L'efficacité de la prière – 2 juillet 1941 –

De Salve Regina

Magistère pontifical sur la famille - Discours aux jeunes époux
Auteur : Pie XII
Date de publication originale : 2 juillet 1941

Difficulté de lecture : ♦ Facile


Que de choses, chers jeunes époux, vous avez à demander à Dieu en ces jours où vous visitez les grands sanctuaires de Rome ! Ces visites sont comme autant de pieux pèlerinages, tout comme la vie d'ici-bas est un pèlerinage vers Dieu, dans l'alternance de la joie et de la douleur. Vous cheminez maintenant dans l'aurore de la joie. Devant les saints autels, vous avez prié pour vous-mêmes, pour le foyer que vous venez de fonder, pour les enfants qui viendront l'égayer et vous réjouir. La terre où vous avez mis le pied est une terre bien connue que des milliers de peuples, des millions de pèlerins ont foulée de leurs pieds au cours des siècles : tels les martyrs que vous avez vénérés aux catacombes, dans les basiliques et les églises, et que l'apôtre saint Jean entendit crier d'une voix forte : « Jusques à quand, ô Maître saint et véritable, ne ferez-vous pas justice et ne redemanderez-vous pas notre sang à ceux qui habitent sur la terre ? » Alors on leur répondit de se tenir en repos encore un peu de temps, jusqu'à ce que fût complet le nombre de leurs compagnons de service et de leurs frères (cf. Apoc. Ap 6, 10). Eux aussi prient ; mais pour Dieu l'heure de les exaucer n'est pas encore arrivée. Ils ont une confiance inébranlable dans la promesse de Dieu : ils seront certainement exaucés, comme ils le furent lors du triomphe de leur foi en face des tyrans.

Vous aussi, vous avez prié ; et maintenant vous voyez exaucées les prières que vous avez, il y a longtemps peut-être, adressées au ciel, pour obtenir la grâce de contracter cette sainte union, qui était alors l'objet de vos désirs, et qui est maintenant le foyer de votre bonheur.

Rien, en effet, ne nous aide tant à prier que notre expérience personnelle de l'efficacité de nos prières, lorsque l'amoureuse Providence nous a donné en réponse largement, pleinement, ce que nous lui demandions. Mais souvent la Providence nous dit, comme aux martyrs de l'Apocalypse, de nous tenir en repos encore un peu de temps, le temps fixé par elle.

Que Dieu tarde à exaucer leurs prières, beaucoup sentent leur confiance ébranlée ; beaucoup ne savent point se tenir en repos, lorsque la Providence semble fermer l'oreille à toutes leurs supplications.

Non, ne perdez jamais votre confiance en ce Dieu qui vous a créés, qui vous a aimés avant que vous fussiez capables de l'aimer, qui a fait de vous ses amis. N'est-ce pas le propre de l'amitié, que l'ami brûle de remplir le désir de son ami et qu'il veuille son bien et sa perfection ? Qu'est-ce donc qu'aimer, sinon vouloir du bien à quelqu'un ? Et le bien de la créature ne découle-t-il pas en entier de la bonté divine ?1

Ayez confiance en Dieu : ses grâces, selon le mot de Pétrarque2, ne furent jamais lentes. Et pourtant, parmi ceux qui prient, il y en a, et même beaucoup, qui trouvent que les grâces divines tardent trop. Ce qu'ils demandent à Dieu leur semble bon, utile, nécessaire, bon non seulement pour le corps, mais aussi pour leur âme, et pour les âmes de ceux qui leur sont chers : avec ferveur, ils prient durant des mois, et ils constatent qu'il n'ont encore rien obtenu. La santé nécessaire pour s'occuper de sa famille n'a pas encore été accordée à telle mère. Ce fils, cette fille, qui par leur conduite mettent en péril leur salut éternel, ne sont pas encore revenus à de meilleurs sentiments. Ces soucis matériels au milieu desquels ces parents s'agitent et s'inquiètent, ne font que croître et devenir plus durs et plus menaçants. L'Eglise entière et tous les peuples avec elle multiplient les prières pour obtenir la fin des calamités qui jettent la grande famille humaine dans la douleur, et elle tarde encore, cette paix selon la justice, objet des désirs, des invocations, des soupirs et des instances de l'Eglise, cette paix qui semble si nécessaire au bien de tous et au bien même des âmes.

Sous le poids de telles pensées, beaucoup regardent surpris vers les saints autels où l'on prie ; ils demeurent peut-être scandalisés et perplexes, à entendre la sainte liturgie rappeler sans cesse et proclamer les promesses du divin Sauveur : « Tout ce que vous demanderez avec foi dans la prière, vous l'obtiendrez... » (Mt 21, 22). « Demandez, et vous recevrez... Quiconque demande, reçoit... » (Mt 7, 7). « Tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il le fera. En vérité, en vérité, je vous le dis, tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous l'accordera » (Jn 14, 13 ; Jn 15, 16 ; Jn 16, 23). Les promesses du divin Sauveur pouvaient-elles être plus explicites, plus claires, plus solennelles ? Quelques-uns ne seront-ils pas tentés, en présence du silence de Dieu, d'y voir peut-être une amère dérision ?

