La doctrine catholique sur le Purgatoire

De Salve Regina

Les Fins dernières
Auteur : Cardinal Charles Journet

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen

La doctrine catholique sur le Purgatoire

A parler d’une manière absolue (simpliciter), l’Église qui se reforme au-delà des portes de la mort, dans une région où il n’y a plus pour elle de progrès possible de la charité et où elle n’a plus à subir les attaques du démon ni les atteintes du péché, est dans un état de perfection et de consommation. Néanmoins, sous un aspect secondaire (quantum ad aliquid[1]), cette Eglise pourra apparaître prisonnière et enchaînée ; les forces vives qui sont en elles pourront être en effet accidentellement empêchées de déployer leurs conséquences heureuses ; son état de perfection et de consommation, demeurant en quelque sorte virtuel et entravé s’accompagnera alors d’une intense douleur : voilà l’état de l’Église souffrante.


1. Les limbes et le purgatoire.

Quelles sont les entraves qui, au delà de la mort, empêchent une partie de l’Église d’entrer tout de suite dans l’état de sa consommation définitive ?

Avant la mort du Christ, la seule peine due au péché originel, parce qu’elle n’avait pas encore été expiée par celui qui devait réconcilier le ciel et la terre dans le sang de sa croix, suffisait à retenir loin de la gloire céleste, dans la réclusion des anciens limbes, même les justes qui étaient morts dans la perfection de l’amour et sans qu’il leur restât aucune faute personnelle, fût-elle légère, à expier.

Mais depuis la mort du Christ, il n’y a plus rien qui soit capable de fermer l’entrée immédiate du paradis à ceux qui meurent sans avoir de faute personnelle à expier, tels les petits enfants baptisés ou les adultes dont l’amour est parfait. C’est la seule peine temporelle due aux péchés personnels, tant qu’elle n’a pas été totalement expiée, qui retient dans l’Eglise souffrante du purgatoire les âmes baptisées soit en fait, soit en désir, et les empêche de passer aussitôt dans l’Eglise glorieuse.

Il s’ensuit qu’on est obligé, pour éclairer la doctrine de l’Église souffrante du purgatoire, de rappeler à grands traits la doctrine de la peine temporelle du péché.


2. La peine temporelle du péché

La peine temporelle du péché peut résulter soit du péché mortel soit du péché véniel.

Montrons d’abord dans quelles circonstances le péché mortel est à l’origine d’une peine temporelle.

Le péché mortel qui consiste toujours à préférer au Créateur la créature, comporte un double désordre. Le premier désordre du péché mortel est dans la rupture de l’âme avec Dieu. C’est la forme et comme l’âme du péché mortel, ce qui constitue sa perversité foncière, sa gravité spécifique. Tandis que la charité orientait l’homme vers le Bien infini en lequel réside sa Fin ultime, le péché mortel vient bouleverser cette orientation de fond en comble. L’autre désordre du péché mortel est dans l’attachement désordonné de l’âme aux biens finis. C’est la matière et comme le corps du péché mortel. Ce désordre est secondaire. Ce qui est ici directement brisé, ce n’est plus, en effet, comme précédemment l’ordination de l’homme au Bien incréé et infini, c’est la droite ordination de l’homme aux biens créés et finis de l’univers : en s’éprenant avec dérèglement de quelque bien fini, l’homme introduit nécessairement le trouble dans la machine créée, il dérange les lois par lesquelles l’univers tout entier, l’univers des âmes et l’univers sensible lui-même, devait s’acheminer vers les fins assignées par Dieu. Ces deux désordres du péché mortel sont simultanés. Et il faut noter encore que, par l’acte du péché mortel, l’homme ayant anéanti dans son cœur la charité, principe intérieur de vie et de redressement, a rendu ces deux désordres irréparables et éternels.

L’ordre divin prévaudra nécessairement à la fin, et c’est le pécheur révolté qui viendra se meurtrir contre lui, d’autant plus durement que la révolte aura été plus violente. Voilà ce qu’on appelle l’heure de la répression, de la peine, de la punition. Le premier désordre du péché mortel était une rupture avec le Bien infini, une haine du Bien infini : la peine qui lui répond est la privation de ce même Bien infini, que l’âme continue de haïr, mais auquel elle sent maintenant qu’elle était radicalement ordonnée. C’est là une peine en quelque sorte infinie en valeur, en intensité, la peine du dam. Le second désordre du péché mortel était un attachement désordonné au bien créé qui est fini ; la peine correspondante est finie en valeur, en intensité, c’est d’une part la peine du remords qui est la revanche de la raison autrefois violée ; et d’autre part la peine du sens - ainsi appelée non parce qu’elle serait ressentie par les seules puissances sensibles (les démons la ressentent), mais parce qu’elle a son origine dans le monde extérieur même sensible - ou peine de feu, qui est la revanche de la création extérieure autrefois contrariée. Et comme la charité, capable de réparer ici-bas l’un et l’autre désordre, a été arrachée de l’homme, la peine infinie du dam, et la peine finie soit du remords, soit du sens, sont toutes trois éternelles. Vue de très haut, comme la voient les élus dans le Miroir du Verbe, cette obligation à la peine, par laquelle le désordre rentre dans l’ordre, et le péché malgré lui coopère à l’harmonie de la création, doit apparaître comme étant sur l’univers la marque et l’empreinte brillantes de cette Sagesse et de cette Douceur toutes-puissantes qui donneront finalement le Royaume aux pauvres et la Terre aux doux. Les saints ont pressenti les convenances d’une loi qui semble dure et cruelle à beaucoup : « L’ordre de la justice, dit saint Thomas, demande que la peine soit attachée au péché ; et c’est quand l’ordre est sauvegardé que se découvre la Sagesse du gouvernement divin. Au fond, la peine réservée au péché est comme le signe qui manifeste la bonté divine et la gloire de Dieu ».[2]

C’est la justice divine surtout qui parait lorsque le désordre du péché mortel fait retour à l’ordre par la répression terrible de l’enfer. Justice toujours mêlée de miséricorde car, dit saint Thomas[3], les peines des réprouvés restent toujours en deçà de leurs démérites. C’est pourquoi nous avons dit que la peine du dam était d’une valeur, d’une intensité qui n’est infinie qu’en quelque sorte[4], à savoir pour autant qu’elle prive les damnés d’un Bien qui est infini[5]. Mais souvent, avant l’heure de la punition, Dieu intervient ici-bas dans les âmes où rien ne l’appelait, pour les faire renaître à la grâce qu’elles avaient perdue : cette conversion, cette justification est l’œuvre de la miséricorde divine - mêlée toujours de justice, car les pécheurs sont pardonnés à cause de leur repentir. Comment s’opère-t-elle ? De même que la rose vient non point de Dieu tout seul qui du dehors l’attacherait toute faite au rosier, ni du rosier tout seul, mais de Dieu faisant fleurir le rosier, ainsi la justification du pécheur viendra non pas de Dieu tout seul (tendance luthérienne), ni de l’homme tout seul (tendance pélagienne), mais elle sera le résultat de l’action conjuguée de Dieu agissant comme cause première et de l’homme agissant comme cause seconde.

La grâce de Dieu meut d’abord le pécheur à faire un libre acte d’amour par lequel il se déprend du mal pour s’éprendre du bien, se dégoûte du péché pour goûter Dieu. Cet acte d’amour est, dans la justification du pécheur, l’acte suprême, qui anime tous les autres. Il relève de la charité théologale. C’est, en effet, le visage de la Déité qu’il cherche ; il n’est pas en quête de quelque bien créé. Il est pure attraction vers la Bonté infinie ; de lui-même, il ne fait pas retour sur les égarements antérieurs et il n’a pas en lui, à parler proprement, de regret, d’amertume, de souffrance. Mais, s’il est l’acte suprême, il n’est pas l’acte unique de la justification.

Le pécheur, touché d’un tel amour de Dieu, est en effet un homme qui se souvient de son passé et qui revoit, en esprit, ses souillures ; il comprend la gravité du double désordre où il est tombé, d’une part en offensant un Dieu dont il éprouve maintenant les bontés, d’autre part en se rebellant contre l’ordre de la création qu’il souhaiterait n’avoir jamais perturbé. Alors l’amour de Dieu, la charité (vertu théologale) fait naître dans ce pécheur des désirs brûlants de travailler, toujours soutenu par Dieu, et autant qu’il est possible, à effacer, à compenser, à réparer ce passé dont le souvenir est un poids intolérable. Une attitude d’âme s’impose, s’affirme, s’accuse d’autant plus fortement que l’amour de Dieu est plus véhément et le sentiment de l’ignominie ancienne plus aigu. Cette attitude d’âme est celle de la réparation, de la pénitence (vertu morale)[6].

La pénitence a deux égarements à déplorer, deux désordres à réparer. Elle devra réparer premièrement le désordre par lequel le pécheur a rompu avec le Bien infini. C’est le rôle de la contrition. Elle renie explicitement la séparation passée, elle en souffre ; et ce reniement, qui s’accompagne d’amertume, de tristesse, lui est un premier moyen de la compenser. Elle travaille ainsi à rétablir l’âme dans l’amitié divine. Pourrait-il, en effet, y avoir parfaite réintégration dans l’amitié divine sans le regret de la contrition, à la fois amer et doux, douloureux et apaisant ? Au terme de cette démarche, l’âme a recouvré l’amitié avec Dieu. Sa souillure (macula peccati) est lavée. L’obligation à la peine du dam, infinie en quelque sorte en valeur, en intensité (reatus poenae damni), est annulée. S’il demeure encore une obligation à la peine du sens, finie en valeur, et relevant d’un attachement déréglée aux biens changeants (rectus poenae sensus) cette dette, d’insolvable qu’elle était quand la charité était absente, est devenue solvable ; du même coup, la peine du sens, d’éternelle en durée qu’elle était, est devenue temporelle. La pénitence devra réparer secondement le désordre par lequel le pécheur s’est incliné coupablement vers les biens changeants, s’est en quelque sorte confondu avec eux. Il va falloir en conséquence qu’il se sépare d’eux par le renoncement volontaire et la sainte acceptation des souffrances quotidiennes, afin qu’après avoir trop accordé à son sens propre, il ramène à l’égalité de la justice, grâce à ces privations, ce qu’il avait troublé dans la création. C’est le rôle de la satisfaction volontaire. Contrition et satisfaction, voilà donc les deux formes de la réparation volontaire, les deux voies de la pénitence. Elles sont en droit et abstraitement nettement distinctes, l’une relative à la peine du dam, l’autre à la peine du sens ; mais en fait et concrètement la contrition s’accompagne toujours d’un commencement de satisfaction : elle ne va pas en effet sans douleur volontaire, sans restrictions, sans mortifications, sans pénalités volontaires elles aussi, et par conséquent capables de satisfaire dans une certaine mesure à l’obligation de la peine du sens. Aussi, faut-il dire que plus la contrition sera véhémente, plus aussi la peine qui l’accompagne sera aiguë, la satisfaction considérable, et l’obligation à la peine du sens allégée.

Parfois même la contrition pourra devenir si forte qu’elle provoquera dans le pécheur une amertume, une souffrance assez intenses pour compenser subitement toute la délectation mauvaise trouvée naguère dans le mal, et qu’elle fera jaillir des yeux ces fleuves de larmes dont parle l’Église, capables en un coup « d’éteindre les incendies de flammes mérités par le péché ». Mais ce sont là des conversions miraculeuses comme celle de la pécheresse qui baigne de ses larmes les pieds de Jésus, ou comme celle de saint Paul.

En dehors de ces cas miraculeux où la contrition et la satisfaction, tout en restant distinctes, sont pleinement accomplies simultanément, la douleur annexée à la contrition pourra bien constituer une satisfaction initiale et partielle, mais elle ne pourra pas tenir la place d’une satisfaction ultérieure et rigoureuse. La compensation totale de la peine due au péché se fera donc non pas au moment même où est remise la faute grave, mais seulement lorsque seront accomplis tous les actes de la pénitence. Cette doctrine de la pénitence progressive adoptant en quelque sorte les lois de notre nature faite pour passer peu à peu de la puissance à l’acte, de l’imparfait au parfait, a été consacrée à plusieurs reprises par le concile de Trente[7]. Le concile s’est attaché à montrer cette vérité traditionnelle que la grâce du Christ doit parvenir différemment par le sacrement du baptême à ceux qui avaient péché par ignorance, et par le sacrement de pénitence à ceux qui « une fois délivrés de la servitude du péché et du démon et enrichis par le don du Saint-Esprit, n’ont pas craint de violer sciemment le temple de Dieu et de contrister le Saint-Esprit »[8] ; il s’ensuit que le renouvellement par le sacrement de pénitence reste inaccessible sans « beaucoup de pleurs et de peines, et que c’est à juste titre que la pénitence a été appelée par les saints Pères un baptême de douleur, laboriosus quidam baptismus[9] ». Le concile a pris soin, en outre, d’indiquer les racines que cette doctrine a dans l’Ecriture[10] ; rappelons, par exemple, les pénalités infligées à Adam même après son repentir et après l’annonce qui lui est faite d’une rédemption (Gen., III, 16) et celles infligées à David même après la demande et l’obtention du pardon (II Samuel, XII, 13).

