IVe JOUR DE DÉCEMBRE : Différence entre versions

De Salve Regina

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Version actuelle datée du 14 mars 2017 à 15:45

Vies de saints
Auteur : Mgr Paul Guérin, camérier de S.S. Pie IX
Source : D'après les Bollandistes, le Père Giry, Surius, Ribadeneira, Godescard, les propres des diocèses et les travaux hagiographiques publiés à l'époque.
Date de publication originale : 1878

Résumé : Tome XIV
Difficulté de lecture : ♦ Facile
Remarque particulière : 7ème édition, revue et corrigée

MARTYROLOGE ROMAIN.

La fête de saint Pierre Chrysologue, évêque et confesseur, dont on fait mention le 2 décembre 1. 450. — A Nicomédie, sainte BARBE, vierge et martyre, qui, après avoir été cruellement maltraitée en prison, après avoir eu les membres brûlés avec des torches ardentes, et les mamelles coupées, acheva, par un coup d'épée, après d'autres tourments, le cours de son martyre durant la persécution de Maximin 1er. 235. — A Constantinople, saint Théophane et ses compagnons. 780. — Dans le Pont, saint Mélèce, évêque et confesseur, illustre par son érudition et encore plus par sa vertu et sa candeur. Vers 330. — A Bologne, saint Félix, évêque, qui, auparavant, avait été diacre de l'église de Milan sous saint Ambroise. — En Angleterre, saint Osmond, évêque et confesseur 2. 1099. — A Cologne, saint ANNON, archevêque et confesseur. 1075. — En Mésopotamie, saint Maruthas, évêque, qui rebâtit dans la Perse les églises ruinées durant la persécution du roi Isdegerde, et opéra tant de miracles qu'il fût honoré même des ennemis de notre religion 3. Vers 449. — A Parme, saint Bernard, cardinal-évêque de la même ville, de la Congrégation de Vallombreuse, Ordre de Saint-Benoît. 1133.

1. Nous avons donné la vie de saint Pierre Chrysologue au 2 décembre. 2. Osmond (Osimond, Edimond, Edmond), comte de Séez, en Normandie, suivit Guillaume le Conquérant (1027-1087) en Angleterre, et ce prince le créa comte de Dorset, puis grand-chancelier d'Angleterre. Mais les dignités, jointes à la faveur du prince, n'eurent aucun charme pour un cœur qui n'aimait que les biens célestes. Il quitta même le monde pour embrasser l'état ecclésiastique. Ses vertus et ses talents ne permirent pas qu'on le laissât dans l'obscurité comme il le désirait : on le tira de sa solitude (1075) pour le placer sur le siège de Salisbury (comté de Wilts). Tous les actes de son épiscopat respirent un grand zèle pour la gloire de Dieu. Quand la mort l'eut enlevé à ses chers diocésains, son corps fut déposé dans son église (1099). On le transféra depuis dans la nouvelle cathédrale, et, en 1437, on l'y déposa dans la chapelle de Notre-Dame. La belle châsse où il était renfermé fut pillée sous le règne de Henri VIII (1509-1547). On laissa ses ossements dans la même chapelle, et ils y sont encore. Ils sont couverts d'une pierre de marbre dont l'inscription ne marque que l'année de la mort du saint évêque. Il fut canonisé par Calixte III en 1456. — Godescard. 3. Maruthas, évêque de Tagrite (aujourd'hui Minfarakin), dans la Mésopotamie, est un des plus illustres docteurs de l'Église syrienne. Il a laissé plusieurs ouvrages en syriaque : 1) une Liturgie, qui existe manuscrite à Rome ; 2° s un Commentaire sur les Évangiles ; 3° un grand nombre d'hymnes et d'autres pièces de vers en l'honneur des Syriens qui souffrirent le martyrs en Perse à diverses époques : on les trouve dans les missels syriens et maronites ; 4° une Histoire du Concile de Nicée, avec une traduction syriaque des canons ; 5° les Canons du Concile de Séleucie qu'il tint en 410, et qui furent rédigés par lui : on les trouve dans un manuscrit de la bibliothèque de Florence ; 6° une Histoire des Martyrs de Perse. Maruthas fut enterré dans son église de Tagrite ; on porta son corps en Égypte durant les incursions des Perses et des Arabes. Il est encore dans le monastère de Notre-Dame, situé dans le désert de Scété, et habité par des moines syriens. Les Coptes d'Égypte l'honorent le 19 février ; les Syriens et les Melchites, le 6 du même mois, mais il est honoré le 4 décembre par les Grecs et les Latins. — Rohrbacher et Godescard.

MARTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTÉ.

Aux diocèses d'Ajaccio, Avignon, Gap, Mayence, Perpignan et Tarbes, sainte Barbe, vierge et martyre à Nicomédie, citée au martyrologe romain de ce jour. 235. — Au diocèse de Verdun, saint Pierre Chrysologue, évêque de Ravenne et confesseur, dont nous avons donné la vie au 2 décembre. 450. — A Bourges, sainte Berthoare, fondatrice de l'abbaye de Notre-Dame de Sales, sous la Règle de Saint-Colomban. Vers 869. — Au Mans, sainte Adnette (Adna, Adneta, Adrechildis), religieuse de monastère de Soissons, puis abbesse de celui des Saints-Apôtres, au Mans, où elle fut placée par Aiglibert (670-705), évêque de ce siège. Elle acquit un si haut degré de mérite, et son crédit auprès de Dieu fut manifesté par des signes si évidents, que l'Église du Mans l'a toujours honorée d'un culte public. Son corps fut enterré dans la basilique des Saints-Apôtres 1. Vers 689.

MARTYROLOGES DES ORDRES RELIGIEUX.

Martyrologe des Chanoines Réguliers. — A Nicomédie, sainte Barbe, vierge et martyre, qui, durant la persécution de Maximin, souffrit d'abord toutes les rigueurs de la prison, puis fut brûlée avec des torches, eut les mamelles coupées ; enfin, après d'autres tourments, elle consomma son martyre par le glaive. Son chef est conservé avec le plus grand honneur au Saint des Saints. 235. — Chez les Chanoines de Vienne, saint Pierre, surnommé Chrysologue, évêque de Ravenne, célèbre par son savoir et sa sainteté 2. 450. Martyrologe de la Congrégation de Vallombreuse. — A Parme, saint Bernard, cardinal et évêque de cette ville, de la Congrégation de Vallombreuse. 1133. Martyrologe de l'Ordre des Cisterciens. — A Sienne, en Toscane, saint Galgan, ermite, sous la Règle des Cisterciens, célèbre par sa sainteté et ses miracles, qui, la veille de ce jour, fut appelé à la gloire éternelle lorsqu'il disait : « Ce que vous avez fait est suffisant, récoltez maintenant ce que vous avez semé ». 1181. Martyrologe de l'Ordre des Déchaussés de la très-sainte Trinité. — De même que chez les Chanoines Réguliers. Martyrologe de l'Ordre des Frères Mineurs. — De même que chez les Chanoines Réguliers. Martyrologe de la bienheureuse Vierge Marie du Mont-Carmel. — De même que chez les Chanoines Réguliers. Martyrologe de l'Ordre des Servites de la bienheureuse Vierge Marie. — De même que chez les Chanoines Réguliers. Martyrologe de l'Ordre des Carmes Déchaussés. — De même que chez les Chanoines Réguliers.

ADDITIONS FAITES, D'APRÈS DIVERS HAGIOGRAPHES.

Chez les Frères Prêcheurs, la bienheureuse Cécile de Rome, vierge, de l'Ordre de Saint-Dominique. Cette bienheureuse fut la première religieuse de l'Ordre en Italie. Son admirable piété lui mérita la confiance de saint Dominique, qui lui témoignait une affection toute paternelle et lui communiquait avec abandon les faveurs les plus intimes qu'il recevait du ciel. Elle a laissé des mémoires très intéressants sur la vie du bienheureux patriarche. A peine âgée de vingt-deux ans (1219), Cécile fut envoyée par le pape Grégoire IX à Bologne, pour y fonder un monastère de sœurs de l'Ordre. Elle avait bien toutes les qualités d'une fondatrice ; on la voyait la première à tous les exercices de piété, la plus fervente à l'oraison, la plus signalée en œuvres de pénitence. Après avoir mené une vie toute pure et élevé autant de Saintes qu'elle avait de religieuses sous sa conduite, elle s'endormit dans le Seigneur à l’âge de quatre-vingt-dix ans. Deux cents ans après sa mort (1487), comme on ouvrait son tombeau pour faire la translation de ses reliques, il s'en exhala un parfum délicieux qui réjouit tous les assistants. Aujourd'hui ses ossements sont renfermés dans une même châsse, avec ceux de la bienheureuse Diane d'Andalo (10 juin 1236), et de la bienheureuse Aimée (10 juin 1236). On les honore à Bologne, en Italie. 1287. — En Égypte, CLÉMENT D'ALEXANDRIE, docteur de l’Église. Vers 216. — Au Japon, les bienheureux martyrs François Galvez, prêtre de l'Ordre des Frères Mineurs, espagnol ; Jérôme de Angelis, prêtre de le Compagnie de Jésus, sicilien ; Simon Jempo, de la Compagnie de Jésus, japonais. 1623.

