De la présence de Dieu

De Salve Regina

Dieu
Auteur : P. Emmanuel
Date de publication originale : 1886

Difficulté de lecture : ♦♦♦ Difficile
Remarque particulière : Préface de Dom Bernard Maréchaux O.S.B.

De la présence de Dieu

Ambula coram me et esto perfectus

Marche en ma présence et sois parfait (Gen 17/1)

 

Memor fui Dei et delectatus sum

Je me suis souvenu de Dieu et j’ai été réjoui (Ps 76/4)

 

 

Un mot de Préface

Nous sommes heureux d’offrir aux personnes pieuses ce lumineux et savoureux traité De la présence de Dieu, écrit par le père Emmanuel dans les circonstances que nous allons dire.

Il s’était rendu en Italie pour sceller son agrégation à la branche olivétaine de l’Ordre de saint Benoît. C’était en mai 1886.

Le père abbé du monastère où il habitait dans les environs de Florence lui demanda quelques pages de pieuses méditations sur le saint et si essentiel exercice de la présence de Dieu.

Le père Emmanuel se recueillit, pria, rassembla les idées qui lui étaient familières ; puis, tout d’un trait, de sa belle et ferme écriture, il écrivit le traité qu’on va lire. Il coula de sa plume comme un fleuve d’eau vive. Il n’y a pas plus de dix ratures ou surcharges dans le manuscrit.

Nous voyons encore la cellule modeste qu’il occupait, à un angle du bâtiment du noviciat. De la fenêtre on découvrait un horizon vraiment merveilleux : c’était une vaste plaine plantée de vignes et d’oliviers, de figuiers et d’orangers, cerclée de belles collines, au milieu de laquelle s’étalait Florence, la blanche cité de la poésie et des arts. Florence avec son dôme colossal, avec le beffroi superbe du Palazzo Vecchio, avec le gracieux campanile de Giotto… Ce spectacle était enchanteur au premier chef. Mais un autre spectacle ravissait intérieurement l’âme du père et lui faisait oublier celui-là. Des yeux illuminés de son coeur, il contemplait Dieu, il suivait avec un sentiment de profonde adoration les actes de la vie divine, il se voyait lui-même perdu dans la divine présence comme le grain de poussière dans un rayon de soleil.

Nous ne relèverons point, par de vaines louanges, la haute spiritualité contenue en ces pages sous une forme si brève. Nous nous contenterons d’une observation. Le père Emmanuel ne considère pas Dieu seulement comme présent partout, mais comme agissant partout ; il nous fait adorer, dans la présence de Dieu, les actes, soit immanents de la vie divine, à savoir la génération du Verbe et la procession du Saint-Esprit, soit extérieurs à Dieu tout en venant de Dieu, tels que le gouvernement du monde et les rétributions finales. C’est là, si nous ne nous trompons, le caractère original de son traité.

Écrit pour des moines, il contient des allusions monastiques ; mais il n’y a rien au fond de ces méditations qui ne soit applicable à toute âme chrétienne. L’Imitation de Jésus-Christ a été, elle aussi, composée par un moine et pour des moines ; et tout chrétien en fait son profit. La vie religieuse et la vie chrétienne ne sont pas deux vies, mais une seule et même vie, fondée sur l’Évangile ; car l’une et l’autre tendent par des moyens similaires à la perfection de la charité.

Dom Bernard Maréchaux O.S.B.

 

Introduction

 

Notre bienheureux père saint Benoît, que tant de fois l’on a comparé au patriarche Abraham, comme lui marcha devant Dieu et fut parfait. Ambula coram me, et esto perfectus (Gn 18/1).

Aussi, connaissant tous les avantages de l’exercice de la sainte présence de Dieu, il nous le recommande avec insistance dans la Sainte Règle, non seulement comme un moyen très puissant de sanctification, mais comme un devoir nécessaire basé sur la vérité de la présence de Dieu, et en même temps sur l’obligation où nous sommes de rendre à notre Créateur l’hommage de notre attention.

Au chapitre IV de la Règle, Des instruments des bonnes oeuvres, il nous dit que : « Il faut savoir et tenir pour certain que Dieu nous regarde en tout lieu. » Au chapitre VII, De l’humilité, il nous écrit ces solennels avertissements : « Que l’homme sache que toujours il est vu par Dieu du haut du ciel, que ses actions en tout lieu sont exposées aux regards de la divinité, et qu’à toute heure elles sont rapportées à Dieu par les anges. » Et plus bas : « Croyons, dit-il, que Dieu est toujours présent. »

Ainsi, à tout instant et en tout lieu, nous devons, selon saint Benoît, marcher en la présence de Dieu. Et, comme si cela ne suffisait pas, notre bienheureux Père nous inculque avec plus d’insistance encore la même vérité et le même devoir quand arrive l’heure de l’office divin. Il dit : « Nous croyons que la présence divine est partout et qu’en tout lieu les yeux du Seigneur observent les bons et les méchants : mais il faut le croire surtout sans la moindre hésitation quand nous assistons à l’office divin… Donc considérons de quelle manière il convient de nous tenir en la présence de Dieu et de ses anges. » (Reg cap. 19)

Le devoir de l’attention à la présence de Dieu n’est point affaire d’imagination, mais de foi. Il est fondé sur la vérité : vérité de l’Être de Dieu, vérité de l’immensité de Dieu, vérité de ses infinies perfections, vérité de son amour pour nous ; et en même temps vérité de notre dépendance vis-à-vis de lui et vérité du bien que nous trouvons en sa sainte et adorable présence.

Donc marchons en la présence de Dieu, et nous deviendrons parfaits. Dieu lui-même l’enseigna à Abraham, le père des croyants. Saint Benoît l’enseigne lui-même à ses enfants : c’est donc pour nous un devoir sacré, mais aussi un devoir bien doux, puisqu’il nous mène à la perfection.

Les quelques considérations qui suivent tendent à nous faciliter ce devoir, en nous montrant comment Dieu est en action vis-à-vis de nous, et comment nous devons nous mettre en action vis-à-vis de lui ; de cette manière nous marcherons véritablement en sa présence.

Que Dieu nous en fasse la grâce !

 

Invocation à la Très Sainte Vierge Marie

 

Ave Maria !

Très Sainte et Immaculée Vierge, auguste Reine des anges et des hommes, Mère de Dieu, Mère de tous les enfants de Dieu, très douce Patronne de notre famille monastique, nous sommes à vos pieds.

Nous vous demandons un regard de vos yeux, un sourire de vos lèvres, un acte d’amour de votre coeur.

Enseignez-nous à connaître Dieu, le bon Dieu ; Dieu votre Créateur et notre Créateur ; Dieu votre Père et notre Père ; Dieu que vous aimez et que nous voulons aimer ; Dieu en présence duquel vous avez vécu et dans la vue duquel vous vivez et vivrez éternellement ; Dieu en présence duquel nous voulons marcher ici-bas et avec lequel nous voulons demeurer éternellement.

Ô Vierge, ô Mère, ô Reine, écoutez notre humble supplication et obtenez-nous la lumière qui éclaire nos âmes, la grâce qui les conduise, la charité qui les vivifie.

