La peine de mort chez St Thomas d'Aquin : Différence entre versions

De Salve Regina

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  | thème                        = Philosophie politique
 
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  | auteur                        = abbé P.-H. Gouy   
 
  | auteur                        = abbé P.-H. Gouy   
  | source                        = Article paru dans ''Le Baptistère n° 8''
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Version du 18 mars 2011 à 00:51

Philosophie politique
Auteur : abbé P.-H. Gouy

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen

La doctrine chrétienne sur la "PEINE DE MORT" selon l’enseignement de Saint Thomas d’Aquin

Bibliographie

  • Catéchisme de l’Église Catholique ;
  • Saint Thomas d’Aquin in Somme Théologique (Édition de la Revue des Jeunes avec ses commentaires) et Somme contre les Gentils ;
  • Rémi Fontaine in Action Familiale & Scolaire (Tiré à part) : La peine de mort ;
  • Dossier de La Nef, n°81, Mars 1998, p.21-30.

Il ne s’agit pas ici de traiter de l’opportunité de l’application effective ou non de la peine capitale. Ceci est une question de prudence politique distincte de la doctrine chrétienne des principes.

La doctrine sur cette question - nous allons le voir - demeure inchangée, même si la politique peut changer.

L’application dépend en effet de l’époque, de la culture, des conditions psychologiques, sociales ou politiques et enfin de la religion intégrant la vie éternelle comme fin et sans laquelle il n’y a que la vie naturelle qui compte : l’expiation possible par l’application de cette peine est alors exclue. Comme le sujet est vaste, il faut en rester aux principes.

Introduction

Saint Thomas défend le “jus gladii” de l’autorité afin de préserver le bien commun auquel la vie est ordonnée, sacrifiant l’imparfait pour le parfait. (Cf. Ro.XIII,4 : « car elle est un instrument de Dieu pour te conduire au bien. Mais crains, si tu fais le mal car ce n’est pas pour rien qu’elle porte le glaive : elle est un instrument de Dieu pour faire justice et châtier qui fait le mal. »). Pie XII déclarait au juristes catholiques le 13 février 1955 : « Ce verset a une valeur durable et générale. Il se réfère au fondement essentiel du pouvoir pénal et de sa finalité immanente ».

La vie est en effet ordonnée au bien commun.

Un principe : la vie n’est pas le bien suprême de l’homme, mais c’est la perfection morale, qui en constitue la finalité. Ce principe est remis en cause par nos sociétés “athées”.

Au-delà de ce principe, on comprendra que les questions annexes demeurent circonstancielles :

  • La peine de mort est-elle une protection efficace, une légitime défense ?
  • La peine de mort n’implique-t-elle pas une vengeance plus qu’une justice, une loi du talion plus qu’une loi de civilisation ?
  • La peine de mort n’est-elle pas une atteinte à la dignité de l’homme, une cruauté barbare ?
  • La peine de mort n’est-elle pas contraire à l’esprit évangélique et au caractère sacré de la vie reconnue par l’Église : “Tu ne tueras pas” ?
  • La peine de mort peut-elle s’appliquer au risque d’une erreur judiciaire ?
  • La vie n’est-elle pas sacrée ?
  • La vie n’est-elle pas un droit ?

D’une façon générale, retenir que la peine de mort a pour rôle de protéger la société du criminel, dissuader les criminels éventuels, corriger, racheter et amender le criminel et enfin expier.

La présentation actuelle de la doctrine

Cf. CEC § 2266-2266.

Version initiale :1992

2266 Préserver le bien commun de la société peut exiger la mise hors d’état de nuire de l’agresseur. A ce titre on a reconnu aux détenteurs de l’autorité publique le droit et l’obligation de sévir par des peines proportionnées, y compris la peine de mort. Pour des raisons analogues, le droit de repousser par des armes les agresseurs de la cité a été confié aux autorités légitimes.

