix de la vertu et du talent, et non celui de la lâcheté ou de la paresse.

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