Ô Vierge, c’est en vous que Dieu a déposé ses dons les plus magnifiques ; ô Mère, c’est par vous que nous a été donné Jésus ; ô Reine, c’est en vous que le Saint-Esprit s’est reposé avec le plus de complaisance, en vous qu’il a opéré ses plus grandes merveilles : daignez nous obtenir qu’il vienne en nous et qu’il y opère selon ses grandes miséricordes et nos pressants besoins. Dites à Jésus que nous manquons de tout, et à votre prière il nous donnera tout. Obtenez-nous du Père des lumières la grâce de comprendre le doux mystère de sa présence en nous et la grâce de vivre en cette sainte et adorable présence tous les jours de notre vie, et mieux encore dans l’éternité.

Nos cum prole pia benedicat Virgo Maria.

 

Première considération : Dieu EST

Moïse, l’homme de Dieu, demanda au Seigneur de quel nom il devrait l’appeler pour faire part de ses ordres aux enfants d’Israël ; et Dieu, répondant à son humble demande, lui dit : Je SUIS. (Ex 3/14)

C’est le nom que Dieu lui-même s’est donné ; et, quand Moïse voulut traduire ce nom divin et le faire passer dans le langage humain, il le tourna de la première personne à la troisième et dit : Il EST.

Qui est misit me ad vos. (Ex 3/14)

Il EST : C’est son nom.

Il est, sans que rien jamais ait limité la grandeur, l’immensité de son être. Dans l’impuissance où nous sommes d’embrasser une si grande plénitude, nous disons : Il a été, il est, il sera. Nous, hommes d’un instant, nous jetons un coup d’oeil sur les temps qui nous ont précédés et nous disons : Dieu a été avant tous les temps. Dans le présent où nous sommes, nous disons de Dieu : Il est. Et, quand nous regardons dans ce qui sera pour nous l’avenir, nous disons : Il sera.

Mais ce langage est la preuve de notre faiblesse, la conviction de notre petitesse. Ce que nous appelons passé, présent et avenir, tout cela n’est, vis-à-vis de Dieu, qu’un langage imparfait, du tout inférieur à la majesté incomparable de Celui qui, dominant tous les temps dont il est le créateur, dit de lui-même : Je SUIS.

Avant tous les temps, Dieu est ; dans tous les temps, Dieu est ; et, quand l’ange du dernier jour aura crié le mot solennel : Il n’y aura plus de temps, Tempus non erit amplius (Ap 10/6), Dieu est !

Job avait compris cette vérité capitale et il la confessa en y ajoutant un petit mot, pour nous très instructif. Moïse avait dit de Dieu : Il est. Job, de son côté, s’écrie : Lui seul, il est, Ipse solus est ! (Jb 23/13)

Dieu est, et il est un : seul il possède l’être dans toute sa plénitude, dans toute sa perfection, dans toute sa grandeur. Il ne l’a pas reçu ; il l’a : nul ne saurait le lui ravir. Mais quelle merveille ! Dieu peut donner l’être, sans rien perdre de ce qu’il est. Et en effet il l’a donné à ses créatures. Elles sont, il est vrai, mais par lui ; elles sont ce qu’il les a faites. Elles lui doivent tout, mais lui ne doit rien à personne.

L’être de la créature est donc bien petit devant l’être de Dieu : et la Sainte Écriture nous enseigne qu’en face de lui toutes les créatures ne sont que comme un néant. Omnes gentes quasi non sint, sic sunt coram eo, et quasi nihilum et inane reputatæ sunt ei (Is 40/17).

C’est la pensée même de Job : Lui seul, il est.

Il est, et il est un, comme l’enseigne encore Moïse dans ces solennelles paroles : Écoute, Israël, le Seigneur notre Dieu, le Seigneur est un (Dt 6/4).

 

Pratique

 

Il faut nous étudier à connaître, à reconnaître, à glorifier et à adorer l’être de Dieu.

Il est : c’est son nom. Et à ce nom nous répondons quand, dans la lumière de la foi, nous disons : Credo in Deum.

Lui seul il est ; et nous adorons cette grande et sublime vérité quand à la messe nous chantons : Credo in unum Deum !

Disons donc bien notre Credo.

 

 

Deuxième considération : Dieu est son bien

L’être de Dieu lui suffit pour son bien, sa gloire, sa joie, son bonheur.

Dieu est tellement riche en son être qu’il trouve lui-même ou, mieux, qu’il est lui-même tout son bien.

« Tu es mon Dieu, lui dit notre Psaume, parce que tu n’as pas besoin de mes biens ». (Ps 15/2)

Son être est lumière et amour, science et félicité ; et tout ce qu’il est, il l’est de lui-même.

La créature peut arriver à quelque lumière, mais elle n’est pas la lumière ; elle peut posséder quelque science, mais elle n’est pas la science ; elle peut arriver à quelque félicité, mais elle n’est pas la félicité même. Ces biens sont des perfections surajoutées à l’être de la créature : en Dieu, toutes ces perfections sont l’être même de Dieu.

Il est lui-même sa lumière, et son amour, et sa béatitude : et ceci nous aide à connaître les richesses de Dieu, la grandeur de son être, l’abîme de ses perfections.

Et autant nous reconnaissons les richesses de l’être de Dieu, autant nous devons en même temps reconnaître l’indigence de la créature, c’est-à-dire notre propre indigence.

Nous avons l’être, mais nous l’avons reçu ; nous devons arriver à une certaine mesure de perfection, mais nous n’y parviendrons qu’avec l’aide de Dieu ; nous sommes appelés à l’éternelle félicité, mais nous y serons conduits par la main de Dieu ; et, quand nous serons au ciel, nous y chanterons avec saint Paul : « La vie éternelle est une grâce de Dieu, Gratia Dei vita æterna. » (Rm 6/23)

 

Pratique

 

Il nous faut ici poser la base de la vertu d’humilité, laquelle n’est autre que la connaissance de la vérité.

Nous n’avons rien que nous n’ayons reçu de Dieu ; et dès lors ne serions-nous pas des insensés si nous voulions nous glorifier de quelque chose ?

Tout orgueil est mensonge, tout orgueil est ignorance : il faut comprendre cela, et le comprendre d’une manière pratique.

Pour nous[1], la chose est facile : car, si l’orgueil chante sa propre gloire, nous, nous chantons plus de cent fois le jour : Gloire au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit !

Chantons cela dans la vérité ; et l’orgueil n’aura point d’accès dans nos coeurs.

Heureux les moines qui disent bien : Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto !

 

 

Troisième considération : Dieu est notre Bien

Le Bien, disent les philosophes, c’est ce que désirent toutes choses. Bonum est id quod appetunt omnia.

Or Dieu, étant le souverain Bien, est le bien de toutes ses créatures. Il est donc à la fois et son bien à lui, et notre bien à nous.

Or, bon comme il est, il nous a créés pour le bien, il nous a créés pour lui-même.

Et nous avons besoin de lui ; sans lui, il n’y a pas de bien pour nous.

Aussi trouvons-nous en nous une faim de bonheur qu’il lui a plu de nous donner et que lui seul peut satisfaire.