Mais Dieu ne ment ni ne peut mentir ; ce qu'il a promis, il le tiendra ; ce qu'il a dit, il le fera. Elevez vos esprits, bien-aimés fils et filles, et écoutez ce qu'enseigne le grand Docteur saint Thomas d'Aquin3, lorsqu'il explique pourquoi Dieu n'exauce pas toujours les prières. Dieu exauce les désirs de la créature raisonnable pour autant qu'elle désire le bien. Or, elle désire parfois quelque chose qui n'est pas un vrai bien, mais seulement un bien apparent, ou plutôt un vrai mal. Partant, Dieu ne saurait exaucer pareille prière. Aussi l'Ecriture sainte dit-elle : « Vous demandez, et vous ne recevez pas, parce que vous demandez mal » (Jc 4, 3). Vous désirez, vous demandez une chose qui vous semble un bien ; mais Dieu voit plus loin que vous, il voit bien au-delà de l'objet que vous demandez. Il arrive, ajoute le même saint Docteur, que quelqu'un refuse par amitié telle chose à son ami parce qu'elle lui serait nuisible, ou que le contraire de cette chose lui sera plus avantageux, comme le médecin refuse parfois ce que le patient lui demande, à la pensée que cela ne contribuerait pas à le guérir. Ainsi, c'est l'amour qu'il porte à la créature raisonnable qui pousse Dieu à exaucer les prières, et il ne faut donc point s'étonner qu'il lui arrive de ne pas exaucer les prières de ceux qu'il aime d'un amour spécial, car c'est pour leur accorder ce qui leur est en réalité le plus utile. Aussi, bien que l'apôtre lui en eût fait par trois fois la demande, il n'enleva pas à saint Paul l'écharde enfoncée dans sa chair (II Co 12, 7) — il s'agissait très probablement d'une infirmité corporelle — et cela pour le maintenir dans l'humilité. De la sorte, le grand apôtre ne fut point exaucé ad voluntatem, selon sa volonté, puisqu'il ne fut pas libéré de cette misère qui l'affligeait ; mais il fut exaucé selon son salut, ad salutem, puisque Dieu l'exauça encore plus parfaitement en lui promettant le réconfort de sa grâce, moyen d'atteindre avec plus de mérite le but désiré4.

Veille donc, homme de foi, avertit saint Augustin, et écoute avec vigilance ce qu'enseigne le divin Maître : quand vous demandez ce que vous désirez, ne le demandez point d'une façon quelconque, mais en mon nom, in nomine meo. Et quel est son nom ? Jésus-Christ. Christ signifie roi, Jésus signifie Sauveur. Évidemment, ce n'est pas un roi quelconque qui nous sauvera, mais le Roi Sauveur. Et lorsque nous demandons une chose contraire à notre salut, nous ne la demandons point au nom du Sauveur. Or, il est notre Sauveur aussi bien lorsqu'il n'exauce pas nos prières que lorsqu'il fait ce que nous lui demandons, car, en n'exauçant pas les prières qui tourneraient contre notre salut, il agit en véritable Sauveur. N'est-il point le divin médecin du salut éternel ? Il sait, lui, ce qui nous est utile, et ce qui ne l'est pas... Il n'est pas seulement le Sauveur, mais encore le bon Maître : afin de faire ce que nous lui demanderions, il a, dans la prière qu'il nous a lui-même enseignée, indiqué ce que nous devons demander ; et par là encore, il nous avertit que ce que nous lui demandons en dehors de la règle qu'il nous a tracée, nous ne le demandons point au nom du Maître. Sauveur et Maître à la fois, Jésus connaît le temps favorable, le temps du salut, et, même lorsque nous lui demandons quelque chose en son nom, il n'exauce pas toujours notre prière tout de suite : il l'exauce à son heure, il diffère, mais ne refuse point de nous exaucer5.

C'est donc au nom de Jésus que nous devons offrir à Dieu nos prières ; car il n'est point sur terre d'autre nom où nous puissions trouver le salut (Ac 4, 12). C'est le nom de Jésus qui rend nos aspirations puissantes et efficaces auprès de Dieu ; c'est ce nom qui fait que nos bons désirs soient la cause de ce que Dieu, dans sa Providence, a disposé que nous obtiendrions par la prière ; car la prière ne change point l'ordre immuable établi par Dieu, mais elle l'accomplit, en tant que dans cet ordre providentiel Dieu a lié l'octroi des biens que nous lui demandons aux prières que nous lui offrons. De là, cette parole de saint Alphonse de Liguori, que qui prie se sauve, qui ne prie point se damne6 ; et affirmer qu'il n'est pas nécessaire, puisque l'ordre de sa Providence est immuable, de prier pour obtenir une grâce de Dieu, ce serait affirmer, observe le Docteur angélique saint Thomas, qu'il n'est point nécessaire de marcher pour arriver à tel point, ni de manger pour se nourrir : assertions évidemment absurdes7.

Ainsi vous voyez, chers jeunes époux, comment l'efficacité de la prière se lie à sa nécessité, et comment les prières qui se présentent à Dieu ne sont pas toutes faites au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ et, partant, ne sont pas toutes exaucées.

Redites donc au Sauveur avec les apôtres : « Seigneur, apprenez-nous à prier », Domine, doce nos orare (Lc 11, 1). Que vos prières s'élèvent vers lui comme l'encens, et vos mains comme l'offrande du soir (Ps., cxii, 2). Et que la grâce de Dieu descende sur vous et vos nouvelles familles, pareille à la rosée de l'Hermon qui descend sur les sommets de Sion (Ps., cxxxiii, 3).

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