1. Sous l'épiscopat du cardinal Charles d'Angennes de Rambouillet (1556-1587), la ville du Mans eut beaucoup à souffrir des brigandages des Huguenots, et les reliques de sainte Adnette furent profanées. — Dom Piolin, Histoire de l’Église du Mans. 2. Voir la vie de saint Pierre Chrysologue au 2 décembre.

SAINTE BARBE, VIERGE ET MARTYRE,

A NICOMÉDIE, EN BITHYNIE. 235. — Pape : Saint Anthère. — Empereur romain : Maximin 1er.

Martyr dedit Sponso rosas, Deditque virgo lilia. Martyre, Barbe offrit à 1'Époux des roses ; Vierge elle lui donna des fils. Santeuil, Hymne de sainte Barbe.

Usuard et Adon, dans leurs Martyrologes, disent que sainte Barbe était de Toscane ; Métaphraste, au contraire, et Mombrice écrivent qu'elle était d'Héliopolis ; mais il est plus probable, selon Baronius, que son pays fut Nicomédie. Elle eut pour père un homme de qualité, appelé Dioscore, qui était fort adonné au culte des idoles. Celui-ci, voyant que sa fille, déjà parvenue à l'adolescence, était d'une beauté très remarquable, et comprenant les dangers auxquels ne tarderaient pas à l'exposer des grâces sans égales jointes à une immense fortune, imagina de la renfermer dans une forteresse inaccessible. La célèbre tour était loin de ressembler à une prison ; on pouvait la regarder plutôt comme un palais magnifique, remarquable par son élévation, par le nombre et la somptuosité de ses appartements, protégé en même temps par des murs d'enceinte semblables à des remparts. La jeune vierge y fut bientôt introduite, et personne n'y pouvait entrer, à l'exception de ses serviteurs et de ses maîtres. Dioscore, en la séquestrant ainsi, tenait en même temps à lui rendre la solitude agréable ; dans ce but, il avait fait établir, au pied de l'édifice, un jardin plein des agréments les plus variés, où Barbe pouvait se récréer et respirer un air pur, et, comme il était le plus superstitieux des hommes, on avait, par ses ordres, placé de nombreuses statues des faux dieux sous les yeux de l'innocente captive, dans l'espoir qu'elles deviendraient insensiblement l'objet de sa vénération et de son culte. Son père, heureux de trouver en elle de belles dispositions pour l'étude, s'empressa de les cultiver. Il la confia aux maîtres les plus habiles, qui lui firent étudier les poètes, les orateurs et même les philosophes. L'application de la jeune élève, fruit de son ardent désir de s'instruire, son extrême facilité à surmonter les difficultés les plus sérieuses, lui ménagèrent les plus grands succès. Son esprit pénétrant fut frappé de tout ce que renfermaient d'absurde les enseignements du paganisme sur la pluralité des dieux, issus les uns des autres et esclaves des plus honteuses passions, et, en même temps, semblable à l'abeille qui sait tirer des fleurs les plus amères et les plus vénéneuses le suc plein de douceur dont elle compose son miel, elle découvrit, parmi ces grossières erreurs du polythéisme, les vérités fondamentales que les traditions primitives y avaient conservées, et, séparant ainsi l'or pur d'un vil alliage, elle s'éleva par degré à la notion d'un Dieu unique et souverain. Ces premiers rayons de la vérité, répandus dans son âme et fécondés par la douce influence de la grâce, y laissèrent la plus vive et la plus profonde impression. Un jour, inspirée par l'ardeur de son zèle pour le Dieu véritable, qu'elle voyait méconnu par les personnes qui lui étaient le plus chères, elle dit à son père : « Que signifient, mon père, ces figures d'hommes qui sont devant nous ? » — « A quoi pensez-vous, ma fille? » répond aussitôt Dioscore, « ce sont les figures de nos dieux, que nous devons tous adorer ». — « Mais n'ont-ils pas été autrefois des hommes? » reprit Barbe. — « Oui, certainement », répliqua le père ; « mais ils sont aujourd'hui des dieux, et on ne peut en douter sans crime ». La jeune enfant, que Dieu avait prévenue d'une sagesse bien supérieure à son âge, devenait, par le bon usage des grâces du Seigneur, de plus en plus digne des dons de la foi, de plus en plus capable de croire et d'adorer les grands mystères que la religion enseigne. Dieu, continuant à l'environner des soins de sa Providence, lui ménagea la faveur de se mettre en rapport avec Origène, le premier des docteurs chrétiens de son époque. Parmi ses serviteurs, elle en trouva un à qui elle put communiquer son dessein et confier sa délicate commission. Son messager fidèle porta, de sa part, à Origène, une lettre dans laquelle étaient exposées les dispositions de son âme et l'ardeur de ses saints désirs. Origène, plein de joie à la nouvelle qui lui était apportée, se prosterna la face contre terre, louant et bénissant le Seigneur, qui par sa grâce opérait tant de merveilles et ne cessait de faire briller la lumière de la vérité au milieu des ténèbres les plus épaisses du paganisme ; et ce trait de miséricorde lui servit à affermir de plus en plus les chrétiens dans la foi et à ranimer leur confiance et leur ferveur. Après s'être livré aux sentiments de reconnaissance et de piété dont son âme était remplie, le zélé docteur lui écrivit, et choisissant un de ses disciples les plus instruits, nommé Valentinien, il le fit partir pour Nicomédie avec l'envoyé de notre néophyte. Barbe trouva le moyen d'introduire Valentinien dans la tour, et elle le reçut avec les plus grands égards, et comme s'il eût été un envoyé descendu du ciel. Valentinien accomplit avec ardeur sa sainte mission, et, par des instructions longues et fréquentes sur les mystères de la Sainte Trinité, de l'Incarnation et de la Rédemption, sur la loi divine et les sacrements, sur nos destinées éternelles, il suppléa à tout ce qu'Origène n'avait pu renfermer dans sa lettre. La bonne semence jetée dans une terre bien préparée produit des fruits abondants. Aussi la parole de Dieu, que Barbe avait le bonheur d'entendre, fut pour son esprit et pour son coeur une source de vives lumières et d'excellents sentiments. Elle commença à concevoir un profond mépris pour les biens passagers et frivoles de ce monde, et à soupirer après les joies de l'éternité. Le baptême, le premier et le plus nécessaire de tous les sacrements, devint l'objet de ses plus ardents désirs ; ses vœux furent bientôt exaucés. Quelques auteurs disent que ce sacrement lui fut conféré par Valentinien, l'envoyé d'Origène, sans qu'il se passât rien qui sortît des voies ordinaires de la Providence. Selon d'autres, dont l'autorité est beaucoup plus grande, Barbe fut baptisée avec un concours de circonstances toutes miraculeuses, comme nous allons le voir. Étant un jour en prière, prosternée contre terre, dans un des appartements inférieurs de son habitation, et poussée, sans doute, par une inspiration divine, elle s'écria : « Mon très doux maître et souverain Seigneur Jésus-Christ, vous qui, par Moïse, votre serviteur, avec autrefois tiré de l'eau d'un rocher dans le désert, ouvrez pour moi, dans ce lieu, une source d'eau vive et daignez la bénir, afin qu'au nom de la sainte et indivisible Trinité, je puisse recevoir le baptême et être purifiée de toutes mes fautes » Tout à coup jaillit devant elle une source abondante, qui, ayant d'abord rempli un grand vase placé dans ce lieu continua à couler et se divisa en quatre parties avec la forme d'une croix. Après avoir préparé, par un premier prodige, la matière du sacrement qu'elle devait recevoir, Dieu compléta son œuvre par un miracle plus éclatant encore. Saint Jean-Baptiste apparut à côté de l'onde jaillissante, et pour rassurer la fervente catéchumène, il lui dit : « Que la paix soit avec vous » ; et lui ayant fait connaître, en quelques paroles, la cause de sa présence, il mit le comble à son bonheur en lui conférant lui-même un baptême bien autrement efficace que celui qu'il donnait autrefois aux Juifs dans les eaux du Jourdain. Le saint Précurseur, ayant rempli les fonctions de ce ministère extraordinaire, disparut, laissant la nouvelle chrétienne livrée aux transports de sa joie et aux élans de sa reconnaissance. Mais, comme s'il fût venu pour préparer, dans cette circonstance encore, les voies au Sauveur du monde, dès qu'il se fut retiré, Jésus-Christ lui-même, sous la figure d'un jeune homme éclatant de beauté, favorisa sainte Barbe de sa présence, et, lui accordant une grâce semblable à celle que reçurent plusieurs autres Saintes, et en particulier sainte Catherine, vierge et martyre, il lui remit une palme et un anneau d'or, en lui disant : « Je viens, au nom de mon Père, vous prendre pour mon épouse ». Éclairée des vives lumières de la foi, remplie de la grâce du baptême, devenue l'épouse de Jésus-Christ, Barbe va nous apparaître désormais comme toute transformée en Dieu, ne s'inspirant plus que des maximes les plus parfaites de l'Évangile. Pour mettre une barrière infranchissable entre elle et le monde, elle renonça à tout établissement terrestre et consacra pour toujours son corps et son âme à l'amour et au service de Dieu. Ce n'était pas en effet aux hommes que Dieu réservait cette créature privilégiée qu'il avait comblée de ses faveurs ; lui seul était digne de cueillir ce lis si pur. Le généreux sacrifice de Barbe étant accompli, son divin Époux ayant reçu ses serments, il ne lui restait plus qu'à lui garder une fidélité inviolable ; c'était pour elle, il est vrai, une douce obligation ; mais comment l'accomplir, au milieu d'une famille dévouée à l'idolâtrie? La chaste épouse de Jésus-Christ ne pouvait, sans une vive opposition, lever l'étendard de la virginité. La solitude où Barbe vivait ne la faisait point oublier du monde ; ceux qui aspiraient à l'obtenir pour épouse, avaient depuis longtemps tourné du côté de son habitation des regards pleins d'espérance. Plus son père prenait soin de la dérober aux yeux des hommes, plus ceux-ci s'occupaient d'elle. On aimait à s'entretenir de ses brillantes qualités ; on parlait avec admiration de sa beauté, de sa sagesse, de la noblesse de sa famille, des grands biens qui lui étaient réservés. Elle ne tarda donc pas à être recherchée en mariage par les plus puissants seigneurs de la province. Dioscore, malgré son désir de ne pas se séparer de sa fille, crut devoir lui faire des ouvertures au sujet de son avenir et lui parler des propositions avantageuses qui lui avaient été faites. Barbe non seulement fut insensible à de pareilles communications ; mais elle s'empressa de témoigner la plus vive répugnance pour le mariage et en particulier pour tout ce qui pourrait la séparer de son père. Elle n'aspirait, lui disait-elle avec effusion de cœur, qu'à vivre avec lui, pour être un jour l'appui et la consolation de sa vieillesse. Charmé de ces paroles et touché jusqu'aux larmes des beaux sentiments de sa fille, le père se garda bien d'insister ; il embrassa tendrement sa chère enfant, et lui promit