L'obsession

De Salve Regina

Vie spirituelle
Auteur : P. Hugueny, Facultés catholiques de Lyon.
Source : Revue "La Vie Spirituelle" n°137
Date de publication originale : Février 1931

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen

Parmi les conséquences pratiques découlant des ensei­gnements de la philosophie thomiste au sujet de la dis­tinction de l'image et de l'idée et des inclinations sensi­bles et volontaires, distinctes les unes des autres, dans leur perpétuel accouplement, tout comme l'image et l'i­dée, nous pouvons signaler la façon dont on doit consi­dérer et traiter les cas d'obsession.

Nous n'entendons point parler des obsessions diaboli­ques, qui d'ailleurs souvent présupposent ou accompa­gnent celles dont nous allons traiter, les obsessions sim­ples auxquelles tous nous pouvons être sujets, à certains moments de fatigue.

La plupart du temps, nous n'avons pas l'initiative de l'activité de notre imagination. Nous l'avons seulement dans les moments où nous appliquons notre intelligence, par un effort coordonné et continu, à la méditation d'un sujet de réflexion que nous voulons approfondir, soit en étude, soit au cours d'une oraison. Si le sujet ne nous passionne pas de telle sorte qu'une fois notre imagina­tion mise en chasse elle coure d'elle-même à la poursuite de son gibier, cet effort nous coûte beaucoup plus que celui du casseur de pierres, qui doit imposer à ses mus­cles une continuité de mouvements répétés et ordonnés.

En dehors de ces moments de vrai travail intellectuel, bien rares et bien courts sont les instants où nous com­mandons vraiment à notre imagination. Nous recevons nos images, des impressions qui nous viennent du dehors et conformément à la loi si bien formulée par l'axiome scolastique : «  Quidquid recipitur, ad modem recipientis recipitur : Toute impression prend ses dernières modali­tés, du sujet qui la reçoit. » Mais ces dispositions subjec­tives, qui donnent à nos images reçues du dehors, leur dernière tonalité, leur degré d'intensité et de perdurance, ne sont pas complètement, tant s'en faut, sous le gouver­nement de notre volonté. Elles sont, pour une part toujours large, plus ou moins large selon les individus, le résultat de nos dispositions corporelles, de l'état de nos nerfs et par conséquent de tout ce qui influe sur notre corps et notre sensibilité, alimentation, variations atmos­phériques, courants magnétiques que nous ne connais­sons pas, mais dont les changements modifient aussi nos dispositions et nos impressions de sensibilité. Saint Tho­mas a bien plus raison qu'il n'y paraît tout d'abord, quand, se demandant si les astres influent sur les vou­loirs humains, il répond que les astres, agissant: sur la sensibilité, modifient nos images et par conséquent les idées et des vouloirs de tous les « sots » qui laissent leurs idées et leurs vouloirs à la remorque de l'image. Il n'y a que les sages qui, gouvernant leurs inclinations de sensibilité, gouvernent du même coup les impressions qu'ils reçoivent des astres. « Sapiens dominatur astris. » Mais, ajoute mélancoliquement le saint docteur : « Infinitus est numerus stultorum : Le nombre des sots est infini.

Habituellement, le jeu spontané de nos images est papillonnage incessant. Il arrive cependant parfois: que, pour une cause physiologique, dont nous ne prétendons pas expliquer le jeu mystérieux, certaines cellules céré­brales se trouvent en état de vibration continue, comme la lamelle d'harmonium dont la poussière, a paralysé le ressort. Les images, que portent ces cellules fatiguées, demeurent perpétuellement à l'état de vives représenta­tions au regard de notre conscience psychologique, comme la note, dont le mécanisme est faussé, continue de chanter, tant qu'un souffle passe dans l'instrument, quelque effort que fasse l'artiste frappant sur le clavier, pour faire taire cette note discordante:

L'obsession est d'autant plus durable, que, l'image, qui en est l'objet, fait une impression plus vive sur notre sensibilité. Telles sont, par exemple, les obsessions de damnation ou de suicide. L'image noyau éveille autour d'elle toutes les images concomitantes qui lui sont liées par les lois de l'association. Chacune de ces images amène avec elle l'idée correspondante et provoque dans la sensibilité et aussi dans notre volonté de nature, écho fidèle de toutes nos impressions, des commencements d'inclinations et de mouvements d'entraînement, d'aver­sion, de désir, d'effroi, de découragement, qui achèvent de désespérer la malheureuse âme ignorante du jeu de notre psychologie, de ce, qui est au pouvoir de notre volonté et de ce qui n'y est pas.

Si elle se met à discuter avec l'obsession, le trouble s'aggrave. Si l'on traite son mal de mal imaginaire que la réflexion d'une personne sérieuse doit vivement com- battre et faire disparaître, on lui fait au coeur une blessure cruelle qui s'ajoute à son mal et la persuade encore bien davantage qu'elle est une personne maudite, puisque, malgré ses efforts, elle n'arrive pas à retrouver la paix et à triompher d'un mal imaginatif dont les person­nes ordinaires ont si facilement raison.

