Dire la vérité aux malades

De Salve Regina

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Le devoir de conscience

Nous vivons dans une atmosphère saturée de mensonge. Du chef de l’État au dernier des élus, dans la presse, à la télévision on nous ment ou on dissimule. Nous en sommes intoxiqués à un point tel qu’on peut légitimement craindre que le choc de la vérité, à un moment crucial, ne puisse être mortel.


L’homme a la connaissance de sa nature mortelle ; « la mort est un fait inévitable de la vie humaine » et l’on ne peut la retarder inutilement en la fuyant par tous les moyens, mais la parole du Christ : « qui croit en moi vivra », est un immense message d’espérance en la Résurrection et la Vie éternelle dont Saint Augustin a pu dire : « quand tout entier je serai en Toi, il n’y aura plus jamais de chagrin et d’épreuve, tout entière pleine de Toi, ma vie sera accomplie ».

La Charte des Personnels de Santé établie en 1995 par le Conseil Pontifical pour la pastorale des services de la santé nous le rappelle : « Dans la loi remplie de charité, l’impuissance devant le mystère de la mort n’est pas subie comme angoissante et paralysante. Le chrétien trouve l’espérance et en elle la possibilité, en dépit de tout, de vivre sa mort et non de la subir[1] ».


Notre foi personnelle et la lecture de ces citations indiquent bien la nécessité impérieuse de dire la vérité, d’ailleurs le VIIIe Commandement – La médisance banniras et le mensonge également – a inspiré à St Thomas d’Aquin ces paroles : « un homme doit honnêtement à un autre la manifestation de la vérité ».

En première conclusion il convient d’affirmer que le personnel de santé chrétien doit en conscience apporter à son patient la vérité sur son état de santé et je pense que le mieux est de citer dans son intégralité l’article 125 de la Charte déjà citée :

« La vérité sur le diagnostic et le pronostic à révéler au mourant, et plus généralement à ceux gui sont atteints d’un mal incurable, pose un problème de communication ».


Pouvoir regarder la mort en face

La perspective de la mort en complique et dramatise la notification, mais elle ne dispense pas de la véracité. La communication entre le mourant et ses assistants ne peut s’en tenir à la fiction, qui ne constitue jamais une possibilité humaine pour le mourant et ne contribue pas à l’humanisation de la mort.

Il existe un droit pour la personne d’être informée sur son propre état de vie. Ce droit ne disparaît pas en présence d’un diagnostic et d’un pronostic de maladie qui entraîne la mort, mais il comporte des motivations ultérieures.

En effet, à cette information correspondent d’importantes responsabilités auxquelles on ne peut se soustraire. Il y a des responsabilités liées aux traitements qui doivent être exécutés avec le consentement informé du patient.


L’approche de la mort comporte la responsabilité d’accomplir des tâches précises concernant les rapports avec la famille, la mise en ordre d’éventuelles questions professionnelles, la résolution de différends avec des tierces personnes. Pour un croyant, l’approche de la mort exige qu’il soit dans la condition voulue pour accomplir certains actes en toute conscience, surtout celui de sa réconciliation avec Dieu par le sacrement de la Pénitence.

On ne peut abandonner à l’inconscience une personne à l’heure décisive de sa vie, en la soustrayant à elle-même et à ses ultimes et plus importantes décisions. « La mort représente un moment trop essentiel pour en éviter la perspective[2] ».


Cependant il est bien évident que même chez le chrétien l’approche de la mort crée l’angoisse. Le Christ lui-même, comme le rapporte l’Évangile de N.-S. Jésus-Christ selon St. Matthieu, XXVI, s’exclama au Mont des Oliviers la nuit de sa Passion : « Mon Père, que ce calice s’éloigne de moi, s’il est possible ; qu’il en soit néanmoins non comme je le veux, mais comme vous le voulez », témoignant ainsi de l’angoisse devant la souffrance et la mort, pourtant rédemptrice, ressentie par Notre Seigneur, Dieu fait homme, parfaitement soumis au Père.


A la lumière de ces réflexions je voudrais vous rapporter un fait signalé par le Professeur Henri Redon dans sa leçon inaugurale de Professeur titulaire de la chaire de Chirurgie carcinologique à la Faculté de Médecine de Paris dans les années 50, et dont je n’ai malheureusement pas retrouvé les références exactes (Presse Médicale ou Semaine des Hôpitaux ?). Il rapportait qu’un évêque l’avait consulté pour des troubles digestifs évocateurs d’un cancer colique et lui demandait outre un diagnostic et une thérapeutique, surtout la vérité sur ce diagnostic et son pronostic car « ses responsabilités d’homme d’Église nécessitaient la mise en ordre de ses affaires ». L’éminent praticien et catholique convaincu qu’était le Pr. Redon demanda des examens complémentaires pour pouvoir affirmer avec certitude le diagnostic, trouver le temps de réfléchir à la demande du prélat et donner la bonne réponse de manière adéquate. Alors et en toute conscience et confiance, il révéla la vérité au malade… qui se suicida très peu de temps après. Il ne s’agit pas de juger mais de réfléchir aux conséquences de la révélation de la vérité, aussi peut-être à la manière de dire cette vérité même lorsqu’elle est demandée.