de redoubler d'attention pour rendre son séjour de plus en plus agréable. La jeune vierge, tout en exprimant avec sincérité sa grande affection pour son père et son éloignement pour toute alliance matrimoniale, avait dû garder le silence sur le principal motif de sa conduite, mais les jours de paix et de tranquillité qu'elle avait pu obtenir ainsi, ne furent pas de longue durée. Les jeunes princes qui désiraient l'épouser et qui avaient vu échouer leurs premières demandes, firent de nouvelles instances et parvinrent facilement à gagner Dioscore. Ils lui représentèrent les avantages d'une alliance riche et puissante, qui le ferait revivre entouré du respect et de l'amour de ses descendants. Barbe, de son côté, de plus en plus affermie par la grâce dans ses saintes résolutions, repoussa, comme la première fois, toute proposition contraire à son vœu et demeura entièrement insensible à la voix de la chair et du sang. Son père ne vit encore dans sa conduite ni obstination ni désobéissance ; il crut qu'il fallait user de patience et avoir recours à la persuasion plutôt qu'a la violence, espérant qu'avec le temps, des réflexions nouvelles amèneraient un changement dans les dispositions de sa fille. Dioscore, convaincu qu'une absence prolongée de sa part ferait impression sur le cœur de son enfant, qu'elle stimulerait en elle le sentiment de la tendresse filiale et la rendrait enfin plus docile à ses volontés, résolut de s'éloigner au plus tôt. Avant de s'éloigner de sa fille, il donna des ordres pour faire préparer avec luxe une salle de bains dans la tour, afin que rien ne manquât de tout ce qui pourrait procurer son bien-être et lui prouver le dévouement de son père. Mais la jeune et noble captive pensait à bien autre chose qu'à ses plaisirs ; elle employait les jours et une partie des nuits à la prière, au chant des hymnes et des cantiques : « Je bénirai le Seigneur en tout temps », disait-elle avec le Prophète, « et sa louange sera toujours dans ma bouche. La lecture des livres saints faisait ses délices ; elle aimait spécialement à méditer sur les huit béatitudes, ce sublime abrégé des maximes évangéliques, qui nous présente la félicité éternelle sous tant d'aspects attrayants. Elle se formait par ses lectures à la pratique de toutes les vertus, mais surtout d'une inaltérable douceur et d'une patience inébranlable, prévoyant le besoin qu'elle en aurait un jour. Dans, cette pensée, elle nourrissait spécialement son esprit de cette maxime : Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice ». Pour être encore mieux préparée au martyre, elle se mortifiait sans cesse, jeûnant chaque jour et portant habituellement un rude cilice. Avec de tels moyens, elle dompta les rébellions de la chair, l'habitua au sacrifice, et assura la victoire et le triomphe de l'esprit sur les sens. Le Seigneur, de son côté, afin de disposer la jeune héroïne à l'accomplissement de ses grandes destinées, la comblait de nouvelles grâces ; les anges la consolaient et la fortifiaient par des visites fréquentes ; Jésus-Christ lui-même daigna lui apparaître de nouveau plusieurs fois. Un jour il se fit voir à elle sous les traits d'un merveilleux enfant plein de grâce, et qui, l'instant après, parut tout couvert de blessures et de sang. Ce spectacle laissa dans son âme un mélange de tristesse et de joie, et lui inspira les plus tendres et les plus ardents sentiments d'amour pour Jésus. Animée d'un nouveau zèle contre l'idolâtrie, toute pénétrée d'horreur pour les hideux objets de ce culte infernal, elle parcourut la tour, que ces simulacres des faux dieux placés partout rendaient semblable à un temple d'idoles. Armée alors d'une force surnaturelle, elle renverse ces divinités de bois, de pierre, de métal, les défigure, les brise sous ses pieds, et jette par les fenêtres ces objets odieux, en répétant ces paroles du psalmiste : « Qu'ils vous deviennent semblables, et ceux qui vous fabriquent, et ceux qui ont la folie de mettre leur confiance en vous ». Remplie de l'esprit de Dieu, et considérant que les trois personnes divines sont la source de toutes les lumières qui éclairent les hommes, elle voulut rendre manifeste cette vérité par un symbole extérieur et visible pour tous, dans la partie la plus élevée de son habitation. Elle fit ajouter au sommet de la tour une troisième fenêtre aux deux que son père y avait fait construire, afin qu'une lumière de même nature, pénétrant à l'intérieur par ces trois ouvertures distinctes et égales entre elles, fût l'image de l'unité de la lumière divine qui, par les trois adorables Personnes de la sainte Trinité, éclaire et vivifie tous les hommes. Cet ouvrage achevé, Barbe se rendit dans la nouvelle salle du bain et y fit graver de tous côtés, par les ouvriers, le signe de la croix ; elle-même, avec le pouce de la main droite, imprima ce signe sacré sur une colonne de marbre, qui s'amollit sous sa main délicate, comme de la cire exposée au soleil et reçut ainsi miraculeusement l'empreinte sacrée, et en même temps, la marque du pied droit de la Sainte s'imprima profondément sur la dalle du pavé. L'éloignement de Dioscore ne pouvait être de longue durée ; la pensée de sa fille le préoccupait trop pour qu'il ne s'empressât pas d'abréger le temps de son absence, malgré des intentions contraires. Étant donc revenu à Nicomédie, pressé par le sentiment de la tendresse paternelle, il courut embrasser son enfant. La crainte et l'espérance se partageaient tour à tour son esprit inquiet : il lui tardait de sortir de cette pénible incertitude. Aussi, après les premiers épanchements de son cœur, il pressa Barbe de lui donner une réponse positive aux propositions que son absence lui avait laissé le temps de méditer et d'apprécier, parce que le moment était venu de se prononcer entre les divers partis qui attendaient avec impatience sa décision, et qu'il voulait absolument qu'elle acceptât l'un d'eux, sans tarder davantage. Pendant que son père parlait, la jeune vierge, troublée, baissait la tête. La rougeur de son front et la tristesse de son visage montraient bien tout ce que ce discours avait de douloureux pour son cœur. Rompant enfin le silence, elle protesta qu'étant déjà unie à un Époux céleste et tout divin, elle ne l'abandonnerait jamais pour accepter un époux terrestre et mortel, et qu'elle était disposée à supporter les plus grands maux et la mort même plutôt que de manquer à sa parole et de trahir ses serments. A ce langage ferme et courageux, Dioscore reste interdit, comme frappé d'un coup de foudre ; il ne sait s'il doit en croire à ses oreilles, ou s'il est le jouet d'un songe cruel ; cependant, il contient les premiers mouvements de sa colère, n'osant provoquer des explications qui lui révéleraient le mystère dont il commence à soupçonner l'existence. Il a recours aux menaces et aux promesses, et il emploie tour à tour ce qu'elles ont de plus séduisant et de plus terrible. Mais, voyant que toutes ses instances sont inutiles devant l'inébranlable résolution de Barbe, il se retire, la rage dans le cœur. Ce fut bien autre chose, quand, parcourant tout l'édifice, il vit partout les idoles renversées, brisées et détruites, et de tous côtés la croix, qu'il abhorrait, gravée sur les murailles et les colonnes de la tour. Il interroge, il multiplie les questions, et il n'entend que cette réponse, « que tout s'est fait par l'ordre de Barbe ». Transporté de fureur, il revient sur ses pas, et, avec une feinte apparence de calme, il ordonne à sa fille d'expliquer sa conduite. La jeune et fervente chrétienne était toute tremblante d'émotion, mais aussi tout embrasée de zèle pour la gloire de son divin Époux et pour le salut de l'âme de son bien-aimé père. Espérant que Dieu avait enfin ménagé l'occasion qu'elle attendait depuis longtemps, elle se déclara chrétienne avec une courageuse franchise, et s'efforça de montrer la vanité du culte des idoles et d'établir la vérité de la religion qu'elle venait d'embrasser. « Comment », dit-elle respectueusement à son père, « comment pouvez-vous regarder comme des dieux des statues d'or et d'argent, de bois et de pierre, ces vaines idoles qui ont des yeux et qui ne voient point, des oreilles et qui n'entendent point, des pieds et qui ne peuvent marcher? Comment pouvez-vous adorer, comme des divinités, des images d'hommes mortels dont la vie a été souillée par tant de crimes et dont vous ne voudriez pas me laisser imiter les exemples ? Ah ! mon cher père, renoncez à toutes ces honteuses superstitions, et, comme moi, quittez les ténèbres de l'idolâtrie pour ouvrir les yeux à la véritable lumière ; reconnaissez le vrai Dieu ; rendez-lui le tribut d'adoration qui n'appartient qu'à lui seul ; rendez hommage au Père, au Fils, au Saint-Esprit, à ces trois personnes distinctes qui ne sont qu'un seul Dieu. C'est ce mystère que j'ai voulu représenter, quoique d'une manière bien imparfaite, en faisant ajouter une troisième fenêtre aux deux autres, dans la partie supérieure de la tour ; j'ai voulu faire comprendre que, comme par ces trois fenêtres arrive dans l'intérieur de l'édifice une même lumière du soleil, ainsi les trois personnes de la sainte Trinité sont la source unique de la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde. Le Fils de Dieu, la seconde personne de cette adorable Trinité, s'est fait homme pour nous délivrer par sa mort du péché et de ses terribles suites et nous sauver. C'est à lui que j'ai consacré ma virginité ; il s'appelle Jésus-Christ, et je suis chrétienne pour jamais ». Ces paroles, que Dioscore eut la force de ne pas interrompre, lui firent connaître toute l'étendue du prétendu malheur qu'il redoutait. Barbe venait de le déclarer, elle était chrétienne. Ne sachant quel parti prendre, il tomba dans un abattement plus profond que la première fois, lorsqu'il n'avait encore que de simples indices du changement de la jeune vierge. Dominé encore par sa tendresse extrême pour une fille unique, la seule héritière de ses titres et de ses grands biens, il lui fait le tableau le plus effrayant de tout ce qu'il avait à craindre, lui et toute sa parenté, de la part d'un empereur ennemi acharné du christianisme, s'il venait à apprendre qu'il est pratiqué jusque dans la maison de Dioscore ; et il accompagne ses paroles de larmes et de supplications. Mais tout est inutile : larmes, supplications, promesses, menaces, considérations humaines, rien ne peut ébranler l'intrépide héroïne. Alors, semblable à un torrent dont on a longtemps retenu les flots impétueux et qui, parvenant enfin à briser ses digues, porte partout la désolation et la mort, la fureur de Dioscore ne connaît plus de bornes. Oubliant qu'il est père, il n'écoute que son désespoir et sa rage, qui le transforment aussitôt en un cruel