L'importance du dernier évangile

De Salve Regina

Réforme des rites avant 1969
Auteur : Abbé Jacques Olivier, FSSP
Source : D’après le P. Lebrun : Explications des prières et cérémonies de la Messe
Date de publication originale : 2002 [1716]

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen

Après la bénédiction, le prêtre lit ordinairement le commencement de l’évangile selon St Jean, où sont décris la génération éternelle du Verbe dans le sein de son Père et ses abaissements ineffables dans le mystère de l’Incarnation.

I. Origine et antiquité de la récitation de l’évangile de saint Jean à la fin de la messe.

L’évangile de saint Jean est la dernière addition qui ait été communément faite à la messe. Il y a environ cinq cents ans[1] que beaucoup de prêtres l’ont récité tout bas par dévotion, en commençant leur action de grâces ; et la dévotion des peuples les a portés à le réciter tout haut avant que de quitter l’autel. Selon un grand nombre d’anciens sacramentaires, aussi bien que selon les anciens rituels, on finit les cérémonies du baptême par la récitation de l’évangile de saint Jean sur les nouveaux baptisés à cause de ces paroles : Il leur a donné le pouvoir d’être faits enfants de Dieu, à eux qui croient en son nom, qui sont nés de Dieu, etc. Et il ne convient pas moins de dire à la fin du saint sacrifice celles-ci : Le Verbe s’est fait chair, et il a habité en nous ; puisque Jésus-Christ se rend réellement présent sur l’autel, et qu’il habite en nous par la sainte communion. Dans le missel des Jacobins, écrit en 1254, on voit l’évangile de saint Jean parmi les prières que le prêtre, suivant sa dévotion, disait après la messe. Les statuts des Chartreux[2] portent qu’à la fin de la messe sèche[3] de la sainte Vierge, Salve sancta Parens, qu’on doit réciter tous les jours dans les cellules après prime ou tierce, on dit l’évangile de saint. Jean : et l’on a vu dans Durand[4], en 1286, que des prêtres commençaient cet évangile à l’autel. Un missel d’Arras, écrit au treizième siècle, où il n’y a point de bénédiction à la messe, y met l’évangile de saint Jean[5]. On le trouve dans la suite, en plusieurs missels, comme le commencement de l’action de grâces. Il est ainsi dans un missel de Saint-Germain-l’Auxerrois de Paris, dans un de Sainte-Geneviève d’environ trois cents ans, et dans quelques autres écrits aussi vers l’an 1400, quoiqu’il ne soit pas en divers autres, écrits vers le même temps. Il est marqué dans ces anciens missels que le prêtre le dit en se déshabillant[6]. De là vient qu’au diocèse de Paris, et en plusieurs autres églises de France, à la messe solennelle, on dit cet évangile en allant de l’autel à la sacristie, ou même à la sacristie.[7]

Cela suffisait à la piété des prêtres ; mais ce n’en était pas assez pour satisfaire la dévotion des assistants, qui ont souhaité de l’entendre réciter. Les peuples ont toujours eu une grande vénération pour l’évangile de saint Jean. Saint Augustin avait entendu dire plusieurs fois à saint Simplicien, qui succéda à saint Ambroise, qu’un Platonicien disait que le commencement de cet évangile devait être écrit en lettres d’or dans tous les lieux d’assemblée, pour pouvoir être lu de tout le monde. Le concile de Salingestad en 1022 nous apprend que les laïques, surtout les femmes, avaient dévotion d’entendre tous les jours à la messe l’évangile de saint Jean. De tout temps on a eu dévotion de faire mettre le saint évangile sur la tête pour être guéri de quelque mal. Saint Augustin ne le désapprouvait pas, de peur qu’on ne recourût à quelque substitutif superstitieux ; et le pape Paul V ordonne, dans son rituel, qu’en allant visiter les malades on mette la main sur leurs têtes en récitant l’évangile de saint Jean.

Dans les grandes actions qui étaient accompagnées de serment, on faisait réciter par le prêtre à la fin de la messe l’évangile de saint Jean, sur lequel ensuite on prêtait le serment. Il est marqué dans la bulle d’Or pour l’élection de l’empereur, qu’après avoir entendu lire l’évangile de saint Jean à la fin de la messe, les électeurs jureront en touchant ce saint évangile.

