La royauté sociale de Notre-Seigneur Jésus Christ

De Salve Regina

Sommaire


« JESUS-CHRIST EST LA PIERRE ANGULAIRE DE TOUT L'EDIFICE SOCIAL. LUI DE MOINS, TOUT S'EBRANLE, TOUT SE DIVISE, TOUT PERIT... »

« METTEZ DONC AU CŒUR DE NOS CONTEMPORAINS, AU CŒUR DE NOS HOMMES PUBLICS, CETTE CONVICTION PROFONDE QU'ILS NE POURRONT RIEN POUR LE RAFFERMISSEMENT DE LA PATRIE ET DE SES LIBERTES, TANT QU'ILS NE LUI DONNERONT PAS POUR BASE LA PIERRE QUI A ETE POSEE PAR LA MAIN DIVINE : PETRA AUTEM ERAT CHRISTUS ».

« JESUS-CHRIST, C'EST LA PIERRE ANGULAIRE DE NOTRE PAYS, LA RECAPITULATION DE NOTRE PAYS, LE SOMMAIRE DE NOTRE HISTOIRE, JESUS-CHRIST, C'EST TOUT NOTRE AVENIR... »

(CARDINAL PIE : ŒUVRES , V, 333 ; VIII, 54 ; X, 493).


Introduction

Pourquoi cette étude ? - Son importance pour le monde et pour la France. - Son actualité. Pourquoi d'après le Cardinal Pie ? - Nature de ce travail et méthode suivie. - Plan général.


Notre Seigneur Jésus-Christ venu sur la terre pour sanctifier les âmes, y est-il aussi descendu pour imposer Sa volonté aux institutions sociales, aux codes, aux assemblées, aux souverains eux-mêmes et devenir ainsi le Roi suprême des nations et des peuples ?

C'est la question qui va nous occuper, et pour y répondre avec précision et ampleur, nous ne ferons autre chose que d'exposer l'enseignement du Cardinal Pie sur la Royauté du Christ.

Pourquoi donc ce sujet et pourquoi en demander la doctrine à l'évêque de Poitiers ?

Il n'y a pas de question plus capitale que celle de la Royauté sociale du Christ. C'est pour le monde une question de vie ou de mort. Les peuples sortent à peine de la plus effroyable guerre qu'ils aient connue et ils en sont encore tout ébranlés. Avec angoisse, ils recherchent une paix durable dans le respect des droits de tous et dans les liens de fraternité qui grouperont les nations en une seule famille. Cette paix si passionnément poursuivie, ni les armements, ni les ressources multiples de la diplomatie, ni les conférences internationales, ni les décisions du tribunal suprême de la Société des nations ne pourront la donner au monde. Seule, la reconnaissance officielle par tous les peuples de la Royauté pacifique du Christ peut l'assurer à la terre.

Benoît XV l'a déclaré hautement : « c'est l'athéisme légal érigé en système de civilisation qui a précipité le monde dans un déluge de sang [1] ». Ce n'est que l'abolition de cet athéisme légal, c'est-à-dire la proclamation officielle des droits de Jésus-Christ sur la société, qui peut écarter les flots d'un nouveau déluge encore plus sanglant et plus universel.

Sa Sainteté Pie XI, dans son admirable Encyclique Ut arcano Dei consilio, insiste sur ce grave avertissement de son prédécesseur.

« Qui donc ignore, écrit-il, cette parole de l'Écriture : Ceux qui abandonnent le Seigneur seront consumés et l'on ne connaît pas moins les paroles si importantes de Jésus, le Rédempteur et le Maître des hommes : Sans Moi vous ne pouvez rien faire, et : Celui qui ne ramasse pas avec Moi, dissipe.

« Ces jugements de Dieu se sont exécutés en tout temps, mais c'est maintenant surtout qu'ils s'exécutent aux yeux de tous. C'est parce que les hommes se sont misérablement éloignés de Dieu et de Jésus-Christ qu'ils ont été plongés de leur bonheur antérieur dans un déluge de maux ».

Parlant ensuite du remède si désiré de la paix :

« Lorsque les cités et les républiques auront tenu à suivre les enseignements et les préceptes de Jésus-Christ dans leurs affaires intérieures et étrangères, alors enfin elles auront dans leur sein la vraie paix... La paix digne de ce nom, c'est-à-dire la désirable paix du Christ, n'existera jamais si les doctrines, les préceptes et les exemples du Christ ne sont gardés par tous, dans la vie publique et dans la vie privée, et si l'Église dans une société ainsi ordonnée n'exerce enfin sa divine fonction, protégeant tous les droits de Dieu sur les individus et sur les peuples. C'est en cela que consiste ce que nous appelons d'un mot le Règne du Christ [2] ».

Et, résumant toute sa pensée dans un mot d'ordre, qui depuis le nouveau Pontificat a fait le tour du monde, il conclut. « Voulons-nous travailler de la manière la plus efficace au rétablissement de la paix, restaurons le Règne du Christ. Pas de paix du Christ sans le règne du Christ [3] ». 

Mais de toutes les nations, il en est une qui a plus souffert de la guerre et qui, plus que toute autre, aspire ardemment et loyalement à la paix du monde.

C'est la France. Nous avons des témoignages précis qui attestent que la France a reconnu que son impiété sociale avait été pour elle la cause principale du terrible fléau. Voulant réparer le passé, avec l'élan chevaleresque qui la caractérise, elle s'emploie à rendre à Jésus-Christ la place royale qu'il doit occuper dans la société. La question de la Royauté sociale du Christ commence à devenir populaire en France[4]. En pleine guerre, l'emblème du Sacré-Cœur, placé par des mains pieuses sur des milliers de drapeaux et de fanions, était déjà une proclamation de cette Royauté. Depuis, nos évêques, nos prêtres, nos publicistes ont traité souvent ce grave sujet [5]. Aux congrès eucharistiques de Lourdes et de Paray, des vœux ont été émis pour qu'une fête mondiale affirmât la royauté sociale de Jésus-Christ dans tout l'univers. Ce noble zèle des catholiques français pour la cause du Christ Roi a été encouragé encore par la canonisation des deux saintes de la patrie : sainte Jeanne d'Arc et sainte Marguerite-Marie, car toutes deux ont été les apôtres du règne social du Christ. Jeanne d'Arc, auprès de Charles VII[6] et Marguerite-Marie, à la cour de Louis XIV.

Ce magnifique mouvement qui porte l'élite de la France catholique aux pieds du Roi des nations s'accentue de plus en plus et ainsi la question de la Royauté du Christ, tout en restant une question essentiellement universelle, deviendra néanmoins la question française par excellence.

D'une importance souveraine pour la paix du monde et pour la prospérité de la France, la Royauté sociale du Christ s'impose avec une actualité poignante. Cette actualité s'affirmera toujours davantage. De plus en plus la question du Règne social du Christ se posera, de plus en plus elle se discutera, car la lutte va s'engager entre les partisans déclarés du Christ et de sa civilisation et les tenants de la civilisation païenne et athée. La lutte n'est pas là, disent les clairvoyants.

« Le monde est arrivé à un point où il doit périr ou renaître. Tous les entre-deux seront broyés par la destruction ou rejetés avec dédain par la reconstruction[7] ».

Point n'est besoin maintenant d'expliquer qu'une question si capitale et si actuelle doit être étudiée avec soin.

Combien elle est ignorée ! C'est la question la plus méconnue de nos contemporains. L'élite intellectuelle elle-même semble ne pas savoir qu'il y a une doctrine sociale chrétienne, une politique chrétienne. C'est pour aider à combattre cette ignorance que nous avons essayé ce modeste travail.

En le composant, nous avons pensé non seulement aux fidèles épris de zèle pour la grande cause du Christ-Roi, mais encore aux hommes instruits qui cherchent la vérité, surtout aux élèves en théologie.

Dans leurs manuels, la question de la Royauté de Jésus-Christ est traitée trop sommairement pour qu'ils puissent y attacher l'importance qu'elle mérite.

Aidés par cette étude, ils auront une idée plus exacte, plus complète et saisiront mieux la haute portée sociale de ce titre de Roi que nous donnons au Christ et, devenus prêtres, ils seront les apôtres ardents et les chevaliers sans reproche du Roi Jésus.

Mais comment procéder dans cette question ? Comment arriver avec sécurité aux conclusions hardies qu'elle comporte ?

Il nous faut pour guide un Maître approuvé par l'Église, un docteur contemporain, connaissant à fond les bouleversements sociaux de ces derniers siècles et ayant traité avec précision la question qui nous occupe.

Ce Maître, c'est le Cardinal Pie, évêque de Poitiers.

Le Cardinal Pie jouit déjà dans l'Église de toute l'autorité d'un docteur. Les papes l'ont loué. Pie IX lui écrivait en 1875 à l'occasion de la publication de ses œuvres :

« Non seulement vous avez toujours enseigné la saine doctrine, mais avec votre talent et l'éloquence qui vous distingue, vous avez touché avec tant de finesse et de sûreté les points qu'il était nécessaire ou opportun d'éclairer, selon le besoin de chaque jour, que pour juger sainement les questions et savoir y adapter sa conduite, il suffisait à chacun de vous avoir lu[8] ».

En 1879, Léon XIII créait cardinal l’Évêque de Poitiers, cette nomination, suivant de si près la publication de ses œuvres, est une approbation implicite de sa doctrine. Pie X, donnant audience au Séminaire français, déclarait avoir "lu et relu souvent"[9] les œuvres du Cardinal Pie. Et la première encyclique du saint Pape reproduisait en grande partie la première lettre pastorale de Mgr Pie à son diocèse de Poitiers[10].

Enfin le Cardinal Gasparri, au nom de Benoît XV, écrivant au Chanoine Vigué pour sa publication des Pages choisies du Cardinal Pie, loue en ces termes ces pages

« où l'évêque de Poitiers apparaît dans ce rôle de docteur qu'il remplit avec tant d'éloquence et d'autorité ; il y apparaît comme un adversaire redoutable du naturalisme, du libéralisme et des restes insidieux du gallicanisme. Nul n'exposa avec plus de clarté, contre les diverses formes du naturalisme, l'obligation primordiale qui incombe à tout homme d'adhérer à la Révélation surnaturelle et nul ne défendit avec plus d'éclat contre le libéralisme les droits imprescriptibles de Dieu et de l'Église dans l'organisation de la société... L'action que le Cardinal Pie a exercée de son vivant est de celles qui doivent se perpétuer au sein du clergé français et dans l'Église universelle[11] ».

Nous avons donc un éloge ininterrompu donné par les Souverains Pontifes à notre guide dans le sujet que nous traitons[12].

Le Cardinal Pie est notre contemporain. Mort en 1880, il n'a pas connu, il est vrai, toutes nos lois de déchristianisation sociale. Toutefois, remarque le Cardinal Billot, «  ce qui est advenu de nouveau n'a été qu'une évolution de l'état de choses qui existait de son temps ; ce ne fut que le développement des principes dont il avait vu avec une rare pénétration les conséquences et les suites ; le résultat des institutions, des opinions, des doctrines qu'il n'avait cessé de combattre pendant tout le cours de sa carrière ».

Enfin, le Cardinal Pie a traité notre sujet. A la vérité, il n'a jamais donné une étude ex professo sur le règne du Christ, mais tout lecteur de ses œuvres reconnaît facilement que le règne social de Jésus-Christ fut son grand objectif[13].

Lui-même, un an avant sa mort, recevant la barrette cardinalice, le disait au président de la République en ces termes :

« Une obligation plus étroite m'est imposée d'employer les derniers restes de ma vie, les dernières ardeurs de mon âme, à inculquer à nos contemporains la sentence apostolique dont les trente années de mon enseignement pastoral n'ont été que le commentaire, à savoir : « Que personne ne peut poser un autre fondement en-dehors de celui qui a été posé par la main de Dieu et qui est le Christ Jésus » et que, pour les peuples comme pour les individus, pour les sociétés modernes comme pour les sociétés antiques, pour les républiques comme pour les monarchies « il n'y a point sous le ciel d'autre nom donné aux hommes dans lequel ils puissent être sauvés, si ce n'est le nom de Jésus-Christ[14] ».

D'autres lui rendent ce témoignage [15] . Le R.P. Longhaye, annonçant les huit premiers volumes de ses œuvres, écrit dans une sorte d'épilogue :

« Il y a unité dans cette œuvre épiscopale, si multiple et si diverse en apparence... c'est le surnaturel, c'est le droit de Jésus-Christ à régner socialement, revendiqué par une affirmation incessante, variée à l'infini dans ses formes comme les rébellions qu'elle combat, toujours une dans son fond comme la vérité qu'elle proclame... S'il fallait une épigraphe aux œuvres de Mgr de Poitiers, quelle autre choisir que le cri passionné de saint Paul : "Il faut qu'Il règne, Oportet autem illum regnare" ? Tout y est plein de cette pensée. Elle préoccupe dès 1844 le jeune et éloquent panégyriste de Jeanne[16]. Elle inspire en 1848 le grand vicaire de Chartres appelé, chose piquante, à bénir un arbre de la liberté[17]. L'évêque lui devra ses plus fiers accents. J'oserais presque dire qu'il lui devra tout ; car dans son enseignement répandu selon le jour et le besoin, sans intention d'unité ni de méthode, prédication solennelle, homélies familières, entretien avec le clergé, polémique avec les ministres, la pensée du règne social de Jésus-Christ reparaît toujours. Là même où elle n'est pas directement en vue, on la sent qui circule pour ainsi dire à fleur des choses, comme un feu latent qui donne à tout chaleur et vie. Ainsi I'œuvre devient une, et en jetant sa parole à tout vent comme une semence, le maître a fait un livre sans le prétendre et sans le savoir[18] ».

Ainsi, Mgr Pie a enseigné le Règne social de Jésus-Christ et il a osé le faire en face de l’opposition formidable de la société contemporaine. L'Église par la voix officielle de ses papes l'a loué. Nous ne pouvons donc mieux faire que d’aller demander à ce chevalier du Christ les principes d'après lesquels doit régner notre Roi.

Comment avons-nous procédé dans ce travail ?

Écartons d'abord certaines formules chères à quelques modernes : nous ne faisons pas l'histoire d'une pensée, comme si la pensée de ce règne avait évolué dans l'esprit de Mgr Pie. Non, cette pensée a pour lui et dès ses débuts toute la force et toute la précision d'un dogme[19].

Nous avons seulement compulsé toutes les œuvres du Cardinal Pie (œuvres sacerdotales et épiscopales) en en dégageant les pensées qui se rapportent au Règne du Christ. Groupant ces pensées, nous avons essayé de réduire comme en une synthèse tout son enseignement sur ce sujet capital. Ce modeste travail voudrait être un traité suivi et logique de ce qui est épars dans les douze volumes de l'évêque de Poitiers[20]. C'est bien sa doctrine intégrale que nous livrons dans cette étude, dont le plan seul est nôtre dans ses grandes divisions et dans la structure de chacune d'elles. Voici ce plan. Il comporte quatre parties.

1° Jésus-Christ est Roi des nations. Les nations Lui doivent obéissance.

2° Les nations modernes sont révoltées contre Lui. Conséquences de leur rébellion.

3° Comment restaurer ce Règne social ? les Restaurateurs et leurs devoirs ; le programme de restauration ; les difficultés ; les Modèles du gouvernement chrétien.

4° L'avenir de la Royauté sociale du Christ.

Cette division, qui semble disséquer les idées, donnera à notre travail une forme un peu aride et comme scolastique. Le lecteur nous le pardonnera s'il y gagne la précision sur un sujet, traité ordinairement en forme plus oratoire que didactique.

Toutefois, en publiant ce travail qui pourra suffire à documenter avec précision, ceux qui ne possèdent pas les œuvres complètes de Mgr Pie, nous ne prétendons nullement dispenser ceux qui en auraient le loisir, de l'étude directe et de la lecture attentive de L'œuvre intégrale du grand évêque[21]. Tout au contraire, nous ne saurions trop leur recommander cette lecture méditée et suivie. Elle leur donnera de suppléer aux lacunes de notre synthèse et complétera la pensée que nous avons voulu mettre en relief.

Nous ne croyons pas non plus que Mgr Pie ait épuisé le sujet et nous ait donné un traité auquel on ne puisse ajouter. On s'apercevra vite, dans la première partie, par exemple, que les preuves scripturaires et patristiques ne sont indiquées que sommairement. On regrettera aussi de n'y pas trouver une étude spéciale sur la nature intime et le caractère tout d'amour de cette Royauté.

Il faut le reconnaître cependant : l'évêque de Poitiers a donné toutes les grandes lignes d'un vaste et magnifique édifice doctrinal sur la Royauté du Christ.

Toute notre ambition comme toute notre récompense aura été de montrer dans le Cardinal Pie, le Docteur de la Royauté sociale du Christ et le chef qui doit nous entraîner au bon combat pour la restauration sociale chrétienne.

Première partie - Jésus-Christ est le Roi des Nations - Les nations lui doivent obéissance


Comme le titre l'indique, nous exposons d'abord les preuves de la royauté sociale de Jésus-Christ ; nous traitons ensuite de l'obligation qui s'impose aux nations de reconnaître cette royauté.


Section I : Jésus-Christ est le Roi des Nations

Chapitre I : Preuve de la Royauté de Jésus-Christ

Quelques preuves scripturaires. - Les deux textes commentés de préférence par le Cardinal Pie.


Le 8 novembre 1859, Mgr Pie, prêchant à Nantes le panégyrique de saint Émilien, en prenait occasion de poser magnifiquement la thèse du Christ-Roi.

« Jésus-Christ, disait-il, est roi ; il n'est pas un des prophètes, pas un des évangélistes et des apôtres qui ne Lui assure Sa qualité et Ses attributions de roi. Jésus est encore au berceau, et déjà les Mages cherchent le roi des Juifs Ubi est qui natus est, rex Judœrum ? Jésus est à la veille de mourir : Pilate lui demande : Vous êtes donc roi : Ergo rex es tu? Vous l'avez dit, répond Jésus. Et cette réponse est faite avec un tel accent d'autorité que Pilate, nonobstant toutes les représentations des Juifs, consacre la royauté de Jésus par une écriture publique et une affiche solennelle. Et faisant siennes les paroles de Bossuet, Mgr Pie continue : « Écrivez donc, écrivez, ô Pilate, les paroles que Dieu vous dicte et dont vous n'entendez pas le mystère. Quoi que l'on puisse alléguer et représenter, gardez-vous de changer ce qui est déjà écrit dans le ciel. Que vos ordres soient irrévocables, parce qu'ils sont en exécution d'un arrêt immuable du Tout-puissant. Que la royauté de Jésus-Christ soit promulguée en la langue hébraïque, qui est la langue du peuple de Dieu, et en la langue grecque, qui est la langue des docteurs et des philosophes, et en la langue romaine qui est la langue de l'empire et du monde, la langue des conquérants et des politiques. Approchez, maintenant, ô Juifs, héritiers des promesses ; et vous, ô Grecs, inventeurs des arts ; et vous, Romains, maîtres de la terre ; venez lire cet admirable écriteau ; fléchissez le genoux devant votre Roi[22] ».

Ce sont là quelques preuves scripturaires de la royauté de N.-S., Mgr Pie en donne d'autres ça et là dans ses œuvres[23]. Nous ne pouvons les recueillir toutes, parfois pour leur brièveté, mais sur deux d'entre elles : la mission que J.-C. donne à Ses apôtres, et la prière du Pater, il s'arrête davantage.

« Entendez, nous dit-il, les derniers mots que N.-S. adresse à Ses apôtres, avant de remonter au ciel : Toute puissance M'a été donnée au ciel et sur la terre. Allez donc et enseignez toutes les nations. Remarquez, mes frères, Jésus-Christ ne dit pas tous les hommes, tous les individus, toutes les familles, mais toutes les nations. Il ne dit pas seulement : Baptisez les enfants, catéchisez les adultes, mariez les époux, administrez les sacrements, donnez la sépulture religieuse aux morts. Sans doute, la mission qu'Il leur confère, comprend tout cela, mais elle comprend plus que cela, elle a un caractère public, social car Jésus-Christ est le roi des peuples et des nations. Et comme Dieu envoyait les anciens prophètes vers les nations et vers leurs chefs pour leur reprocher leurs apostasies et leurs crimes, ainsi le Christ envoie Ses apôtres et Son sacerdoce vers les peuples, vers les empires, vers les souverains et les législateurs pour enseigner à tous Sa doctrine et Sa loi. Leur devoir, comme celui de saint Paul, est de porter le nom de JésusChrist devant les nations et les rois et les fils d'Israël » (III, 514).

Ainsi, Jésus-Christ donne à Ses apôtres la mission officielle de prêcher son règne social, bien plus, Il veut que ce règne soit proclamé par tous les fidèles. Il le fera demander chaque jour par tout chrétien dans la prière du Pater.

« Jamais, nous dit l'évêque de Poitiers, le divin fondateur du Christianisme n'a mieux révélé à la terre ce que doit être un chrétien, que quand il a enseigné à Ses disciples la façon dont ils devaient prier. En effet, la prière étant comme la respiration religieuse de l'âme, c'est dans la formule élémentaire qu'en a donnée Jésus-Christ qu'il faut chercher tout le programme et tout l'esprit du christianisme. Écoutons donc la leçon actuelle du Maître. Vous prierez donc ainsi, dit Jésus. Sic ergo vos orabitis. Notre Père qui êtes dans les cieux, que Votre nom soit sanctifié, que Votre règne arrive, que Votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». (III, 497-498).

Mgr Pie, reprenant le Pater, démontre que ces trois demandes se résument et se condensent en une, celle du règne public, social, car, explique-t-il, le nom de Dieu ne peut être sanctifié pleinement et totalement s'il n'est reconnu publiquement, la volonté divine n'est pas faite sur la terre comme au ciel si elle n'est pas accomplie publiquement et socialement[24]. Et il conclut :

« Le chrétien, ce n'est donc pas comme semble le croire et comme l'affirme tous les jours et sur tous les tons un certain monde contemporain, ce n'est donc pas un être qui s'isole en lui-même, qui se séquestre dans un oratoire indistinctement fermé à tous les bruits du siècle et qui, satisfait pourvu qu'il sauve son âme, ne prend aucun souci du mouvement des affaires d'ici-bas. Le chrétien, c'est le contre-pied de cela. Le chrétien, c'est un homme public et social par excellence, son surnom l'indique : il est catholique, ce qui signifie universel. Jésus-Christ, en traçant l'oraison dominicale, a mis ordre à ce qu'aucun des siens ne pût accomplir le premier acte de la religion qui est la prière, sans se mettre en rapport, selon son degré d'intelligence et selon l'étendue de l'horizon ouvert devant lui, avec tout ce qui peut avancer ou retarder, favoriser ou empêcher le règne de Dieu sur la terre. Et comme assurément les œuvres de l'homme doivent être coordonnées avec sa prière, il n'est pas un chrétien digne de ce nom qui ne s'emploie activement dans la mesure de ses forces, à procurer ce règne temporel de Dieu et à renverser ce qui lui fait obstacle ». (III, 500-501)

L'évêque de Poitiers ajoutait une très grande importance à cette preuve tirée de notre prière quotidienne, et il n'oubliait jamais d'apporter cet argument irrésistible en faveur de la Royauté sociale de Notre-Seigneur[25].

 

Chapitre II : Titres de Jésus-Christ à la Royauté

Droit de naissance. - Droit de conquête. - Comment Jésus-Christ a conquis sa Royauté ? - Conclusion.


Jésus-Christ est Roi des nations. Mgr Pie l'a prouvé par l'Écriture. Mais quels sont ses titres à la Royauté ?

L'importance de ces titres ne lui a pas échappé. Il les indique dans son panégyrique de saint Émilien, où parlant de cette royauté il dit :

« Elle date de loin et elle remonte haut cette universelle royauté du Sauveur. En tant que Dieu, Jésus-Christ était roi de toute éternité ; par conséquent, en entrant dans le monde, il apportait avec Lui déjà la royauté. Mais ce même Jésus-Christ, en tant qu'homme, a conquis Sa royauté à la sueur de Son front, au prix de Son sang » (III, 512).

Le grand évêque ramène ainsi à deux les titres de Jésus-Christ à la royauté : le droit de naissance et le droit de conquête. Ce dernier, la conquête, lui donne thème à un magistral développement dans une homélie[26] qu'il consacre précisément à l'universalité de la royauté de Jésus-Christ. Voici ce passage :

« Assurément le nom et l'attribut de Maître et Dominateur suprême appartient par droit de nature au Fils de Dieu fait homme : c'était l'apanage obligé de la personnalité divine.

« Mais, à son droit de naissance, Il a eu la noble ambition de joindre le droit de conquête, il a voulu posséder à titre de mérite, et comme conséquence des actes de Sa volonté humaine, ce que la nature divine lui octroyait déjà par collation. Et quelle a été la source de ce mérite ? De quels combats victorieux, cette conquête a-t-elle été le prix ?

« Dans son épître aux Philippiens, saint Paul nous l'apprend : «  Étant l'image vivante et consubstantielle du Père, et ne commettant point d'usurpation en revendiquant d'être égal à Dieu, Il s'est pourtant anéanti Lui-même, prenant la forme de l'esclave et devenant semblable aux hommes. Que dis-je ? Il s'est humilié Lui-même, Se rendant obéissant jusqu'à la mort et jusqu'à la mort de la croix. Or, poursuit l'apôtre, voilà pourquoi Dieu L'a exalté et Lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu'au nom de Jésus, tout genou fléchisse au ciel, sur la terre et dans les enfers. Chacune des paroles du texte sacré a besoin d'être pesée. Entendez-vous : Exinanivit semetipsum. Il s'est anéanti Lui-même, il s'est abaissé Lui-même. Lucifer aussi est descendu, il a été abaissé au-dessous de son rang primitif. Mais ce n'est pas de lui-même, qu'il est descendu. Bien au contraire, par un sentiment orgueilleux, de lui-même, par un effet sacrilège de sa volonté, par un crime de lèse-majesté divine, il a voulu se grandir, se hausser au-delà de sa propre stature ; il a dit : Je monterai et je serai semblable au Très-Haut, et c'est par châtiment, c'est par punition qu'il est déchu de son état premier. Pareillement l'homme est tombé au-dessous de lui-même et de sa dignité native ; mais pour lui aussi ç'a été la juste peine infligée à l'ambition dont il s'était laissé séduire et eritis sicut dii, scientes bonum et malum : Vous serez comme des dieux, sachant le bien et le mal. Il n'en a point été ainsi du Verbe Incarné. C'est librement, c'est par choix, c'est par amour pour nous, que le Fils de Dieu, égal et consubstantiel à Son Père, a résolu de s'abaisser jusqu'à prendre notre nature. Puis, ayant poursuivi ce dessein, c'est par un acte méritoire de Sa volonté humaine et de Ses facultés créées que non content de s'être fait homme, Il S'est fait esclave, qu'Il a choisi la confusion de préférence à la gloire, la pauvreté de préférence à la richesse, la souffrance de préférence à la joie et finalement qu'Il a poussé le sacrifice jusqu'à l'acceptation de la mort et de la mort de la Croix.

« Or, dit le grand Apôtre, à cause de cela, propter quod et abstraction faite du nom, du rang et de l'empire que lui assurait Sa céleste origine, Dieu L'a exalté et Lui a donné un nom au-dessus de tout nom (VIII, 58-59) en l'établissant, à un titre nouveau, celui de conquête, Roi, Maître et Dominateur suprême.

Peut-on mieux établir que ne le fait ici Mgr Pie les titres de Jésus-Christ à une royauté universelle ? Il ne lui reste plus qu'à conclure avec saint Paul, en exigeant des hommes une soumission universelle.

« Tout genou, s'écrie-t-il, omne genu, toute langue, omnis lingua. N'établissez donc point d'exceptions là où Dieu n'a pas laissé place à l'exception : in eo enim quod omnia ei subjecit, nihil dimisit non sujectum. L'homme individuel et le chef de famille, le simple citoyen et l'homme public, les particuliers et les peuples, en un mot tous les éléments quelconques de ce monde terrestre doivent la soumission et l'hommage à Jésus Roi[27] ».


Section II : Les nations doivent reconnaître la royauté du Christ

Chapitre unique : Exposé de la doctrine

L'affirmation de l'Écriture. - Remarque importante du Cardinal Pie pour l'interprétation des textes. - Identité des trois Règnes : de Dieu, de Jésus-Christ et de l'Église. - L'enseignement des Pères et en particulier de saint Augustin. Réfutation des objections scripturaires et patristiques. - La preuve de tradition. - La preuve de raison. - Conclusion.


La soumission et l'hommage de toute créature : telle est la conséquence de la Royauté de Jésus-Christ. Nous avons tous la rigoureuse obligation de reconnaître notre Roi Jésus-Christ et de nous soumettre à ses lois. Mgr Pie a traité avec la même ampleur de cette obligation qui atteint tous les individus[28], mais ne perdant pas de vue son thème spécial qui est la royauté sociale du Sauveur, c'est aux peuples eux-mêmes, en tant que peuples et par conséquent à leurs chefs en tant que chefs, qu'empruntant les paroles de l'Écriture, il intime l'obligation de reconnaître Jésus-Christ Roi.

« Venez, ô patries des peuples, s'écrie-t-il avec David, venez apporter au Seigneur l'honneur et la gloire, venez Lui offrir la gloire due à Son nom. Prenez des victimes et entrez dans Ses parvis. Que toute la terre soit émue devant Sa face, dites parmi les nations que le Seigneur a régné » (ps. 95). « Tous les rois de la terre L'adoreront, toutes les nations Le serviront. Les peuples marcheront dans Sa lumière, les rois dans la splendeur de Son lever » (ps. 71), et avec Isaïe : « Épanchez, Seigneur, le flot de Votre courroux sur les nations qui n'ont voulu pas Vous connaître et sur les royaumes qui n'ont pas invoqué Votre nom. Toute nation et tout royaume qui ne Vous aura pas servi périra ». (Isaïe LX, 12).

Ces textes[29], il est vrai, apportés par l'évêque de Poitiers, pourront paraître à quelques-uns ne point s'appliquer à la Royauté de Jésus-Christ, car quelle apparence que David et Isaïe, parlant de Dieu en général, aient visé Jésus-Christ en particulier ? C'est cependant ainsi qu'il faut les entendre. Mgr Pie, suivant toute la tradition catholique dans un de ses enseignements les plus essentiels, ne distingue absolument pas entre le règne de Dieu et celui de Jésus-Christ et il identifie avec ces deux règnes, celui de l'Église. Voici sa déclaration formelle : « Le règne visible de Dieu sur la terre, c'est le règne de Son Fils incarné, et le règne visible du Dieu incarné, c'est le règne permanent de Son Église[30] ».

« Le dogme catholique consiste tout entier dans l'enchaînement de ces trois vérités : Un Dieu qui réside au ciel ; J.-C. le Fils de Dieu envoyé vers les hommes ; l'Église organe et interprète permanent de J.-C. sur la terre. Or ces trois vérités liées l'une à l'autre sont le triple faisceau qu'il est impossible de rompre. Mais ne touchez pas à une seule de ces vérités, bientôt il ne resterait plus rien des deux autres.

« Il est au ciel un Dieu, un Dieu bon, mais juste, un Dieu qui commande la vertu et qui défend le vice... Voilà, sans doute, la raison première de la morale, voilà la racine de toute obligation. Mais je m'aperçois qu'à elle seule cette vérité sera impuissante à régler ma vie, à comprimer mes penchants. Je sens que mon intelligence, maîtrisée par mes passions, va se figurer cet Être suprême selon ses caprices... Si Dieu ne s'exprime pas plus clairement qu'Il ne l'a fait par notre raison affaiblie, à coup sûr Dieu sera bientôt tout ce que notre propre intérêt voudra qu'Il soit. Trente siècles d'idolâtrie sont là pour le prouver.

« Dieu, cela suffit assurément ; mais au moins que ce Dieu parle, qu'Il S'exprime d'une façon claire et positive ! En effet, nous dit le dogme chrétien, ce Dieu est descendu sur la terre, Il S'est incarné, Il a habité parmi nous ; Il nous a laissé le code de morale, le livre de Sa doctrine, l'expression de Ses volontés. J.-C. et Son Évangile, sans doute, voilà le régulateur de notre vie, voilà le guide de toutes nos actions. Mais je prends cet Évangile, et je ne tarde pas à m'apercevoir, que s'il est abandonné entre mes mains, bientôt toute la substance de ce livre céleste va se dissiper et se réduire à néant. L'Évangile n'est qu'une lettre morte : le caprice et l'intérêt de chacun en feront l'interprétation et le commentaire. Tous les mauvais penchants feront parler l'Évangile selon leur plaisir : les incroyables attentats de l'hérésie contre l'Évangile sont là pour le prouver. Si Dieu est venu sur la terre et s'Il a laissé aux hommes l'Évangile, que Lui-même Se charge d'en fixer le sens, d'en expliquer la pensée : autrement il y aura autant d'Évangiles différents que de différentes passions qui le liront... Et en effet, nous dit le dogme catholique, J.-C. a établi sur la terre une autorité infaillible, un tribunal suprême chargé, jusqu'à la fin des siècles, d'interpréter l'Évangile. Il a remis Son Code aux mains de l'Église, et Il l'assiste de Sa grâce pour qu'elle en explique toujours le véritable sens. A elle, le soin de dirimer les discussions, de trancher les doutes, de prononcer les jugements. Ah ! voilà cette fois la raison dernière, et sans réplique, du devoir ; voilà le fondement inébranlable de la morale : c'est le roc immobile du dogme catholique. Devant ces trois autorités jointes ensemble, toutes mes objections tombent d'elles-mêmes : je n'ai qu'à m'incliner et à obéir.

« Retranchez pour moi l'autorité de Dieu et la sanction éternelle du ciel et de l'enfer, ou bien retranchez J.-C. et Son Évangile ; ou bien seulement l'Église et son interprétation qui ne trompe pas : alors je ne croirai plus rien que ce qui me plaira de croire et par conséquent je ne ferai plus rien que ce qu'il me plaira de faire. Retranchez l'Église et je ne croirai plus à l'Évangile ; car je comprends et j'adopte la logique du grand Augustin.

Impossible que Dieu ait voulu jeter aux hommes un éternel brandon de discorde ; si Dieu n'a pas établi sur terre un interprète de Sa parole, il faut dire que Dieu n'a jamais parlé ; s'il n'existe pas d'Église, il n'existe pas d'Évangile : Evangelio non crederem nisi me Ecclesiæ commoveret auctoritas. Retranchez l'Évangile, et j'arriverai aisément à douter de Dieu. Doutant de toute vérité, je douterai de toute vertu et de tout bien, hormis mon intérêt...

Œuvres sacerdotales, I, 317-318-319-320. Sur l'union de la morale avec la foi et les pratiques chrétiennes, 1841 et 1847. Ailleurs, il nous explique pourquoi il en coûte toujours peu de parler de Dieu, mais beaucoup plus de parler de J.-C. et de l'Église. Le lecteur goûtera cette fine analyse psychologique : « Il est des hommes qui parlent emphatiquement de Dieu, de l'Être suprême : cela coûte peu. Après tout, Dieu c'est une sorte d'abstraction, tant qu'Il reste dans Son ciel, Il n'est pas trop à craindre, et puis notre raison Lui donne les couleurs que nous voulons qu'Il ait. Mais J.-C., c'est-à-dire Dieu fait homme, Dieu au milieu de nous, Dieu parlant, commandant, menaçant, ah ! voilà qui est beaucoup trop sérieux. Que Dieu règne sur nous du haut du ciel, à la bonne heure ! mais celuici : hunc, nous n'en voulons point : Nolumus hunc regnare super nos.

D'autres admettent encore J.-C. et Son Évangile. J.-C. a prouvé Sa divinité, il faut bien y croire. Il nous a donné l'Évangile, il faut bien le recevoir. D'ailleurs, l'Évangile renferme de grandes beautés. Certains hommes protègent l'Évangile. Passe donc pour l'Évangile ! Mais l'Église catholique, avec son tribunal suprême, son interprétation sévère et inflexible de chaque mot de l'Écriture, ah ! voilà qui est beaucoup trop précis ; il n'y a pas même un petit raisonnement à glisser entre la vérité et nous. L'Évangile, à la bonne heure ! mais cette Église, ce corps enseignant, ce Pape, ce Concile, hunc, nous n'en voulons point : Nolumus hunc regnare super nos. Il est encore d'autres hommes qui acceptent la religion telle qu'elle est ; ils aiment la religion, elle est nécessaire ; elle a été avant nous, elle sera après. Mais les prêtres, c'est-à-dire les instruments immédiats, les seuls instruments par lesquels la religion, sortant de la généralité puisse s'appliquer à l'individu, à l'homme, oh ! c'est autre chose. La religion, c'est une sorte d'abstraction encore qui ne gêne pas beaucoup. La religion, par exemple, dit bien qu'il faut se confesser ; mais s’il n'y avait qu'elle, elle ne confesse pas ; la religion, mais le prêtre, l'homme de la religion, l'homme de la confession, oh ! voilà qui nous touche de trop près. La religion, oui, mais le prêtre, celui-ci, hunc, nous n'en voulons pas : Nolumus hunc regnare super nos. Œuvres sacerdotales I, 143-144. (Sur l'importance d'étudier la religion chrétienne) 1840.

Citons maintenant dans les Œuvres épiscopales quelques passages où Mgr Pie affirme l'identité des trois règnes : « Dieu S'étant incarné dans le Christ et le Christ continuant de vivre, d'enseigner et d'agir dans Son Église, tout ce qui dépend de Dieu dans l'ordre des choses spirituelles, religieuses et morales dépend conséquemment de Jésus-Christ et de l'Église » IV, 249. Lettre au ministre de l'instruction publique, 16 juin 1861.

« Il n'y a pas de force hors de Dieu. Dieu n'est pas hors de Son Christ. Le Christ n'est pas hors de l'Église ». IX, 123 (Lettre pastorale concernant la consécration au Sacré-Cœur de Jésus 1er juin 1875. Cf. aussi : IV, 283).

« Dès là que le symbole de notre foi nous apprend que Dieu, par l'Incarnation de Son Fils, est descendu dans Son œuvre, qu'il a donné Son Évangile à la terre et qu'il y a institué une puissance souveraine pour l'interpréter et l'appliquer, les devoirs des peuples envers Jésus-Christ se confondent avec leurs devoirs envers Dieu ». Lettre pastorale au sujet de l'établissement canonique de la faculté de théologie de l'Université de Poitiers. 25 novembre 1875, IX, 283.

Ne séparons donc jamais Dieu, Jésus-Christ et l’Église. Le symbole chrétien ne nous le permet pas. Souvenons-nous que Jeanne d'Arc répondit hardiment à ses juges qui voulaient lui faire distinguer Jésus-Christ de l'Église : « Je crois que N.-S. et l'Église, c'est tout un et qu’il ne doit point y avoir de difficulté là-dessus ». Interrogatoire du samedi 17 mars 1431.

 

C'est pourquoi Mgr Pie peut apporter à l'appui du règne de J.-C. tout ce que les prophètes ont dit du règne de Dieu et y ajouter tout ce que les Pères ont dit ensuite du règne de l'Église.

C'est en ce sens qu'il cite saint Augustin dans ses lettres à Macédonius, haut fonctionnaire de l'empire, et à Boniface Comte d'Afrique. Écoutons le grand docteur cité par Mgr Pie :

« Sachant que vous êtes un homme sincèrement désireux de la prospérité de l'État, écrit saint Augustin à Macédonius, je vous prie d'observer combien il est certain par l'enseignement des Saintes Lettres que les sociétés publiques participent aux devoirs des simples particuliers et ne peuvent trouver la félicité qu'à la même source. Bienheureux, a dit le Roi-prophète, le peuple dont Dieu est le Seigneur. Voilà le vœu que nous devons former dans notre intérêt et dans l'intérêt de la société dont nous sommes les citoyens ; car la patrie ne saurait être heureuse à une autre condition que le citoyen individuel, puisque la cité n'est autre chose qu'un certain nombre d'hommes rangés sous une même loi ».