tyran. Il saisit son épée pour en percer sa fille, et jure par tous les dieux qu'il serait son bourreau. Barbe brûlait du désir de verser son sang pour Jésus-Christ ; mais, effrayée à la pensée de voir son père se souiller d'un crime énorme si elle était immolée par sa propre main., elle supplia le Seigneur de venir à son secours et de la délivrer de ce pressant danger. Ses voeux furent promptement exaucés. Pendant qu'elle fuyait devant son père, un nouveau miracle la lui fit perdre de vue au moment où il allait l'atteindre. Un rocher, qu'elle ne pouvait franchir, se fendit pour lui livrer passage et reprit aussitôt sa première position ; au même moment, Barbe était transportée comme par un vent impétueux au sommet de la montagne, où une grotte profonde, masquée par des buissons épais, lui servit de retraite. Ces marques si éclatantes de la protection divine en faveur de la pauvre fugitive auraient dû calmer le courroux du persécuteur et le faire rentrer en lui-même. Mais, semblable à un animal féroce altéré de sang et de carnage, il n'écoute que sa fureur, et se laisse entraîner par la soif de vengeance qui le dévore. Cherchant de tous côtés sa victime, il parcourt tous les sentiers, interroge toutes les retraites. Accablé de fatigue, épuisé par la violence de sa passion, il allait enfin se retirer, désespérant pour le moment de saisir sa proie, quand il aperçut deux jeunes bergers. Aussitôt il accourt, les presse de questions, les effraie par ses menaces, jusqu'à ce que l'un des deux indiqua du doigt, en tremblant, le lieu où se tenait cachée la Sainte. A ce signe, Dioscore ranime ses forces et se précipite vers la caverne où, s'est sauvée sa fille. Celle-ci, l'entendant venir, sort de sa retraite et s'avance, pleine de courage et de dignité, à sa rencontre, imitant le divin Maître qui, dans le jardin des Olives, alla au-devant de ses ennemis. La vue de cette innocente enfant qui se jette à ses genoux, loin de l'apaiser, parut redoubler sa colère ; comme une bête féroce, il saisit sa proie, il l'accable de coups, la foule aux pieds, la traîne par les cheveux dans les sentiers de la montagne, parmi les pierres et les épines, et la ramène ainsi, à demi morte, dans sa maison ; là, il la jette dans un noir cachot, chargée de lourdes chaînes qui la serrent étroitement. Cependant la tendre victime, au milieu de ces cruels traitements, ne proférait pas une plainte et conservait une admirable fermeté. Elle s'estimait heureuse, à l'exemple de saint Paul et des Apôtres, d'être prisonnière pour la cause de Dieu. Son divin Époux ne la délaissa pas dans sa détresse ; il lui envoya un ange pour la consoler, la soulager et ranimer ses forces épuisées : « Ne craignez pas », lui dit-il, « vierge chrétienne, Dieu sera toujours avec vous, afin de vous protéger et de vous soutenir dans vos combats ». Elle-même implorait le secours du ciel pour ses dernières luttes, et répétait avec confiance ces paroles du Prophète : « Seigneur, mon âme s'est attachée à vous ; que votre main toute-puissante soit mon appui ». Sainte Barbe a déjà fait les premiers pas dans l'arène sanglante des martyrs ; elle y marchera pendant deux jours encore, selon ses désirs, pour rendre hommage, par trois jours de combat, aux trois personnes de la sainte Trinité, objet constant de sa tendre dévotion. Dioscore va continuer à se conduire à son égard en père dénaturé et barbare. S'il n'avait suivi que ses propres inclinations, il lui aurait lui-même enlevé promptement la vie ; mais il craignait, d'une part, de se rendre odieux à ses concitoyens, de paraître empiéter sur les droits du représentant de l'empereur et de l'irriter, s'il agissait sans son aveu ; il tenait, d'un autre côté, à manifester aux yeux de tous son attachement pour les dieux de l'empire. Guidé par ces divers motifs, il s'empresse d'aller trouver le président Marcien, et résumant en quelques mots ses griefs contre la jeune vierge, il l'accuse d'avoir outragé les dieux et abandonné leur culte pour embrasser une religion proscrite par les décrets des princes ; il demande en même temps qu'un officier de justice vienne se saisir de l'accusée pour la conduire devant les juges, et qu'elle soit traitée selon toute la rigueur des édits portés par les empereurs contre les sectateurs du Christ. La Sainte se vit bientôt entre les mains des satellites de son nouveau persécuteur. Élevant alors son esprit vers Dieu pour implorer son secours : « Seigneur », dit-elle, « soyez avec moi, ne m'abandonnez pas ; aidez-moi à vaincre mes ennemis, qui sont aussi les vôtres ; car c'est à cause de vous que les impies me poursuivent ; revêtez-moi d'une armure divine, afin que rien ne puisse triompher de ma faiblesse. Si je sors victorieuse du combat, toute la gloire en sera pour vous, et les infidèles eux-mêmes seront forcés de reconnaître votre puissance et de lui rendre hommage » Barbe arriva devant le président, liée comme une criminelle et toute meurtrie des coups qu'elle avait reçus la veille. Lorsque Marcien vit cette jeune fille, dont la modestie et la douceur égalaient la beauté, il fut touché de compassion : loin de la traiter avec une extrême rigueur, comme il en était convenu avec Dioscore, il ordonna d'enlever ses liens, blâma la sévérité dont on avait usé envers elle, et ne négligea rien pour la gagner par la douceur. « Comment », lui dit il, « avez-vous pu vous laisser séduire par la vile secte des chrétiens, vous, la fille d'un si puissant seigneur? Pourquoi contrister la vieillesse de votre père, qui avait pour vous une si tendre et si vive affection? Ne voyez-vous pas qu'en persévérant dans votre erreur, vous vous priverez de tous les avantages que vous procureraient la noblesse de votre naissance et votre rare mérite? Devenez plus sage ; renoncez à vos vaines superstitions, et hâtez-vous de sacrifier aux dieux pour éviter une mort également honteuse et cruelle ». L'intrépide chrétienne répondit: « J'offre chaque jour un sacrifice de louanges à mon Dieu, créateur du ciel et de la terre et de tout ce qu'ils renferment. Vos dieux ne sont que de vains simulacres, ouvrages de la main des hommes ; sous leur, nom, vous adorez les démons ou des hommes déshonorés par toutes sortes de vices. Quant aux biens dont vous me parlez, je n'en fais pas plus de cas que de la boue qu'on foule aux pieds. Je ne désire, je n'estime que les biens véritables et éternels que me promet Jésus-Christ, mon Seigneur et mon Dieu ». Ces nobles et courageuses paroles irritèrent d'autant plus le gouverneur, qu'il voyait ainsi ses avances méprisées et repoussées par une jeune fille. Dès lors, ne gardant plus de ménagements, il se porta envers la généreuse chrétienne à des excès tels, que l'enfer seul pouvait les lui inspirer, et dont on ne saurait entendre le récit sans être saisi d'horreur. Il la fit dépouiller de ses habits, et si cruellement flageller, que le sang, coulant à grands flots, ruisselait sur le pavé ; puis il ordonna que l'on déchirât avec des ongles de fer les plaies nombreuses dont les verges avaient couvert son corps. Les païens eux-mêmes ne pouvaient retenir leurs larmes, et ils exprimaient hautement les sentiments de compassion que leur inspiraient les affreuses tortures de la jeune victime. Sainte Barbe seule, comme ravie hors d'elle-même, paraissait insensible à tous les supplices. Elle ne cessait de manifester son mépris pour les idoles et de chanter les louanges du Dieu des chrétiens. Elle s'écria : « Béni soit le Seigneur, qui a écouté ma prière et qui n'a point éloigné de moi sa miséricorde! Voici le jour que j'attendais, que j'appelais de mes vœux les plus ardents, et qui m'est bien plus agréable que toutes les fêtes du inonde! » Le gouverneur, que le courage invincible de la jeune athlète rendait plus furieux, ordonna qu'on la suspendît dans les airs, les pieds en haut, qu'on lui frappât la tête avec des marteaux de fer jusqu'à ce que le sang en sortit de toute part ; qu'après avoir mis sur ses plaies une couche épaisse de sel et placé sur sa chair un rude vêtement de crin, on la roulât toute meurtrie sur des fragments de vases brisés, et enfin qu'elle fût jetée dans une étroite prison, les entraves aux pieds, afin qu'elle ne pût prendre aucun instant de repos. Il croyait affaiblir ainsi son courage. Mais la Sainte, joyeuse et triomphante, continuait à mépriser les tourments et à s'applaudir d'être jugée digne de souffrir pour le nom de Jésus-Christ. Elle s'entretenait de pieuses pensées, et se fortifiait par la prière dans ses dispositions généreuses, lorsqu'elle se vit environnée, au milieu de la nuit, d'une lumière éclatante. Le Sauveur lui-même lui apparaissait pour la troisième fois, et venait lui communiquer un nouveau courage et de nouvelles forces, pour la préparer aux derniers combats qu'elle aurait encore à soutenir. Une dame nommée Julienne, ayant été témoin du courage surnaturel de notre Sainte, comprit que Dieu seul pouvait l'avoir inspiré et soutenu, et que, par conséquent, la religion pour laquelle on était disposé à combattre si généreusement était divine. Toute pénétrée de ces pensées, elle s'empressa de déclarer hautement qu'elle appartenait à Jésus-Christ, et qu'elle voulait vivre et mourir chrétienne. Embrasée ainsi subitement du désir du martyre, elle fut associée aux dernières souffrances et au triomphe de sainte Barbe. Dès le lendemain, Barbe, tirée de sa prison, fut conduite de nouveau devant le tribunal de Marcien ; mais quel ne fut pas l'étonnement de cet homme cruel, quand il la vit parfaitement guérie des blessures dont il l'avait déchirée la veille ! Ne voulant pas rendre témoignage à Dieu et à la vérité, il eut la hardiesse d'attribuer cette merveille à ses divinités chimériques. « Voyez », dit-il à la victime, « quel soin nos dieux prennent de vous et comment ils vous ont tirée du triste état où vous étiez réduite. Soyez-leur donc reconnaissante, et, touchée d'un si grand bienfait, ne leur refusez pas plus longtemps vos adorations ». Barbe, indignée de cette sacrilège fourberie, prenant un ton de voix grave et solennel, répondit sans hésitation : « Comment êtes-vous assez insensé pour oser parler ainsi ? Quoi ! vous attribuez ma guérison à vos vaines idoles, qui n'ont pu se défendre quand mes faibles mains les ont brûlées et jetées honteusement hors de mon habitation? Non, non, ce ne sont pas vos dieux chimériques qui ont opéré le prodige de bonté dont vous parlez ; c'est Jésus-Christ, mon Seigneur et mon Dieu, qui est venu en aide à son humble servante et qui a cicatrisé mes plaies. C'est lui dont la toute-puissance me ressuscitera lorsque vous m'aurez donné la mort ; aussi je me sacrifie volontiers maintenant pour son amour, parce que je sais qu'il me fera vivre éternellement heureuse avec lui dans le ciel ». Cette admirable réponse mit le comble à la fureur de Marcien. Aux tourments de la veille, renouvelés avec plus d'acharnement, il en fit ajouter d'autres, plus terribles encore. Ainsi, après qu'une grêle de coups a de nouveau brisé, en quelque sorte, le corps de sainte Barbe ; après que les ongles de fer ont une seconde fois déchiré et confondu entre elles ses plaies sanglantes, elle est étendue sur un chevalet. On lui brûle les côtés avec des torches ardentes, et des lames de fer rougies au feu lui sont appliquées sur tout le corps. L'intrépidité de l'héroïne semblait grandir à raison de l'accroissement de ses supplices. Elle puisait cette force surnaturelle dans son union avec Dieu, et dans ses ferventes prières. «Seigneur», disait-elle, «je ne puis rien de moi-même, mais je puis tout en vous ; ne détournez pas de moi votre face adorable ; ne retirez pas de moi votre saint Esprit ». Elle recommandait aussi à Dieu Julienne, la compagne de son martyre, la consolait et l'engageait à persévérer jusqu'à la fin. On aurait pu croire que le barbare gouverneur, quelque inventif que fût son esprit en fait de supplices, était incapable d'en trouver de nouveaux pour torturer sa victime, et qu'il avait épuisé contre elle tous les tourments que la malice de son cœur avait pu lui suggérer ; mais le démon, l'ennemi de Dieu et des hommes, qui fut homicide dès le commencement, s'est emparé de son âme ; il l'inspire et l'entraîne dans de nouveaux et inconcevables excès de cruauté. L'ordre est donc donné d'arracher, avec des tenailles ardentes, les mamelles à la jeune vierge, et, dans cet état affreux, de la promener nue à travers les rues et les places de la ville, en la frappant sans cesse sur ses plaies vives, et enfin de lui trancher la tête. En entendant prononcer cette infernale sentence, Barbe fut pénétrée d'une profonde douleur ; les cruautés atroces exercées sur son pauvre corps n'étaient rien pour elle, en comparaison de ce que sa modestie aurait à souffrir de l'exécution des derniers ordres de son bourreau. Aussi ce fut avec une sorte de joie qu'elle présenta ses chastes mamelles aux tenailles brûlantes qui allaient la défigurer et faire de son corps un objet d'horreur ; de même elle éprouvait une véritable satisfaction en pensant que bientôt, toute couverte de sang par les verges qui déchireraient sa chair miraculeusement guérie, elle serait méconnaissable. Cependant, elle priait avec ardeur ; elle demandait à son divin Époux de garder l'honneur de son épouse et de ne pas permettre qu'elle fût ainsi exposée à la dérision publique : « Seigneur », dit-elle, « vous qui couvrez le ciel de nuages et enveloppez la terre de ténèbres impénétrables, qui donnez aux fleurs des champs leur magnifique parure, venez à mon aide dans ce moment critique. Au nom de votre bonté infinie, voilez le corps de votre servante, afin qu'il ne soit point exposé aux regards impudiques des infidèles. Délivrez-moi des criminelles et honteuses moqueries de cette foule effrontée qui m'environne ». Le Seigneur, qui avait jusque-là conduit comme par la main la pudique vierge, s'empressa d'exaucer son ardente prière et de lui accorder un secours éclatant dans ce pressant besoin. Après avoir guéri une seconde fois toutes ses blessures, il l'environna d'une telle splendeur qu'elle en parut comme revêtue d'une longue robe et enveloppée d'un vaste manteau, qui non seulement la dérobaient aux regards avides des païens, mais encore éblouissaient les yeux de ses gardes. A la vue d'un miracle si inattendu, Marcien fut plongé dans la stupéfaction. Obligé de s'avouer vaincu, il pousse des cris de rage et de désespoir, mêlés de paroles entrecoupées et disparates. Il prononce les noms de magicienne, de séductrice, d'enchanteresse, qui sont répétés par les plus endurcis de ceux qui l'environnent. Craignant de faire multiplier des prodiges dont l'éloquente signification pourrait détacher du paganisme un grand nombre de personnes, comme il arrivait souvent dans de pareilles circonstances, il prit le parti d'en finir promptement, et donna ordre au bourreau de trancher, sans plus de délai, la tête à cette vierge indomptable. Sainte Barbe ne pouvait rien entendre de plus agréable. La mort, si redoutée des méchants, était l'objet de tous ses désirs. Elle allait mettre fin à ses cruelles épreuves et la faire entrer en possession de la couronne immortelle des vierges, de la palme des martyrs ; elle allait enfin la réunir pour jamais à son céleste Époux. L'heure suprême de sainte Barbe était arrivée ; la sentence de mort était portée ; il ne s'agissait plus que de procéder à son exécution. Mais, qui le croirait? c'est son père qui lui donnera le coup de la mort. Après avoir assisté à tous les supplices de sa fille et demandé qu'elle fût traitée avec la plus grande rigueur ; après avoir applaudi à tous les actes de barbarie exercés contre elle, son père lui-même, le fanatique Dioscore, veut être son dernier bourreau. Sa demande fait reculer d'horreur tous ceux qui l'entendent, et cependant elle est acceptée. Le président ordonne qu'à l'instant Barbe soit remise entre ses mains, et, sans perdre de temps, le malheureux procède à l'accomplissement de son horrible dessein. Il saisit l'innocente victime, l'entraîne hors de la ville, escorté d'une suite digne de lui, et la conduit sur une montagne voisine. Notre Sainte, loin d'opposer la moindre résistance, marche d'un pas ferme et assuré, la joie dans le cœur, comme un athlète qui, après avoir bien combattu, va recevoir la palme de la victoire. Elle unit son sacrifice à celui de Jésus-Christ, qui fut aussi conduit hors de la ville et gravit une montagne pour y consommer, sur la croix, l'œuvre de notre rédemption. Arrivée au sommet de la montagne, elle se mit à genoux pour se préparer à recevoir le coup fatal, et, comprenant par elle-même combien est nécessaire le secours des sacrements pour aller comparaître devant le souverain Juge, et combien il est pénible d'en être privé, elle demanda, pour tous ceux qui honoreraient son martyre, la grâce de recevoir, à l'heure de la mort, le divin viatique dans de saintes dispositions. « Seigneur Jésus », dit-elle, « bonté infinie, vous qui êtes le solide fondement de l'espérance et du salut de ceux qui croient en vous, faites, je vous prie, que tous ceux qui vous invoqueront au souvenir de mes souffrances et de ma mort, ressentent, en toutes circonstances, les effets de votre miséricorde, et surtout qu'à la fin de leur vie ils reçoivent avec un cœur vraiment contrit et humilié les derniers sacrements et qu'ils soient délivrés des embûches du démon. Ainsi soit-il ». Une voix céleste répondit aussitôt : « Venez, la bien-aimée du Seigneur ; venez jouir du repos éternel dans le sein de votre Père céleste ; venez recevoir la couronne que vous avez méritée ; la porte du ciel vous est ouverte. Tout ce que vous avez demandé vous sera accordé ». Ces paroles remplirent de consolation la sainte martyre. Tous les assistants les entendirent distinctement, et plusieurs d'entre eux, touchés jusqu'au fond de l'âme, proclamèrent la divinité de Jésus-Christ et se convertirent. Pour Dioscore, sourd à toute autre voix qu'à celle de sa haine contre le christianisme et de sa rage contre son innocente fille, il la frappa de sa hache avec tant de violence, que d'un seul coup il fit rouler sa tête dans la poussière. Cette douce victime s'était tournée vers lui en s'inclinant respectueusement et en se recommandant à Dieu par ces paroles : « Seigneur, je remets mon âme entre vos mains ». Cette prière suprême expirait sur ses lèvres, quand le coup de la mort sépara sa belle âme de son corps virginal, et, pendant que son sang ruisselait sur la terre, les anges, qui attendaient sa délivrance, recevaient son âme et la portaient au ciel en triomphe. Ce glorieux martyre fut consommé, comme nous l'avons vu, l'an 235 de l'ère chrétienne, le 4 décembre, jour auquel l'Église en honore la mémoire. Si la mort des Saints est précieuse aux yeux de Dieu, celle des méchants ne peut être qu'affreuse ; pendant que la première met les Saints en possession de la vie éternelle, la seconde livre les impies aux coups vengeurs de la justice de Dieu. Le criminel Dioscore, dont le nom sera à jamais odieux, en fit la terrible expérience. Le ciel, qui avait applaudi aux généreux combats de sainte Barbe, et qui s'était ouvert pour la recevoir avec honneur dans le séjour du repos et de la paix, frémit d'horreur à la vue du parricide fier de son forfait et tout couvert du sang de son enfant. La colère de Dieu ne put le supporter plus longtemps sur la terre. Il descendait de la montagne, tenant dans ses mains la hache ensanglantée, instrument de son dernier crime, exaltant ses dieux, maudissant le nom chrétien et s'applaudissant du meurtre qu'il venait de commettre. Tout à coup, dans un ciel sans nuage et pendant que le soleil resplendissait à la voûte du firmament, un éclair brille d'un feu lugubre, et pendant qu'un violent coup de tonnerre ébranle la montagne et répand partout l'effroi, la foudre frappe le coupable, le consume en un instant et, dans un noir tourbillon, dissipe tellement ses cendres impures qu'il n'en reste pas de vestiges. Le gouverneur Marcien, qui s'était associé si cruellement au même forfait, fut enveloppé dans le même châtiment. Le feu du ciel en fit également justice. On représente sainte Barbe : 1° ayant près d'elle des canons, barils de poudre, mèches, bombes, grenades, nous dirons tout à l'heure pourquoi ; — 2° portant un ciboire ou un calice surmonté de l'hostie, comme si elle apportait ou garantissait le saint Viatique à ceux qui l'implorent. D'après sa légende, la Sainte, au moment de son dernier supplice, avait précisément demandé à Dieu cette faveur pour ceux qui se recommanderaient à elle, et une voix céleste lui avait garanti l'effet de sa prière ; — 3° appuyée contre une tour percée de trois fenêtres ; nous avons dit pourquoi ; — 4° ayant à ses pieds son père terrassé par la foudre. On invoque principalement sainte Barbe contre la foudre et la mort subite (par allusion à celle de son père) ; par suite elle est la patronne naturelle de tous les artisans dont le métier expose à la mort subite : artificiers, artilleurs, fondeurs, armuriers, couvreurs, charpentiers, maçons, mineurs. Les paumiers et raquettiers honoraient aussi sainte Barbe comme patronne, sans doute parce que le jeu de paume est assez chanceux pour la vie humaine quand il est mené vigoureusement. Un calembour, comme il en existe passablement dans nos dévotions populaires, a fait prendre sainte Barbe comme patronne des brossiers, vergetiers et chapeliers (parce que brosses et chapeaux se font avec diverses espèces de poils ; ce qui conduit naturellement à l'idée de barbe).