Les fidèles ont si fort souhaité qu’on le récitât à la fin de la messe, qu’ils l’ont expressément demandé dans les fondations qu’ils faisaient, comme on le voit dans un missel de Saint-Magloire de Paris écrit depuis trois cents ans[8]. Bientôt après il ne fallut plus le recommander dans les fondations. Presque tous les prêtres le récitèrent tout haut avant que de quitter l’autel. Il est dans le pontifical romain dressé par Augustin Patrice[9], évêque de Pienza, imprimé pour la première fois à Rome en 1485, aussi bien que dans le cérémonial romain composé trois ans après par le même auteur[10], et dans l’ordo des messes basses dressé par Burcard, qui travaillait avec lui. Le cérémonial écrit peu d’années après par Paris de Crassis, pour les cardinaux et les évêques dans leurs diocèses, le fait réciter également à l’autel par tous ceux qui disent la messe. Un missel romain à l’usage des frères Mineurs, imprimé à Bâle en 1487, marque l’évangile de saint Jean à la fin de la messe, comme nous le disons ; et Bechoffen, de l’ordre des Augustins, écrit à Strasbourg en 1519, qu’on le dit à la fin de la messe par une louable coutume, qui doit être regardée comme une loi. Elle est en effet devenue une loi dans le missel du saint pape Pie V, qui a mis l’évangile de saint Jean parmi tout ce que devaient réciter à la messe ceux qui se serviraient du missel romain.


II. L’évangile de saint Jean.

Initium sancti Evangelii secundum Joannem. Gloria tibi, Domine.

IN PRINCIPIO erat verbum, et Verbum erat apud Deum, et Deus erat Verbum. Hoc erat in principio apud Deum. Omnia per ipsum facta sunt : et sine ipso factum est nihil, quod factum est : in ipso vita erat, et vita erat lux hominum : et lux in tenebris lucet, et tenebrae eam non comprehenderunt. Fuit homo missus a Deo, cui nomen erat Joannes. Hic venit in testimonium, ut testimonium perhiberet de lumine, ut omnes crederent per illum. Non erat ille lux, sed ut testimonium perhiberet de lumine. Erat lux vera, quae illuminat omnem hominem venientem in hunc mundum. In mundo erat, et mundus per ipsum factus est, et mundus eum non cognovit. In propria venit, et sui eum non receperunt. Quotquot autem receperunt eum, dedit eis potestatem filios Dei fieri, his, qui credunt in nomine ejus : qui non ex sanguinibus, neque ex voluntate carnis, neque ex voluntate viri, sed ex Deo nati sunt. (On fléchit le genou) ET VERBUM CARO FACTUM EST, et habitavit in nobis : et vidimus gloriam ejus, gloriam quasi Unigeniti a Patre, plenum gratiae et veritatis.

Deo gratias.

Commencement du saint Evangile selon saint Jean. Gloire à vous, Seigneur.

AU COMMENCEMENT était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu. Tout a été fait par lui, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui. En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes, et la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas reçue. Il y eut un homme envoyé par Dieu qui s’appelait Jean. Il vint pour rendre témoignage, pour servir de témoin à la lumière, afin que tous croient par lui. Il n’était pas la lumière, mais il venait pour être témoin de la lumière. La véritable lumière était celle qui éclaire tout homme venant en ce monde. Le Verbe était dans le monde et le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a pas connu. Il est venu dans son domaine et les siens ne l’ont pas reçu. Mais à ceux qui l’ont reçu il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom, qui ne sont nés ni du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu. ET LE VERBE S’EST FAIT CHAIR, et il a habité parmi nous. Et nous avons contemplé sa gloire, gloire du Fils unique venu du Père, plein de grâce et de vérité.

Rendons grâce à Dieu.


III. Explication de l’évangile de saint Jean.

INITIUM SANCTI EVANGELII, le commencement, du saint Evangile. Le mot évangile signifie bonne nouvelle ; et l’on a ainsi appelé les quatre livres sacrés qui ont appris au monde l’heureuse nouvelle de la venue du Sauveur.

