L'ordre de Lecteur

De Salve Regina

Les sacrements
Auteur : Jean-Jacques Olier
Source : Traité des Saints Ordres
Date de publication originale : 1657

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen
Remarque particulière : Le fondateur de la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice, tout donné à la formation sacerdotale, nous explique ici les différents degrés du sacerdoce (ordres mineurs et majeurs), sur le plan théologique, liturgique et spirituel.

De l’ordre des Lecteurs

Après que le clerc a été promu au saint ordre de portier, et que l’Église, par l’examen de sa conduite et de ses mœurs, a reconnu non seulement l’accroissement de son amour et de son zèle, mais encore son entière fidélité dans ses premiers emplois, elle lui fait faire un second noviciat, pour reconnaître s’il pourra un jour être propre à la prêtrise : et pour cela elle l’élève à la sublime et éminente dignité de lecteur, lui mettant entre les mains l’Écriture sainte, dont elle se sert pour le consacrer à son ministère[1].

Cet ordre doit suivre immédiatement celui des portiers, qui sont les gardiens des trésors de l’Église ; car Dieu a deux trésors dont il rend son Église dépositaire. Le premier est son corps et son sang précieux ; le second est son Écriture ou sa parole et son divin Testament, qui est le dépôt de ses secrets et de ses divines volontés. Il n’a fait ni l’une ni l’autre de ces deux grâces aux nations du monde[2], et, comme il ne les a point rendues dépositaires de son corps, il ne leur a point aussi déclaré ses jugements, ni confié ses saintes Écritures, comme il a fait à son Église.

Or, ce sacré trésor des Écritures saintes a été laissé par la bonté de Dieu entre les mains de l’Église son épouse, qui ensuite le confie aux prêtres, afin qu’ils en fassent entendre les mystères et qu’ils les expliquent au peuple[3] ; ce qu’ils doivent faire avec un merveilleux respect, traitant saintement cette divine parole, l’honorant comme elle le mérite, et la révérant avec d’autant plus de soin qu’il faut avoir plus de foi pour lui rendre toute la révérence qui lui est due.

C’est ce qui a porté saint Augustin à vouloir que l’on eût le même respect pour les moindres syllabes de l’Écriture sainte que pour les particules de la très sainte Eucharistie[4] ; parce qu’elles sont comme des enveloppes, des écorces et des sacrements qui contiennent le Saint-Esprit, qui renferment un abîme inconcevable de mystères, qui portent un fonds intarissable de grâce et de lumière, et qui sont un instrument ordinaire, mais tout divin, sous lequel Dieu agit dans l’Église.

C’est un trésor caché, mais qui n’a point de prix, auquel les personnes, éclairées des lumières de la foi, portent le respect que mérite une chose sainte de cette importance. De là vient que dans les conciles, où se trouvent les plus éclairés dans la foi, où sont les voyants, videntes, ces divines Écritures sont placées ouvertes sur un trône au milieu de l’assemblée ; et chacun en entrant les salue comme le Très Saint-Sacrement.

Ce même respect paraît encore à la sainte messe, lorsque le sous-diacre porte à baiser au prêtre le saint Évangile ; car, quoiqu’il passe devant le Très Saint-Sacrement et devant JésusChrist exposé sur l’autel, il ne fait point de génuflexion, non plus que s’il portait cet adorable Sauveur entre les mains.

Et, parce que l’on confie au prêtre ces saintes Écritures et ces divins testaments de Dieu, non seulement pour les méditer et les révérer en son particulier, mais aussi pour les faire respecter aux fidèles, et pour leur manifester les volontés de Dieu, en leur faisant entendre sa parole, on veut que le lecteur les lise dans l’église, premièrement pour voir, par son maintien et sa religion extérieure, s’il porte à cette divine Écriture la révérence qu’on lui doit[5] : secondement, pour reconnaître s’il est propre à faire entendre un jour la parole de Dieu au peuple, quand il sera revêtu du sacerdoce.

Par la lecture qu’il en fait dans l’église, on connaît mieux la force de sa voix, et l’on juge s’il a les talents et les dispositions propres pour un emploi si divin. C’est une fonction que Notre-Seigneur lui-même à faite autrefois dans la synagogue, en ouvrant l’Écriture Sainte[6], en la lisant, comme pour faire essai de la commission et de la légation qu’il avait reçue de son Père, qui était de faire entendre ses volontés par sa parole et par ses prédications[7].