Que pourrions-nous chercher, que pourrions-nous trouver hors de lui ? Toutes les créatures sont impuissantes à nous rendre heureux ; lui seul est assez grand, lui seul est assez bon pour répondre aux besoins de notre âme.

Aussi bien, lui seul est plus grand qu’une âme[2], lui seul peut rendre une âme heureuse.

N’allons donc pas mendier auprès des créatures aussi indigentes que nous.

Elles n’ont rien à nous donner, et nous ne devons rien leur demander, sinon de chercher avec nous l’unique Bien, le souverain Bien, notre vrai Bien.

C’est pour cela que Salomon, alors qu’il était sage, a prononcé cette sentence : Tout est vanité (Eccl 1/2). Comme s’il eût dit : Ames que Dieu a créées pour lui, souvenez-vous qu’en dehors de lui il n’y a rien pour vous. Et l’Imitation répète la maxime du sage d’Israël, en y ajoutant le mot qui fait l’allégresse et la joie des enfants de Dieu ; l’Imitation dit : « Tout est vanité, excepté aimer Dieu et le servir lui seul. Omnia vanitas præter amare Deum et servire illi soli. » (Lib I.C. I n° 3)

Dieu est pour nous un bien que lui seul peut nous donner, mais que rien au monde ne peut nous ôter si nous le voulons de tout notre coeur.

Oh ! alors, nous sommes riches, vraiment riches ; notre fortune est assurée, et si nous sommes fidèles à Dieu, Dieu nous est et nous sera à tout jamais fidèle.

Avec un tel bien, que nous sommes bien !

 

Pratique

 

De cette considération, nous tirerons deux pratiques de la plus haute importance.

La première sera de nous réjouir en disant ou en chantant ces mots du symbole : Vitam æternam. Amen ! Mais, en attendant la vie éternelle, il faut pratiquer les actes de l’espérance chrétienne. Nous les trouverons souvent dans les psaumes et surtout à la fin du Te Deum : In te Domine, speravi, non confundar in æternum[3].

La seconde pratique, à laquelle il faudra nous accoutumer, s’appelle les actes de renoncement[4]. Le premier renoncement est celui du baptême : là, nous avons renoncé à Satan, à ses oeuvres et à ses pompes. Il faut de temps en temps renouveler ces renoncements sacrés du baptême.

Les profès ont fait de nouveaux renoncements à la profession, et rien n’est plus salutaire que de renouveler ses voeux ; mais, à dire vrai, les renoncements que nous avons en vue sont chose moins solennelle et cependant très utile. En voici quelques exemples. L’heure est venue de se lever, renonçons au lit, au sommeil. L’heure d’un exercice nous appelle : renonçons à tout, même à lire un mot, à écrire une lettre, à tarder une seconde. Nous sommes à table : renonçons à l’avance au plaisir sensible du boire et du manger. Il se fait quelque bruit, ici ou là : renonçons à y regarder. Il y a dans une journée mille occasions de pratiquer ces petits renoncements ; il est bon de les faire pour mortifier les sens : mais nous pourrons les faire pour un motif plus élevé, et dès lors ils deviendront plus faciles et plus agréables. Faisons-les pour Dieu, pour Dieu notre vrai, notre seul Bien. Disons-nous à nous-mêmes : Ceci, cela n’est pas Dieu, j’y renonce, j’aime mieux le bon Dieu. O mon Dieu, vous êtes mon seul Bien ; je renonce à tout, excepté à vous qui êtes mon tout.

« Que Dieu est bon !... Qu’y a-t-il pour moi dans le ciel, et en dehors de vous qu’ai-je voulu sur la terre ? Dieu de mon coeur, vous êtes mon partage pour toujours. Ceux qui s’éloignent de vous périront : pour moi, il m’est bon de m’attacher à Dieu, de placer dans le Seigneur Dieu mon espérance ». (Ps 72/25-28)

 

 

Quatrième considération : Dieu est notre premier principe et notre fin dernière

Nous venons de Dieu, il est notre premier principe et il est notre père. Nous allons à Dieu, il est notre fin dernière, et il nous appelle à lui, comme une mère très aimante attend l’arrivée d’un fils très aimé, qu’elle souhaite d’embrasser après une longue absence. Dieu a pour nous des tendresses plus que maternelles. Miserebitur tui magis quam mater. (Eccl 4/11)

Or il faut considérer que, venant de Dieu, nous ne sommes nullement éloignés de lui. « Il n'est pas loin de chacun de nous, dit saint Paul, Non longe est ab unoquoque nostrum » (Ac 17/27). En effet, quand Dieu, à un certain moment du temps, à un certain lieu de l’espace, nous a tirés du néant et nous a appelés à l’existence, lui qui remplit tous les temps sans y être renfermé, lui qui occupe tout l’espace et qui le dépasse de tout, il nous a créés en lui-même et non hors de lui[5]. Saint Paul nous le dit clairement dans les paroles qui suivent celles que nous venons de citer : « Il n'est pas loin de nous, dit-il, car c'est en lui que nous avons la vie, et le mouvement, et l'être, in ipso enim vivimus, et movemur et sumus .» (Ac 17/28). Douce et lumineuse pensée ! Nous sommes, mais en Dieu, notre créateur et notre premier principe ; nous nous mouvons, mais en ce grand Dieu qui nous embrasse de son être infini comme de son éternel amour ; nous vivons, mais nous ne sortons pas de la source de vie. Apud te est fons vitæ. (Ps 35/10)

Souvent, pour exprimer une situation heureuse, on emploie la comparaison du poisson dans l’eau : combien plus heureuse est la situation de l’enfant de Dieu en Dieu ! Le Saint-Esprit nous l’enseigne dans le Psaume même que nous venons de citer. « Les fils des hommes espéreront à l’ombre de vos ailes ; ils seront enivrés par l’abondance de votre maison, et vous les abreuverez d’un torrent de votre volupté, parce qu’auprès de vous il y a une fontaine de vie » (Jb 1/10)

Saint Jean nous dit que Notre-Seigneur est le Fils unique, et qu’il demeure au sein du Père : Unigenitus qui est in sinu Patris (Jn 1/18). Nous, les enfants adoptifs du Père qui est dans les cieux, nous aussi, nous sommes au sein du Père, In sinu Patris. Et là nous sommes bien et d’autant mieux que, selon le mot de Tertullien, nul n’est père, et dès lors nul n’est aimant autant que Dieu : Tam Pater nemo.

 

C’est donc là que, venant de Dieu, nous sommes doucement portés pour aller à Dieu, notre fin dernière. L’auteur de l’Imitation dit à ce sujet : « Il chevauche assez suavement celui que porte la grâce de Dieu, (l. II, ch. IX, n° 1). Et certains exemplaires ajoutent : « Il nage assez bien, celui à qui Dieu soutient la tête. » Ceci nous rappelle le poisson dans l’eau.