SECUNDUM JOANNEM, selon saint Jean. Les trois premiers évangélistes, saint Matthieu, saint Marc et saint Luc, avaient commencé l’histoire de Jésus-Christ, par sa naissance temporelle ou par sa prédication ; mais saint Jean, qui écrivit après tous les autres, dans un temps où des hérésiarques avaient déjà nié que Jésus-Christ le Messie fût Dieu, monte jusqu’à sa génération éternelle, et commence ainsi.

IN PRINCIPIO ERAT VERBUM, au commencement était le Verbe. Les premières notions que la foi présente aux chrétiens sont qu’il y a un seul Dieu en trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Jean suppose ces notions, et parle ici du Fils, qui est la seconde personne, et qui est appelé le Verbe, c’est-à-dire la parole. Le mot grec dont saint Jean s’est servi signifie également le raisonnement et la parole. En effet, le Fils, qui est la très parfaite image du Père, est également la raison et la parole du Père, mais la parole et la raison subsistante. Saint Jean marque d’abord l’éternité du Verbe en disant : In principio erat. Ce mot in principio a deux significations. Il se prend pour le commencement de toutes choses, et en ce sens il signifie que le Verbe n’a point de commencement, qu’avant que toutes choses aient commencé, il était ; et qu’on ne peut concevoir ni supposer aucun commencement, qu’il ne faille dire : Il était. Principium signifie aussi Dieu le Père, et ainsi saint Jean nous dit qu’il ne peut avoir de commencement, qu’il était dans Dieu le Père, qui est le principe sans principe. C’est en ce sens que plusieurs Pères[11] prennent le mot in principio. Voilà l’éternité et le lieu du Verbe.

ET VERBUM ERAT APUD DEUM, et le Verbe était[12] avec[13] Dieu. Il n’était pas dans le Père comme notre pensée est en nous, qui n’est que notre âme même pensante. Il y était comme ayant la vie en soi, subsistant en soi-même indépendamment, comme relativement opposé à son principe, qui est Dieu. Voilà la subsistance du Verbe, et sa distinction personnelle d’avec le Père.

ET DEUS ERAT VERBUM, et le verbe était Dieu. De peur qu’on entendit que le Verbe était chez le Père sans être consubstantiel au Père, saint Jean ajoute qu’il était Dieu, et ainsi tout-puissant comme son Père, égal en toutes choses à son principe.

HOC ERAT IN PRINCIPIO APUD DEUM, il était dans le principe avec Dieu. Après que saint Jean a exprimé l’éternité du Verbe, sa distinction personnelle et sa divinité, il ne lui reste qu’à marquer sa société avec les divines personnes, en disant qu’il était dans le principe avec Dieu, ou chez Dieu. Les Pères nous ont déjà fait remarquer que saint Jean entend par in principio que le Verbe était dans Dieu le Père, qui s’appelle simplement principe, parce qu’il est le principe[14] sans principe. Ainsi, quand saint Jean ajoute qu’il est dans le principe chez Dieu, on peut entendre par ces paroles chez Dieu, qu’il était chez le Saint-Esprit. Car saint Jean ayant déjà fait comprendre que le principe était Dieu, lorsqu’il ajoute ici que le Verbe était dans son principe, qui est Dieu le Père, et qu’il joint immédiatement, qu’étant dans ce principe, il était chez Dieu, il n’a pas voulu dire, par une répétition inutile, qu’il était dans le principe, qui est Dieu le Père, chez Dieu le Père : mais il semble qu’il nous a voulu marquer une nouvelle vérité ; qu’étant dans le principe, qui est Dieu le Père, il était encore chez le Saint-Esprit, qui est Dieu, de la même manière que Jésus-Christ nous dit qu’il est dans son Père, et que son Père est dans lui, et que son Père demeure en lui. C’est ce que la théologie appelle la circumincession des personnes divines.