Et dans l'une de ses admirables lettres au gouverneur Boniface il ajoutait :

« Autre chose est pour le prince de servir Dieu en sa qualité d'individu, autre chose en sa qualité de prince. Comme homme, il le sert en vivant fidèlement ; comme roi, en portant des lois religieuses et en les sanctionnant avec une vigueur convenable. Les rois, poursuit-il, servent le Seigneur en tant que rois quand ils font pour Sa cause ce que les rois seuls peuvent faire ». Et ailleurs : « Nous appelons heureux les empereurs chrétiens, s'ils mettent principalement leur puissance au service de la majesté divine pour l'accroissement de Son règne et de Son culte[31] ».  

Donnant cette doctrine intégrale de la Royauté de Jésus-Christ, Mgr Pie ne pouvait manquer de rencontrer devant lui l'opposition de ces catholiques qu'on appelle libéraux et dont le groupe était particulièrement puissant à l'époque où l'évêque de Poitiers donnait ses enseignements[32].


Ils lui objectaient la parole du Christ : Mon royaume n'est pas de ce monde. Il répond avec toute la tradition catholique que cette parole de Jésus à Pilate indique simplement que le royaume de Jésus est avant tout un royaume spirituel qui s'établit par la puissance divine et non par la force des armes. Mais il ne résulte aucunement de ces paroles, que Jésus ne veuille pas régner socialement, c'est-à-dire imposer ses lois aux souverains et aux nations. Les textes cités précédemment déterminent le sens des paroles du Christ. (III, 513).

Ils objectaient aussi que les textes scripturaires se rapportaient à l'ancienne nation d'Israël régie par une constitution théocratique. Il prouve que ces textes sont généraux et s'appliquent à tous les peuples et à toutes les nations, quelle que soit la forme de leur gouvernement.

« Jésus-Christ, écrit-il, n'a point dicté aux nations chrétiennes la forme de leur constitution politique. En cette matière, le temps, les volontés et surtout les passions des hommes peuvent quelquefois amener et nécessiter des changements. Il y a là un élément humain sujet aux vicissitudes de la terre. Mais quelque forme que prennent les gouvernements humains, une condition essentielle s'impose instinctivement à eux, c'est leur subordination à la loi divine. Le domaine de Dieu sur les peuples n'est pas moins absolu que Son domaine sur les particuliers[33] ».

« Ils lui objectaient encore certains Pères de l'Église comme opposés à ce que les princes portassent des lois religieuses. Mgr Pie oppose à l'insinuation le plus catégorique démenti : « Si plusieurs princes, dit-il, encore néophytes et trop peu déshabitués des allures absolutistes du césarisme païen ont changé dès l'origine en oppression leur protection légitime ; s'ils ont (ordinairement dans l'intérêt de l'hérésie et à la requête d'évêques hérétiques) procédé avec une rigueur qui n'est pas selon l'esprit du christianisme, il s'est trouvé dans l'Église des hommes de foi et des hommes de cœur, tels que nos Hilaire et nos Martin[34], tels que les Athanase et les Ambroise pour les rappeler à l'esprit de la mansuétude chrétienne, pour répudier l'apostolat du glaive, pour déclarer que la conviction religieuse ne s'impose jamais par la violence, enfin pour proclamer éloquemment que le christianisme qui s'était propagé malgré la persécution des princes, pourrait encore se passer de leur faveur et ne devait s'inféoder à aucune tyrannie. Nous connaissons et nous avons pesé chacune des paroles de ces nobles athlètes de la foi et de la liberté de l'Église leur mère. Mais, en protestant contre les excès et les abus, en blâmant des retours intempestifs et inintelligents, parfois même attentatoires au principe et aux règles de l'immunité sacerdotale, jamais aucun de ces docteurs catholiques n'a douté que ce ne fût le devoir des nations et de leurs chefs de faire profession publique de la vérité chrétienne, d'y conformer leurs actes et leurs institutions, et même d'interdire par des lois soit préventives, soit répressives, selon les dispositions des temps et des esprits, les atteintes qui revêtaient un caractère d'impiété patente et qui portaient le trouble et le désordre au sein de la société civile et religieuse[35] ».

Les libéraux poussaient plus loin leurs objections et prétendaient trouver, dans un texte de saint Anselme, une approbation ou une définition formelle de l'Église libre dans l'Etat libre. Ce texte : « Dieu n'aime rien tant ici-bas que la liberté de Son Église ».

« Ce texte mille fois cité, répond l'évêque de Poitiers, a-t-il été vraiment compris ? Ne sait-on pas que cette liberté pour laquelle saint Anselme a combattu, pour laquelle saint Thomas Becket, l'un de ses successeurs sur le siège de Cantorbéry, a succombé, c'était précisément l'immunité ecclésiastique et l'immunité des personnes et des choses saintes ? Grand Dieu ! quelle serait la stupéfaction de ces héros et de ces martyrs de la liberté ecclésiastique, s'ils s'entendaient dire que cette liberté de l'Église consiste simplement dans le droit commun de toutes les doctrines vraies et fausses et dans l'égalité de tous les cultes devant la puissance séculière. Franchement, aucune citation ne pourrait être faite plus à contre sens[36] ».

La preuve traditionnelle ne comprend pas seulement les Pères. Aussi Mgr Pie entend qu'on ajoute à leur témoignage « les canons des Conciles, les Décrétales et les Lettres des Papes, les capitulaires des princes », et il ajoute :

« Nous défions qu'on puisse jamais établir à cet égard, entre la doctrine primitive et la discipline postérieure de l'Église, d'autre divergence et d'autre opposition que celle qui résulte de la diversité de l'application selon la diversité des circonstances. Au début, comme plus tard, dans cette matière comme dans presque toutes les autres la question de conduite est venue se combiner avec la question de principe. Mais le droit, le principe de l'État chrétien, du prince chrétien, de la loi chrétienne, je ne sache pas qu'il ait jamais été contesté jusqu'à ces derniers temps, ni qu'aucune école catholique ait jamais pu entrevoir dans sa destruction, un progrès et un perfectionnement de la société humaine...

« Saint Paul proclame que Dieu a fait Son Fils Jésus chef de toutes choses, et de peur qu'on ne doute de l'universalité de cet empire, l'apôtre ajoute que dans cet assujettissement universel, rien n’a été excepté (Hebr. II, 8) Les nations spécialement Lui avaient été promises en héritage (Ps. II) Or le Fils de Dieu n'a point été frustré de cette glorieuse portion de son apanage. Et la plénitude des nations étant une fois rentrée sous Son sceptre, celles qui auraient le malheur de Le rejeter ont reçu d'avance leur nom de la bouche même du Seigneur. Elles sont ces nations apostates, gentes apostatrices, qui se sont retirées de Dieu et ont sacrilègement brisé le pacte glorieux qu'Il avait daigné faire avec elles ». (V, 179-180)

Telle est dans son ensemble la preuve traditionnelle ajoutée à la preuve scripturaire. Pour suivre l'ordre des démonstrations théologiques, il faut ajouter la preuve de raison qui doit, elle aussi, rendre hommage à la Royauté sociale de Notre Seigneur.

La raison nous apprend que Dieu est l'auteur de la société, non pas seulement en ce sens qu'Il a tiré du néant les individus qui la composent, mais encore parce qu'Il lui a donné la vie propre qui la caractérise : la vie sociale. L'homme, en effet, s'épanouit en famille et la famille en nation, en vertu d'une tendance et suivant des lois qu'il a reçues du Créateur. Et après les avoir fondées, Dieu fait vivre les nations et les gouverne ; Il leur envoie la richesse ou la pauvreté, les victoires ou les défaites, les bénédictions ou les châtiments, suivant qu'elles sont fidèles ou rebelles à sa loi.

Puisque les peuples, en tant que peuples, dépendent ainsi du Créateur, ils doivent, en tant que peuples, reconnaître Son autorité. Ils doivent à Dieu un hommage public, social, national. Voilà la preuve de raison. Mgr Pie nous l'expose dans sa 3è Instruction synodale. Commentant les paroles de saint Paul :

« Dieu, dit-il, a fait naître d'un seul, tout le genre humain ; Il lui a donné le globe entier pour demeure, Il a défini le temps de l'apparition de chaque peuple et lui a marqué le lieu de son établissement. .. .L'ordonnateur suprême a fixé l'heure de chacune des nations, assigné leurs frontières, déterminé leur rôle, réglé leur durée et leur part d'action dans l'œuvre générale (V, 181), et, complétant la preuve de raison par la Révélation qui nous apprend que Dieu a donné les nations en héritage à Son Fils, leur Rédempteur, il s'écrie, faisant siennes les paroles d'un illustre écrivain : Les nations sont voulues de Dieu et conçues dans Votre grâce, ô Jésus-Christ ! A chacune d'elles Vous avez donné une vocation. En chacune d'elles vit une idée profonde qui vient de Vous, qui est la trame de ses destinées[37] ».

Après avoir ainsi constaté, en termes précis et magnifiques, l'action incessante de Dieu sur les nations qu'Il a créées et rachetées par Son Fils, Mgr Pie conclut que les nations en tant que nations, les peuples en tant que peuples sont tenus au même titre que les particuliers « de s'assimiler et de professer les principes de la vérité chrétienne[38] » et de rendre un hommage public et national à Dieu et à Son Christ. Qu'on lise dans la 3è Synodale les développements qu'il donne à cette conclusion. Toute citation, toute coupure les amoindrirait. Il faut les méditer dans le souple et rigoureux enchaînement qu'il leur a donné lui-même[39].

Ainsi, nous croyons avoir dégagé de I'œuvre de Mgr Pie, une véritable thèse théologique, établissant par l'Écriture, la tradition et la raison, que N.-S.J.-C. est véritablement Roi, non seulement du Chrétien individuel, mais des peuples et de leurs chefs.

 

Deuxième partie : L'apostasie des nations modernes et ses conséquences

Section I : L'apostasie des nations modernes

Chapitre unique - L'attitude des nations en face de la Royauté du Christ.

Dans le passé, cette Royauté reconnue. Dans le présent, sécularisation progressive de la société et apostasie des pouvoirs publics.


Cette Royauté sociale de Jésus est-elle acceptée par les nations et par les peuples ? Le Droit chrétien, qui est le code du règne social de N.-S., est-il la règle de conduite des sociétés humaines ?

Mgr Pie jette d'abord un regard sur le passé et il constate que pendant de longs et beaux siècles, la royauté sociale de Jésus-Christ était reconnue par la famille des nations européennes :

« Le droit chrétien, nous dit-il, a été pendant mille ans le droit général de l'Europe » (V, 188-189) et il a été pour elle, en même temps que la source de tous les bienfaits, un principe de gloire incomparable, car, poursuit le grand évêque, nous ne craignons pas de l'affirmer, l'histoire à la main, les temps et les pays chrétiens ont vu plus de grands règnes, des règnes plus purs, plus saints que les temps d'Israël. Qu'on compare les livres des Juges, des Rois et des Machabées avec les annales des nations catholiques et qu'on dise si le désavantage est du côté qui offre ici les Charlemagne et les saint Louis, là les saint Henri d'Allemagne, les saint Étienne de Hongrie, les saint Wenceslas de Bohême, les saint Ferdinand de Castille, les saint Édouard d'Angleterre, enfin tant de princes et de princesses non moins illustres par l'éclat religieux de leur règne que par leurs grandes et royales qualités » (V, 189)

Et à l'objection sur les vices et les crimes de ces époques de foi, il répond ainsi :

« Certes, cette société eut ses vices, et les hommes encore à demi barbares qui la composaient ne purent être tous transformés jusqu'à dépouiller leur première nature. Mais ce qu'on peut affirmer, c'est que tout ce qu'il y eut de nobles sentiments et de grandes actions à cette époque, et il y en eut beaucoup, fut le fruit des doctrines et des institutions, c'est que si le cœur humain resta faible par ses penchants, la société fut forte par sa constitution et ses croyances ; en un mot, c'est que le vice ne découla pas de la loi et que la vertu ne fut pas l'inconséquence et l'exception ». (I, 66-67)

Et encore : « Beaucoup de crimes, assurément, ont été commis alors comme aujourd'hui. L'humanité, depuis les jours de Caïn et Abel, a été et sera toujours divisée en deux camps. Parfois même les passions ont été plus violentes, plus énergiques en face des vertus plus fortes et de la sainteté plus éclatante. Mais personne de sensé ne le niera : tout ce qui subsiste aujourd'hui encore de vraie civilisation, de vraie liberté, de vraie égalité et fraternité a été le produit du christianisme européen ; l'affaiblissement du droit chrétien de l'Europe a été le signal de la décadence et de l'instabilité des pouvoirs humains ; enfin ce que I'œuvre d'ailleurs si négative et si désastreuse des révolutions modernes pourra laisser de bon et de salutaire après elle, aura été la réaction contre des excès et des abus que réprouvait le régime chrétien[40] ».

Le passé, malgré ses vices et ses misères, reste donc la belle époque pour l'Europe. Jésus-Christ était alors reconnu et proclamé Roi des peuples et des nations.

Et le présent ?

« Le présent, c'est Jésus-Christ chassé de la société, c'est la sécularisation absolue des lois, de l'éducation, du régime administratif, des relations internationales et de toute l'économie sociale ». (V, 172) Étudiant la politique contemporaine, Mgr Pie constate qu'elle n'est qu'une vaste conspiration contre le droit chrétien[41].

« Vers quel but, écrivait-il le 27 décembre 1862 au comte de Persigny, ministre de l'Intérieur, vers quel but le monde nouveau fait-il hautement profession de tendre, sinon vers une complète sécularisation, ce qui veut dire, dans le langage actuel, vers la rupture absolue entre la société "laïque" et le principe chrétien ? L'indépendance des institutions humaines par rapport à la doctrine révélée est préconisée comme la grande conquête et le fait culminant de l'ère moderne. Et comme notre siècle est hardi à tirer les conséquences, voici que l'alliance du pouvoir civil et de l'orthodoxie est spéculativement et pratiquement attaquée dans son dernier représentant et dans sa suprême personnification qui est le roi Pontife. La démolition radicale et raisonnée de ce qui reste de la chrétienté européenne : voilà le fait et la théorie qui se dressent en face de nous[42] ».

L'évêque de Poitiers avait déjà, le 28 juillet 1859, dans une belle lettre au Pape Pie IX, formulé un jugement semblable.

Le gouvernement temporel du Vicaire de Jésus-Christ, écrivait-il au Souverain Pontife, est aujourd'hui l'asile à peu près unique de la politique orthodoxe. Quel triomphe pour l'enfer si cette dernière forteresse du droit public chrétien était forcée et renversée. Votre Sainteté, du sommet où Elle réside, l'a discerné mieux que personne : la crise actuelle est moins politique et internationale que religieuse et ecclésiastique. C'est un effort suprême de la Révolution et de l'enfer pour introduire les principes de 89 dans toute l'Italie et jusque dans les États de l'Église, afin que l'Église n'ait plus ni la pensée ni la possibilité de rétablir les principes du Droit chrétien dans les sociétés civiles ». (III, 424)

Quelle profondeur de vue et quelle saine appréciation des tendances du monde moderne ! Comme les faits ont donné raison à Mgr Pie ! Aussi, quelques années plus tard il pouvait s'écrier : « L'erreur dominante, le crime capital de ce siècle, c'est la prétention de soustraire la société publique au gouvernement et à la loi de Dieu ». (VII, 3).

 

Soulignons ces paroles : L'ERREUR DOMINANTE, LE CRIME CAPITAL, C’EST L'APOSTASIE DES NATIONS.

Chassé des gouvernements, le droit chrétien se réfugie-t-il dans les individus ? Y est-il à l'état d'énergique aspiration, de sainte revendication ?

« Hélas ! nous dit Mgr Pie, on veut bien de Jésus-Christ Rédempteur, de Jésus-Christ Sauveur, de Jésus-Christ Prêtre, c'est-à-dire sacrificateur et sanctificateur, mais de Jésus-Christ Roi on s'en épouvante, on y soupçonne quelqu'empiètement, quelqu'usurpation de puissance, quelque confusion d'attributions et de compétence ». (III, 569 ; IX, 126)

Telle est, d'après l'évêque de Poitiers, la situation lamentable du monde moderne, et pour son œil clairvoyant, il est évident que tous les maux qui affligent et menacent la société découlent de cet état d'apostasie générale.

Tous les périls et tous les maux d'une société découlent de ses erreurs et de ses crimes[43] » nous dit-il.

« Dans cette situation politique que plusieurs favorisent aujourd'hui, écrivait le Souverain Pontife, il y une tendance des idées et des volontés à chasser tout à fait l'Église de la société, ou à la tenir assujettie et enchaînée à l'État. La plupart des mesures prises par les gouvernements s'inspirent de ce dessein. Les lois, l'administration publique, l'éducation sans religion, la spoliation et la destruction des ordres religieux, la suppression du pouvoir temporel des Pontifes romains, tout tend à ce but : frapper au cœur les institutions chrétiennes, réduire à rien la liberté de l'Église catholique et à néant ses autres droits ». Lettres apostoliques de S.S. Léon XIII, T. Il p. 37 (Édition Bonne Presse).

 

Section II : Conséquences de cette apostasie

Quelles sont donc, indiquées par le grand évêque, les conséquences funestes de l'erreur dominante et du crime capital des nations modernes ?

Nous les trouvons ça et là éparses dans ses œuvres. Elles sont multiples. Distinguons celles qui regardent le salut des âmes et celles qui concernent l'existence, le développement, la prospérité de la société elle-même.

Chapitre I : Conséquences pour les individus

Ruine des âmes. - Par la perte de la foi. - L'éloignement du prêtre. - L'infiltration profonde de l'enseignement irréligieux.


D'après Mgr Pie, le gouvernement qui a rejeté le droit public chrétien coopère à la damnation d'une multitude d'âmes. Cette affirmation étonne. Elle n'exprime pourtant que la réalité.

La société qui ne veut pas reconnaître Jésus-Christ Roi, fait perdre la foi aux âmes, les éloigne du prêtre, médiateur officiel du salut, et leur enseigne la doctrine funeste du naturalisme. C'est ce que nous allons essayer de démontrer, toujours guidé par la lumineuse doctrine du Cardinal Pie.

Le gouvernement athée détruit la foi, parce que ne voulant pas reconnaître les droits de Jésus-Christ sur les sociétés, il nie par le fait même la divinité de Jésus-Christ et de l'Église.

« Si Jésus-Christ, proclame Mgr Pie dans une magnifique instruction pastorale, si Jésus-Christ qui nous a illuminés, alors que nous étions assis dans les ténèbres et dans les ombres de la mort et qui a donné au monde le trésor de la vérité et de la grâce, n'a pas enrichi le monde, je dis même le monde social et politique, de biens meilleurs que ceux qu'il possédait au sein du paganisme, c'est que I'œuvre de Jésus-Christ n'est pas une œuvre divine. Il y a plus : si l'Évangile qui fait le salut des hommes est impuissant à procurer le véritable progrès des peuples, si la lumière révélée profitable aux individus est préjudiciable aux sociétés, si le sceptre du Christ, doux et bienfaisant aux âmes, peut-être même aux familles, est mauvais et inacceptable pour les cités et les empires ; en d'autres termes, si Jésus-Christ à qui les prophètes ont promis et à qui Son Père a donné les nations en héritage ne peut exercer sa puissance sur elles qu'à leur détriment et pour leur malheur temporel, il faut en conclure que Jésus-Christ n'est pas Dieu[44] ». Et ailleurs, avec beaucoup plus de concision :

« Dire que Jésus-Christ est le Dieu des individus et des familles, et n'est pas le Dieu des peuples et des sociétés, c'est dire qu'il n'est pas Dieu. Dire que le christianisme est la loi de l'homme individuel et n'est pas la loi de l'homme collectif, c'est dire que le christianisme n'est pas divin. Dire que l'Église est juge de la morale privée et qu'elle n'a rien à voir à la morale publique et politique, c'est dire que l'Église n'est pas divine[45] ».

Peut-on prouver en termes plus clairs que l'athéisme social conduit à l'athéisme individuel ? Mais, observera-t-on, l'État laïque ne détruit pas la foi. Il laisse le croyant libre. Il affirme seulement que lui, gouvernement, ne reconnaît pas officiellement les droits de Jésus-Christ et de l'Église, et qu'il se maintient dans ce qu'il appelle "l'incompétence" et la "neutralité". Mgr Pie rejette avec dégoût cette neutralité que certains voudraient appeler honnête. Il la déclare "criminelle"[46]. Tel est à ses yeux « l'horrible et déraisonnable système de l'indifférence des religions[47] ». Écoutons-le plutôt :

« La loi n'est pas athée, a-t-on répondu, mais elle est incompétente. Eh quoi ! au XIXè siècle la société est incompétente à prononcer l'existence de Dieu ? Mais cette déclaration d'incompétence, qu'est-ce autre chose que l'athéisme de l'omission et de l'indifférence, à la place de l'athéisme d'affirmation et de principe[48] ».

C'est précisément cet athéisme de l'omission et de l'indifférence, proclamé par le gouvernement, qui arrache la foi du cœur des masses populaires.

« Beaucoup d'hommes, écrit l'évêque de Poitiers, beaucoup d'hommes, certainement conservateurs et même catholiques par leur intention et leur volonté, n'ont pas l'air de s'en douter, et la chose est cependant démontrée par l'expérience ; quand l'erreur est une fois incarnée dans les formules légales et dans les pratiques administratives, elle pénètre les esprits à des profondeurs d'où il devient comme impossible de l'extirper[49] ».

Et ne constatons-nous pas, en effet, avec douleur un fléchissement, une baisse et la presque disparition de la foi, depuis que les gouvernements impies ou neutres sont au pouvoir ?

Il faut donc conclure avec Mgr Pie : «  L'acte de foi, qui est la racine même de la Religion, a été extirpé de la société européenne. Voilà le crime capital[50] ».

La perte des âmes par l'incrédulité. Telle est la première conséquence de l'athéisme de l'État. Il faut y ajouter la perte des âmes occasionnée par l'opposition au sacerdoce catholique, opposition qui écarte des sources du salut une multitude d'âmes. S'adressant à ses prêtres, l'évêque de Poitiers disait :

« Si peu flatteuse que soit cette constatation, nous n'hésitons point à reconnaître qu'en effet le sacerdoce est devenu de nos jours l'objet d'une défiance plus générale et d'une défaveur plus obstinée qu'à aucune époque du passé. Jamais peut-être, l'opposition au prêtre n’avait été poussée si loin et n'avait été partagée par un si grand nombre d'esprits. Toute passion ardente et vivace a coutume de se trahir par un mot : le mot est désormais inauguré au vocabulaire de notre pays. La qualification la plus compromettante pour un citoyen, pour un homme public est celle de clérical. Crayonné sur le dossier du fonctionnaire, elle le frappe d'un discrédit notable et devient un obstacle sérieux à son avancement dans la carrière. Jetée aux passions de la rue, elle appelle sur la tête de celui qu'elle désigne, les dédains, les injures, et au moment donné, les fureurs de la passion populaire. Pourquoi nous le dissimuler ? Nous sommes antipathiques à la génération contemporaine, antipathiques à ce point que nous rendons humainement impossibles et les causes et les personnes pour lesquelles on nous soupçonne d'avoir de la préférence ou qu'on soupçonne d'être animées de bon vouloir envers nous[51] ».

Ainsi, Mgr Pie le constate, le prêtre est antipathique et cette antipathie, qui amène nécessairement la défiance et l'éloignement, prive les âmes de la nourriture divine de la parole de Dieu et de la grâce dont le prêtre est le dispensateur. Les âmes alors se perdent.

Mais veut-on savoir quelle est pour le Cardinal Pie, la cause profonde et dernière de cette aversion pour le prêtre ? C'est l'horreur qu'éprouvent les gouvernements modernes pour la royauté sociale de Jésus-Christ et pour le droit public chrétien.

Mgr Pie en trouve la preuve dans l'aveu de nos adversaires eux-mêmes :

« Par beaucoup de côtés, nous ne demandons qu'à vous être sympathiques, disent-ils aux prêtres. Mais la barrière insurmontable entre vous et nous, c'est la hauteur de votre mission, telle que vous vous obstinez à la comprendre. Que vous preniez soin de nos âmes, que vous nous prêchiez le devoir privé, nous y sommes consentants. Mais que, dans la sphère des choses publiques, vous opposiez vos dogmes à nos principes, que vous affirmiez les droits de Dieu en contradiction avec nos Droits de l'homme ; que vous parliez au nom du Ciel à propos des intérêts de la terre ; que vous fassiez du christianisme la règle des institutions et des lois humaines ; enfin qu'il vous appartienne de dire le dernier mot de l'orthodoxie sur les attributions de la science, de la liberté, de l'autorité : voilà ce que l'esprit moderne, esprit essentiellement laïque, ne vous concédera jamais. Là est le mur de séparation entre vous et nous[52] ».

Et ailleurs, reprenant la même pensée : « Disons-le hardiment, la révolution n'est si acharnée contre le prêtre que parce qu'elle a placé la souveraineté de l'homme et du peuple au-dessus de la souveraineté divine. De ce dogme fondamental découle tout ce qu'elle appelle du nom très élastique de principes modernes et c'est cette apothéose de l'humanité qui ne lui permet pas de souffrir qu’une autorité, même sacrée et circonscrite dans la sphère morale de la doctrine et de la conscience, ait la prétention de parler de plus haut que l'homme[53] ».

Ces textes sont clairs. Sans hésitation aucune, ils rejettent sur les pouvoirs athées ou neutres, issus de la Révolution, la responsabilité suprême de l'aversion de la société moderne pour le prêtre. Les pouvoirs ne veulent à aucun prix du règne social de Jésus-Christ et ils s'efforcent en mille manières d'éloigner du prêtre, prédicateur obligé du Droit social chrétien, la multitude de leurs subordonnés. En effet, ne voyons-nous pas dans nos églises, le vide immense laissé par les fonctionnaires de l'État et par tous ceux qui ont à attendre quelque faveur du gouvernement ? Que cet éloignement du prêtre soit la cause de la perte d'un grand nombre d'âmes, nous l'avons déjà montré[54].

Enfin, l'État qui a rejeté l'autorité sociale de Jésus-Christ, entraîne la ruine d'un très grand nombre d'âmes par l'enseignement de cette doctrine que l'évêque de Poitiers désigne sous le nom de naturalisme, doctrine qui fait abstraction de la Révélation et qui prétend que les seules forces de la raison et de la nature suffisent pour conduire l'homme et la société à sa perfection.

Le gouvernement athée n'est pas l'auteur du naturalisme puisque lui-même en est né[55], mais il en est le propagateur le plus actif et le plus influent par l'enseignement officiel donné au nom de l'État. Le Cardinal Pie a surpris sur les lèvres de nos adversaires[56] l'aveu que l'apostasie de l'État a engendré l'école neutre :

« Depuis que nous possédons la liberté de conscience (et c'est Mgr Pie qui les cite) cette précieuse conquête de notre Révolution, disent-ils, depuis l'abolition d'une religion dominante, les principes de la société ne permettent pas qu'une religion positive puisse aujourd'hui diriger l'éducation nationale[57] ».

Et encore III, 199 : «  L'enseignement philosophique, surtout s'il est donné au nom de l'État et par des professeurs et des écrivains rétribués de l'État, doit se conformer aux lois et aux doctrines de l'État. Or, le principe fondamental de la société moderne, la grande conquête de la Révolution, c'est la liberté des cultes, la liberté des croyances. L’enseignement philosophique doit donc respecter la liberté individuelle des intelligences et pour cela il doit faire abstraction de toutes les religions positives et proclamer seulement les principes généraux de la loi et de la morale naturelles qui sont communs à toutes les religions. Ainsi l'exigent le respect des consciences et l'esprit de nos institutions ».

 

Nous avons donc une éducation nationale en dehors de Jésus-Christ. Est-ce assez dire ? Mgr Pie, dans la force de sa logique, affirme clairement qu'une telle éducation est contre Jésus-Christ. Dans sa seconde instruction synodale il écrit : « Parce que Jésus-Christ a été constitué roi de toutes choses, parce que son empire ne connaît pas de frontières, parce que la raison et la nature sont précisément le domaine au centre duquel il entend établir le règne de la foi et de la grâce ; en un mot, parce que la philosophie (dont s'inspire l'enseignement de l'État) ne peut éliminer Jésus-Christ comme elle le voudrait, elle est conduite forcément à le nier, à le poursuivre, à le lapider ». (III, 215)

L'évêque de Poitiers cependant constata plus d'une fois que les textes des lois sur l'enseignement ne formulaient pas ces ultimes conséquences (III, 209), mais le naturalisme de l'État dirigeant l'éducation nationale, les contenait dans ses principes. Le programme de l'enseignement neutre pleinement appliqué depuis 1880, était déjà élaboré du temps de Mgr Pie[58], et l'enseignement supérieur donné par l'Université de l'État n'était qu'une leçon de naturalisme[59].

Il serait trop long de relater ici tout ce que l'évêque de Poitiers a écrit contre ce naturalisme propagé et défendu par les écoles de l'État[60].

C'est la grande erreur qu'il n'a cessé un instant de combattre. Contentons-nous de signaler qu'il démontre avec une clarté et une vigueur incomparables, l'inanité pour le salut éternel de cette religion naturelle et de ces vertus naturelles, l'inanité de ce naturalisme, de cette prétendue religion supérieure de l'humanité, triste conséquence de l'athéisme d'État. Il consacre sa première et sa deuxième instruction synodale sur les erreurs du temps présent, à montrer que cette morale naturaliste, cette morale indépendante de Jésus-Christ et de l'Église, cette morale laïque comme on l'appelle aujourd'hui, « n'aboutit qu'à des vertus dont Bossuet dit que l'enfer est rempli » (II, 378), et saisi d'épouvante, il s'écrit : « la conséquence extrême et totale sera l'enfer ». (V, 189)

 

Il ajoute encore :

« Le grand obstacle au salut de nos contemporains, le Concile du Vatican l'à signalé dès son ouverture et en tête de sa première constitution doctrinale. Oui, ce qui multiplie aujourd'hui la perte des âmes, disons le mot, ce qui peuple l'enfer plus qu'à d'autres époques, c'est ce système trop répandu, ce fléau trop général du rationalisme ou du naturalisme, lequel se mettant en opposition radicale et absolue avec la religion chrétienne, en tant qu'elle est une institution révélée, s'emploie de toutes ses forces à exclure le Christ, notre unique Maître et Sauveur, à l'exclure de l'esprit des hommes, ainsi que de la vie et des mœurs des peuples, pour établir ce qu'on nomme le règne de la pure raison ou de la pure nature. Or, là où le souffle du naturalisme a passé, la vie chrétienne a été tarie jusque dans sa source, détruite jusque dans ses fondements. C'est la stérilité complète dans l'ordre du salut[61] ».

Cette stérilité, qui a son châtiment dans l'éternité, est, en très grande partie, redisons-le, la conséquence logique de l'enseignement de l'État qui ne reconnaît plus Jésus-Christ et « qui donne aux blasphémateurs de Dieu et de Son Fils le mandat direct et officiel d'enseigner du haut des chaires publiques[62] ».

Un très grand nombre d'âmes égarées hors des voies du salut, telle est la plus terrible conséquence de la négation de la royauté sociale de Jésus-Christ[63].

 

Avec le Cardinal Pie, nous avons vu que l'État par le fait même qu'il ne reconnaît pas officiellement le Divin Roi Jésus, détruit la foi dans les individus, les éloigne du prêtre et leur donne un enseignement qui n'aboutit qu'à la ruine définitive des âmes.

« Est-ce que la tactique des ennemis de Dieu n'est pas pour nous instruire ? Ils veulent toujours l'arracher du cœur des individus ; ils font encore plus d'efforts pour le chasser des institutions sociales. Une seule défaite de Dieu dans le domaine, c'est l'ébranlement de la foi, sinon sa ruine, dans un grand nombre d'âmes ».

Si nous étudions maintenant la situation actuelle de la France et si nous nous demandons pourquoi, suivant la remarque de Taine, « la foi a augmenté dans le groupe restreint et diminué dans le groupe large ? Pourquoi encore, par un recul insensible et lent, la grosse masse rurale à l'exemple de la grosse masse urbaine est en train de devenir païenne ? », Mgr Baunard nous répond : « Si la France redevient païenne, ce n'est pas de son propre mouvement, mais plutôt sous l'écrasante dépression que lui fait subir le poids de l'État sans Dieu, de l'école sans Dieu, de la presse sans Dieu... Ce n'est pas la foi qui dépérit par une dégénérescence spontanée, c'est la foi qui est violemment arrachée des âmes et surtout de l'âme des enfants. La tentative des adversaires consiste à détruire la religion en stérilisant les germes de la foi ». Un siècle de l’Église de France. Ch 21. p. 500.

Chapitre II : Conséquences pour la société

La grande loi du gouvernement divin : comme les nations font à Dieu, Dieu fait aux nations. Les fléaux, châtiment transitoire de l'apostasie nationale. La décadence morale de la société, châtiment permanent de cette apostasie. - Trois caractères principaux de cette décadence : l'injustice, le sensualisme égoïste et l'orgueil effréné.


Guidés toujours par le grand évêque de Poitiers, considérons maintenant les périls et les maux occasionnés à la société elle-même, par son refus de reconnaître les droits de Jésus-Christ sur elle.

Dieu a fait de la loi du talion la grande loi de l'histoire. C'est là un principe que nous rappelle constamment Mgr Pie : « la grande loi, nous dit-il, la loi ordinaire de la Providence dans le gouvernement des peuples, c'est la loi du talion. Comme les nations font à Dieu, Dieu fait aux nations[64] ».

La société moderne ignore Dieu, Jésus-Christ, l'Église.

« Eh bien ! conclut-il, nous ne craignons pas de le dire : à un tel ordre de choses, partout où il existera, Dieu répondra par cette peine du talion qui est une des grandes lois du gouvernement de Sa Providence. Le pouvoir qui comme tel, ignore Dieu, sera comme tel ignoré de Dieu... Or, être ignoré de Dieu, c'est le comble du malheur, c'est l'abandon et le rejet le plus absolu » (V, 176). Et encore : œil pour œil, dent pour dent, quand il s'agit des nations qui ne doivent point revivre pour recevoir le châtiment dans l'autre monde, cette loi du talion finit toujours par s'accomplir sur la terre.     Quiconque Me confessera devant les hommes, dit le Seigneur, Je lui rendrai témoignage pour témoignage, mais quiconque me reniera devant les hommes, Je le renierai à la face du ciel et de la terre ». (VIII, 90).

Ainsi, pour Mgr Pie, Dieu use de très justes représailles contre la société rebelle à son Fils Roi[65]. Quelles ont été et quelles sont encore ces représailles ? C'est ce que nous voulons chercher avec lui. Ici, il faut limiter notre sujet et nous occuper spécialement de la France, car l'évêque de Poitiers a étudié tout particulièrement les conséquences terribles de l'apostasie de notre patrie et il nous a montré que cette grande nation, rejetant la royauté de Jésus-Christ, avait attiré sur elle les plus grands malheurs et introduit dans son organisme social tous les germes de la mort et de la décomposition.

Tous les fléaux qui se sont abattus sur nous depuis la grande Révolution, et tout particulièrement l'humiliante défaite de 1870, ont été la punition de cette apostasie.

« Alors, constate-t-il, la fortune nous a surtout été contraire, parce que nous n'avons pas eu Dieu avec nous, et nous ne l'avons pas eu avec nous, parce que depuis longtemps, et dans les œuvres de la paix et dans les œuvres de la guerre, nous avions cessé d'être avec Lui, de travailler et de combattre pour lui[66] ».

Les fléaux, premières représailles de la justice divine, mais ils sont transitoires. A une apostasie qui devient permanente, Dieu veut répondre par un châtiment permanent.

Ce châtiment, plus terrible que les fléaux, c'est la décadence morale de la société.

Avec les apologistes catholiques, Mgr Pie établit, par des arguments irrésistibles, que toute société qui rejette Dieu ne tarde pas à tomber dans la plus profonde décadence morale. Écoutons-le. C'est à la France qu'il s'adresse :

O France, plus de cinquante ans se sont écoulés depuis que le nom de Dieu est sorti pour la première fois de ta constitution. Or, je t'adjure aujourd'hui de montrer les fruits de ce demi-siècle d'expérience. Je prête l'oreille et j'entends un murmure confus qui éclate de toutes parts. O mon pays, je ne te juge point témérairement, puisque je te juge d'après tes propres paroles : Ex ore tuo te judico. Il n'y a plus de moralité, plus de justice ; tout s'en va, tout dépérit, tout est à refaire, la société a besoin d'une réforme générale ; tel est l'aveu qui s'échappe de tous les coins du pays.

Voilà donc les résultats, voilà donc les progrès obtenus depuis que nous avons donné l'exclusion à Dieu.

«  Il n'y a plus de moralité publique, plus de justice, dites-vous. Ces résultats vous étonnent ; il était facile de les prévoir. Est-ce qu'un sage du paganisme n'a pas dit qu'on bâtirait plus aisément une ville en l'air qu'une société sans Dieu ? Est-ce que l'orateur romain n'a pas dit qu'avec le respect de la divinité disparaît la bonne foi, la sûreté du commerce et la plus excellente de toutes les vertus, qui est la justice ? Est-ce que l'Esprit Saint n'a pas déclaré dans un langage plus énergique que partout où règnent les impies, les hommes n'ont à espérer que des ruines : Regnantibus impiis, ruinæ hominum !

« Vous ajoutez : tout s'en va, tout dépérit. Cela encore vous étonne ; il eût été facile de le prévoir... Car la législation qui fait profession de neutralité et d'abstention concernant l'existence de Dieu, sur quel fondement établira-t-elle sa propre autorité ? En me permettant de ne pas reconnaître Dieu, ne m'autorise-t-elle pas à la méconnaître elle-même ? Nous n'avons pas voulu, me dites-vous, mettre le dogme dans la loi. Et moi je vous réponds : Si le dogme de l'existence de Dieu ne se trouve plus dans la loi, la raison de la loi ne se trouve plus dans la loi, et la loi n'est qu'un mot, elle n'est qu'une chimère[67] ».

Dans ce tableau rapide de la décadence sociale que Mgr Pie vient de faire passer sous nos yeux, il nous a montré surtout la disparition de la bonne foi, de la sûreté du commerce, et le règne universel de l'injustice. L'absence de la justice, la plus excellente de toutes les vertus, comme il l'appelle, est en effet un des caractères les plus saillants de la décadence actuelle. Deux autres caractères complètent la physionomie morale de la société moderne : le sensualisme égoïste et l'orgueil effréné. L'évêque de Poitiers les a rigoureusement stigmatisés, et, chose remarquable, il a signalé l'apostasie nationale comme la cause principale de l'effroyable débordement de ces deux vices à notre époque[68].

Sur le sensualisme égoïste de la société contemporaine, il faut lire la magnifique instruction pastorale de 1853[69].