« Après donc, dit saint Thomas, que l’homme a obtenu la rémission de son péché et qu’il est réintroduit dans la grâce, il demeure obligé à une peine, par la justice divine. S’il entreprend de subir cette peine de plein gré, il satisfait à Dieu, puisque, par son travail et sa souffrance, il retrouve, en se punissant lui-même, l’ordre institué divinement, et qu’il avait transgressé pour suivre sa volonté propre. Mais s’il n’entreprend pas de son chef de subir cette peine, il faudra que Dieu la lui inflige, car ce qui est soumis à la providence divine ne saurait rester toujours désordonné ; la peine alors ne s’appellera plus satisfactoire, puisqu’elle n’a pas été élue par le sujet ; elle s’appellera purificatrice (purgatoria), car le pécheur, par la punition qu’on lui applique, est comme purifié lorsque tout ce qu’il y a en lui de désordonné est ainsi ramené à l’ordre. Aussi l’apôtre dit-il (I Cor., XI, 31) : « Si nous nous examinions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés ; mais le Seigneur nous juge et nous châtie afin que nous ne soyons pas condamnés avec ce monde. »[11] L’obligation de subir une peine subsiste donc après le pardon des péchés. Cette peine doit être subie ici-bas, par libre élection ou par l’acceptation patiente et amoureuse des afflictions de la vie présente, et c’est la satisfaction. Sinon, elle sera subie plus tard sans qu’il y ait choix et alors que son acceptation ne sera plus capable de faire monter dans l’âme le niveau de la charité, et c’est le purgatoire.

Chez ceux qui sont dans la charité parfaite, est-il dit au Libro della divina dottrina de sainte Catherine de Sienne, ce qui est effacé, est non seulement la faute mais la peine qui suit la faute. Tandis que chez la plupart, qui sont dans la charité commune (nella carità commune), ce qui est effacé c’est bien la faute, en ce sens que délivrés du péché mortel ils reçoivent la grâce : mais n’ayant pas un amour et une contrition suffisantes pour satisfaire à la peine, ils vont aux peines du purgatoire, et sont transférés au second et dernier lieu de purification[12].

Il nous reste à montrer, maintenant, comment le péché véniel peut être, lui aussi, à l’origine d’une peine temporelle.

De même que dans un être vivant le mal est irréparable et mortel lorsqu’il tend à supprimer le principe vital, mais réparable tant qu’il laisse subsister ce principe ; ainsi dans un acte moral le mal est irréparable et mortel lorsqu’il détruit l’ordre essentiel de l’homme à la Fin dernière, assuré par la charité, mais réparable lorsqu’il reste en deçà de la rupture avec Dieu et que la charité continue d’habiter dans l’âme de l’homme. Ce mal moral, réparable par le principe de vie surnaturelle immanent à l’homme, est appelé péché véniel.

La notion de désordre moral, de péché, n’est donc attribuable que par analogie, par proportion, au péché mortel et au péché véniel, tout comme la notion d’être n’est attribuable que par analogie à la substance et à l’accident. Dans le cas du péché mortel, en effet, le désordre porte sur l’ordre à la fin dernière ; dans le cas du péché véniel, le désordre porte sur l’usage des moyens. Or, inconséquence dans l’usage des moyens ne signifie pas nécessairement désaffection de la fin ; certains malades, qui observent irrégulièrement leur régime, ne cessent pas pour autant de désirer vivement la santé. Dans le cas du péché mortel. le désordre supprime la charité ; dans le cas du péché véniel, le désordre supprime la ferveur de la charité, c’est-à-dire l’acte de la charité et des vertus qu’elle régit. Dans un cas, le désordre, en détruisant la splendeur intérieure et habituelle de l’âme, est cause d’une souillure permanente, macula ; dans l’autre, en empêchant le seul rayonnement extérieur et actuel de l’âme, il la dépare, certes, mais sans véritablement la souiller.

Si donc la notion de péché ne convient que par analogie au péché mortel et au péché véniel, il faut conclure que la notion de pénitence, elle aussi, se dira analogiquement de la réparation due au péché mortel et de la réparation due au péché véniel. En effet, lors de la réparation du péché véniel, la charité qui n’était point détruite n’a pas à naître à nouveau dans l’âme. En outre, la détestation des fautes vénielles par lesquelles on n’a point rompu véritablement avec Dieu n’est comparable que proportionnellement avec la détestation des fautes mortelles, à laquelle seule est réservé, à proprement parler, le nom de contrition ; cette détestation du péché véniel porte sur ce qui avait contrarié la ferveur de la charité, c’est-à-dire l’acte de la charité, et non, pas comme la contrition sur ce qui avait détruit la charité elle-même et l’ordre radical de l’âme à la fin dernière. Le regret du péché véniel et la contrition ou regret du péché mortel sont ainsi deux analogués de la notion de déplaisir et de détestation laquelle, avec la notion de satisfaction, composera la notion complète de pénitence, compensation, réparation.

Saint Thomas se demande quand se fera, chez beaucoup de chrétiens, le dernier acte de déplaisir et de détestation qui viendra réparer pleinement ce qu’il y avait de faute non encore suffisamment regrettée dans les péchés véniels de leur vie. Il est bien probable dit-il, que les fidèles qui sentent venir la mort, font un grand acte de charité pour se rapprocher de Dieu et détester tous leurs péchés même véniels : et cet acte suffit à balancer la faute (culpa) de leurs péchés véniels ; peut-être même suffira-t-il dans certains cas, à balancer encore la peine (poena) due à leurs péchés véniels ; et cela se produira quand l’intensité de leur charité sera si grande qu’elle pourra, comme l’explique Cajetan[13] ou bien provoquer directement une douleur satisfactoire suffisante ou bien mériter à ces âmes une participation spécialement intime aux fruits de la passion du Christ. C’est aussi la pensée de sainte Catherine de Gênes que l’acte de charité des mourants peut suffire à effacer toute la faute de leurs péchés véniels passés : « Pour ce qui est les âmes du purgatoire, elles n’ont que la peine ; la coulpe a été effacée à l’instant de la mort, parce qu’elles ont été trouvées déplorant leurs péchés et repentantes d’avoir offensé la bonté divine »[14]. Mais alors qu’en est-il des âmes surprises par la mort sans avoir pu regretter la faute de leurs péchés véniels ? Voici comment répond saint Thomas. Quand un grand bien est éloigné d’une âme et qu’un grand mal s’approche d’elle, cette âme désire intensément se joindre à ce grand bien et échapper à ce grand mal. Mais l’âme qui se détache du corps pour entrer en purgatoire voit s’approcher d’elle un grand mal, à savoir la peine acerbe du purgatoire, et s’éloigner d’elle le plus grand des biens extérieurs à savoir la vie éternelle. Aussi, un fervent désir s’élève instantanément (statim) en elle. Mais comme la ferveur de l’amour n’est pas compatible avec la faute vénielle, il faut dire que la faute des péchés véniels est remise dès l’entrée au purgatoire[15]. Cet acte d’amour fait après la mort n’est pas méritoire et n’a donc pas pour effet d’élever le niveau de la vertu de charité, ni d’effacer ou de diminuer la peine temporelle du péché, son seul résultat est d’enlever l’obstacle qui gênait la ferveur de la charité, c’est-à-dire le libre exercice de la charité, impedimentvm venialis culpae[16].

Mais ni l’acte d’amour des chrétiens qui voient venir la mort, sauf dans le cas où il est particulièrement intense et où la douleur qui lui est annexée représentera une pleine satisfaction, ni surtout l’acte d’amour accompli au seuil du purgatoire, ne supprimeront l’obligation de subir une peine temporelle. Même lorsque la faute du péché véniel est totalement effacée, l’obligation à la peine subsiste. Le péché véniel, en effet, suppose, lui aussi, un attachement déréglé aux biens créés, lequel est comme le corps et le support d’une défaillance portant non certes, comme dans le cas du péché mortel, sur les fins de la vie morale, mais simplement sur les moyens de tendre à Dieu, par des actes bons et vertueux. Or, cet attachement déréglé ne pourra entrer dans l’ordre que par la peine, qu’on appellera satisfactoire si elle est accomplie ici-bas, qu’on nommera purificatrice si elle est différée jusqu’au temps du purgatoire.

Ainsi donc, soit le péché mortel lorsque sont effacés la souillure qu’il comportait et la peine à la fois infinie et éternelle qu’il méritait, soit le péché véniel quand est remise la faute qui le constituait, entraînent comme conséquence une peine temporelle que la charité, si elle était intense, serait capable d’expier ici-bas, mais qui, pour la plupart des cas, restera à expier en purgatoire. L’existence du purgatoire et de l’Eglise souffrante, même si elle n’avait en sa faveur ni texte biblique[17] comme celui de II Macchabées, XII, 43-16, ni d’allusions scripturaires, comme celles de Mathieu, V, 26, Matthieu, XII, 32, I Corinthiens, III, 15, ni monuments archéologiques ou témoignages patristiques devrait néanmoins être reçue comme implicitement affirmée soit dans les données révélées concernant le péché mortel et sa réparation progressive moyennant le secours gratuit de la miséricorde divine, soit dans les données révélées concernant la distinction des péchés mortels dont la peine est de soi irréparable et éternelle et des péchés véniels dont la peine est de soi réparable et temporelle. « Ceux qui nient le purgatoire, disait saint Thomas[18], s’élèvent contre la justice divine ». Ils s’élèvent aussi contre la sainteté divine, ne comprenant plus que la Jérusalem céleste est si parfaite que « jamais rien d’impur n’entrera en elle » (Apoc. XXI, 27).


3. La mystérieuse épreuve de l’Eglise souffrante.

Essayons de représenter en quelques mots le mystère de l’épreuve du purgatoire.

a) La peine du sens.

Au moment de franchir le seuil du purgatoire, les âmes ont été purifiée, de toute la faute, de toute la coulpe de leurs péchés. Mais elles demeurent encore pour la plupart[19] sous des chaînes, sous « la rouille du péché » dit Sainte Catherine de Gênes[20], sous « les restes du péché » dit saint Thomas, c’est-à-dire sous le coup d’une obligation à la peine. La pureté de Dieu est si délicate et sa justice si exigeante que rien de ce qui porte, en quelque façon que ce soit, les traces du péché, ne peut, avant d’avoir été parfaitement purifié, paraître devant lui.

Il faudra donc que les chaînes des âmes soient brisées, que leur rouille soit nettoyée, que leur obligation à la peine temporelle soit accomplie.

C’est le rôle des souffrances purificatrices, appelées peine du sens, ou peine du feu, qui retiennent l’âme dans le lieu du purgatoire.