Jésus-Christ est l’Ange du grand conseil ; c’est l’ambassadeur du Père éternel, qui fait connaître aux hommes ses volontés et les prêtres entrent dans cette dignité et en continuent les fonctions par la prédication. Pro Christo legatione fungimur, tanquam Deo exhortante per nos[8]. Et parce que l’on ne peut ni entendre, ni savoir la volonté d’une personne, si ce n’est de vive voix, ou par lettre et commission écrite, le prêtre, avant d’entrer dans le sacerdoce, doit faire un long apprentissage de la sainte Écriture, pour savoir la volonté de Dieu et pour apprendre sa doctrine. C’est donc là une obligation du lecteur, de se rendre capable de l’enseigner, pour en instruire ensuite toute l’Église.

Il faut ouvrir le testament qui est scellé, avant d’apprendre la volonté du testateur[9]. Ainsi, avant de pouvoir parler des volontés de Dieu et les faire connaître aux peuples, il faut avoir ouvert l’Écriture sainte, livre mystérieux, scellé de sept sceaux, que l’Agneau seul peut rompre, et dont lui seul peut nous donner l’intelligence. Lui seul connaît toutes les volontés de Dieu son Père, qui lui a parlé de vive voix ; et lui seul aussi peut nous instruire.

C’est pourquoi il faut le prier avec instance de nous révéler ses divines Écritures, et de nous découvrir les secrètes et très très adorables volontés de son Père qui y sont contenues, afin que nous puissions les faire connaître aux fidèles, et en imprimer l’amour dans tous les cœurs.

Notre-Seigneur commença lui-même à les expliquer à ses Apôtres durant sa vie[10] ; il leur en développa plus ouvertement les mystères aussitôt après sa résurrection, lorsque, comme dit saint Luc[11], il leur expliquait les Écritures ; mais maintenant il veut, dans l’Église, en découvrir les secrets à tout le monde par le moyen de ses saints ministres, qu’il daigne pour cet effet remplir de son esprit et éclairer de ses lumières, sans lesquelles personne ni dans le ciel ni sur la terre ne pourrait en avoir l’intelligence.

Mais, parce qu’il ne se plaît point à répandre ses lumières dans les âmes souillées, dans lesquelles il dit lui-même que la divine sagesse n’habite point : In malevolam animam non introibit sapientia, nec habitabit in corpore subdito peccatis[12], il faut que les lecteurs se conservent dans une grande pureté, vivent entièrement exempts de la contagion du monde et du péché, afin de ne point émettre, d’obstacle aux grâces de Notre-Seigneur, et d’être en état de recevoir tout ce qu’il voudra leur faire connaître de ses desseins.

Ils doivent aussi être très fidèles à se dépouiller de leurs propres lumières, s’ils veulent être capables de recevoir les lumières divines ; renonçant à leur propre jugement, mourant à leur propre esprit, méprisant toutes ces vaines recherches et toutes ces curiosités qui ordinairement offusquent une âme, l’empêchent d’être ouverte à Dieu seul pour en être purement éclairée.

Outre ces pratiques et ces dispositions dans lesquelles on tâchera d’établir les lecteurs, on aura soin de les exercer très particulièrement à la lecture, au respect et à l’amour de l’Écriture sainte[13], parce que c’est le grand moyen pour en avoir l’intelligence. Ainsi on leur en fera lire au moins quelque chapitre tous les jours[14], à genoux et la tête nue ; après quoi, s’ils se couvrent et s’ils s’asseyent, ils ne le feront qu’avec regret et avec douleur de ne pouvoir se tenir toujours dans cette posture religieuse, devant Dieu et en présence de son divin Esprit, caché sous l’écorce et sous le voile de sa parole.

Il faudra aussi les accoutumer à la lire posément et avec application. Il n’y a point d’ordre religieux bien réglé où l’on ne soit très exact à imprimer dans le cœur des novices l’estime et l’amour de leur règle, à la leur faire lire très soigneusement et à leur apprendre tout ce qu’elle contient, parce que c’est elle qui leur fait connaître l’esprit de leur ordre, qui leur enseigne la manière de vie qu’ils doivent suivre, et qui leur montre en particulier ce qu’ils ont à faire pour se rendre parfaits dans leur condition. Aussi ne voit-on point de bons novices qui ne soient ravis de la lire et la relire souvent, et qui ne s’y appliquent avec ardeur, pour en avoir une parfaite intelligence.

Or c’est l’Écriture sainte qui est la grande règle de notre religion : règle qui n’a point été donnée par un ange ou composée par un homme, mais par le Saint-Esprit, règle dont toutes les paroles sont les paroles de Dieu même ; règle sous l’écorce de laquelle Jésus-Christ nous parle, et nous apprend ce que nous devons faire[15], non seulement pour nous sanctifier, mais encore pour sanctifier tous les fidèles selon leur état et leur condition.