« Les sensuels et les égoïstes furent de tous les temps et de tous les lieux, remarque-t-il. Saint Paul s'affligeait devant le Calvaire encore fumant, qu'il y eût beaucoup d'ennemis de la croix ; et cette plainte, l'Église a dû la répéter pendant tout le cours des siècles. Toujours le bien a été mélangé de beaucoup de mal sur la terre... Mais aujourd'hui, plus qu'à aucune autre époque, les ennemis de la Croix de Jésus-Christ se sont multipliés. Il était facile de le prévoir. L'homme n'avait pas accompli une œuvre abstraite en proclamant ses droits et en décrétant sa souveraine indépendance ; une apothéose purement métaphysique ne l'eût pas longtemps satisfait. C'est le propre de Dieu de s'aimer Soi-même, de rapporter tout à Soi. L'homme étant devenu à lui-même son Dieu, ne fut que conséquent en ramenant tout à lui-même comme à sa fin dernière. La morale et le culte devaient se constituer en harmonie avec le dogme, et le dogme de la déification de l'homme une fois admis, l'idolâtrie de soi devenait un culte rationnel et l’égoïsme était élevé à la dignité de religion. Et Mgr Pie signale les ravages de cette religion de l’égoïsme, de cette morale du "chacun pour soi, chacun chez soi". Ce n'est pas seulement le vice odieux de la gourmandise, aux excès duquel plusieurs savent se soustraire, ni même ces passions honteuses, que quelques-uns savent modérer jusqu'à un certain point, c'est surtout l'introduction dans la société de mœurs profanes et d'habitudes efféminées et voluptueuses. Aujourd'hui, dit-il, ce n'est plus le goût des grandes choses qui domine dans notre nation jadis si magnifique. Nous avons emprunté à un peuple séparé depuis trois cents ans de la croyance et aussi de la morale de l'Église, cet amour du luxe commode, cette recherche de l'aisance et du bien-être, disons le mot, puisque nous l'avons pris avec la chose, ce confortable qui énerve les caractères, qui dévore comme une plante parasite les force vitales de l'âme, qui rapetisse les intelligences et concentre tout entier dans les soins minutieux d'un ameublement de boudoir, dans les détails d'une parure, dans l'ordonnance de divertissements pleins de mollesse. Que sais-je ? Dans ces superfluités de bon ton, dans ces mille riens qui sont devenus une nécessité du temps présent. Et, tandis que chez nos pères, la splendeur et le faste n'étaient guère que pour les yeux du visiteur et de l'étranger, ou pour la satisfaction de l'hôte ou de l'ami, aujourd'hui, c'est vers l'idole du moi, c'est vers la destination intime et personnelle que convergent tous les perfectionnements du luxe et de l'élégance. » (I, 597-601)

Tels sont pour notre société française les effets funestes de ce sensualisme égoïste, châtiment permanent de notre apostasie nationale.

Le sensualisme de nos contemporains est intimement lié à un autre vice plus dangereux encore pour la société. C'est l'orgueil effréné, la fièvre du pouvoir et des honneurs, l'ambition des charges publiques, ce qu'un auteur a appelé avec raison « la plus funeste et la plus dangereuse épidémie qui puisse s'abattre sur un peuple[70] ».

Écoutons toujours Mgr Pie :

« La plus grande impossibilité du moment, ce qui rend le monde ingouvernable, c'est que la souveraineté de Dieu étant méconnue, chacun veut désormais être souverain dans la sphère qu'il occupe. Le mal de la France, ce n'est pas précisément la méchanceté, la perversité des caractères, non, il y a dans cette noble race, un fond inamissible de bonté, de douceur, de modération. Mais on veut être le premier, et pour le devenir, on se fait violent, perturbateur ; à un jour dit, on se ferait cruel. Combien ne connaissons-nous pas d'hommes remplis de toutes sortes de bonnes qualités, mais toujours agresseurs ! Que faudrait-il pour les satisfaire ? Il ne leur manque qu'une chose, c'est d'être princes, et princes souverains, ou mieux encore c'est d'être ministres tout puissants d'un prince qui n'en ait que le nom, ou enfin, ce qui est convoité par-dessus tout, d'être les chefs suprêmes d'une démocratie constituée à l'état de dictature. Faites cela, créez quelques milliers, ce n'est pas assez, quelques millions de chefs souverains ou de ministres dirigeants, commandant aux autres et n'obéissant à personne, donnant le branle à tout et pouvant s'attribuer le mérite de tout : la plupart de ces hommes se montreront d'assez bons princes ; l'histoire parlera de leur clémence et leur reconnaîtra plus d'une vertu. Mais une société, où les hommes ne sont satisfaits et ne demeurent tranquilles qu'à la condition de trôner et de gouverner, est une société impossible ; un pays où se produit une pareille prétention est un pays perdu ». (IX, 226-227 ; II, 312)

Faut-il désespérer du salut de cette société corrompue par le triple mal de l'injustice, du sensualisme et de l'orgueil ?

Souvenons-nous de l'affirmation si souvent répétée par l'évêque de Poitiers. C'est, nous a-t-il dit, l'oubli officiel de la souveraineté de Dieu qui a favorisé les prodigieux développements de l'injustice sociale, du sensualisme égoïste et de l'orgueil ambitieux. Le remède se trouve donc dans la proclamation officielle de cette souveraineté. Si les droits de Dieu, de Jésus-Christ et de l'Église sont comme autrefois officiellement et loyalement reconnus par la société française, un nouvel esprit pénétrera peu à peu toutes les classes sociales : esprit d'humilité, esprit de sacrifice et de renoncement, esprit de justice et de charité. La société sera sauvée.

 

Chapitre III : Conséquences pour le pouvoir

Tyrannie. - Instabilité. - Nullité des hommes. 


Après avoir exposé avec Mgr Pie, les conséquences pour la société de l'apostasie nationale, montrons quelles sont les représailles de la justice divine envers le pouvoir public lui-même.

La responsabilité du Pouvoir est très grande, car en se séparant de Jésus-Christ, il en a séparé officiellement le pays. Le châtiment sera proportionné à sa faute et il aura une répercussion sur la société tout entière, à cause de l'union étroite qui existe entre les chefs et les subordonnés, entre les dirigeants et les dirigés. Voici les maux dont le pouvoir sera atteint : la tyrannie, l'instabilité, le manque absolu de grands hommes, et il n'en guérira pas qu'il ne soit retourné officiellement à Jésus-Christ.

Tout d'abord la tyrannie.

« Le droit chrétien seul, enseigne le grand évêque, est profondément antipathique au despotisme parce que les institutions chrétiennes sont le plus sûr rempart de la liberté et de la dignité des peuples...

« Quand le droit de Dieu a disparu, il ne reste que le droit de l'homme, et l'homme ne tarde pas à s'incarner dans le pouvoir, dans l'État, dans César[71] » ou dans l'omnipotence anonyme du parlement.

« Quand la religion n'est plus la médiatrice des rois et des peuples, le monde est alternativement victime des excès des uns et des autres. Le pouvoir, libre de tout frein moral, s'érige en tyrannie, jusqu'à ce que la tyrannie devenue intolérable amène le triomphe de la rébellion. Puis de la rébellion sort quelque nouvelle dictature plus odieuse encore que ses devancières. "Après que plusieurs tyrans se sont succédé, dit l'Écriture, le diadème est allé se poser sur une tête qu'on n'aurait jamais soupçonnée" : et insuspicabilis portavit diadema. Telles sont les destinées de l'humanité émancipée de l'autorité tutélaire du christianisme[72] ».

Telles ont été aussi les destinées de notre pays, dès qu'il a été officiellement séparé de Dieu. Il a été livré à la tyrannie des pouvoirs.

Dans la succession des tyrannies qui' ont pesé durement sur la France en punition de son apostasie, le grand évêque signale tous les régimes issus de la Révolution française :

« Despotisme de la terreur et de l'échafaud bientôt suivi du despotisme du sabre ; voilà, dit-il, comment la Révolution française a tenu ses promesses d'émancipation. Il n'en pouvait être autrement. Un peuple qui a rejeté le joug salutaire de la foi, retombe de droit sous le joug de la tyrannie. N'étant plus digne, ni capable de porter la liberté, la liberté lui échappe dans toutes ses applications les plus diverses : libertés personnelles et libertés publiques, franchises des corporations, des municipes et des provinces, droits de la famille et de la nation, tout s'effondre à la même heure et disparaît sous un même coup de main. Dans ces jours d'épouvante et de vertige, le despote est accueilli comme un bienfaiteur au moins temporaire, parce que sans lui, la civilisation sombrerait de nouveau dans l'abîme de la barbarie. C'est ainsi qu'après les longs tâtonnements d'un Directoire impuissant et irrésolu, après les interminables et stériles discussions d'assemblées sans doctrine et sans cohésion, on a vu la France, au commencement et au milieu de ce siècle, s'abandonner aux bras d'un absolutisme tout d'abord proclamé sauveur[73] ».

Est-ce tout ? Clairvoyant comme l'Église sa Mère[74], l'Évêque de Poitiers a signalé une autre tyrannie plus terrible et plus redoutable encore : le socialisme et le communisme. C'est la grande tyrannie de l'avenir. Elle ébranlera, jusqu'au dernier, tous les fondements de la société qui aura rejeté officiellement Jésus-Christ et Son Église.

Écoutons Mgr Pie nous expliquer la genèse de cette dernière décadence sociale qui est à la fois la plus abjecte des tyrannies :

« Les idées gouvernent et commandent les actes. Or, parce qu'il y a encore une société, et que même après qu'elle a méconnu Dieu, trahi Dieu, expulsé Dieu, la société est obligée sous peine de mort, de s'attribuer et d'exercer des droits divins, par exemple d'affirmer certains principes, d'établir des lois, d'instituer des juges, de se protéger ellemême par des armées, enfin d'opposer des digues à ce qu'elle nomme encore le mal, et que d'autres appellent le bien, attendu que c'est la satisfaction d'un besoin naturel, d'une vie naturelle, de cette nature enfin qui est le vrai et l'unique divin, à cause de cela, et en haine des éléments conservateurs qu'elle est forcée de retenir, la société naturelle se voit en butte à toutes les agressions dont l'ordre surnaturel avait été le point de mire. A son tour, elle est la grande ennemie, la grande usurpatrice, le grand tyran, le grand obstacle qu'il faut renverser et détruire à tout prix : société politique et civile, société même domestique, car les deux sont fondées sur la stabilité du mariage qui est pour la nature un joug intolérable, sur l'hérédité qui est une violation manifeste de l'égalité naturelle et enfin sur la propriété qui est le vol par les individus d'un bien appartenant par nature à tous. Et ainsi, de négations en négations, le naturalisme conduit à la négation des bases mêmes de la nature raisonnable, à la négation de toute règle du juste et de l'injuste, par suite au renversement de tous les fondements de la société. Nous voici au socialisme et au communisme[75] ».

Dans la première synodale sur les erreurs du temps présent, Mgr Pie avait prouvé par l'histoire des révolutions du dernier siècle que c'était bien notre droit public athée, hostile aux libertés essentielles de l'Église et tout particulièrement à son droit de propriété, qui avait donné naissance chez nous au socialisme et au communisme. Ce passage doit être cité : « Il fut dit à la France, dès le début de la révolution : « En spoliant l'Église, vous jetez la première pierre à la propriété : l'attaque ne s'arrêtera pas là, et, avant un demi-siècle, un assaut général lui sera livré ». Cet oracle était prophétique.

« Que l'ébranlement de la propriété aujourd'hui ne soit pas sans rapport avec les coups portés au principe de la propriété par la négation des droits de l'Église ; c'est une vérité dont l'un de nos hommes d'État les plus éminents s'est fait l'interprète, il y a quarante ans bientôt lorsqu'il disait (CHATEAUBRIAND, Opinion sur la vente des forêts, prononcée à la chambre des Pairs, le 21 mars 1817) dans la haute chambre : « Messieurs, j'ose vous le prédire, sous un gouvernement qui représente l'Ordre, si vous n'arrêtez pas la vente de ces biens, aucun de vous ne peut être assuré que ses enfants jouiront paisiblement de leur héritage... Je sais que, dans ce siècle, on est peu frappé des raisons placées au-delà du terme de notre vie : le malheur journalier nous a appris à vivre au jour le jour. Nous vendons les bois de l'Église ; nous voyons la conséquence physique et prochaine », qui est l'argent dans les caisses de l'État ; « quant à la conséquence morale et éloignée qui ne doit pas nous atteindre, peu nous importe. Messieurs, ne nous fions pas tant à la tombe ; le temps fuit rapidement dans ce pays : en France l'avenir est toujours prochain : il arrive souvent plus vite que la mort ». Deux ou trois révolutions survenues depuis que ce discours fut prononcé, révolutions dont la dernière est plus sociale encore que politique, disent si la prévision de l'orateur était le fruit de cette logique à outrance que les faits ne justifient jamais ». Il, p.351 et 352. Même doctrine dans les deux admirables sermons, prononcés à Chartres en 1849 pour le droit de propriété. Œuvres sacerd., II, 666-717. Sur le rapport de la question sociale et de la question religieuse, voyez encore Instruction pastorale sur l'aumône Il, 94-96. Allocution à la bénédiction du cercle catholique de Parthenay IX, 226-227, de celui de Chatellerault, 250-251.

 

Avec la tyrannie, l'instabilité, autre châtiment infligé par Dieu aux gouvernements qui rejettent la royauté sociale de Son Fils.

L'instabilité du pouvoir en France est une constatation familière à Mgr Pie et qu'on retrouvera à chaque page de ses œuvres[76].

Dans une de ses homélies célèbres, il compare la société française à l'épileptique de l'Évangile.

« Manifestement, dit-il, la société actuelle est atteinte du mal caduc. A tout propos, elle est jetée à terre ; rien de plus commun que de voir ses institutions à vau-l'eau ; parfois même, elle devient la proie des flammes. Et ces chutes ont pris un caractère de périodicité qui semble devenu la loi de l'histoire contemporaine. Quantum temporis est ex quo ei hoc accidit : Combien y a-t-il de temps que cela lui arrive ? demande Jésus au père de l'épileptique. Réponse : Depuis son enfance, at ille ait ; ab infantia. Et vraiment il en est ainsi. Le monde moderne met un certain amour-propre à proclamer la date de sa naissance ; volontiers il se dit l'enfant de 89. Or, depuis cette époque fatidique, notre patrie a été constamment sous l'empire de cette singulière affection morbide que les latins, par une synonymie curieuse dont les lexiques offrent l'explication, appellent d'un nom qui peut également signifier le mal de l'épilepsie et le mal parlementaire, le mal des assemblées et des comices morbo comitiali laborans. A partir de ce temps, la chose publique n'a pas discontinué de subir l'influence des lunaisons. Et ecce spiritus apprehendit eum et subito clamat, et elidit, et dissipat eum cum spuma, et vix discedit, dilanians eum. Tout à coup, et à tout propos, l'esprit de vertige s'empare de son corps : ce sont des cris, des renversements à terre, des contorsions et des convulsions avec écume à la bouche et grincements de dents. Trop heureux quand le pays en est quitte pour des déchirements et des blessures ; et si la mort ne suit pas ces accès de rage, il y a toujours perturbation profonde des intérêts, dessèchement des sources de la vie sociale et de la fortune publique[77] ».

 

Avec la tyrannie et l'instabilité, le manque total de grands hommes, ce que Mgr Pie appelle « la décadence et la nullité des hommes[78] », châtiment suprême des sociétés qui ont rejeté le Christ Roi. Châtiment suprême, puisque ces sociétés n'ont plus d'hommes qui puissent les délivrer de la tyrannie et les guérir de la fièvre des révolutions. Il n'y a pas d'hommes.

« Malgré leurs vains efforts pour se hausser et se grandir, nous dit l'évêque de Poitiers, les hommes continuent à descendre et chacun des sauveurs qui apparaît à l'horizon ne tarde pas à tomber au-dessous de celui qui l'a précédé ; c'est comme une compétition et une rivalité d’impuissance ».

« Les principes manquant, explique-t-il, la disette d'hommes est devenue si grande dans le camp de l'ordre qu'on ne voit surgir en ce temps ni chef politique, ni chef militaire, ni prince, ni prophète qui nous fasse trouver le salut[79] ».

« Je le crois bien, continue Mgr Pie, il n'y a pas d'hommes là où il n'y a pas de caractères, il n'y a pas de caractères où il n'y a pas de principes, de doctrines, d'affirmations ; il n'y a pas d'affirmations, de doctrines, de principes, où il n'y a pas de foi religieuse et par conséquent de foi sociale[80] ».

« Jamais, écrit-il encore, le monde n'a été livré aux chances du hasard et de l'imprévu autant qu'il l'est à cette heure. Tout ce qu'il y a de solide dans la raison et dans la tradition naturelle, achève de s'évanouir avec les notions de la foi. Les plus grandes et les plus urgentes questions européennes demeurent sans solution. Avec la fixité des principes, a disparu toute fixité de vues ; les difficultés s'aggravent par les efforts qu'on fait pour les aplanir, comme ces nœuds qui se serrent davantage sous la main qui cherche à les dénouer, comme ces écheveaux qui se mêlent et deviennent inextricables après le travail qui tendait à les débrouiller[81] ».

Combien le grand évêque insiste sur ce point ! Avec quelle douleur, il constate que nos grands hommes, nos prétendus restaurateurs ne sont que des nains.

« Comment, s'écrie-t-il, seraient-ils des guides sûrs quant aux questions pratiques de second ordre, ceux pour qui la question première et capitale n'existe pas encore ? Gens avisés qui pensent à tout, hormis Dieu ; obliti sunt Deum, et qui, ne semblant pas soupçonner le vice radical de nos institutions, sont toujours prêts à recommencer les mêmes expériences, qu'attendent les mêmes châtiments divins. N'apprendront-ils donc point, à l'école de l'histoire et du malheur, ce qu'ils ne veulent pas entendre de notre bouche, à savoir qu'on ne se moque pas de Dieu : Nolite errare, Deus non irridetur ? Or, c'est se moquer de l'Être nécessaire que de se poser socialement en dehors de Lui[82]. Depuis l'Incarnation du Fils de Dieu, le gouvernement de l'ordre moral ne peut être que le gouvernement de l'ordre chrétien. Aussi longtemps que les droits de Dieu ou de Son Christ seront méconnus, passés sous silence, la confusion régnera par rapport à tous les droits secondaires, et cette confusion propice aux complots du despotisme et de l'anarchie reconduira une fois de plus aux alternatives de la servitude et de la terreur[83] ».

Or, dans cette disette de grands hommes ainsi constatée, le Cardinal Pie refuse absolument ce nom à ceux que prétend lui opposer le parti libéral et conservateur.

D'un mot il dénonce leur incapacité. « Ils reculent, dit-il, devant la logique du bien »... « à l'heure où il serait si essentiel que les bons fussent pleinement bons, voici que, contrairement à la recommandation de l'Apôtre, il s'est établi une société de la lumière et des ténèbres, une convention du Christ avec Bélial, un pacte du fidèle avec l'infidèle, un accord du temple de Dieu avec les idoles, et quand l'Église nous crie avec le même apôtre : « Sortez de ce milieu, séparez-vous-en, ne touchez pas à cet ordre immonde d'idées et de choses et moi je vous reprendrai sous ma protection et vous replacerai sur mon sein paternel ; voici que c'est le christianisme du siècle qui veut éclairer l'Église enseignante et en particulier lui apprendre dans quelle mesure le droit de maudire et de blasphémer est un droit désormais acquis aux hommes, un droit qui doit être reconnu, proclamé, protégé, organisé au sein des sociétés humaines[84] ». En d'autres termes, ceux qui veulent nous sauver sont presque tous atteints de cette maladie du libéralisme[85]. Ce sont eux aussi des malades et comme le dit Mgr Pie :

« malades désespérés qui invoquent à grands cris le médecin, mais à la condition de lui dicter ses ordonnances et de n'accepter pour régime curatif que celui-là même qui les a réduits à la dernière extrémité. Naufragés qui se noient, et qui appellent le sauveteur, mais résolus à repousser la main qu'il leur offre, tant qu'il n'aura pas à repousser luimême à son cou la pierre qui les a fait descendre et qui les retient au fond de l'abîme[86] ».

Tyrannie des gouvernements, instabilité des pouvoirs, nullité des hommes, voilà le triple mal qui découle de l'abandon du droit chrétien.

 

Ch. IV : Résumé de cette doctrine dans l'entretien de Mgr Pie avec l'empereur Napoléon III 

Ce profond enseignement, Mgr Pie osa l'exposer de vive voix à l'empereur des Français Napoléon Ill.

Dans une entrevue mémorable, avec un courage apostolique, il donna au prince une leçon de droit chrétien. C'est par ce récit que, pour corriger l'aridité de cette synthèse, nous terminerons cette seconde partie.

C'était en 1856, le 15 mars. A l'empereur, qui se flattait d'avoir fait pour la religion plus que la Restauration elle-même, il répondit :

« Je m'empresse de rendre justice aux religieuses dispositions de votre Majesté et je sais reconnaître, Sire, les services qu'elle a rendus à Rome et à l'Église, particulièrement dans les premières années de son gouvernement. Peutêtre la Restauration n'a-t-elle pas fait plus que vous ? Mais laissez-moi ajouter que ni la Restauration[87] ni vous, n'avez fait pour Dieu ce qu'il fallait faire, parce que ni l'un ni l'autre vous n'avez relevé Son trône, parce que ni l'un ni l'autre vous n'avez renié les principes de la Révolution dont vous combattez cependant les conséquences pratiques, parce que l'évangile social dont s'inspire l'État est encore la déclaration des droits de l'homme, laquelle n'est autre chose, Sire, que la négation formelle des droits de Dieu.

Un nouveau sujet de peine, dont notre cœur est encore plus vivement affligé, et qui, nous l'avouons, nous cause un tourment, un accablement et une angoisse extrêmes, c'est le 22è article de la Constitution. Non seulement on y permet la "liberté des Cultes et de la conscience", pour nous servir des termes mêmes de l’article, mais on promet appui et protection à cette liberté, et en outre aux ministres de ce qu'on nomme "les cultes". Il n'est certes pas besoin de longs discours, nous adressant à un évêque tel que vous, pour vous faire reconnaître clairement de quelle mortelle blessure la religion catholique en France se trouve frappée par cet article. Par cela même qu'on établit la liberté de tous les cultes sans distinction, on confond la vérité avec l'erreur, et l'on met au rang des sectes hérétiques et même de la perfidie judaïque, l'Épouse sainte et immaculée du Christ, Église hors de laquelle il ne peut y avoir de salut. En outre, en promettant faveur et appui aux sectes des hérétiques et à leurs ministres, on tolère et on favorise non seulement leurs personnes, mais encore leurs erreurs. C'est implicitement la désastreuse et à jamais déplorable hérésie que saint Augustin mentionne en ces termes : « Elle affirme que tous les hérétiques sont dans la bonne voie et disent vrai. Absurdité si monstrueuse que je ne puis croire qu'une secte la professe réellement ».

« Notre étonnement et notre douleur n'ont pas été moindres quand nous avons lu le 23è article de la constitution, qui maintient et permet "la liberté de la presse", liberté qui menace la foi et les mœurs des plus grands périls et d'une ruine certaine. Si quelqu'un pouvait en douter, l'expérience des temps passés suffirait seule pour le lui apprendre. C'est un fait pleinement constaté : cette liberté de la presse a été l'instrument principal, qui a premièrement dépravé les mœurs des peuples, puis corrompu et renversé leur foi, enfin soulevé les séditions, les troubles, les révoltes. Ces malheureux résultats seraient encore actuellement à craindre, vu la méchanceté si grande des hommes, si, ce qu'à Dieu ne plaise, on accordait à chacun la liberté d'imprimer tout ce qui lui plairait ». Lettres apostoliques de PIE IX, GRÉGOIRE XVI, PIE VII (Édition Bonne Presse) (242-245).

Ce précieux document, rapproché de l'entretien de Mgr Pie avec l'empereur, nous montre que l'évêque de Poitiers n'était, dans son réquisitoire contre nos gouvernements du XIXè siècle, que l'interprète très fidèle de la pensée même de l'Église.

« Or, c'est le droit de Dieu de commander aux États comme aux individus. Ce n'est pas pour autre chose que N.-S. est venu sur la terre. Il doit y régner en inspirant les lois, en sanctifiant les mœurs, en éclairant l'enseignement, en dirigeant les conseils, en réglant les actions des gouvernements comme des gouvernés. Partout où Jésus-Christ n'exerce pas ce règne, il y a désordre et décadence.

« Or, j'ai le devoir de vous dire, qu'Il ne règne pas parmi nous et que notre Constitution n'est pas, loin de là, celle d'un État chrétien et catholique. Notre droit public établit bien que la religion catholique est celle de la majorité des Français, mais il ajoute que les autres cultes ont droit à une égale protection. N'est-ce-pas proclamer équivalemment que la constitution protège pareillement la vérité et l'erreur ? Eh bien ! Sire, savez-vous ce que Jésus-Christ répond aux gouvernements qui se rendent coupables d'une telle contradiction ? Jésus-Christ, roi du ciel et de la terre, leur répond : « Et Moi aussi, gouvernements qui vous succédez en vous renversant les uns les autres, Moi aussi Je vous accorde une égale protection. J'ai accordé cette protection à l'empereur votre oncle ; j'ai accordé la même protection aux Bourbons, la même protection à Louis-Philippe, la même protection à la République et à vous aussi la même protection vous sera accordée ».

L'empereur arrêta l'évêque : « Mais encore, croyez-vous que l'époque où nous vivons comporte cet état de choses, et que le moment soit venu d'établir ce règne exclusivement religieux que vous me demandez ? Ne pensez-vous pas, Monseigneur, que ce serait déchaîner toutes les mauvaises passions ? »

« Sire, quand de grands politiques comme votre Majesté m'objectent que le moment n'est pas venu, je n'ai qu'à m'incliner parce que je ne suis pas un grand politique. Mais je suis évêque, et comme évêque je leur réponds : « Le moment n'est pas venu pour Jésus-Christ de régner, eh bien ! alors le moment n'est pas venu pour les gouvernements de durer[88] ».

Hélas ! cette doctrine de vie ne fut ni comprise ni appliquée. Les événements donnèrent raison à l'évêque de Poitiers et, seize ans après, il le faisait constater, non plus à l'empereur disparu avec son empire écroulé, mais aux Français euxmêmes, restés indifférents aux droits suprêmes de Jésus-Christ.

« C'est le Seigneur qui parle, le Dieu des armées, dit-il en commentant un passage du prophète Aggée : Haec dicit dominus exercituum... En vous séparant de Moi, vous avez voulu vous grandir et vous voilà rapetissés... Vous ne parliez que de progrès et il y a eu recul. Vous ne rêviez que gloire, vous avez eu la défaite et l'opprobre. Vous ne connaissiez que les mots de liberté, d'émancipation : vous avez subi et vous subissez encore la domination étrangère ; vous exaltiez la prospérité publique ; vous vous débattez sous les étreintes d'une dette effroyable et vous ne savez comment égaler l'impôt à vos charges. En toutes choses vous avez visé au plus et voici que vous êtes en face du moins. Respixisitis ad amplius et factum est minus. Ce qui était entré dans votre maison, j'ai soufflé dessus et qu'en est-il resté ? et intulistis in domum et exsufflavi illud.

« Pour quelle cause, dit le Seigneur des armées, quam ob causam, dicit Dominus exercituum ?

Parce que, tout entier à votre propre intérêt, vous avez négligé Son service. Chacun de vous s'empressait à sa maison et la Mienne était déserte, à ses affaires humaines et les affaires divines étaient tenues pour rien. C'est pourquoi le ciel a reçu défense de vous accorder Ses faveurs (VII, 380) ». (Carême 1872).

Depuis ce vibrant commentaire, plus de cinquante ans ont passé. Il reste toujours actuel. Au sortir de l'horrible guerre qui a désolé le monde entiers, nous pouvons le regarder comme écrit pour toutes les nations de la terre. Il nous faudra comprendre que si les nations périssent, c'est parce qu'elles ont abandonné le Roi Jésus, et nous ferons nôtre la plainte de Mgr Pie lorsqu'il s'écriait «  Hélas ! il en coûte cher à la terre, il en coûte cher aux nations de ne pas fléchir le genou devant le nom et devant la royauté de Jésus[89] ».

Si nous voulons vivre, retournons à notre Roi et rétablissons Son Règne.

 

TROISIÈME PARTIE : COMMENT RÉTABLIR LE RÈGNE SOCIAL DE JÉSUS CHRIST ?

 

SECTION I : LES RESTAURATEURS ET LEURS DEVOIRS

 

D'après Mgr Pie, tous nous sommes coupables si le règne social de Jésus-Christ est renversé.

Les grands ont conspiré avec les petits et les petits avec les grands. Le pouvoir et le savoir ont également donné la main à la rébellion. L'étendard de l'indépendance a été levé avant tout contre Dieu et en vérité tous nos autres torts pâlissent à côté de ce premier attentat. C'est contre Dieu seul que nous avons péché (1) ».

Tous doivent donc travailler à la restauration : les petits et les grands, le pouvoir et le savoir. Les petits, ce sont les simples fidèles. Les grands, ce sont les prêtres. Ce sont encore tous ceux qui par leur science et surtout par le pouvoir exercent une autorité sur les peuples.

En vue de la restauration du royaume. Mgr Pie a tracé pour chacun de ces groupes tout un programme d'action.

Il a indiqué ce que devaient faire les fidèles ; il a insisté sur le devoir des prêtres. Il s'est étendu longuement sur les obligations de l'élite intellectuelle et des chefs des peuples, réfutant avec soin toutes leurs objections, dissipant tous leurs préjugés, désignant les modèles qu'ils doivent imiter.

Nous allons exposer rapidement ses enseignements.

 

CHAPITRE I : DEVOIR DES FIDÈLES POUR LA RESTAURATION DU RÈGNE SOCIAL DE JÉSUS-CHRIST

 

L'instruction religieuse. - La foi en la Royauté du Christ. - La pratique publique du culte chrétien. L'affirmation de leur foi dans la vie familiale et publique et dans leurs relations sociales. - La prière pour le règne social.

 

Le premier devoir des fidèles, pour aider à la restauration sociale chrétienne, c'est avant tout de faire régner JésusChrist dans leur intelligence par l'instruction religieuse.

« La seule espérance de notre régénération sociale, leur dit Mgr Pie, repose sur l'étude de la religion... le premier pas de retour à la paix et au bonheur sera le retour à la science du christianisme (2) ».

Mgr Pie insiste sur ce point qui est pour lui capital, car, à ses yeux, la renaissance sociale chrétienne de la France est liée étroitement à la renaissance catéchistique. Dans quatre sermons prêchés à la cathédrale de Chartres, il expliqua longuement aux fidèles l'importance de l'étude de la religion et leur indiqua la méthode à employer dans cette étude (3).

Ces sermons du jeune vicaire de la cathédrale de Chartres, donnés en 1840, sont toujours d'une actualité frappante, et nous ne connaissons rien de plus clair et de plus persuasif. En les relisant, tous les fidèles seront puissamment encouragés à donner dans leur vie la première place à l'instruction religieuse. Comment, en effet, n'être pas touché par des paroles aussi vraies et aussi fortes :

« Détourner son esprit de la vérité, y être indifférent, c'est là précisément le crime que Dieu punira avec plus de sévérité et de justice... Il est évident que la seule ignorance volontaire de la religion est par elle-même un crime digne de mort, parce qu'elle renferme le mépris de Dieu et la volonté d'échapper à sa main toute puissante (4) ».

Cette solide instruction religieuse exigée des fidèles doit être en eux l'aliment d'une foi intégrale et complète, et pour Mgr Pie la foi complète, la seule vraie foi, est celle qui non seulement affirme la Divinité et l'Humanité de Jésus-Christ, mais proclame encore sa Royauté sociale. Écoutons-le, commentant aux fidèles un passage de saint Grégoire, répondre ainsi au chrétien de nos jours, imbu des fausses idées modernes.

« Mon frère, vous avez la conscience en paix, me dites-vous, et tout en acceptant le programme du catholicisme li

béral, vous entendez demeurer orthodoxe, attendu que vous croyez fermement à la divinité et à l'humanité de Jésus Christ, ce qui suffit à constituer un christianisme inattaquable. Détrompez-vous. Dès le temps de saint Grégoire il y avait "d'aucuns hérétiques, nonnulli hæretici" qui croyaient ces deux points comme vous et leur "hérésie" consistait à ne point vouloir reconnaître au Dieu fait homme une royauté qui s'étendit à tout sed hunc ubique regnare nequaquam credunt.

« Non, vous n'êtes point irréprochable dans votre foi ; et le Pape saint Grégoire, plus énergique que le Syllabus, vous inflige la note d'hérésie si vous êtes de ceux qui, se faisant un devoir d'offrir à Jésus l'encens, ne veulent point y ajouter l'or (5) », c'est-à-dire reconnaître et proclamer sa Royauté sociale.

Ainsi, s'ils veulent avoir "un christianisme inattaquable" et demeurer "irréprochables dans leur foi", s'ils veulent être fidèles et non hérétiques, les catholiques doivent croire fermement que Jésus-Christ doit régner sur les institutions sociales, les pénétrant de son esprit et rendant leur législation conforme aux lois de son Évangile et de son Église.

C'est la conclusion rigoureuse de l'évêque de Poitiers, exposée par lui très souvent aux fidèles et développée magistralement dans le panégyrique de saint Émilien, dans les instructions synodales sur les erreurs du temps présent et dans plusieurs homélies (6).

La foi en la royauté sociale du Ch)rist, le fidèle la manifestera surtout en pratiquant publiquement la religion chrétienne. C'est en effet montrer à tous que le Christ doit diriger les actes publics du chrétien tout comme ses actes individuels et domestiques (7).

 

(1) I, 100. Lettre pastorale à l'occasion de la prise de possession du diocèse et VII, 543. « Le tort est à tous, parce qu'il est dans une si

tuation dont la responsabilité remonte à tous ».

(2) Œuvres sacerdotales, I, 137.

(3) I 98-189.

(4) Œuvres sacerdotales, I, 133-134.

(5) VIII, 62-63. Homélie sur l'étendue universelle de la Royauté de Jésus-Christ (18 janvier 1874).

(6) C'est dans le but de préserver cette foi intégrale que Mgr Pie mettait ses fidèles en garde contre la lecture des mauvais journaux ou périodiques. Il leur inspirait aussi une aversion profonde pour la presse indifférente aux droits de Jésus-Christ et de l'Église. II, 344345 ; III, 238, 454 ; V, 394 et suiv.

(7) La famille est la première société. Mgr Pie, le Docteur du culte social, devait premièrement parler du culte domestique, prélude indispensable du culte public, au sens strict. Il l'a fait en 1854, dans la lettre synodale des Pères du concile de la Rochelle, insérée dans ses œuvres. T. Il, 148 à 150. Citons-en les principaux passages. C'est un tableau magnifique de la famille chrétienne : « Dans le langage de saint Paul, chaque maison est un sanctuaire. Qu'on y trouve donc la Croix de Jésus-Christ qui est le signe de toute maison chrétienne et que l'image de Marie, la Mère de Dieu et notre Mère, soit inséparable du Crucifix ! Que l'eau sainte et le rameau bénit protègent la demeure contre les embûches de l'ennemi ; que le cierge de la Chandeleur y soit conservé pour être allumé dans les instants de danger, à l'heure de l'agonie et de la mort. Ah ! nos pères possédaient le secret de cette vie toute chrétienne où la religion avait sa place marquée en toutes choses. Le repas était sanctifié par la bénédiction que récitait le chef de la famille. Trois fois par jour, quand l'airain sacré retentissait au sommet du clocher paroissial, chacun suspendait sa tâche et invoquait avec amour la Vierge qui a donné au monde le Verbe fait chair. A la limite du domaine était plantée une croix, que le travailleur saluait pieusement au détour de chaque sillon. On trouvait encore dans la journée des instants pour réciter son rosaire, pour lire quelques pages d'un livre héréditaire qui contenait les principaux faits des deux Testaments et les plus beaux traits de la vie des saints. La mère de famille ne croyait avoir satisfait à tous ses devoirs religieux que quand elle avait pu expliquer à ses enfants et à ses serviteurs quelqu'article de la doctrine chrétienne. S'il arrivait que le glas funèbre annonçât un trépas, tous les frères et toutes les sœurs en J.-C. du défunt s'empressaient de lui accorder le bienfait de leurs suffrages ; et le culte des morts si négligé aujourd'hui se produisait par divers témoignages et par des pratiques qu'on ne saurait trop rappeler. Enfin, quand le dernier rayon du jour ramenait autour du foyer la famille éparse, qu'il était touchant de voir les vieillards et les enfants, les maîtres et les serviteurs agenouillés devant les saintes images, confondre dans une même prière leur voix et leur amour ! Ces pieux usages attiraient sur la terre les bénédictions du ciel ; ils ennoblissaient la maison en même temps qu'ils la sanctifiaient et ils reflétaient sur la société quelque chose de grave, de digne qui maintenait avec l'unité des dogmes de la foi, l'innocence des mœurs et l'union des volontés.

 

« Puissions-nous voir revivre ces touchantes habitudes des âges chrétiens ». Il, 149-150. Voyez encore V, 21, 29. Allocution prononcée à la suite de la consécration de l'autel d'une chapelle particulière, 4 août 1863.

Rien n'est oublié dans ce programme de vie familiale chrétienne. Mais Mgr Pie savait qu'un rôle important et délicat est réservé dans la famille à la femme chrétienne : c'est elle qui doit veiller à la garde de la foi. Il l'exhorte à remplir avec perfection ce rôle sublime et, pour l’encourager, il lui montre qu'elle travaille ainsi, à sa manière, à la restauration sociale chrétienne. Écoutons : « Durant la première moitié de ce siècle, l'Église n'a rencontré sous sa main qu'un élément vraiment conservateur, qu'une puissance sérieusement conservatrice : la femme française... Ce sont les femmes françaises qui ont empêché le culte et le nom de Dieu de périr sur la terre et qui, malgré les sarcasmes et les dédains, ont conservé dans leur cœurs et dans leurs habitudes la religion de Jésus-Christ ». Mais pour que les femmes chrétiennes d'aujourd'hui soient dignes de celles qui les ont précédées, il les conjure « de conserver en elles la vie de la foi et de la grâce, l'esprit de renoncement et d’immolation ». Il les exhorte à s'opposer énergiquement « à ces habitudes nouvelles, à ces allures étrangères aux traditions de notre éducation nationale et chrétienne, qui menacent de se substituer à cette modestie suave, à cette aisance noble et réservée, à cette grâce enjouée et bénigne, en un mot à toutes ces qualités inexprimables qui ont rendu les femmes françaises l'admiration du monde entier ». II, 1-14. Éloge de sainte Theudosie. Pour entretenir et développer la vie chrétienne au foyer domestique, Mgr Pie consacrait les familles de son diocèse au Sacré-Cœur. VI, 614.

 

La religion chrétienne est une religion publique, et les fidèles sont tenus de la pratiquer ostensiblement. Mgr Pie, qui voyait avec raison dans ce caractère public de la religion l'acheminement normal vers le règne social de Jésus-Christ, a rappelé avec insistance aux fidèles la nécessité du culte public (1) et de ce qu'il impose.

Nous avons de lui trois sermons sur la sanctification du dimanche (I, 562-564) développés plus tard en deux magnifiques instructions pastorales sur la loi du dimanche (III, 564-597), loi qu'il appelle le chef d'œuvre de la législation sociale (2). Nous possédons plusieurs de ses instructions sur la Messe, sacrifice public de la religion chrétienne (3). Sur la liturgie, qui est l'ensemble du culte public, nous trouvons dans les œuvres de l'évêque de Poitiers une série d'instructions qui formeraient à elles seules un précieux volume (4). Il n'a pas oublié non plus de traiter de l'observance de la loi quadragésimale, qui pour le bonheur des peuples avait autrefois un caractère éminemment social (5). Une autre manifestation publique de la foi, le pèlerinage, a été étudié par lui avec soin (6).