CULTE ET RELIQUES.

Le corps et la tête de la glorieuse Martyre furent embaumés par un pieux chrétien, nommé Valentinien, puis ensevelis avec respect dans un lieu appelé Gelasse, à douze milles d'Euchaïte, ville voisine de Nicomédie, ou, selon d'autres, à Héliopolis. De nombreux miracles révélèrent l'existence de ce trésor, et des malades sans nombre y obtinrent des guérisons tellement éclatantes, que le lieu de sa sépulture acquit, dès le VIIe siècle, une très grande célébrité. Tant de prodiges engagèrent les peuples à enrichir Nicomédie de ses reliques. Ils les placèrent dans une châsse, qu'ils couvrirent de lames d'or et d'argent et de pierres précieuses. Ils la suspendirent aux voûtes du temple, avec des chaînes auxquelles étaient attachées des lampes toujours allumées et où brûlaient de précieux aromates. Le corps de la Sainte fut transféré, selon les uns, de Nicomédie à Rome et de Rome à Plaisance. Selon les autres, dont l'opinion est beaucoup plus probable et mieux appuyée, la translation de ses reliques eut lieu de Nicomédie à Constantinople et de Constantinople à Venise. Sainte Barbe est la patronne du pays messin. Son culte remonte vraisemblablement à l'époque des croisades et aux expéditions des Vénitiens, des Génois et des Pisans, qui, en apportant d'Orient un grand nombre de corps de Saints, en rendirent le culte célèbre dans nos contrées. Depuis plusieurs siècles, sainte Barbe avait un sanctuaire célèbre, à peu de distance de Metz, dans le village qui porte encore aujourd'hui son nom. On y voyait accourir, tous les ans, de nombreuses troupes de pèlerins, surtout pendant les fêtes de la Pentecôte. Les Messins l'invoquaient dans toutes les calamités qui affligeaient la cité. Les seigneurs et les ducs de Lorraine visitaient aussi fréquemment son sanctuaire au commencement ou à l'issue de quelque grande entreprise. Ces pèlerinages s'accomplissaient avec toute la pompe ducale ; la majesté des princes lorrains s'étalait dans tout son éclat pour rendre plus d'honneur à la patronne du pays messin ; Metz-la-Riche les accueillait magnifiquement ; la noblesse messine les escortait, leur faisait des présents et les honneurs de leur opulente cité. En 1449, Jean de Calabre, fils du bon roi René, gouverneur pour son père des duchés de Bar et de Lorraine, au retour de sa brillante campagne de Normandie, où il avait combattu sous les yeux de Charles VII, vint à Sainte-Barbe, en grande compagnie de seigneurs, chevaliers, gentilshommes et écuyers. Il fit offrande d'un cierge de vingt livres de cire et d'une couronne d'or. En 1472, Nicolas 1er, duc de Lorraine, au retour de son voyage de Flandre, passa à Sainte-Barbe avec ses troupes et voulut y entendre la messe. Trois ans après, le jeune duc René II y vint pour invoquer le secours de l'illustre patronne contre Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, qui menaçait ses États. En 1494, Philippe de Gheldres, sa pieuse épouse, voulant accomplir un vœu, y vint avec une suite de deux cents personnes, seigneurs et dames des plus hautes maisons de Lorraine. Le 23 février 1515, Claude de Guise, fils de René II et de Philippe de Gheldres, et père de l'illustre François de Guise, le défenseur de Metz, se rendit à Sainte-Barbe avant son départ pour l'Italie, où il devait accompagner François 1er avec l'élite de la noblesse lorraine. Il prit part à la bataille de Marignan à la tête des lansquenets. Après le combat il fut retrouvé sous un monceau de morts, le corps couvert de vingt-deux blessures et foulé aux pieds des chevaux. Au milieu d'un danger si pressant, le jeune héros promit à Dieu, s'il le délivrait, de faire le pèlerinage de Sainte-Barbe et de Saint-Nicolas de Port, à pied et armé comme au jour de la bataille, et d'offrir un cierge de cire de son poids. Claude de Guise arriva à Metz le 8 mai 1519, et le lendemain il fut conduit à Sainte-Barbe par plusieurs seigneurs de la cité. Il offrit en outre sa statue en bois de grandeur naturelle. Cependant, l'église de Sainte-Barbe était loin de répondre à la célébrité du lieu et à l'affluence des pèlerins. Claude Baudoche, seigneur du lieu et dernier gentilhomme de cette illustre et opulente famille qui avait donné tant de magistrats à la République, conçut le dessein d'élever à la patronne du pays messin un sanctuaire plus digne d'elle et des hommages des peuples. En 1516, on jeta les fondements de la nouvelle église ; les plans furent pris sur l'église des Grands-Carmes, œuvre de Pierre Perrat, le grand architecte messin. Rien ne fut épargné pour en faire un des plus magnifiques sanctuaires du pays. Valentin Bousch, qui orna de si somptueuses verrières la cathédrale de Metz, fut chargé, en même temps, d'exécuter celles de Sainte-Barbe. Lorsque l'église était en construction, elle fut visitée, en 1523, par le bon duc Antoine de Lorraine et la duchesse Renée de Bourbon, sœur du connétable de France. Antoine était accompagné de son jeune frère François, comte de Lambesq, à peine âgé de dix-sept ans, qui devait succomber quelques mois après à la bataille de Pavie. Les illustres pèlerins y furent bien accueillis par les seigneurs de la cité. Après avoir entendu la messe, le duc et la duchesse firent de riches offrandes à Sainte-Barbe. Le chapitre de la cathédrale, qui avait fait l'acquisition du sanctuaire, à la mort de Claude Baudoche, l'offrit à l'abbaye de Saint-Arnould, qui en prit possession en 1634, et y fonda un prieuré qui subsista jusqu'en 1790. L'église, épargnée par les révolutions, est tombée, en 1823, sous le pic des restaurateurs à remise, qui lui ont substitué une de leurs églises-granges. Le clocher est l'unique reste de celle magnifique église. Quelques débris des vitraux ont été sauvés de l'ignorance barbare des iconoclastes du siècle, et transportées à la cathédrale, pour servir à la restauration de ses somptueuses verrières.