Il faut donc nous porter avec amour à cette lecture, gémissant devant Dieu de voir le peu d’état que l’on en fait, et le peu d’application que l’on y donne. C’est un désordre qui n’est que trop ordinaire. On passera volontiers la plus grande partie de son temps à l’étude de l’histoire profane ; on aura une passion extrême pour les poètes et pour les grands orateurs ; on donnera tout son loisir à la lecture des livres curieux et tout à fait inutiles[16]. Mais, pour la lecture de l’Écriture sainte, elle est tellement négligée, que, dans le clergé même, la plupart de ses membres ne s’en occupent pas. Quel sujet de confusion pour des ecclésiastiques à qui elle est confiée !

Il faut que le lecteur tâche, autant qu’il est en lui, de relever le clergé de cet opprobre. Et, pour cela, il doit commencer par témoigner tout l’amour et toute l’estime possibles de ce saint livre, que les saints ont appelé le livre des prêtres[17], pour nous faire connaître que ce doit être là notre principale étude. Il faut donc que le lecteur le lise souvent et affectueusement, et que, suivant le conseil de saint Jérôme[18], il l’ait, s’il se peut, toujours entre les mains pour le méditer à toute heure, pour en goûter les vérités, pour en digérer les maximes, pour en ruminer toutes les paroles : en un mot, pour s’en remplir lui-même, afin de pouvoir ensuite en mieux nourrir les fidèles.

Comede volumen istud, dit Dieu à son prophète[19] : Mange ce livre. Et aussitôt ce prophète ouvrit la bouche et mangea ce volume, qu’il trouva doux comme du miel. C’est ce qui fut dit aussi à saint Jean par un ange, qui, lui montrant un livre ouvert : Accipe librum, lui dit-il[20], et devora illum ; et faciet amaricari ventrem tuum, sed in ore tuo erit dulce tanquam mel. Et c’est ce que doivent faire les ecclésiastiques, à qui l’évêque, figuré par l’ange, présente le livre des saintes Ecritures. Car ce livre paraît amer à la nature, que nous pourrions avec raison assimiler au ventre et à cette chair mortelle ; mais, d’autre part, il est doux, à cause de la joie, du repos et des consolations véritables que l’on y trouve et que Jésus-Christ y fait goûter à ceux qui s’en repaissent. Il est amer aux sens, mais il est doux au cœur, et conforte le nouvel homme ; en sorte qu’en mortifiant la chair et la vie du péché en nous, il fortifie l’esprit intérieur et la sagesse de Dieu dans notre cœur.

C’est ce livre qu’il faut que nos lecteurs dévorent, comme fit saint Jean, qui dit de lui-même : Et accepi librum de manu Angeli, et devoravi illum[21]. Ce qui marque l’ardeur avec laquelle ils doivent lire l’Écriture sainte, l’amour avec lequel il faut qu’ils en goûtent toutes les maximes, le zèle qui leur en doit faire embrasser absolument toutes les pratiques[22], sans s’arriter à la prudence de la chair, sans écouter aucun respect humain, sans avoir égard à ce qu’il peut en coûter au vieil homme, ne cherchant en tout que la gloire de Dieu et les moyens de le faire connaître, aimer et servir dans son Église.

Les lecteurs doivent s’efforcer de rendre fructueuse la grâce qui leur est conférée dans ce saint ordre ; car cet ordre est comme une aide donnée à leur foi, pour leur communiquer l’intelligence de la sainte Écriture, leur inspirer le respect qu’elle mérite et leur donner la grâce qui leur est nécessaire pour la bien lire et la prêcher aux autres : ce qui est une des principales et des plus honorables fonctions du prêtre, et ce qui présuppose un grand zèle pour la gloire de Jésus-Christ et pour le salut des âmes.

C’est ce zèle que le portier commence à faire paraître extérieurement, en ouvrant la porte de la maison de Dieu aux uns, et en appelant les autres par les cloches : et c’est ce que le lecteur continue plus spirituellement, en lisant tout haut, dans l’église, l’Écriture sainte, qui est la voix par laquelle Dieu parle aux peuples pour les instruire de sa doctrine et pour les attirer à son amour[23].

Toutes les fonctions des prêtres sont partagées en deux : les unes regardent Dieu, dont ils doivent procurer la gloire ; les autres regardent le prochain, dont ils sont obligés de rechercher le salut. Et c’est ce qui doit paraître dans la conduite des lecteurs, au sujet de l’Ecriture sainte qu’on leur met entre les mains. Car non seulement on doit remarquer leur respect, envers Dieu par l’honneur qu’ils portent à sa parole, et par l’estime qu’ils en font ; mais encore ils doivent donner des marques de leur zèle pour le salut des peuples, par le soin qu’ils prennent de l’étudier et de la bien entendre, afin de la publier hautement dans l’église, et d’en instruire publiquement les fidèles.