Cette énumération rapide des pratiques extérieures et publiques de la religion nous montre combien le grand évêque tenait à ce que les fidèles fussent bien pénétrés de leur importance et de leur haute portée sociale.

Enfin, dans une magnifique instruction pastorale sur l'obligation de confesser publiquement la foi chrétienne, Mgr Pie leur montre qu'ils doivent non seulement s'associer ostensiblement au culte, mais encore se poser en chrétiens dans toute leur conduite publique.

Après avoir établi par l'Écriture la rigoureuse nécessité de ne pas rougir de Jésus-Christ devant les hommes, après avoir rappelé sans détour avec saint Jean que les "trembleurs" qui n'osent pas avouer leur foi, auront un même sort avec ceux qui ne croient pas, et dont le partage sera l'étang de feu. « Timidis autem et incredulis, pars illorum erit in stagno ardenti » (Apoc. XXI, 8) Mgr Pie réfute l'objection que la lâcheté, hélas ! met aujourd'hui sur presque toutes les lèvres. La voici :

« A tort, sans contredit, la sphère dans laquelle je suis forcément placé n'est pas une sphère chrétienne, constate le catholique timide, m'y poser en chrétien serait une singularité et un contraste, parfois même ce serait une provocation au sarcasme et au blasphème. Il faut bien se plier aux exigences des temps et aux nécessités des positions ».

« Donc, mon très cher frère, répond l'évêque, c'est parce que Jésus-Christ est méconnu de beaucoup de vos contemporains que vous vous croyez autorisé à le méconnaître ; c'est parce qu'un souffle mauvais et irréligieux a passé sur la génération présente que vous revendiquez le droit de participer à la contagion.

«  Eh bien ! sachez-le, cette infidélité générale que vous invoquez comme une excuse, c'est une circonstance qui aggrave plutôt qu'elle n'atténue votre faute. En face de cette apostasie du grand nombre, vous étiez tenu de déclarer plus hautement votre foi et de devenir ainsi un exemple et une protestation. N'entendez-vous pas retentir à vos oreilles la solennelle affirmation du Sauveur : Celui qui se sera fait honte de Moi et de Mon Évangile, devant cette génération corrompue et pécheresse, J'en aurai honte à mon tour quand J'apparaîtrai dans la gloire de Mon Père, en la société de Mes anges ».

 

(1) Œuvres sacerdotales, I, 506-519.

(2) III, 594. Au sujet de la sanctification du dimanche, Mgr Pie a écrit :

« L'institution du dimanche, avec les salutaires observances qu'elle réclame, suffirait à elle seule pour faire fleurir la plus parfaite morale

sur la terre. Œuvres sacerdotales I, 329.

(3) Œuvres sacerdotales Il, 1-38 Nous savons par Mgr Gay (corresp. I, 240) que l'évêque de Poitiers comptait faire suivre sa seconde synodale sur les principales erreurs du temps présent, d'une troisième sur le saint sacrifice de la Messe. 4 Sur les temples catholiques. Œuvres sacerdotales I, 519-535. - Sur le caractère dramatique du culte catholique. Ib., 535-562. - Sur les offices de l'église. Œuvres sacerdotales Il 38-52. - Sur le cycle ecclésiastique. Ibid. Il, 52-67. - Sur la journée sanctifiée par l'Église. Ibid. Il, 76-92. - Résumé des instructions sur le culte. Ibid. Il, 92-102.

(5) VI, 40-60. Dom Guéranger (L'année liturgique. Le Carême) a bien fait ressortir le caractère profondément social du Carême : «  La société chrétienne empruntait à l'année liturgique ses saisons et ses fêtes, particulièrement le temps du Carême, pour y asseoir les plus précieuses institutions, par exemple la trêve de Dieu... Il ne faut pas réfléchir longtemps pour comprendre la supériorité d'un peuple qui s'impose, durant quarante jours chaque année, une série de privations dans le but de réparer les violations qu'il a commises dans l'ordre moral, sur un peuple qu'aucune époque de l'année ne ramène aux idées de réparation et d'amendement ». L. c. ch. 2 et 3. 6 Voyez par ex. VII, 584-587.

 

« Eh quoi ! mon frère, vous seriez avili à vos propres yeux, vous auriez perdu le droit de vous estimer vous-même, si vous aviez la lâcheté de ne pas sembler reconnaître un ami au jour de la disgrâce ; et parce que le Dieu du ciel et de la terre, le Dieu de votre âme et de votre baptême est devenu impopulaire, parce que vous risqueriez de partager avec lui la défaveur d'une génération abaissée et digne de mépris, vous croyez être quitte de vos devoirs envers lui ! Non, non, c'est la loi même de l'ordre et de la justice qui l'exige : nous serons traités de Jésus-Christ comme nous l'aurons traité Lui-même. Si nous Lui demeurons fidèles, nous régnerons avec Lui ; mais si nous Le renions, Il nous reniera...

« Honneur donc à vous, chrétiens, qui êtes conséquents avec vous-mêmes ; honneur à vous qui croyez et qui ne rougissez point de votre croyance. Celui que vous confessez devant les hommes, sans ostentation, sans jactance, mais aussi sans respect humain, sans fausse honte, vous confessera devant Son Père et devant Ses anges (1) ».

Éclairé et réconforté par de telles paroles, quel est le fidèle qui, méprisant le respect humain, ne travaillera de toutes ses forces par la pratique du christianisme, au règne social du Christ (2) ?

Le grand moyen pourtant de promouvoir ce règne, c'est la prière qui vivifie l'action et obtient du ciel le succès que nos seuls efforts ne sauraient procurer.

Mgr Pie nous a montré dans les trois premières demandes du Pater : « que Votre nom soit sanctifié, que Votre règne arrive, que Votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel », la prière par excellence, pour l'avènement du Royaume social ici-bas.

Il veut que les fidèles saisissent le sens complet de cette prière et qu'ils sachent que le règne dont il est parlé n'est pas seulement le ciel, mais encore le règne social du Christ sur la terre. Ils doivent donc, en la récitant, désirer ce règne et prier avec confiance le Père céleste d'accorder au monde cet inestimable bienfait.

Écoutons l'Évêque de Poitiers recommander la prière pour le royaume. C'est à une religieuse qu'il s'adresse et par elle, à tous les fidèles qui aiment N.-S. Jésus-Christ.

« La cure spirituelle n'avance pas chez ceux qui sont au timon des affaires, soit hommes du pouvoir, soit hommes de l'avenir. Dieu n'est mis par personne à sa place. Hélas ! nous apprendrons à nos dépens, qu'on ne se passe pas impunément de l'Être nécessaire. Le monde lui pardonne son existence, pourvu qu'il veuille bien laisser son œuvre se passer de lui, et ce monde n'est pas seulement le monde impie, mais un certain monde politique chrétien. Pour nous, appliquons-nous à mieux sentir, à mieux accentuer que jamais les trois premières demandes du Pater. Et tant que le monde présent durera, ne prenons point notre parti de confirmer le règne de Dieu au ciel, ou même à l'intérieur des âmes : sicut in cœlo et in terra ? Le détrônement terrestre de Dieu est un crime : ne nous y résignons jamais ! Et comme le détrônement de son représentant visible s'y lie étroitement, prions sans cesse pour que la grande iniquité consommée à Rome ait une fin. Puis, comme la délivrance de Rome ne peut venir que par la France, mettons plus que jamais notre patriotisme national, mais mettons surtout toute l'ardeur de notre amour de Dieu, et de Son Église à travailler au relèvement de la France par nos prières et nos souffrances ! (3) »

Que les fidèles ne se lassent donc pas de prier pour l'avènement du Royaume et que leur prière, en nos jours d'apostasie nationale, soit plus fervente et plus confiante que jamais ! C'est le mot d'ordre du Cardinal Pie (4).

 

(1) VIII, 81-82-83. Instruction pastorale sur l'obligation de confesser publiquement la foi chrétienne. (Carême 1874).

(2) Pour aider à la perfection de la vie publique du chrétien, Mgr Pie encourageait vivement les associations chrétiennes qui sont une

force imposante dans la cité et dans l'Église. Il affectionnait particulièrement les associations qui développent la vie paroissiale. IV, 277. IV, 189 et sv.

Rappelons aussi qu'il s'est intéressé spécialement aux Cercles catholiques d'ouvriers, fondés par le Comte de Mun. il voyait dans cette œuvre un effort persévérant pour arracher la classe populaire aux étreintes de l'antichristianisme incarné dans la Révolution et la rejeter dans les bras de N.-S. J.-C. toujours enseignant et agissant par Son Église. IX, 633; VII, 410-411 ; IX, 631 et sv. Voyez également : Discours du Comte Albert de Mun, accompagnés de notices par GEOFFROY DE GRANDMAISON, I, Questions sociales, p. 32 et p. 133-134. Notons enfin qu'il n'eût pas manqué de recommander instamment, dans le même but de restauration sociale, le Tiers-Ordre de saint François d’Assise, lui qui s’était fait recevoir tertiaire de Saint-François le 30 mars 1879, trois ans avant la fameuse encyclique « Auspicato » de LÉON XIII. Histoire du Cardinal Pie, Il. L. IX. p. 672.

Quant aux obligations électorales des fidèles en vue du Règne social, voir plus bas : Devoirs des prêtres : Note finale. Il est dit que les fidèles ne peuvent, sans péché grave, voter pour un sectaire notoire, ou pour un candidat affilié aux sociétés secrètes. Si déplorable que soit le système électoral moderne, les fidèles ne doivent pas, en règle générale, s'abstenir de voter. Mgr Gay nous donne sur ce point la pensée du Cardinal Pie. « La Révolution nous a condamnés à tirer du suffrage populaire et nos législateurs et jusqu'à nos gouvernements. C'est risquer de faire monter du sein de la mer ces bêtes néfastes dont parle l'Apocalypse. Mais enfin, tel est notre sort, et, s'il nous fait courir d'effroyables dangers, il nous impose de graves devoirs. Peut-être que notre principale, sinon même notre unique ressource est de les bien connaître et de les remplir fidèlement ». Mgr Gay à Mgr Freppel 11 juin 1881. Dans Mgr Gay. Sa vie, ses œuvres par Dom Bernard de BOIS ROUVRAY, II, 383. Documents et pièces justificatives.

(3) Histoire du Cardinal Pie, T. Il L. IV, ch. Il, p. 435. A la prière, le fidèle doit joindre la souffrance, la pénitence, la réparation, Mgr Pie cherchait à éveiller dans ses fidèles l'idée de la réparation nationale. Au sujet d'un jeûne prescrit, il écrivait en 1873. « Ce jeûne devra

être offert en esprit de réparation nationale » VII, 584.

(4) Pour obtenir de Dieu que la Royauté du Christ soit reconnue dans le monde entier, PIE XI a recommandé la prière suivante, accordant aux fidèles qui la récitent une indulgence plénière, qu'ils peuvent gagner chaque jour aux conditions ordinaires (Rescrit du 25 février 1923) :

 

« Ô Christ Jésus, je Vous reconnais pour Roi Universel. Tout ce qui a été fait, a été créé pour Vous. Exercez sur moi tous Vos droits. Je renouvelle mes promesses du baptême, en renonçant à satan, à ses pompes et à ses œuvres, et je promets de vivre en bon chrétien. Et tout particulièrement je m’engage à faire triompher selon mes moyens les droits de Dieu et de Votre Eglise. Divin Cœur de Jésus, je Vous offre mes pauvres actions pour obtenir que tous les cœurs reconnaissent Votre Royauté sacrée et qu’ainsi le Règne de votre paix s’établisse dans l'univers entier. Ainsi soit-il ».

 

Apprendre toute la religion et la pratiquer publiquement, croire à la royauté sociale de Jésus-Christ et prier pour qu'elle arrive, c'est le devoir des fidèles.

 

CHAPITRE II : DEVOIR DES PRÊTRES

Rôle capital du prêtre dans le renouvellement social. - Le prêtre doit être profondément initié à la doctrine de la Royauté du Christ. - Nécessité pour lui d'étudier les documents pontificaux sur cette question. Il doit prêcher la Royauté sociale du Christ sans atténuation, sans relâche et sans peur.

Dans cet immense travail de restauration sociale chrétienne, un rôle capital est réservé au prêtre. Sans lui, rien ne pourra être fait.

« Je crois, écrivait Mgr Pie, quelques jours après sa promotion épiscopale, que Dieu demandera beaucoup de nous, pour le maintien de son Église et le renouvellement de la société. Tout est à refaire pour créer un peuple chrétien ; cela ne se fera pas par un miracle, ni par une série de miracles surtout, cela se fera par le ministère sacerdotal, ou bien cela ne se fera pas du tout, et alors la société périra (1) ».

Rempli de ces pensées, il les communiquait à ses prêtres, en leur demandant de consacrer leur vie à la cause du Royaume social de Jésus-Christ. « Ne nous bornons pas comme les simples fidèles à dire chaque jour: Notre Père qui êtes aux cieux, que Votre règne arrive. Vouons notre vie entière, leur disait-il, à procurer cet avènement (2) ».

Mais, à quoi précisément se ramène ce rôle du prêtre ?

Mgr Pie va nous l'indiquer : le premier obstacle à la restauration du règne du Christ, nous l'avons vu, c'est l'ignorance religieuse, d'où les idées fausses et les préjugés du monde sur cette question capitale.

Le devoir primordial du prêtre sera donc d'instruire, pour redresser les esprits et dissiper les préjugés. C'est là sa mission.

L'évêque de Poitiers la lui rappelle. « Après avoir établi qu'il n'est aucune atteinte, aucune lésion dans l'ordre intellectuel qui n'ait des conséquences funestes dans l'ordre moral et même dans l'ordre matériel », après avoir constaté l'ignorance et les mille préjugés accrédités dans le peuple, Mgr Pie poursuit : « Parmi cette confusions d'idées et de fausses opinions, c'est à nous prêtres, de nous jeter à la traverse et de protester ; heureux si la rigide inflexibilité de notre enseignement peut arrêter le débordement du mensonge, détrôner les principes erronés qui règnent superbe    ment dans les intelligences, corriger des axiomes funestes qui s'autorisent déjà de la sanction du temps, éclairer enfin et purifier une société qui menace de s'enfoncer dans un chaos de ténèbres et de désordres (3) ».

C'est là un programme universel d'assainissement intellectuel, mais quant au point qui nous occupe, ce programme

sera réalisé, si le prêtre est un homme de doctrine, sachant donner aux fidèles et aux gouvernants l'enseignement complet de l'Église sur la royauté sociale du Christ. Pour que cet enseignement soit proposé avec fruit, Mgr Pie exige du prêtre qu'il en soit bien pénétré lui-même et le donne sans l'atténuer, dans son intégrité et qu'il ne craigne point d'insister, malgré des difficultés et oppositions inévitables.

Le prêtre doit être d'abord profondément pénétré de la doctrine de l'Église sur la Royauté de Jésus-Christ.

Il faut qu'il la connaisse à fond et, à cette fin, qu'il l'étudie dans les Pères, dans la tradition et qu'il soit scrupuleusement fidèle aux directions doctrinales données en ces derniers temps par le Saint-Siège sur cette haute question (4).

Dans le bullaire pontifical du XIXè siècle Mgr Pie a en vue tout spécialement l'encyclique « Quanta cura » du 8 décembre 1864 avec le Syllabus errorum qui y est annexé.

« L'acte du 8 Décembre, dit-il à ses prêtres, a une portée considérable... Le naturalisme politique érigé en dogme des temps modernes par une école sincèrement croyante, mais qui se met en cela d'accord avec la société déchristianisée au sein de laquelle elle vit : voilà l'erreur capitale que le Saint Siège a voulu signaler et à laquelle il a voulu opposer les vrais principes de la doctrine catholique... (5)

« Les sociétés, les pouvoirs, les dynasties, rien ne tient, rien ne dure depuis un siècle. De nouvelles et plus effroyables crises sont imminentes. Dans cet état de choses, le Saint Siège proclame la vérité sur les droits de Dieu, sur les devoirs des nations et de ceux qui les régissent. Entendue, sa voix peut sauver les sociétés, les pouvoirs, les dynasties ; méprisée, elle expliquera et justifiera leur chute, leur ruine. Dans tous les cas, l'Église aura rempli sa mission, le pasteur suprême aura délivré son âme... (V, 437).

 

(1) Histoire du Cardinal Pie, I, L. I, ch. VII, 219.

(2) II, 999. Homélie pour l'ouverture du second synode. Cette homélie ne se trouve pas dans la 1ère édition.

(3) Œuvres sacerdotales, I, 356-357. Sermon sur l'intolérance doctrinale (1841 et 1847).

(4) Les documents patristiques et pontificaux les plus importants sur le Droit social chrétien ont été reccueillis par Mgr Speiser, professeur de Droit canon à l'université de Fribourg dans un opuscule de 80 pages : Conspectus prælectionum de jure Canonico quem in usum privatum auditorum additis textibus selectis edidit FRIDERICUS SPEISER. Friburgi Helvetiorum. Typis consociationis sancti Pauli 1903.

Cette étude des documents sera heureusement complétée par la lecture des œuvres de JOSEPH DE MAISTRE. Signalons surtout : Du Pape, De l’Église Gallicane, Considération sur la France. Les œuvres de Louis VEUILLOT, tout particulièrement : L'illusion libérale, Le Parfum de Rome. Les ouvrages D'AUGUSTE NICOLAS, spécialement : L'État sans Dieu, La Révolution et l’ordre chrétien seront médités avec profit.

Parmi les auteurs ecclésiastiques qui ont tout spécialement étudié notre question nous citerons surtout : BALMES : Le protestantisme comparé au catholicisme dans ses rapports avec la civilisation européenne ; Le P. LIBERATORE : L’Église et l'État dans leurs rapports mutuels , FR. CHESNEL: Les droits de Dieu et les idées modernes, 2 vol. ; Mgr FREPPEL : La Révolution française ; Mgr GAUME : La Révolution ; DOM BENOIT : La cité antichrétienne au XIXè siècle. (Les deux volumes sur les idées modernes) ; P. UBALD DE CHANDAY : Les trois Frances (La France satanique, la France chimérique ou le libéralisme et la France catholique).

On trouvera aussi des aperçus très judicieux dans L’Église et les libertés de Dom BESSE, et dans Le Christianisme et les temps présents par Mgr BOUGAUD (Tome IV : l'Église, 3è partie : L'Église et la société moderne).

Consulter Mgr de SEGUR : La Révolution ; Mgr DELASSUS : La Conjuration antichrétienne ; Le P. VENTURA Le pouvoir politique chrétien. Pour une bibliographie plus détaillée Cf. : articles : Église et État. Libéralisme, Laïcisme dans le Dictionnaire de Théologie de VACANT et dans le Dictionnaire d’Apologétique de la foi catholique d’Alès.

(5) V, 436. Entretien avec le clergé (Juillet 1865) et VII, 567-572 : trois brefs pontificaux relatifs au libéralisme catholique.

 

« En conséquence, que chacun d'entre nous ayant devant soi ce trésor nouveau et ancien, que notre excellent Père en Jésus-Christ a daigné nous ouvrir de la plénitude de son cœur, s'applique à y puiser une doctrine pure et irrépréhensible touchant ces importantes questions (1) ».

Cette doctrine pure et irrépréhensible, le prêtre doit la donner entière.

Mgr Pie, dans une instruction synodale, compare la doctrine sociale chrétienne à un merveilleux breuvage qui doit sauver la société. Le prêtre est le médecin. Que par des mélanges, il n'enlève pas à la précieuse boisson sa puissante vertu curative. Écoutons plutôt :

« Supposons qu'en. temps d'épidémie le pharmacien de la cité ait la barbarie de couper de moitié eau l'antidote qui aurait besoin de toute sa puissance pour triompher du fléau mortel, cet homme serait-il moins criminel qu'un empoisonneur public ? Or, la société moderne est en proie à un mal terrible qui lui ronge les entrailles et qui peut la précipiter au tombeau. Le contrepoison ne sera efficace que s'il garde toute son énergie ; il sera impuissant s'il est atténué. Ne commettons pas le crime d'obéir aux fantaisies, aux sollicitations même du malade. Le miel, aux bords de la coupe, à la bonne heure, mais que le breuvage conserve toute sa force, sinon la société périra "par cette funeste condescendance" (2) »

Enfin, sans crainte de se répéter, le prêtre doit insister sur l'enseignement des droits sociaux de Jésus-Christ. Prêcher, sans relâche, le règne de Dieu « prædicare regnum Dei, c'est le devoir premier du prêtre, comme c'est le plus grand besoin de l'époque présente (3) ».

Mgr Pie indique aux prêtres les raisons d'une proclamation incessante. Il faut prêcher les droits de Jésus-Christ sur la société, parce que le naturalisme politique qui s'y oppose est toujours très vivant, étendant de jour en jour ses ravages. Il faut prêcher cette doctrine, sans se lasser jamais, parce que le naturalisme triomphera fatalement, si le sacerdoce ne lui oppose la réfutation la plus incessante.

« Ne nous reprochez pas, dit-il, de revenir si souvent sur cette question des droits de Jésus-Christ sur la société ; le devoir du médecin spirituel, comme du médecin des corps, dure aussi longtemps que le mal qu'il s'agit de déraciner. Nos plus saints et nos plus illustres devanciers nous ont tracé le devoir à cet égard. Les erreurs des Donatistes avaient une portée incomparablement moindre que celles dont nous expérimentons actuellement les lamentables effets. Nous voyons cependant, en lisant les sermons du saint Évêque d'Hippone, qu'il n'omettait pas une occasion de reprendre contre eux une polémique devenue à peu près quotidienne. L'esprit de secte est éminemment opiniâtre et entêté ; sans égard aux réponses les plus péremptoires, aux réfutations les plus décisives, il répète imperturbablement les même banalités, reproduit invariablement et non sans pudeur les mêmes lieux communs. Si les défenseurs de la vérité, par une délicatesse hors de propos, se font scrupule de la redite, s'ils ne renouvellent pas les coups déjà cent fois portés au mensonge, celui-ci reste maître du terrain (4) ».

Que le prêtre ne se lasse donc pas de proposer à la société cette doctrine de vie, qu'il l'enseigne à temps et à contretemps, sans hésitation, sans crainte. Il est bien vrai que sa parole sera tenue par les ennemis du règne de Jésus-Christ, comme une parole intéressée (5), « parole dangereuse et funeste pour le pays » (VIII, 89). Il est vrai encore « que son attitude énergique en face du naturalisme rencontrera la contradiction et le blâme, même chez les bons », que son intervention sera discutée, dans sa forme, dans son opportunité, dans ses résultats et deviendra le thème des appréciations les plus diverses (6) ».

Qu'importe ! C'est la loi de la vérité d'être combattue mais c'est aussi sa loi de triompher par l'opposition même qui lui est faite.

 

(1) V, 443. Entretien avec le clergé (juillet 1865). Un des meilleurs commentaires du Syllabus à l'usage des prêtres est assurément celui du chanoine JULES MOREL, consulteur de la Sacrée Congrégation de l'index. Ce commentaire se trouve dans le tome ler (p.1 à 158) de la Somme contre le catholicisme libéral du même auteur. Paris : 1877 (Vict. Plamé). Voyez aussi le Syllabus pontifical ou réfutation des erreurs qui y sont condamnées, par l'abbé LEONARD FALCONI, Traduction Materne.

(2) III, 260. Seconde instruction synodale sur les principales erreurs du temps présent. C'est dans cette synodale que Mgr Pie explique, à la suite du Pape saint Gélase, ce qu’il faut entendre par funeste condescendance. La condescendance fatale est l'abandon de la doctrine, par amour de la paix, par égard pour la faiblesse de ceux qui ne possèdent pas la vérité. C'est descendre, c'est s'avilir avec eux. L'évêque de Poitiers ne veut pas d'une telle condescendance qui conduirait à une ruine plus grande encore. Voici comment il cherche à en détourner les fidèles et les prêtres.

« L'abaissement de toutes choses parmi nous depuis que nous avons quitté les hauteurs où le christianisme nous avait placés, l'abaissement des esprits, l'abaissement des cœurs, l'abaissement des caractères, l'abaissement de la famille, l'abaissement du pouvoir, l'abaissement des sociétés, en deux mots, l'abaissement des hommes et l’abaissement des institutions : c'est ce que tout le monde voit et reconnaît, c'est ce que personne ne nie. Or, comment le terme à tant d'abaissements pourrait-il être dans l'abaissement de la vérité, c'est-à-dire du principe qui peut seul imprimer aux hommes et aux institutions un mouvement de réascension ? Ah ! conjurons bien plutôt à mains jointes, s'il en était besoin, les oracles de la doctrine, de n'avoir jamais la faiblesse de se prêter à aucune complaisance, à aucune résistance, conjurons-les de nous dire à l'avenir "toute la vérité", la vérité qui sauve les individus et la vérité qui sauve les nations. La condescendance serait désormais la consommation de notre ruine. Loin donc de demander à l'Église de Jésus-Christ de descendre avec nous "ad ima de summis" demandons-lui de rester où elle est, et de nous tendre la main, afin que nous remontions avec elle "ad summa de imis", et la région basse et agitée où nous sommes descendus et où nous sommes en voie de descendre encore davantage, à la région haute et sereine où elle fait habiter les âmes et les peuples qui lui sont fidèles ». III, 262. Voyez VII, 382-383 un passage semblable sur «  les fatales condescendances qui seraient des trahisons envers le ciel et envers la terre ».

(3) Il, 312. Homélie au second synode diocésain (Juillet 1855).

(4) VIII, 83-84. Instruction pastorale sur l'obligation de confesser publiquement la foi chrétienne.

(5) Il, 32. Entretien avec le clergé diocésain sur les qualités du zèle sacerdotal (1853).

(6) IV, 232, et 423. Lettre à M. le ministre de l'instruction publique et des cultes (16 Juin 1861) et Réponse à M. Billault, ministre commissaire du gouvernement impérial (4 Avril 1862).

 

Telle est la mission du prêtre pour la restauration du Règne social : mission doctrinale (1).

 

CHAPITRE III : DEVOIRS DE L'ÉLITE INTELLECTUELLE ET DES CHEFS

 

RÔLE VÉRITABLEMENT CAPITAL DES CHEFS POUR LA RESTAURATION SOCIALE CHRÉTIENNE

 

Mais à qui sera-t-il donné de réaliser cette doctrine enseignée par le prêtre ? A qui incombera d'introduire le Droit

chrétien dans les lois et les institutions ? Mgr Pie le précise. C'est d'en haut que doit partir le mouvement. Voici ses paroles :

« Les dispositions de ceux qui président ici-bas aux empires ont une importance réelle. C'est qu'ils peuvent beaucoup pour la vie ou la mort des âmes. Avec Constantin, le monde entier, je veux dire le monde connu et civilisé, ne tarde pas à devenir chrétien. Le baptême de Clovis entraîne celui de tout le peuple franc. Tant que le prince n'est pas conquis à la vérité, l'apostolat peut multiplier les conquêtes individuelles, mais il ne remporte pas sa victoire définitive qui est la proclamation publique et sociale de la vérité. Les peuples ne sont entrés en masse dans l'Église qu'à la suite de leurs princes et l'Église n'a régné sur les nations, sur leurs lois, sur leurs institutions, sur leurs mœurs que quand elle a pris possession du cœur des rois (2) ».

La réponse est claire et nous voici, avec le grand évêque, au cœur de notre sujet. C'est par les princes, les chefs de peuples que Jésus-Christ a régné autrefois et c'est par eux qu'il veut régner aujourd'hui.

Les chefs sont de deux sortes : l'élite intellectuelle et, au sens strict, tous ceux qui détiennent à quelque degré l'autorité civile : empereurs ou rois, présidents de Républiques, ministres, membres des assemblées nationales, préfets de provinces et magistrats de communes (3).

Quels devoirs leur impose la Royauté sociale de Jésus-Christ ?

Mgr Pie les indique longuement, avec une insistance qui nous montre combien ce sujet lui tenait au cœur.

Pour exposer complètement son enseignement, nous donnons dans ce chapitre, divisé en deux parties : les devoirs communs à l'élite intellectuelle et aux chefs d'abord, puis, les devoirs de l'élite intellectuelle. Quant aux obligations spéciales des chefs politiques, elles formeront une section distincte : le programme de Restauration sociale.


I - DEVOIRS COMMUN A L'ÉLITE INTELLECTUELLE ET AUX CHEFS

Solide et complète instruction religieuse basée sur la philosophie de saint Thomas d'Aquin.

- Participation ostensible et officielle à la vie liturgique de l'Église.

L'évêque de Poitiers rappelle tout d'abord que le titre de laïques, que se donnent volontiers les chefs des sociétés modernes pour justifier leur neutralité areligieuse, ne les dispense pas de leurs devoirs de chrétiens.

"Laïque" est un nom de création et d'origine chrétienne (4), il n'est pas synonyme d'indifférent ; il équivaut au nom de fidèle, par opposition à celui de clerc et de moine (III, 136-137).

 

(1) C'est ainsi que Mgr Pie l'a toujours envisagée : doctrinale et même uniquement doctrinale. Il a refusé d'être député, et voici dans quel esprit : « Je ne vous ai point dit, écrivait-il à l'évêque de Metz, que j'ai refusé une candidature dont le succès était certain... Il faudrait des volumes pour exposer toutes les raisons de mon refus. Je m'applaudis infiniment du parti que ma conscience m'a dicté, contrairement à l'avis presqu'unanime de mon entourage. Si plus tard la France veut du prêtre non seulement comme homme d'ordre et de conservation matérielle, mais comme homme de foi et de convictions, si elle lui donne un mandat direct, afin qu'il représente les intérêts religieux et qu'il défende la doctrine de Jésus-Christ devant l'assemblée, je serai prêt à l'accepter de ma part. Aujourd'hui je ne vois rien à faire de bon et d'utile ». Lettre à Mgr Dupont des Loges, Histoire du Cardinal Pie I L 1, ch. 6, p. 192. Dans les entretiens intimes avec son clergé, il a toujours mis ses prêtres en garde contre toute action politique. « L'expérience prouve qu'au bout d'un certain nombre d'années le curé le mieux posé dans sa paroisse est celui qui ne se lie point aux partis, et que le prêtre le plus influent est celui qui n'a jamais cherché l'influence ». Il, 32.

De même les conseils de modération et de prudence donnés à ses prêtres au XVIè synode diocésain (1871) ne sauraient trop être médités : VIl, 265-268. Dans un autre Synode (1873) Mgr Pie leur disait : « Vous savez tous, qu'ayant coutume de suivre avec attention les affaires du temps, je m'en désintéresse volontiers au point de vue simplement politique. Les questions étant posées comme elles le sont le plus ordinairement, la règle à suivre pour nous est très souvent celle que le divin Maître a tracée dans ces paroles : Dimitte mortuos sepelire mortuos suos : laissez les morts ensevelir leurs morts; et quant à vous, occupez-vous d'annoncer le règne de Dieu ». Tu autem vade et annuntia regnum Dei. VII, 575. Voyez encore Entretien avec le clergé au 22è syn. dioc., 1877, IX, 501-502. Cependant la Révolution nous condamnant à tirer du suffrage populaire et nos législateurs et nos gouvernements, le devoir doctrinal du prêtre ne s'étend-il pas à éclairer le suffrage ? Mgr Pie n'a pas traité la question, mais nous pouvons connaître sa pensée par la lettre suivante de Mgr Gay à Mgr Freppel, évêque d'Angers. « Certes, il ne s'agit pas d'entrer directement comme évêque dans la question purement politique, j'entends la préférence à tel ou tel candidat, eu égard à son opinion sur la forme même du pouvoir ; si importante que soit cette question, nous ne saurions ni la traiter ni même y exercer une influence publique à titre de ministres de Dieu et de pasteurs des peuples. Mais n'est-il pas possible et licite et urgent de faire, épiscopalement, en vue de l'acte qui s'impose aux fidèles, une exposition pratique des principes où ils doivent s'appuyer, de leur montrer en particulier, qu'abstraction faite de tout parti, ils ne peuvent, sans péché grave, donner à un sectaire notoire une voix qui est un concours direct et efficace à l'institution des législateurs de la France et à la Constitution même du pouvoir qui doit nous régir? N'est-ce pas le moment de déclarer à nouveau, en se fondant sur tant de bulles pontificales, publiées depuis un siècle et demi, que tous les membres connus des sociétés secrètes, nommément les francs-maçons, doivent être absolument exclus du suffrage de quiconque veut ne pas compromettre son salut en cessant d'être docile à Dieu et à l'Église, que partant, avant même de s'informer de l'opinion politique des candidats, tout catholique doit s'enquérir s'ils appartiennent ou non à cette secte abominable ? » Lettre de Mgr Gay, 11/6/1881, citée par Dom B. DU BOISROUVRAY. Mgr Gay, sa vie, ses oeuvres, Il, 383-384. Documents et pièces justificatives.

(2) III, 247-248. Homélie pour les fêtes de la béatification du Bienheureux Charles Spinola et de ses compagnons martyrs (8/11/1868).

(3) Mgr Pie a traité aussi, mais sommairement, des obligations des chefs militaires. Il leur montra dans saint Maurice un patron dont l'exemple est une leçon perpétuelle de courage à professer la foi et à pratiquer la loi de Jésus-Christ. IV, 10-15. Homélie prononcée en la solennité de saint Maurice, patron de la garnison militaire.

(4) III, 135. Seconde instruction synodale, sur les principales erreurs du temps présent.

 

La qualité de laïque n'exclut donc pas les conséquences du baptême chrétien (1), mais bien plutôt elle les implique rigoureusement (2). Ainsi, pour Mgr Pie, le premier devoir des chefs, comme des autres fidèles, c'est qu'ils s'instruisent de la religion chrétienne.

« Sachez au moins votre catéchisme, s'écrie-t-il, vous qui gouvernez le monde (3) ».

Il exige plus, il veut chez les chefs, cette instruction solide, complète, supérieure, et il en trace lui-même le programme détaillé. C'était en 1875, à l'occasion de l'érection de la Faculté de théologie de Poitiers. L'évêque aurait voulu y voir entrer tous ceux qui un jour pourront avoir une part au gouvernement du pays.

« Si l'enseignement d'une bonne faculté de théologie, disait-il, recrutait chaque année dix ou douze étudiants laïques des divers points de la France, s'ils venaient y suivre un bon cours de philosophie selon saint Thomas, un cours de droit naturel, un cours de droit social chrétien et de droit ecclésiastique, avec cela le pays changerait de face.

« Dans dix ans, cent élèves auraient reçu cet enseignement et la moitié d'entre eux dussent-ils n'en pas profiter, car il faut prévoir les défaillances, les autres iraient porter dans les fonctions de l'État, dans les carrières libérales, au grand avantage du pays, cette science que le prêtre est le seul aujourd'hui à connaître et dont, en dehors de lui, nul n'a plus l'idée. Une vingtaine, une trentaine d'hommes supérieurs, fortement nourris de la science du droit, appuyée des principes dont l'Église est demeurée seule dépositaire, auraient une influence énorme soit dans une assemblée nationale, soit dans la gestion des diverses charges publiques » (IX, 216-217).

Notons bien l'ampleur et la profondeur de ce programme d'études : un bon cours de philosophie selon saint Thomas (4), un cours de droit naturel, un cours de droit social chrétien et de droit ecclésiastique. Ce programme est véritablement génial par son adaptation très parfaite à l'élite sociale contemporaine.

Nos chefs politiques, par exemple, c'est la remarque de Mgr Pie lui-même, ne manquent pas de talents, de noblesse, de générosité et de grandeur (5). Mais chez eux, le mal est dans l'intelligence, faussée par une philosophie subjective ou agnostique. Cette mauvaise philosophie a engendré la mauvaise politique (6), car, affirme-t-il, « la mauvaise politique n'est pas autre chose que, la mauvaise philosophie érigeant ses principes en maximes de droit public (7) ».

Ce mal intellectuel a tellement infecté l'élite qu'un penseur éminent a pu écrire : « Ce qui combat ma foi dans l'avenir de la France, c'est que l'erreur a envahi presque complètement les classes dirigeantes » (Le Play, Lettre 1871). Pourtant, à ce mal qui semble incurable, le Cardinal Pie oppose le seul remède efficace et infaillible : le retour à la philosophie de saint Thomas, c'est-à-dire à une philosophie qui, scolastique par ses principes et par ses méthodes, prouve la puissance et les limites de la raison et le caractère absolu de la vérité (8).

A cette philosophie doit s'ajouter une connaissance assez étendue de la théologie et tout spécialement du droit social chrétien et du droit ecclésiastique. « Le salut n'est que là » dit-il (9).

Tel est le premier devoir des chefs : pour faire régner Jésus-Christ sur la société, s'adonner aux études supérieures et demander à la véritable philosophie et à la théologie elle-même les solutions dont le pays a besoin (10). Mgr Pie ne se lasse pas de leur répéter les paroles des adversaires eux-mêmes (11) : « la théologie est au fond de toutes les questions contemporaines... La question religieuse résume et domine toutes les autres, les questions politiques y sont nécessairement subordonnées (12) ».

 

(1) VIII, 83. Instruction pastorale sur l'obligation de confesser publiquement la foi chrétienne.

(2) De même le titre de philosophes que se donnent certains écrivains et maîtres de l'enseignement ne les dispense pas d'embrasser la foi chrétienne. Mgr Pie leur montre que la philosophie séparée de la foi est antirationnelle, impossible, et purement imaginaire, impie. Il leur expose ensuite que la philosophie qui accepte l'autorité de la Révélation, s'agrandit et se rehausse. III, 148-187.

(3 )Œuvres sacerdotales : I, 162. Instruction sur la nécessité d'entendre la parole de Dieu (Chartres 1840).

(4)  Mgr Pie est ici un précurseur des directions doctrinales thomistes données par LÉON XIII et ses successeurs. L'Encyclique « Æterni Patris » recommandant la philosophie de saint Thomas est de 1879.

(5) « Nous croyons que ce qui a manqué à notre pays, ce n'a été ni la science des compromis, ni le talent et l'honnêteté dans les hommes du pouvoir, non plus que la modération relative dans les chefs de l'opposition » V, 198 Troisième instruction synodale sur les principales erreurs du temps présent.

(6) La philosophie sans foi et sans loi a passé désormais des spéculations dans l'ordre pratique... et elle a donné le jour à la politique sans Dieu. V, 516 Panégyrique de saint Émilien.

(7) Il, 437. Observation à propos d'une lettre de M. le ministre des cultes (décembre 1855). Le P. GRATRY, cité plusieurs fois avec éloge dans les Synodales de l'évêque de Poitiers, écrivait en 1853 : « la raison humaine est en péril et ce péril trop peu connu et trop peu signalé est l'une des plus redoutables menaces du temps présent... Qu'est-ce que la vérité ? La vérité peut-elle être connue ? La science est-elle possible ? Le raisonnement prouve-t-il quelque chose ? Et la parole a-t-elle un sens ? Les mots répondent-ils aux objets, ou ne sont-ils que de vains signes ? On l'ignore et on ne tient pas à le savoir ». De la connaissance de Dieu, p. 1 et 5 (éd. 1854). Depuis 1853, la crise de la raison n'a pas cessé et elle est aujourd'hui dans une période aiguë.

(8) Mgr Pie, dans sa première Instruction Synodale, fait remarquer que la saine philosophie ne se trouve que dans l’Église et qu'il faut la demander aux séminaires et aux Universités catholiques. « J'aurais la franchise de dire ce que je pense... ce qui est certain pour tout homme qui étudie et observe les choses : il n'existe plus guère de philosophie au XIXè siècle, si ce n'est chez les corporations religieuses, dans les séminaires et dans les Universités catholiques et si vous voulez trouver encore des hommes qui aient véritablement conservé foi dans la raison humaine, cherchez dans les rangs de ceux qui ont gardé la foi chrétienne en leur cœur » Il, 412. On voit par ce texte et par celui que nous venons de développer le rôle capital réservé aux Universités catholiques pour la restauration de la Royauté sociale de Jésus-Christ.