2267 L’enseignement traditionnel de l’Église s’est exprimé et s’exprime toujours en tenant compte des conditions réelles du bien commun et des moyens effectifs de préserver l’ordre public et la sécurité des personnes. Dans la mesure où d’autres moyens que la peine de mort et les opérations militaires suffisent à défendre les vies humaines contre l’agresseur et à protéger la paix publique, ces procédés non sanglants sont à préférer, parce que mieux proportionnés et plus conformes à la fin voulue et à la dignité humaine.

Version définitive : 1998

2266 L’effort fait par l'État pour empêcher la diffusion de comportements qui violent les droits de l’homme et les règles fondamentales du vivre ensemble civil correspond à une exigence de la protection du bien commun. L’autorité publique légitime a le droit et le devoir d’infliger des peines proportionnelles à la gravité du délit. La peine a pour premier but de réparer le désordre introduit par la faute. Quand cette peine est volontairement acceptée par le coupable, elle a valeur d’expiation. La peine, en plus de protéger l’ordre public et la sécurité des personnes, a un but médicinal : elle doit, dans la mesure du possible, contribuer à l’amendement du coupable.

2267 L’enseignement traditionnel de l’Église n’exclut pas, quand l’identité et la responsabilité du coupable sont pleinement vérifiées, le recours à la peine de mort, si celle-ci est l’unique moyen praticable pour protéger efficacement de l’injuste agresseur la vie d’êtres humains.Mais si des moyens non sanglants suffisent à défendre et à protéger la sécurité des personnes contre l’agresseur, l’autorité s’en tiendra à ces moyens, parce que ceux-ci correspondent mieux aux conditions concrètes du bien commun et sont plus conformes à la dignité de la personne humaine.Aujourd’hui, en effet, étant donné les possibilités dont l'État dispose pour réprimer efficacement le crime en rendant incapable de nuire celui qui l’a commis, sans lui enlever définitivement la possibilité de se repentir, les cas d’absolue nécessité de supprimer le coupable sont désormais assez rares, sinon même pratiquement inexistants.

Remarques :

Il y a une différence de nuance et non de nature entre les deux versions du CEC (1992-1998). L'Église n’a pas varié mais affirme qu’il n’y a pas d’opportunité actuelle même si elle ne condamne pas la peine de mort (Les Jésuites ont cherché cette condamnation dans la dernière version du Catéchisme). On peut regretter cependant le sentiment subjectif du Catéchisme (“Aujourd’hui” : qu’est-ce que cela veut dire ?) ainsi que le motif invoqué : non pas la justice (que l’autorité a le devoir de préserver) mais l’utilité (de la peine pour récupérer le coupable).

La doctrine de saint Thomas d’Aquin dans la Somme contre les Gentils

Ce texte comporte : un principe - une doctrine - une objection - une réponse.Saint Thomas légitime la peine de mort au regard du droit positif divin.

Extraits : (…) La divine Providence a-t-elle disposé que sur terre des hommes imposeraient aux autres le respect de la justice par des peines sensibles et présentes (…).

PRINCIPE : Le bien commun l’emporte sur le bien particulier, aussi convient-il de sacrifier celui-ci à celui-là. Puisque la paix entre les hommes est compromise par quelques hommes dangereux, il faut les retirer de la société des hommes.

DOCTRINE : (…) le médecin ampute sagement et utilement un membre gangrené si, à cause de ce membre, tout le corps court le risque de la gangrène. Le chef de la cité met donc à mort justement et sans péché les hommes dangereux afin que la paix de la cité ne soit pas troublée (…).

OBJECTION : Ainsi, on écarte de ceux qui prétendent de ceux qui prétendent que les punitions temporelles sont illicites. Ils trouvent un fondement à leur erreur dans ce mot : “Tu ne tueras pas” (…). “Laissez-les croître l’un (l’ivraie) et l’autre (le bon grain) jusqu’à la moisson” (…). Les méchants ne doivent donc pas être arrachés par la mort du milieu des bons. Ils disent encore que tant qu’il est en ce monde, l’homme est susceptible d’amendement.

