Commentaire de l'article 2

De Salve Regina

Loi et principes
Auteur : P. Réginald Héret, O.P.
Source : Extrait du livre La Loi scoute
Date de publication originale : 1922

Difficulté de lecture : ♦ Facile

Le Scout est loyal à son pays, ses parents, ses chefs et ses subordonnés

LA JUSTICE

Etre loyal ne signifie pas ici dire la vérité, mais rendre à chacun ce qu'on lui doit d'après ce qu'il est pour nous. C'est la justice.

Toute autorité tient auprès de nous la place de Dieu, sans cela elle ne pourrait nous obliger.

Or nous devons à Dieu un triple hommage : d'adoration parce qu'il est la grandeur et la Sainteté mêmes ; d'amour reconnaissant parce qu'il nous a tout donné ; d'obéissance parce qu'il est le Maître. C'est la religion.

A nos parents, dont il s'est servi comme d'intermédiaires pour nous donner la vie, nous devons aussi le respect parce qu'ils sont plus grands que nous; l'amour, puisqu'ils nous ont donné le premier des bienfaits : la vie; l'obéissance, puisqu'ils ont la mission de diriger notre jeune vie encore inexpérimentée. C'est la piété filiale et patriotique.

A nos chefs intermédiaires de Dieu pour cultiver notre vie, nous devons aussi le respect parce qu'ils sont meilleurs que nous ; l'amour, parce qu'ils nous servent sans attendre de récompense ; l'obéissance, parce qu'ils savent mieux que nous.

Ce triple sentiment donne un sens aux saluts, titres, appellations, grades…

Puisque les chefs tiennent vis‑à‑vis des Scouts la place de Dieu, ils doivent agir comme Dieu fait, par un amour désintéressé.

Ils sont les héros de leurs Scouts et prennent modèle sur l'activité divine qui est ardente, délicate, persévérante, inlassable.

"Nous avons des obligations tout à fait diverses vis‑à‑vis des hommes ; elles sont déterminées soit par leur valeur personnelle, soit par les bienfaits que nous avons reçus d'eux.

"Des deux façons Dieu a évidemment la primauté. Il est l'excellence même et il est l'origine de notre vie et du gouvernement de notre vie. Après lui viennent nos parents qui sont la source secondaire de notre vie et de son orientation, nos parents et notre Patrie de qui nous avons reçu notre naissance et notre éducation. De même donc que nous devons à Dieu un culte que nous appelons la Religion, de même aussi devons‑nous un culte semblable à nos parents et à notre Patrie, un culte dérivé que nous appellerons la piété, et nous parlerons de piété filiale et de piété patriotique."

Dieu ne nous a pas créés sans intermédiaire. Nos pères et mères sont la voie par laquelle l'être qu'il donne arrive jusqu'à nous. Le fiat créateur a passé par notre père avant de nous parvenir. Notre père est celui qui nous relie au Créateur.

C'est pour cela que nous lui devons un culte religieux. Celui qui est entre nous et Dieu reflète humblement, représente pour nous la majesté divine. En nous donnant la vie, il nous a fait un présent unique, comment ne pas lui reconnaître une touchante grandeur ?

Prenons‑y bien garde, c'est ce rôle d'associé à la puissance divine qui est le fondement de tous les devoirs que nous devons vis‑à‑vis de nos parents, d'abord, puis de tous nos éducateurs. Ceci aussi est important à rappeler à notre société moderne. Ne comptons pas beaucoup sur le respect ni sur la loyauté de nos garçons, si, derrière celle de leurs chefs, ils ne discernent pas l'autorité de Dieu. Encore moins sur leur obéissance.

"Ceux qui ont à obéir doivent avoir en eux une certaine rectitude, une certaine discipline, grâce à quoi ils se dirigent eux-mêmes en obéissant à leurs chefs." C'est ce qu'on appelle le loyalisme. On voit que c'est bien d'obéir et on accepte les directives de l'autorité. On les adopte, on les fait siennes. On peut sans doute juger que celui qui gouverne se trompe, mais un Scout loyal s'arrangera pour que ses critiques n'aillent pas jusqu'à ébranler l'autorité même, fondement de la société.