(9) IX, 218. Paroles prononcées à la séance de clôture du congrès catholique de Poitiers (1875).

(10) VIII, 88. Instruction pastorale sur l'obligation de confesser publiquement la foi chrétienne.

(11)Proudhon, P. Leroux et Mazzini.

(12) VIII, 88 et : « Le monde périt parce que la connaissance de Dieu a disparu et la connaissance de Dieu, c'est proprement la théologie. Elle éclaire tout, elle protège, elle défend toutes les autres vérités : celles qui se rapportent à Dieu, aux hommes vivant en société, à tous les devoirs moraux de la vie. Avec ses annexes nécessaires : l'Écriture sainte, le droit ecclésiastique, l'histoire, la philosophie qui est son préambule, elle plonge ses racines dans toutes les parties de l’esprit humain ». X, 452.

Voyez aussi IX, 282 : « Par elle-même et surtout par quelques-unes de ses annexes, la faculté de théologie vient combler un vide qui est devenu l'abîme des sociétés modernes. Après que le dix-huitième siècle eut proclamé les Droits de l'homme » et gardé le silence sur les droits de Dieu, n'est-il pas évident que ce legs, plus ou moins explicitement accepté par le dix-neuvième siècle, a été pour lui un testament de mort ? Arrivé aux trois quarts de sa course, ce siècle qui n'a marché que de chutes en chutes, de renversements, de déceptions en déceptions, ne va-t-il pas commencer à comprendre ce que c'est que Dieu du moins dans la chose sociale ? »

 

Il exige ensuite que tous les chefs de peuple prennent part officiellement au culte public de l'Église. Nous avons vu, au sujet du devoir des fidèles, quelle importance il attachait au culte public, expression partielle de la Royauté sociale. Il aimait à redire que « l'avenir de la France dépend beaucoup plus qu'on ne pense d'une question de liturgie », et il ajoutait pour justifier son assertion : « La question sociale ne sera dénouée que par la question religieuse et la question religieuse tient surtout à une question de culte (1) ».

Mais ce grand retour du peuple chrétien à la liturgie, condition nécessaire de la restauration du droit chrétien, ne pourra se réaliser que si l'élite et les chefs en donnent l'exemple. Cet exemple « sera le moyen infaillible de la génération de tout un peuple ». Mgr Pie entre ici dans les détails pratiques :

« Que tous les hommes influents observent religieusement et fassent observer de tous ceux qui leur obéissent le jour consacré à Dieu ; qu'ils assistent avec foi et piété au sacrifice des autels ; qu'ils entendent avec docilité et respect la parole évangélique... qu'ils viennent humblement avouer leurs fautes et puiser dans les sacrements catholiques (2) la lumière et la force dont, pour leur part, ils ont assurément besoin et bientôt leur exemple sera suivi et c'est à peine si les prêtres de Jésus-Christ suffiront à remplir le ministère des âmes (3) » ; et, parlant toujours à l'élite et aux chefs, il conclut par ce grave avertissement : « Sachez-le donc bien, hommes d'ordre et de conservation, si le désordre finit par triompher en France, s'il vient un jour de complète ruine pour tous les intérêts à la fois, vous serez responsables au tribunal de l'histoire d'avoir opté pour tous ces malheurs plutôt que de revenir à la pratique d'une religion qu'avaient pratiquée vos pères depuis plus de quatorze siècles. Le salut était possible, vous n'aurez pas voulu l'acheter à ce prix (4) ».

Pratiquer publiquement la religion catholique voilà le deuxième devoir des chefs et de l'élite intellectuelle.

Un dernier devoir leur est imposé pour qu'ils fassent régner Jésus-Christ sur la société : l'élite intellectuelle, ou le savoir, doit donner un enseignement nettement catholique, et les chefs, ou le pouvoir, doivent réaliser en politique, le programme chrétien.


II - DEVOIR SPÉCIAL DE L'ÉLITE INTELLECTUELLE : FAIRE RÉGNER J.-C. DANS L'ENSEIGNEMENT

Obligation rigoureuse de donner un enseignement chrétien. - La neutralité scolaire, injurieuse à Dieu et irréalisable.

- L'enseignement de la loi et de la religion naturelles insuffisant et chimérique. - Réponse aux objections.

Étudions d'abord le devoir spécial de l'élite intellectuelle. Par élite intellectuelle, nous désignons les philosophes, les historiens, les littérateurs, etc... et en général tous ceux qui écrivent mais spécialement. les professeurs qui ont la délicate mission de présider à la formation intellectuelle et morale de l'enfance et de la jeunesse.

Dans sa deuxième synodale sur les erreurs contemporaines, le Cardinal Pie constate, avec douleur, que l'élite intellectuelle a collaboré puissamment au renversement de la Royauté sociale de Jésus-Christ. « Ne dirait-on pas, écrit-il, que les philosophes de ces derniers temps, profitant de leurs accointances avec les politiques, ont inventé le secret de faire le vide autour de Jésus-Christ ? On ne l'attaquera pas, on ne contestera pas son droit de commander mais toutes les forces vives de la nature humaine seront tenues tellement à l'écart et en dehors de lui, qu'il sera sur la terre un roi sans ministres ou plutôt sans sujets (5) ».

Ayant reproché à toute l'élite intellectuelle d'avoir fait par son silence le vide autour de Jésus-Christ, il s'adresse à tous ceux qui enseignent et les conjure de sortir de ce silence, pour être fidèles à la rigoureuse obligation d'être chrétiens dans leur enseignement.

Citons cet énergique réquisitoire contre l'enseignement neutre :

« Comment un catholique, qui accepte de donner l'enseignement oral ou écrit à d'autres catholiques, pourra-t-il jamais concilier les maximes séparatistes de la prétendue philosophie officielle avec les exigences intimes de sa foi et de la foi de ses auditeurs ? Qu'on se rappelle les principes de saint Thomas (6) qui déterminent les occasions dans lesquelles tout homme baptisé est tenu de professer sa croyance. Qu'on dise si l'honneur de Dieu, la cause de la foi, l'utilité du prochain peuvent s'accommoder du système de réticences et du faisceau de principes erronés dont se compose la philosophie naturaliste ?

 

(1) Œuvres sacerdotales I, 518.

(2) SURTOUT DANS LA SAINTE EUCHARISTIE, car « L’Eucharistie est le centre où tout le christianisme se termine, c’est le résumé vivant et substantiel de la loi nouvelle... Tout est inachevé dans la vie du chrétien, tant qu'il n'en vient pas à la Communion ». X, 140. On voit par ce passage et par celui que nous avons donné dans le texte, au sujet de la liturgie, dont l'Eucharistie est le centre, le rôle transcendant de l'Eucharistie pour la rénovation sociale chrétienne. Ils ne se trompent pas ceux qui voient dans le mouvement qui porte les âmes à la communion quotidienne, et dans le succès grandissant des Congrès eucharistiques, le signe le plus sûr et le gage assuré du Règne de N.-S. L'apostasie des nations a commencé par l'apostasie eucharistique et surtout des chefs. « Qu'on le sache bien, écrivait le Vénérable Père EYMARD, un siècle grandit ou décroît en raison de son culte pour la divine Eucharistie ».

(3) Œuvres sacerdotales I, 193-194.

(4) Œuvres sacerdotales I. 194 et deuxième Instruction à l'occasion du jubilé semi-séculaire. I, 329-330.

(5) III, 167. Seconde Instruction Synodale sur les principales erreurs du temps présent.

(6) Saint Thomas : II II q.3 art 2 et le commentaire par Mgr Pie : II, 146-147-148. Donnons-en les passages principaux : Le précepte de professer extérieurement et ouvertement la foi chrétienne. Ce précepte, comme tout précepte affirmatif, disent les théologiens, doit être envisagé à deux points de vue. En tant qu'il implique une prohibition, son obligation est de tous les jours, de tous les instants et de toutes les situations de la vie : Il n'est jamais permis au chrétien de rien faire, ni de rien dire ni de rien écrire qui soit une négation de sa croyance. Au contraire, en tant qu’il commande un acte positif, le précepte, quoique permanent et continu, n'oblige pas à toute heure et à tout moment. Il n'est pas de nécessité de salut, dit saint Thomas, de professer sa foi partout et toujours ; mais ce qui est de nécessité de salut, c'est de professer à son heure et en son lieu, à savoir quand, par l'omission de cette déclaration de sa croyance, on préjudicierait à l'honneur dû à Dieu ou à l'utilité religieuse et morale du prochain. Par exemple, si quelqu'un, étant interrogé sur sa foi, se taisait et qu'on pût en conclure qu'il n'a pas la foi, ou que la foi n'est pas vraie, ou qu'il pût résulter de ce silence que le prochain fût détourné d'embrasser la foi ou exposé à la perdre : alors, l'honneur de Dieu et l'utilité du prochain demandent que l'homme ne se contente pas de l'adhésion intérieure de son âme à la vérité divine, mais il doit la confesser extérieurement ». Seconde Instruction synodale.

 

« Celui qui m'aura avoué et confessé devant les hommes, dit N.-S. Jésus-Christ, je l'avouerai et confesserai devant mon Père céleste. Or, le chrétien dont il s'agit, aura passé sa vie à traiter de la science qui a les points de contact les plus multipliés et les plus inévitables avec la religion, avec son dogme, avec sa morale, avec son culte, avec son histoire. Il avait pour auditeurs, pour lecteurs des hommes baptisés comme lui, vivant dans un milieu trop souvent indifférent ou sceptique, des jeunes hommes dont le jugement déjà plus mûr, les passions plus ardentes, réclamaient une doctrine forte et solide qui les aidât à retenir et peut-être à recouvrer la foi baptismale. Mille occasions naturelles se présentaient à lui de se déclarer chrétien et de laisser apercevoir, sous son manteau de philosophe, la robe de son baptême. Eh bien ! non ; il a parlé de tout, de Dieu, de l'âme, du corps, de l'origine de l'homme, de ses facultés, de sa destinée, de la vie présente, de la vie future et pas une fois, il n'a prononcé, avec l'accent d'un croyant, le nom de Dieu fait homme ; pas une. fois il n'a présenté à son disciple les caractères raisonnables et rationnels de la foi chrétienne ; il a disserté toute sa vie en païen, en infidèle ; et tandis que la religion demande à régler et à sanctifier tous les états, il a rempli le plus noble, le plus auguste, le plus divin de tous les états humains, sans jamais y faire acte positif de religion ; ou plutôt, il a tenu toujours la vérité captive, il l'a opprimée dans son injuste silence ; toute sa philosophie, loin de conduire à Jésus-Christ, n'a semble tendre et n'a réussi qu'à supprimer Jésus-Christ, à le rendre inutile ; toute sa sagesse humaine a eu pour résultat d'anéantir, et comme parle saint Paul d'évacuer la croix du Sauveur, en faisant les hommes justes par la seule foi de leur nature, son enseignement les a détachés de Jésus-Christ et fait déchoir de sa grâce. Ah ! si tous ceux qui auront dit : "Seigneur, Seigneur, ne seront pas admis pour cela dans le royaume des cieux", combien ceux-là sont assurés d'entendre la terrible parole . Nescio vos : "Je ne vous connais pas" qui n'auront pas même voulu prononcer le nom du Seigneur Jésus ! "Celui qui ne M'aura pas confessé devant les hommes, dit Jésus-Christ, Moi aussi Je ne le reconnaîtrai pas devant Mon Père céleste. Celui qui M'aura renié devant les hommes, Je le renierai devant les anges et les élus". Sur la terre cet homme apostat, quoiqu'il n'y fût bon à rien qu'à corrompre l'esprit public et à perdre les âmes, a pu être supporté, il a pu être admiré, il a pu être encouragé dans sa profession funeste, il a pu être richement payé sur le budget de la nation à laquelle ses doctrines préparaient tous les dix ou quinze ans de nouveaux renversements, mais ce triomphe aura un terme. "Un jugement très dur, nous dit l'Écriture, est réservé à ceux qui président aux autres". Quel sera donc le jugement réservé à ceux qui n'auront usurpé la direction intellectuelle des âmes que pour creuser un abîme infranchissable entre la raison et la foi, c'est-à-dire entre les hommes et le salut éternel ! (1) »

Les professeurs doivent donc faire régner Jésus-Christ dans leur enseignement, mais une objection se présente : les élèves qui affluent aux écoles de l'État ne sont pas tous catholiques. Il y a parmi eux des juifs, des protestants, et même les musulmans sont en grand nombre, surtout dans nos colonies (2).

Il faut donc, dira-t-on, que l'enseignement officiel n'offense aucune de ces croyances et la neutralité s'impose.

Nullement, et voici la pensée du Cardinal Pie. Les protestants, les juifs, les musulmans pourront avoir des écoles à eux, écoles réservées à leurs coreligionnaires et tolérées par l'État (3). Mais, si les parents des enfants non catholiques, les envoient librement aux écoles de maîtres catholiques, la neutralité dans ces écoles serait une injure à Dieu et une cruelle injustice envers ces élèves, car pourquoi ne pas éclairer ces hérétiques ou ces infidèles ? pourquoi les laisser dans la nuit de l'hérésie ou de l'infidélité « laquelle, au témoignage du Docteur angélique, est le comble de la perversité morale (4) ».

Mgr Pie, du reste, montre que cette neutralité, injurieuse à Dieu, est absolument irréalisable. Il faut lire attentivement les pages de la deuxième synodale, où il prouve qu'il est impossible à un professeur de ne pas offenser soit le catholique, soit le protestant, soit le musulman sur des points très importants de doctrine, de morale et d'histoire qu'il devra nécessairement aborder. Voici ces lignes :

« Car enfin, c'est bien vite dit : "les principes de morale et de religion communs à tous les peuples", la pratique est un peu plus difficile qu'on ne pense. Voici une école de philosophie fréquentée par des élèves de toutes les nations, de toutes les religions, de toutes les sectes. Le programme consiste à n'offenser personne dans ses convictions, à ne détourner personne de son culte. Mais, en matière de religion naturelle, que direz-vous de l'idolâtrie ? En matière de morale naturelle, que direz-vous de la polygamie ? Qu'enseignerez-vous sur l'unité de Dieu, sur la sainteté du lien conjugal ? Les idolâtres, les infidèles, les musulmans sont rares parmi nous, me dites-vous : il n'y a lieu d'en tenir compte. Toujours est-il que voici des centaines de millions d'individus, parmi lesquels la conquête de l'Algérie nous fait compter un assez grand nombre de citoyens français exclus de votre enseignement ou forcément blessés par votre enseignement, qui affichent cependant la prétention de s'accommoder à toutes les religions. Toutefois, consentons à ne parler que des chrétiens. Qu'enseignerez-vous sur le fatalisme, si clairement professé par Luther et Calvin ? Sur le libre arbitre audacieusement nié par ceux-ci, sur l'inutilité de bonnes œuvres professée par ceux-là, sur les châtiments éternels de l'autre vie rejetés par le plus grand nombre ? Ou vous allez offenser des croyances, ou vous allez laisser vivre des erreurs aussi contraires à la raison naturelle à la tradition historique du genre humain qu'opposées à la révélation. Mais que parlé-je de révélation ? Les chrétiens sincères de toutes les communions diverses et les juifs euxmêmes sont d'accord sur ce point : ils croient, non seulement à l'existence, mais à l'obligation d'une doctrine et d'une morale révélées ; pas un d'eux ne suppose qu'on puisse refuser à Dieu le pouvoir de se mettre en rapport direct avec sa créature, de lui enseigner des vérités inaccessibles à la raison, de lui intimer des préceptes surajoutés aux préceptes intérieurs de la conscience, de lui assigner une fin supérieure à sa fin propre et naturelle, de lui communiquer des grâces surnaturelles et proportionnées à cette fin, de lui envoyer un réparateur après sa chute, d'instituer une société divine sur la terre. Toucher à cela, c'est toucher à toute la substance de la religion juive ou chrétienne. Or, le principe même de la philosophie séparée renverse l'existence, ou à tout le moins l'obligation de tout l'ordre révélé ; dans ses plus grandes condescendances, il laisse tout au plus subsister comme un complément facultatif, réel ou imaginaire, ce que la foi présente comme la condition positive et le fondement rigoureux du salut. La philosophie souveraine et indépendante ne peut donc s'affirmer elle-même qu'en blessant la première et la plus élémentaire croyance de tout disciple de la révélation : et, dès qu'elle se montre à lui, tout en lui parlant de conciliation universelle, elle laisse clairement apercevoir une incompatibilité radicale entre elle et lui. Cette incompatibilité est surtout flagrante s'il s'agit de la religion catholique : la philosophie séparée n'est acceptable ni pour la conscience du maître ni pour celle du disciple » (III, 210212).

 

(1) III, 212, 213, 214. Seconde instruction synodale.

(2) La conquête de l'Algérie a soulevé le difficile problème de l'école pour les nombreux musulmans de nos colonies africaines. Dans quel sens ce problème doit être résolu, nous l'indiquons avec Mgr Pie. Ce problème scolaire n'est du reste qu'un des aspects de cette

grande question : la politique coloniale chrétienne. Sur ce point précis, voir plus loin Sect. Il.

(3) Voir plus loin : passage sur la tolérance.

(4) III, 180 et 218.

 

Les professeurs insistent : nous n'offensons personne si nous arrivons à enseigner la loi, la religion, la morale naturelle, et rien de plus ; car, après tout, nos élèves sont tous des hommes ; ils se rencontrent dans l'unité de la nature humaine.

Mgr Pie, qui vient de démontrer qu'en fait on offensera toujours les élèves en taisant la religion, puisque tous en ont une, aborde ailleurs franchement cet autre problème : la religion et la loi naturelles suffisent-elles et se suffisent-elles à elles-mêmes ?

Nullement, répond-il, car Dieu nous impose inséparablement la religion naturelle et la religion surnaturelle. Indépendamment de sa portée plus haute, seule, la religion surnaturelle nous donne de connaître et pratiquer la religion naturelle. Transcrivons les pages lumineuses qui dissiperont les ténèbres de la fausse philosophie sur cette importante question. C'est à propos du livre de J. Simon, La religion naturelle, que l'Évêque de Poitiers les a écrites.

« Les écrivains rationalistes, qui se sont faits depuis quelque temps les chevaliers de la religion naturelle, s'appliquent soigneusement à dissimuler une chose aussi essentielle qu'elle est incontestable : c'est que la religion naturelle existe tout entière dans le christianisme et n'existe spéculativement et pratiquement tout entière que là. A les en croire, le sectateur de la simple religion naturelle trouverait en elle le fond de toutes choses, le fond de toute vérité, de toute morale, et la religion surnaturelle ne surviendrait que pour offrir à ses disciples des formes de cultes et des pratiques de vertu plus ou moins surérogatoires, plus ou moins respectables, mais, dans tous les cas, nullement indispensables pour l'accomplissement des préceptes de la religion naturelle. Malheureusement, ici encore, la philosophie moderne affirme et ne prouve pas, ou plutôt, son affirmation est la contrevérité morale et historique la plus flagrante.

Qu'on nous la montre quelque part dans l'histoire, qu'on nous la montre dans l'humanité, à une époque et sous un ciel quelconque, cette religion naturelle vivant pleinement de sa propre vie, se réalisant et se formulant dans une société gouvernée par ses seules maximes, fournissant un code suffisamment complet de vérités et de préceptes, et surtout procurant le respect et le maintien de ces vérités dans les esprits, l'accomplissement et la pratique de ces préceptes dans les mœurs. Soixante siècles sont là pour le dire : ce phénomène n'existe pas ; c'est une hypothèse, ce n'est pas un fait. Le fait, c'est que notre nature est si faible de son propre fonds, et qu'elle a été en outre tellement affaiblie par le péché, qu'elle est impuissante par elle seule à connaître, à retenir toutes les vérités de la religion naturelle et plus impuissante encore à observer par ses propres forces tous les préceptes religieux et moraux de cette même loi naturelle. Le fait enfin, c'est que le christianisme, indépendamment de sa portée plus haute, réalise seul ici-bas toute la religion naturelle... Le christianisme complète donc, il augmente, il perfectionne, mais il n'exclut pas, il contient essentiellement, éminemment toute la religion naturelle, tous les devoirs et toutes les vertus de l'ordre naturel. Jésus-Christ n'a pas créé un nouveau décalogue, il a maintenu le décalogue antique qui n'est lui-même que le code révélé de la morale naturelle... En dernière analyse, un homme qui est chaste, qui est juste, qui honore Dieu n'est qu'un honnête homme ; or, je le répète avec saint Paul et avec l'Église, Jésus-Christ est venu apporter Sa lumière et Sa grâce afin que nous soyons cela, et que nous le soyons avec une valeur et un mérite qui nous élèvent au-dessus de l'honnête homme et qui nous rendent les fils adoptifs de Dieu...

« Il est donc essentiel de ne pas laisser les philosophes naturalistes donner le change plus longtemps aux esprits

sur cette matière. Eux-mêmes avouent que la religion naturelle n'a pas et n'est pas susceptible d'avoir ses représentants à part, son corps sacerdotal à part ; et cette religion ne paraît si commode à ses prôneurs que parce qu'ils entendent bien ne relever que du sacerdoce assez complaisant de leur propre arbitre et n'avoir à rendre compte de rien à personne...

« C'est pourquoi, à tout philosophe, épris d'amour et de zèle pour la religion naturelle, je dirai : Mon frère, prosternez-vous à deux genoux devant le christianisme ; car lui seul est le conservateur, le restaurateur, le promoteur de la religion naturelle ; lui seul en maintien toute l'intégrité doctrinale au moyen de ses enseignements précis et inflexibles; lui seul en obtient toute l'observation pratique au moyen des secours et des grâces qu'il procure... Philosophe qui faites un livre dont tout le résultat est de séparer la religion naturelle de son auxiliaire pratiquement indispensable, vous avez péché non seulement contre la loi de grâce, mais contre la loi de nature elle-même ; abandonnez une thèse si mal posée ; sinon, défenseur apparent de la religion naturelle, vous en seriez dans la réalité l'ennemi le plus perfide et le plus acharné démolisseur (1) ».

 

(1) III,             221-222 à 257. Même doctrine, sous une forme plus brève, dans la première Synodale. Mgr Pie s'adresse à ceux qui rêvent "d'une morale sociale, suréminemment catholique, qui se place au-dessus de toutes les religions".

 

« Non, jamais leur dit-il, on ne sauvera les nations, jamais on ne rétablira l'ordre moral et social au moyen de l'impiété. Or, depuis que Jésus-Christ est venu sur la terre, quiconque néglige ou refuse de Le connaître et de Lui obéir est un impie. Il est en révolte non seulement contre le Fils, mais contre le Père qui L'a envoyé, il pêche nous l'avons dit, non seulement contre la révélation, mais contre la raison qui ne permet point de mépriser la parole révélée de Dieu. On ne le répétera donc jamais assez la morale qui pouvait suffire aux nations païennes, est insuffisante depuis les temps chrétiens. Si Je n'étais pas venu et que Je ne leur eusse pas parlé, dit le Sauveur, ils seraient excusables. Mais maintenant, ils ne sauraient être excusés de leur péché... Si Je n'avais pas fait au milieu d'eux des œuvres que nul autre n'a faites, leur faute serait pardonnable ; mais maintenant, ils ont vu Mes œuvres, et ils Me haïssent, ils haïssent Mon Père ».

« Ainsi la morale qui s'en tient, de propos délibéré et de parti pris aux lois de la simple nature, ne saurait procurer désormais le salut, même temporel des individus ni des sociétés. Car cette morale est insuffisante et incomplète ; et de plus, elle ne peut être observée dans tout son ensemble que par un secours surnaturel de la grâce.. Dieu ne versera point ses bénédictions sur les contempteurs de son Fils. Philosophes qui proclamez la déchéance de Jésus-Christ, vous ne prendrez point Sa place, et s'il était vrai qu'il n'existât plus sur la terre de société chrétienne, vous ne réussiriez pas davantage à y refaire une société d'honnêtes païens ». Il, 402-403.

Ajoutons pour confirmer cet enseignement la fine réflexion de Mgr Pie à ses prêtres, au sujet du livre de Jules Simon, intitulé : De la religion naturelle : « Chaque fois qu'on vous présentera, Messieurs, un livre quelconque annonçant comme un cours complet de philosophie d'après les seules lumières naturelles, soyez assurés de constater bientôt deux choses : premièrement, d'immenses lacunes dans ce cours complet, et deuxièmement, des traces manifestes de religion révélée dans ce livre de pure raison. Pour ma part, j'ai lu avec la plus grande patience un livre intitulé : De la religion naturelle. Ma conscience m'oblige de dire que je n'y ai pas trouvé une religion et que dans le peu de religion qu'il contient, j'ai trouvé beaucoup de surnaturel ». III, 162-163. Seconde instruction synodale.

 

Reste une difficulté que Mgr Pie n'a pas connue comme nous : la loi de l'enseignement neutre. L'évêque de Poitiers s'adressant, en 1857, aux maîtres enseignant en France, pouvait leur dire, en stigmatisant ceux qui alors donnaient un enseignement neutre : « Toutes leurs excuses seront trouvées vaines, car nous l'avons prouvé, ni aucun des exemples qu'ils invoquent ne les justifie, ni aucune loi ni aucune institution du pays ne leur fait une nécessité de dissimuler et d'abdiquer leur croyance » (III, 214).

Ces paroles n'ont plus leur application aujourd'hui, elles nous montrent du moins que Mgr Pie ne serait pas sans excuse pour les maîtres de l'enseignement public qui dissimulent leur foi. Pour beaucoup d'entre eux, c'est une dure nécessité.

Que faire ? Que dirait aujourd'hui à ces maîtres l'évêque de Poitiers ? Sans nul doute, il leur ferait comprendre combien est odieux le dur esclavage auquel la loi impie les réduit ; il les encouragerait à se grouper en associations de professeurs chrétiens. Il les pousserait à demander l'abolition de cette loi criminelle et stupide et, rencontrant des âmes plus fortes dans leur foi et plus généreuses, peut-être, ne craindrait-il pas de leur conseiller la résistance ouverte, leur rappelant la parole de saint Pierre : "Il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes".

 

SECTION II : LE PROGRAMME DE RESTAURATION CHRÉTIENNE

Il nous reste à parler maintenant du suprême devoir qui s'impose, non plus à l'élite intellectuelle, mais aux chefs de la nation. Ils doivent, avons-nous dit, réaliser le programme de gouvernement chrétien. D'après Mgr Pie, ce programme demande aux pouvoirs civils qu'ils se tiennent unis à l'Église et légifèrent selon les principes chrétiens.

 

CHAPITRE I : LE PROGRAMME CHRETIEN

Sa première condition : L'union de l'Église et de l'État. - Doctrine de l’Eglise et du Cardinal Pie sur cette importante question. - Ses bases théologiques. - Réfutation des doctrines libérales sur les rapports de l'Église et de l'État.

 

L'union de l'Église et de l'État, c'est la condition primordiale d'un gouvernement chrétien.

« L'accord parfait du sacerdoce et de l'empire est le droit commun et l'état normal des sociétés chrétiennes (1) » enseigne Mgr Pie avec toute la tradition catholique, et il repousse énergiquement toute idée de séparation (2). Sur ce sujet des rapports de l'Église et de l'État, il faudrait lire I'œuvre entière de l'Évêque de Poitiers, mais particulièrement les trois instructions synodales sur les erreurs du temps présent. Sa doctrine, qui est très exactement celle de l'Église, se résume ainsi : La société civile et la société religieuse sont deux sociétés réellement distinctes et indépendantes dans leur sphère propre. Pourtant, la société civile, bien que distincte de l'Église, société religieuse, doit lui être unie et subordonnée. La raison de cette union et de cette subordination est la volonté expresse de Jésus-Christ qui impose l'ordre surnaturel non seulement aux individus et aux familles, mais aux sociétés elles-mêmes, ainsi qu'il a été prouvé plus haut (3).

Mgr Pie, cherchant la cause de cette volonté, la trouve en Jésus-Christ lui-même, Dieu et homme. Jésus-Christ, type et modèle de l'union de l'Église et de l'État ! Bien peu d'écrivains, même ecclésiastiques, élèvent leur théologie à cette hauteur. Mgr Pie s'y complaît, y trouvant la preuve capitale et la base de toute la doctrine qui fixe les relations de l'Église et de l'État. Il nous montre que Jésus-Christ a uni en Lui indissolublement l'ordre naturel et l'ordre surnaturel et qu'Il astreint la société chrétienne à une semblable union.

De même qu'en Jésus-Christ, la nature divine et la nature humaine sont distinctes, sans se confondre, conservant chacune, sans altération, leurs qualités et leurs opérations, unies indissolublement sans jamais se séparer en la personne du Fils de Dieu, ainsi la société chrétienne, est constituée par deux éléments : l'Église et l'État qui doivent être distincts, non confondus, unis, non séparés (4).

Ajoutons que les deux natures du Christ étant inégales et par conséquent subordonnées, l'humaine à la divine, les deux éléments de la société chrétienne doivent être de même subordonnées, l'État à l'Église.

 

(1) Il, 32 Entretien avec le clergé diocésain (1853).

(2) Commentant un passage du prophète Zacharie, le Cardinal Pie affirme que cette doctrine de l'union de l’Église et de l’Etat est une doctrine révélée : « Les commentateurs de tous les temps ont été unanimes à déduire du chapitre quatrième et du chapitre sixième de Zacharie, la doctrine divinement révélée de l'union et de l'accord nécessaire du sacerdoce et de l'empire. Tout l'état du monde, dit Bossuet, roule sur ces deux puissances. lX, 29.

Il faut lire sur ce sujet ROHRBACHER : Histoire universelle de l’Église catholique t. 1, L. IX : Des rapports entre les deux puissances d'après la tradition universelle.

(3) Dans un discours prononcé en 1848, Mgr Pie compare l'union qui doit exister entre l'Église et l'État à l'union de l'âme et du corps. Si les différentes formes du gouvernement ont péri en France, c'est qu'elles n'étaient pas unies à l'Église, comme le corps doit être uni à l'âme. « Or si heureusement qu'il soit pourvu d'articulations, de ressorts et de muscles, un corps sans une âme, c'est un cadavre, et le propre d'un cadavre est de tomber bientôt en dissolution. L'âme de toute société humaine, c'est la croyance, c'est la doctrine, c'est la religion, c'est Dieu » I, 85. Cette comparaison de l'Église et de l'État avec l'union du corps et de l'âme est classique. C'est la doctrine rappelée par Léon XIII dans l'encyclique « Immortale Dei » sur la constitution chrétienne des États. Lettres apost. de Léon XIII T. II, p. 27-28 (Edit. Bonne Presse)

(4) IV, 247-248. Lettre à M. le ministre de l'instruction publique et des cultes (16 Juin 1861).

 

Citons quelques textes : «  Si le Christ est le Dieu fait homme, l'humanité tout entière fait partie du système dont Il est le centre : elle est tenue de se laisser emporter dans sa loi, dans son mouvement et de graviter vers Lui (1) ».

Aussi, pour Mgr Pie, séparer l'Église et l'État, c'est porter atteinte au Christ, s'attaquer directement à Lui, commettre cet attentat qui consiste à dissoudre Jésus-Christ ; solvere Jesum (I Jean IV, 3), à briser ce nœud de l'Incarnation, ce nœud du Verbe fait chair, ce nœud vivant et éternel où s'unissent indissolublement, sans jamais se confondre, la nature divine et la nature humaine, le Dieu parfait et l'Homme parfait (2) ».

Et quant au point spécial de la subordination de l'État à l'Église, Mgr Pie, dans une lettre fameuse (3), la déclare au « Ministre de l'instruction publique et des cultes, en ces termes :

« Vouloir que l'Église de Jésus-Christ, dit-il, se démette du droit et du devoir de juger en dernier ressort de la moralité des actes d'un agent moral quelconque particulier ou collectif, père, maître, magistrat, législateur, même roi ou empereur, c'est vouloir qu'elle se nie elle-même, qu'elle abdique son essence, qu'elle déchire son acte d'origine et les titres de son histoire, enfin qu'elle outrage et qu'elle mutile Celui dont elle tient la place sur la terre » (IV, 249).

Même doctrine dans une instruction pastorale célèbre, où il appelle hardiment antéchrists tous ceux qui voulant de Jésus-Christ pour l'individu et la famille, l'excluent de l'État, sécularisant la société.

« Ni dans sa personne, dit-il, ni dans l'exercice de Ses droits, Jésus-Christ ne peut être divisé, dissous, fractionné ; en Lui la distinction des natures et des opérations ne peut jamais être la séparation, l'opposition ; le divin ne peut être antipathique à l'humain, ni l'humain au divin. Au contraire, Il est la paix, le rapprochement, la réconciliation ; Il est le trait d'union qui a fait les deux choses une : Ipse est pax nostra qui fecit utraque unum. C'est pourquoi saint Jean nous dit : "Tout esprit qui dissout Jésus-Christ, n'est pas de Dieu et c'est proprement lui qui est cet antéchrist dont vous     avez entendu dire qu'il vient et qu'il est déjà dans le monde". Lors donc que j'entends certains bruits qui montent, certains aphorismes (4) qui prévalent de jour en jour, et qui introduisent au cœur des sociétés, le dissolvant sous l'action duquel doit périr le monde, je jette ce cri d'alarme : Prenez garde à l'antéchrist : Unum moneo, cavete antichristum (5) ».

Ainsi l'évêque de Poitiers a toujours combattu la séparation de l'Église et de l'État. Au reste, il a combattu toute séparation, celles de la raison et de la foi, de la nature et de la grâce, de la religion naturelle et de la religion révélée, la séparation du philosophe et du chrétien, de l'homme privé et de l'homme public (6). Il voyait en elles une résurrection du dualisme manichéen (7) et il les a toutes combattues avec, pour argument suprême, la loi constitutive du Christ. Aussi, c'est en toute vérité, qu'écrivant au comte de Persigny, il pouvait se rendre ce témoignage :

 

(1) Pie IX, dans l'allocution consistoriale du 9 juin 1862 avait résumé en quelques mots tout le système des coryphées actuels de la secte antichrétienne : « Ces hommes, dit-il, détruisent absolument la cohésion nécessaire qui par la volonté de Dieu unit l'ordre naturel et surnaturel ». Ayant cité ces mots, Mgr Pie continue : « LA, en effet, EST LE CŒUR DE LA QUESTION, là est le champ clos de toutes les luttes de l'heure présente. Nous disons nous, et l'Église catholique enseigne que Dieu, par un acte libre de Son amour, a établi un lien supérieur et transcendant entre notre nature et la sienne ; nous disons qu'un pareil lien n'était pas nécessaire en soi, qu'il n'était commandé ni même formellement réclamé par aucune exigence de notre être, qu'il est dû à la charité immense, à la libéralité gratuite et excessive de Dieu envers Sa créature ; nous proclamons que ce lien par suite de la volonté divine est devenu obligatoire, indéclinable, nécessaire ; qu'il subsiste éminemment et qu'il subsistera éternellement en Jésus-Christ, Dieu et homme tout ensemble, nature divine et nature humaine toujours distinctes, mais irrévocablement unies par le nœud hypostatique ; nous ajoutons que ce lien doit s'étendre, selon des proportions et par des moyens divinement institués, à toute la race dont le Verbe incarné est le Chef et qu'aucun être moral, soit individuel et particulier, soit public et social ne peut le rejeter ou le rompre, en tout ou en partie, sans manquer à sa fin, et par con

séquent sans se nuire mortellement à lui-même et sans encourir la vindicte du maître souverain de nos destinées. Telle est non pas seulement la doctrine, mais la substance même du christianisme. V, 39-40. Troisième instruction synodale sur les principales erreurs du temps présent.

« N'oublions pas et ne laissons pas oublier, écrit Mgr Pie dans la même synodale, ce que nous enseigne le grand apôtre, que JésusChrist, après être descendu des cieux, y est remonté afin de remplir toutes choses, ut impleret omnia. Il ne s'agit pas de sa présence comme Dieu, puisque cette présence a toujours été, mais de sa présence comme Dieu et homme tout à la fois. - Au fait, Jésus-Christ est désormais présent à tout, sur la terre aussi bien qu'au ciel ; Il remplit le monde de Son nom, de Sa loi, de Sa lumière, de Sa grâce. Rien n'est placé hors de Sa sphère d'attraction ou de répulsion ; aucune chose ni aucune personne ne Lui peuvent demeurer totalement étrangères et indifférentes ; on est pour Lui ou contre Lui; Il a été posé comme la pierre angulaire : pierre d'édification pour les uns, pierre d'achoppement et de scandale pour les autres, pierre de touche pour tous. L'histoire de l'humanité, l'histoire des nations, l'histoire de la paix et de la guerre, l'histoire de l'Église surtout n'est que l'histoire et la vie de Jésus remplissant toutes choses : ut impleret omnia » V, 166. Nous avons fait ces longues citations pour bien montrer que pour Mgr Pie l'exposé du mystère du Christ est la réfutation décisive et la plus profonde du naturalisme et du libéralisme. Sur ce point, voyez Mgr Gay, sa vie, ses œuvres par Dom BERNARD DE BOISROUVRAY. T. 1, p.207.

(2) III, 167-168. Seconde instruction synodale sur les principales erreurs du temps présent.

(3) 16 juin 1862. IV, 228-256.

(4) Séparation de l’Église et de l’Etat en est un. L'axiome énigmatique l’Église libre dans l’Etat libre en est un autre. V, 358.

(5) IV, 588-589. Instruction pastorale sur cette parole de saint Jean : Et il y a déjà beaucoup d'Antéchrists (Carême 1863).

(6) Première et deuxième synodale sur les erreurs du temps présent. (7) Il, 524. IX, 168. Au sujet de ce dualisme manichéen. Mgr Berteaud, évêque de Tulle donne peut-être écho de ses conversations avec 'évêque de Poitiers, quand il dit : « Le devoir de tout législateur est de tourner ses regards vers Jésus-Christ, vers ce grand exemplaire descendu vers nous par amour, et de Le prendre comme l'âme et la forme de son œuvre. A cet idéal divin, opposer un autre idéal selon lequel se gouverneraient les peuples, c'est tomber dans un manichéisme ridicule. Il y a donc deux dieux, l'un qui enseigne le dogme, l'autre qui fait la loi ? Au premier, l'empire sur les intelligences, qui le voudront accepter, Dieu de chances et de fortunes diverses, adopté et conspué, comme chacun l'entendra. L'autre, maître absolu des volontés humaines qu'on ploiera au besoin par le fer ; le premier créant la beauté intérieure dans les âmes, mais impuissant à répandre sur les choses extérieures, sur les institutions de l'ordre civil, l'éclat de la vie ; l'autre, vrai père de la civilisation et de la grandeur des peuples. Au premier les autels et les temples resserrés ; au second, les vastes espaces, les champs, les empires, toutes choses étalées au soleil ; une ville avec une frange de fleurs suffit au premier, le reste est l'héritage inaliénable du second. Ce partage est absurde ; il n'y a qu'un Dieu qui doit régner dans les temples et dans les cités, dans le secret des âmes et dans le grand jour de la "vie publique" ». G. BRETON. Un évêque d'autrefois, Mgr Berteaud, évêque de Tulle, p. 386-387.

 

« Nous n'avons rien de commun avec les théoriciens et les praticiens de la désunion et de l'opposition des deux ordres, temporel et spirituel, naturel et surnaturel. Nous luttons, au contraire, de toutes nos forces contre ces doctrines de séparation qui aboutissent à la négation même de la religion et de la religion révélée (1) ».