« De la part de Dieu, dit sainte Catherine de Gênes, le paradis n’a point de portes, mais quiconque veut y entrer, entre, car le Seigneur est tout miséricorde, et il se tient, vis-à-vis de nous, les bras ouverts pour nous recevoir dans sa gloire. Mais je vois aussi que cette divine essence est d’une telle pureté (elle l’est bien plus que nous ne pouvons l’imaginer), que l’âme qui a en soi le moindre atome d’imperfection se précipiterait en mille enfers plutôt que de demeurer, avec une tache, en la présence de la Majesté infinie. Trouvant donc le purgatoire disposé pour lui enlever ses souillures, elle s’y élance, et elle estime que c’est par l’effet d’une grande miséricorde qu’elle découvre un lieu où elle peut se délivrer de l’empêchement qu’elle aperçoit en elle. »[21]

« Aucune langue, ajoute la sainte au même endroit, ne saurait exprimer, aucun esprit ne saurait se faire une idée de ce qu’est le purgatoire. » Elle estime que, pour la peine du sens, elle peut y être égale à la peine de l’enfer. Elle remarque que « néanmoins l’âme souillée de la plus petite tache reçoit le purgatoire comme l’effet d’une grande miséricorde et ne l’estime pas, pour ainsi dire, au prix de ce qui fait obstacle à son amour »[22]. Saint Thomas, qui se pose dans les Sentences la question du lieu du purgatoire, après avoir relevé que l’Écriture n’enseigne rien expressément sur ce point, estime qu’on peut considérer comme probable l’opinion suivant laquelle un feu identiquement situé punirait les damnés et purifierait les justes[23]. Un peu plus loin, il tient que la peine du feu, en purgatoire, parce qu’elle atteint l’âme elle-même, laquelle est au principe de la sensibilité du corps, excède toutes les souffrances de cette vie[24]. En parlant « non pas du feu éternel qui punira éternellement les impies », mais du feu qui purifiera ceux qui selon le mot de l’apôtre seront sauvés comme par le feu (I Cor., III, 15), saint Augustin disait déjà « que ce feu sera plus douloureux que tout ce que l’homme peut souffrir en cette vie ».[25]

Cependant, cette souffrance du purgatoire est sainte.

Elle ne vient point, remarque saint Thomas, « par le ministère des démons, dont les âmes du purgatoire ont déjà triomphé » ; elle ne vient pas non plus « par le ministère des anges qui n’oseraient affliger aussi douloureusement ceux qu’ils regardent déjà comme leurs célestes concitoyens » ; elle vient « de la seule justice divine : sola justitia divina electi post hanc vitam purgantur ». C’est donc la seule Église militante, ce n’est déjà plus l’Église souffrante, qui est exercée et éprouvée par le contact des démons.

Elle est volontaire, non pas sans doute, explique saint Thomas, à la manière de la souffrance satisfactoire que nous pouvons ici-bas librement choisir ou librement accepter comme moyen d’entrer dans un plus grand amour : elle est volontaire à la manière d’une peine qui ne fera pas grandir l’amour, mais qu’on voit qu’il est nécessaire de supporter. Sainte Catherine de Gênes nous représente les âmes du purgatoire comme profondément accordées à la volonté divine qui les purifie : « Ces âmes endurent leurs peines si volontiers qu’elles n’en voudraient pas ôter le moindre atome ; elles reconnaissent qu’elles les méritent en tous points et qu’elles sont bien ordonnées, de sorte qu’elles ne se plaignent pas plus de Dieu, quant à la volonté, que si elles étaient déjà dans les délices de la vie éternelle »[26]. Et encore : « Ces âmes sont si intimement unies à la volonté de Dieu, et si complètement transformées en elle, que toujours elles sont satisfaites de sa très sainte ordonnance. Et si une âme était admise à voir Dieu, avant encore quelque peine à purger, ce lui serait une grande injure et un tourment pire que dix purgatoires, car elle comprendrait que la pure bonté et la souveraine justice divines ne pourraient la supporter ; ce serait chose inconvenante, pour Dieu d’abord, puis aussi pour l’âme qui verrait que Dieu n’est pas pleinement satisfait ; cette âme, s’il lui manquait un seul petit instant d’expiation, en éprouverait un tourment intolérable, et elle irait plutôt en mille enfers pour s’enlever un peu de rouille, que de se tenir en la présence de Dieu sans être entièrement purifiée »[27]. Voilà le sentiment profond de l’Église souffrante ; il est fait non d’amertume et de révolte, mais de patience et de douceur.


b) Le retardement de la vision.

Tant que la peine temporelle de leurs péchés n’a pas été entièrement expiée, les âmes n’ont point accès à la vision béatifique dont elles se sentent profondément indignes. Elles ne sont point encore sous le régime de la charité du ciel, éclairée par la lumière de gloire et rassasiée par la possession suprême de la Déité ; elles restent sous le régime de la charité de l’exil, éclairée par la lumière obscurcie de la foi et soutenue par les désirs de l’espérance.

L’Église souffrante est donc pareille sous cet aspect à l’Église militante tout entière, que l’on prenne celle-ci sous la loi de nature, sous la loi ancienne, sous la loi de grâce. Sous les deux états de l’Église du purgatoire et de l’Église de la terre une continuité foncière et substantielle demeure. C’est, ici et là, le corps du Christ comme en formation, vivifié par les trois vertus théologales de foi, d’espérance et de charité, les deux premières étant provisoires, la dernière seule étant immortelle. C’est, ici et là, l’Église en marche vers le repas de la patrie. « Bien qu’après la mort les âmes aient, absolument parlant, achevé leur voyage, dit saint Thomas, cependant, sous un certain aspect, elles sont encore en route, tant qu’elles n’ont pas accès à l’ultime rétribution. Leur voyage est achevé en ce sens qu’elles ne peuvent plus passer du salut à la damnation », en ce sens aussi, saint Thomas l’enseigne ailleurs, que leur charité ne peut grandir et que l’accomplissement de la peine en purgatoire comporte non pas un vrai progrès spirituel, un accroissement essentiel de la charité, mais le simple éloignement d’un obstacle, la modification accidentelle de l’état de la charité : « pourtant leur voyage n’est pas complètement achevé, puisqu’elles ne possèdent pas encore la béatitude et peuvent être secourues par les suffrages des vivants »[28].

Mais s’il faut d’abord affirmer la continuité foncière et substantielle de l’Église sous l’état souffrant et sous l’état militant, il importe ensuite d’insister sur la différence de ces deux états. L’exil du purgatoire n’est pas, en effet, celui de la terre. L’exil de la terre est normal. Il est bon et bienfaisant que les âmes commencent de vivre dans la nuit de la foi et dans l’attente de l’espérance. Au fond, ce temps n’est pas un temps d’exil. C’est un temps de préparation. L’exil du purgatoire, au contraire, est pénal. Absolument parlant, il n’est pas normal. Il est normal dans la seule hypothèse d’une peine temporelle du péché insuffisamment expiée sur la terre, faute d’une satisfaction assez courageuse. Le purgatoire est un exil véritable, un temps de réclusion, un état violent qui a pour cause le péché. Parlant des terribles souffrances purificatrices de la nuit obscure, saint Jean de la Croix écrit que « l’âme qui passe par là, ou n’entre pas dans ce lieu (du purgatoire), ou n’y reste que très peu de temps, parce qu’une heure de souffrances ici-bas profite plus que beaucoup d’heures après la mort. » Il ajoute un peu plus loin, à propos des âmes du purgatoire : « Le feu, même en les touchant, n’aurait sur elles aucune puissance, si elles n’avaient des imperfections par lesquelles elles peuvent souffrir, et qui sont la matière dans laquelle il prend celle-ci consumée, le feu n’a plus rien à brûler ». C’est précisément parce qu’elles sentent que le péché est à l’origine de leur condition que les âmes du purgatoire en souffrent comme d’un exil.

Sans doute, l’exil du purgatoire n’est pas comparable à l’exil de l’enfer : ni le péché véniel, qui ne rompt point avec Dieu, ni le péché mortel, s’il a été regretté et pardonné, ne peuvent mériter aux âmes du purgatoire « d’être à proprement parler privées, même temporairement, de la vision béatifique. Le moment où elles y accèdent est simplement retardé pour elles, par accident, puisque tant qu’elles sont dignes de quelque peine, elles demeurent incapables de participer à cette suprême félicité qui consiste dans la vision ». Cependant, l’obligation de subir la peine du sens, du fait qu’elle retarde l’entrée des âmes dans le ciel, leur apporte par surcroît une peine plus intense encore, dit saint Thomas, que la peine du feu, et qu’on peut appeler, en donnant à l’expression un sens nouveau, proportionnel et très atténué - il s’agit, nous venons de le dire, non de la privation, même temporaire, mais du simple retardement de la vision bienheureuse - : la peine du dam. En effet, « plus un bien est désiré, plus son absence est douloureuse ; or, le désir du Bien suprême est extraordinairement intense après cette vie dans les âmes saintes : d’abord parce qu’il n’est plus appesanti, comme chez nous, par le corps ; et en outre parce que, pour elles, aurait déjà dû sonner l’heure de l’union définitive avec Dieu ; aussi s’ensuit-il qu’elles souffrent extraordinairement du retard qui leur est imposé, de retardatione maxime dolent »[29]. Pour expliquer cette peine, sainte Catherine de Gênes, compare la souffrance des âmes du purgatoire à celle d’un homme qui meurt de faim, mais qui sait avec certitude que bientôt du pain lui sera donné : « Les âmes du purgatoire ont l’espérance de voir le pain et de s’en rassasier parfaitement ; mais elles souffrent une faim cruelle et sont dans une grande peine tant qu’elles ne peuvent pas se nourrir du pain, c’est-à-dire de Jésus-Christ, vrai Dieu sauveur et notre Amour »[30]. La sainte pense que la peine du sens n’est rien pour l’âme du purgatoire en comparaison de cette seconde peine : « Le purgatoire ne lui est rien en qualité de purgatoire ; l’instinct brûlant qui la pousse et qui se trouve empêché constitue son véritable tourment »[31]. C’est la peine du désir qui es,t la peine suprême du purgatoire : « Lorsque l’âme, intérieurement illuminée, se sent attirée par le feu du grand amour de Dieu, elle se liquéfie complètement à la chaleur de cet ardent amour de son très doux Seigneur : voyant ensuite, à la clarté de la lumière surnaturelle, que Dieu ne cesse jamais de l’attirer à son entière perfection et de l’y conduire avec grand soin et continuelle providence ; reconnaissant que Dieu agit par pur amour et qu’elle de son côté, arrêtée par le péché, ne peut suivre l’aiguillon de Dieu, c’est-à-dire le regard unitif que le Seigneur lui donne pour la tirer à lui ; comprenant aussi la gravité de l’obstacle qui retarde pour elle la contemplation de la lumière divine ; poussée enfin par l’instinct puissant qui voudrait que rien ne l’empêchât d’être attirée par ce regard unitif - ; voyant et éprouvant toutes ces choses, je dis que c’est là ce qui engendre la peine (du clam) que les âmes éprouvent en purgatoire… Si l’âme pouvait découvrir un autre purgatoire plus terrible que celui dans lequel elle se trouve, elle s’y précipiterait vivement, poussée par l’impétuosité de l’amour qui existe entre Dieu et elle, et afin de se délivrer plus vite de tout ce qui la sépare du souverain Bien »[32].


c) L’allégresse de l’espérance

Cependant tandis qu’elle est sujette à des souffrances que les mots humains restent incapables de traduire, l’Église du purgatoire a son cœur soulevé par une inépuisable allégresse, car elle sait de certitude surnaturelle qu’elle est à jamais sauvée et que chaque moment de la durée la rapproche invinciblement de l’instant ineffable où la gloire de Dieu lui apparaîtra et où tous ses désirs seront assouvis. C’est l’enseignement commun des théologiens, et saint Bellarmin fait remarquer que la sécurité où est l’Église souffrante, sans exclure l’attente de l’espérance, exclut cependant toute ombre de crainte du péché et de la damnation éternelle. Ce n’est pas encore la sécurité de l’Église glorieuse, où les élus n’ont plus ni de crainte certes, ni même d’espérance, ils ont la possession. Mais c’est une sécurité bien plus haute que celle de l’Église militante, où les justes n’ont au sujet de leur salut éternel qu’une certitude d’espérance impuissante à exclure toute raison de craindre.

Une paisible sécurité, inconnue à la terre, remplit l’Église du purgatoire d’un contentement qui passe toute conception. « je ne crois pas, dit sainte Catherine de Gênes, qu’il puisse se trouver de contentement comparable à celui qu’éprouve une âme en purgatoire, sauf celui que ressentent les saints en paradis. Et chaque jour, ce contentement augmente par l’influence que Dieu exerce sur cette âme. Le contentement croit à mesure que l’empêchement à l’influence se consume. L’empêchement n’est autre que la rouille du péché. Le feu consume la rouille et en même temps l’âme se découvre de plus en plus à l’influence divine. Il en est comme d’une chose couverte : elle ne saurait correspondre à la réverbération du soleil, non pas par défaut du soleil, qui luit sans cesse, mais à cause de l’obstacle qu’oppose la couverture ; si la couverture se consume, l’objet se présentera au soleil, et plus l’enveloppe se consumera, plus aussi l’objet correspondra à la réverbération. Ainsi, la rouille, c’est-à-dire (la peine du) péché est la couverture de l’âme ; elle se consume en purgatoire par le feu, et plus elle se consume, plus aussi l’âme correspond à Dieu, qui est le vrai soleil ; à mesure que la rouille diminue et que l’âme se découvre au rayon divin, le contentement augmente ; de cette sorte, le bonheur croit et la rouille s’efface jusqu’à ce que le temps soit accompli »[33].