L’Ecriture nous fait voir en ce peu de mots les trois divines personnes dans leur distinction personnelle, et comme ayant également les caractères essentiels de la divinité, en disant de chacune d’elles, qu’elle est Dieu, et qu’elles sont entre elles et à elles-mêmes leur centre et leur demeure.

OMNIA PER IPSUM FACTA SUNT, ET SINE IPSO FACTUM EST NIHIL, toutes choses ont été faites par lui, et rien n’a été fuit sans lui. Saint Jean montre la toute-puissance du Verbe. Le Père, qui est tout-puissant, a sans doute fait toutes choses. Saint Jean le suppose sans rien en dire. Mais comme il y avait des hérétiques qui ne reconnaissaient pas la toute-puissance du Verbe, saint Jean dit que tout a été fait par lui, comme par le Père, ainsi que Jésus-Christ dit que tout ce que le Père fait, le Fils le fait aussi comme lui. Et pour marquer plus distinctement que le Verbe n’agit pas seul, mais qu’il agit en société avec deux autres personnes divines, saint Jean ajoute que rien n’a été fait sans lui, parce que tout a été fait par le Fils aussi bien que par le Père et le Saint-Esprit.

QUOD FACTUM EST, IN IPSO VITA ERAT ; ce qui a été fait, était vie en lui. Il y a plus de treize cents ans qu’on est en peine de savoir si ces mots, quod factum est, doivent être joints à la phrase précédente, ou s’ils doivent en commencer une autre, comme nous venons de le faire. Il paraît qu’ils la commençaient selon l’ancienne Vulgate. Saint Augustin[15] n’a jamais lu autrement, comme on le voit au dixième livre de la Cité de Dieu, au premier Traité sur saint Jean, et ailleurs ; et c’était en son temps la plus commune manière de ranger et de distinguer ces mots. Les ariens et les macédoniens prétendaient autoriser leur erreur par cette manière de lire : car ils voulaient que ces mots, ce qui a été fait en lui était en vie, étant détachés des mots précédents, et commençant la phrase, s’entendissent du Verbe ou du Saint-Esprit, pour les mettre ainsi au nombre des choses qui avaient été faites. Les Catholiques rejetèrent avec horreur, comme ils devaient, cette détestable explication ; et il y a lieu de croire que, pour l’éloigner entièrement de l’esprit, plusieurs joignirent ce qui a été fait, à la phrase précédente ; afin qu’il ne fût pas possible d’en abuser, et qu’on fût obligé de reconnaître par la simple lecture qu’il ne s’est rien fait que par lui de tout ce qui a été fait. C’est ce qui a été insensiblement cause qu’on lit ainsi depuis longtemps dans les nouveaux testaments grecs. Mais de savants Pères grecs, tels que saint Grégoire de Nazianze et saint Cyrille d’Alexandrie, quelque appliqués qu’ils fussent à combattre les hérésies, suivirent cette ponctuation ; et l’ancienne vulgate latine, aussi bien que tous les missels romains, l’ont conservée jusqu’au dix-septième siècle. Les ariens ne pouvaient pas sans folie prétendre se prévaloir de cette ponctuation avant ces mots, quod factum est ; puisqu’il est dit si clairement que toutes choses ont été faites par le Verbe, et rien n’a été fait sans lui. Aussi saint Ambroise dit qu’il ne faut pas craindre en ce point leur mauvaise interprétation. Il remarque qu’on ne peut pas savoir de quelle manière le saint évangéliste a prononcé, et que plusieurs fidèles savants prononçaient ainsi : Tout a été fait par lui, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui. Cette manière de lire est en effet fort bonne, et forme un sens très orthodoxe. Mais, pour nous conformer à l’ancienne italique, à la nouvelle vulgate de saint Jérôme, et à tous les missels romains, soit manuscrits, soit imprimés jusqu’au dix-septième siècle, nous devons expliquer ces mots comme faisant une nouvelle phrase.