La vie est un voyage qui doit nous conduire de Dieu, en Dieu, à Dieu. Quelle douce et heureuse compagnie que celle de Dieu lui-même, et combien nous devons avoir d’empressement pour chercher sa présence, son regard, sa volonté, ses paternelles tendresses ! « Cherchez Dieu, et votre âme vivra, Quærite Deum et vivet anima vestra. » (Ps 68/33)

 

Pratique

 

Il nous faut demander au Saint-Esprit l’abondance de ses dons précieux, mais spécialement le don de piété. Il mettra en nous un amour filial pour le bon Dieu et, comme fruit de cet amour, nous lui dirons avec une affection croissante et une attention tous les jours renouvelée : Pater noster qui es in coelis.

C’est le Fils unique qui nous a enseigné cette divine prière et, comme dit saint Benoît : « Quoi de plus doux pour nous que cette voix du Seigneur ? » (In Prol)

 

 

Cinquième considération : Dieu est présent toujours et partout

Dieu est présent toujours et partout : rien n’est plus propre que cette considération pour nous faire comprendre et goûter la bonté de Dieu.

Nous, nous avons de temps en temps la vue de la présence de Dieu ; nous y trouvons paix, lumière et joie. Puis, succombant à la faiblesse de notre esprit, nous oublions cette présence de Dieu, si douce cependant à nos âmes. Mais alors Dieu ne cesse pas d’être présent à toutes ses créatures, d’être en action pour elles, de leur faire tout le bien qu’il sait et veut leur faire. Nous oublions Dieu, Dieu ne nous oublie pas ; nous perdons de vue la source de nos biens, mais elle ne cesse pas de couler pour nous. Que la bonté de Dieu est grande, et combien nous devons nous empresser de revenir à la vue de sa sainte présence, quand par sa grâce il vient pour ainsi dire éveiller nos pauvres âmes et les rappeler à la jouissance de leur vrai bien !

Alors il faut nous empresser de revenir à lui, amener en sa présence notre âme et toutes ses puissances, puis reprendre les actes fondamentaux de la piété, l’adoration, la conformité à la divine volonté, la joie d’être avec lui, d’être à lui : comme si nous entrions dans le concert des anges qui, à toute heure, nous chantent le Psaume : Venez, exultons dans le Seigneur, jubilons à cause de Dieu notre Sauveur... parce que lui-même est le Seigneur notre Dieu…

Heureux instant que celui où se lève pour une âme son divin soleil, sa vraie lumière ! Comme il faut lui faire fête, la remercier, l’embrasser, nous plonger en elle et là nous trouver bien ! Dieu est si bon !

Goûtez la douceur de Dieu, nous dit le psaume, Gustate et videte quoniam suavis est Dominus (Ps 33/9). Et encore : Quam magna multitudo dulcedinis tuæ, Domine, quam abscondisti timentibus te (Ps. 30/20). Oui, cette douceur incommensurable, Dieu la tient cachée, réservée pour ceux qui le craignent, plus abondamment encore pour ceux qui l’aiment ; et le moment où il la découvre est pour nous un vrai commencement de paradis.

C’est alors qu’il faut goûter Dieu, avec l’empressement et la pleine satisfaction du petit enfant qui reçoit la mamelle de sa mère.

C’est Dieu lui-même qui emploie cette comparaison quand, dans Isaïe, il nous annonce les grandes effusions de ses éternelles miséricordes aux temps de la rédemption. Il nous dit : « Je ferai couler sur Jérusalem comme un fleuve de paix. Vous serez portés à la mamelle et on vous caressera sur les genoux. Comme une mère caresse son enfant, ainsi moi je vous consolerai, et vous serez consolés » (Is 66/12-13).

Et c’est là cette bonté de Dieu qui nous est toujours présente et à laquelle nous ne sommes pas toujours présents. Du moins sachons rendre grâces à Dieu de son infinie bonté, et efforçons-nous de lui être fidèles quand, par les inspirations de sa grâce, il nous invite à venir en sa sainte présence.

 

Pratique

 

Il faut savoir profiter des avantages que nous trouvons au monastère, pour nous ramener à la sainte et salutaire pensée de Dieu. Ainsi le signal qui nous appelle à l’office et la vue de ces mots écrits partout, Dieu me voit, sont des biens dont il faut nous prévaloir et faire notre profit.

Ne serait-il pas bon pour nous, quand nous apercevons les mots Dieu me voit, de faire cette prière au moins intérieurement : Mon Dieu, que je vous voie ! Domine, ut videam ! que je sois attentif à vous, comme vous êtes attentif à nous !

Et puis il y a les appels intérieurs de la grâce, auxquels il faut répondre. Il faut savoir les désirer, les demander et, quand ils arrivent, les recevoir humblement, fidèlement et joyeusement.

 

Note — Ces avantages qui se trouvent dans un monastère, chaque chrétien peut, sans trop de difficulté, se les procurer. Ainsi la cloche annonçant chaque matin la messe du prêtre, que ses occupations lui permettent ou non d’y assister, lui rappellera Dieu qui le regarde d’un oeil de Père et qui continue à lui donner tous les jours son Fils unique.

De même le son de l’horloge, annonçant la fuite du temps et l’approche de l’éternité, le remettra en la présence de Dieu.

Enfin, à défaut de ces mots précis Dieu me voit, un crucifix, une pieuse image, produiront en son coeur de salutaires impressions.

Mais surtout il y a les rappels intérieurs de la grâce.

 

 

Sixième considération : Dieu se plaît avec les âmes

Il est écrit qu’aux premiers jours du monde, Adam, étant encore seul sur la terre, ne trouvait pas autour de lui une aide, une compagne qui lui fût semblable. (Gen 2/20)

Et l’on peut dire de même qu’avant la création de l’homme, Dieu ne trouvait pas sur la terre de créature avec laquelle il pût entrer en communication d’esprit.

Mais il créa les hommes et aux hommes il donna des âmes, et en ces âmes il mit son image et sa ressemblance, et il put entrer avec elles en communication de son éternelle vérité, de son éternelle charité.

Dieu parla à Adam, et il lui parla comme un père à son fils ou, mieux, comme un ami à son ami, suivant ce qui est dit de Moïse (Exod 33/11). Ah ! c’est qu’Adam avait une âme et cette âme, Dieu la traitait en amie.

Il voyait en elle sa ressemblance, il lui donnait sa grâce, il l’instruisait de sa vérité, la remplissait de sa charité ; et tout cela n’était encore qu’une préparation pour la conduire en la participation de son éternelle félicité.

Oh ! qu’il est donc vrai ce mot de l’éternelle Sagesse : « Mes délices sont d’être avec les enfants des hommes, Deliciæ meæ esse cum filiis hominum. » (Prov 8/31)

Et, si Dieu trouve ses délices d’être avec les enfants des hommes, nous, enfants de Dieu, aurons-nous peine à souscrire au nom que l’auteur de la Sagesse donne à ce grand Dieu, quand elle l’appelle l’ami des âmes ? Domine qui amas animas (en grec, Philopsyché) (Sap 11/27).

N’est-il point juste après cela que nos âmes se plaisent avec Dieu, qu’elles se trouvent bien et très bien en sa présence, à son souvenir, à sa pensée, quand elle nous arrive de quelque manière que ce soit ? Toujours elle doit être accueillie par nous comme une pensée amie, réjouissante, lumineuse, on dirait presque béatifiante. Car tout ce qu’il y a de vrai bonheur sur la terre ne se trouve qu’en Dieu et avec Dieu.