RÉPONSE : Ces raisons sont sans consistance. La loi qui dit “Tu ne tueras pas” ajoute un peu plus bas “Ne souffre pas que le malfaiteur vive”, ce qui laisse comprendre que l’on défend la mort injuste des hommes. (…) cette mort est injuste dont la cause serait la colère et non le zèle de la justice. La mort des méchants serait alors interdite, si les bons étaient de ce fait en péril : ce qui arrive souvent si des péchés manifestes ne distinguent les méchants d’avec les bons, ou s’il est à craindre que les mauvais n’entraînent après eux beaucoup de bons.Le fait enfin que tant qu’ils vivent, les méchants peuvent s’amender, n’empêche pas qu’ils puissent être mis justement à mort, car le risque que fait courir leur vie est plus grand et plus certain que le bien attendu de cet amendement.

Dans la Somme Théologique : surtout : IIaIIae, qu.64, a.2.

Résumé : Est-il permis de tuer les pécheurs ?

Objections :

  1. Notre-Seigneur interdit d’arracher l’ivraie (Mtt.XIII,29-30) ;
  2. Dieu ménage les pécheurs pour leur pénitence ;
  3. Tuer est mauvais en soi.

Or : le moins parfait est ordonné au plus parfait. Cette subordination existe entre la partie et le tout. Toute partie - de par sa nature - est subordonnée au bien du tout : sacrifier l’imparfait pour le parfait. Ainsi, si l’individu constitue un péril, il faut le mettre à mort au nom du bien commun.

Réponses aux objections :

  1. Ceci est vrai si on ne peut discerner les bons des méchants (Abraham demandant à Dieu d’épargner Sodome : Gen.XVIII,23-32).
  2. Ceci est vrai s’il n’y a aucun danger pour autrui ; or les grands malfaiteurs ont toujours menacé l’ordre public.
  3. Si tuer un homme fidèle est mauvais, ne pas oublier qu’un homme pécheur perd sa dignité humaine [en ce sens, il y renonce].

Remarque : la peine de mort n’est pas l’application de la loi du talion (où la peine est calquée sur la faute : œil pour œil, dent pour dent) mais demeure une question de bien public qui va au-delà de la légitime défense ; c’est une question de justice sociale : l'État a pour devoir de guérir le mal et protéger la société (caractère médicinal, exemplaire et réparateur).

Il est vrai que l’homme ne doit point détruire ce que Dieu a fait à son image et a racheté par son sang, ne devant point abréger le temps imparti à chaque créature pour faire son salut. Mais il est également vrai que la question de la peine de mort demeure un problème complexe où sont engagées des appréciations sur la liberté humaine, la responsabilité morale et la vie en société.

Saint Thomas admet par ailleurs que :

  • Par charité un juge peut condamner à mort un ami (cf. IIaIIae, qu.25,art.6, ad.2).
  • Le Chef de la Cité peut infliger la mort par pouvoir coercitif (IIaIIae,qu.65,a.2,ad.2).
  • La peine de mort est légitime quand il y a des dommages irréparables ou une perversité infamante (IIaIIae,qu.66,a.6,ad.2).
  • Il n’est pas injuste de tuer le malfaiteur ou l’ennemi de l'État (IIaIIae,qu100,a.8,ad.3) ; tuer peut donc constituer une “dispense” au Décalogue, tout comme on peut dépouiller quelqu’un de ses biens à bon droit.
  • Si la mise a mort des malfaiteurs et des ennemis de l'État n’est pas une injustice, l’autorité publique demeure libre de l’appliquer et de changer cette législation positive (IaIIae,qu.100, a.8,ad3).
  • La peine doit être proportionnée au dommage social et à la nature du délit (IaIIae,qu.87,a.3,ad1).
  • Le but de la peine est l’expiation et la conservation de l’ordre social (Ia,qu.48,a.6 ; IaIIae,qu.102,a.3,ad5 ; IIaIIae,qu.108,a.4).
  • La prison perpétuelle ou l’exil sont envisageable comme châtiment de l’homicide (IaIIae,qu.87,a.3,ad1).

