L'esprit scout

De Salve Regina

Esprit scout
Auteur : P. Jacques Sevin, S.J.
Source : Extrait du livre Le scoutisme
Date de publication originale : 1930

Difficulté de lecture : ♦ Facile

L'Esprit Scout

La fondation du Scoutisme remonte à 1908. Au mois d'avril 1918, Sir R. Baden-Powell écrivait :

« Il y a un peu plus de dix ans, je me suis risqué à dire que si un Mouvement de Jeunesse « était vrai­ment ça », il ne devrait pas compter moins de cinq cent mille adhérents au bout de vingt ans. En voilà dix de passés. J'ai confiance que si la guerre cesse, nous atteindrons ce chiffre-là bien avant 1928. »

En août 1920, ce chiffre était dépassé : Scouts et Guides sont actuellement au nombre de 525.000 et plus. Même en faisant abstraction des filles, pour juger de, l'étendue du Mouvement Scout, il faut regarder a l'étranger et rapprocher ces deux extrêmes : au 1er août 1908, Sir R. Baden-Powell campe avec 30 garçons ; au 1er août 1920, le total des Scouts de tout l'univers atteint près de deux millions. Seuls, les enfants sujets de l'Em­pire britannique dépendent réellement du Chef anglais, mais il n'en est pas moins vrai que ces milliers de Troupes éparses aux quatre coins du monde sont sa descendance légitime. En vérité, le Mouvement « est vraiment ça ! »

Nous avons tâché de trouver les raisons de ce succès sans précédent dans l'histoire de la pédagogie. Essayons, en terminant, de formuler un jugement, d'ensemble sur l'œuvre du grand Chef Scout.

La tâche n'est point aisée. La longueur même de ce travail prouve la complexité du système, qu'il est plus facile de déformer subjectivement que de comprendre dans son ampleur. Je me suis efforcé d'éviter ces défor­mations, de présenter le Scoutisme ici qu'il est. Reste que, plus que de toute autre oeuvre de jeunesse, il me paraît à peu près impossible s'en rendre un compte exact si ou ne l'a pas pratiqué soi-même. En un sens, je crois bien qu'il n'y aura jamais à comprendre plei­nement et à juger avec équité le Scoutisme que les Scouts. Et encore, si tous l'avaient bien compris, on n'aurais jamais vu naître hors de l'Angleterre ces troupes de parade, ces sociétés dont les membres déguisés en scouts pratiquent tous les sports et pas le scoutisme…

Allons-nous , pour cela, déclarer que l'institution est parfaite ? Les fondateurs eux-mêmes ne le croient pas. La preuve en est dans les mises au point minutieuse, qu'ils lui font subir d'année en année. Elle est encore en période d'organisation, d'évolution, et c'est ce qui ne permet pas de porter sur elle un jugement définitif.

Telle qu'elle existe actuellement, j'en ai noté au passage les côtés faibles :

Si les principes pédagogiques sont sains et reposent sur l'expérience, les abus sont cependant possibles, plus possibles même que dans d'autres systèmes. En voulant faire faire à l'enfant l'apprentissage de la liberté, cer­tains maîtres trop confiants, risquent d'oublier que le bien n'est pas seul à fleurir dans une âme d'adolescent et de juger toute espèce de contrôle superflu. Le plein air n'agit pas comme un sacrement, et le considérer comme le principal facteur de la formation du caractère, c'est matérialiser la vie outre mesure : il lui faut des compléments moraux et intellectuels, d'ailleurs prévus et, de par la règle, obligatoires. Enfin, tous les Scouts ne sont pas des incarnations de la Loi, tous les scoutmestres ne sont pas nécessairement à la hauteur de leur rôle ; et il est inévitable que dans une armée si nombreuse les Troupes soient de valeur inégale.

Mais ces déficits ne, sont-ils pas la rançon du succès même ? Le scoutisme ressemble à ces corps d'adolescents qui ont grandi trop vite : sa rapide croissance a failli lui nuire ; il faut maintenant qu'il se fortifie par des progrès de méthode et de constitution plutôt que par une extension numérique indéfinie. A ce prix seu­lement, il évitera les périls qui le guettent.