Le mal est bien dans l'imagination, mais il n'est pas imaginaire; il a sa cause indépendante du pouvoir direct de notre volonté, dans un trouble physiologique du cer­veau. Il faut le dire au malade, lui faire sentir qu'on comprend sa souffrance et son impuissance à la faire ces­ser par raisonnement ou par réflexion. Il faut lui expli­quer que nous n'avons pas le gouvernement absolu de notre imagination, que, même en temps de santé, nous n'exerçons sur elle qu'un pouvoir politique qui n'est pas absolu, que nous ne sommes pas responsables des idées et des premières impressions qui accompagnent ces images; qu'elles sont en nous, mais ne sont pas de nous.

La part de l'automatisme étant ainsi reconnue, il faut alors insister auprès du malade sur ce que sa volonté peut faire et sur ce qu'elle doit faire en pareille occurrence. Nombre de médecins, hélas, très forts en physiologie, mais très mal informés des ressources de notre psycho­logie, et en particulier de la psychologie d'une âme chré­tienne, soit parce qu'ils sont matérialistes, soit parce qu'ils n'ont pas l'expérience des âmes croyantes, laissent entendre au malade, quand ils ne le lui disent pas explicitement, qu'il n'y a rien à faire contre ces idées noires, que tôt ou tard la volonté désarmée devra céder à leur poussée; et, dans l'entourage du malade, on a parfois la criminelle imprudence de rappeler tel ou tel cas de neu­rasthénique qui a fini par le suicide. Voilà ce qui porte au paroxysme les dangereuses impressions du malade et leur donne le maximum de puissance angoissante et motrice. Chaque fois que l'obsession revient, le malade prend peur; et cette peur, en même temps qu'elle rend l'image et son impression plus vives, rend la volonté moins forte. « A quoi bon lutter, puisque, tôt ou tard, il faudra céder ? Pourquoi prolonger une lutte dont on prévoit l'issue fatale? Puisque le médecin n'y peut rien, autant se lais­ser faire tout de suite... »

Ah ! Combien, il est alors important de rappeler à l'âme croyante que, pour le chrétien, il n'est pas de tentation qui puisse faire violence à sa volonté ! « Dieu est fidèle; il ne vous laissera pas tenter au-dessus de vos forces et fera en sorte qu'au moment de la tentation vous puissiez résister » (I Cor., x, 13). Cette conviction une fois bien ancrée dans l'âme du patient, la peur peut bien encore atteindre la sensibilité : elle n'envahit plus tout l'esprit, qui devient capable de comprendre et d'appliquer les prescriptions morales suivantes :

  • Offrir son cœur à Dieu, quand l'obsession revient, et protester qu'on n'approuve en rien toutes ces sottises. Une protestation suffit; il n'est pas utile de la renouveler fréquemment:
  • Ne faire aucune démarche extérieure qui réponde aux sottes suggestions de l'obsession. Si nous n'avons pas de pouvoir despotique sur notre imagination, nous l'avons généralement sur nos actes extérieurs.
  • Ne parler de ce mal qu'aux personnes sérieuses capables par leur autorité et leur sagesse d'y apporter quelque adoucissement, et encore le plus rarement possible.
  • Se moquer de ces obsessions et ne pas plus s'en sou­cier que si on les constatait dans un fou déclaré qui serait notre voisin. S'il s'y mêle quelque tentation du démon, ce qui peut facilement arriver, la moquerie est un excel­lent moyen, parce que, nous dit sainte Thérèse, le démon est très orgueilleux et ne supporte pas qu'on se moque de lui.
  • Donner à l'imagination et à la sensibilité un objet d'activité étranger à la matière de l'obsession. Le dérivatif du travail, d'une occupation intéressante et utile, ne dépassant pas les forces du malade, d'une pro­menade en compagnie, pas solitaire, à moins qu'il ;ne s'agisse d'une course d'affaires, voilà le meilleur moyen d'attirer et de retenir l'imagination hors du champ de l'obsession. Le pire des remèdes est le repos dans l'oisi­veté, ou la promenade solitaire et sans but. - 6° Par­ dessus tout, recourir très humblement et en confiance entière à la prière, non pas pour demander, avec une insistance anxieuse, la fin de l'obsession, mais pour se livrer en tout abandon filial à la paternelle providence de notre Père du ciel, qui ne permet aucune épreuve que pour le bien de ceux qui l'aiment. Cet abandon filial hâtera plus l'heure de la délivrance, que la plus pressante et la plus anxieuse des prières. Plus on sera pressé, plus on supportera impatiemment son mal, plus on risque de l'aggraver ou au moins de le rendre plus douloureux.

A celui qui supportera son mal aimablement, dans l'intention apostolique d'attirer, par sa patience unie à celle de Notre-Seigneur; les grâces dont tant de person­nes ont besoin pour résister à toutes ces petites obsessions que sont souvent les tentations, la douceur de s'étendre, petite brebis, à côté de l'Agneau divin, sur la croix qu'il nous a choisie, pour nous associer à sa Passion et à son oeuvre rédemptrice, rendra la peine de l'obsession plus: douce et plus méritoire. Le jour où la Providence trouvera que son serviteur a suffisamment mérité par cette tentation, le mal disparaîtra sans bruit, comme il est venu. Cette douce patience favorisera singulièrement les soins d'hygiène nerveuse qu'on doit prendre en pareil cas, mais qui seront sans efficacité s'ils ne sont pas accompagnés de l'hygiène morale dont nous venons de donner les directives.

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