Et, comme Dieu a une inclination naturelle à venir à nous pour nous enrichir de ses biens, c’est-à-dire de lui-même, nous devons concevoir un désir toujours croissant d’aller à lui, d’être avec lui, de demeurer avec lui, puisque là est notre unique et suprême félicité.

 

Pratique

 

Il nous faut résolument aspirer à entrer en l’amitié de Dieu. Dieu est ami pour nous, soyons amis pour Dieu.

Les qualités d’un vrai ami de Dieu sont la sincérité, la fidélité, la confiance et la générosité.

Sincérité : autant Dieu est pour nous un vrai ami, autant nous devons aspirer à être pour lui de vrais amis.

Fidélité : témoignons-la à Dieu par notre obéissance à ses commandements, par l’observation des promesses du baptême et des voeux de religion.

Confiance, surtout dans la prière.

Générosité à fuir le péché, à embrasser les travaux de l’obéissance et surtout à plaire à l’ami, à l’immortel Ami, comme disait sainte Thérèse.

À cette fin, nous proposerons, au moins une fois tous les jours, de faire une chose, si petite soit-elle, avec l’intention expresse de faire plaisir au bon Dieu ! Oui, nous pouvons faire plaisir au bon Dieu. Usons de ce pouvoir que nous tenons de l’Ami du ciel, pour faire plaisir à l’Ami du ciel.

 

 

Septième considération : Dieu et la création

Toute la création matérielle a été créée par Dieu pour sa gloire, et en même temps en grande partie pour le service de l’homme.

Avant la chute, Adam trouvait en toutes les créatures des moyens de connaître, d’admirer et de glorifier le grand Dieu qui avait tiré toutes choses du néant et les avait soumises au domaine de l’homme.

Mais la créature devint malheureusement l’occasion et l’instrument du péché : ce qui est arrivé à Adam n’arrive que trop souvent à ses enfants ; et nous, chrétiens, nous devons veiller à ce que rien dans les choses créées ne nous détourne de Dieu.

Il nous faut faire cela et mieux encore : c’est-à-dire qu’il nous faut entrer dans les desseins de Dieu, dans ses desseins premiers, et nous servir de ce que Dieu a créé pour nous élever jusqu’à Dieu, et reconnaître par les oeuvres la puissance, la sagesse et la bonté infinie du Créateur.

Car ses grandeurs, naturellement invisibles aux yeux du corps, sont cependant révélées en quelque manière à nos esprits par la création visible. C’est saint Paul qui nous l’enseigne. Invisibilia ipsius, per ea quæ facta sunt, intellecta conspiciuntur, sempiterna quoque ejus virtus et divinitas. (Rom 1/20)

Il nous faut donc bénir Dieu qui a créé le ciel et la terre et le ciel avec ses astres, la terre avec tous ses produits. Tout nous chante la gloire de Dieu ; et il faut, en entendant le concert de toute la création, en rendre gloire à l’auteur unique de tous les biens.

De la terre Dieu a créé nos corps ; de la terre, Dieu tire la nourriture de nos corps, les remèdes à nos maladies. Il fait plus : de la terre, Dieu tire l’huile, le pain et le vin, qui sont la matière des sacrements, l’instrument béni de sa sainte grâce. Que de motifs dès lors de nous élever à Dieu à la vue de la création ! Que de motifs d’actions de grâce ! Et comme tout concourt à nous rappeler sa présence et à nous tenir en sa sainte volonté !

« Bénissez le Seigneur dans ses oeuvres… Vous le direz par une confession (de louange), toutes les oeuvres du Seigneur sont grandement bonnes. » (Eccli 39/19-21)

Et, si quelquefois la création sensible devient une occasion de souffrance, tournons ce mal passager à notre profit spirituel : il y a là un remède pour le péché.

De cette manière tout tournera à notre bien, et les créatures de Dieu, et les souffrances qu’elles pourront nous occasionner.

 

Pratique

 

Presque tous les jours de notre vie, nous disons le cantique : Benedicite omnia opera Domini Domino (à Laudes). Que ce cantique soit pour nous une leçon qui nous rappelle à la présence de Dieu : prenons à tâche de le dire attentivement, religieusement. Et si nous le disons bien à l’office, la vue de la création matérielle nous aidera à nous élever à Dieu, et nous y gagnerons d’autant plus que par là nous entrerons dans les desseins de notre Créateur. Béni soit-il dans toutes ses oeuvres !

L’heure du repas est souvent une occasion d’oublier la présence de Dieu ; il n’en sera pas ainsi pour nous : nous recevrons de sa main le pain et la nourriture de chaque jour ; nous la prendrons avec action de grâces sans oublier de faire à chaque repas au moins une petite mortification comme châtiment du péché, et aussi comme un hommage bien dû à l’auteur de tous les biens.

 

Huitième considération : La Sainte Trinité

Jadis le prophète Elie disait : Vive le Seigneur en la présence duquel je suis. Vivit Dominus in cujus conspectu sto. (III. Reg 17/1)

Combien plus nous, chrétiens, devons-nous fêter la sainte présence de Dieu, puisqu’il a plu à ce grand Dieu de nous révéler le mystère ineffable de l’adorable Trinité !

Dieu est un ; mais dans son unité, il n’est point solitaire. Il est vivant, subsistant en trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

Le Père est Dieu ; le Fils est Dieu, mais il n’est pas un autre Dieu que le Père ; le Saint-Esprit est Dieu, mais il n’est pas un autre Dieu que le Père et le Fils.

Ô Unité si divinement féconde !

Ô Trinité si divinement une !

Vive le Seigneur, en la présence duquel nous sommes !

Vive le Père, dont nous sommes les enfants !

Vive le Fils, qui veut bien nous appeler ses frères !

Vive le Saint-Esprit, qui est la lumière de nos coeurs, la vie de nos âmes et notre introducteur près du Fils et du Père !

Quand nous avons l’honneur et le bonheur de nous tenir en la présence de Dieu, c’est donc bien réellement en la présence du Père et du Fils et du Saint-Esprit que nous sommes.

Quelle belle et sainte et divine compagnie, et qu’il fait bon pour nous de nous tenir en sa présence !

Tous n’ont pas l’avantage de voir les rois de la terre, encore moins celui de leur parler ; mais le grand Dieu du Ciel, nous pouvons le voir et lui parler tous les jours et à tous les instants.

Avec quel empressement donc il nous faut rechercher sa présence, nous tenir devant lui en adoration comme les anges de son paradis.

C’est ce que nous enseigne le Psaume : « Mon coeur vous l’a dit : mon visage vous a cherché, je chercherai, Seigneur, votre visage. » (Ps 26)

 

Pratique

 

Le Gloria Patri, que nous avons déjà mentionné comme très précieux pour nous enseigner la sainte humilité, nous enseigne plus spécialement la foi en la Sainte Trinité et nous rappelle à la sainte présence de Dieu.

Il faut veiller à ne le dire jamais qu’avec un sentiment profond d’adoration, de révérence et d’action de grâces envers la Sainte Trinité.