Les personnels de santé sont souvent confrontés à la demande faite par les patients de leur dire la vérité le jour venu, cela à distance des échéances prévisibles. Il faut bien reconnaître que, le moment venu, la demande est moins souvent formulée. Est-ce crainte de connaître la vérité, ou n’est-ce pas plutôt pudeur de celui qui connaît en son cœur et par pressentiment toute la vérité et ne veut pas embarrasser celui qui aurait promis cette vérité ? Pourtant notre devoir de chrétien de « ne pas voler sa mort » à un frère, chrétien déclaré ou non, demeure.


L’angoisse de l’homme confronté à la mort me paraît liée à la crainte qu’il ressent face à la souffrance physique et à la souffrance morale par le drame psychologique et spirituel du détachement que la mort entraîne et comporte, devant l’inconnu.


Pour ce qui concerne la souffrance physique S. S. Pie XII a été explicite dans son intervention devant une Assemblée internationale de médecins et de chirurgiens en 1957, qui affirmait : « Dans la mesure où la maîtrise de soi et des tendances déréglées est impossible à conquérir sans l’aide de la douleur physique, celle-ci devient donc une nécessité et il faut l’accepter ; mais pour autant qu’elle n’est pas requise à cette fin, on ne peut affirmer qu’il existe à ce sujet un devoir strict. Le chrétien n’est donc jamais obligé de la vouloir pour elle-même » ; ce qui permet d’affirmer que « la charité chrétienne exige des professionnels de santé le soulagement de la souffrance physique », sans bien évidemment justifier une quelconque mesure privant l’homme en fin de vie de sa conscience donc de sa liberté.


Devoir de charité

Pour ce qui concerne la souffrance morale, là encore, il faut citer la Charte des personnels de la santé, articles 126 et 127, qui indique clairement le comportement à observer par les soignants :

« Le devoir de la vérité au malade en phase terminale exige du personnel soignant discernement et tact humain. Il ne peut consister en une communication détachée et indifférente du diagnostic de la maladie et de son pronostic. La vérité ne doit pas être sous-entendue mais ne doit pas non plus être notifiée dans sa froide et nue réalité. Elle doit être dite en s’ajustant sur la longueur d’onde de l’amour et de la charité, en invitant tous ceux qui assistent le malade à quelque titre à y adhérer en pleine harmonie.

Il s’agit d’établir avec le malade une relation de confiance, d’accueil et de dialogue qui sait trouver les moments et les paroles ; lors d’une conversation qui sait discerner et respecter les temps du malade et s’y adapter. C’est adopter un langage qui sait accueillir les demandes et aussi les susciter pour les orienter progressivement vers la connaissance de son état. Celui qui veut être présent au malade et sensible à son sort, sait trouver les paroles et les réponses qui permettent de communiquer en vérité et en charité : en faisant la vérité dans la charité[3].

Chaque cas singulier a ses exigences en fonction de la sensibilité et des capacités de chacun, de la relation avec le malade et de l’état de ce dernier ; en prévision de ses réactions éventuelles (rébellion, dépression, résignation, etc.) ; on se préparera à l’aborder dans le calme et avec tact[4] ».


L’important n’est pas dans l’exactitude des paroles, mais dans la relation solidaire avec le malade. Il ne s’agit pas seulement de transmettre des données cliniques mais de communiquer des valeurs :

« Dans cette relation, la perspective de la mort n’est plus inéluctable, elle perd de son caractère angoissant, le patient ne se sent pas abandonné et condamné à la mort. La vérité qui lui est ainsi communiquée ne le ferme pas à l’espérance, elle lui fait prendre conscience d’être en vie, dans une relation de partage et de communion. Il n’est pas seul avec son mal : il se sent compris en vérité, réconcilié avec lui-même et avec autrui. Sa vie, en dépit de tout, a un sens, et se déploie sur un horizon de valeurs authentiques qui transcendent la mort[5] ».

En résumé, être une présence de foi et d’espérance représente pour les médecins et les infirmières la plus haute forme d’humanisation de la mort. Cela va au-delà du soulagement de la souffrance. C’est s’employer par ses propres soins à « faciliter au malade la venue de Dieu », de la foi à l’humanitarisme.


Voici que, après avoir exposé les éléments de la doctrine chrétienne justifiant de dire la vérité aux malades et la manière de la dire, il convient très brièvement d’explorer ce qui apparaît avoir été l’attitude des hommes au long des 20 siècles de christianisme, avant la survenue d’une mort imminente.