Il faut surtout qu'il soit dirigé par des mains sûres et, selon la pensée du fondateur lui-même, ces mains ne peuvent être que chrétiennes. Le boomerang australien est une arme d'une précision merveilleuse ; mais, mal maniée, elle n'est redoutable que pour celui qui s'en sert. Ainsi le Scoutisme : la religion seule lui assigne le but à viser ; sans elle, il n'est plus qu'un boomerang lancé à l'aventure : il frappera juste, parfois ; mais ses fantaisies aériennes n'iront pas sans accidents.

Souhaitons que Sir R. Baden-Powell ait le temps de consolider l'œuvre de son âge mûr, l'œuvre vers laquelle la Providence a graduellement orienté toute sa vie, et que lorsque l'heure aura sonné pour lui d'être, selon la magnifique expression en usage chez les Scouts « called to Higher Service », ‑ de recevoir le suprême et défi­nitif avancement, son fils aîné que les Scouts ont salué, dès sa naissance, du titre de Junior Chier Scout, soit d'âge et de taille à recueillir le lourd et glorieux héritage paternel. ‑ Si cette transmission de pouvoirs ne s'opérait point, verrait-on le Mouvement se diviser, l'or­ganisation nationale se fractionner, et s'altérer le caractère primitif de l'œuvre ? Ce serait regrettable. C'est peu à redouter, semble-t-il, car, autour du Chef, travaille une pléiade de Scouts magnifiques, ses élèves, les P. Nevill, les Arthur Gaddum, les Sir Hubert Martin, les Miss Barclay, ses infatigables collaborateurs et les héritiers de son esprit.

Quoi qu'il en soit des destinées de l'œuvre et dût, par impossible, la Boy‑Scouts Association disparaître un jour, quelque chose subsistera, quelque chose qui pourrait toujours la ressusciter, quelque chose qui n'existait point il y a vingt ans et qui est bien la créa­tion de « Sir Robert » : l'esprit Scout.

Qu'est-ce donc, pour finir par là, que l'esprit Scout ?


C'est d'abord un esprit essentiellement conservateur, dans le bon sens du mot.

Le Scout accepte et reconnaît tout ce qui est. Dieu, la religion, la Patrie, la société, la famille, les maîtres existent : on ne discute pas leurs titres : la tradition possède. Donc, pour agir, il n'y a pas à interroger les cadres sociaux ; le Scout, s'il est fidèle, ne peut pas devenir socialiste, il se tient à sa place et à son rang, ni mécontent ni déclassé. Et cela ne lui interdit pas de songer au progrès ‑ le Scoutisme perfec­tionne ‑ mais il n'estime pas que ce progrès ait pour première condition de tout jeter par terre.

C'est un esprit social, nous vu : « à une époque où la tendance générale est pour l'individu de tirer tout ce qu'il peut, de la communauté, la formation Scoute apprend à l'individu à apporter tout ce qu'il peut à la communauté ».

Et ceci, dit Bernard Shaw est le propre du gentlemen.

C'est un esprit loyal et, par loyalisme, fidèle à toute consigne raisonnable en laquelle il voit très justement son devoir. Ce devoir, les Scouts l'accomplissent sans égard aux personnes ni aux inconvénients qui peuvent en résulter pour eux-mêmes, qu'il s'agisse de rappeler à un général qu'on lie fume pas dans l'antichambre du War Office, ou qu'ils s'obstinent à se laisser rouer de coups, jusqu'à l'arrivée des policemen, en arrêtant de leurs bâtons maintenus dans les roues de l'automobile, des touristes auteurs d'un accident et trop pressés de déguerpir.

C'est un esprit joyeux. Un Scout boudeur, grognon ou aigri serait un non-sens. Ces garçons sont heureux et joyeux, joyeux d'être Scouts, joyeux d'agir, joyeux d'apprendre. Eux et leurs chefs, ils circulent dans une atmosphère de joie virile qu'ils semblent transporter avec eux partout où ils vont. Ils respirent la joie et la répandent. Cette joie contagieuse est bien une de leurs plus grandes forces, un des traits marquants de l'apos­tolat qu'ils exercent, inconsciemment peut-être, sur tous ceux qui les approchent.