A cette doctrine de l'Église, que Mgr Pie rappelait aux chefs des nations, les libéraux opposaient des faits en faveur de la séparation.

Certains pays : la Belgique et l'Amérique par exemple, n'avaient-ils pas proclamé la séparation de l'Église et de l'État, et l'Église dans ces pays ne jouissait-elle pas de la plus complète liberté ?

Il répond hardiment :

« Le système américain et belge, ce système d'indifférence philosophico-politique, est éternellement un système bâtard (2) » ; et s'adressant à une délégation de l'Université de Louvain, il ne craint pas de dire aux Belges eux-mêmes :

« Sans doute, je ne garantirais pas le lendemain de la nation (Belge), car malheureusement son organisation politique et sociale, n'est point calquée sur les principes de l'Université de Louvain, et les États ne subsistent qu'à la condition de mettre la vérité à la base du gouvernement. Mais moyennant l'action continue et féconde de ce grand établissement catholique, je me plais à espérer pour le peuple belge, à défaut du lendemain dont je ne réponds pas un surlendemain d'ordre durable et sérieux parce qu'il sera assis sur des institutions chrétiennes (3) ». La parole du grand évêque est franche ; elle est nette. Elle s'adresse à tous les chefs de peuples et se résume ainsi L'état normal et le salut pour les gouvernements n'est que dans l'union avec l'Église.

 

CHAPITRE II : LE PROGRAMME CHRÉTIEN (Suite)

 

Ses lignes générales : il doit renier les principes de la Révolution. Il doit affirmer les droits de Dieu, de J.-C. et de l'Église. Pleinement réalisée, l'union de l'Église et de l'État impliquerait de soi une législation chrétienne, car l'État recevrait alors la direction morale de l'Église et s'efforcerait de l'appliquer. Mais, il y a une union imparfaite de l'Église et de l'État : c'est l'union concordataire. Elle existait précisément, du vivant de Mgr Pie, entre la France et le Saint-Siège ; union imparfaite, car le Concordat, au grand regret du Souverain Pontife, laissait subsister une constitution nationale antichrétienne, basée tout entière, sur les droits de l'homme, « en concurrence et en opposition avec les droits de Dieu (4) ».

Dans un mémoire resté inédit, Mgr Pie indiquait avec précision cette situation étrange de la France moderne :

Les gouvernements des sociétés contemporaines, écrit-il, sont à l'égard de l'Église en trois situations : 1° ennemis et voilà l'Église sous le glaive de Néron ou de Robespierre ; 2° alliés, et la voilà appuyée sur le sceptre de Théodose et de Charlemagne ; 3° étrangers, et la voilà en face de la Constitution belge ou américaine. Or ce qui est la source de tant de confusion, c'est que notre société française, mélange de tous ces éléments, est vis-à-vis de l'Église: ennemie par l'esprit révolutionnaire qui anime ses lois ; alliée par ses antécédents et par le fait des concordats ; étrangère par sa constitution politique et sa plus récente charte constitutionnelle (5) ».

S'adressant aux pouvoirs publics français pour leur rappeler les devoirs que leur impose la royauté sociale de Jésus-Christ, Mgr Pie leur demandait, avec le maintien du Concordat de faire cesser cette confusion, de n'être plus ennemis de l'Église par l'esprit révolutionnaire qui anime les lois, et de transformer la constitution étrangère à l'Église en constitution chrétienne. Il voulait que la loi française fût désormais en harmonie avec la loi divine. Pour bien saisir, sur ce point d'une extrême importance, la pensée précise du grand évêque, reprenons les principaux passages de son entretien avec Napoléon Ill. En la personne de l'empereur, il s'adresse à tous les gouvernements de la France. Il leur sait gré d'avoir reconnu et protégé les libertés de l'Église ; cela pourtant ne suffit pas. Ils n'ont réalisé que la moitié de leur devoir.

« Notre constitution, leur dit-il, n'est pas, loin de là, celle d'un état chrétien et catholique et vous l'avez laissé subsister... Vous n'avez pas fait encore pour Jésus-Christ ce qu'il fallait faire, parce que vous n'avez pas relevé son trône, parce que vous n'avez pas renié les principes de la Révolution (6) dont vous combattez cependant les conséquences pratiques ; parce que l'Évangile social dont s'inspire l'État est encore la déclaration des droits de l'homme, laquelle n'est autre chose que la négation formelle des droits de Dieu...

 

(1) IV, 528. Deux lettres à M. le comte de Persigny, ministre de l'intérieur. 18 et 27 décembre 1862.

(2) Lettre à M de l'Estoile. Histoire du Cardinal Pie, I L. 1, ch. 5, p. 173.

(3) IX, 213. Les adversaires de l'union de l'Église et de l'État sont allés jusqu'à prétendre qu'à Rome, on regarda la Constitution belge de 1830 comme un modèle. C'est une erreur. Rome a regardé la constitution comme un modèle à proposer aux peuples qui ne pourraient pas faire mieux, oui, comme un modèle en soi, non. Certainement, la nouvelle position des Belges après leur séparation d'avec la Hollande, était préférable à l'ancienne. Il y avait donc lieu de se féliciter du changement auquel on devait une si grande amélioration. Mais, Rome n'a pas cessé pour autant de regarder cette amélioration comme précaire, et la meilleure preuve à en donner est la condamnation des doctrines séparatistes, fulminée par l'Encyclique « Mirari vos » qui éclata le 15 août 1832.

Au sujet de l'Amérique, qu'on se souvienne des graves réserves formulées par le pape Léon XIII dans son Encyclique « Longinqua » 6 janvier 1895 : « Error tollendus est ne quis hinc sequi existimet petendi ab America exemplum optimi Ecclesiæ status ». Bonne Presse : Encyclique de Léon XIII, T. IV, p. 163, 164, 166.

On ne relira pas sans profit la lettre doctrinale que Mgr Pie adressait, en 1860, à M. Foisset sur cette délicate question des rapports de l'Église et de l'État. M. Foisset alléguait, en faveur de la thèse libérale, les progrès que le catholicisme devait au régime indifférentiste de 1830. C'était ériger en principe ce qui n'était qu'un fait accidentel de transition et de transaction. Mgr Pie répondit : La Providence a tiré bon parti pour le réveil religieux, de la période d'indifférentisme de la loi : c'est vrai ; Elle en avait tiré un plus grand encore de la période de la persécution. Mais ni la persécution, ni l'indifférentisme politique du pouvoir ne sont dans l'ordre régulier. On ne sera jamais assez reconnaissant, selon moi, envers les hommes qui, soit au sortir de la grande tribulation révolutionnaire, soit depuis trente ans, ont employé leurs talents, leur dévouement, leur foi, leur amour de l’Eglise, à dégager de la situation existante tout ce qui pouvait en sortir de bon, et qui ont rendu ainsi d'incomparables services à la religion et à la société. Mais cela ne m'empêcherait pas de considérer désormais leur action comme doublement funeste et à la religion et au pouvoir que l'avenir tient en réserve, s'ils persistaient dans la thèse absolue que quelques-uns ne se lassent pas de reproduire ». Histoire du Cardinal Pie, II, L. III, ch. 2, p. 65.

(4) VII, 109. Instruction pastorale sur les malheurs actuels de la France (1871).

(5) Histoire du Cardinal Pie. I L. 1, ch. 6, p. 186-187.

(6) Mgr Pie a toujours combattu les principes de la révolution française. Cette politique, qui est l'application de la philosophie sécularisée, a un nom dans l'Évangile : la puissance du mal et de la bête. Elle a reçu aussi un nom dans les temps modernes, un nom formidable qui depuis 70 ans a retenti d'un pôle à l'autre : elle s'appelle la Révolution. Avec une rapidité de conquête qui ne fut jamais donnée à l’Islamisme, cette puissance, émancipée de Dieu et de son Christ, a subjugué presque tout à son empire, les hommes et les choses, les trônes et les lois, les princes et les peuples ». III, 516.

 

« Ainsi pour lui, la Révolution c'est la puissance du mal et de la Bête ». Ailleurs, il écrit : « La génération issue des maximes de la Révolution pourra se définir elle-même avec vérité par cette parole de l'Iduméen : J'ai dit à la pourriture : "Vous êtes ma mère" et à la lèpre : "C'est vous qui m'avez donné le jour". Œuvr. sacerdotales I, 348. Parlant de la devise révolutionnaire : Liberté, Égalité, Fraternité, il dira encore . «  Il ne suffit pas d'avoir inventé un nouveau trisagion et de redire éternellement trois fois rien. Dites plutôt une fois : Dieu ; et la face de la société sera renouvelée ». Œuvres sacerd Il, 629. Cette sévérité ne doit pas nous étonner ; elle est très juste, car au fond, la Révolution détrône Jésus-Christ. Cf. VII, 100.

Deux passages de Louis Veuillot font exactement écho à ce jugement doctrinal de Mgr Pie.

« Il existe, dit Louis Veuillot, un principe de 89 qui est le principe révolutionnaire par excellence et, à lui seul, toute la Révolution et tous ses principes. On n'est révolutionnaire qu'au moment où on l'admet, on ne cesse d'être révolutionnaire qu'au moment où on l'abjure ; dans un sens comme dans l'autre, il emporte tout ; il élève entre les révolutionnaires et les catholiques un mur de séparation à travers lequel les Pyrames catholiques libéraux et les Thisbés révolutionnaires ne feront jamais passer que leurs stériles soupirs. Cet unique principe de 89, c'est ce que la politesse révolutionnaire des conservateurs de 1830 appelle la sécularisation de la société, c'est ce que la franchise révolutionnaire du siècle, des Solidaires et de M. Quinet appelle brutalement, l'expulsion du principe théocratique. C'est la rupture avec l'Église, avec Jésus-Christ, avec Dieu, avec toute reconnaissance, avec toute ingérence et toute apparence de l'idée de Dieu dans la société humaine ». L'illusion libérale, 135-136.

Le même auteur, écrivant au général Trochu, lui disait : « Encore que vous soyez le plus honnête homme du monde et bon et ferme chrétien pour vous-même, prêt, je n'en doute pas, à mourir plutôt que d'abjurer la foi du Christ, vous n'avez pas, selon moi, la qualité et la quotité de foi sociale que nous devons tous à l'Évangile. Vous en avez ce que tolère le monde, vous n'avez pas ce qu'il faut à la société. Je ne vois rien du tout dans vos actes publics qui me déclare que l'Évangile soit pour vous la loi du salut politique autant que celle du salut particulier. Vous croyez qu'il n'est permis et même urgent de n'être chrétien que dans la vie privée. C'est l'essence du poison révolutionnaire ; c'est par là que la Révolution trompe les intelligences et dissout les consciences à qui ses autres maximes et pratiques font horreur. C'est ce poison surtout qui tue la société. Il paralyse les bras et les cœurs qui pourraient le sauver. Il ôte aux hommes de bien le sens vigoureux du juste et de l'injuste, il affaiblit en eux la majesté généreuse de la foi, il leur interdit la grandeur, il les ravale aux incertitudes et aux compromis, à toutes les fausses habiletés de la pauvre raison humaine si mesquine et si profondément déraisonnable lorsqu'elle éteint le flambeau que Dieu lui a donné ». Paris pendant les deux sièges. I, 280. Voyez aussi, dans Mgr Pie, la célèbre homélie sur l'action simultanée du bien et du mal (8 décembre 1870) VII, 58-71.

 

« Or c'est le droit de Dieu de commander aux États comme aux individus. Ce n'est pas pour autre chose que Jésus-Christ est venu sur la terre. Il doit y régner en inspirant les lois, en sanctifiant les mœurs, en éclairant l'enseignement, en dirigeant les conseils, en réglant les actions des gouvernements comme des gouvernés. Partout où Jésus-Christ n'exerce pas ce règne, il y a désordre et décadence (1) ».

Dans ces paroles, nous trouvons l'ébauche du programme chrétien : proclamation officielle des droits de Dieu, de Jésus-Christ et de l'Église, abandon complet des principes de la Révolution, législation conforme à la morale chrétienne, enseignement placé sous la haute direction doctrinale de l'Église.

 

CHAPITRE III : LE PROGRAMME CHRÉTIEN (Suite)

Essai d'un plan plus complet de gouvernement chrétien d'après le Cardinal Pie.

La formule de ce programme: La liberté de l'Eglise et la liberté du pays sous la garantie loyale du droit chrétien.

 

Toujours guidés par l'évêque de Poitiers, pouvons-nous préciser davantage les lignes générales de ce programme et déterminer ses moindres détails ? Disons de suite que Mgr Pie n'a pas tracé un programme complet (2) et au point, comme il s'impose aujourd'hui. De son temps, le naturalisme politique n'avait pas produit tous ses fruits de mort ; il était alors impossible de donner des précisions que les faits ne réclamaient pas encore. Pourtant, en recherchant, dans I'œuvre du grand Évêque, ce qu'il exigeait, au nom de la doctrine catholique, pour faire refleurir en France le droit chrétien, nous pouvons fixer un programme plus complet et plus précis, tel qu'il s'impose de nos jours à un gouvernement qui doit être chrétien.

Mgr Pie voulait avant tout, nous l'avons déjà dit, que la constitution élaborée par les chefs de l'État fît mention expresse de Dieu, de Jésus-Christ et de l'Église. Il a rédigé lui-même la formule qui proclamerait la foi des chefs et du pays. La voici : « La religion catholique, qui est pour les Français la religion de quatorze siècles dans le passé et de trente-cinq millions de citoyens sur trente-six dans le présent, est la religion du pays et de ses institutions. Les citoyens qui professent les autres cultes jouiront de toutes les garanties accordées par la loi (3) ».

Il demandait une alliance plus intime du Pouvoir civil avec l'Église, un concordat plus parfait que celui de 1801. Il donnait volontiers comme modèle de concordat avec Rome celui que l'Autriche avait signé en 1858. Il appelait ce concordat « un traité régénérateur dont l'application et l'extension serait le coup de mort pour la Révolution (4) ».

Ennemi de la politique de « l'amnistie du mal et des partisans du mal » (V, 35-36), Mgr Pie voulait que le Pouvoir civil affirmât énergiquement « l’emploi de la force au service de l'ordre et de la justice (5) ».

 

(1) Histoire du Cardinal Pie T. I, L. II, ch. 11, 697-699.

(2) Les notes rédigées sur ce sujet et destinées au COMTE DE CHAMBORD ne nous sont parvenues qu'à l'état fragmentaire et incomplet.

Voyez Histoire du Cardinal Pie. II, L. IV, ch. IV, in extenso.

(3) Histoire du Cardinal Pie, Il L.. IV, 517.

(4) Histoire du Cardinal Pie. Il, L. III, ch. 1 p. 8. Signalons ici que l'Autriche n'observa pas ce concordat qui l'aurait préservée de la révolu

tion et de la ruine.

(5) Histoire du Cardinal Pie, Il, L. IV, ch. IV, 519.

 

Par cet ordre et cette justice, l’Évêque de Poitiers entend l'ordre chrétien, la justice et la morale chrétiennes. De là, pour le pouvoir, le devoir rigoureux de re connaître et favoriser les lois chrétiennes, par exemple, la sanctification du dimanche (III, 573-574), de réprimer les publications obscènes, les spectacles immoraux, les blasphèmes de la presse (VII, 65), de proscrire les sociétés secrètes (1).

Il ajouterait aujourd'hui, l'obligation formelle d'abolir les lois impies du divorce, du service militaire des clercs, de la neutralité scolaire, de la proscription des congrégations religieuses et de la spoliation de biens d’Eglise. Ces lois (2) Mgr Pie ne les a pas connues, mais en exigeant que le christianisme soit la base de la Constitution, il les a maudites d'avance, et d'avance il en a demandé la suppression (3).

Mgr Pie exigeait encore pour l'Église la pleine et entière liberté d'enseigner, de fonder des écoles, de choisir ses maîtres et ses programmes (4) ; et, si le monopole universitaire ou enseignement de l'État n'était pas supprimé, il voulait au moins que cet enseignement public fût filialement soumis à la maternelle et haute direction doctrinale de l'Église (5).

Il insistait pour que notre politique extérieure assurât dans le monde l'expansion, le prestige et la liberté de l'Église catholique (6).

 

(1) IV, 323 ; V, 586-587 ; VIII, 40, cf. Histoire I L. 1, ch. 2 p. 42. Le Cardinal Pie appelle ces sociétés détestables et abominables. « Nous leur imputons la majeure partie des maux qui désolent aujourd'hui le monde et nous sommes convaincus que devant Dieu elles en sont responsables ». VII, 52.

(2) Pour une étude détaillée des lois antichrétiennes qui n'existaient pas encore du vivant du Cardinal Pie, cf. la précieuse étude du P.

EMONET sur le laïcisme dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique.

(3) Nous disons la suppression, l'annulation, l'abolition complète. La "non application" ne suffirait pas. Le maintien dans la législation ne serait-ce qu'à titre de lettre morte de ces lois criminelles, serait une injure à Dieu, à Jésus-Christ, à l'Église ; ce serait de plus un danger, c'est ici que trouve place une judicieuse remarque de Dom Guéranger : « Souvent dans l'histoire, et nous l'avons vu encore de nos jours, Dieu a frappé des princes dont les vues personnelles étaient favorables à Son Église, mais qui oublieux de l'avenir et de la justice, ne songèrent pas à briser les chaînes que d'autres avaient forgées pour cette fille du ciel. Ces princes avaient cru faire assez de les soulever durant les courtes années qu'ils eurent la puissance ; aveugles qui ne sentaient pas qu'après eux, ces chaînes retomberaient plus lourdes encore sur cette Église qu'ils ne devaient pas seulement aimer et vénérer comme chrétiens, mais comme rois, servir et délivrer ». Dom GUERANGER : Sainte Cécile et la société romaine, 2è édition 153-154 cfr. aussi édition de 1878, p. 141.

(4) Mgr Pie voulait qu'on réclamât la liberté d'enseignement en se basant sur le droit supérieur de l'Église. Il approuva fort la franche et nette déclaration de M. Chesnelong à la Chambre française, le 12 juin 1875 « Les comités catholiques réclament la liberté d'enseignement au nom de la foi catholique, et parce que, selon eux, l'Église tient de sa mission le droit d'enseigner. Vous appelez cela une nouveauté, mais c'est la foi de dix-huit siècles. Il faut que vous en preniez votre parti: La France catholique n'y renoncera pas ». IX, 171. Et quand on revendiquait pour l'Église ce droit d'enseigner en se basant uniquement sur le droit commun, l'Évêque de Poitiers faisait ces graves réserves : « Nous sommes forcés de faire observer que l'exactitude dogmatique et l'enseignement des encycliques pontificales et du Syllabus demandent désormais une atténuation notable de ce langage trop facilement tenu autrefois, non par tous, mais par un grand nombre, à l'origine de la controverse sur la liberté d'enseignement ». IX, 170.

(5) Sur cette question capitale de l'enseignement voyez : Histoire du Cardinal Pie : I, L. II, ch. 2, p. 289-300 et II, L. IV, ch. 6, p. 589-692. Au sujet du monopole universitaire, Mgr Pie disait à ses prêtres (Entretien adressé au clergé, 27 août 1850 et 25 août 1851) : « Aucun catholique ne pouvait hésiter à réclamer et à appeler de tous ses vœux la suppression du monopole universitaire » I, 362. Dans ce même entretien, l'évêque de Poitiers formulait ainsi sa pensée au sujet de la loi Falloux sur la liberté de l'enseignement secondaire : Nous avons cru pour notre part que si le clergé ne devait pas repousser une telle loi, soit à cause du commencement de justice qu'elle lui accordait, soit à cause du dévouement auquel elle le conviait, elle ne pouvait cependant pas être votée et consentie par lui, et nous avouons qu'aujourd'hui encore, dans l'intérêt des principes et dans l'intérêt de l'avenir, nous bénissons le Seigneur de ce qu'aucun de nos frères n'a été compté parmi les législateurs. I, 364

 

Même réserve au sujet de la loi sur la liberté de l'enseignement supérieur. il l'accepte « à titre de minimum et faute de mieux » mais il constate qu'elle ne fait pas la part légitime de chacun et de chaque chose, « soit qu'on considère les droits des pères de famille ou les droits de l'Église ». IX, 171 (Entretien avec le clergé, juillet 1875).

Enfin, nous voulons signaler dans l'entretien de 1851, la noble et chrétienne attitude que l'Évêque conseillait à ses prêtres à l'égard des instituteurs laïques. Les conseils qu'il donnait alors sont encore de nos jours d'une actualité frappante. L'évêque reconnaît le tort de certains instituteurs et le mal immense qu'ils ont fait au pays, mais, dit-il, « ils ont cédé à des instigations parties d'en haut ». Il faut les éclairer charitablement et, s'ils reviennent à leur devoir, « nous ne leur devons qu'indulgence et compassion. Il faut que, sur tous les points de ce grand diocèse, les instituteurs sachent que leurs amis et leurs protecteurs d'aujourd'hui sont ces mêmes prêtres contre lesquels on les a mis en défiance dans le passé ». I, p. 367-368. Pour une plus complète explication des principes catholiques sur cette question de l'enseignement Cf. PAUL VIGUE : Le droit naturel et le droit chrétien dans l'éducation et la question scolaire et les principes théologiques, par A. MICHEL.

(6) Histoire, II. L. III, ch. 3 p. 86. Œuv. IV, L. 2, 6, 7, 8 ; VI, 211-212 ; VII, 26 à 31, 494-495. C'est dans ces possessions coloniales que le gouvernement français doit tout d'abord favoriser l'expansion du catholicisme. Mais pour cela, il faut que nos hommes d'État soient profondément pénétrés des principes surnaturels rappelés par l'Évêque de Poitiers, lorsqu'il eut l'occasion de parler de nos colonies. « A supposer, écrivait-il, qu'on ne puisse espérer la conversion en masse d'un peuple musulman, encore ne faudrait-il pas oublier que la conquête spirituelle d'une seule âme a plus de prix et plus de portée aux yeux de la religion que la conquête matérielle d'un royaume ». VII, 95. Ailleurs, il expose que la plus précieuse liberté que nous puissions donner aux peuples que la conquête a fait nôtres, c'est la liberté chrétienne. La condition servile qui soumettait la créature humaine à son semblable, dit-il, finissait du moins avec la vie, mais l'assujettissement au péché forge des chaînes que la mort ne brise pas ». Il, 152.

Si nos chefs s'élevaient à cette sublime doctrine, alors, au lieu de proclamer la France une grande puissance musulmane, ils feraient de la France l'aide de l'Église dans son apostolat.

Mais comment l'État pourra-t-il pratiquement contribuer à la diffusion de la vie catholique et favoriser la conversion des infidèles et tout spécialement des musulmans de nos colonies africaines ? Sur ce point, sauf la recommandation de multiplier les œuvres charitables en terre infidèle (VI, 194), nous n'avons rien trouvé dans I'œuvre de Mgr Pie. Nous nous permettons cependant de donner les citations suivantes empruntées à deux écrivains catholiques qui ont étudié à fond cette question. Les textes que nous apportons sont en harmonie parfaite avec la doctrine de l'Évêque de Poitiers, et les solutions pratiques qu'ils suggèrent cadrent merveilleusement avec les procédés charitables du grand évêque.

« Faut-il chercher à convertir les Musulmans et à faire d'eux des chrétiens ? La formule serait ambiguë, elle ne préciserait point de quelle manière lente, douce et fraternelle une telle conversion, si Dieu le permet, doit s'accomplir. Mieux vaut dire ceci : il faut que la France, chargée d'une nombreuse famille coloniale, prenne enfin conscience de toute sa mission maternelle et que les musulmans, comme les païens sujets d'une grande nation catholique par son histoire, par son génie, par toute son âme et par ses épreuves mêmes, puissent connaître le catholicisme et y venir s'ils le veulent ». René BAZIN, Vie de Charles de Foucault (p. 262-256 à 264). par FAILLON, t. I p. 4.

 

Tel a été, en effet, disait-il, le rôle de la France pendant une longue suite de siècles. « Ses succès étaient un gain pour la foi ; aussi souvent qu'elle livrait le combat, le christianisme comptait une nouvelle victoire. Elle y gagnait elle-même d'être devenue la reine du monde, et parce que le nom Français était réputé synonyme du nom catholique, notre nation était la nation universelle, et sa langue était la langue officielle des peuples civilisés (1) ».

Enfin, et c'était pour lui un point capital, il conjurait le pouvoir public de se faire le défenseur de la liberté et de l'indépendance temporelles du Pape, garantie suprême du Droit chrétien dans le monde (2). Et c'est à ce rôle parfaitement rempli qu'il attribuait la grandeur de la France (3).

Constitution chrétienne, union très parfaite de l'Église et de l'État, appui donné par le pouvoir aux lois de l'Église, législation civile strictement conforme aux règles morales de l'Évangile (enseignement chrétien à tous les degrés), politique extérieure ayant pour but l'indépendance territoriale du Saint-Siège, l'expansion et le rayonnement du christianisme dans le monde : nous avons ainsi un programme social complet réalisant pleinement la prière du Christ : « Que votre règne arrive sur la terre comme au ciel ! »

A la fin de sa troisième instruction synodale sur les principales erreurs du temps présent, résumant tous ces enseignements sur le naturalisme politique, et cherchant la formule « d'un accord sincère entre le droit public chrétien et les nécessités du fait social moderne ». Mgr Pie écarte l'axiome énigmatique : "l'Église libre dans l'État libre", et nous livrant la formule "de la conciliation tant désirée", il dit : «  Plus je considère l'état des sociétés, en particulier depuis 1789 jusqu'au régime actuel, plus je me persuade qu'il n'y a, pour la liberté et pour la dignité de la race humaine, comme pour la solution des grandes questions religieuses posées devant nous, d'autre issue favorable que celle-ci : « La liberté de l’Église et la liberté du pays placées sous la garantie loyale du Droit chrétien ».

 

SECTION III : LES DIFFICULTÉS - DÉFENSE DE LA ROYAUTÉ SOCIALE CONTRE LES OBJECTIONS ET LES PRÉJUGÉS DES POLITIQUES

La loyale application du Droit chrétien, proposée par Mgr Pie, soulève bien des objections. Ces objections, il les a connues et n'a pas craint, avant d'y répondre, de les formuler dans toute leur force, sans atténuation aucune. Avec la même loyauté, donnons ici les principales objections et la réponse de l'Évêque. Remarquons que ces objections lui étaient faites par des hommes du pouvoir, le plus souvent par les hauts fonctionnaires du gouvernement impérial (4) et que de nos jours, elles persistent dans l'esprit de presque tous nos politiques.

Les réfuter apportera la lumière qui mettra en évidence la nécessité, la possibilité et les inappréciables bienfaits du Droit chrétien.

Nous répartissons ces objections en trois groupes : les objections historiques qui regardent le passé ; les objections permanentes ou préjugés tirés des prétendus dangers qu'une constitution chrétienne fait courir aux États ; enfin les objections actuelles qui déclarent le Droit social chrétien spécialement incompatible avec la société contemporaine.

 

CHAPITRE I : OBJECTIONS HISTORIQUES

Le droit chrétien et les malheurs des siècles passés. - Les luttes du Sacerdoce et de l'Empire, les Conflits du parlement et du clergé. - Le droit chrétien et la tradition doctrinale du clergé de France. - La tradition politique française et le droit chrétien.

La principale objection historique, de portée générale, contre le Droit chrétien, était formulée ainsi à la Chambre française, lors de la discussion de la loi sur l'enseignement supérieur (5) : « Il importe à l'Église, si elle croit avoir un droit social,

« Quand la conquête déterminée par une raison humaine est opérée, le meilleur moyen de la justifier, de la rendre plus douce et de la consolider est de diriger la force de telle sorte qu'elle aide aux conquêtes de la religion. Sans dire au vaincu : Crois ou meurs, ni même, ce qui est moins dur et plus excusable : Crois ou va t'en ; sans lui demander en aucune façon l'abandon de son culte, la simple politique du bon sens conseille de lui faciliter tous les moyens d'y renoncer, et quand la religion du vainqueur est la religion chrétienne, c'est-à-dire la vérité divine ; quand la religion du vaincu est l'Islamisme, c'est-à-dire un amas de dogmes abrutissants et sauvages, ces efforts que le bon sens conseille, l'humanité ne les exige-t-elle pas ? N'est-ce pas le premier des devoirs de mettre la religion à même de travailler, par les moyens qui lui sont propres, par la prédication et les bonnes œuvres, à la conversion des vaincus ? Serait-ce un préjudice d'ajouter à son action les mesures d'administration qu'elle pourrait indiquer, d'ouvrir des écoles religieuses, d'accorder quelques faveurs aux néophytes, de combattre dans les mœurs et dans les coutumes ce qui s’opposerait le plus à un changement désirable sous tant de rapports ? Voilà tout ce que j'entends par la force ». L. VEUILLOT, Les Français en Algérie, p.176. Telle est la doctrine de l’Église sur le but suprême de la colonisation. Ces grands catholiques l'ont toujours entendue ainsi. Notre illustre Champlain disait :

 

(1) IX, 403 Homélie prononcée dans l'église de Saint-Remy de Reims (1er octobre 1876).

(2) Tous ceux qui voudront étudier à fond cette question toujours vivante et plus que jamais inéluctable du Pouvoir temporel du Pape, trouveront la pleine lumière dans les remarquables articles du P. DUBLANCHY SM. Sur l'indépendance temporelle du Pape, d'après la théologie, publiée dans la Revue thomiste de 1918 et 1919, articles hautement loués par le Cardinal GASPARI.

(3) « Fille aînée de l'Église romaine, la nation française fut employée de Dieu à ce grand ouvrage (Indépendance territoriale du Saint Siège). Les Français, a dit un homme de génie, eurent l'honneur unique et dont ils n'ont pas été à beaucoup près, assez orgueilleux, celui d'avoir constitué humainement l'Église catholique en donnant ou en faisant reconnaître à son chef le rang indispensablement dû à ses fonctions divines. A partir de là, et comme récompense de ce service, la France occupa sans contestation la première place dans cet aréopage des nations européennes qui s'appela la chrétienté : c'est dire qu'elle fut universellement considérée comme la plus grande nation du monde. Et malgré des fautes partielles, suivies de châtiments temporaires, on la vit toujours monter et grandir tant qu'elle n'a pas répudié sa première mission ». VII, 319-320-321 et Histoire du Cardinal Pie, II, ch. 1-2-3 in extenso et L. IV ch. 2, 430436.

(4) Plusieurs de ces objections, en effet, se trouvent dans le rapport présenté au Conseil d'État par M. SUIN dans l'affaire du Mandement du 22 février 1861 et dans la lettre du Comte DE PERSIGNY, Ministre de l'intérieur, au Cardinal archevêque de Bordeaux, publiée par l'Indépendance belge le 11 Novembre 1862. Histoire du Cardinal Pie, Il L. III et IV en entier.

(5) Par le rapporteur de la loi, M. Édouard LABOULAYE.

 

« La prise des forteresses, ni le gain des batailles, ni la conquête des pays ne sont rien en comparaison du salut des âmes et de la gloire de Dieu ; et la conversion d'un infidèle vaut mieux que la conquête d'un royaume ». Histoire de la Colonie Française du Canada, de ne pas en user, et elle n'en a eu l'usage que pour son malheur. Lorsqu'on lit l'histoire, on voit que depuis le jour fatal où Constantin, pontife romain, est devenu l'évêque extérieur de l'Église, de ce jour ont commencé les hérésies, les guerres civiles, les guerres religieuses et qu'un long cortège de malheurs a été la dot de l'adultère (1) ».

Tout en reconnaissant le mal qu'ont fait certains princes par leur immixtion dans les affaires intimes de l'Église (2), Mgr Pie répond hardiment :

« C'est une proposition explicitement condamnée par l'Église que celle qui affirme que la christianisation de la puissance et des institutions politiques par Constantin et ses successeurs a été en elle-même une chose fatale. Cela n'est jamais fatal en soi qui est dans la nécessité de l'ordre et dans les exigences de la vérité. La transformation chrétienne du régime social devait logiquement suivre celle des membres individuels de la société, et l'épanouissement de l'Évangile devait, avec le temps, amener la conversion des Césars, comme Césars, et non seulement comme particuliers » (IX, 168).

Quant à l'affirmation de la naissance des hérésies, des guerres civiles et religieuses à l'époque constantinienne, c'est un impudent mensonge historique réfuté ainsi par Mgr Pie :

« Les dissidences religieuses, les hérésies sont nées de là : il n'y en avait point auparavant ! » répond-il avec ironie. Quel étrange mépris de la vérité ! « Les épîtres de saint Paul et surtout de saint Jean, les cinq livres d'Irénée, évêque de Lyon, adversus hæreses, les écrits de Tertullien, d'Origène etc... sont non avenus quant à l'existence d'hérésies antérieures au pouvoir constantinien de l'Église...

« Pareillement, puisque les guerres civiles et toutes les calamités sociales sont provenues de l'avènement de l'Église au pouvoir, elles ont cessé, n'est-ce-pas, avec ce pouvoir : de telle sorte que depuis le règne des grands principes de 89, depuis la proclamation des droits de l'homme et de l'État, à l'exclusion de tous droits sociaux de la grande institution surnaturelle de Jésus-Christ, il n'y a plus eu de guerres civiles ni de catastrophes sociales ? »(IV, 167-168)

Forcés d'admettre que les hérésies et les catastrophes sociales ne sont pas nées avec l'application du Droit chrétien et qu'elles n'ont pas cessé avec sa disparition, les adversaires de la Royauté sociale du Christ allèguent les dissensions qui remplissent l'histoire de nos quatorze siècles chrétiens, toutes les luttes du sacerdoce et de l'empire, tous les conflits des parlements et du clergé (3).

Mgr Pie ne nie pas ces luttes et ne dissimule pas ces conflits, mais il soutient que cette résistance de l'Église était absolument nécessaire pour sauvegarder les droits intangibles de Jésus-Christ. Il fait observer que cette résistance s'inspirait uniquement du véritable intérêt des princes eux-mêmes et de la société tout entière, et il constate avec peine que les hommes d'Église engagés dans ces luttes ont été étrangement calomniés par les hommes du Pouvoir.

Tout historien impartial approuvera ces conclusions et fera sienne la réflexion profonde du Cardinal Pie : « Les rois de la terre, depuis quinze siècles, ont eu beaucoup plus à souffrir des complaisances que des résistances de l'Épiscopat (4) ».

Les plus hautes autorités administratives du pays opposaient encore à l'enseignement de l'Évêque de Poitiers, la tradition doctrinale du clergé de France, qui, par le premier article de 1682, semble soustraire le pouvoir civil à la direction morale de l'Église (5).

Mgr Pie donne d'abord une interprétation orthodoxe de ce fameux premier article. Il signifierait tout simplement la distinction des deux pouvoirs, et indiquerait pour chacun d'eux « la liberté de se mouvoir dans sa sphère propre et particulière (6) ».

Cette interprétation s'appuie sur les doctrines de Bossuet lui-même qui n'a jamais prétendu affirmer la sécularisation de l'État, mais qui, au contraire, nous a laissé ces belles paroles :

 

(1) IX, 166167. Entretiens avec le clergé (juillet 1875).

(2) Cette immixtion est contraire aux principes du Droit chrétien. Mgr Pie l'a réprouvée énergiquement en faisant siennes ces paroles du bienheureux Canisius : « Vouloir dicter la loi à Rome, imposer des réformes au pape et aux cardinaux, demander des conférences particulières et des diètes nationales pour discuter les questions théologiques, qu'est-ce autre chose que conspirer avec les ennemis de la foi ? » V, 429.

Le bienheureux Canisius adressait ces reproches à Charles-Quint. Ils visent pareillement les prétendus théologiques des empereurs de Byzance et des parlements français du XVIllè siècle. Voyez encore VI, 58 1 sv. et Histoire du Cardinal Pie, Il, L. IV, p.388 et sv. Sur

les empiétements du pouvoir civil, lire une histoire détaillée de l'Église, par exemple celle de ROHRBACHER.

(3) V, 186. Troisième instruction synodale sur les principales erreurs du temps présent.

(4) IV, 423. Réponse à son Excellence M. Billault, ministre et commissaire du gouvernement impérial. Au reste cette réponse est à méditer tout entière.

Sur ce que l'histoire impartiale donne raison, dans ces conflits, à l'Église contre les princes, écoutons le positiviste Auguste Comte.

« Quand on examine aujourd'hui, avec une impartialité vraiment philosophique, les deux puissances, on ne tarde pas à reconnaître qu'elles furent presque toujours essentiellement défensives de la part du pouvoir spirituel, qui, lors même qu'il recourait à ses armes les plus redoutables, ne faisait le plus souvent que lutter noblement pour le maintien de la juste indépendance qu'exigeait en lui l'accomplissement de sa principale mission et sans pouvoir, en la plupart des cas, y parvenir enfin suffisamment... « Dans ces combats, si mal jugés, le clergé n'avait alors d'autre but que de garantir de toute usurpation temporelle le libre choix normal de ses propres fonctionnaires ; ce qui certes devrait sembler maintenant la prétention la plus légitime et même la plus modeste.

« La puissance catholique, bien loin de devoir être le plus souvent accusée d'usurpations graves sur les autorités temporelles, n'a pu, au contraire, ordinairement obtenir d'elles, à beaucoup près, toute la plénitude du libre exercice qu’eût exigé le suffisant développement journalier de son noble office, au temps même de sa plus grande splendeur politique, depuis le milieu du onzième siècle jusque vers la fin du treizième...

« Aussi, je crois pouvoir assurer que de nos jours les philosophes catholiques, à leur insu trop affectés eux-mêmes de nos préjugés révolutionnaires, qui disposent à justifier d'avance toutes les mesures quelconques du pouvoir temporel contre le pouvoir spirituel, ont été, en général beaucoup trop timides, dans leurs justes défenses historiques d'une telle institution ». AUGUSTE COMTE, Cours de philosophie positive, T. V, p.234 et sv. (Édition Littré). Qu'on lise p. ex., l'Histoire de saint Grégoire VIl par DAVIN, ou Grégoire VII par FLICHE pour se convaincre de la justice de la cause de l'Église.

(5) IV, 245 : Le premier article de 1682 peut se résumer ainsi : « Les rois et les princes dans les choses temporelles ne sont soumis soit directement soit indirectement à aucune autorité ecclésiastique ».

(6) IV, 248. Lettre à M. le ministre de l'instruction publique et des cultes (16 juin 1861).

 

« Le Christ ne règne pas, si son 'Église n’est pas la maîtresse, si les peuples cessent de rendre à Jésus-Christ, à sa doctrine, à sa loi, un hommage national (1) ».