QUOD FACTUM EST, IN IPSO VITA ERAT, tout ce qui a été fait, était vie en lui. Tout ce qui a été fait avait été préparé dans la sagesse, et résidait en elle, comme toute la maison est dans la pensée de l’architecte qui la bâtit. C’est dans cette sagesse où toutes choses vivent et demeurent d’une manière inaltérable ; c’est donc là où tout ce qui a été fait, est vie et raison. En moi, dit la Sagesse, est toute l’espérance de la vie et de la vertu : et Jésus-Christ nous dit que comme le Père a la vie en lui-même, il a aussi donné au Fils d’avoir la vie en lui-même, pour être 1a source de la vie en toutes choses.

ET VITA ERAT LUX HOMINUM, et cette vie était la lumière des hommes. Cette sagesse était leur lumière, comme elle était leur vie. C’est elle qui leur découvrait toutes les vérités. En moi, dit la Sagesse, est toute la grâce de la voie et de la vérité. C’est dans la sagesse où nous sommes, dit l’Ecriture, nous, nos discours, notre sagesse, notre science pour agir, et notre règlement de vie.

ET LUX IN TENEBRIS LUCET, et la lumière luit dans les ténèbres. Avant la venue de Jésus-Christ tous les hommes étaient dans les ténèbres par l’état du péché ; dans cet état là, même la sagesse du Verbe les éclairait au milieu de leurs plus épaisses ténèbres : c’est pourquoi l’on a vu souvent dans les hommes les plus corrompus une pénétration qui étonnait, et qui faisait connaître qu’en jugeant du devoir des autres hommes, ils avaient de grandes idées de la perfection.

ET TENEBRÆ EAM NON COMPREHENDERUNT, et les ténèbres ne l’ont pas comprise. Quelque brillante qu’ait souvent été cette lumière dans les hommes charnels, comme ils tournaient presque tous leurs regards vers les choses sensibles et terrestres, ils demeuraient enveloppés dans leurs ténèbres, et ne donnaient point leur attention à la lumière de la Sagesse, ils ne comprenaient pas ce qu’elle leur prescrivait.

FUIT HOMO MISSUS A DEO, CUI NOMEN ERAT JOANNES… Il y eut un homme envoyé de Dieu, qui s’appelait Jean. Il vint pour servir de témoin, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent par lui. La lumière intérieure qui éclairait immédiatement les hommes charnels ne suffisant pas pour les éveiller, et pour les rendre attentifs à ce qu’elle leur montrait au fond d’eux-mêmes, Dieu leur envoie un homme appelé Jean-Baptiste. La mission de ce saint envoyé a été marquée dans l’Évangile comme une époque très remarquable[16]. Il se fit écouter avec respect, pour obliger les hommes à tourner les yeux de leurs âmes vers la lumière, et leur montrer quel était celui qui était cette lumière, en qui ils devaient croire.

NON ERAT ILLE LUX… Il n’était point la lumière, mais seulement un témoin de la lumière. Cet envoyé qui devait l’annoncer fut si respecté, qu’on était porté à le prendre lui-même pour la lumière ; et qu’il fallut qu’il confessât hautement qu’il n’était pas le Christ, et que l’évangéliste nous dit encore qu’il n’était pas la lumière.

ERAT LUX VERA QUAE ILLUMINAT OMNEM HOMINEM VENIENTEM IN HUNC MUNDUM. Cette lumière, qu’annonçait Jean-Baptiste, était la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde. Ainsi nul n’est éclairé que par elle, dit saint Augustin.

IN MUNDO ERAT, ET MUNDUS PER IPSUM FACTUS EST, ET MUNDUS EUM NON COGNOVIT. Il était dans le monde qui a été fait par lui, et le monde, devenu tout sensuel et tout charnel, ne l’a pas reconnu pour son Créateur.

IN PROPRIA VENIT, ET SUI EUM NON RECEPERUNT. Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu. Il s’est montré avec plus d’éclat parmi le peuple juif, qui lui était principalement dévoué ; et ce peuple, qui était plus particulièrement son peuple, ne l’a pas reçu.

QUOTQUOT AUTEM RECEPERUNT EUM, REDIT EIS POTESTATEM FILIOS DEI FIERI. Mais à l’égard de tous ceux qui l’ont reçu, il leur a donné le pouvoir d’être faits enfants de Dieu, pour être ses cohéritiers dans le ciel, en croyant en son nom.

