Compatir

De Salve Regina

Vie spirituelle
Auteur : Apostolus
Source : In La Vie Spirituelle n° 210

Difficulté de lecture : ♦ Facile

Il y a dans l'Évangile un anathème d'un poids singulier et qui nous renseigne à souhait sur la vertu telle que Jésus la conçoit. Il me semble que je ne l'ai guère entendu dans les sermons ou les conférences spirituelles. En tout cas il n'est pas de ces paroles évangéliques que tous se rappellent et citent le plus volontiers.

Et cependant, il n'est pas permis de douter qu'il compte parmi les textes essentiels et que, si nous avions soin de nous en inspirer exactement, nous rejoindrions dans le coeur de Jésus un sentiment capital. Nos rapports avec le prochain en seraient transfigurés et notre conduite témoignerait à tous que nous sommes de vrais disciples de Jésus.

« Malheur à vous, Scribes et Pharisiens hypocrites, qui négligez les points les plus graves de la loi, la justice, la miséricorde et la bonne foi » (Mt., XXIII, 23).

A première vue, il semblerait que des trois vertus que Notre-Seigneur nous propose ici comme les plus indispensables, ce soit la justice qui revendique le premier rang. Nous nous tromperions en le pensant. C'est la miséricorde qui vient en tête de ligne. Saint Thomas nous l'affirme expressément. Il va même jusqu'à nous dire que « la religion chrétienne se résume dans la miséri­corde » (IIa-IIae, q. 30, a. 4), et que la miséricorde est l'acte le plus haut de la charité envers le prochain (a. 4 c).

Savons-nous jusqu'où va ce devoir de compassion ? Nous savons compatir à une épreuve d'ordre temporel. Nous nous apitoyons devant une maladie, devant un re­vers de fortune, mais nous sommes assez peu habitués à compatir aux misères d'ordre moral ou spirituel. La misère morale nous trouve durs et fermés.

Devant les défauts des autres, nous oublions facile­ment notre propre misère ; nous tombons dans une suffisance, dans une morgue plus ou moins accentuée. Nous regardons de haut les défaillances de notre prochain, comme si nous étions d'une autre espèce que lui. Nous jugeons et nous réprouvons, comme si nous étions d'une vertu parfaite, comme si nous n'étions jamais tombés dans le moindre désordre, comme si nous n'avions jamais éprouvé la honte de toute sorte de tenta­tions. Nous usons, pour incriminer nos frères en humanité, d'une sévérité que nous sommes loin d'employer lorsque nous sommes en cause. Nous sommes froissés, comme s'il s'agissait de gestes qui n'ont jamais été nôtres.

Quelle fatuité et quel aveuglement de l'orgueil ! Au fait, nous sommes incapables de compatir fraternellement, parce que nous nous berçons d'invraisemblables illusions sur nous-mêmes. Nous oublions que nous fra­ternisons dans le péché originel et dans ses lamentables conséquences, que nous sommes frères de misère.

Nous souffrons surtout de ce qui nous gêne ou nous dérange dans les insuffisances, dans les petitesses, dans les désordres plus ou moins choquants de nos frères.

Nous ne souffrons pas que l'homme ne glorifie point Dieu comme il le devrait, qu'il s'amuse à ternir ou même à éteindre le reflet de Dieu en son âme. Nous ne portons pas nos regards si haut !

Nous souffrons plutôt parce que notre égoïsme est contrarié, parce que nous ne sommes pas secondés à nous rechercher nous-mêmes et à jouir petitement ou coupablement de la vie et des choses.

Cependant, devant toute déficience humaine, surtout si elle est d'ordre moral, nous devrions être pénétrés d'attendrissement, d'humble pitié, comme nous le sommes assez spontanément devant une maladie ou devant un malheur quelconque.

En face d'une faute, devant n'importe quelle pauvreté d'âme ou de vertu, devant quelque indigence que ce soit, le sentiment qui d'abord devrait s'éveiller, c'est une humble compassion spirituelle. Elle jaillirait d'elle-même si nous ne perdions jamais de vue ce que la foi nous enseigne sur le mal et sur ses causes; si nous n'oublions point l'humaine et surnaturelle fraternité qui nous relie tous; si nous nous étions purifiés de toute hypocrisie, pour pratiquer une humilité loyale ; si nous étions dominés par la volonté d'être bons et secourables.

Sans une telle compassion,, il n'est pas de charité sincère ; sans elle, la bienfaisance spirituelle est nulle ou bien diminuée; sans elle, nous manquerons de sérénité et d'équité dans les jugements que nous portons sur notre prochain ; sans elle, nous manquerons de bonne foi.

La compassion est la première aumône qu'il faut don­ner. C'est elle qui ouvre les âmes et force la confiance. Aussi est-elle le secret des influences profondes. « Faisons autant que nous voulons, dit saint Vincent de Paul, on ne croira pas à nous si nous ne montrons amour et compassion, à ceux que nous voulons qu'ils croient d'abord à nous. » C'est que saint Vincent de Paul avait retenu que Jésus, notre divin Modèle, est d'abord le compatissant. La parole que l'on a le mieux aimée dans l'Évangile, n'est-elle pas celle-ci : « Venez à moi, vous tous qui peinez et fléchissez sous un fardeau et je vous soulagerai » ?

Jésus frappe de sa réprobation la plus cinglante ceux qui ne voient que l'obligation, ceux qui croient servir la cause de Dieu en alourdissant tous les fardeaux, ceux qui sont partisans d'un froid « légalisme », d'une casuistique sans coeur, ceux qui ne songent qu'à enchaîner les volontés. C'est le goût de la liberté spirituelle qu'il faudrait donner aux âmes. C'est à la douceur et à la noble fécondité du don de soi qu'il conviendrait de les initier. C'est une soumission joyeuse aux divines lois de, la vie qu'il serait utile de leur apprendre. Mais com­ment réussir si l'on ne compatit d'abord et profondé­ment à toutes les misères humaines et si l'on ne sympa­thise fraternellement avec ce qui reste toujours de bonté et des ressources morales dans l'homme ?

La compassion dictera aussi à nos conseils la sagesse et la mesure, sans lesquelles nous nous exposons à blesser davantage au lieu de guérir. C'est un art des plus délicats que celui de conseiller et de réprimander. Trop facilement nous le pratiquons, sans assez respecter tous les droits de la vérité et de la charité. Trop souvent aussi nous ne réussissons pas à nous taire, quand seuls un reproche muet et l'exemple de notre vie provoqueraient à de meilleurs sentiments ceux dont là conduite est répréhensible. Si notre premier mouvement était de compatir, il nous serait plus aisé d'échapper à tous ces excès. Et nous nous garderions de ce « zèle amer » que saint Jacques a flétri si vigoureusement et qui est si déloyal à l'égard de Dieu, à l'égard à nous-mêmes et à l'égard de notre prochain.

« Une pareille sagesse ne descend point d'en haut ; elle est charnelle, terrestre, diabolique. La sagesse d'en haut est premièrement pure, ensuite pacifique, condescendante, traitable, pleine de miséricorde et de bons fruits, sans partialité, sans hypocrisie » (Jac., III, 14 et sq.). Ces paroles si nettes de saint Jacques font écho à l'anathème que Jésus a lancé contre les hypocrites qui durcissent leur cœur et leurs paroles au lieu de s'atten­drir fraternellement sur les misères du prochain, au rang desquelles se trouve le péché.

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