Comment comprendre la coexistence, dans les âmes du purgatoire, d’une souffrance spirituelle inexprimable, qui vient de ce qu’elles sentent l’heure de la vision retardée par leur péché, et d’un contentement spirituel inexprimable qui vient de ce qu’elles savent avec certitude que la partie est gagnée et qu’infailliblement elles passeront à la vision divine ? Il est vrai, dit saint Thomas, qu’à l’étage de la sensibilité, la tristesse qui contracte le cœur et la joie qui le dilate ne peuvent coexister ensemble dans un même homme. Mais il en est autrement à l’étage spirituel, car « âme spirituelle ni ne se contracte ni ne se dilate. Aussi, la tristesse et la joie spirituelles, si elles se réfèrent à des choses différentes ou à la même chose considérée sous des aspects différents, ne se détruiront pas et ne seront pas incompatibles. Rien n’empêche alors qu’un même homme soit à la fois heureux et contristé. Lorsque par exemple nous voyons un juste persécuté, nous sommes en même temps heureux de le voir juste, et malheureux de le voir persécuté : ces deux sentiments ne se neutraliseront pas, et plus sa grandeur d’âme nous transportera, plus ses afflictions nous contristeront[34]. En conséquence, la coexistence dans le purgatoire d’une souffrance spirituelle inexprimable et d’un bonheur spirituel inexprimable, loin de sembler impossible paraissent être par excellence le mystère du purgatoire. C’est la pensée même de sainte Catherine de Gênes : « Les âmes du purgatoire ont à la fois une satisfaction excessive et une peine extrême, sans que l’un de ces deux sentiments empêche l’autre »[35].


4. La pensée de saint François de Sales sur le purgatoire.

Parce qu’il trouvait qu’on oubliait un peu d’en parler Saint François de Sales a voulu insister sur le côté lumineux du purgatoire,

« Son opinion, dit Jean-Pierre Camus, évêque de Belley, était que de la pensée du purgatoire nous pouvions tirer plus de consolation que d’appréhension. La plupart de ceux, disait-il, qui craignent tant le purgatoire, le font en vue de leur intérêt et de l’amour qu’ils ont pour eux-mêmes, plus que pour l’intérêt de Dieu. Et cela vient de ce que ceux qui en parlent dans les chaires ne représentent ordinairement que les peines de ce lieu, et non les félicités de la paix qu’y goûtent les âmes qui y sont. »

« Il est vrai que les tourments en sont si grands que les plus extrêmes douleurs de cette vie n’y peuvent être comparées : mais aussi les satisfactions intérieures y sont telles qu’il n’y a point de prospérité ni de contentement sur la terre qui les puissent égaler. »

« 1. Les âmes v sont dans une continuelle union avec Dieu. »

« 2. Elles y sont parfaitement soumises à sa volonté, ou pour mieux dire, leur volonté est tellement transformée en celle de Dieu, qu’elles ne peuvent vouloir que ce que Dieu veut, en sorte que si le paradis leur était ouvert, elles se précipiteraient plutôt en enfer que de paraître devant Dieu avec les souillures qu’elles voient encore en elles. »

« 3. Elles s’y purifient volontairement et amoureusement, parce que tel est le bon plaisir divin. »

« 4. Elles veulent y être en la façon qu’il plaît à Dieu, et pour autant de temps qu’il lui plaira. »

« 5. Elles sont impeccables, et ne peuvent avoir le moindre mouvement d’impatience, ni commettre la moindre imperfection. »

« 6. Elles aiment Dieu plus qu’elles-mêmes et que toute chose, d’un amour accompli, pur et désintéressé. »

« 7. Elles y sont consolées par les anges. »

« 8. Elles y sont assurées de leur salut, dans une espérance qui ne peut être confondue dans son attente. »

« 9. Leur amertume très amère est dans une paix très profonde. »

« 10. Si c’est une espèce d’enfer quant à la douleur, c’est un paradis quant à la douceur que répand la charité dans leur cœur ; charité plus forte que la mort et plus puissante que l’enfer, de qui les lampes sont de feu et de flammes. »

« 11. Heureux état, plus désirable que redoutable : puisque ces flammes (flammes qui causent la peine du dam) sont flammes d’amour et de charité ! »

« 12. Redoutables néanmoins (flammes qui causent la peine du sens), puisqu’elles retardent la fin de toute consommation, qui consiste à voir Dieu et à l’aimer, et par cette vue et cet amour le louer et le glorifier dans toute l’étendue de l’éternité. »

« Sur ceci, il conseillait fort de lire l’admirable Traité du Purgatoire qu’a fait la bienheureuse Catherine de Gênes. »[36].


5. Les suffrages de l’Église militante.

a) Leur nécessité.

Les âmes qui sont en purgatoire, écrit donc saint François de Sales, y sont « volontairement et amoureusement, parce que tel est le bon plaisir divin » et veulent y demeurer en la façon qu’il plaît à Dieu et pour autant de temps qu’il lui plaira », Sainte Catherine de Gênes avait auparavant développé une pensée pareille. Les âmes du purgatoire, disait-elle « n’ont plus d’élection propre, elles ne peuvent plus vouloir que ce que Dieu veut, elles sont ainsi fixées. Si quelque aumône abrégeant le temps leur est faite par ceux qui sont encore dans le monde elles ne sauraient se retourner avec affection pour considérer cette aumône si ce n’est sous la très juste balance de la volonté divine. Elles laissent faire Dieu en toutes choses, et il se paie ainsi qu’il plaît à son infinie bonté… Elles reçoivent ainsi dans l’immobilité tout ce que Dieu leur donne ; et ni plaisir, ni contentement, ni peine, ne peuvent jamais les faire se replier sur elles-mêmes »[37].

La résignation totale des âmes du purgatoire ne les empêche pas de désirer ardemment les prières de ceux qui vivent sur la terre. Elles veulent, en effet, avant tout, la venue du règne de Dieu. Elles souffrent intérieurement qu’il ne puisse se manifester pleinement en elles, et que le rayonnement de sa gloire y soit comme empêché. En même temps, elles savent que les prières, les intercessions et plus généralement les suffrages c’est-à-dire les secours de l’Église militante sont capables de hâter l’avènement définitif du royaume en elles. Elles comprennent que par une disposition merveilleuse de Dieu, qui veut que tous les membres du corps du Christ s’entraident, le sort de l’Église qui est hors du temps a été lié dans une certaine mesure au sort de l’Église qui est encore dans le temps. « Si tu te tournes vers le purgatoire, est-il dit dans le Libro della divina dottrina de sainte Catherine de Sienne, tu y trouveras ma douce et inexprimable providence pour les pauvres âmes malheureuses qui, par ignorance, ont perdu leur temps. Parce qu’elles sont séparées de leur corps, elles n’ont plus le temps, où il est possible de mériter. Aussi, j’ai pourvu à les secourir par vous-mêmes qui êtes encore dans la vie mortelle et qui avez le temps pour elles. Mutuelle dépendance des morts et des vivants, qui est un aspect du grand dogme de la communion des saints, en vertu duquel tous les fidèles unis dans l’amour du Christ forment un seul corps, dont « ni la mort, ni la vie, ni les choses présentes, ni les choses futures, ni aucune créature », ne peut briser l’unité, laquelle est si étroite et si délicate que les souffrances d’un membre se communiquent à tous les autres tant qu’ils sont encore dans la condition de souffrir, Saint Bellarmin[38] a rappelé le raisonnement traditionnel que Pierre de Cluny opposait aux partisans de Pierre de Bruys : « L’Église tout entière forme un seul corps dont le Christ est la tête. Il s’ensuit qu’il doit y avoir communication de vie entre le chef et les membres et entre les membres eux-mêmes, selon le mot de saint Paul que si un membre souffre, touts les membres souffrent avec lui (I Cor.. XII, 26). Or, les justes qui sont morts sont membres de ce corps, car ils sont unis soit à nous, soit à Dieu par la foi, l’espérance, et la charité. Aussi St Augustin peut-il dire, dans le De civitate Dei, lib. XX, cap. 9, que les âmes des justes qui sont morts ne sont point séparées de l’Église qui est, déjà, maintenant, le royaume du Christ, que les fidèles, même, morts, sont les membres du corps du Christ. La conséquence c’est que les vivants peuvent et doivent aider les morts ». Le rôle de l’Église militante apparaît ici dans toute sa beauté. Quand elle vient au secours de l’Église souffrante, elle travaille à l’avènement du règne de Dieu par delà les frontières de la mort. Elle aide les âmes, selon le mot de Dante, à devenir saintes et à se faire belles ; plus encore, elle avance l’heure où leur charité, déliée de toutes les entraves laissées par le péché, commencera de procurer à Dieu, pour l’éternité, la gloire parfaitement pure qu’il en attend.


b) Leur nature et leur efficacité

Les suffrages, c’est-à-dire les secours de l’Église militante peuvent être distingués d’abord en deux grandes classes suivant la manière dont ils sont transmis à l’Église souffrante du purgatoire.

Dans la première classe, il faut placer toutes les actions, toutes les œuvres, quelles qu’elles soient, intérieures ou extérieures, qui procèdent de la charité surnaturelle. Elles profitent à toutes les âmes du purgatoire, lesquelles sont aussi dans la charité surnaturelle. « Tous ceux qui sont dans la charité, dit saint Thomas, font comme un seul corps. Il s’ensuit que le bien de l’un se répand sur tous les autres, à la manière dont la main, par exemple, ou quelque membre que ce soit, est utile à tout le corps. Ainsi le bien que fait un homme profite à chacun de ceux qui sont dans la charité, selon le mot du psaume (dans la Vulgate) : J’ai eu part avec tous ceux qui le craignent et qui gardent tes commandements. » Saint Thomas avait écrit plus tôt pareillement que l’œuvre de l’un peut profiter à l’autre « quand ils communiquent ensemble dans la racine de l’œuvre, c’est-à-dire dans la charité, laquelle est au principe des œuvres méritoires : en conséquence, tous ceux qui sont unis entre eux par la charité reçoivent de leurs œuvres mutuelles un réconfort (emolumentum) mesuré selon l’état de chacun, et qui se fera sentir jusque dans la patrie du ciel où chacun se réjouira du bien de l’autre : aussi la communion des saints est-elle un article du symbole »[39] c’est là, en effet, une vérité qui est contenue dans le dogme de la communion des saints, sans pourtant en épuiser le sens. Saint Thomas remarque plus loin[40] que lorsqu’ils sont transmis en vertu de la charité qui rend toutes choses communes, les suffrages apportent aux âmes du purgatoire comme une « consolation intérieure » qui est communiquée non pas seulement à l’âme à laquelle on aura pensé en faisant quelque bonne œuvre, mais à toutes ensemble, sans qu’elle y perde rien ; « car la joie s’accroît d’autant plus qu’elle se communique davantage ». Et même la plus grande joie ne sera pas nécessairement pour l’âme à laquelle on aura pensé, mais pour ceux dont la charité sera plus grande, à la manière dont un cierge allumé dans la maison d’un riche éclaire tout le monde et plus encore les autres que le riche, s’ils ont de meilleurs yeux.[41]

A côté des suffrages qui parviennent aux défunts en vertu de l’union de la charité (propter unionem charitatis) et dont ils reçoivent une consolation spirituelle, il faut placer les suffrages plus directs qui leur parviennent en vertu d’une intention expresse de les secourir (propter intentionem in eos directam) et dont ils reçoivent la remise partielle, ou même totale, de la peine temporelle de leurs péchés.

Ces suffrages peuvent être offerts d’une manière commune pour tous les défunts du purgatoire. Ils profitent alors à tous. Cependant, ils leur sont répartis par Dieu non point également, ni non plus proportionnellement au degré de leur charité essentielle - comme c’était le cas pour les suffrages précédents -, mais, dit Cajetan, proportionnellement à la dévotion spéciale qu’ils auront apportée pendant leur vie à s’approcher du sacrement de pénitence, à satisfaire pour leurs péchés, à obtenir des indulgences, à secourir les âmes du purgatoire[42].