L’inquiétude, voire l’angoisse, ont sans doute toujours existé face à la mort. Cependant l’histoire des martyrs des premiers temps du christianisme laisse à penser que la foi de ces premiers chrétiens faisait accepter sinon rechercher, sans crainte, la mort en communion avec la mort du Christ.

Au Moyen Age, mélange de foi et de crainte, l’homme confronté à une durée de vie brève pleine de risques, bien ancré par l’enseignement monastique dans l’espérance d’une résurrection des corps peut-être teintée de restes de paganisme, semble avoir accepté avec résignation l’issue fatale de l’existence terrestre.

Vint ensuite ce qu’on appelle en France la période de la Renaissance suivie du Grand Siècle au cours de laquelle de grands penseurs religieux ont su mettre en forme toute la doctrine et surtout assurer la prise en charge des âmes assurant, tout au moins chez les " Grands ", une grande dignité, admirable le plus souvent, devant la mort.

Plus tard, plus près de nous, les « Philosophes » ont apporté un obscurantisme apparent mais durable quant aux préoccupations religieuses de l’homme face à la mort. La disparition de la foi à la fin du XVIIIe siècle ne paraît pas, euphémisme, avoir donné à ceux qui prônaient cette philosophie athée et dont nous connaissons la fin, un courage et une dignité exemplaires devant l’issue fatale.

Au XIXe siècle, un sursaut, peut-être hypocrite, de la foi chrétienne a entouré la mort d’un silence feutré ou d’une pompe bourgeoise. Avec des sacrements aux mourants souvent donnés à la sauvette, ce qui n’est bien évidemment pas dans le registre de la vérité due aux malades.


Qu’en est-il aujourd’hui dans notre France déchristianisée ? La société laïque voire irréligieuse, sécrète une législation qui donne l’apparence de reprendre les principes catholiques de la vérité aux malades en fin de vie. Que dit la loi ? Elle dit qu’il ne faut rien cacher et se faire comprendre. Face à ces impératifs, on sait bien qu’être loyal ce n’est pas nécessairement asséner d’emblée une vérité parfois difficile à supporter lorsqu’elle est cruelle (article 35 du Code de déontologie).

Les motivations de cette loi civile n’ont rien à voir avec les raisons chrétiennes de dire la vérité aux malades, l’information étant une des raisons du consentement éclairé, qui représente l’aboutissement d’une longue évolution historique et sociale vers la reconnaissance des droits de la personne malade (Pr. Hoerni Académie de Médecine 17 mars 1998), et ne sont qu’un élément pour cerner les problèmes de responsabilité médicale. Je n’en donnerai pour preuve que la réponse faite par M. Jean Michaud, Conseiller Doyen Honoraire à la Cour de Cassation, à une question posée à l’Académie Nationale de Médecine dans sa séance du 17 mars 1998 : « il faut se tenir à une attitude moyenne : informer le patient avec mesure… sans pour autant le plonger dans l’angoisse d’une conséquence éventuelle… » Certes il s’agissait d’un débat sur l’information dans le cadre du risque thérapeutique, sujet donc différent, mais la vérité est une et l’on ne peut, en morale religieuse et face à la mort, se satisfaire d’une « attitude moyenne » notion peut-être humanitariste mais certainement pas humaniste !


En conclusion, ma conviction personnelle est que les soignants chrétiens ont aujourd’hui, la mort survenant de plus en plus souvent dans un univers aseptisé, déshumanisé, loin des structures familiales pourtant si précieuses dans l’approche de la mort, un rôle particulièrement important dans l’information loyale du malade, grâce à l’écoute accordée à sa demande, avec un esprit de charité inspiré par l’Esprit Saint et une sollicitude aimante, durant toute la prise en charge de ces hommes et de ces femmes en fin de vie.


Notes et références

  1. Article 135.
  2. Conseil Pontifical Cor Unum, 1985.
  3. Ep 4, 15.
  4. Cor Unum.
  5. Ibidem.
Respect de la vie
Auteur : Docteur Louis FRIEZ
Source : Cahiers Saint Raphaël n° 60
Date de publication originale : septembre 2000

Difficulté de lecture : ♦ Facile
Remarque particulière : Cet article reprend le texte d’une conférence du Centre Pie XII pour la morale du vivant, faite à l’Institut universitaire Saint Pie X. L’auteur, ancien Interne des Hôpitaux de Paris, ancien chef de clinique à la Faculté, rhumatologue, a toujours exercé une activité mixte, libérale et hospitalière. Il est Directeur d’enseignement Clinique au CHU de Paris-Créteil, expert près la cour d’appel de Paris et médecin-colonel de réserve.
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