HIS QUI CREDUNT IN NOMINE EJUS, sa divine parole reçue dans leur cœur étant un germe de vie, qui peut sauver les âmes, comme parle l’apôtre saint Jacques[17].

QUI NON EX SANGUINIBUS, qui n’étant pas nés du sang. Ce germe du salut ne peut pas venir du sang de nos parents par la naissance corporelle.

NEQUE EX VOLUNTATE CARNIS, ni de la volonté de la chair, de tout ce que nos parents veulent et peuvent faire pour nous former dans la vie civile selon le monde et selon la chair.

NEQUE EX VOLUNTATE VIRI, ni de la volonté de l’homme. Le mot vir marque ordinairement ce qu’il y a de plus sublime dans l’homme. On ne peut devenir enfant de Dieu par tout ce qu’il peut y avoir de raisonnable et de spirituel dans les hommes ; car, quelque grands et excellents qu’ils puissent être par leurs connaissances et par leur esprit, ce n’est point encore par là qu’ils peuvent être élevés à la qualité d’enfants de Dieu.

SED EX DEO NATI SUNT, mais qui sont nés de Dieu. Parce qu’il faut qu’ils reçoivent ce germe de salut de Dieu même, qui seul peut le donner.

ET VERBUM CARO FACTUM EST, le Verbe s’est fait chair[18] ; et c’est par sa grâce toute divine que ce germe du salut est mis dans nos âmes. Nous étions devenus tout charnels ; le Verbe s’est fait chair pour nous attirer et nous unir à Dieu par la chair même ; l’Evangile dit qu’il s’est fait chair, plutôt que de dire qu’il s’est fait homme, pour montrer qu’il a pris absolument toute notre nature humaine ; puisqu’il a pris, ou plutôt qu’il s’est fait ce qu’il y a de plus bas en nous, qui est la chair.

ET HABITAVIT IN NOBIS, et il a habité parmi nous, afin que les hommes pussent s’approcher avec confiance d’un Dieu qui paraissait si semblable à eux. Il habite même en nous ; car, en prenant ainsi la nature humaine, non seulement nous sommes en lui par notre nature, mais il demeure dans nous, en nous communiquant de sa plénitude ; afin que nous le possédions, et qu’il nous possède, et que par là nous devenions dans le ciel participants de la nature divine, comme dit saint Pierre[19], en participant à la nature de celui qui est vraiment Dieu.

ET VIDIMUS GLORIAM EJUS, GLORIAM QUASI UNIGENITI A PATRE. Quoique le Verbe ait été revêtu d’un corps terrestre comme le nôtre, nous avons pourtant vu sa gloire comme la gloire du Fils unique du Père ; parce que ses œuvres et ses miracles ont fait voir, qu’il agissait en Dieu, et qu’il était véritablement le Fils unique du Père.

PLENUM GRATIAE ET VERITATIS, plein de grâce, pour changer et sanctifier nos cœurs ; plein de vérité, pour éclairer nos esprits.

Quel sujet n’avons-nous pas de nous répandre en actions de grâces après tant de bienfaits ? Grâces au Père qui nous a donné son Fils ; grâces au Fils qui s’est revêtu de notre nature ; grâces au Saint-Esprit qui nous sanctifie en Jésus-Christ ; grâces au Verbe fait chair, à ce divin Agneau qui vient de s’offrir pour nous, de s’immoler pour nous, et de se donner en nourriture ; grâces à Dieu pour tous ses dons et ses infinies miséricordes.