Nous nous sommes servi, pour composer cette biographie, de l'Histoire de sainte Barbe, par M. l'abbé Villemot, et de Notes locales dues è l'obligeance de M. l'abbé Noël, du clergé de Metz.

CLÉMENT D'ALEXANDRIE, DOCTEUR DE L'ÉGLISE (216).

Clément d'Alexandrie a été qualifié de Saint ; mais ce titre lui est depuis longtemps contesté. Il se trouvait autrefois dans le martyrologe romain, où il avait passé de celui d'Usuard ; mais il en a été retranché ; et Benoît XIV, dans sa lettre à Jean V, roi de Portugal, justifie ce retranchement. L'abbé Bergier, qui, dans son Dictionnaire de Théologie, a consacré un savant article à ce docteur de l'Église, ne le nomme que Clément d'Alexandrie. Titus-Flavius Clemens, que quelques auteurs font Athénien de naissance, commença ses études dans la Grèce ; il les continua en Italie, dans l'Asie Mineure, l'Assyrie et la Palestine, et les acheva en Égypte. Un désir incroyable d'apprendre lui fit ainsi parcourir les différentes parties du monde. II eut, entre autres, cinq maîtres célèbres : un dans la Grèce, qui était de la secte ionique, deux dans la Calabre, et deux en Orient. Quoiqu'il fût très versé dans la philosophie de Platon, il donnait la préférence aux principes des Stoïciens ; mais il ne voulait tenir à aucune secte particulière ; il choisissait ce qu'il y avait de meilleur partout où il se trouvait. Un des maîtres qu'il eut en Palestine était juif d'extraction ; il paraît même qu'il était chrétien. Le dernier qu'il écouta, et qu'il met lui-même au-dessus de tous les autres, fut le célèbre Pantène, qui était à la tête de l'école des catéchèses d'Alexandrie. Clément, dont les études avaient pour objet la recherche de la vérité, découvrit les erreurs de l'idolâtrie et vit briller à ses yeux la lumière de la foi. Quelque versé qu'il fût dans les différentes branches de la littérature profane, il vit qu'il lui manquait la plus essentielle des connaissances, celle de laquelle dépend le bonheur de l'homme et qui ne peut se trouver que dans la vraie religion. Il se mit donc à étudier la théologie, science qui, selon lui, n'a d'autre but qu'une vie perfectionnée par toutes les vertus. Il nous apprend que quelques-uns des successeurs immédiats des Apôtres, qui avaient conservé la vraie tradition de la bienheureuse doctrine enseignée par saint Pierre, par saint Jacques, par saint Jean et par saint Paul, vivaient encore de son temps. « Ils sèment », disait-il, « dans nos cœurs la divine semence qu'ils ont reçue des Apôtres, leurs prédécesseurs ». Pantène ayant été envoyé dans les Indes par l'évêque Démétrius, en 189, Clément lui succéda dans la place de catéchiste d'Alexandrie, qu'il remplit avec un grand succès. On compte, parmi ses principaux disciples, Origène et saint Alexandre, depuis évêque de Jérusalem et martyr. Sa méthode était d'instruire d'abord ceux qui venaient l'écouter, de ce qu'il y avait de bon dans la philosophie païenne, afin de les conduire par degrés à la connaissance du christianisme. Pour le leur faire aimer et leur inspirer le désir de l'embrasser, il insistait sur certains points de morale que découvrent les lumières naturelles et qui se trouvent semés dans les écrits des philosophes. Il fut ordonné prêtre vers le commencement du règne de Sévère ; car Eusèbe lui donne ce titre en 195. La persécution qu'excita cet empereur, en 202, l'obligea d'abandonner son école. Il se retira dans la Cappadoce. Nous le voyons à Jérusalem peu de temps après, et nous apprenons par une lettre de saint Alexandre, évêque de cette ville, qu'il y prêcha avec beaucoup de zèle et de succès. De Jérusalem, il se rendit à Antioche. Dans tous les lieux par lesquels il passait, il encourageait les disciples de Jésus-Christ et tâchait d'en augmenter le nombre. D'Antioche, il revint à Alexandrie. Les anciens ont donné de grands éloges à sa vertu et à son savoir, et ces éloges se trouvent bien justifiés par ce qui nous reste de ses écrits. Nous les ferons connaître en peu de mots. Son Exhortation aux Gentils a pour objet de faire sentir l'absurdité de l'idolâtrie ; et cette absurdité devient singulièrement frappante par le précis historique que donne l'auteur de la mythologie païenne. Clément a inséré dans cet ouvrage plusieurs découvertes curieuses qu'il avait faites dans ses voyages, dont il se sert pour fortifier ses raisonnements et qui attachent agréablement le lecteur. Il composa ensuite ses Stromates ou tapisseries, qui ne sont qu'un recueil de mélanges, divisé en huit livres, où il y a peu d'ordre. On ne peut, dit l'auteur lui-même, comparer cet ouvrage à un jardin où les arbres et les plantes sont rangés avec symétrie ; il ressemble plutôt à un amas d'arbres sauvages, venus d'eux-mêmes et qui sont épars çà et là. Il ajoute qu'il l'avait fait pour lui servir de répertoire dans sa vieillesse, lorsque la mémoire viendrait à lui manquer. On l'a accusé d'avoir trop suivi les dogmes des anciens philosophes et de ne s'être pas toujours exprimé avec assez d'exactitude. Mais on ne peut en général expliquer d'une manière favorable les endroits qui paraissent répréhensibles. Si le style de cet ouvrage est un peu dur, on en est dédommagé par l'érudition qui y règne et par l'abondance et la variété des matériaux qu'il renferme. Clément y traite avec solidité diverses questions qui ont pour objet la morale, la métaphysique, les hérésies qui avaient paru jusqu'alors, le paganisme et la théologie. Dans le sixième livre, il trace le caractère du véritable chrétien, auquel il donne le nom de gnostique. Il veut qu'il commande à ses passions, qu'il garde exactement les règles de la tempérance, et qu'il n'accorde à son corps que ce qui lui est nécessaire pour le soutenir. Le véritable gnostique, ajoute-t-il, doit aimer Dieu par-dessus toutes choses, et les créatures pour Dieu ; rien ne doit être capable de le séparer de l'amour de Dieu. Il supporte avec patience tous les accidents de cette vie et ne s'occupe que des moyens de s'unir au souverain bien: jamais il ne se laisse emporter par la colère ; il prie continuellement pour obtenir la rémission de ses péchés, avec la grâce de ne plus pécher à l'avenir et de pratiquer la vertu. Dans le septième livre, Clément parle de la vertu de son gnostique. « Il s'applique », dit-il, « de toutes ses forces à honorer Dieu et à l'aimer ; à écouter, à imiter son Verbe qui s'est fait homme pour notre salut ; il est doux, honnête, affable, patient, charitable, sincère, fidèle, tempérant ; il méprise les biens de ce monde et est dans la disposition de tout souffrir pour Jésus-Christ ; il ne fait rien par ostentation, et ses actions n'ont d'autre motif que l'amour de la justice et de la bonté de Dieu. Enfin, c'est un homme entièrement saint et tout divin. Le gnostique prie en tous lieux, mais principalement en secret et dans le fond de son cœur ; il prie sans cesse, le matin en se levant, à midi, en voyage, lorsqu'il se repose, cherchant en tout à glorifier Dieu, à l'exemple des Séraphins dont il est parlé dans Isaïe. » Il distingue les véritables Gnostiques d'avec les hérétiques connus sous ce nom, et qui troublaient alors l'Église par leur abominable doctrine sur une perfection imaginaire. Pour prémunir les fidèles contre les erreurs et les extravagances des faux mystiques, il explique la nature et l'étendue de chaque vertu théologale, et montre surtout en quoi consiste l'amour pur. Il apprend à ne pas confondre la résignation avec l'indifférence ; il traite de l'activité, de la transformation et de l'union : mais de manière qu'il évite les extrêmes et qu'il fixe les bornes qui séparent la mysticité des illusions du fanatisme. Le traité intitulé : Quel riche sera sauvé ? est une explication des paroles que Jésus-Christ adressa à un jeune homme riche dont parle l'Évangile. L'auteur y montre qu'il n'est point nécessaire, pour être sauvé, de renoncer aux richesses, pourvu qu'on en fasse un bon usage. Il y traite aussi de l'amour de Dieu et du prochain, ainsi que de la pénitence, dont il prouve l'efficacité par l'histoire de ce jeune voleur que saint Jeun convertit. Le Pédagogue de Clément, divisé en trois livres, est un excellent abrégé de morale, où l'on voit de quelle manière les bons chrétiens vivaient dans ces premiers temps. L'auteur fait voir dans le premier livre que Jésus-Christ est le Maître, le Conducteur, le Pasteur des hommes, qui tous ont besoin d'être instruits, et que la vie d'un chrétien doit être une suite non interrompue d'actions vertueuses. On trouve dans le second livre des règles de conduite par rapport à certains devoirs particuliers, comme l'abstinence, la mortification, l'humilité, la prière, l'aumône, la chasteté, tant dans l'état du mariage que dans celui de la virginité. Suivant la doctrine de Clément, il faut préférer une nourriture simple, ne fût-ce que par raison de santé ; un seul repas par jour doit suffire, deux tout au plus ; c'est-à-dire, outre le souper, un déjeuner de pain sec, sans boire. Il prouve, contre les Encratiques, que l'usage modéré du vin est permis, mais il le défend aux jeunes gens. Il s'élève aven force contre le luxe dans les meubles et la vaisselle. Il veut qu'on dorme peu, et jamais le jour ; qu'on commence la nuit par la prière, et qu'on ne soit plus au lit lorsque le jour paraît. Il prouve contre les païens, que toutes les actions impures sont des crimes aux yeux mêmes de la raison. Dans le troisième livre, il traite de la modestie et de plusieurs autres vertus. Il le conclut par exhorter ses lecteurs à écouter les divines leçons de Jésus-Christ, qu'il remercie de ce qu'il l'a fait membre de son Église. La prière qu'il lui adresse est également adressée au Père et au Saint-Esprit. Cet ouvrage renferme d'excellentes maximes pour arriver à la perfection chrétienne ; mais on ne pourrait le traduire qu'en adoucissant certaines expressions, par égard pour les mœurs actuelles. Photius fait observer que le style de Clément est fleuri, élégant et sublime dans le Pédagogue et dans l'Exhortation aux Gentils, quoique sa diction ne soit point parfaitement pure. Nous avons fait remarquer que le style des Stromates avait quelque chose de plus dur que celui des autres ouvrages du saint docteur. Mais on admire dans tous une vaste érudition. Saint Jérôme appelle Clément d'Alexandrie le plus savant des écrivains ecclésiastiques. Théodoret dit qu'il surpassait tous les autres par l'étendue de ses connaissances. Saint Alexandre de Jérusalem et les anciens auteurs font de grands éloges de la sainteté de sa vie. Clément mourut à Alexandrie, avant la fin du règne de Caracalla, qui fut assassiné en 217.

