L'analogie : Différence entre versions

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A propos de l’analogie chez saint Thomas d’Aquin.
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La notion d’analogie a une place importante dans la théologie catholique, en particulier dans la théologie de saint Thomas d’Aquin qui en est un illustre représentant. Saint Thomas est le docteur commun de l’Église et son puissant génie a souvent su trouver la formulation adéquate d’une proposition.  
 
La notion d’analogie a une place importante dans la théologie catholique, en particulier dans la théologie de saint Thomas d’Aquin qui en est un illustre représentant. Saint Thomas est le docteur commun de l’Église et son puissant génie a souvent su trouver la formulation adéquate d’une proposition.  
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Version du 21 mars 2011 à 17:31

Métaphysique
Auteur : abbé S. Leclère

Difficulté de lecture : ♦♦♦ Difficile


A propos de l’analogie chez saint Thomas d’Aquin.

La notion d’analogie a une place importante dans la théologie catholique, en particulier dans la théologie de saint Thomas d’Aquin qui en est un illustre représentant. Saint Thomas est le docteur commun de l’Église et son puissant génie a souvent su trouver la formulation adéquate d’une proposition.

C’est pourquoi il importe de connaître précisément sa pensée lorsqu’on considère une question théologique qu’il a étudiée. Et si saint Thomas n’a pas donné de traité de l’analogie, s’il n’a pas étudié l’analogie pour elle-même, il reste qu’il l’a souvent considérée.

On doit constater que les commentateurs de saint Thomas, tant les commentateurs classiques que les commentateurs néo-thomistes, ont souvent donné une idée de l’analogie selon saint Thomas qui ne correspond pas à la lettre de saint Thomas. Conserver cette lettre n’est certes pas une fin en soi mais du fait de sa grande autorité, autorité qui a été souvent et clairement affirmée par le Magistère de l’Église, il convient de n’abandonner la lettre même de saint Thomas que lorsque cela est une exigence même de la vérité. Mais il n’est pas acquis du tout que saint Thomas se soit tromper sur l’analogie. Si un commentateur, aussi grand soit-il, abandonne la lettre de saint Thomas sans produire de raison suffisante pour cela, il convient de ne pas le suivre dans cet abandon. Et s’il contredit la lettre de saint Thomas sans produire de raison suffisantes, alors on doit garder la lettre de saint Thomas. Or il apparaît que de nombreux commentateurs ont, à la suite de Cajetan, non seulement abandonné la lettre de saint Thomas sur l’analogie, mais l’ont contredite. La présente étude veut établir ce fait. Si la pensée de saint Thomas sur l’analogie est vraie alors il faut la commenter dans le respect de sa lettre car sa lettre est le seul moyen de connaître sa pensée.