Ces suffrages peuvent, d’autres fois, être offerts d’une manière spéciale pour un ou plusieurs défunts. Alors, il ne serait plus exact, ce serait l’erreur de Wicleff, de prétendre qu’ils ne profitent pas plus à ces défunts qu’à tous les autres. « Il n’y a pas de doute, dit saint Thomas, que de tels suffrages profitent davantage à ceux auxquels ils sont adressés ; en conséquence si l’on fait pour quelqu’un de nombreux suffrages, il sera délivré plus vite de la peine du purgatoire que d’autres pour qui l’on n’en fait point même si, de part et d’autre, les péchés étaient égaux. »[43]. Il faut ajouter cependant que l’application des suffrages à une âme déterminée se fait conformément au dessein de la miséricorde et de la justice infinies de Dieu et sous réserve de sa ratification. Il s’ensuit d’abord que si l’âme que l’on cherche à secourir est hors d’état de l’être, par exemple si elle est en enfer ou déjà au ciel, les suffrages qui lui étaient destinés aideront d’autres âmes : « Il est croyable que si quelque chose reste des suffrages adressés à des âmes désignées particulièrement - et si par exemple ces âmes n’en ont pas besoin -, l’excédent sera dispensé par la miséricorde divine à d’autres âmes qui en ont besoin »[44]. Il s’ensuit encore que les suffrages adressés particulièrement à un défunt en purgatoire, s’ils lui parviennent toujours dans une certaine mesure, ne lui parviennent cependant que proportionnellement au souci implicite ou explicite avec lequel il a travaillé pendant sa vie mortelle à l’expiation de la peine temporelle du péché ; en sorte que ceux qui sortent de cette vie à peine en état de grâce, sans s’être beaucoup préoccupés de satisfaire pour leurs péchés passés, ni de prier pour les défunts, même si l’on priait ensuite beaucoup pour eux, ne recevraient qu’un secours bien diminué, la justice divine punissant ainsi l’insouciance et la dureté de leur cœur[45]. Si donc, on opposait à cette doctrine sur les suffrages particuliers que ceux qui sont riches et qui laissent des amis peuvent compter après leur mort, à cause de leurs aumônes par exemple et du souvenir de leurs amis, sur des suffrages plus nombreux que ceux qui sont pauvres et délaissés, il sera facile de répondre que les pauvres, s’ils en sont dignes, peuvent recevoir des seuls suffrages communs, plus que ne reçoivent, des suffrages tant particuliers que communs des riches moins dignes qu’eux. Mais on pourra encore ajouter, en répondant cette fois d’une manière beaucoup plus radicale, ces admirables paroles de saint Thomas, qu’après tout « il n’y a pas d’inconvénient que les riches, sous un aspect, celui de l’expiation de la peine du péché, soient plus privilégiés que les pauvres ; car cet avantage compte pour ainsi dire pour rien si on le compare au degré de possession du royaume des cieux, les pauvres sont privilégiés, selon la parole du Seigneur (Luc, VI, 20) : « Bienheureux vous qui êtes pauvres, car le royaume des cieux est à vous ».

Les suffrages de la seconde classe, c’est-à-dire les suffrages communs ou particuliers, qui sont dirigés vers les défunts par une intention expresse de les secourir, propter intentionem in eos directarn sont à leur tour de deux sortes.

Les premiers tirent leur vertu de la prière : ils sont utiles à l’Église souffrante par voie de supplication, (per viam impetrationnis). Ce sont les suffrages par lesquels nous sollicitons la miséricorde divine de hâter l’entrée des défunts dans le lieu de rafraîchissement, de lumière et de paix  qui leur est préparé. Nous savons bien que nos plus humbles prières ne sont pas impuissantes à procurer une fin si haute, puisque Jésus lui-même nous a enseigné à implorer et à supplier pour que le règne de Dieu arrive.

Les seconds suffrages ont le caractère d’une satisfaction que nous offrons à Dieu en vue d’abréger, au moins partiellement, la satisfaction que doivent accomplir les âmes du purgatoire. Ils viennent en aide à l’Église souffrante par voie de satisfaction, per viam satisfactionis. C’est ici le moment de noter que la satisfaction compensatrice que nous offrons à Dieu pour les âmes du purgatoire peut naître directement d’une bonne œuvre, par exemple d’une privation, d’une aumône, que nous aurons faite sous l’inspiration de la grâce divine. D’autre fois, lorsqu’il y a indulgence applicable aux âmes du purgatoire, la satisfaction compensatrice est puisée par l’Église dans le trésor des satisfactions surabondantes du Christ, de la Vierge et des saints que l’Église, dans de certaines conditions et pour une certaine mesure, met pour ainsi dire entre nos mains, en nous donnant la faculté, au lieu de les retenir pour l’expiation de la peine de nos péchés, de les offrir pour les âmes du purgatoire. Mais qu’elle naisse directement d’une bonne œuvre ou qu’elle naisse d’une indulgence, la satisfaction compensatrice qui est applicable aux vivants en stricte justice, per viam justitiae, n’est transférée aux âmes du purgatoire que par voie de miséricorde par mode de suffrage, per viam misericordiae, per rnodum suffragii. Cajetan en apporte deux raisons voisines. La première, c’est, dit-il, que la souffrance expiatoire d’ici bas et la souffrance expiatoire du purgatoire ne sont pas univoques mais proportionnelles en sorte que la première compense la seconde non pas en rigueur de justice, mais dans la mesure où elle est agréée par Dieu, un peu à la manière dont une amende peut parfois compenser l’emprisonnement. La seconde raison c’est que le for de l’Église militante est au for de l’Église souffrante un peu dans le rapport où le for civil, plus bénin, est au for criminel, plus rigoureux. Il s’ensuit que les indulgences seront données différemment aux vivants et aux défunts ; aux premiers par mode d’absolution, aux seconds par mode de suffrage[46]. Cependant, même transmises par mode de suffrage aux âmes du purgatoire, les indulgences, parce qu’elles ôtent ou diminuent la peine qui retarde leur entrée au ciel et l’instant de leur suprême bonheur, représentent un trésor inestimable.

Pour terminer ce paragraphe sur les suffrages de l’Église militante, il faut ajouter que lorsque nous avons distingué ceux qui résultent de la seule charité et ceux qui sont transmis en vertu d’une intention expresse, ces derniers se subdivisant selon qu’ils consistent dans une prière ou dans l’offrande d’une satisfaction compensatrice, nous avons voulu opposer avant tout et premièrement les titres d’efficacité des suffrages et non pas directement les actions, les démarches, les œuvres que supposent ces suffrages. La même action ou la même œuvre peut être, en effet, efficace à plusieurs titres. Pour ne parler que de l’action par excellence, celle de la messe, où la valeur infinie de la rédemption de la croix est comme amenée au milieu de nous, elle est, à elle seule, efficace à plusieurs titres : d’abord par voie de charité[47], car elle unit à l’Église souffrante du purgatoire l’Église militante qu’elle contribue à former constamment dans le monde ; ensuite par voie de prière et par voie de satisfaction puisqu’elle représente l’Église militante de chaque génération co-offrant avec le Christ le sacrifice de la croix à la fois impétratoire et propitiatoire non seulement pour les vivants mais aussi pour les morts.


6. Les suffrages de l’Église glorieuse.

Si la valeur de la messe, qui n’est pas autre que celle de la Croix, est de soi infinie, néanmoins, chaque messe n’apporte en fait à l’Église souffrante qu’un secours fini, lequel est limité d’une part suivant la dévotion de l’Église militante, d’autre part suivant la plus ou moins grande réceptivité des âmes du purgatoire. C’est donc, pour une portion capitale, la dévotion de l’Église militante pour la messe qui mesure les bienfaits qu’en retirent les défunts du purgatoire. L’étroite dépendance dans laquelle l’Église souffrante a été mise par rapport à l’Église militante apparaît ici clairement.

Elle apparaît encore si l’on considère la manière dont s’exerce, pour une part importante l’intercession de l’Église glorieuse en faveur des âmes du purgatoire. La prière de l’Église glorieuse est pure, sainte, irrépréhensible. Il faut ajouter qu’elle est d’une valeur infinie, si l’on inclut en elle la prière théandrique du Christ. L’intercession de l’Église glorieuse est donc, de soi, pleinement suffisante à délivrer toutes les âmes du purgatoire. Cependant son efficacité est pratiquement finie. Quand l’intercession de l’Église glorieuse s’exerce spontanément, elle est limitée par les seules dispositions des âmes du purgatoire. Mais elle s’exerce en outre en dépendance de l’Église militante. Elle est alors limitée, à la façon, semble-t-il, dont est limitée l’efficacité de la messe ; d’abord selon la dévotion de l’Église militante à implorer pour les âmes du purgatoire cette intercession glorieuse ; ensuite, selon les dispositions inégales des’ âmes du purgatoire à être secourues[48].

C’est donc entre le mains de l’Église militante que Dieu a voulu placer, pour une part importante, le sort de l’Église souffrante. Non seulement elle peut, elle-même, prier et satisfaire pour l’Église souffrante. Mais elle peut appeler sur elle, pour qu’elle soit plus vite entraînée vers le lieu du rafraîchissement, vers la béatitude du repos, vers la clarté de la lumière, la prière incomparable de Jésus en croix, de la Vierge secourable et consolatrice, et de toute la cour céleste. « O Dieu, donateur de pardon et désireux du salut des hommes, dit, dans une de ses oraisons pour les défunts, l’Eglise militante, nous supplions votre clémence, d’accorder par l’intercession de la bienheureuse Marie toujours vierge et de tous nos saints, à ceux de nos frères, de nos proches, de nos bienfaiteurs qui ont quitté ce siècle de parvenir à la possession de la béatitude perpétuelle. »


APPENDICE I : la peine du feu

1. L’existence de la peine du feu en purgatoire, sans être de foi, est communément affirmée par les théologiens.

On sait que la peine du feu n’est pas explicitement mentionnée dans le passage que le concile de Trente a destiné au purgatoire, et dont voici la traduction :

« L’Église catholique, instruite par l’Esprit Saint ; les Écritures sacrées et l’antique tradition des Pères, ayant enseigné clans les saints conciles et tout récemment dans le présent concile œcuménique que le purgatoire existe, et que les âmes qu’il retient sont secourues par les prières des fidèles et plus encore par le sacrifice de l’autel que Dieu agrée - ; le saint concile ordonne en conséquence aux évêques d’employer toute leur diligence pour que la saine doctrine du purgatoire, livrée aux fidèles du Christ par les saints Pères et les saints conciles, soit crue, reçue, enseignée et partout prêchée. Lorsqu’on prêche au peuple simple, qu’on bannisse des sermons populaires les questions plus difficiles et plus subtiles, qui ne contribuent pas à édifier et qui le plus souvent n’accroissent point la piété. Qu’ils interdisent qu’on répande ou qu’on expose des doctrines incertaines ou entachée de fausseté, Qu’ils prohibent comme scandaleux et dangereux pour les fidèles tout ce qui a trait à la curiosité ou à la superstition, ou tout ce qui paraîtrait gain honteux. » Denz, n° 983.

L’affirmation qu’il y a du feu en purgatoire, dit saint Bellarmin, « n’est pas de foi, car elle n’a jamais été définie par l’Église : et même la définition de la dernière session du concile de Florence - dans lequel cependant les Grecs avaient affirmé ouvertement qu’ils ne tenaient pas qu’il y eût un feu en purgatoire -, parle de l’existence du purgatoire sans faire mention du feu. » De Ecclesia quae est in purgatorio, lib. II, cap. 13.

Le P. Martin Jugie estime que dans les controverses entre Grecs et Latins qui commencèrent dès le XIIIe siècle, les Latins ont accordé à cette question de l’existence du feu en purgatoire trop d’importance, car ni elle ne peut être prouvée avec certitude par l’Écriture, ni elle n’est appuyée, dans l’ancienne tradition patristique, sur des textes qui soient pleinement exempts d’obscurité. Il ajoute cependant que si elle a été niée par quelques théologiens catholiques, elle est affirmée par l’opinion commune des catholiques. Theologia dognnatica christianorum orientatium, Paris, 1931, t. IV, p. 126.

