Commentaire de l'article 5

De Salve Regina

Loi et principes
Auteur : P. Réginald Héret, O.P.
Source : Extrait du livre La Loi scoute
Date de publication originale : 1922

Difficulté de lecture : ♦ Facile

Le Scout est courtois et chevaleresque

LA GRANDEUR

La vraie société du Scout, c'est celle du Christ, des Anges et des Saints protecteurs de sa troupe et de lui-même. Il apporte sur la terre comme un parfum du Ciel.

Il ne donne pas que de la joie à ceux qu'il approche, il est gracieux, distingué, courtois.

Mais il doit surtout vivre plus haut que le commun des hommes.

Etre prêt à mourir plutôt que se résigner à la victoire du mal, c'est ce que faisaient les chevaliers.

Pour être Scout, il n'est pas nécessaire d'accomplir des actions d'éclat, non, mais il faut faire avec une âme grande ses actions les plus ordinaires. C'est la même chose qu'agir par honneur comme il est dit au premier article.

Pas de timidité, mais une juste confiance en soi et dans les autres.

Pas de découragement, la vie scoute est difficile ? Tant mieux ! C'est bien plus amusant !

Aux âmes vulgaires les joies communes, à nos grandes âmes scoutes le bonheur exaltant de la vie divine commencée.

"Le Seigneur nous a fait pauvres en ce monde et héritiers dans ce royaume", il convient donc que nous nous comportions comme le demande notre dignité. Ceux qui doivent se tenir comme des princes pour juger les tribus d'Israël ne peuvent pas avoir une conduite vulgaire. Ils auront des moeurs de la cour du Roi. Ils seront courtois.

"L'homme est naturellement l'ami de l'homme., Aux étrangers, aux inconnus même nous faisons des démonstrations qui signifient cette amitié. Ce n'est pas de la simulation, car nous ne leur donnons pas les gages d'une amitié parfaite. Nous n'avons pas la même familiarité avec le premier venu et avec celui qui nous est uni par un lien tout intime."

Mais ces hommages, qui sont, si l'on veut, surtout extérieurs, sont nécessaires "parce que nous sommes faits pour vivre en société". Par un sentiment de dignité humaine, d'honneur, avons-nous dit, nous nous devons mutuellement l'affabilité. L'homme qui ne peut vivre en société sans la confiance mutuelle, ne le peut pas davantage sans la joie, l'agrément des rapports. Comme le dit le Philosophe : "Vous ne demeurerez pas un jour avec un homme morose. L'homme est donc tenu par une espèce de dette d'honneur de vivre agréablement avec ses semblables."

La courtoisie est une justice. Elle n'a pas sans doute le caractère d'une dette dont la loi pourrait exiger le paiement, mais c'est une obligation d'honneur que saisit parfaitement l'homme vertueux, à savoir : faire au prochain ce qu'il est convenable qu'il lui fasse."

C'est aussi de la vertu que de savoir plaisanter, jouer gracieusement pour reposer ou récréer ses compagnons. "Le jeu est nécessaire à la vie humaine." Tout ce qui est contre la raison est coupable. Or, il est tout à fait déraisonnable de se rendre à charge aux autres, par exemple lorsqu'on ne leur apporte jamais rien d'agréable ou bien qu'on empêche leur récréation. Comporte-toi avec une telle sagesse, dit Sénèque, que personne ne te tienne pour un homme âpre ou ne te méprise comme un barbare. "Qui ne joue jamais, qui ne plaisante jamais, c'est un homme désagréable ; il n'est pas vertueux et nous dirons, avec Aristote, que c'est un rustre dont la place n'est pas avec les civilisés."

La courtoisie n'est que pour l'agrément de la vie, mais on veut de nous davantage. On nous demande d'être chevaleresques. C'est une prescription qui va très loin.

Etre prêt, voilà donc la devise et comme l'attitude du Scout. "Soyons prêts, nous dit Saint Thomas, à faire ceci ou cela, selon l'opportunité. Or, il y a tel événement qui peut survenir, qui demandera de nous, au jugement de notre raison, un acte de vertu héroïque, comme par exemple le martyre qui consiste à supporter comme il le faut des épreuves infligées injustement."

C'est comme un grand courant d'air qui passe dans une âme de jeune homme, on le sent, avec de telles perspectives, et qui balaye les petites préoccupations, les petits intérêts, les petits projets vulgaires. Accepter la mort s'il le faut pour une noble cause, l'envisager d'un coeur ferme plutôt que de se résigner à la victoire du mal, voilà, je crois, ce que c'est que d'être un Chevalier.

Nos Scouts sont-ils suffisamment dans cet état d'esprit ? Il y aurait lieu de leur expliquer les admirables pages de Saint Thomas sur la vertu cardinale de force, de leur signaler la double attitude d'une âme vraiment puissante: attaquer, tenir. Qu'on veuille bien y recourir. On y trouvera une plénitude d'où n'approche aucun professeur moderne d'énergie.