Toujours saint Thomas a pensé l’ordre des réalités qu’il considérait. Sapientis est ordinare. Il appartient au sage de penser l’ordre. L’analogie est l’ordre qui existe entre les différents sens d’un même mot lorsque ceux-ci ne sont pas équivoques. Un texte du De Potentia Dei présente un bon exemple de l’analogie : « Licet secundum rem paternitas et filiatio per prius sit in Deo quam in nobis, secundum illud Apostoli ad ephs. III, 15 : « Ex quo, scilicet Deo Patre, omnis paternitas in caelo et in terra nominatur » ; tamen secundum nominis impositionem haec nomina translata sunt ab humanis ad divina »[1] On voit que l’analogie est essentiellement le fait du nom, et non de la chose qu’il désigne. Le nom paternitas est dit per prius de la paternité humaine et per posterius de la paternité de Dieu le Père et c’est en cela qu’est réalisée la ratio analogiae. Il ne faut pas confondre ce qui relève du nom et ce qui relève de la chose. Si c’est la paternité divine qui est le principe de toute paternité, il reste que par le nom paternité l’homme désigne d’abord la paternité humaine avant de désigner celle de Dieu le Père. Une ressemblance ou un simple rapport est vu, ou révélé, entre une réalité désignée la première par un nom, et une autre réalité, à laquelle on va donner le même nom, du fait de cette ressemblance ou de ce rapport. Ce n’est pas confondre ce qui relève du nom et ce qui relève de la chose que de reconnaître cela, c’est seulement dire la condition requise du côté de la chose pour que du côté du nom l’analogie opère. Ce n’est pas cette ressemblance qui constitue formellement l’analogie. La ressemblance est entre deux choses alors que l’analogie est entre deux noms. Allez plus avant dans la considération de cette ressemblance, c’est quitter le domaine de l’analogie en tant que telle. La ressemblance comme condition de l’analogie n’est pas, selon saint Thomas, d’une espèce déterminée. Elle peut être réelle, fondée sur la causalité, ou encore imaginée comme dans la métaphore, cela est indifférent pour l’analogie en tant que telle. Un texte du Commentaire du De Trinitate de Boëce distingue bien ce qui est commun per praedicationem, c’est à dire selon l’analogie et ce qui est commun per causalitatem : « Sicut autem uniuscuiusque determinati generis sunt quaedam communia principia quae se extendunt ad omnia principia illius generis, ita etiam et omnia entia, secundum quod in ente communicant, habent quaedam principia quae sunt principia omnium entium. Quae quidem principia possunt dici communia dupliciter secundum Avicennam in sua Sufficientia: uno modo per praedicationem, sicut cum dico: forma est commune ad omnes formas, quia de qualibet praedicatur; alio modo per causalitatem, sicut dicimus solem unum numero esse principium ad omnia generabilia. Omnium autem entium sunt principia communia non solum secundum primum modum, quod appellat Philosophus in XI Metaphysicae omnia entia habere eadem principia secundum analogiam, sed etiam secundum modum secundum »[2]. L’analogie relève de l’intelligence pratique qui impose leur nom aux choses alors que la ressemblance relève de la chose (vue ou imaginée). Distinguer les différentes formes de ressemblance n’est donc pas distinguer les différentes formes d’analogie.

De nombreux textes traitent de l’analogie dans l’œuvre de saint Thomas qui n’ont pas à première vue l’unité que l’on peut souhaiter. Ce qui est dit en Summa Theologiae I, q.13, a.5,en Summa Theologiae I, q.16, a.6 et en Summa contra Gentiles I, 34 semble ne pas correspondre à ce qui est dit en De Veritate q.2, a.11. En effet en Summa Theologiae I, q.13, a.5, il est dit : « Dicendum est igitur quod huiusmodi nomina dicuntur de Deo et creaturis secundum analogiam, idest proportionem » ; en Summa Theologiae I, q.16, a.6 : « Sed quando aliquid dicitur analogice de multis, illud invenitur secundum propriam rationem in uno eorum tantum, a quo alia denominantur », en Summa contra Gentiles I, 34 : « Analogice: hoc est, secundum ordinem vel respectum ad aliquod unum. Quod quidem dupliciter contingit: uno modo, secundum quod multa habent respectum ad aliquid unum: sicut secundum respectum ad unam sanitatem animal dicitur sanum ut eius subiectum, medicina ut eius effectivum, cibus ut conservativum, urina ut signum. Alio modo, secundum quod duorum attenditur ordo vel respectus, non ad aliquid alterum, sed ad unum ipsorum ». Mais en De Veritate q.2, a.11 si on peut lire :« secundum analogiam, quod nihil est aliud dictu quam secundum proportionem », il est ensuite dit : « Quia ergo in his quae primo modo analogice dicuntur, oportet esse aliquam determinatam habitudinem inter ea quibus est aliquid per analogiam commune, impossibile est aliquid per hunc modum analogiae dici de Deo et creatura » et le mode d’analogie dont il s’agit ici est le premier des deux modes d’analogie que saint Thomas distingue dans cet article du De Veritate, c’est à dire l’analogie de rapport : « Prima ergo convenientia est proportionis ». Le second mode d’analogie défini en De Veritate q.2, a.11 est l’analogie de proportion (analogia proportionalitatis) et saint Thomas le définit ainsi : « convenientia etiam quandoque attenditur duorum ad invicem (mot illisible) quae non sit proportio, sed magis similitudo duarum ad invicem proportionum, sicut senarius convenit cum quaternario ex hoc quod sicut senarius est duplum tenarii, ita quaternarius binarii ». Ce dernier mode d’analogie est présenté comme le seul possible dans l’usage d’un même mot pour désigner Dieu et la créature. L’analogie de rapport (analogia proportionis) pour désigner Dieu et la créature est dite impossible en De Veritate q.2, a.11, alors qu’en Summa Theologiae I, q.13, a.5, saint Thomas fonde l’analogie sur l’existence d’un rapport, dans une proposition qui est universelle (« secundum analogiam, id est proportionem »). Cajetan, dans son De nominum analogia[3], a considéré que ce qui était dit de l’analogie en De Veritate q.2, a.11 était la doctrine la plus universelle de l’analogie dans l’œuvre de saint Thomas. Il a donc éte contraint de restreindre la portée des définitions données dans les deux sommes, et même de contredire ces textes. En niant que l’analogie de rapport fût une véritable analogie, et en affirmant que la seule véritable analogie était l’analogie de proportion en tant qu’elle est fondée sur la dénomination intrinsèque pour chaque analogué, Cajetan contredit en effet ce qui est affirmé en Summa Theologiae I, q.13, a.5, en Summa Theologiae I, q.16, a.6, et en Summa contra Gentiles I, 34. Que la dénomination soit intrinsèque ou extrinsèque est indifférent à l’analogie ; en de Veritate q.2, a.11 saint Thomas nie seulement que l’analogie de rapport puisse être utilisée pour un nom qui serait commun à dieu et à une créature ; il ne dit pas du tout que l’analogie de rapport n’est pas une vraie analogie.