Dans l'Ancien Testament :

Gen.XX,13 : « Tu ne tueras pas » ; Gen.XXI,12-15 : « Quiconque frappe quelqu’un et cause sa mort sera mis à mort. S’il ne l’a pas traqué mais que Dieu l’a mis à portée de sa main, je te fixerai un lieu où il pourra se réfugier. Mais si un homme va jusqu’à en tuer un autre par ruse, tu l’arracheras même de mon autel pour qu’il soit mis à mort. Qui frappe son père ou sa mère sera mis à mort. Qui enlève un homme, qu’il l’ait vendu ou qu’on le trouve en sa possession, sera mis à mort. Qui maudit son père ou sa mère sera mis à mort ».

Dans le Nouveau Testament :

Plutôt la noyade que le scandale : Mtt.XVIII,6 : « 6 Mais si quelqu’un doit scandaliser l’un de ces petits qui croient en moi, il serait préférable pour lui de se voir suspendre autour du cou une de ces meules que tournent les ânes et d’être englouti en pleine mer. »

Plutôt la mort que la fraude et le mensonge : Act.V,1-11 : « 1 Un certain Ananie, d’accord avec Saphire sa femme, vendit une propriété ; 2 il détourna une partie du prix, de connivence avec sa femme, et apportant le reste, il le déposa aux pieds des apôtres. 3 « Ananie, lui dit alors Pierre, pourquoi Satan a-t-il rempli ton cœur, que tu mentes à l’Esprit Saint et détournes une partie du prix du champ ? 4 Quand tu avais ton bien, n’étais-tu pas libre de le garder, et quand tu l’as vendu, ne pouvais-tu disposer du prix à ton gré ? Comment donc cette décision a-t-elle pu naître dans ton cœur ? Ce n’est pas à des hommes que tu as menti, mais à Dieu ». 5 En entendant ces paroles, Ananie tomba et expira. Une grande crainte s’empara alors de tous ceux qui l’apprirent. 6 Les jeunes gens vinrent envelopper le corps et l’emportèrent pour l’enterrer. 7 Au bout d’un intervalle d’environ 3 heures, sa femme, qui ne savait pas ce qui était arrivé, entra. 8 Pierre l’interpella : « Dis-moi, le champ que vous avez vendu,c’était tant » ? Elle dit : « Oui, tant ». 9 Alors Pierre : « Comment donc avez-vous pu vous concerter pour mettre l’Esprit du Seigneur à l’épreuve ? Eh bien ! voici à la porte les pas de ceux qui ont enterré ton mari : ils vont aussi t’emporter ». 10 A l’instant même elle tomba à ses pieds et expira. Les jeunes gens qui entraient la trouvèrent morte ; ils l’emportèrent et l’enterrèrent auprès de son mari. 11 Une grande crainte s’empara alors de l’Église entière et de tous ceux qui apprirent ces choses. »

Remarque :

à la question de savoir quelle est la position de Jean-Paul II sur son application, il faut répondre deux choses : si le pape a promulgué le Catéchisme, il a plusieurs fois demandé à des chefs d'États leur grâce pour des condamnés à mort (on se souviendra d’Ali Agça). En outre, dans son enseignement qui s’oppose à la culture de mort de nos sociétés, il ne peut que dénoncer ce qui va contre la dignité humaine (la peine de mort constitue une abomination pour une société qui ne reconnaît pas à la mort de valeur expiatoire et pour laquelle la vie éternelle n’existe pas).


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