Saint Bellarmin qualifie pareillement l’affirmation de l’existence du feu en purgatoire de comnnunis sententia theologorum, ou encore de sententia probabillissima. Suarez, après avoir remarqué que si l’existence du feu en enfer est attestée par de nombreux passages de l’Écriture, l’existence du feu en purgatoire ne peut être prouvée d’une manière absolue par I Cor., III, 15, car le mot feu peut être pris ici au sens imagé ; Suarez conclut que, tandis que l’existence du feu en enfer est une vérité tellement certaine que sa négation serait qualifiée par les théologiens de téméraire et proche de l’erreur, l’existence du feu en purgatoire ne doit être considérée que comme une opinion théologique certaine. De purgatorio, dist. 46, sect. 2.


2. Raison théologique d’affirmer la peine du feu en purgatoire.

D’après ce que nous avons dit, sur l’origine et la nature de la peine du péché mortel, c’est la rupture de l’âme avec Dieu qui entraîne comme conséquence la peine du dam, tandis que l’attachement déréglé aux créatures aura pour conséquence la peine du sens. Il y a donc deux peines distinctes en enfer, celle du dam et celle du sens.

Or, qu’à la peine du sens corresponde, au moins partiellement, la peine du feu, cela est clairement affirmé par l’Écriture. En outre, et c’est ici une chose importante à noter, la plupart des théologiens gréco-russes modernes admettent que la peine du sens se traduit en enfer, sinon toute entière, du moins en partie, par la peine du feu, entendu au sens d’un feu réel et physique. Cf. Martin Jugie, opus cit., pp. 199-202.

Considérons maintenant ce qui arrive lorsqu’un péché mortel est pardonné. La rupture avec Dieu est soudain réparée et l’obligation à la peine du dam soudain effacée. Mais la peine du sens, qui résulte de l’attachement déréglé aux créatures, ne se détruit, hors les cas miraculeux, que peu à peu, sous l’action ultérieure de la charité et de la pénitence. Partout où la charité et la pénitence n’auront pas été parfaites, ce qui restera à expier, après la mort, ce sera donc quelque chose de cette peine du sens que l’Écriture désigne le plus souvent par le mot feu. C’est donc bien de la peine du feu que souffrent ceux qui sont morts après avoir obtenu le pardon de leurs fautes mortelles, sans avoir cependant suffisamment satisfait pour les expier.

Considérons encore le péché véniel. Il comporte à proprement parler non pas une rupture avec Dieu, mais simplement un attachement déréglé aux créatures. En sorte que la peine qu’il mérite est encore la peine du sens, désignée par ailleurs dans l’Écriture sous le nom de feu.

En conséquence, si l’on admet, d’une part - et beaucoup de théologiens gréco-russes dissidents sont d’accord avec nous sur ce point -, que la peine du sens comporte en enfer la peine du feu ; si l’on admet, d’autre part, que la peine du sens résulte, à la différence de la peine du dam, non d’une rupture avec Dieu, mais d’un attachement désordonné aux créatures, dont les effets subsistent après la remise du péché mortel, et qui constitue essentiellement le péché véniel : on est obligé d’admettre qu’en purgatoire la peine du sens comporte la peine du feu.


3. La peine du feu désigne une peine extérieure et physique.

Laissant maintenant de côté la question de savoir si la peine du feu n’existe qu’en enfer comme l’assurent les théologiens dissidents gréco-russes, ou si elle existe aussi en purgatoire comme nous le tenons, nous passons à la question de la nature de la peine du feu.

Qu’elle soit non pas une peine morale et intérieure, mais une peine physique et extérieure, on le déduirait théologiquement du seul fait que la peine du sens consiste dans la revanche que prend l’univers créé tout entier, y compris l’univers visible et corporel, contre le désordre par lequel le péché tentait de le renverser.

Mais il existe, à ce propos, un document ecclésiastique. Le 30 avril 1890, la Sacré Pénitencerie était consultée sur le cas suivant : « Un pénitent se présente au confessionnal et, entre autres choses, il déclare qu’à son avis le feu de l’enfer est non pas réel mais métaphorique, en ce sens qu’on donne aux peines de l’enfer, de quelque nature qu’elles soient, le nom de feu par manière de parler ; le feu, en effet, produit la plus intense des douleurs, et il n’y a pas d’image plus apte à signifier les peines extrêmement douloureuses de l’enfer et à nous donner une idée de ce qu’est l’enfer. En conséquence de cette déclaration, le curé demande s’il peut laisser les pénitents dans cette opinion et s’il peut leur donner l’absolution ? Il ajoute qu’il s’agit ici non pas seulement de l’opinion d’un particulier, mais d’une opinion généralement répandue dans une région où l’on a coutume de dire : Persuadez aux seuls enfants, si vous le pouvez, qu’il y a un feu en enfer ». A cette consultation la Sacrée Pénitencerie répondit : « Il faut instruire avec soin de tels pénitents, et s’ils se montrent opiniâtres ne pas les absoudre ». F. Cavallera, Thesaurus doctrinae catholicae, Paris 1920, n° 1466.

Il résulte de ce texte que le feu de l’enfer n’est pas une simple image utilisée pour représenter une souffrance aiguë de quelque nature qu’elle soit.


4. Quelle est la nature de ce feu ?

Les anciens théologiens, qui tenaient le feu pour un élément, pensaient que la peine du feu est due à un feu de même nature que le nôtre. Mais, sur ce point, les théologiens postérieurs ne les suivront pas. Le texte de la Sacrée Pénitencerie, cité plus haut, a été signalé par H. Hurter, S. J., Theologiae dogmaticae compendium, Innsbruck, 1908, t. III, p. 620, lequel, après avoir écarté comme téméraire ou erronée l’opinion du feu métaphorique, suivant laquelle le mot feu servirait simplement à désigner la gravité des peines de l’enfer, ou à signifier, comme la métaphore du ver de la conscience le remords du désespoir, défend l’opinion commune d’un feu véritable et propre, en remarquant avec sagesse : « Quand nous disons que le feu de l’enfer est véritable et propre, nous ne voulons pas dire qu’il soit absolument identique au feu que nous connaissons ; saint Augustin écrit, en effet, avec vérité, dans le De civitate Dei, lib. XX, cap. 16 : De quelle nature sera ce feu, en quelle partie de l’univers sera-t-il allumé, je pense que nul homme ne le sait, sinon peut-être celui à qui l’Esprit divin la révélé. Ce qu’il nous semble nécessaire de défendre, continue Hurter, c’est que ce feu est quelque chose d’extérieur, de physique, de corporel, capable de causer une vraie douleur, non quelque chose d’intérieur, de moral, de spirituel ».


5. L’action du feu sur les esprits.

Comment un feu corporel, - qu’il soit ou non de même nature que le nôtre, cela n’importe guère ici, - peut-il atteindre des esprits qu’il s’agisse soit des âmes séparées, soit des purs esprits comme les démons (car l’univers visible et sensible est trop liée à l’univers spirituel pour que les démons, par leur péché, ne l’aient pas troublé, au moins virtuellement, et pour qu’ils n’aient pas, en conséquence, à subir la peine du feu) ?

Pour saint Bellarmin, il estime qu’ « il est impossible de savoir en cette vie comment un feu corporel peut agir sur une âme incorporelle. » De Ecclesia quae est in purgatorio, lib. 11, cap. 12,

Encore est-ce la tâche du théologien de montrer qu’une telle proposition n’est pas absurde a priori, et qu’elle n’inclut pas une évidente impossibilité. Il serait nettement contradictoire, par exemple, de soutenir que les esprits peuvent être de soi dans un lieu ; mais il ne l’est pas, il est même exact, de soutenir, en parlant des esprits créés, qu’ils peuvent être dans un lieu par application de leur vertu à ce lieu. C’est même peut-être cette dernière proposition qui permettra de répondre à la question posée.

Les Salmanticences, De vitiis et peccatis, disp. 18, numéros 28-29, avec beaucoup de théologiens soit antérieurs soit postérieurs, se rangent à l’opinion de saint Thomas (cf. par exemple De anima, a. 21, et ad 8) qu’ils considèrent théologiquement certaine ou presque certaine. Suivant cette opinion, les démons et les âmes séparées subissent le supplice du feu en ce sens qu’ils sont liés au feu comme à un lieu pour y être retenus malgré eux comme dans une dure prison ; on sait, ajoutent les théologiens, combien l’emprisonnement peut paraître dur aux hommes et même aux animaux sans raison ; mais on ne peut imaginer ce que doit être la souffrance des anges et des âmes s’ils sentent qu’ils sont dominés par des réalités matérielles et rivés pour toujours à elles.

Comment expliquer cette incarcération ? Saint Thomas note que si le feu de l’enfer peut être un lieu de détention pour les esprits, c’est que d’abord, servant d’instrument à la justice divine, « il les empêche d’exécuter leur volonté propre et d’agir où ils veulent et comme ils veulent », IV Sent., dist. 44, qu. 3, a, 3, quaest. 3. En suivant cette indication, Jean de Saint Thomas expliquera que le premier effet du feu est de causer instrumentalement dans les esprits une qualité spirituelle qui lie et immobilise leurs puissances opératives, celles surtout par lesquelles ils se meuvent eux-mêmes et meuvent les autres choses (ligature intrinsèque) ; il résulte dès lors que les esprits sont détenus dans le lieu où est le feu (ligature extrinsèque, ou incarcération) ; cf. Jean de Saint Thomas, De poena daemonum, disp. 24, a. 3, n. 23.

Saint Thomas, dans le De anima, a. 21, s’est référé lui-même à saint Augustin, De civitate Dei, lib. XXI, cap. 10 « S’ils sont incorporels, les esprits des démons ou plutôt les esprits-démons seront, quoique sans corps, attachés pour leur supplice à des feux corporels ; non que ces feux soient, par une telle union, vivifiés et qu’il en résulte des êtres vivants composés d’âme et de corps ; mais, unis à ces feux dans une étreinte ineffable et terrible, les démons en recevront la souffrance sans leur communiquer la vie ».

Selon cette doctrine, on pourrait donc entendre au sens littéral les textes scripturaires où il est question de l’enchaînement du démon, par exemple : Jude 6, II Pierre, II, 4, Apoc., XX, 2.


APPENDICE II : Questions secondaires sur la prière de l’Église souffrante.

On pourrait poser, à propos des âmes du purgatoire, quatre questions secondaires : Prient-elles pour elles ? Nous prient-elles ? Prient-elles pour nous ? Faut-il les prier ?


1. Prient-elles pour elles ?

Si l’on entendait la prière au sens très large de contemplation, il faudrait évidemment répondre avec Suarez, De oratione in communi, cap. XI, n° 13, que les âmes du purgatoire prient d’une manière parfaite et qu’elles sont dans un très haut degré de contemplation et d’amour de Dieu.

Mais que dire, si l’on entend la prière au sens propre de demande.

On peut répondre, et on est ici d’accord avec Suarez, que d’abord il est vraisemblable que ces âmes ne prient pas pour obtenir des consolations et des douceurs, puisqu’elles préfèrent être purifiées le plus tôt possible ; si donc leur contemplation et leur amour de Dieu leur apportent de la douceur, c’est non pas qu’elles la cherchent mais qu’elles la-trouvent par surcroît comme un effet naturel de leur amour.

Mais, prient-elles pour d’autres fins ? Il faut encore répondre négativement, mais en se séparant ici de Suarez. Que pourraient-elles, en effet, demander, sinon la délivrance d’un mal et l’obtention d’un bien ? Or, d’une part, elles n’éprouvent d’autre mal que la détention résultant de la peine de leurs péchés ; mais comme elles savent que le purgatoire a pour fin d’expier cette peine, elles ne peuvent demander d’en être exemptes. Et, d’autre part, quel bien demanderaient-elles, si elles sont confirmées en grâce et ne cherchent pas les consolations ? En conséquence, il faut, nous semble-t-il, nier que les âmes du purgatoire puissent, au sens propre, prier pour elles.

L’opinion contraire est soutenue par Suarez, en dépit des raisons que nous venons de rappeler. Suivant lui, les âmes du purgatoire demanderaient directement à Dieu de leur abréger leur peine ; ou encore elles demanderaient à Dieu de susciter en nous le désir de les secourir (ce qui atténue beaucoup le caractère pénal du purgatoire et semble ramener, sur un point, le purgatoire au status viae). En outre, elles demanderaient des secours accidentels, même des consolations ; mais cela paraît peu conciliable d’une part avec ce que Suarez vient de dire du désintéressement absolu de ces âmes, et d’autre part avec leur disposition de s’abandonner totalement au for de la justice divine.