En fait la différence entre tous les textes des deux sommes sur l’analogie et le De Veritate q.2, a.11, est que le sens du mot proportio n’est pas le même. Dans les textes des deux sommes, proportio signifie un rapport qui ne détermine pas réellement les deux termes de la relation, et dans ce sens il peut y avoir un rapport entre la créature et Dieu, Dieu n’étant pas réellement déterminé par la relation qui est entre la créature et Lui, alors que dans le De Veritate q.2, a.11, proportio signifie un rapport qui détermine réellement les deux termes de la relation, qui ne peut aucunement exister entre Dieu et la créature. Mais qu’il y ait deux sens du mot proportio, saint Thomas l’a lui-même énoncé en Summa Theologiae I, q.12, a.1 ad 4um : « proportio dicitur dupliciter. Uno modo, certa habitudo unius quantitatis ad alteram; secundum quod duplum, triplum et aequale sunt species proportionis. Alio modo, quaelibet habitudo unius ad alterum proportio dicitur ». Cette distinction des deux sens du mot proportio se trouve aussi dans le Commentaire du De Trinitate de Boèce. Contrairement à ce qu’a pensé Cajetan, ce qui est dit de l’analogie en De Veritate q.2, a.11, est relatif à un sens restreint du mot proportio et ne peut absolument pas être tenu pour la définition la plus universelle de l’analogie. C’est dans les deux Sommes que l’on trouve les propositions les plus universelles. Et plus généralement tous les textes de saint Thomas sur l’analogie interdisent de fonder uniquement l’analogie sur la ressemblance des deux rapports et sur la dénomination intrinsèque pour chaque analogué.