Or, il est certain que, dans la société familiale, l'enfant qui n'aura pas au cœur cette piété dont parle Saint Thomas, faite de respect et d'amour, aura bien du mal, devant certains ordres et certains actes de ses parents, à rester loyal. C'est, hélas ! d'expérience quotidienne.

Apprenons donc à nos Scouts qu'ils ont, vis‑à‑vis de leurs parents, un triple devoir: devoir de révérence, de respect malgré tout et quoi qu'il arrive, parce que, ne fussent‑ils pas vertueux, nos pères et nos mères nous ont donné l'être: dans ce rôle ils ont été l'instrument de Dieu, donc excellents à notre égard et qu'à l'excellence est dû l'honneur.

‑ Devoir de reconnaissance, d'union toujours affectueuse parce qu'en nous donnant l'être ils nous ont fait un présent incomparable.

‑ Devoir d'obéissance parce qu'ils sont les gouverneurs naturels de cet être qu'ils ne nous ont donné que pour le faire s'épanouir selon la grande pensée divine.

La Patrie, elle, est le milieu où notre vie éclôt et grandit. Nos parents en dépendaient, nous en dépendons par eux; elle nous domine plus que nous ne le pensons. Nous tenons d'elle notre manière spéciale de penser, de sentir ; de parler. Elle nous a donc faits, elle aussi, et elle demande notre culte pieux, ayant tous les droits d'une mère.

"Le même ordre descendant qui nous a conduits de la religion à la piété familiale nous amène maintenant à la révérence spéciale qui est due aux chefs. Nous l'avons dit, un père selon la chair participe de Dieu la qualité de principe ; de même celui qui, à un titre ou à un autre, exerce à notre égard un rôle providentiel participe de Dieu la propriété paternelle."

"Le père est, lui, principe de génération, d'éducation, de discipline et en général de tout ce qui constitue une vie parfaite. Le chef sera principe de gouvernement à l'égard de certaines choses, comme le prince à l'égard des choses civiles, le général à l'égard des choses militaires, le maître à l'égard de la science et ainsi du reste. C'est pour cela que ces personnes sont souvent appelées "pères" ou d'un nom analogue, parce que leur charge est semblable."

On voit donc ce que nos Scouts doivent à leurs chefs : les mêmes hommages, d'un degré moindre, qu'à leurs parents. Ils leur donneront l'honneur qui revient à l'excellence du rang, la reconnaissance et les services, l'obéissance enfin dont nous reparlerons à propos de l'article sept.

Leur fidélité sera toute cordiale. Ils auront confusément conscience que leurs chefs les conduisent à un but providentiel par une autorité qui est voulue de Dieu et qui descend de lui. A cause de ce service éminent ils les aimeront, ils les aimeront de tout leur jeune cœur. Et pour traduire cette reconnaissance, il leur plaira de se soumettre à notre beau cérémonial scout qui serait très vain s'il n'était le témoignage d'un sentiment qu'on a dans l'âme. Saluts proportionnés au rang des chefs, marques de déférence, appellations… prennent ainsi une grande valeur morale.

Et ceci nous fixe sur l'attitude du chef lui‑même vis‑à‑vis de ses subordonnés. L'honneur qu'on lui rend lui rappelle son rôle.

Il est le chef. Il est celui qui est la tête. C'est lui qui marche devant, c'est lui qu'on suit. Tous ces petits yeux sont fixés sur lui. Ce qu'il commandera, on le fera. Même simplement ce qu'il suggérera, car on l'aime et on va au‑devant de ses désirs.

C'est un rôle écrasant, quand on y pense, pour des épaules de jeune homme. Saint Thomas le définit ainsi : "Il faut dans les affaires humaines que les chefs, par leur volonté, meuvent les inférieurs en vertu de l'autorité divine qui l'a réglé ainsi."

Voilà leur charge. Le chef donne le branle, l'impulsion. "Sa volonté, à lui qui commande, est la règle des autres qui obéissent." Et voici leur grandeur : "Elle n'est cependant que règle secondaire, car la règle supérieure c'est la volonté divine qui régente toutes les volontés; mais l'un s'en rapproche plus qu'un autre, selon un ordre providentiel."