Cette interprétation bénigne s'appuie encore sur la tradition entière de l'épiscopat français, l'ancien épiscopat et l'épiscopat d'aujourd'hui. Mgr Pie écrit à ce sujet au ministre de l'instruction publique et des cultes :

 J'ai t levé à l'école d'un vieil évêque qui n'appartenait point à l'opinion dite ultramontaine et qu'on a pu regarder jusqu'à la fin comme l'un des plus fidèles tenants de l'opinion dite gallicane. Quel eût été son étonnement s'il s'était entendu dire que Jésus-Christ n'a donné à Ses apôtres qu'un pouvoir spirituel sur la foi et la charité, et s'il eût entendu inférer de là que les institutions humaines sont sans aucune subordination à la doctrine révélée, à la loi évangélique et à l'autorité de l'Église divinement constituée dépositaire et interprète de cette doctrine et de cette loi ? Une pareille interprétation du premier des quatre articles de 1682 lui semblait hérétique et il avait raison. Il croyait que la religion, ayant mission d'éclairer toutes les consciences, d'enseigner les devoirs de tous les états ne pouvait être sans autorité directrice par rapport à l'Etat qui domine tous les autres, comme parle Bossuet ». (IV, 185-186)

Mais, si les hommes du Pouvoir s'obstinent à entendre cet article dans un sens hérétique, Mgr Pie ne craint pas de faire remarquer que « la déclaration de 1682 n'est point un acte émané de l'Église, ni ratifié par elle, et que si la doctrine contenue dans le premier article de cette déclaration est interprétée par les hommes de loi et les hommes d'État en un sens absolument inadmissible et qu'on pourrait qualifier idolâtrique, il ne nous en coûtera point de dire de cet article interprété ce que Bossuet a dit de cette déclaration elle-même : Abeat quo libuerit ! » (IV, 246)

Et, comme les adversaires du Droit chrétien pour compléter leur objection tirée de la tradition doctrinale française, la corroborent par des faits, en rappelant que « les princes de l'ancienne France ont plus d'une fois eux-mêmes nié, discuté, repoussé le droit de l'Église » (IV, 250), Mgr Pie répond :

« Il est vrai : l'histoire prouve surabondamment qu'il en a été ainsi. Même parmi les monarques chrétiens, il y a une tradition longue et presque ininterrompue de princes révoltés, se retranchant derrière le rempart d'une légalité arbitraire, et au besoin, derrière le rempart de la force et de la tyrannie. Mais la même histoire est là pour nous apprendre ce qu'ils y ont gagné d'honneur, d'influence sur leurs peuples, de tranquillité pour leur vie, de sécurité dans leur mort, de solidité pour leur dynastie. Un de nos illustres évêques des Gaules, qu'on a toujours cité pour son dévouement à la monarchie française, bien que le devoir épiscopal l'ait mis plus d'une fois aux prises avec son souverain, Yves de Chartres, dont la conduite et les écrits offrent un admirable mélange de force et de prudence, de soumission et de résistance, écrivait à un puissant roi : Quantum valet corpus, nisi regatur ab anima, tantum valet terrena potestas nisi informetur ab ecclesiastica disciplina (2). Les dernières pages de notre histoire sont un terrible commentaire de cette parole. L'ancienne monarchie, unie à l'Église par les plus étroits liens, avait duré quatorze siècles : pendant ce long espace de temps, deux changements de race seulement étaient survenus, et ç'avait été sans révolution violente, sans altération de la constitution du pays. La royauté s'est fatiguée d'une alliance salutaire ; elle a considéré comme une atteinte à sa souveraine indépendance cette subordination religieuse qui avait été pour elle la source de tant de biens: elle a voulu désormais ne rien devoir à l'Église. Les rois donc ont fini par ériger en maxime qu'ils ne relevaient que de Dieu et de leur épée. Or, depuis soixante-dix ans, le monde s'est demandé : Où donc est le Dieu des rois ? Ubi est Deus eorum ? Et a pu se demander aussi : Où est leur épée ? Épée de l'ancienne monarchie en 1793 ; épée du plus grand guerrier du monde en 1814 et 1815 ; épée de la branche aînée en 1830 ; épée de la branche cadette en 1848 ; épée même de la république en 1851 ; pas un glaive n'a été assez fort pour résister à la justice du Dieu jaloux qui a incarné Ses droits dans les droits de Son Église...

« Nous savons qu'on ne se découragera point de tenter l'expérience. Sans souci du passé, les légistes, les politiques, tous les mauvais génies du pouvoir raviront imperturbablement les mêmes formules et ils diront : L'État est complètement indépendant de l'Église, le premier ne relève que de Dieu et de Son épée : « Dieu et l'épée continueront de faire leurs éloquentes réponses, et l'Église continuera d'assister aux mêmes spectacles. On ne lassera ni sa patience ni son courage. Elle est aussi résignée à voir jusqu'à la fin les tristes scandales des révoltes populaires, sociales, légales, impériales, qu'elle est assurée de traverser les vaines menaces qu'on lui oppose, et d'assister tôt ou tard au châtiment des rebelles qui les auront élevées » (IV, 250-251).

C'est avec cette force et cette clarté que Mgr Pie met en poudre les objections historiques contre le règne social du Christ.

 

(1) X, 259. Homélie sur le Psaume II.

(2) Autant ce que vaut le corps s’il n’est pas régi par l’âme, autant vaut le pouvoir temporel s’il n’est guidé par la discipline ecclésiastique.

 

CHAPITRE II : PRÉJUGÉS CONTRE LE DROIT CHRÉTIEN

Droit chrétien et théocratie.

  • Pouvoir absolu et droit chrétien. Les différentes formes de gouvernement et le droit chrétien.
  • Le droit chrétien et l'indépendance de l'État dans sa propre sphère. - Patriotisme et droit chrétien.
  • Le droit chrétien et les intérêts supérieurs de civilisation et de progrès.

 

Le lumineux génie que nous suivons a dissipé également les préjugés qui obscurcissent, dans les esprits, la véritable notion du gouvernement chrétien.

Ce serait la théocratie ! disaient les politiques. (V, 187 et III, 514) Écoutons Mgr Pie :

«  La réponse est facile et je la formule ainsi. Non, Jésus-Christ n'est pas venu fonder la théocratie sur la terre, puisqu'il est venu au contraire mettre fin au régime plus ou moins théocratique qui faisait toujours le fond du mosaïsme, encore que ce régime ait été notablement modifié par la substitution des rois aux anciens juges d'Israël. Mais pour que cette réponse soit comprise de nos contradicteurs, il faut avant tout, que le mot même dont il s'agit soit défini la polémique exploite trop souvent avec succès, auprès des hommes de notre temps, des locutions dont le sens est indéterminé. Qu'est-ce donc que la théocratie ? La théocratie c'est le gouvernement temporel d'une société humaine par une loi politique divinement révélée et par une autorité politique surnaturellement constituée. Or, cela étant, comme Jésus-Christ n'a point imposé de code politique aux nations chrétiennes, et comme il ne s'est pas chargé de désigner lui-même les juges et les rois des peuples de la nouvelle alliance, il en résulte que le Christianisme n'offre pas de théocratie. L'Église, il est vrai, a des bénédictions puissantes, des consécrations solennelles pour les princes chrétiens, pour les dynasties chrétiennes qui veulent gouverner chrétiennement les peuples. Mais, nonobstant cette consécration des pouvoirs humains par l'Église, je répète, il n'y a plus, depuis Jésus-Christ, de théocratie légitime sur la terre. Lors même que l'autorité temporelle est exercée par un ministre de la religion, cette autorité n'a rien de théocratique, puisqu'elle ne s'exerce pas en vertu du caractère sacré, ni conformément à un code inspiré. Trêve donc, par égard pour la langue française et pour les notions les plus élémentaires du droit, trêve à cette accusation de théocratie qui se retournerait en accusation d'ignorance ou de mauvaise foi contre ceux qui persisteraient à la répéter (1) ». Le Droit chrétien ramènerait le pouvoir absolu (V, 297), ajoutent-ils.

« Rien de plus gratuit, répond l'Évêque de Poitiers. Le régime chrétien étant déjà par lui-même une pondération très puissante, un tempérament très efficace apporté à l'exercice du pouvoir, il ne condamne aucune autre pondération, aucun autre tempérament légitime.

« Sans doute, il nous est permis, comme à d'autres, de discuter la valeur de certaines formes politiques, soit en elles-mêmes, soit dans la façon dont elles se produisent chez les divers peuples, soit dans les convenances qu'elles ont avec les besoins, les mœurs, le caractère de telle ou telle nation, soit enfin dans les fruits et les résultats qu'elles ont donnés ici ou là depuis l'origine. Mais, comme tous les modes de gouvernement, avec des avantages et des inconvénients relatifs, sont cependant acceptables en eux-mêmes, nous ne leur demandons le sacrifice de rien autre chose, sinon de leur indifférence à la foi ou de leur opposition à la loi divine (2) ».

Précisant et développant l'objection précédente, les politiques font observer que le Droit chrétien favorise les menées et les intrigues des hommes d'Église, en faveur du pouvoir monarchique, au détriment des autres formes de gouvernement, de l'Empire, par exemple, et surtout de la République (3).

 

Nullement, répond Mgr Pie.

 

« Les hommes du monde, écrit-il, étrangers à l'enseignement des saints livres et aux prescriptions de la liturgie chrétienne, supposent trop aisément leurs propres passions et leurs propres excès chez les hommes du sanctuaire.

Accoutumés qu'ils sont à faire opposition aux pouvoirs qui les gênent ou qui ne satisfont pas leurs goûts, ils se persuadent volontiers que le prêtre en agit de même. Ils sont dans une erreur profonde. Familiarisés avec les doctrines révélées et avec les oraisons de la sainte Église, nous demandons chaque jour par une prière sincère le salut des princes et la paix des nations, sachant que la vie tranquille est utile à l'épanouissement de la piété, et reconnaissant que chaque grand ébranlement social apporte toujours à la religion d'immenses périls et dépose au sein des masses quelque nouveau ferment de mal. Il est vrai que la prière des chrétiens est ordonnée de telle sorte qu'elle n'entend rien disputer à Dieu de Son suprême domaine sur les peuples et sur les empires, et quand, par des vues de justice ou de miséricorde, le Tout Puissant, dirigeant à Son gré les causes secondes, et faisant servir à Ses desseins les passions humaines, accomplit ou permet quelqu'un de ces grands changements que nous pouvons appeler avec le roi prophète "les tours de main du Très-Haut, hæc mutatio dexteræ Excelsi" nous savons nous incliner devant ces faits qui s'imposent à nous et nous tâchons d'en pénétrer le sens, à la lumière des enseignements de la foi et des enseignements de l'histoire. Mais, dans ces cas même, l'Église, en apportant son obéissance et son concours au pouvoir du lendemain, peut toujours se rendre à elle-même le témoignage que, non seulement elle n'a pas travaillé au renversement du pouvoir de la veille, mais qu'elle a tâché de prémunir ce pouvoir contre les fautes qui ont contribué à sa ruine (4) ».

 

(1) V, 187. Troisième Instruction Synodale sur les principales erreurs du temps présent. Observons cependant que si par théocratie on entend simplement une constitution politique où Dieu est ce qu'Il est, le premier Souverain, on peut dire que le Droit chrétien est la théocratie. Voyez ROHRBACHER, Histoire universelle de l’Église, t. I, L. IX.

(2) V, 197-198-199. Voyez aussi X, 108 à 116.

(3) Le Comte de Persigny, ministre de l'intérieur, dans une lettre adressée au Cardinal archevêque de Bordeaux, avait dirigé, de véhémentes attaques contre ces évêques qui sont les "instruments d'un parti ennemi de l'Etat". Mgr Pie était visé des premiers. Il répondit au ministre, par deux lettres, l'une du 18 et l'autre du 27 décembre 1862. Nous citons, dans le texte, un extrait de la deuxième lettre (IV, 521-529). Répondant à l’objection de ceux qui lui reprochaient de travailler contre l'Empire, sa réponse vaut également pour ceux qui l'accusaient plus tard d'être opposé à: la République. Ces quelques lignes nous exposent le programme politique de l'Église, qui fut toujours celui du Cardinal Pie, sous les différents régimes où il eut à exercer son ministère pastoral. «  Certes, écrit Mgr Gay, par ses préférences personnelles, appuyées sur de longues études, une science profonde et de très graves raisons, notre cher Cardinal était légitime ; ce qui ne l'empêcha pas dans la lumière plus haute et l'indépendances de son caractère épiscopal de vivre toute sa vie, audessus des partis. Sa constance en ceci lui a valu bien des reproches et des ennuis fort douloureux ; mais toute sa vie aussi, il a employé son talent et ses forces à combattre le Libéralisme qu'il appelait avec raison le "Naturalisme politique" jugeant à bon droit que ce naturalisme odieux et mortel est le fruit, la somme, et tout ensemble, le père, le protecteur et le nourricier de tous les autres, lesquels constituent visiblement l'antichristianisme absolu. On peut, à Poitiers, comme ailleurs, exercer son jugement et se faire une opinion sur cette question très grave et incontestablement très libre de la forme du gouvernement qui convient le mieux à la France... Tous savent que l'Église, essentiellement compatible avec les diverses formes du Pouvoir humain, tâche toujours, pour sauvegarder l'intérêt sacré des âmes et poursuivre I'œuvre dont Dieu l'a chargée, de vivre au moins en paix avec tous les pouvoirs de fait qui se succèdent. Estce que cela a jamais fait de doute pour personne ? Mais l'impiété et l'injustice ne sont nulle part ni jamais une forme de pouvoir, et si en Poitou, comme dans la France entière, la République est si fort contestée, ce n'est pas tant parce qu'elle est la République, que du fait de ceux qui l'ont fondée et la régissent encore, elle semble vouloir s'identifier et par ses actes et par ses principes avec la haine de la religion et spécialement de la seule vraie, qui est la catholique.

 

«  ...La République n'est nullement en cause, mais la Révolution dont les républicains maintenant au pouvoir, s'inspirent en tout et font les affaires ». Mgr Gay. Lettre à Mgr Bellot des Minières, évêque de Poitiers, 12 mars 1881. Dans correspondance de Mgr Gay. T. II, 332-333, 336-337-338.

Un mot lumineux du Cardinal Pie lui-même, nous livre l'intime de sa pensée sur les différentes formes du gouvernement : « Quand ce n'est pas Dieu qui gouverne les hommes, les formes de gouvernement sont également mauvaises ou également impuissantes ; et, les pires de toutes, sont celles qui, en mettant la souveraineté dans le nombre, touchent de plus près à l'anarchie ». VII, 290. 4 IV 521-522. Deux lettres à M. de Persigny, ministre de l'intérieur (18 et 27 décembre 1862).

«  Sans perdre de vue et sans sacrifier aucun droit, ni aucun principe, l'Église sait quels sont ses devoirs envers les pouvoirs établis. Ce n'est pas assez pour le sacerdoce de prêcher et de pratiquer la soumission ; il est dans ses traditions d'y ajouter la bienveillance et le concours » (IV, 521).

Telle est l'attitude de l'Église en face des pouvoirs humains, quelle que soit leur forme. Mgr Pie la définit en trois mots : Soumission, bienveillance, concours.

Les hommes d’État n'ont donc rien à redouter.

Sous le régime du Droit chrétien, l'Église absorberait la puissance de l'État (1).

« Non, l'Église n'absorbera point la puissance de l'État, elle ne violera point l'indépendance dont il jouit dans l'ordre civil et temporel ; elle n'interviendra au contraire que pour faire triompher plus efficacement son autorité et ses droits légitimes. A-t-on jamais dit que l'Église, parce qu'il lui appartient d'éclairer les consciences sur l'étendue, la portée, les applications du quatrième précepte du décalogue, accapare l'autorité divine et naturelle des parents sur les enfants ? Non, encore bien que les ministres de la religion aient mission d'expliquer le droit paternel et le devoir filial, la puissance paternelle n'en subsiste pas moins tout entière dans son ordre ; les commandements du père à son fils ne tirent en aucune façon leur autorité du sacerdoce, mais du droit propre de la paternité. Ainsi en est-il des attributions de l'Église par rapport aux obligations des citoyens et aux devoirs de la vie publique. L'Église ne prétend aucunement se substituer aux puissances de la terre qu'elle-même regarde comme ordonnées de Dieu et nécessaires au monde. A l'encontre des doctrines anarchiques et des passions révolutionnaires, elle sauvegarde partout et toujours le principe d'autorité : principe essentiel au repos du monde et au maintien de l'ordre ; elle enseigne que la présomption d'abus ne doit pas être facilement admise, et qu'en règle générale, l'obéissance est le premier et le plus indispensable devoir. Pour son compte, elle ne s'ingère pas à la légère et à tout propos dans l'examen des questions intérieures du gouvernement public, non plus que dans celles du gouvernement paternel et domestique. Son rôle n'a rien d'indiscret ni d'odieux ; il n'est jamais intempestif, ni tracassier. Les matières les plus graves de la législation, du commerce, des finances, de l'administration, de la diplomatie se traitent et se résolvent presque toujours sous ses yeux, sans qu'elle articule la moindre observation (2) ».

Une usurpation quelconque des droits de l'autorité civile vient-elle à se produire du fait des ministres de l'Église ; rien à craindre encore, car « l'Église elle-même a contre eux des tribunaux, des lois et des moyens de répression, quand on lui permet de s'en servir ». (IV, 250)

Que les hommes d'État ne craignent donc pas ! l'Église affermira leur autorité (3). Elle assainira tout le corps social. Elle formera de bons chefs, vivant pour ceux qu'ils gouvernent et mourant pour eux au besoin. Elle rendra les sujets, purs dans leurs mœurs, probes dans leurs emplois, fidèles à leurs paroles, justes dans les contrats, actifs au travail, vaillants à la guerre, patients à supporter et les erreurs et les faiblesses inévitables de ceux qui les régissent et les mécomptes sociaux et toutes les épreuves et douleurs de la vie (4).

Mais le Droit chrétien n'étouffera-t-il pas le patriotisme ?

Non. L'Église catholique n'est pas opposée au patriotisme. Au rebours de l'internationalisme athée qui absorbe les nationalités, l'Église, sachant que la variété des nations forme sa couronne et sa richesse, ne cherche jamais à les diminuer.

« L'Église, nous dit Mgr Pie, en offrant aux nations les moyens de salut et de délivrance, ne se montre pas offensante ni agressive. Il y a chez elle une délicatesse de patriotisme qu'on chercherait vainement ailleurs. L'apôtre de Jésus-Christ, à l'heure même où il s'apprête à venger la vérité, s'applique comme saint Paul à ne point paraître accuser sa nation : non quasi gentem meam, haens aliquid accusare (5) ».

Au reste une agression quelconque contre le nationalisme, que serait-elle autre chose qu'un de ces empiétements que Mgr Pie a démontré être si opposés à l'esprit de l'Église ?

Dans son panégyrique de saint Émilien, s'adressant spécialement aux Français, si justement susceptibles sur le point du patriotisme, il leur disait :

« Vous serez davantage de votre pays, à mesure que vous serez plus chrétiens. Est-ce que la France n'est pas liée au christianisme par toutes ses fibres ? N'avez-vous pas lu, en tête de la première charte française, ces mots tant de fois répétés par l'héroïne d'Orléans : "Vive le Christ qui est Roi des Francs !" N'avez-vous pas lu le testament de saint Remy, le père de notre monarchie et de toutes ses races régnantes ? N'avez-vous pas lu les testaments de Charlemagne et de saint Louis et ne vous souvenez-vous pas comment ils s'expriment concernant la sainte Église romaine et le vicaire de Jésus-Christ ? le programme national de la France est là ; on est Français, quand à travers les vicissitudes des âges, on demeure fidèle à cet esprit. Les Pharisiens, tristes citoyens, n'osèrent-ils pas un jour dénier à Jésus-Christ le sentiment patriotique ? Mais, c'étaient eux, reprend saint Ambroise, qui abdiquaient l'amour de la patrie en se faisant les envieux de Jésus. Je renvoie hardiment cette réplique à tous les détracteurs de notre civisme : les apostats de la France ce sont les ennemis de Jésus-Christ. Quoi qu'on fasse, il n'y aura jamais de national en France que ce qui est chrétien ». (III, 522)

Le Droit chrétien respectera sans doute l'indépendance de l'État et les nobles aspirations du patriotisme, mais ne portera-t-il pas atteinte aux intérêts supérieurs de ce qu'on appelle la civilisation et le progrès ?

 

(1) IV, 247. Lettre à M. le ministre de l'instruction publique (16 juin 1861).

(2) IV, 247-248. Voyez encore VII, 371-374, les belles pages où Mgr Pie prouve avec évidence que ni le clergé inférieur, ni le clergé su

périeur n'aspirent à dominer l'État.

(3) Voyez, Homélie sur le caractère de l'autorité dans le Christianisme VIII, 44-55.

(4) D'après SAINT Augustin : « De moribus Ecclesiæ » Mgr Pie a bien mis en évidence cette œuvre moralisatrice inébranlable de l'Église lorsqu'il a établi que seule, par son dogme précis, elle donnait un fondement à la morale sociale et en procurait l'accomplissement très parfait par la grâce de ses sacrements (Œuvres sacerdotales I, 309 à 334 sur l'union de la morale avec la foi et les pratiques chrétiennes Cf. encore V, 383) Si de nos jours la société est en décomposition, c'est uniquement parce qu'elle a chassé de ses institutions : Dieu, Jésus-Christ, l'Église.

(5) V 195 Troisième synodale. Le Cardinal Pie fait observer ailleurs que la religion seule peut empêcher la dissolution de ces liens précieux de famille, de municipe et de patrie, en dehors desquels il ne reste plus que l'humeur nomade et vagabonde et l'indifférence complète des peuples barbares. I, 34.

 

Nous touchons ici à la difficulté la plus redoutable et la plus spécieuse. Mgr Pie a bien connu cette objection. Nous allons la réfuter avec lui.

Pour répondre avec plus de clarté, définissons la civilisation : l'ensemble des faits qui ont changé en mieux la condition de l'homme, dans ses rapports avec ses semblables et dans l'entretien et l'agrément de sa vie.

Les rapports de l'homme avec ses semblables constituent la politique ; l'entretien de la vie humaine, par l'utilisation des forces de la nature, donne naissance aux sciences, à l'industrie et au commerce. L'agrément de la vie humaine, par l'expression du beau, est le résultat des belles lettres et des arts (1).

Ces distinctions faites entre la civilisation politique, la civilisation scientifique, industrielle, commerciale, et la civilisation artistique, il nous sera facile de montrer, par des textes précis du Cardinal Pie, que le Droit Chrétien, loin d'être l'ennemi de la civilisation et du progrès, en est au contraire le promoteur le plus puissant. C'est le droit Chrétien qui a fait la civilisation politique de l'Europe et l'a conservée et défendue pendant plusieurs siècles. Il faudrait citer les belles pages d'histoire où l'Évêque de Poitiers rappelle tout ce que la famille européenne doit à l'Église.

« Au moment, dit-il, où la barbarie semblait triomphante, quand la civilisation paraissait s'exiler, tout-à-coup, un agent nouveau intervint dans I'œuvre créatrice d'un autre monde. Qu'on étudie les conciles de cette première période et l'on reconnaîtra que le travail majestueux qui devait aboutir à l'unité européenne, leur appartient. Voyez au sein de ces assemblées des hommes tels que Charlemagne qui écoutent, qui obéissent en tant que chrétiens, qui interrogent, qui, opinent en tant que princes : admirable concert d'où résultent des institutions qui n'avaient jamais eu, qui n'auront jamais leurs semblables sous le soleil (2) ».

Cette unité européenne créée par lui, le Droit chrétien l'a défendue contre les ennemis du dehors, en suscitant les Croisades.

« Qu'on ne s'y méprenne pas, continue le grand Évêque, refouler vers sa source le sensualisme ottoman dont les flots impurs commençaient à déborder sur le sol de la chrétienté, si c'était une œuvre de foi, c'était en même temps une œuvre de conservation. L'impulsion des Conciles fit échapper l'Europe aux rigueurs du sabre, aux ignominies du sérail, en même temps qu'elle rendit l’Évangile victorieux du Coran. Le parti des Croisades n'était que le grand parti de l'ordre dirigé par des vues surnaturelles et enrôlé par l'Église pour la triple défense de la religion, de la famille et de la société ». (I, 207-208)

La famille européenne est-elle menacée par les ennemis du dedans, « les audacieux perturbateurs du Moyen-Age qui furent moins des hérétiques que des brigands ? » (I, 208) C'est le Droit chrétien encore qui la délivrera de cet immense danger, en suscitant la Croisade contre les hérésies du Midi.

Écoutons l'Évêque de Poitiers nous exposer les hautes raisons sociales de la guerre contre les Albigeois.

« Oui, dit-il, la Croisade contre les hérésies du Midi, prêchée par les Conciles, les préservatifs institués par eux contre le travail secret de l'iniquité mystérieuse, ce ne fut rien autre chose que la ligne offensive et défensive de tous ceux qui voulaient l'ordre, la conservation contre les ennemis de la foi, de l'autorité, de la famille et de la propriété. Et qui oserait reprocher à ces moyens de défense d'avoir été trop énergiques, quand on pense à l'immensité du péril qu'il fallait conjurer et à l'étendue des intérêts qu'il était question de sauver ? Et qui pourrait songer à soutenir que l'Église est sortie de ses attributions ?... Je crois voir un infortuné, tout à l'heure englouti dans les flots, et qui, au moment où il saisit un bras sauveur, discute et conteste la compétence de son bienfaiteur à lui rendre le service auquel il doit le salut et la vie » (I, 209). Voilà I'œuvre civilisatrice du Droit chrétien : œuvre de vie, d'unité et de prospérité sociale.

Mais dès que les princes n'ont plus voulu de ce Droit chrétien et se sont soustraits à l'influence moralisatrice de l'Église (3), à partir principalement du XVIè siècle, et surtout depuis la Révolution française, c'est pour les nations de l'Europe, la décadence politique et sociale qui commence, qui s'accentue progressivement sous nos yeux et qui se poursuivra fatalement jusqu'au Communisme le plus abject, si le Droit Chrétien ne vient l'arrêter. Écoutons :

« La société s'était émancipée, l'autorité aspirait à une complète sécularisation ; on marchait vers cet axiome :

L’État est laïque et il ne doit être que laïque, et l'on s'apprêtait à proclamer comme un dogme national que l'autorité laïque ne dépend que de Dieu et n'a point de leçon à recevoir de l'Église. L'Église se tut en effet, elle resta chez elle, elle s'appliqua à sauver les âmes, et elle en sauva beaucoup. Mais la société temporelle qui avait voulu se suffire, qui avait repoussé la main que lui tendait l'Église, déclina sensiblement, elle descendait tous les jours de quelque degré vers l'abîme. Le mystère de l'impiété opérant sourdement, emporta l'un après l'autre, tous les appuis de l'ordre social.

On put dans cette œuvre de destruction observer l'ancienne gradation des complots retardés par nos pères (4). La spoliation de l'Église fut le prélude de la spoliation des grands et celle-ci, un acheminement rapide vers la spoliation de tous, vers la négation de toute autorité, de toute propriété quelconque. Et ce que l'on dit tout haut et partout aujourd'hui, c'est qu'en dehors de l'Église, il ne reste plus d'autorité, plus de société, et que le seul bien qui rattache encore les hommes entre eux, c'est le lien secret des âmes ; à tel point que si l'Église ne refait pas une autorité, une société parmi nous, nous avons devant nos yeux les horreurs de la dissolution et les transes prochaines de l'agonie ». (I, 212213).

 

(1) D'après SALTET. Histoire de l’Église. Définitions XIII. Nous plaçant au point de vue des adversaires, nous parlons surtout, dans cette objection, de la civilisation extérieure et sociale. Nous ne parlons pas de la civilisation païenne « cette civilisation tant vantée, mélange hideux d'obscénité et de barbarie ». V, 329 Instruction pastorale sur la paix.

(2) I, 207 Instruction pastorale sur l'importance religieuse et sociale des Conciles et VII, 540 : « Voyez-Le (J.-C.) à I'œuvre, soit qu'il s'agisse des anciennes sociétés civilisées ou des races barbares. Les ayant reçues charnelles, lascives, violentes, brutales, Il emploie son industrie et sa patience à les refaire, à les repétrir, et l'on verra enfin ces vases honteux changés en vases d'honneur, en vases

spirituels et célestes, capables de recevoir et de répandre les infusions divines de la vérité et de la grâce ».

(3) Pas d'étude historique spéciale dans Mgr Pie sur les origines et les phases diverses de la sécularisation de la société : Il signale pourtant le règne de Philippe le Bel, comme point de départ du laïcisme français. IX. 3.

(4) Mgr Pie a fait observer plus haut au sujet des Albigeois : «  Qu'on entende les Cathares, c'est-à-dire ceux qui s'intitulaient les "Purs" et que l'on suive la marche de leurs raisonnements. A leurs yeux, les prêtres, s'ils ne sont pas saints, ont perdu le caractère sacré du sacerdoce, et comme ils n'ont plus le pouvoir d'administrer les choses saintes, ils n'ont plus droit à posséder les biens ecclésiastiques. Le pillage commencera donc par l'Église. Mais la logique des Purs ne leur permet pas de s'arrêter là ; et de conséquences en conséquences, voici où ils arrivent. Tout chrétien, à quelque condition qu'il appartienne, roi, noble, bourgeois ou artisan, est dépouillé de son baptême par le péché, il devient infidèle et, à ce titre, il n'a plus de droit ni à son trône, ni à sa magistrature, ni à sa femme, ni à sa maison, ni à ses propriétés, ni au fruit de son travail : toutes choses qui entrent dans le domaine commun. C'est faire acte de religion, c'est obéir à Dieu que de leur mettre la main dessus. Le pillage commencé contre l'Église se continuera donc contre les grands, puis contre tous ceux qui possèdent, à moins qu'ils ne soient Purs ; mais qui pourra demeurer tel aux yeux du brigandage qui s'est fait juge ? Nous venons de lever un coin du voile qui cache les maux et les dangers de cette époque. Les deux dates les plus terribles contre l'Église et la société, contre la hiérarchie et la propriété, les deux ères qu'ont inaugurées le dix-huitième siècle expirant et le milieu du dix neuvième pouvaient être anticipées de six ou sept cents ans. L'Eglise se mit intrépidement à I'œuvre et elle les retarda de plusieurs siècles. Gardons-nous de nous en plaindre ». I, 208-209.

 

« Nos pères étaient plus prévoyants que nous ; ils se croisaient contre les erreurs et, par là, ils s'épargnaient la croisade contre tous les excès qui naissent des erreurs. Nous, au contraire, nous nous croisons d'abord pour répandre toutes les fausses doctrines, sauf à nous croiser ensuite pour réprimer les résultats matériels de ces doctrines ». Œuvres sacerdotales Il, 687.

 

La déduction est irréfutable. Loin de détruire la civilisation politique, c'est l'Église seule qui, par le Droit chrétien, peut la donner et la conserver au monde, et cette sublime prérogative, elle la tient de son divin Fondateur.

Jésus-Christ, dit Mgr Pie, donnant aux apôtres leur mission, ne leur dit pas seulement : Allez et enseignez les hommes, mais allez et enseignez les nations. Or, pour enseigner les nations, il faut qu'il y ait des nations. Aussi l'Évangile partout où il est annoncé, introduit-il aussitôt l'esprit de société. Et quand les sociétés tombent en dissolution, quand les peuples s'en vont, à la suite des rois qu'il ont bannis, c'est à l'Église de refaire les sociétés et les peuples (1) ».

La civilisation scientifique, industrielle et commerciale n'est pas moins redevable à l'Église que la civilisation politique.

Y a-t-il parti-pris, chez les gouvernements orthodoxes, demande l'Évêque de Poitiers, de se tenir en dehors du progrès et du perfectionnement de la civilisation moderne ? (2) » Et il répond hardiment : non, justifiant ainsi sa réponse

« Les peuples régis par le droit chrétien, observe-t-il, sont des peuples conservateurs qui vivent essentiellement de traditions. Les arts primitifs ou d'invention déjà ancienne, y sont maintenus avec plus de soin, pratiqués avec plus de constance que nulle part ailleurs. Ainsi, la pâture, la culture, la confection d'étoffes solides dont se font les vêtements ordinaires, mais surtout le culte extérieur de Dieu, les arts qui s'y rapportent, enfin les grandes institutions de l'hospitalité et de la charité chrétienne : voilà les titres de prééminence de la plupart des gouvernements catholiques. Néanmoins, fidèles au passé, ils ne disent point anathème au présent et ne prennent point ombrage de l'avenir. L'Église a combattu à outrance l'ancienne théorie manichéenne qui établissait l'antagonisme radical de la matière avec l'esprit : elle ne réprouverait pas moins ce dualisme pratique qui tendrait à décréter le divorce entre l'esprit de l'Évangile et le développement régulier des forces intellectuelles ou matérielles de l'humanité. Également opposée à tous les extrêmes, elle n'est ni immobile dans les choses qui comportent le mouvement, ni prompte à se jeter loin des sentiers battus et à se lancer dans les expériences et les aventures. Amie de tout ce qui est éprouvé par le temps, si elle n'a pas le mérite d'un grand nombre d'initiatives dans l'ordre temporel, elle a l'avantage d'en éviter les périls. Du reste, tandis qu'elle modère par son calme la surexcitation excessive de quelques peuples, elle obéit de bonne grâce au stimulant qui lui vient d'eux, et elle s'intéresse à leurs essais » (II, 524-525).

Cette dernière remarque de Mgr Pie est profonde. Il constate et il affirme sans crainte que dans la civilisation moderne il peut y avoir des excès, une surexcitation funeste à la société tout entière. Comment cela ? Dans l'allocution prononcée à la bénédiction du chemin de fer de Chartres, il expose ainsi sa pensée :

« L'homme est posé ici-bas entre le temps et l'éternité, les pieds sur la terre et les yeux vers le ciel, soupirant après les joies permanentes de la patrie et désirant aussi toute la mesure de félicité compatible avec la condition présente. La terre est le domaine actuel de l'homme ; l'homme a raison de travailler la terre, c'est son droit et c'est même son devoir. Cela est écrit en tête de la Genèse. Mais le ciel aussi est le domaine de l'homme, son domaine promis, et il lui est commandé de vivre déjà par la foi dans ce monde meilleur et de s'en assurer la propriété » (I, 91).

(1) I, 206. Mgr Pie ne s'est pas laissé éblouir par la civilisation des nations protestantes et schismatiques. Voici comment il explique leur

prospérité et résout l'objection qu'on voudrait en tirer contre le Droit chrétien.

1. La prospérité de ces nations séparées de l'Église, a sa cause première dans la sève catholique qui les a vivifiées pendant de longs siècles. « Ne m'objectez pas qu'on retrouve encore des qualités solides et brillantes chez des individus ou des peuples qui ont dévié de la foi. N'avez-vous pas vu parfois une branche détachée de l'arbre, qui l'a remplie de sa sève, pousser encore quelque temps des feuilles verdoyantes. Or toute société hérétique ou incrédule est une branche détachée de l'arbre chrétien, elle emporte avec elle un peu de sève chrétienne, elle conserve pour un temps de précieux restes de cette substance divine, elle poussera donc encore quelques feuilles ». Œuvres sacerdotales T. 1. p. 324-325.

2. Cette prospérité s'explique encore, parce que ces nations ont retenu et protégé officiellement des institutions d'origine catholique Cf. V, 185-186 et 198-199.

3. La prospérité des nations séparées de l’Église est plus apparente que réelle, elle cache de profondes misères et ne durera pas. « Nous pourrions contester l'étendue, la solidité, la durée de cette apparente félicité des peuples qui ont déserté l'étendard sacré de la Vérité. Nous pourrions soulever le voile qui cache, au sein de leurs cités florissantes et de leurs colonies lointaines, des misères affreuses dans le présent, les progrès toujours croissants du paupérisme et, pour un avenir prochain, la menace d'effroyables calamités et le présage de violentes réactions ». Seconde Instruction pastorale à l'occasion du Jubilé semi-séculaire. I, 313.

4. Enfin, s'élevant plus haut, à des hauteurs familières au génie de saint Augustin, l'Évêque de Poitiers continue : « Il nous serait facile encore, en cherchant les raisons de cette paix spécieuse dans un autre ordre d'idées, de vous en signaler la cause dans les combinaisons infernales de l'esprit d'erreur et de mort que l'Écriture nous montre comme paissant lui-même les générations soumises à son empire, gardant avec soin son domaine séculaire, et n'usant de sa puissance que pour retarder les révolutions qui pourraient tirer ces peuples de leur sommeil et le troubler lui-même dans la tranquille possession de sa conquête. C'est l'homme fort et armé dont parle l'Évangile : il veille, et la paix règne dans sa maison ; car ce qui lui importe à lui, ce n'est pas d'enlever à ses esclaves une somme plus ou moins grande de jouissances matérielles et passagères, non, tout moyen est bon à ce tyran, même le succès et le bonheur présent de ses victimes, quand par cette voie il arrive plus sûrement à les plonger dans l'abîme des éternelles douleurs ». Il conclut par ces paroles, consolantes pour la France : « Sans scruter davantage le secret des conseils d'en haut dans la conduite des autres empires, il doit nous suffire de connaître les desseins de Dieu sur notre propre pays. Or, s'il est donné à certaines nations, de prospérer au sein du mensonge, nous savons que la Providence n'a pas cru devoir infliger à la France le privilège d'une si calamiteuse prospérité. i les vues du Seigneur sur notre patrie, ni le trait le plus saillant de notre esprit national ne souffrent pas que nous participions jamais à cette scandaleuse félicité ». I, 313-314.

(2) II Instruction synodale sur Rome considérée comme siège de la Papauté. 522.

 

Une double obligation s'impose ainsi à l'homme, celle de travailler à sa félicité temporelle compatible avec la condition présente, et celle de mériter la félicité éternelle du ciel. Mais, puisque de toute évidence, le provisoire doit préparer le définitif, et le temps l'éternité, il faut donc absolument que l'obligation de promouvoir la félicité d'ici-bas, soit subordonnée au rigoureux devoir de préparer l'éternité bienheureuse. Dans le rude labeur de conquête de la félicité terrestre, l'homme est puissamment aidé par le progrès scientifique. Ce progrès est bon en lui-même.

« La religion sait que le Dieu qu'elle annonce est le Dieu des sciences et que c'est Lui qui inspire et qui prépare les pensées et les découvertes des hommes, elle est toujours prête à bénir les conquêtes de l'humanité » (II, 93; VII, 249).

Ce progrès pourtant, bon en lui-même, doit être subordonné (1) à la loi divine de Jésus-Christ, manifestée par l’Eglise. Il ne doit pas servir « les intérêts contre les principes » (I, 94). Il ne doit pas surtout « servir contre Dieu » (I, 93) en égarant les âmes, hors des voies du salut. Si le progrès se dérobe à la subordination en face de la loi divine, il devient pour l'humanité, principe de « commotions et de ruines sans exemple » (I, 93)

« A quoi servirait-il, poursuit Mgr Pie, d'embellir un monde que les passions rendraient inhabitable, à quoi bon cette grande rapidité de transport, si c'était pour précipiter la ruine des peuples, en communiquant aux doctrines de désordre et de subversion cette facile rotation autour du globe et ce prompt circuit que l'Écriture attribue au prince de l'enfer ». (I, 94) Ainsi, s'il se sépare de Dieu, le progrès scientifique se détruira lui-même, en donnant la mort à l'humanité (2). Répondant au blasphème de ceux qui affirment que le progrès tuera l'Église, Mgr Pie, à la fin de l'allocution que nous citons, fit comprendre, par un rapprochement saisissant, que l'Église seule peut préserver le progrès de la ruine. A Chartres, la cathédrale et ses clochers s'élèvent au-dessus du débarcadère du chemin de fer. Désignant d'une main les magnifiques locomotives sous pression, de l'autre la splendide et rayonnante cathédrale, il s'écria : « Ceci n'a de chances de durer qu'à l'ombre de cela (3) ».

C'était dire, qu'à l'ombre seule de l'Église et sous le régime du Droit chrétien, le progrès scientifique pouvait s'épanouir en inventions bienfaisantes pour l'humanité.

Le progrès littéraire et artistique doit encore davantage à l'influence de l'Église (4). Pour ne parler que de notre patrie, toutes nos richesses artistiques françaises sont d'inspiration religieuse. L'Évêque de Poitiers le faisait remarquer, dans un remarquable discours, prononcé à la séance publique de la société des Antiquaires de l'Ouest.