L’Église a encore une petite prière à la Sainte Trinité qu’elle répète avec complaisance le jour où elle fête plus spécialement ce grand mystère ; et cette prière la voici :

Ô bienheureuse Trinité, ô Beata Trinitas !

Ce serait un bien pour nos âmes si nous prenions à coeur de saluer la pensée de la présence de Dieu, quand elle nous arrive, par cette invocation :

Ô bienheureuse Trinité, ô Beata Trinitas !

Cela suffirait pour nous mettre en prière, nous conserver longtemps en la présence de Dieu, et en quelque sorte provoquer Dieu lui-même à nous rappeler en sa présence, afin que nous lui chantions le doux cantique de la foi, de l’admiration et de l’amour :

Ô bienheureuse Trinité, ô Beata Trinitas !

 

 

Neuvième considération : Ce que Dieu fait en lui-même

Dieu est souvent appelé dans l’Écriture le Dieu vivant. Et sa vie en lui-même est une merveille, ou plutôt un abîme de merveilles.

Dieu est vivant, et sa vie est de se connaître et de s’aimer.

Se connaissant, il engendre son Fils qui lui est égal en toutes choses, Dieu comme son Père, et un seul et même Dieu avec lui.

Dieu s’aimant, produit son Saint-Esprit, lequel, procédant du Père et du Fils, est un même Dieu avec le Père et le Fils.

Quelles richesses adorables de la nature divine ! En Dieu, la connaissance a pour terme une personne divine : l’amour a pour terme une troisième personne divine.

Et ces divines personnes subsistent à jamais dans l’unité de Dieu.

Le Père est éternellement Père, le Fils éternellement Fils, le Saint-Esprit éternellement Saint-Esprit.

Et l’acte divin par lequel le Père engendre son Fils est un acte éternel, éternellement actuel.

Le Fils naît du Père d’une naissance éternelle et éternellement actuelle.

Le Saint-Esprit procède du Père et du Fils d’une procession éternelle et éternellement actuelle.

Voilà les grands actes de la vie de Dieu ; et Dieu est partout avec sa vie, partout avec les actes adorables de sa vie divine.

Ici donc, où je suis en ce moment même, Dieu est ainsi présent et vivant. Ici le Père engendrant actuellement le Fils qui lui est coéternel ; ici est le Fils actuellement naissant du Père ; ici est le Saint-Esprit actuellement procédant du Père et du Fils.

Ah ! si nous savions mieux ce qu’est Dieu, ce qu’est la vie de Dieu, ce que sont les actes de la vie de Dieu, comment ne serions-nous pas plus attentifs à sa sainte présence ? Comment ne serions-nous pas ravis de joie à la vue de ces grandes et adorables merveilles ?

Alors ne pourrions-nous pas répéter la parole de Jacob : « Vraiment le Seigneur est en ce lieu, et je ne le savais pas ! » (Gen 28/1-6)

 

Pratique

 

Il nous sera bon de nous agenouiller quelquefois pour adorer Dieu présent au lieu même où nous nous trouverons, présent au plus intime de nous-mêmes, et de l’adorer comme le Dieu vivant, en lui disant par exemple :

Mon Dieu, je vous adore ici présent, ici vivant. Mon Dieu, j’adore votre Être éternel, immense, infini.

Ô Père, j’adore votre divine paternité ; je vous adore engendrant votre Fils unique.

Ô Fils unique du Père, je vous adore naissant du Père et recevant de lui votre nature divine.

Ô Saint-Esprit, je vous adore procédant du Père et du Fils, et à jamais demeurant avec le Père et le Fils dans l’unité de la nature divine.

Ô Dieu vivant, je vous offre les adorations des anges et des saints ; je vous offre les adorations de la Sainte Vierge, et les adorations de l’Homme-Dieu, Notre Seigneur Jésus-Christ.

Ô Dieu vivant, je suis et je demeure en votre sainte présence ; faites-moi la grâce d’y demeurer de telle manière que tous les actes de ma vie soient une continuelle adoration des actes de votre vie divine.

 

 

Dixième considération : Ce que Dieu a fait pour nous

Dieu, qui en lui-même est éternellement en acte, est incessamment en action vis-à-vis de ses créatures. Il leur donne l’être, il le leur conserve et, par les moyens qu’il sait, il les mène à leurs fins.

Mais, vis-à-vis des hommes, l’action de Dieu est plus grande, parce qu’il nous assiste et dans l’ordre de la nature et dans l’ordre de la grâce.

Dans l’ordre de la nature, il veille sur notre corps et notre âme et en conserve l’harmonie, il règle le jeu de nos organes, merveilles dont nous profitons et dont la plupart du temps nous ne connaissons pas le mécanisme : par exemple, nos yeux, notre coeur, notre sang, notre cerveau, etc.

De plus, pour nous, Dieu conserve au soleil sa lumière, à la terre sa fécondité ; et il nous comble ainsi de toutes sortes de bienfaits.

Le païen Sénèque a écrit à ce sujet une page admirable ; en voici un mot qui est à méditer : Usque ad delicias amamur (nous sommes aimés jusqu’à la gâterie).

Mais, dans l’ordre de la grâce, Dieu fait pour nous bien plus encore.

« Dieu a tant aimé le monde, dit Notre-Seigneur, qu’il lui a donné son Fils unique ! Sic Deus dilexit mundum ut Filium suum unigenitum daret ! » (Joan 3/16)

Saint Paul de son côté s’écrie : « La charité de Dieu a été répandue dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné. Charitas Dei diffusa est in cordibus nostris per Spiritum Sanctum qui datus est nobis. » (Rom 5/5)

Ô Dieu ! Quelles merveilles ! Le Fils naît du Père, puis, sortant du Père, il vient à nous : Exivi a Patre et veni in mundum (Joan 16/28). Le Saint-Esprit procède du Père et du Fils, il est le Don du Père, et voici qu’il nous est donné à nous, datus est nobis.

Et pourquoi Dieu nous donne-t-il ainsi et son Fils et son Saint-Esprit ? Ah ! pour nous ramener à lui. Nous disions que nous venons de Dieu, que nous marchons en Dieu, et que nous allons à Dieu. Oui, mais, si nous marchons en Dieu c’est avec son Fils Notre-Seigneur, c’est aussi avec son Saint-Esprit, notre lumière et notre guide.

Heureux état que celui des âmes rachetées ! C’est Dieu lui-même qui les conduit et les ramène à lui. Avec Jésus, avec le Saint-Esprit, nous cheminons dans les voies de Dieu et nous allons au Père.

Saint Ignace d’Antioche écrivait : « Une voix me crie : allons au Père ! »

C’est la voix de Jésus, c’est la voix du Saint-Esprit. Ecoutons l’apôtre saint Paul : « Comme vous êtes enfants, Dieu a envoyé dans vos coeurs l’esprit de son Fils, qui crie : Père, Père, abba Pater ! » (Gal 4/6)

Il crie : Clamantem !

Ce cri du Saint-Esprit nous appelle à Dieu, nous appelle en la présence de Dieu. Heureux ceux qui l’écoutent !