2. Nous invoquent-elles ?

Elles désirent ardemment les suffrages des vivants, avons-nous dit, et en ce sens mais en ce sens seulement on peut soutenir qu’elles nous implorent. Dieu pourra même leur permettre parfois de manifester par des révélations particulières leur désir d’être secourues : « Nisi scirent se liberandos, suffragia non peterent, quod frequenter faciunt », dit saint Thomas, IV Sent., dist, 21, qu. 1, a, 1, quest. 4.


3. Prient-elles pour nous ?

A cette question, saint Thomas et saint Bellarmin répondent différemment.

a) Saint Thomas distingue ici trois états dans lesquels peuvent être, après la mort, les âmes justes.

Les saints qui sont dans la patrie connaissent, dans le Verbe, tout ce qui les concerne et toutes les prières des hommes qui recourent à eux : cf. par ex :. III, qu. 10, a. 2. Il leur appartient en propre, remarque Cajetan, de voir les prières que nous leur adressons : « Proprium tamen sanctorum in patria est videre orationes viatorum sibi directas. » (In II-II, qu, 83, a. 11, n° 1.)

Les saints qui étaient dans les anciens limbes pouvaient aussi prier pour les vivants. Car ils n’étaient pas dans un état pénal semblable à celui où, par leur faute, les âmes du purgatoire ont été mises dans la dépendance des prières de l’Église militante. Ils étaient dans un état supérieur au nôtre non seulement sous le rapport de l’impeccabilité - les âmes du purgatoire aussi sont impeccables et sur ce point nous sont supérieures - mais encore sous le rapport de l’indépendance. Leur état était donc supérieur au nôtre absolument parlant, simpliciter. Aussi, pouvaient-ils, à l’instar des saints qui sont dans la patrie, prier pour les vivants. Et c’est pourquoi, lorsqu’il veut établir scripturairement que les saints qui sont dans la patrie prient pour nous, saint Thomas peut apporter en témoignage, II-II, qu. 83, a. 11. sed contra, l’apparition de Jérémie à Judas Macchabée : « Celui-ci est l’ami de ses frères, qui prie beaucoup pour le peuple et pour la ville sainte, Jérémie le prophète de Dieu » (II Mach. XV, 14), Cependant les saints des anciens limbes, qui n’avaient pas encore la vision bienheureuse du Verbe, priaient pour les vivants sans pouvoir, à la différence des saints du ciel, connaître les prières des vivants. L’Écriture, remarque Cajetan, affirme que Jérémie priait, elle ne dit pas qu’il entendait les prières des vivants. Ou si l’on admet qu’il connaissait la prière et les épreuves de Judas Macchabée, il faudra dire, avec Jean de Saint Thomas, De oratione, disp. 21, a. 4, n° 41, que c’était en vertu d’une révélation divine et exceptionnelle.

Pour les âmes qui sont en purgatoire, dira saint Thomas, elles nous sont sans doute supérieures sous un rapport puisqu’elles sont confirmées en grâce et impeccables, mais elles nous demeurent inférieures à cause des peines personnelles qu’elles ont à subir au for de la justice divine, et qui les mettent, - nous l’avons expliqué -, dans la dépendance de nos prières, en sorte que c’est non pas à elles de prier pour nous, mais à nous de prier pour elles, et secundum hoc, non sunt in statu orandi, sed magis ut oretur pro eis. II-II, qu, 83, a, II, ad 3.

b) Au lieu de distinguer ici trois états des âmes justes après la mort, saint Bellarmin, qui accuse moins le caractère pénal du purgatoire que saint Thomas, n’en distingue que deux, De Ecclesia quae est in purgatorio, lib. II, cap. 15.

Au premier, appartiennent les saints de la patrie, qui prient pour nous et connaissent nos prières.

Au second, appartiennent à la fois, selon lui, les saints des anciens limbes et les âmes du purgatoire, qui prient pour nous, mais sans connaître nos prières en particulier. Parce qu’il ne distingue pas, sous le rapport de la possibilité de prier, les saints des limbes et les âmes du purgatoire, saint Bellarmin apporte le texte II Mach., XV, 14, pour établir que les âmes du purgatoire prient pour nous. L’opinion de saint Bellarmin, suivie par Suarez, qui, sans la regarder comme certaine, la considère comme pieuse et probable, De oratione in communi, cap. XI, n° 17 était déjà celle de Dante. Au chant XI du Purgatoire, le poète nous représente les âmes capables de prier expressément non seulement pour elles, mais encore pour les vivants, puisque c’est non pour elles, qui n’en ont plus besoin, car elles sent confirmées en grâce, mais pour ceux qui sont demeurés sur la terre, qu’elles paraphrasent la dernière demande du Pater : Ne nous laissez pas succomber à la tentation.


4. Faut-il les prier ?

Si elles connaissent nos prières, oui ; si elles les ignorent, non. Or, saint Thomas et saint Bellarmin sont ici d’accord pour affirmer, qu’à la différence des saints du ciel, elles les ignorent. L’un et l’autre en concluent qu’il ne faut pas prier les âmes du purgatoire. Ceux qui sont en purgatoire, dit saint Thomas « ne possédant pas encore la vision du Verbe, ne peuvent connaître ce que nous pensons ou disons ; c’est pourquoi nous n’implorons pas leurs suffrages par la prière », II-II, qu. 83, a. 4, ad 3. Voici les textes de saint Bellarmin qui, quoiqu’il tienne que les âmes du purgatoire prient pour nous, ajoute : « Bien que cela soit vrai, cependant, il paraît superflu, en règle ordinaire de leur demander de prier pour nous. Car elles ne peuvent en règle ordinaire, connaître ce que nous faisons en particulier ; elles savent seulement en général que nous sommes entourés de dangers, comme nous ne savons, nous, qu’en général, qu’elles sont dans les tourments. Car ni elles ne se mêlent à notre vie, comme le dit saint Augustin au De curo pro mortuis gerenda, cap. XIII, n° 16, ni elles ne voient nos prières dans le Verbe puisqu’elles n’ont pas encore part à la vision, ni il n’est vraisemblable que Dieu leur révèle, en règle ordinaire, ce que nous faisons ou demandons ». (Le texte de saint Augustin, auquel saint Bellarmin fait allusion appelle une réserve, car saint Augustin parle ici de sa mère qui était au ciel et qui priait très certainement pour lui.)

Quant à l’usage des fidèles d’implorer le secours des âmes du purgatoire, des théologiens comme Jean de Saint Thomas l’expliquent, non pas en disant que les âmes encore en purgatoire peuvent entendre nos prières, mais en disant qu’on peut tenir pour vraisemblable que, lors de leur entrée au ciel, elles verront dans le Verbe toutes les prières qui leur auront été antérieurement adressées ; et ils ajoutent que déjà maintenant Dieu peut nous aider en prévision de leur future intercession. Cette solution est empruntée de Suarez, De oratione in commuai, cap. X, n° 28, qui pense qu’un tel usage ne doit pas être blâmé, bien qu’il soit d’une dévotion plus pure de prier et de satisfaire pour les âmes du purgatoire.