Si commenter ici tout ce que dit Saint Thomas sur la vertu de force nous entraînerait trop loin, il y a lieu cependant de signaler une vertu qu'il rattache à la force et qui est la caractéristique même d'un Chevalier : la magnanimité.

C'est la tendance vertueuse à s'honorer en faisant de grandes choses. Une âme magnanime tend naturellement aux grands rôles. Voyez un Guynemer : sa vocation est de se battre et de triompher dans les airs, il la suivra avec une volonté implacable et terrible. Le reste ne l'intéresse pas. Il fut si authentique descendant des preux d'autrefois qu'on l'a appelé le chevalier de l'air. Quand, jadis, le jeune homme s'était affirmé par ses promesses digne de recevoir l'ordre de chevalerie, alors seulement son père décidait de "l'adouber". Ainsi ferons-nous : quand notre Scout sera capable de belles actions, il fera sa Promesse,

Un chevalier se sent digne des grands rôles, son âme y est prête, mais s'il ne les atteint point, si l'occasion ne lui est donnée que de petites B.A., c'est égal, il est content. Il pense que Jésus n'était pas moins grand quand il sciait des poutres que lorsqu'il sauvait le monde. Il fait grandement de petites choses.

Nous l'avons déjà dit, l'honneur est au-dessus de nos convictions sociales. C'est une affaire d'âme. Qu'on soit ouvrier ou chef d'État, qu'importe ? "Il a des Saints qui ont fait des actions plus héroïques que les Apôtres, mais les Apôtres sont cependant les plus grands parce qu'ils avaient le cœur : habebant cor." On peut avoir une âme chevaleresque et n'être qu'un petit Scout que l'on dédaigne. Les jugements des hommes sont courts, mais la vertu, c'est Dieu même qui l'apprécie et l'honore. Celui qui le sait ne sera pas tenté de se glorifier de ses succès, mais tout simplement de faire tout le bien qu'il peut à la place qu'il occupe : qui donc est grand devant Dieu ? Il ne sera pas non plus abattu par l'échec et l'humiliation. Son coeur était droit et Dieu voit le cœur ; tout est bien. Il a dédaigné les honneurs des hommes, de même dédaigne-t-il leurs critiques, du moins en ce qu'elles ont de passionné ou d'injuste.

Campons devant notre regard les portraits des chevaliers nos modèles, ceux qui, au Camp National, donnaient leur nom à chacun des quatre clans : Roland, Du Guesclin, Bayard, Maud'huy. Comment nous apparaissent-ils ? Quels seraient à les contempler les traits du chevalier idéal ?

Nous ne l'imaginons point, certes, agité, bavard, à la voix criarde. Mais, au contraire, fort grave, quoique sans contrainte, et de parole posée. Il est homme aux amours généreux, aux sentiments puissants : ses affaires se traitent attentivement. Les soucis qui font qu'on s'empresse et qu'on s'agite ne le troublent pas.

Il paraît oisif et lent à l'action ‑ comme le chef scout nous le disait du maréchal Gallieni ‑ mais c'est parce qu'il ne se mêle pas de tout et qu'il se réserve pour ce qui est de son domaine, à son niveau, c'est-à-dire les soucis d'intérêt général.

Il déteste l'adulation, la fourberie, tout ce qui prouve de l'étroitesse d'âme ; il n'en est pas moins cordial pour tous, grands et petits, dans la mesure convenable. S'il ne remercie qu'avec discrétion qui lui rend service, c'est qu'il attend de pouvoir prouver sa reconnaissance par des bienfaits plus grands.

Ce n'est pas lui, enfin, qui poursuit âprement son intérêt ; on dirait, au contraire, qu'il recherche ce qui n'est utile à personne. Entre l'agréable, l'utile et le bien, le vrai bien, c'est-à-dire l'épanouissement de la vie supérieure, il n'hésite point, il choisit le bien : honestum, ce qui est une fin en soi, ce qu'on ne recherche pas pour avoir autre chose. Et c'est ce que bien peu comprennent. L'utile n'est utile qu'à celui qui manque et la grandeur d'âme, autant que l'humanité le permet, veut se suffire à elle-même.

Ainsi Saint Thomas voyait-il les héros ! C'étaient des hommes qui étaient grands, qui dépassaient les autres parce qu'ils ne cherchaient dans la vie que l'honneur, l'honneur véritable, celui d'une vie vertueuse. Parce que les hommes vulgaires agissaient ordinairement par intérêt et par passion, rarement par amour désintéressé du bien, de tels hommes lui paraissaient des exceptions, qui vivaient sur un plan supérieur, et il nous parle de "l'altitude de la vertu", comparant ainsi l'homme vertueux à une montagne qui domine la plaine et qui règne sur tout le pays.