C'est surtout nu esprit de dévouement : « Rather wear out than rust out ». Plutôt s'user que de moi­sir, car on n'est pas Scout pour soi tout seul, mais pour les autres, et la Bonne Action Quotidienne est le premier devoir. C'est elle qui fait qu'un Scout est Scout. « Nous ne sommes pas venus pour être servis, mais pour servir », disait H. G. Elwes à une Conférence de Commissaires ‑ et la salle écoutait avec recueille­ment son commentaire de l'Evangile. Où qu'il se trou­ve, le Scout, est toujours en alerte : « I may be wanted, on peut avoir besoin de moi », et il cherche, et souvent il trouve : de l'acte obligeant, il passe à la corvée, de la corvée au danger, et si l'acte de dévouement comporte un risque, c'est un risque professionnel ; et sans hésiter, des enfants de douze ans se jettent à la mer pour sau­ver un camarade entraîné par un remous, on disparais­sent sous la glace en portant secours a un patineur imprudent...

En dix années, 1840 médailles de sauvetage ont été décernées à ces enfants, dont 323 pour des sauvetages opérés au risque de la vie, et 17 pour des actes d'héroïs­me exceptionnels. Et cependant, les Scouts ont autre chose à faire que de circuler sur les berges des fleuves en priant Dieu que quelqu'un y tombe pour leur procurer l'occasion de se signaler, et le Scoutisme n'est pas une école de sauvetage. Mais s'il n'est pas une école de sauvetage, il est peut-être une école d'héroïsme, car ce n'est pas la connaissance de la natation ou l'habileté à grimper qui fait le sauveteur, c'est l'âme, qui mesure le risque et le méprise.

Majorem dilectionem nemo habet... c'est bien là une conception chrétienne de la vie, car « le second com­mandement est semblable au premier ». Et cette conception de la vie emporte aussi une conception de la mort.

La mort, c'est pour le Scout une des choses auxquelles il doit « Etre Prêt ». C'est le grand examen, « la plus grande épreuve (test) à laquelle l'homme puisse être sou­mis, et ils l'ont passée avec bonheur », dit le Chef en parlant des petits naufragés du « Mirror ». Dans une de ses chroniques intitulée : « Les Scouts en face de la mort », après avoir raconté la fin courageuse d'un de ses gar­çons, il ajoute : « Pensez-y Scouts, et soyez prêts à mourir comme cela : Think of it, Scouts, and Be Prepa­red, like that, to die ».

« Quand je suis sur la route à jouer aux boquillons, et que mon père m'appelle pour rentrer à la maison, je n'ai pas peur de mon père », dit la petite Hauviette de Péguy ; pour les Scouts, la mort c'est cela : on rentre à la maison ; et durant les quatre années de guerre, les listes des « anciens » tués à l'ennemi que publiait cha­que mois La Gazette étaient précédées du signe scout, qu'enfants ils avaient souvent tracé, sur le sol dans leurs exercices de pistes, un point dans lui cercle : « Gone Home », rentrés chez eux.

On dira, avec quelque impatience peut-être, qu'il n'est pas besoin d'être Scout pour envisager ainsi la vie et la mort, et qu'il suffit de l'esprit de foi, de l'esprit chrétien. Assurément. Mais, précisément, ce qui confère au Scoutisme sa valeur morale, c'est qu'il est un moyen ‑ un entre autres ‑ d'acquérir cet esprit chrétien, de le faire pénétrer plus avant dans l'âme de l'enfant, d'imprégner de foi vivante toute la pratique de ses journées, tous les détails de ses jugements, et cela toujours, parce que, depuis le jour de sa Promesse, il a contracté peu à peu l'habitude de tout apprécier, hommes et actes, d'après leur conformité morale avec la Loi Scoute dont il sait très bien qu'elle n'est que la transcription des commandements de Dieu.