De nombreux thomistes ont suivi Cajetan de sorte que les définitions des Sommes sur l’analogie n’ont pas été considérées dans leur juste extension, c’est à dire dans leur universalité, et les distinctions particulières du De Veritate q.2, a.11, ont été faussement interprétées et indûment tenues pour des définitions universelles. Ainsi Antoine Goudin a pu écrire dans sa Quarta pars philosophiae ou Metaphysica : « Analoga attributionis sunt, quorum unum participat rationem communem cum habitudine ad aliud principalius » ; et il définit l’analogie de proportion (analogia proportionalitatis) en ces termes : « Analoga proportionalitatis sunt, quae se habent ad rationem communem cum quaedam proportione ». On voit que Goudin suit Cajetan et qu’il veut ignorer la portée universelle de ce qui est dit très clairement en Summe Theologiae I, q.16, a.6 : « Sed quando aliquid dicitur analogice de multis, illud invenitur secundum propriam rationem in uno eorum tantum, a quo alia denominantur ». Ce que saint Thomas dit de toute analogie, Goudin le dit de ce qu’il appelle l’analogie d’attribution. Jean de Saint Thomas écrit aussi dans son Cursus philosophicus thomisticus à la suite de Cajetan : « In analogis attributionis seu proportionis ex multis conditionibus illa est praecipua, quod in principali analogato inveniatur forma intrinsece, in aliis vero extrinsece et per denominationem »[4].Or Jean de Saint Thomas a bien vu que cette doctrine de l’analogie n’était pas celle de saint Thomas ; il énonce en effet très clairement la pensée de saint Thomas : « Fundamentum vero alterius partis est primo ex D. Thomas, qui generaliter docet in omnibus analogis neccesse esse, quod omnia dicantur per respectum ad unum, et quod illud unum ponatur in definitione omnium, ut patet I.p, q.13, a.6 et q.16, a.6 »[5]. Mais c’est dans une objection à sa thèse que Jean de Saint Thomas énonce clairement la pensée de S Thomas et sa thèse reste celle de Cajetan. Jean de Saint Thomas avait très vif le souci d’être fidèle à la lettre de saint thomas et c’est la raison pour laquelle il a essayé d’imputer la thèse de Cajetan à saint Thomas lui-même : « Ita sumitur ex D. Thomas, qui utrumque docet. Nam in istis analogis attributionis debeat tantum invenire intrinsece in uno et denominative in aliis, constat ex I p. q.16, a.6 et 4, Metaph. Lect. 1 et 11, Metaph. Lect.3, ubi ponit formam debere inveniri in uno analogatorum tantum secundum propriam rationem, a quo alia denominantur »[6]. Dans aucun des textes cités par Jean de Saint Thomas, saint Thomas ne traite de ce que Cajetan appelle analogia attributionis ; il traite de l’analogie en tant qu’analogie de la manière la plus universelle. Jean de Saint Thomas finit par restreindre explicitement l’extension de définitions qui sont évidemment universelles dans les textes de saint Thomas : « Ad primum ex autoritate S. Thomae respondetur, quod in illa universali loquitur S. Thomas non de omnibus analogis absolute, sed restrictive de analogis attributionis tantum, quia in illo loco I p., q.13 agit de analogia magis dialectice quam metaphysice, scilicet ut tenet se ex parte nominum, non ex parte rerum. Sicut autem in analogiam metaphysice considerata attenditur inaequalitas in rerum, ita in analogia dialectice considerata attenditur inaequalitas in modo significandi et nominandi »[7]. Les définitions universelles du texte capital de Summa Theologiae I, q.16, a.6, sont aussi présentées comme des propositions particulières : « In loco autem ex q.16 non loquitur universaliter de omnibus analogis et sic non cogit »[8] La conséquence de cette erreur de Cajetan et de ceux qui l’ont suivi a été de déplacer indûment l’analogie de la logique vers la métaphysique. Cette confusion fut possible parce que l’analogie exige bien une ressemblance entre les analogués ; mais cette condition requise dans la réalité pour que l’analogie opère n’est pas déterminée dans sa précision du côté des choses mais bien du côté de l’intelligence pratique qui règle l’imposition des noms. Le mot proportio est lui-même analogique. L’analogie doit être considérée pour ce qu’elle est, c’est à dire comme regardant essentiellement l’usage des noms. Un texte de saint Thomas constate bien ce fait courant de l’usage analogique des noms : « consuetum est quod nomina a sui prima impositione detorqueantur ad alia significanda ; sicut nomen medicinae impositum est primo ad significandum remedium quod praestatur infirmo ad sanandum, deinde tractum est ad significandum artem qua hoc fit »[9]. Il est question de l’usage d’un mot qui est dit per prius d’une chose et per posterius d’une autre chose qui a une ressemblance ou un rapport quelconque avec la première et aucunement de dénomination intrinsèque.



Notes et références

  1. De Potentia Dei, q.10, a.4
  2. In Boetii de Trinitate, lect. II, q.I, a.4
  3. Cajetan, De nominum analogia, cap.II : « analogia ista (analogia attributionis) sit secundum determinationem extrinsecam tantum ; ita quod primum analogatorum tantum est tale formaliter, caetera autem denominantur talia extrinsece ».
  4. Cursus philosophicus thomisiticus, Log. II P., q.XII, a.4
  5. Ibid.
  6. Ibid.
  7. Ibid.
  8. Ibid.
  9. Summa Theologiae II-II, q.57, a.1, ad 1um.
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