Les chefs sont donc censés plus proches du vouloir divin, c'est‑à‑dire plus vertueux, plus savants ; ils sont plus riches d'être. Ils sont les aînés. Leur amour est, par conséquent, non un amour de jouissance, mais un amour de don. Ce qu'il y a dans cet amour du chef pour sa troupe de plus profond et par quoi il se rapproche de l'amour divin, c'est ce sentiment de paternité, c'est son désintéressement.

Le chef peut bien être appelé le frère, le grand frère ; on veut aussi qu'il soit le héros de ses gosses. Il n'est pas au même plan qu'eux.

Il est plus haut. Il voit plus loin. Il est plus avancé qu'eux. Il n'attend pas de retour, ni de récompense. Il donne comme Dieu, qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, gratuitement. Dieu se suffit; il vit sa vie bienheureuse au sein de la Trinité et l'ingratitude des hommes ne nuit qu'à eux‑mêmes. Ainsi celui qui est assez grand pour approcher Dieu doit‑il se suffire à soi‑même et trouver sa joie dans la Trinité et non pas dans la reconnaissance de ses garçons. S'ils sont oublieux ou indociles, il en souffrira sans doute, mais n'en perdra point sa paix.

Sa devise est donc : Servir. Il est placé en tête pour conduire tous et chacun de ses garçons à leur bien, leur bien à eux. Il considère ces petits comme des jeunes plantes pleines de germes et de promesses, mais qu'il faut soigneusement émonder afin que les pousses gourmandes et désordonnées ne prennent point toute la sève. Il pense à leur avenir. Plus tard ils seront des hommes, mais quels hommes ? Ceux dont ses soins judicieux auront sur découvrir les linéaments dans leur âme enfantine, protéger la croissance et diriger le progrès.

Son meilleur service sera précisément celui‑ci : Animer, actionner, faire agir ses Scouts. "Moveant 3nferiors per suam voluntatem." Un chef inactif trahit sa mission puisqu'il n'est chef que pour stimuler les autres et leur faire exécuter des prouesses, qu'ils ne trouveraient pas tout seuls.

Tel chef, telle troupe. C'est une vérité que l'expérience vérifie chaque jour. Saint Thomas en est d'accord : "On ne produit qu'un semblable en soi." Si votre troupe marche mal, si elle est négligente, inerte, n'accusez que vous qui l'êtes peut‑être aussi et qui, en tous cas, ne savez pas l'animer.

La loyauté envers ses subordonnés exige évidemment tout un ensemble de vertus qu'on trouverait analysées par Saint Thomas dans son Traité de la Prudence. Il faut gouverner en pensant que nos Scouts sont mus par les ordres de leurs chefs de telle manière que c'est pourtant eux‑mêmes qui ont à se mouvoir par leur propre liberté.

La volonté du chef ne doit pas se substituer à la volonté de l'enfant, mais l'éveiller, la susciter. C'est en cela qu'elle est éducatrice.

Le chef devra se mettre en souci de ses Scouts. Ce sera un homme de sens et de jugement droit ; il aura l'esprit prompt pour décider vite dans une situation imprévue, gouverner c'est prévoir, il saura donc disposer jusque dans les détails ses projets d'avenir, circonspect, il sera attentif aux conditions spéciales du milieu et du temps où il agit; vigilant, il ne se laissera pas prendre aux apparences trompeuses des mouvantes réalités où il a à conduire son petit monde; fidèle à lui‑même, il prendra la responsabilité des directives qu'il a données et ne chargera pas ses Scouts des désordres qu'il a causés.

Si l'on trouve que c'est demander beaucoup de vertus, eh bien ! qu'on renonce aussi à la noble tâche de chef, car un chef loyal vis‑à‑vis de ses subordonnés doit être tel. Son autorité est faite de ses services. Mais qu'on renonce aussi à l'immense joie d'avoir formé de vrais beaux scouts. Un homme digne de ce nom possède en soi des richesses, des énergies qui ne demandent qu'à se communiquer. "Donner à des enfants ses idées, ses convictions, ses habitudes, tout ce qui peut les armer pour les luttes de la vie, c'est peut‑être le bonheur le plus pur qu'on puisse goûter ici‑bas. En tous cas, il suppose une plénitude de force, une surabondance de vie qui est déjà la perfection" : c'est alors qu'on est parfait, quand on peut faire d'autres êtres "semblables à soi". Si le sentiment de la perfection est le bonheur même, un vrai chef est bien heureux.

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