Lors donc qu'on rencontre sous la plume d'un écrivain, ou sur les lèvres d'un Scoutmestre cette expression qui agace les profanes : « Voilà qui est bien Scout, voilà une vertu Scoute », il ne faut, pas s'imaginer naïvement que les Scouts prétendent qu'on ne peut être franc, dévoué, obéissant ou chaste que si l'on a coiffé le feutre traditionnel et revêtu la chemise kaki, et que ces vertus sont leur monopole ou une manifestation de l'Esprit Scout qui sommeillait, chez un profane qui n'y pensait guère. Ces manières de parler ou autres analogues signifient tout simplement que telle ou telle vertu est regardée par les Scouts comme une de celles qu'ils doivent spécialement pratiquer, une de leurs vertus professionnelles, pour ainsi dire, et quand devant un acte de courtoisie ou un beau mouvement de générosité surpris chez quelqu'un qui n'est pas des leurs, ils s'exclament : « C'est bien Scout ! », c'est leur idéal à eux qu'ils ont reconnu et salué au passage, et l'expression n'a pas plus de sens que le « c'est bien français ! » que nous arrachera toujours un geste chevaleresque fût‑il accompli par un Allemand.

Il n'est donc pas question de confisquer la religion au profit du Scoutisme, de naturaliser le surnaturel en plaçant le titre de Scout au-dessus de celui de chrétien. Les deux notions ne s'opposent pas, elles se compénétrent et se superposent suivant la volonté formelle du fondateur et de la hiérarchie providentielle. L'enfant se rend compte que religion et Scoutisme n'occupent pas dans son âme et sa vie des compartiments distincts, qu'il doit apporter à ses devoirs religieux la plénitude des qualités que le Scoutisme développe : loyalisme, personnalité, perfection du détail ; et que, d'autre part, il ne sera parfait Scout qu'en vertu des principes surnaturels qui feront déjà de lui le parfait chrétien, si bien que, former un vrai Scout c'est du même coup, - catholiques comme protestants l'ont bien compris - former un chevalier chrétien tout simplement.

Est-ce donc une telle exagération que d'identifier l'esprit Scout à l'esprit chrétien : il en est la fleur. Et quand cette fleur de chevalerie s'est ouverte une fois dans une âme d'enfant, le parfum lui en reste toujours.

A un petit éclaireur ‑ un Français, celui-là – qui avait héroïquement fait le sacrifice de quitter sa Troupe pour sauvegarder sa foi, je demandais naguère : « Que voulez-vous être plus tard ? ‑ Moi ? Scout ! » Cet enfant de quatorze, ans n'imaginait pas qu'il pût devenir autre chose. Il avait été Scout, et vrai Scout, et il entendait le rester toute sa vie. Le Scoutisme, il le sentait bien, lui apprenait à vivre ‑ c'était pour lui une école de vie. Et le chef de cette école, n'est pas Sir R. Baden- Powell. Ce chef, le scoutmestre-artiste Ernest Carlos en a fixé les traits dans une toile célèbre : The Pathfinder - le Guide : un jeune chef de Patrouille est debout, près de la table où une carte d'état-major est étalée. Est-ce son brevet de guide qu'il étudie, ou bien l'itinéraire de sa marche au camp qu'il prépare ? Au moment de noter le croquis topographique, sa main qui tient le crayon, hésite ; l'enfant a relevé les yeux comme pour chercher ailleurs son inspiration. Et voici que derrière lui surgit une forme très douce, une houlette se dessine dans l'ombre,

Et sur son épaule une main se pose, ferme et précise, la main infaillible de celui qui seul a dit : « Je suis la route », Notre-Seigneur Jésus-Christ. Et sous la toile, sont inscrits ces vers de Lily Burn :


« Lève les yeux, mon fils,

Arrête un moment...

Etends la main, mon fils,

Pour connaître ta route ;

Le Maître Scout, c'est moi,

Moi dont la divine Présence

Est toujours à tes côtés,

Quoi qu'il advienne. »


Cette main-là, qu'elle accompagne et dirige toujours l'œuvre entière de Baden-Powell ! Tant que le maître Scout est le Divin Maître, la jeune armée qui suit la Bannière Verte ne peut errer, ne peut déchoir. « O Christ qui nous as placés dans ce monde et qui nous réserves mieux encore, voici que nous venons à toi, escortés des preux et des saints de tous les siècles, pour le recevoir, en ton sacrement. Nourris-nous de ton Corps et ton Sang précieux et fais-nous marcher, animés de ta force, comme une seule compagnie de Scouts, jusqu'à la cité du Dieu vivant. »

Telle est leur magnifique prière, et tel est mon dernier souhait.

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