 

Pratique

 

Comblés que nous sommes des biens de Dieu, il nous incombe d’être envers lui reconnaissants. Aussi, nous ne saurions assez donner à Dieu des témoignages de notre gratitude pour tous ses dons : Gratias Deo super inenarrabili dono ejus (II. Cor 9/15)

Donc, pour accomplir ce devoir si grand et si pressant, nous prendrons à tâche de bien dire les deux mots : Deo gratias ! que nous répétons si souvent à l’office divin.

Qu’ils nous servent pour remercier Dieu de nous avoir donné la vie et le pain de chaque jour, mais bien plus de nous avoir donné Jésus, son divin Fils, et son Saint-Esprit.

 

 

Onzième considération : Ce que Dieu fait au ciel, au purgatoire, en enfer

Admirant la magnificence des oeuvres de Dieu, Job disait : « Il fait des choses grandes, incompréhensibles, merveilleuses, qu’on ne saurait énumérer. » (Job 9/10)

Or, en outre des oeuvres de Dieu que nous avons déjà considérées, il faut méditer aussi, et avec grande attention, sur ce qu’il fait au ciel, en purgatoire, et jusqu’aux abîmes de l’enfer.

Au ciel Dieu béatifie, au purgatoire il purifie, en enfer il châtie.

Au ciel il béatifie la Très Sainte Immaculée Vierge, notre Mère bien-aimée, et les anges et les saints ; au purgatoire, il purifie les âmes qui ne l’ont point assez aimé ; en enfer, il châtie les âmes qui ne l’ont point aimé.

Au ciel, il fait pour ses amis un grand acte d’un grand amour grandement satisfait ; au purgatoire, il fait un acte d’amour qui veut être satisfait ; en enfer, il fait un acte d’amour outragé de n’avoir point été satisfait.

En considérant ce qu’il fait au ciel, il faut chanter : Sanctus, Sanctus, Sanctus !

En regardant ce qu’il fait au purgatoire, il faut lui crier : Miserere, Miserere, Miserere.

Et en voyant ce qu’il fait en enfer, il faut lui dire : Vous êtes juste, Seigneur, et votre jugement est équitable. (Ps 118/137)

Mais ce qu’il nous faut spécialement méditer, c’est que Dieu, opérant ces grandes choses, est présent ici, en nous ; et que d’ici, il opère la béatitude de ses saints, la purification des âmes du purgatoire, et le châtiment des démons et des damnés.

Nous sommes par la foi les témoins de ce que Dieu opère ainsi ; et la vue de ses oeuvres est un moyen puissant comme une raison très convaincante de nous tenir en sa présence. Si nous voyions un habile ouvrier, un peintre, un sculpteur, faire une oeuvre qui devra passer à la postérité, ne serions-nous pas tout yeux pour le voir travailler ? À combien plus forte raison faut-il être attentifs à Dieu et aux oeuvres de Dieu ?

 

Pratique

 

Il faudra veiller à nous rendre attentifs à ce que Dieu fait au ciel, au purgatoire, et jusque dans les enfers.

Souvent nous disons à Dieu : Notre Père qui êtes aux cieux. Ce dernier mot nous sera d’un grand secours et nous rappellera l’éternelle félicité des saints.

Souvent aussi nous disons le psaume De Profundis. Que ce soit avec une vue compatissante de l’état des âmes du purgatoire.

Enfin il nous sera bon de jeter quelquefois nos regards jusqu’en enfer. Dieu y est, et sa personne y est adorable ; adorable y est aussi sa justice. Suivant une pensée de saint Bernard, il faut descendre en enfer maintenant que nous sommes vivants, afin de n’y pas descendre quand nous serons morts. Descendant in infernum viventes (Ps 54/16), ne descendant morientes.

 

 

Douzième considération : Ce que Dieu fait dans l’Église

Dieu a fondé son Église pour être le noviciat du ciel. En entrant au noviciat de la religion, on nous verse l’eau sur les mains ; et en entrant en l’Église, on a versé sur nos fronts l’eau du baptême.

Le baptême est le commencement de notre salut et, pour achever cette grande oeuvre, Dieu a institué les autres sacrements.

Pour nous les administrer, Dieu a mis dans l’Église des pasteurs, des évêques, des prêtres, et alors le fleuve des grâces se répand sur les âmes : Fluminis impetus lætificat civitatem Dei (Ps 45/5).

Et Dieu est là, agent invisible, opérant dans les sacrements. L’Église est, à cette vue, dans l’admiration, comme elle le proclame, le Samedi Saint, à la bénédiction de l’eau. Elle dit à Dieu : « Vous qui, par votre invisible puissance, opérez les merveilleux effets de vos sacrements. »

Il nous faut remarquer le mot : merveilleux, mirabiliter. Ce que Dieu opère là demande notre attention et, mieux que cela, notre admiration.

Voilà donc un nouveau motif pour nous, il y en a tant ! d’être attentifs à ce que Dieu fait, et par suite à la présence de Dieu.

Considérons donc tout ce que Dieu fait à cette heure, à ce moment même, par les sept sacrements, lesquels ne cessent d’être administrés sur la terre.

Oh ! les belles oeuvres de Dieu se créant des enfants par le baptême, les purifiant par la pénitence, les nourrissant par la chair et le sang de Notre Seigneur au Saint Sacrement !

Considérons cela, et surtout la continuité de la présence de Notre Seigneur au milieu de nous par le Saint Sacrement : ô Dieu, si l’on peut parler ainsi, prodigue de lui-même ! disait le pieux abbé Guerric.

Pour entrer dans la pensée de Dieu, il nous faut aimer tendrement l’Église et lui souhaiter de faire librement l’oeuvre de Dieu, pour la gloire de Dieu et le salut éternel des âmes.

 

Pratique

 

Rien ne nous sera plus salutaire que de bien dire la prière : Kyrie Eleison.

Elle est si souvent sur nos lèvres, il faut bien qu’elle soit avant dans nos coeurs.

Kyrie ! Seigneur, vous êtes le Seigneur, Notre Seigneur !

Eleison ! Versez l’abondance de vos miséricordes sur votre Église, sur ses pasteurs, ses sacrements, ses enfants.

Eleison ! Répandez vos miséricordes sur les saints, sur les justes, sur les pécheurs, sur tous : car vous êtes le Seigneur et le Sauveur de tous.

Eleison ! Aujourd’hui, et dans tous les lieux, et dans tous les temps, et surtout à l’heure de notre mort.

Kyrie Eleison : Que cette prière soit notre prière de tous les instants !

 

 

Treizième considération : Ce que Dieu fait en ce moment

Dieu est amour, Deus caritas est, nous dit l’apôtre bien-aimé et bien aimant. (Joan, 4/16)

Dieu lui-même nous dit par Jérémie que son amour est éternel, in caritate perpetua dilexi te. (Jer 31/3)

Or il faut remarquer que l’amour dont Dieu nous aime est un amour éternel, un amour habituel et en même temps un amour actuel.

Un amour actuel, c’est ce qu’il nous faut attentivement considérer. Car, si en ce moment l’on demandait : Qu’est-ce que Dieu fait en ce moment ? Il faudrait répondre : Il nous aime !