  1. Texte écrit en 1716. (NDLR)
  2. Stat. cartus. au. 1368, p. 1, c. 3.
  3. On appelle messe sèche celle où l’on ne consacre ni ne communie. C’est la récitation de l’office de la messe, à la réserve des prières de l’oblation, de la consécration et de la communion. Lorsque saint Louis était captif et qu’il se trouvait sur les vaisseaux, il disait ainsi l’office de la messe avec un religieux de saint Dominique et Guillaume de Nangis, son clerc et son historien, qui rapporte ce fait.
  4. Il s’agit de Durand de Mende, évêque, grand compilateur de livres liturgiques, et auteur du premier Pontifical.
  5. L’ordinaire de la messe de l’abbaye de Saint-Ouen de Rouen, en 1521 marque aussi l’évangile de saint Jean après le Placeat, sans marquer aucune bénédiction.
  6. On lit dans un missel de Rennes, de près de trois cents ans, dans ceux de Troyes du quinzième siècle, dans celui de Meaux de 1492, et dans tous ceux de Paris imprimés depuis 148, jusqu’en 1615 : Exuens se casula dicat : Dominus vobiscum, etc. ; Initium sancti evangelii, etc. Les missels de Lisieux du quinzième siècle mettent l’évangile de saint Jean après la bénédiction, sans marquer si on le dit en se déshabillant.
  7. On le dit en retournant à la sacristie, à Lyon, Narbonne, Reims, Sens, Auxerre, Metz, Chartres ; au Mans, à Meaux, à Bayeux, etc. A Clermont on le dit à la porte de la sacristie ; et à Laon et à Langres dans la sacristie. Selon le pontifical romain, l’évêque le dit en allant de l’autel au siége où il doit se déshabiller, si ce lieu n’est pas loin de l’autel ; car s’il doit aller à la sacristie, il le dit à l’autel.
  8. On lit à la tête de ce missel, écrit en beau vélin : La messe perpétuelle de chacun jour par maistre Jehan de la Croix, conseiller et maistre des comptes du Roi notre S. ordonnée et fondée au mois d’août l’an 1412 en cette église et abbaye de Mons Saint-Magloire à Paris. On y prescrit les mémoires qu’on y doit faire, et en la fin l’évangile saint Jehan. Ce qui y est recommandé deux fois.
  9. Augustino Patricio Piccolomini, correcteur du cérémonial de Durand de Mende.
  10. Ce cérémonial, qui est celui dont on se sert encore aujourd’hui, fut présenté au pape Innocent VIII par l’évêque de Pienza l’an 1488. C’est ce cérémonial qui fut publié par Marcel, archevêque de Corfou, et imprimé pour la première fois à Venise l’an 1516.
  11. Clem. Alex., orat. ad Gent. Origen. traet. in Joan. Cyrill. I. 1, in Joan. Aug. I. 6 de Trin. c. 2 : Quod dictum est, in principio erat Verbum, in Patre erat Verbum, intelligitur : aut si in principio sic dictum est ac si diceretur ante omnia.
  12. Annuntiamus vobis vitam æternam, quæ erat apud Patrem et apparuit nobis (I Jn. 1, V. 2.).
  13. Il y a dans le grec πρός, qui signifie également dans, avec et chez. Saint Fulgence a montré dans un livre entier contre les Ariens, que la préposition apud ne signifie pas plus une demeure extérieure que la préposition in ; et qu’on lit indifféremment dans l’Ecriture in Deo et apud Deum. (Lib. 3. ad Monimum.) On dit de même en français d’un homme intérieurement appliqué et méditatif, qu’il est chez lui, pour dire qu’il est renfermé en lui-même, sans se laisser dissiper par les objets extérieurs.
  14. Ingenitus, innascibilis, fons et origo totius deitatis. Ces termes théologiques sont l’explication de ce qu’on entend par le Père simplement principe.
  15. Saint Augustin recommandait seulement aux fidèles de ne pas lire : Quod factum est in ipso, vita erat, comme les Manichéens voulaient qu’on lût ; mais qui on eut toujours soin de lire : Quod factum est, in ipso vita erat.
  16. Lc, III, 2.
  17. Jc, I, 2.
  18. D’après la tradition orientale, Dieu aurait dicté à St Jean cette première page de son évangile à la lumière des éclairs et au bruit du tonnerre, c'est-à-dire de la même manière qu’il avait promulgué sa loi sur le Mont Sinaï. Lorsque les docteurs d’Alexandrie entendirent, pour la première fois, la lecture de cette page sublime, ils se levèrent saisis d’enthousiasme et s’écrièrent que Dieu seul pouvait en être l’auteur.
  19. II Pierre, I, 4.
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