  1. Cf. saint Thomas, Suppl., qu. 71, a. 2, ad 3.
  2. III. Contra Gent., cap. 158.
  3. I, qu. 21, a. 4, ad. 1.
  4. Afin d’exprimer cette même vérité que la miséricorde divine tempère la peine des damnés laquelle reste toujours en deçà de leurs démérites, et n’atteint jamais à son maximum marqué par la justice, sainte Catherine de Gênes (1447-1510), usant d’un autre vocabulaire, dira que cette peine n’est pas infinie : « La peine des damnés n’est pas infinie dans sa rigueur ; la grande bonté de Dieu fait pénétrer un rayon de miséricorde même en enfer ; l’homme mort en état de péché mortel mériterait une peine infinie sous tous les rapports ; à la vérité, la peine ne se terminera jamais ; mais Dieu ne l’a rendue infinie que quant au temps, elle a des bornes en intensité, et le Seigneur aurait pu, avec justice, infliger aux damnés des douleurs beaucoup plus grandes que celles qu’ils souffrent. » Traité du Purgatoire, ch. IV, dans La vie et les œuvres de sainte Catherine de Gênes, par le Vte Marie-Théodore de Bussierre, Paris 1913, p. 189.
  5. On sait en quels termes admirables, sainte Catherine de Gènes a parlé de ce mystère de la justice divine : « Oh ! que d’amour, de bénignité, et de miséricorde, Dieu témoigne à l’homme en ce triste monde ! Mais la justice éternelle apparaît au moment où l’âme se sépare du corps. Si l’âme n’a rien à purifier, Dieu la reçoit en soi et la transforme par son amour ardent et enflammé ; et à l’instant de cette transformation, elle se trouve en Dieu et y demeure sans fin. S’il y a quelque chose à purger ou à punir en elle, elle va, eu ce même instant, en purgatoire ou en enfer ; le tout par la disposition du Seigneur, laquelle envoie chacun en son lieu. » « Chacun porte en soi la sentence du jugement rendu et se condamne lui-même. Et si les âmes ne trouvaient pas ces lieux ordonnés de Dieu, elles demeureraient en plus grand tourment, parce qu’elles seraient en dehors de la disposition divine ; vu surtout qu’il n’existe aucun (de ces) endroit (s) où il n’y ait un reflet de la miséricorde éternelle. et, pour cela, elles ont moins de peine qu’elles n’en pourraient avoir. » « L’âme a été créée de Dieu, pour Dieu, et ordonnée par Dieu, et ne peut trouver de repos qu’en Dieu. Les damnés sont en Dieu par justice ; s’ils étaient hors de l’enfer, ils auraient un beaucoup plus grand tourment, car ils se trouveraient en contradiction avec la disposition de l’Éternel. Celle-ci leur donne un instinct terrible d’aller en ce lieu qui leur est destiné ; en n’y allant pas, ils auraient double peine. Cependant, ils n’y vont pas pour avoir moins de peine, mais comme forcés par l’ordre souverain de Dieu, lequel ne peut faillir. » Dialogues entre l’âme, le corps, l’amour-propre, l’esprit, l’humanité et Notre-Seigneur, op. cit., p. 346.
  6. Toute la pénitence se réduit donc à travailler, sous l’impulsion de l’amour, à la réparation des péchés passés. La septième erreur de Luther, condamnée par Léon X, dans la bulle Exsurge Domine, est ainsi rédigée : « C’est un adage véridique et plus lumineux que la doctrine de tous ceux qui ont jusqu’ici disserté sur les contritions que ne plus recommencer est la souveraine pénitence, qu’une nouvelle vie est la meilleure pénitence. » Denz., n° 747. Cajetan fait remarquer, en effet, qu’au sens où il est approuvé par Luther, ce dernier proverbe veut nier soit la nécessité de la contrition, soit la nécessité de la satisfaction, Opuscula omnia, Venise 1612, t. I, tract. 31, 1, a. 1. Un peu plus tard, le concile de Trente déclarera que « la contrition comporte non seulement la cessation du péché, la résolution de changer, de vie, mais encore la détestation de la vie ancienne, selon les mots d’Ezéchiel, XVIII, 31 : « Jetez loin de vous vos iniquités et vos prévarications, et faites-vous un cœur et un esprits neufs », Denz, n° 897. Anathème, ajoutera-t-il, à qui dit que la meilleure pénitence n’est ni plus ni moins qu’une vie nouvelle », Denz, no 923. C’est la doctrine des saints. Saint Thomas la résumait avec netteté avant le temps de Luther : « Il ne suffit pas de cesser l’offense pour l’effacer ; il y faut encore une compensation » III, qu. 85, a. 3. Ce sera la doctrine de saint Jean de la Croix : « L’oiseau qui s’est laissé prendre à la glu doit s’imposer un double travail : se détacher et se purifier ; il en est de même de celui qui cède à ses appétits, il doit s’en détacher, et une fois libre, se purifier de la colle qui lui est restée ». Avisos y sentencias espirituales, n° 22, Silverio de santa Teresa, Obras de san Juan de la Cruz, Burgos, 1931, t. IV, p. 234.
  7. Denz., numéros 904, 922, 925.
  8. Denz., numéro 904.
  9. Denz., numéro 895.
  10. Denz., numéros 904 et 897.
  11. III Contra Gent., cap. 158.
  12. Qu’on prenne garde de ne pas confondre la charité parfaite, qui efface jusqu’à la peine totale du péché, et ce que les théologiens modernes ont appelé la contrition parfaite, qui n’efface que la faute du péché mortel et qui reste compatible avec la charité commune.
  13. « Potest enim contritio ex duplici capite tollere, in toto vel in parte, poenam sensus. Primo ex poenalitate sibi annexa ; secundo ex merito passionis Christi. » Quaestiones de contritione, quaesit. 4, n° V, édit. léonine, t. XII, p. 345. Nous transférons ici à la détestation du péché véniel, ce que Cajetan dit de la contrition.
  14. Traité du purgatoire, ch. IV, op. cit., p. 188.
  15. De malo, qu. 7, a. 11, obj. 16, et ad. 16. Saint Thomas rétracte ainsi dans le De malo (1263 à 1268), ce qu’il avait dit dans les Sentences (1254 à 1256), où il estimait que « si un homme mourait en état de grâce, mais avec une faute vénielle, celle-ci serait effacée par le feu du purgatoire ; car la peine du purgatoire étant d’une certaine façon volontaire aurait, en vertu de la grâce, le pouvoir d’expier toute faute compatible avec l’état de grâce. » IV Sent., dist. 21, qu. 1, a. 3, quaest. 1.
  16. De malo, qu. 7, a. 11, fin et ad 5. Cependant, à un autre titre, on pourrait considérer cet acte comme capable d’accroître la charité de l’âme. En effet, certains théologiens comme Jean de Saint Thomas, et, après lui, les Salmanticences, Billuart, etc…. pensent que les mérites surnaturels, autrefois obtenus par une âme en état de grâce, mais qui auraient été annulés par un péché mortel subséquent, peuvent, dans une certaine proportion, revivre à la faveur de l’acte d’amour intense que fait cet âme entrant au purgatoire, élever ainsi en elle le niveau de la divine charité, lui préparer, un plus haut degré de gloire essentielle et une plus profonde pénétration de la vision béatifique, Jean de Saint Thomas, De poenitentia, disp. 36, a 2, n° 1 à 19. Notons cependant, à ce propos, que d’autres théologiens thomistes, comme Banez, qui citent, entre autres textes de saint Thomas, celui qu’on lit III, qu. 89, a. 5, ad 3, pensent que de tels mérites annulés par un péché mortel subséquent, revivent non pas de manière à accroître, dans quelque mesure que ce soit, la charité de l’âme, ni son degré de gloire essentielle et de vision béatifique, mais seulement de manière à apporter à l’âme un supplément de gloire accidentelle, Banez, in II-II, qu. 24, a. 6. En tout cas, ce qu’il faut affirmer avec l’Église, c’est que, une fois l’âme entrée eu purgatoire, elle ne peut plus mériter et sa charité ne peut plus s’accroître ; cf. la proposition 38, condamnée dans la bulle Exsurge Domine : « Animae in purgatorio non sunt securae de earum salute, saltem omnes ; nec probatum est, ullis aut rationibus aut Scripturis, ipsas esse extra statum merendi, vel augendae caritatis ». Denz., n°778.
  17. La proposition 37, condamnée par Léon X dans la bulle Exsurge Domine, porte : « Le purgatoire ne peut être prouvé par aucune autorité scripturaire qui soit canonique. » Denz., n° 777. (On sait que Luther rejetait la canonicité du second livre des Machabées.) On trouvera, dans le traité de saint Bellarmin sur le Purgatoire, l’interprétation que les Pères ont donnée des textes scripturaires signalés ici et la réponse aux difficultés soulevées à leur propos par les Réformateurs, De Ecclesia quae est in purgatorio, lib., I, cap. III-VIII.
  18. IV Sent., dist. 21, qu. 1, a. 1, quast. 1.
  19. A moins qu’elles ne soient élevées ici-bas à la charité parfaite qui efface totalement même la peine temporelle du péché. C’est d’une telle charité que parle saint Jean de la Croix dans la Nuit obscure : « Comme dans l’autre vie les esprits se purifient avec un feu ténébreux matériel, dans cette vie ils se purifient et se nettoient avec un feu d’amour, ténébreux spirituel. La différence est que là ils se nettoient par le feu ; ici ils se nettoient et s’illuminent par le seul amour. C’est un tel amour qu’implore David, quand il dit : Cor mundum crea in me Deus », Noche oscura, lib. II, cap. 12, Silverio, t. II, p. 456, numéro 1. Il faut noter à ce propos que c’est en vertu de la douleur satisfactoire qu’ils provoquent qu’un tel amour et qu’une telle contrition parviennent à effacer la peine temporelle du péché. « Le déplaisir du péché passé, remarque Cajetan avec profondeur, ne comporte pas sans cloute nécessairement une pénalité, puisqu’il subsistera dans la patrie, où il n’y aura plus de place pour aucune pénalité. Mais dans tout sujet capable d’éprouver une douleur ou une peine, ce déplaisir entraîne naturellement avec lui une pénalité : nous souffrons communément, en effet, des choses que nous avons faites et qui nous déplaisent. Aussi, est-ce sous cet aspect qu’il faut dire que toute contrition, de soi et absolument, en vertu de la pénalité qui lui est annexée, efface quelque chose de la peine du sens. » Quaestiones de contritione, quaesit. quartum, n° V, édit. léonine, t. XII, p. 345. Elle pourra même, quand la charité qui l’inspire sera parfaite, effacer totalement la peine du sens.
  20. « Le Seigneur leur remet immédiatement la coulpe, parce qu’elles sont sorties de la vie présente, contrastées et confessées de leurs péchés, et avec la ferme volonté de n’en plus commettre. Il ne leur reste donc que la rouille du péché, elles s’en purifient par le feu, au moyen de la peine. » Traité du purgatoire, ch. V. op. cit., p. 190.
  21. Traité du purgatoire, ch. VIII, op. cit, p. 193.
  22. Ibid.
  23. IV Sent., dist. 21, qu. 1, a. 1, quaest. 2.
  24. Ibid., quaest. 3.
  25. « Gravior tamen erit ille ignis, quam quidquid potest homo pati in hac vita. » Enarr. In Psalm. XXXVII, n° 3.
  26. Traité du purgatoire, ch. XVI, op. cit., p. 203.
  27. Ibid., ch. XIV, p. 201.
  28. IV Sent., dist. 45, qu. 2, a. 1, quaest. 2, ad 3.
  29. Saint Thomas, ibid. A l’opinion de saint Thomas, suivant laquelle même la moindre peine du purgatoire (c’est pour saint Thomas la peine du feu) excède la plus grande souffrance de cette vie, saint Bellarmin préfère l’opinion de saint Bonaventure suivant laquelle seule la plus grande peine du purgatoire (ce serait pour ces deux Docteurs la peine du feu elle-même) excède la plus grande souffrance de cette vie. Saint Bellarmin atténue donc beaucoup la peine du dam en purgatoire, et il en donne pour raison que, chez les âmes qui s’y trouvent, le sentiment de l’absence du souverain Bien doit être comme neutralisé par la certitude prochaine du salut. Au contraire, saint Jean de la Croix, dans un texte que nous citerons tout à l’heure, exagère la peine du dam en purgatoire, estimant que les âmes du purgatoire sont plongées dans des souffrances si dures qu’elles perdent la connaissance de leur salut et en viennent à se croire damnées. Il nous semble qu’il faut tenir, en s’appuyant sur l’autorité de saint Thomas d’Aquin et de sainte Catherine de Gênes, que, dans les âmes du purgatoire, une peine du dam extrêmement douloureuse et une joie intense de se savoir sauvées, peuvent coexister sans se neutraliser aucunement.
  30. Traité du purgatoire, ch. VI, op. cit., p. 191.
  31. Ibid., ch. XI, op. cit., p. 198.
  32. Ibid., ch. IX, op. cit., p. 195.
  33. Ibid., ch. 11, op. cit., p. 184.
  34. Cf. saint Thomas, III, qu. 84, a. 9, ad 2.
  35. Traité du purgatoire, ch. III, op. cit., p. 199.
  36. L’Esprit de saint François de Sales, XVI, 9, Paris 1747, p. 406.
  37. Traité du purgatoire, ch. XIII, op. cit., p. 200.
  38. De Ecclesia quae est in purgatorio, lib. II, cap. 15.
  39. Cf. saint Thomas, Suppl., qu. 71, a. 1.
  40. Cf. saint Thomas, Suppl., qu. 71, a. 12 et 13.
  41. Cf. saint Thomas, Quodlibet., II, a. 14.
  42. Cf. saint Thomas, Opuscula omnia, t. I, tract. 16, qu. 5. Pour appuyer cet enseignement suivant lequel le secours est donné aux défunts du purgatoire proportionnellement à la dévotion qu’ils ont mise à satisfaire à leurs péchés. Cajetan renvoie au passage où saint Thomas explique que lors de la descente aux enfers, le Christ a délivré non seulement les anciens justes retenus dans les seuls limbes sans avoir aucune peine temporelle à expier, mais encore quelques-uns seulement des justes qui expiaient en purgatoire la peine temporelle de leurs péchés, laquelle fut abrégée parce qu’ils avaient eu pendant leur vie une dévotion spéciale à la mort future du Sauveur, I, qu. 52, a. 8 ad 1.
  43. Cf. saint Thomas, Quodlibet II, a. 14.
  44. Cf. saint Thomas, Suppl., qu. 71, a. 14, ad 2.
  45. Ces derniers mots sont de Cajetan, Mais il semble aller trop loin en opinant que les suffrages adressés à une âme particulière du purgatoire peuvent rester parfois sans aucun effet à cause de l’absence de dispositions de cette âme. Une autre opinion admet que de tels suffrages sont au contraire transmis intégralement : on pourrait lui opposer le texte où saint Thomas remarque, d’une manière générale, que « l’effet de la prière est limité en vertu de deux chefs : du chef de celui qui prie, et du chef de celui pour qui l’on prie ». Suppl., qu. 71, a. 13, ad. 3. Entre ces deux opinions, il y a place pour l’opinion ici adoptée suivant laquelle les suffrages particuliers sont transmis proportionnellement aux dispositions des défunts, lesquelles ne sont jamais nulles, puisque la charité dans laquelle ils sont morts contenait au moins implicitement et virtuellement le désir de satisfaire à la peine temporelle de leurs péchés personnels et des péchés d’autrui.
  46. Cajetan, Opuscula omnia, t. I, tract. 16, qu. 5. Pour bien faire entendre que c’est toujours en vertu d’un acte de sa juridiction spirituelle que le souverain pontife dispense, par les indulgences, le trésor spirituel de 1’Eglise, et que néanmoins les indulgences sont appliquées différemment aux vivants et aux défunts, aux premiers par voie d’absolution de la peine temporelle de leurs péchés (les indulgences se substituent ici à la peine temporelle, et la substitution est acceptée non par faveur, mais en justice et intégralement), et aux seconds par voie de simple suffrage, Cajetan à recours à la comparaison d’un prince qui, par un acte de sa juridiction temporelle, dispenserait une partie du trésor public pour venir en aide à certains de ses sujets lesquels, faute d’avoir payé leurs dettes, auraient été incarcérées, les uns dans leur propre royaume, les autres dans un royaume étranger ; pour les premiers, le prince les délivre à deux titres : en leur donnant de quoi se racheter (per modum auxilii), et en autorisant juridiquement un tel rachat (judicialiter) ; pour les seconds, il ne les délivre qu’à un titre, c’est-à-dire en leur donnant de quoi se racheter (per modum auxilii). il reste encore à obtenir, mais cette fois de la bienveillance du prince voisin, l’autorisation juridique de procéder à un tel rachat.
  47. Cf. saint Thomas, Suppl., qu. 71, a. 9.
  48. Il n’est donc pas difficile de répondre à D. Soto, IV Sent., dist. 45 qu. 3, a, 2, qui objecte que, si elles étaient offertes pour les défunts, les prières de l’Église triomphante, étant constantes, plus efficaces et plus vite exaucées que les nôtres, suffiraient à évacuer le purgatoire. Saint Bellarmin appelle téméraire la conclusion où Soto estime donc devoir affirmer que les saints ne prient pas pour les âmes du purgatoire, De ecclesia quae in purgatorio, lib. II, cap. 15. Il lui oppose le passage du De cura pro mortuis gerenda, cap. IV, n° 6, où saint Augustin loue ceux qui ensevelissent les défunts près du corps des saints avec l’intention de mieux implorer les saints pour eux, et l’oraison liturgique que nous citons ici, où l’Église prie, pour les défunts, la Vierge et les saints.
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