C’est pourquoi il faut examiner s’ils se sentent portés à cet emploi, et s’ils ont pour cela beaucoup de ferveur ; ce qu’on pourra reconnaître en les appliquant à l’instruction des enfants, en leur donnant le soin des catéchismes, en leur faisant, expliquer au simple peuple les éléments de la doctrine chrétienne[24] et en observant avec quel zèle et quelle fidélité ils s’en acquittent.

On tâchera principalement de remarquer s’ils s’estiment honorés de cette fonction, s’ils la regardent avec respect, comme une des plus importantes de l’église, s’ils l’embrassent avec joie dans la vue du salut des âmes et de la gloire qu’ils procurent à Dieu par cette voie. Car, s’ils estimaient cet emploi audessous d’eux[25], s’ils ne s’y appliquaient que par manière d’acquit, avec indifférence et même avec dégoût, parce qu’ils craindraient d’en recevoir quelque confusion devant le monde ; s’ils croyaient y perdre leur temps, s’imaginant être capables de plus grandes choses dans l’Eglise, ce serait une marque qu’ils n’auraient pas l’esprit de leur ordre, ou du moins qu’ils ne seraient pas assez fidèles à en suivre les mouvements.

C’était l’occupation de Jésus-Christ d’apprendre au simple peuple et aux petits enfants les premiers principes de la religion. Il était ravi de se trouver au milieu d’eux, pour leur enseigner à se sauver et à servir son Père : Sinite parvulos venire ad me, disait-il à ceux qui voulaient l’en empêcher ; talium enim est regnum caelorum[26]. Tout Dieu qu’il était, il ne s’estimait point déshonoré de cet emploi ; il s’y appliquait avec tant de ferveur et tant de zèle qu’il ne se lassait point de leur grossièreté, que leur pauvreté ne le rebutait point, qu’il n’épargnait ni son temps ni ses sueurs pour les instruire[27]

Voilà le modèle que doivent se proposer les lecteurs. Il faut qu’ils aient un grand zèle pour catéchiser les enfants et pour instruire les peuples ; en sorte qu’ils n’épargnent rien et soient toujours prêts à se sacrifier eux-mêmes pour leur faire connaîIre Dieu et Jésus-Christ son Fils.

Enfin, il faut qu’ils aient soin de mener toujours une vie très pure, pratiquant eux-mêmes les premiers tout ce qu’ils enseignent aux autres ; parce que, comme ils doivent servir aux hommes de loi vivante, et être par les actions qu’ils font la règle de leur conduite, selon l’avis que l’évêque leur donne en les ordonnant, ils ne seraient pas en état de monter à un ordre supérieur s’ils manquaient de satisfaire à une si essentielle obligation. Assiduitate ergo lectionum instructi, et agenda dicant, et dicta opere impleant : ut in utroque, sanctae Ecclesiae exemplo sanctitatis suae consulant[28].


  1. Guill. Paris., De Sacr. Ord., cap. 3, de Lector.
  2. Ps. 147 v. ult.
  3. Malach., II, 7.
  4. Saint Augustin, Serm. 300 ; P. L., 39, c. 2319.
  5. Saint Grégoire, Hom. 10 in Ezech. ; P. L., 76, c. 887.
  6. Magist. Sentent., lib. 4, dist. 24, de Lectorib. ; P. L., 192, c. 902.
  7. Tertull., Ad Prax. ; P. L., 2, c. 187.
  8. II Cor., V, 20.
  9. Saint Augustin, In Ps. 21 enarr. 2 ; P. L., 36, c. 180.
  10. Luc, IV, 16 ; Matth., XXI, 42 ; Ioan.., VII, 38.
  11. Luc, XXIV, 27, 32, 45.
  12. Sap., 1, 4.
  13. Saint Bernard, Specul. Monach. ; P. L., 184, c. 1175.
  14. Conc. Mediol. 4, d. 3, lit. 7.
  15. Saint Augustin, P. L., c, 1050.
  16. Saint Augustin, De ver. Relig., cap. 51 ; P. L., 34, c. 166.
  17. Saint Ambroise, 1. 3, de Fid., c. 15.
  18. Saint Jérôme, Ad Nepot. Ep. 34 ; P. L., 22, c. 533.
  19. Ezech., III.
  20. Apoc., X, 9.
  21. Apoc., X, 10.
  22. Saint Ambroise, De Caïn et Abel, lib. 2, c. 6 ; P. L., 14, c. 352.
  23. Saint Bernardin de Sienne, Serm. 20, a. I, 6.
  24. Saint Thomas, Suppl., q. 37, a. 2.
  25. Gerson, De Parvul. trah. ad Christ. consid., 4.
  26. Marc, X, 13, 14.
  27. Gerson, loc. cit., Consid., 3.
  28. Pontif. Rom. in ord. Lect.
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