Un Scout, à qui le Pape donne pour programme d'être un entraîneur, une pointe d'avant-garde de l'armée catholique, ne peut évidemment se tenir au niveau commun. Bien loin d'avoir une vie languissante et désordonnée, il est débordant d'ardeur : si l'obstacle s'oppose injustement, plus grande est sa colère, si l'ennemi est fort, son courage s'exalte ; si le vice est effronté, il s'indigne et combat. Il se plaît dans la lutte parce que c'est le temps des belles actions et que serait la vie d'un Scout sans de belles actions ?

"Il sera bienfaisant, juste, véridique, patient dans les épreuves, non pas précisément par culte de ces vertus particulières, mais parce qu'il est d'une grande âme de rendre plus qu'elle n'a reçu, parce qu'il est honteux d'attacher tant d'importance aux biens et aux maux de la vie qu'on veuille à cause d'eux s'écarter de la justice, aux inconvénients que la vérité comporte parfois qu'on en devienne menteur, aux souffrances physiques qu'on gémisse et qu'on succombe. La magnanimité chevaleresque ne se confond pas avec les autres vertus qui ont toute leur beauté propre, mais elle y excelle, les couronne et les rend plus grandes."

Deux conditions semblent s'imposer d'une manière toute spéciale à qui veut devenir chevalier. La première est la confiance. "On entend par là non pas la foi en la promesse ou les paroles d'autrui, mais une espérance ferme fondée sur ce que l'on sait d'autrui ou de soi-même.

Ainsi un homme a confiance de vivre longtemps s'il se voit de constitution solide ; d'être secouru par quelqu'un de puissant s'il est son ami. Or, le chevalier est destiné aux grands rôles difficiles qui exigent les grands espoirs."

Espoir en soi, une grande âme se cachant à hauteur des grandes choses; espoir en autrui qu'on saura entraîner dans l'action. En autrui, car si on a dit que le magnanime n'a besoin de personne, il ne faut pas l'entendre d'une façon antihumaine. Personne, hormis le Créateur, ne se suffit. L'homme ne peut se passer de l'homme et encore moins de Dieu. Mais il est de sa grandeur même d'avoir à sa portée tout ce qui lui est indispensable. Elle fait de lui un centre de convergence qui lui concilie Dieu et les hommes.

On entend bien de quelle confiance il s'agit ici. N'allons pas entretenir nos jeunes gens dans une complaisance orgueilleuse à laquelle ils ne sont que trop portés et rappelons-leur à propos que "dans tout homme il y a quelque chose de grand qui est un don de Dieu, et il y a des défauts, des failles qui sont l'oeuvre de sa nature infirme. La magnanimité nous invite à estimer les ressources que Dieu a mises en nous et à les utiliser, par exemple : force, science, richesse. L'humilité nous invite à nous mépriser en considérant nos vilenies et nos sottises. Une juste magnanimité n'exclut donc point une prudente humilité, quoi qu'il en paraisse à première vue. Les points de vue sont différents et se complètent."

La seconde condition est la sécurité, c'est-à-dire qu'un chevalier ne s'abandonne pas aux hésitations que provoque la peur.

C'est évidemment, une sécurité relative qui doit, pour être louable, tenir compte de notre fragilité humaine : mais trop redouter l'hostilité des gens et des choses n'est pas vertueux. Un fort serait capable de vaincre.

"Chaque jour, dit Lyautey, apporte son contingent de mauvaises nouvelles, de choses qui craquent et ne se font pas. Eh bien ! cela même devient un besoin. Le souci et la préoccupation sont les condiments indispensables de l'action, la sainte, la divine action dont on ne doit plus pouvoir se passer!"

Tout ceci est bien beau. Pourquoi ne serait-ce qu'un noble rêve ? Sachons communiquer à nos Scouts de tels sentiments; la saine ivresse qu'ils donnent est un prélude de la vie éternelle. Une fleur, c'est un fruit en espérance. "Ainsi, ajoute Saint Thomas, nos vertus sont-elles une image, une participation de notre future béatitude. Cette sécurité, dont nous disons qu'elle est la condition d'une âme chevaleresque, nous apporte déjà une grande joie; mais la récompense de la vertu, ce sera la sécurité immuable et parfaite."

Aux âmes vulgaires, les joies communes; à nos grandes âmes scoutes le bonheur exaltant de la vie divine commencée. "Un acte de vertu ou bien nous perfectionne, et c'est un progrès vers la béatitude, ou bien nous remplit d'une joie savoureuse, et c'est ce que Saint Paul appelle un fruit du Saint‑Esprit." A un bonheur si rare, nos chers Scouts ne sauraient trop livrer leurs âmes.

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