Godescard, édition Lefort, Lille.

SAINT ANNON, ARCHEVÊQUE DE COLOGNE (1075).

Annon, issu d'une famille remarquable par sa piété, prit dans sa jeunesse le parti des armes. Un pieux chanoine de Bamberg (Bavière), son oncle, lui ayant parlé de la vanité des biens du monde, il y renonça et résolut de se consacrer à Dieu dans l'état ecclésiastique. Il commença ses études à Bamberg, et fit de tels progrès dans les lettres sacrées et profanes, qu'il fut chargé de les enseigner dans la même ville. Ses vertus et son savoir le firent connaître à la cour de l'empereur Henri III, dit le Noir (1039-1056) ; ce prince le fit venir auprès de sa personne. On l'admirait pour son amour de la justice et du droit et pour la liberté avec laquelle il les défendait. Il possédait à un degré éminent toutes les qualités du coeur et de l'esprit, et tous les avantages que donne la nature : une taille élevée, une figure imposante, une parole éloquente et facile, une patience rare pour supporter les veilles et les jeûnes, une merveilleuse aptitude pour l'exécution des grandes et belles entreprises. Il fut élevé sur le siège archiépiscopal de Cologne après la mort d'Hermann II. Son sacre eut lieu avec une pompe extraordinaire, l'an 1055,1e 11 mars. Les larmes qu'il répandit pendant la cérémonie justifièrent l'idée qu'en avait de son humilité et de sa piété. Henri III étant mort, l'impératrice Agnès le fit nommer régent et premier ministre pour gouverner pendant la minorité de Henri IV. Ce jeune prince, corrompu par les flatteurs et les compagnons de ses débauches, ne voulut bientôt plus souffrir les remontrances du saint archevêque ; il lui ôta même le gouvernement de l'État. Mais les injustices et les exactions de ceux auxquels il donnait sa confiance excitèrent un mécontentement général ; Annon fut rappelé, et il reprit l'administration des affaires. Le soin de l'État ne lui faisait pas oublier ses devoirs d'évêque. Sans cesse il allait chercher au pied des autels les secours et les consolations dont il avait besoin ; il macérait son corps par un jeûne continuel ; la plupart du temps il passait la nuit en prières ; il visitait ordinairement les églises pieds nus, suivi de quelques pieux compagnons, parfois simplement d'un enfant ; un dur cilice châtiait sa chair ; sa charité pour les pauvres était extrême ; chaque jour il recevait chez lui vingt-quatre indigents, leur lavait et baisait les pieds, et leur servait à manger. En outre, il bâtit un hôpital à Cologne. Les pauvres assiégeaient par troupes les portes de son palais et, lorsqu'il sortait, couraient après lui. Il secourait avec une affection particulière les enfants des pauvres, et redoublait ses aumônes à leur égard depuis Noël jusqu'à la Purification. Il donnait tout ce qu'il avait, ne voulant pas que la mort, quand elle viendrait, le trouvât possesseur d'aucune richesse. Il en arriva selon ce qu'il avait désiré, car, excepté son anneau pastoral et le reste du mobilier indispensable à un évêque, il se vit réduit à n'avoir pas un denier, et, dans sa dernière maladie, il fallut que la charité des étrangers vint à son secours. Il eut pour les églises et les maisons religieuses une munificence, dont toutes celles de son diocèse ressentirent les effets ; ici il faisait construire des édifices, là il donnait des domaines, là des revenus annuels, des meubles pour servir au culte, des reliques des Saints, etc. Il fonda à Cologne deux collèges de clercs, l'un sous le titre de la bienheureuse vierge Marie, l'autre sous celui de saint Georges, martyr. Il bâtit les trois monastères de Grafschaft, de Saalfed et de Siegberg, qu'il dota à la fois de bons revenus et d'excellentes règles ; il en réforma plusieurs. Il fit don à la ville de Dortmund (Westphalie) du corps du bienheureux martyr Reynold. Son éloquence était si pathétique, que souvent, lorsqu'il prêchait, l'assemblée pénétrée de componction faisait résonner l'église de ses pleurs et de ses sanglots. Lorsqu'il rendait la justice, il ne consultait que l'équité, et résistait toujours aux injustes prétentions des grands et des puissants. Il rendit à Dieu sa sainte âme le 4 décembre 1075. Son corps fut déposé au monastère de Siegberg où il repose encore dans une châsse précieuse. Son tombeau a été illustré par des miracles. Comme fondateur d'églises et de monastères, une petite réduction d'église qu'il porte sur la main est sa caractéristique ordinaire.

Propre de Cologne.

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