Au moment où nous l’aimons, il nous aime ; puis, quand notre acte d’amour est terminé, Dieu continue son acte d’amour envers nous.

Au moment même où malheureusement nous l’offensons, Dieu demeure en son acte d’amour pour nous ; et, en ce moment même, il nous en donne la preuve, nous conservant la vie, nous conservant les facultés de notre âme et cette volonté même dont nous nous servons pour l’offenser.

O aveuglement de la créature et, en même temps, ô excès de la bonté de Dieu, lequel ne cesse de nous aimer, et se tient toujours vis-à-vis de nous dans son amour de Créateur, de Père et de Sauveur !

Que ne devons-nous pas à Dieu pour un tel amour et pour un tel acte d’amour ? Nous devrions répondre à la charité de Dieu par un acte continuel d’amour. Hélas ! nous ne le pouvons pas ; mais au moins sachons que Dieu nous aime ainsi, réjouissons-nous d’être ainsi aimés, revenons souvent en esprit en présence de Dieu pour être réchauffés au feu de son divin amour et embrasés du désir de lui être fidèles.

 

Pratique

 

Comme il est bon d’adorer la présence de Dieu là où nous sommes, il nous sera également bon d’adorer actuellement l’acte par lequel Dieu nous aime en ce moment même.

Il faut que cet acte que nous ferons réunisse l’adoration, l’action de grâces, la soumission à la volonté de Dieu, la demande de lui être fidèle et de répondre ainsi fréquemment à l’immense amour dont nous sommes aimés.

Aimez-moi, Seigneur, pour que je vous aime : Ama me ut amem te.

Ô Fontaine d’éternel amour, comment pourrai-je t’oublier ? O fons amoris perpetui, quomodo potero tui oblivisci ? (Imit 3/10)

 

 

Quatorzième considération : La soif de Dieu

Quand notre adorable Sauveur fut élevé en croix, il prononça cette parole : J’ai soif. (Joan 19/28)

Les saints Pères ont vu là deux choses, premièrement un témoignage des souffrances de Notre Seigneur, lequel souffrait réellement de la soif.

Puis ils nous ont fait comprendre que, sous le symbole de cette soif sensible, il fallait entendre le grand désir qui était au coeur de Notre Seigneur pour notre salut à tous.

Notre Seigneur avait soif de nos âmes.

Et cette soif du Sauveur n’était pas seulement en son humanité, elle était en son humanité parce qu’elle était en sa divinité.

Et ceci nous ouvre pour ainsi dire le coeur de Dieu. Tout ce qu’a le Fils, à l’exception de sa personnalité, lui est commun avec le Père et le Saint-Esprit.

Alors nous dirons en vérité : le Père a soif, le Fils a soif, le Saint-Esprit a soif.

Sitit Deus, c’est le mot de saint Grégoire de Nazianze ; et c’est là un acte divin qu’il nous faut considérer, méditer, adorer, acte qui demande de nous bien des choses, mais qui tout premièrement nous appelle à Dieu, nous invite en sa présence, et auquel il nous faut répondre sous peine d’incertitude.

Dieu a soif : ce mot nous révèle le mystère de l’amour de Dieu pour nous. L’amour a soif de se donner, de se répandre.

En nous, la soif vient du besoin de recevoir le rafraîchissement nécessaire à notre corps ; en Dieu, tout au contraire, la soif vient de la volonté de se donner.

Oh ! que le bon Dieu est bon ! Quam bonus Deus. (Ps 72/26-29)

Aussi, il nous invite, nous appelle, nous presse d’aller à lui.

Omnes sitientes venite[6], nous dit-il par Isaïe (Is 55/1)

Et encore : Transite ad me ; qui bibunt me adhuc sitient[7]. (Eccli 24/26-29)

Et Notre Seigneur plus expressément encore : Qui sitit, veniat ad me[8]. (Joan 7/37)

Et, si Dieu a ainsi soif de nous, si Dieu veut ainsi nous donner, ne faut-il pas lui répondre ?

 

Pratique

 

Ayons donc soif de Dieu et disons-lui avec un ardent désir : Que votre règne arrive, que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel !

 

 

Quinzième considération : Ayons soif de Dieu

La soif est un stimulant très puissant qui nous fait rechercher ce qui pourra l’apaiser.

Aussi, sous la figure de la soif, l’Écriture nous fait entendre combien nous devons désirer ardemment Dieu notre Créateur.

Si Dieu a soif, c’est qu’il a soif de notre soif pour lui.

Saint Grégoire de Nazianze le dit en un mot très court, mais très significatif : Sitit sitiri Deus.

Les Psaumes nous enseignent à répondre à la soif de Dieu.

« Comme le cerf désire les fontaines d’eau vive, mon âme vous désire, ô mon Dieu : Mon âme a eu soif du Dieu fort et vivant ; quand viendrai-je et quand apparaîtrai-je devant la face de Dieu ? » (Ps 61/2-3)

Ici le Saint-Esprit nous enseigne que la soif de Dieu nous rappelle en sa sainte présence : « Mon âme a eu soif, quand apparaîtrai-je devant la face de Dieu ? »

Écoutons encore une fois le Saint-Esprit nous parlant dans l’Apocalypse : « Celui qui a soif, qu’il vienne, et celui qui veut, qu’il reçoive gratuitement l’eau de la vie » (Ap 22/17)

 

Pratique

 

Qui n’a pas soif de Dieu est encore loin du ciel et peut n’être pas même dans le chemin qui y conduit. Pour nous, que Dieu a comblés de tant de grâces, il faut répondre à toutes les prévenances de Dieu envers nous, il nous faut rechercher sa sainte présence, nous y tenir avec respect, adoration, y travailler à plaire à Dieu ; en un mot, avoir soif de Dieu, pour arriver à lui.

A cette fin, prenons à tâche de ne pas laisser passer un seul jour de notre vie, sans dire avec une grande attention le verset du psaume LXII :

« Mon Dieu, mon Dieu, je veille vers vous dès le matin ; mon âme a eu soif de vous ; SITIVIT IN TE ANIMA MEA. »


  1. Sous entendu, religieux, chrétiens.
  2. Et les anges ? demandera-t-on. Les anges sont plus grands que nous, dans l’ordre des créatures spirituelles ; mais, comme créatures, ils sont ce que nous sommes et ils ne peuvent nous béatifier.
  3. En vous, Seigneur, j’ai espéré, je ne serai pas éternellement confondu. - Dieu voulant être notre Bien, nous fait par là même un devoir d’espérer en lui.
  4. Dieu étant notre Bien, il faut renoncer à tout ce qui n’est pas Dieu.
  5. Ceci n’est pas contraire à ce que disent les théologiens que Dieu nous a créés par une opération ad extra. Ils veulent dire par là que les créatures ne font point partie de la substance de Dieu ; ils ne nient pas qu’elles subsistent en Dieu comme dans le principe nécessaire de leur être.
  6. Venez à moi, vous qui avez soif.
  7. Venez près de moi : ceux qui me boivent auront encore soif.
  8. Celui qui a soif, qu’il vienne à moi.
Outils personnels
Récemment sur Salve Regina