«  Cela est incontestable, disait-il, Jésus-Christ, depuis dix-huit siècles, a si bien pris possession de la terre et surtout de la France qui est Son royaume, Son empire, que les moindres débris qui s'y rencontrent parlent toujours de Lui, sont frappés à Son empreinte, à Son effigie. Çà et là, sans doute, l'antiquaire exhume encore quelques souvenirs des temps païens ; et généralement ils offrent un contraste qui les fait tourner eux-mêmes à la gloire du christianisme. Mais, presque toujours, les monuments qui attirent votre attention sont les œuvres de la foi catholique ; l'archéologie, Messieurs, c'est de la théologie encore, et les richesses de vos musées sont à peu près exclusivement des médailles du millésime chrétien ». (I, 136)

Quoi d'étonnant ! L'Église catholique, avec Rome sa capitale, est par excellence « la mère-patrie des arts, la gardienne la plus fidèle et la plus intelligente des chefs-d'œuvre de l'antiquité, l'école la plus féconde et la plus riche des temps modernes » (II, 511) et, lorsque cette Église, par le Droit chrétien, exerce sans entraves son influence sur les peuples, elle suscite parmi eux les plus remarquables chefs-d'œuvre. L'époque de saint Louis en est la preuve la plus éclatante.

 

(1) Mgr Pie appelle cette subordination le retour des intérêts vers les croyances, la soumission de la matière à l'esprit, de l'industrie à la foi, la réconciliation de la science et de l'art avec Dieu. I 195.

(2) C'est ce qui est arrivé à l'époque du déluge. Cette terrible catastrophe a été le châtiment du progrès séparé de Dieu. Écoutons l'Évêque de Poitiers : « Il y eût avant nous des peuples riches et puissants ; il y eut surtout dans les temps anciens et primitifs un peuple dont l'Écriture nous a gardé l'histoire et qui porta jusqu'aux dernières limites le développement des arts et le raffinement des vices. Ces Enfants des Hommes, ainsi que les appelle le texte sacré, appliquant exclusivement à la matière cette noble intelligence qu'ils avaient reçue du Créateur, et qui malgré le ravage du péché se ressentait encore de sa vertu première et de sa force native, produisaient chaque jour de nouvelles conceptions, bâtissaient les villes, travaillaient les métaux, perfectionnaient les arts agréables, et chaque jour aussi, ils attiraient parmi eux les Enfants de Dieu, tentés par de riches alliances avec leurs filles, en qui brillaient tous les dons les plus séduisants de la nature et de la fortune. Or, ce premier de tous les peuples, dont la civilisation et aussi la corruption ne sera jamais égalée peut-être par la civilisation, ni heureusement par la corruption des siècles modernes, ce peuple que l'Esprit-Saint a nommé un peuple de géants, savez-vous pourquoi il a disparu de la terre ? L'Écriture va vous le dire « Les anciens géants n'ont pas prié, et ces

hommes qui se fiaient à leurs forces ont été détruits. » I, 35-36. Discours prononcé à la bénédiction de la première pierre du viaduc de la Voise, 21 août 1845.

(3) I, 94. On reconnaît ici l'allusion au trop célèbre chapitre de Victor Hugo intitulé : Comment ceci tuera cela. Au sujet de la civilisation commerciale, lire la remarquable allocution de Mgr Pie prononcée à la bénédiction d'un nouveau marché : III, 279-381 « Nous avons la joie de savoir et de pouvoir proclamer que notre ville n'est pas de celles où le progrès matériel efface et absorbe un progrès meilleur… La suprématie d'une nation, d'une province, d'une cité n'est pas dans le perfectionnement de la vie matérielle. Ce genre de prééminence s'achète trop cher, quand c'est au prix de la déchéance du goût, de l'abandon des lettres et surtout quand c'est par l'affaiblissement du sens moral et de l'esprit chrétien.

Nous trouvons aussi indiqués dans I'œuvre du Cardinal Pie les remèdes qui préserveront la civilisation industrielle d'une ruine imminente et irréparable. La civilisation industrielle est menacée de nos jours par le prodigieux développement donné aux industries d'objets de luxe. C'est là un danger terrible, car les mœurs sont corrompues par la rivalité du luxe entre les nations. Un autre danger plus redoutable (il est en effet la cause de celui que nous venons de signaler) c'est, dans la direction de la grande industrie, l'influence prépondérante des grandes banques, des trusts internationaux, détenteurs des réserves financières du monde. Ces grandes banques ont tué la petite industrie et par le fait même, se sont assuré l'empire des masses ouvrières pour les détourner de l'Église et les faire servir à leurs fins ambitieuses. Le remède ne se trouvera que dans la législation de l'Église catholique au sujet du luxe et de la spéculation financière. C'est pour cela que Mgr Pie, dans une lettre adressée en 1855 au Cardinal Préfet de la Sacrée Congrégation du concile, manifestait son désir de mettre au programme du concile du Vatican des « décrets relatifs à la spéculation fnancière et au luxe ». Histoire du Cardinal Pie, Il L. III ch. X. p. 291.

(4) Sur la civilisation artistique, voir la lettre de l'Évêque de Poitiers à M. le Comte DE GRIMOUARD DE SAINT-LAURENT au sujet de son livre : Le guide de l'Art chrétien, 14 juillet 1875. IX, 194-197.

 

« Voyez, nous dit Mgr Pie, comme le règne de saint Louis se distingue par tous les prodiges de civilisation qui caractérisent une nation libre : voyez le développement de tous les arts qu'on appelle libéraux. Qui dira les chefs-d'œuvre d'architecture, de sculpture, de peinture qui immortalisent le siècle de saint Louis ? (1) Ces créations grandioses sont sous nos yeux, et elles nous atterrent par leur contraste avec notre impuissance et notre infériorité. Là, que de vie, de sentiment, d'invention, d'enthousiasme, d'originalité, de magnificence ! Les sciences se développent avec les arts. Les universités renferment tout un peuple d'étudiants dont l'émulation est excitée par la rivalité des écoles libres. Le mérite parvient à toutes les charges dans l'État comme dans l'Église, il va s'asseoir à la table et vit dans la familiarité du souverain. Loin que l'intelligence soit captive, on s'étonne de la grande latitude laissée par saint Louis à l'expression de la pensée... Convaincu que la foi doit s'entourer de lumière, il rassemble auprès de la maison de Dieu les monuments de la science, et consacre cette mémorable sentence « qu'une Église sans bibliothèque est une citadelle sans munitions ». Tel fut le siècle de saint Louis (I, 62-63)

Dans le Droit chrétien qui a produit de telles merveilles dans l'ordre politique, scientifique et artistique, le grand Évêque de Poitiers se refuse absolument à voir l'ennemi du progrès et de la civilisation.

Le véritable ennemi du progrès, il nous l'indique dans sa troisième synodale. Ce n’est pas Jésus-Christ, Vérité et Vie. L’adversaire du progrès, c’est Satan et l'odieuse impiété sociale, inspirée par lui.

« Il faut donc, nous dit-il, remonter jusqu'à Satan pour la découvrir dans son origine et pour la saisir dans son fond cette odieuse impiété du naturalisme qui, à l'aide d'axiomes et de programmes plus ou moins habiles ou savants, glisse ses ombres détestables jusque dans l'esprit des chrétiens de nos jours, décorant aussi faussement que fastueusement du nom d'esprit moderne ce qui est le plus vieux des esprits, l'esprit de l'ancien serpent, l'esprit du vieil homme, l'esprit qui fait vieillir toutes choses, qui les précipite vers la décadence et la mort et qui prépare insensiblement les effroyables catastrophes de la dissolution dernière (2) ».

 

CHAPITRE III : OBJECTIONS CONTRE L'APPLICATION DU DROIT CHRÉTIEN A NOTRE ÉPOQUE

Le programme chrétien n'est ni chimérique ni intempestif.

Les difficultés d'adaptation seront aplanies par la sagesse du Souverain Pontife. - La question de la tolérance des autres cultes. - Dans l'acceptation loyale du Droit chrétien, les chefs seront suivis par le peuple.

Le Droit chrétien a contre lui des préjugés d'ordre général : nous les avons dissipés sans peine. Toute opposition cependant n'est pas vaincue, et des hommes que nous appellerions (3) volontiers anti-opportunistes, tout en reconnaissant ce Droit bon en lui-même, le déclarent, à notre époque, chimérique et intempestif. Répondons-leur brièvement.

Le programme social chrétien n'est pas chimérique, puisqu'il a été réalisé déjà dans le passé, pour la plus grande prospérité et le plus grand bonheur des peuples. Il n'est pas intempestif, puisqu'il répond à un besoin profond des générations actuelles, qui ont faim et soif de la vérité (4).

S'adressant aux pessimistes, Mgr Pie leur dit : « Je pense mieux de mon siècle, et sans vouloir jamais me ranger parmi ses flatteurs, je déclare qu'on le méconnaît. Notre siècle est fatigué d'expédients, fatigué de transactions et de compromis (5). On a essayé de tout ! l'heure ne serait-elle pas venue d'essayer de la vérité ?... (6) Et encore : « La vérité est moins dénuée de ressources qu'on ne le suppose pour se faire accepter à la longue, même par les plus hostiles... (7) » Et enfin : « La grande et suprême habileté, c'est la vérité (8) ».

Depuis 1870, époque à laquelle le Cardinal Pie écrivait ces lignes, que d’événements lui ont donné raison ! Notre siècle est plus que jamais fatigué d'expédients. Ne serait-il pas temps enfin de revenir au Droit chrétien ? Attendre encore, c'est s'enfoncer davantage dans la corruption, le sang, la ruine.

« Réserver l'action pour l'avenir serait une faute ; réserver la vérité, en serait une plus grande encore. Car, si l'on croit devoir surseoir aux principes, écarter les doctrines, les actes seront une fois de plus ce qu'ils ont été et ce que nous les avons vus, depuis que nous avons âge d'homme, de mauvais expédients du quart-d'heure, des évolutions dans la révolution, phases nouvelles du désordre religieux et moral que quelque courte durée d'ordre matériel fait envisager, à leurs commencements, comme une ère de restauration sociale.

 

(1) Ces chefs-d'œuvre sont surtout les cathédrales. Sur les beautés artistiques et le profond symbolisme des cathédrales, voyez I, 91-96 et surtout Il, 266-295 sur la cathédrale de Chartres consacrée en présence de saint Louis IV, 70-89.

(2) V, 44. Louis Veuillot, après avoir lu les Synodales de l'Évêque de Poitiers, le remerciait en ces termes : « J'avais tout cela en moi, mais vous en donnez la prononciation, Monseigneur. Pour moi, je suis bien sûr maintenant que je tiens le serpent et je saurai où trouver la queue, où trouver la tête, par conséquent où placer le pied ». Histoire du Cardinal Pie, II, L. III, ch. 7, p. 227. Louis Veuillot a merveilleusement décrit le caractère et les égarements de l'esprit moderne, de cet esprit qui « vieillit toutes choses, en prétendant être, en dehors de Jésus-Christ, la civilisation et le progrès. « Tel est le fond aride et violent de l'esprit moderne. Il regorge d'emphases sur les droits de l'intelligence, sur les droits de la liberté, sur les droits de l'humanité. Il sait se mentir ! Dans la réalité, il est ignorant, destructeur et servile. Son ignorance détruit le champ pour agrandir la ville, détruit le laboureur pour créer l'artisan, détruit l'artisan pour créer le mercenaire, détruit le mercenaire pour créer la machine, détruit la corporation pour créer l'individu, détruit l'individu pour créer l'armée, détruit l'église pour créer la caserne. Jaloux d'atteindre le complément logique de ces destructions et de ces créations, il s'efforce d'abattre la papauté dont la chute détruirait l'autorité et créerait la tyrannie ». L'inspirateur de cet esprit, c'est le Démon, le Menteur. « Il promet la liberté, ce sera l'esclavage ; les jouissances, ce sera le travail servile ; l'abondance, vous aurez faim ; la concorde, comptez sur les guerres fratricides. Il est le Dédale, le Mensonge et la Mort par opposition à la Voie, à la Vérité et à la Vie ».

Parfum de Rome, L. V, § III, p. 232-233 et L. VII, § III, p. 28. Quel magnifique écho des enseignements de Mgr Pie !

(3) C'était l'objection de Napoléon Ill. cf. plus haut.

(4) Nous avons ainsi résumé les beaux développements de Mgr Pie répondant à cette objection. Les lire in extenso dans la 2è partie du panégyrique de saint Émilien et dans la 3è instruction synodale. V, 185 à 197.

(5) Fatigué aussi de « paroles vagues et creuses, de banalités sonores, dont on a charmé et endormi dans leur berceau ou sur leur lit de mort tous les régimes disparus » VII, 111.

(6) Histoire du Cardinal Pie, II, L. IV, ch. 1, p. 375.

(7) V, 192. Troisième synodale sur les principales erreurs du temps présent.

(8) VI, 269. Éloge funèbre du général Auguste de la Rochejaquelein.

 

Cela peut satisfaire les hommes qui ont encore devant eux quelques années d'existence, durant lesquelles ils veulent être ou redevenir quelque chose ; cela ne satisfait ni les droits de Dieu, ni les intérêts des peuples (1) ».

Les adversaires insistent ; les difficultés d'adaptation du Droit chrétien avec la société moderne sont telles, qu'en fait, elles le rendent irréalisable. Il ne faut pas se heurter à des impossibilités. Oui. les difficultés d'adaptation sont grandes, mais le Droit chrétien a un interprète infaillible : Le Pape.

« La grande institution du christianisme s'incarne, se personnifie principalement dans un homme que Jésus-Christ

S'est donné pour représentant terrestre, pour successeur permanent ici-bas : « C'est Pierre, c'est le Pontife romain (2) ».

La mission du Pontife Romain est d'interpréter le Droit chrétien et d’en déterminer l'application. Il l'a fait dans les siècles passés et pour le plus grand bonheur de l'humanité. Autrefois, on disait et c'était un axiome reçu de tous, des adversaires comme des amis, des dissidents comme des fidèles (Leibnitz parlait à cet égard comme Fénelon, Voltaire comme de Maistre) on disait donc : si vous voulez interroger, interrogez Rome. Et Rome répondait par une décision sensée, équitable, impartiale, désintéressée ; elle tenait la balance égale entre tous les droits, entre ceux des forts et ceux des faibles, entre ceux des princes et ceux des peuples, et par son conseil, les affaires se terminaient pacifiquement selon l'ordre et la justice. Cette mission conciliatrice, Rome est toujours également apte à la remplir ; elle défie qu'on lui cite une occasion dans laquelle elle ne s'est pas montrée prête à répondre la vérité à tous (3) ».

Que les chefs de peuples s'adressent à Rome, qu'ils consultent le Souverain Pontife. Sa sagesse ésoudra toutes les difficultés :

« L'Église qui a la lumière sur le front et la charité dans le cœur, a en outre l'intelligence dans les mains : et in intellectibus manuum suarum deduxit illos. Précisément parce qu'elle a l'œil très éclairé, elle a une sûreté de mouvement, une précision de manœuvre qui lui permet de diriger l'humanité à travers tous les écueils, tenant compte à la fois des principes qui ne varient pas et des conjonctures qui en font varier les applications, et donnant satisfaction à l'esprit des temps sans froisser les exigences divines. Qu'on en tente l'expérience et l'on verra » (V, 192).

« Le jour où les souverains, après tant de conflits avec le ciel, plus encore qu'avec la terre, iraient redemander au vicaire de Jésus-Christ de réconcilier enfin leur pouvoir avec l'orthodoxie et leur trône avec celui de Dieu, le monde s'apercevrait que, nonobstant une longue abstention, Rome possède toujours le génie des grandes affaires et qu'elle n'a pas cessé d'être douée du sens pratique le plus sûr et le plus exercé (4) ».

Que deviendront les autres cultes sous le régime du Droit chrétien ? se demandent avec angoisse les hommes d'État, soucieux de maintenir la paix intérieure. Ne sera-ce pas de nouveau la proscription dissimulée, ou même ouverte et sanglante ?

« Les autres cultes jouiront de toutes les garanties assurées par la foi (5) » répond Mgr Pie. Consultée sur ce point précis, l'Église tenant compte de toutes les difficultés que les temps ont créées, trouverait dans sa haute et profonde sagesse, des formules qui seraient l'acte de foi solennel de la nation et du souverain, sans que cette profession authentique de la véritable croyance gênât en aucune façon une tolérance devenue nécessaire envers des dissidences invétérées ; elle rappellerait les bénédictions divines sur la tête des princes, sans appeler les sévérités de ceux-ci sur la tête de personne » (V, 193).

La tolérance civile sera donc accordée aux cultes dissidents et les pouvoirs publics, en agissant ainsi, resteront néanmoins en conformité parfaite avec le Droit chrétien (6). Cette déclaration n'est pas donnée à la légère, car Mgr Pie a étudié longuement et à fond ce délicat et difficile problème de la tolérance et voici sa solution doctrinale, qui est la solution même de l'Église (7).

La tolérance peut être ou civile ou théologique ; la première n'est pas de notre ressort, je ne me permets qu'un mot à cet égard. Si la loi veut dire qu'elle permet toutes les religions, parce que, à ses yeux, elles sont toutes également bonnes, ou même encore parce que la puissance publique est incompétente à prendre un parti sur cette matière, la loi est impie et athée ; elle professe non plus la tolérance civile, telle que nous allons la définir, mais la tolérance dogmatique et, par une neutralité criminelle, elle justifie dans les individus l'indifférence religieuse la plus absolue. Au contraire, si reconnaissant qu'une seule religion est bonne, elle supporte et permet seulement le tranquille exercice des autres, la loi, en cela, peut être sage et nécessaire selon les circonstances. S'il est des temps où il faut dire avec le fameux connétable : Une foi, une loi ; il en est d'autres où il faut dire comme Fénelon au fils de Jacques Il : « Accordez à tous la tolérance civile, non en approuvant tout comme indifférent, mais en souffrant avec patience ce que Dieu souffre (8) ».

Mais si les chefs acceptent le Droit chrétien franchement et loyalement, la nation les suivra-t-elle ? Ne vont-ils pas à l'impopularité, présage de renversement et de ruine ?

 

(1) VII, 110-111. Instruction pastorale sur les malheurs actuels de la France.

(2) V, 556. Exhortation aux zouaves pontificaux (17 juin 1866).

(3) V, 306 Homélie (8 décembre 1863).

(4) V,193 Beaucoup de chrétiens « en reconnaissant à l'Église son autorité infaillible d'enseignement n'ont pas une juste et suffisante idée de l'assistance journalière qu'elle reçoit pour sa conduite pratique. Et cependant le dogme de l'inhabitation continuelle du SaintEsprit dans l'Église, le dogme de la présence quotidienne de Jésus-Christ en elle, doit être pour nous une croyance très arrêtée. L'Église ne possède pas seulement la science abstraite des vérités et des doctrines : elle possède au même degré la science des applications et des opportunités » V, 204.

(5) Histoire du Cardinal Pie : Il, L. IV, 517.

(6) Il, 446 « Qu'un gouvernement sage et même chrétien puisse et doive dans certaines circonstances déterminées, maintenir le principe de la tolérance civile, ceci n'est nullement contesté ».

(7) Voyez sur ce point en particulier : LÉON XIII, Encyclique « Libertas præstantissimum », 20 juin 1888. Édition Bonne presse. Il, p.172 et sv. - Saint THOMAS Il II q. 10, art. Il. - P. NEYRON S.J. Le gouvernement de l'église. Les Catholiques et la tolérance 324-346.

(8) Œuvres sacerdotales I. Sur l'intolérance doctrinale 358 et sv. Mgr Pie croyait cette tolérance parfaitement réalisable. En 1861, il écrivait à M. Rendu : « Croyez-moi, bien cher ami, que sans revoir Innocent III et son siècle, une dose très tempérée d'orthodoxie politique assaisonnée de la tolérance la plus large et des franchises et libertés les plus vraies peut encore faire vivre vos enfants et vos petits enfants dans une France et une Europe très habitables. » Histoire du Cardinal Pie, Il, L. III, ch. 4, p. 125.

 

Avec sa profonde connaissance du cœur humain et de la psychologie des foules, Mgr Pie répond :

Les peuples ont cet instinct et ce bons sens de ne pas accorder longtemps leur faveur à ceux qui ont reçu la mission de les guider et qui ne visent qu'à les suivre. Quand la tête se fait queue, elle n'y gagne point en considération. Ah ! c'est qu'en définitive, il n'y a d'estimable et d'estimé ici-bas, il n'y a d'aimable et d'aimé que le courage au service de la vérité, de l'ordre et de la justice. Celui qui s'expose, celui qui se sacrifie pour le maintien de la justice, pour le triomphe de l'ordre, pour la défense de la vérité ; celui qui s'oublie, celui qui s'immole pour l'accomplissement du devoir, principalement du devoir doctrinal, c'est vers lui que se portent tous les yeux et que volent tous les cœurs, y compris le cœur de Dieu (1) ».

Ailleurs, le Cardinal Pie cite aux chefs l'exemple de Clovis le jour de son baptême.

« Le roi hésitait encore, dit-il, par la crainte de n'être pas suivi de son peuple, et le peuple, déjà éclairé de la lumière et touché de la grâce d'en haut, n'attendait que l'exemple du roi pour demander le baptême à saint Remy », et le grand évêque conclut : « Il en sera toujours ainsi. O vous tous, qui que vous soyez, dans quelque mesure, et sous quelque forme que vous présidiez aux destinées de la France, osez, osez, donc et ne craignez rien de l'opinion du vrai peuple de France ; la religion du Christ est depuis quatorze siècles, et elle restera la religion nationale. Égarée par les sophistes, la France a eu, elle peut avoir ses jours de délire : elle ne sera jamais un peuple d'apostats, car elle est la race élue, la nation sainte et prédestinée (2) ».

Il ne reste rien, nous semble-t-il, des objections contre le Droit chrétien. La lumière est faite dans l'intelligence des chefs. Enflammons maintenant leur courage en leur présentant les exemples de princes qui ont fait régner socialement Jésus-Christ. Ce sont des Modèles.

 

SECTION IV : LES MODÈLES DES CHEFS CHRÉTIENS

 

CHAPITRE UNIQUE : LES MODÈLES DANS LE PASSÉ ET DANS LE PRÉSENT

Dans le passé : Charlemagne, les saints rois et particulièrement saint Louis. Dans le présent : Garcia Moreno.

Les modèles ! Ce sont ceux qui ont imité le Roi Jésus. « Il n'est pas une nation de l'Europe qui n'ait vu siéger à sa tête, à telle période de son existence, un prince en qui se reflétait l'image de ce Roi plein de douceur (3) ».

Pour le passé, Mgr Pie nomme Constantin, Théodose, Charlemagne, « le type le plus vaste et le plus magnifique du César Chrétien » (I, 77), saint Étienne de Hongrie, saint Henri d'Allemagne, saint Wenceslas de Bohême, saint Édouard d'Angleterre, saint Ferdinand de Castille, mais surtout saint Louis de France.

« Saint Louis, nous dit-il, «  peut être offert à tous les siècles comme la plus parfaite expression de la véritable royauté chrétienne, de la royauté selon l'Évangile (4) ».

 

(1) VI, 397. Homélie (13 avril 1869).

(2) IX, 392. Non, les chefs n'ont rien à craindre pour eux, en acceptant loyalement le Droit chrétien. Ils ont tout à gagner, même la popularité durable, même la gloire. Écoutons Joseph de MAISTRE : « Les rois, disait Bacon, sont véritablement inexcusables de ne point procurer, à la faveur de leurs armes et de leurs richesses, la propagation de la religion chrétienne ». Sans doute, ils le sont, et ils le sont d'autant plus (je parle seulement des souverains catholiques), qu'aveuglés sur leurs plus chers intérêts par les préjugés modernes, ils ne savent pas que tout prince qui emploie ses forces à la propagation du christianisme légitime, en sera infailliblement récompensé par de grands succès, par un long règne, par une immense réputation, ou par tous ces avantages réunis. Il n'y a pas, il n'y aura jamais, il ne peut y avoir d'exception sur ce point. Constantin, Théodose, Alfred, Charlemagne, saint Louis, Emmanuel de Portugal, etc..., tous les grands protecteurs et propagateurs du christianisme légitime, marquent dans l'histoire par tous les caractères que je viens d'indiquer. Dès qu'un prince s'allie à l'œuvre divine et l'avance de toutes ses forces, il pourra sans doute payer son tribut d'imperfections et de malheurs à la triste humanité, mais il n'importe, son front sera marqué d'un certain signe que tous les siècles révéreront.

 « Par la raison contraire, tout prince qui né dans la lumière, la méprisera ou s'efforcera de l'éteindre et qui surtout osera porter les mains sur le Souverain Pontife, ou l'affligera sans mesure, peut compter sur un châtiment temporel et visible : règne court, désastres humiliants, mort violente ou honteuse, mauvais renom pendant sa vie et mémoire flétrie après sa mort, c'est le sort qui l'attend en plus ou moins. De Julien à Philippe le Bel, les exemples anciens sont écrits partout, et quant aux exemples récents l'homme sage, avant de

les exposer, fera bien d'attendre que le temps les ait un peu enfoncés dans l'histoire ». Joseph de MAISTRE. Du Pape, I, III ch. 1.

(3) VIII, 50. Homélie sur le caractère de l'autorité dans le Christianisme.

(4) Voyez tout le panégyrique de saint Louis I, 49-89. Dans ce magnifique panégyrique, Mgr Pie réfute ainsi les insinuations perfides du moine anglais Mathieu PARIS, au sujet de l'obéissance et de l'amour de saint Louis envers le Pape et les ministres de l'Église : « Louis est plein de respect pour l'autorité divine à laquelle doivent obéir tous les chrétiens, quelque rang qu'ils occupent dans la société temporelle. Et loin qu'on en doive croire le moine atrabilaire, stipendié par une nation déjà penchée vers le schisme et qui prête au saint roi, en cette matière, des sentiments et des actes tout à fait britanniques, l'humble monarque, au contraire, érige en maxime d'État la conduite de son aïeul Philippe-Auguste, qui voulait sciemment excéder en déférence envers les ministres de la religion ; et il laisse pour dernière recommandation à son fils, le dévouement à l'Église de Rome, l'obéissance et l'amour envers le Pape qui est le père spirituel des rois ». 166. Sur la valeur du témoignage de Mathieu PARIS, consulter les Bollandistes. T. VI Augusti ad diem 25, 282-283, 398, 496. (Note de Mgr Pie).

 

Voici le passage du testament de saint Louis, auquel fait allusion l'évêque de Poitiers. Le roi recommande à son fils : « Sois bien attentif à faire protéger toutes gens dans ton royaume et principalement les personnes de sainte Église et défends-les, en sorte que injure ni violence ne soit faite en leurs personnes ni en leurs choses. Et ici, je veux te rappeler une parole du roi (Philippe-Auguste) mon aïeul. On lui disait une fois : « Les clercs vous font beaucoup d'injures (dommages), et on s'étonne que vous puissiez les supporter ». A quoi le roi Philippe répondit : « Je crois bien qu'ils me font assez de dommages. Mais quand je pense aux honneurs et biens que Notre-Seigneur m'a faits, j'aime mieux souffrir un dommage que faire ce qui pourrait amener discorde entre moi et sainte Église ». Et je te rappelle cela, cher fils, pour que tu ne croies légèrement personne contre les membres de l'Église, et pour que tu leur rendes honneur et les protèges, afin qu'ils puissent servir Notre-Seigneur en paix. Cher fils, je t'enseigne que tu sois toujours dévoué à l'Église de Rome et au souverain Pontife notre Père ou Pape et que tu lui portes respect et honneur, comme tu dois faire à ton Père spirituel ». Traduction SALTET, dans Histoire de l’Eglise. 166-167.

Ces paroles de st Louis sont un écho de celles de Charlemagne; En mémoire du prince des Apôtres, disait le grand empereur dans un de ses capitulaires, honorons la Sainte Église Romaine et le siège apostolique afin que celle qui est la mère de la dignité sacerdotale soit aussi notre maîtresse dans les choses ecclésiastiques. Il faut pour cela conserver à son égard l'humilité et la douceur pour supporter avec des sentiments de piété le joug que ce Siège nous imposerait, fût-il en quelque sorte intolérable. Inter capit. Baluze I, 357. BOSSUET. Sermon sur l'Unité de l’Église (T. XI, p. 613, édit Lachat) met lui aussi en relief l'amour et la vénération de Charlemagne pour l'Église romaine. « Il eut tant d'amour pour elle que le principal article de son testament fut de recommander à ses successeurs la défense de l'Église de saint Pierre comme le précieux héritage de sa maison, qu'il avait reçu de son père et de son aïeul et qu'il voulait laisser à ses enfants. Ce même amour lui fit dire ce qui fut répété depuis par tout un concile, sous l'un de ses descendants, que « quand cette Église imposerait un joug à peine supportable, il le faudrait souffrir plutôt que de rompre la communion avec elle ».

« Louis prit au sérieux, il accepta sans réserve l'Évangile de Jésus-Christ tout entier, assuré que la vérité, venue du ciel et enseignée par la bouche d'un Dieu, devait servir de règle à l'homme public aussi bien, qu'à l'homme privé et que la sagesse, même politique, ne pouvait mieux se rencontrer nulle part que dans le livre de la divine Sagesse, à laquelle elle ne pourrait jamais être opposée. Aussi Louis n'est point chrétien dans son oratoire et déiste sur le trône. Il gouverne en chrétien. Il fait régner Jésus-Christ dans la paix par la justice, par la charité, par la vraie liberté, par la religion. Il fait régner Jésus-Christ dans la guerre, par la défense et la protection des chrétiens, par la victoire de l'esprit sur la chair, et il mérite ainsi de devenir pour tous les princes un exemple toujours pratique, un modèle toujours sûr.

« Saint Louis, conclut Mgr Pie, est le roi de tous les pays et de tous les siècles, parce qu'il n'a pas été roi selon les principes variables d'une contrée, d'une époque et d'une circonstance, mais selon les principes éternels et toujours vivants de l'Évangile ».

Et si l'on oppose l'antiquité de ces modèles, l'Évêque de Poitiers en trouvera un admirable dans le présent.

Il y avait, nous dit-il, dans les régions méridionales de l'Amérique, sous les feux de l'Équateur, un petit peuple connaissant son Dieu, un peuple qui s'était donné un chef chrétien et qui, par lui, avait réalisé au sein du régime moderne les avantages toujours croissants de la civilisation matérielle comme de la civilisation morale. La parole de Jésus-Christ : "Cherchez d'abord le royaume de Dieu et Sa justice et les autres choses vous seront ajoutées par surcroît", recevait là, de jour en jour, son accomplissement. Il allait être acquis à l'histoire que les bénéfices de la doctrine et de la morale de l'Évangile sont indépendants de la forme des états chrétiennement constitués, et que la prospérité des anciennes républiques aristocratiques de Venise et de Gènes, peut devenir celle des républiques démocratiques. Cette démonstration grandissait à vue d'œil. Mais la Révolution qui la voyait grandir, tenait en ses mains le poignard. Salut, ô Garcia Moreno, salut aux rayons multiples de l'auréole des martyrs qui ceint votre front ; car si c'est l'auréole des martyrs, c'est aussi celle de la doctrine la plus méconnue de cet âge, la doctrine de la politique chrétienne. Et parce que vous avez été docte dans cette science, et parce qu'il n'a pas tenu à vous de l'enseigner à plusieurs, votre mémoire resplendira dans le firmament jusqu'à la fin des âges et votre front brillera parmi les astres des cieux pendant toutes les éternités (1) ».

Encouragés par de si magnifiques exemples et marchant sur les traces de si nobles prédécesseurs, à I'œuvre donc, princes de la terre pour la restauration du Droit chrétien (2) !

 

(1) IX, 299. Homélie pour la solennité de saint Hilaire (16 Janvier 1875). Mgr Pie ne craint pas de comparer dans cette homélie l'action de Garcia Moreno au XIXè siècle à celle de saint Hilaire au IVè. Le Président de la République de l'Équateur est en effet une figure transcendante devant laquelle il faut nous arrêter quelques instants dans une étude sur la Royauté sociale du Christ. Garcia Moreno a montré au monde entier que le Droit chrétien était réalisable même à notre époque. « L'histoire de Garcia Moreno, dit Mgr Gay, fait évanouir ces impossibilités prétendues d'appliquer le Droit chrétien aux sociétés modernes et d'établir le règne social du Christ sur les ruines de la Révolution ». Lettre du P. Berthe, dans lettres-préface de Garcia Moreno p. 15.

Il est possible, ajoute Dom Couturier, de remonter le courant révolutionnaire, possible de se débarrasser de l'hypothèse et de prendre le Syllabus pour règle des États et des sociétés, possible enfin d'attaquer dans sa source les principes de la révolution. Garcia Moreno l'a fait au milieu de difficultés inouïes : l'ennemi au dehors, au dedans une armée désorganisée, une magistrature sans traditions et sans principes ; un clergé dans la révolte, ne connaissant plus les lois de la hiérarchie, des ordres religieux sans autre règle que la licence, tous les caractères amoindris par le catholicisme libéral, et enfin, pour profiter de ces éléments de désordre, les francs-maçons partout. La tâche était impossible, Garcia Moreno n'a pas reculé, et son éternelle gloire est d'avoir réussi. Par le côté humain et vulgaire de l'histoire, Garcia Moreno devrait avoir sa place sans conteste parmi les plus grands noms. Son courage invincible dans les dangers, son énergie en face des obstacles où tous ont échoué, la sagesse de ses vues pour organiser et réconforter, sa force indomptable de caractère pour dominer les hommes, son habileté et sa prudence pour les conduire et les entraîner, sa gloire enfin dans les combats, où il égale et souvent surpasse ce que la valeur guerrière a de plus étonnant, aucun genre de grandeur n'a manqué à ce héros… Mais ce n'est pas là son vrai titre à l'admiration du monde. Ses talents prodigieux, ses succès inouïs n'ont été pour lui que des

moyens. Il avait une pensée plus haute qui a fait l'unité de sa vie et l'inspiration de sa noble nature. Il était catholique et aimait l'Église, la gardienne infaillible de la vérité. Or, il savait par la parole du Divin Maître que la vérité seule délivrera le monde, les sociétés aussi bien que les individus. C'est pourquoi il voulait faire de la vérité catholique la règle invariable et absolue de sa conduite dans la vie politique comme dans la vie privée. C'est là le trait caractéristique de Garcia Moreno. Aussi cette vie a-t-elle été la démonstration très complète, par le fait, que l'État chrétien n'est pas une utopie, que nous pouvons encore demander un gouvernement où le Christ soit vraiment Roi et l'Église reconnue comme Reine.

La mort de Garcia Moreno n'a pas détruit cette conclusion ; mais elle laisse aux chefs des gouvernements, princes ou présidents de République, une grande leçon, en leur apprenant que le pouvoir n'est pas seulement un droit à des honneurs, mais un devoir imposé par Dieu qu'il faut savoir embrasser et accomplir malgré les contradictions et les menaces, dût-on y laisser la vie. Une société est heureuse quand Dieu lui donne des hommes de cette trempe » Dom CHARLES COUTURIER, abbé de Solesmes. Lettre au P. Berthe au sujet de son magnifique ouvrage Garcia Moreno, président de l'Équateur, vengeur et martyr du droit chrétien. Lettres-Préface 18-19.

Dans cette belle histoire de Garcia Moreno il faut lire surtout et méditer la seconde et la troisième partie : La Croisade contrerévolutionnaire et l'État chrétien.

(2) Tous ceux qui exercent une autorité dans la société, trouveront un très grand profit à la lecture attentive de la vie détaillée de ces grands Modèles.

 

Nous signalerons, parmi les ouvrages qu'on peut trouver facilement Saint Louis, par Marius SEPET, ou WALLON, OU LECOY DE LA MARCHE. Saint Étienne, roi de Hongrie, par E. HORN. Saint Henri, par l'abbé LESETRE. Saint Ferdinand III, par E. LAURENTIE. Des détails précieux pour des hommes d'État se trouvent encore dans L'Histoire de saint Léger par le Cardinal PITRA, dans Clovis et Sainte Clotilde, par G. KURTH : dans Sainte Mathilde, par E HALLBERC,. Enfin : GARCIA MORENO, président de l'Équateur, vengeur et martyr du Droit chrétien par le R. P. BERTHE.

Quant à nous, prêtres ou simples fidèles, préparons-la, par l'accomplissement très parfait des devoirs que Mgr Pie nous a indiqués, surtout par la foi la plus complète en la Royauté sociale de Jésus-Christ et l'affirmation intégrale et constante de cette foi, car « tôt ou tard les croyances finissent par entrer dans les lois, et la chose publique se laisse imprégner des principes qui prévalent dans les esprits (1) ».

QUATRIÈME PARTIE - L'AVENIR DE LA ROYAUTÉ SOCIALE DE JÉSUS-CHRIST

Jésus-Christ règnera-t-Il ? Les princes prendront-ils l'initiative de ce programme ? Les peuples les suivront-ils ?

Comme Bossuet, (Commentaire sur l’Apocalypse. Introduction.) Mgr Pie disait : "Je tremble en mettant la main sur l'avenir". Cependant, il nous a livré sur ce point ses craintes et ses espérances. Quelles furent-elles au juste ? Que pensait sur l'avenir du Christ-Roi cet Évêque, Son Chevalier ?

CHAPITRE I : LE DROIT CHRÉTIEN SERA RÉTABLI TEMPORAIREMENT DANS LE MONDE

Mgr Pie, en ce qui regarde l'avenir, ne fut ni d'un optimisme exagéré ni d'un pessimisme découragé.

Il attendait et espérait pour les nations un retour au Droit chrétien et, sinon une période de triomphe complet et durable, du moins une période de consolation, et suivant son expression, "sur le déclin des âges un brillant automne de la société chrétienne (2)".

Il s'est trompé quelquefois (on le verra par les textes que nous apporterons), en indiquant comme très prochain, le retour des nations au Droit chrétien ; mais, malgré les déceptions que lui apportèrent les événements, il conserva inébranlable l'espérance de la Restauration sociale dans le Christ. Son historien écrit :

« Mgr Pie était avec tous les grands orthodoxes d'alors, avec Donoso Cortès, avec Dom Guéranger, de ceux qui espéraient contre toute espérance, le Règne social du Christ sur la terre, mais sans oser l'espérer définitif, durable et qui ne se rattachaient plus qu'à l'espoir d'un brillant coucher de soleil de la civilisation catholique, dont il ne leur semblait plus possible d'arrêter le déclin (3) ».

Quelques citations nous découvriront la pensée vive du grand Évêque. En 1860, il relevait ainsi le courage de ses fidèles :

« C'est le propre de l'Église, dit saint Hilaire de Poitiers, de vaincre quand elle est blessée, d'être mieux comprise

quand elle est accusée, de tout gagner quand elle est abandonnée. Fort de ces paroles, nous osons vous le prédire, les blessures faites en ce moment à l'Église sont un gage de ses prochaines victoires : ut tunc vincatum læditur ; l'insolence avec laquelle toutes ses doctrines sociales et religieuses sont incriminées n'aboutira qu'à remettre mieux en lumière et qu'à mieux faire accepter de tous les bons esprits, la vérité, la nécessité et la haute portée de ces doctrines : tunc intelligatur cum arguitur ; enfin la lâcheté avec laquelle elle est trahie et délaissée par les puissants du siècle nous est un signe qu'une part considérable lui sera bientôt rendue dans la direction du monde : tunc obtineat cum deseritur. Qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas, et quelques efforts que l'on fasse pour procurer de nouvelles temporisations, la force désormais inévitable des choses ne tardera pas désormais à poser, des pays de l'aurore à ceux du couchant, une foule de questions que l'Europe, dans son organisation actuelle, n'est pas de taille à résoudre. Il est vrai, dans les grandes luttes qui sont pendantes, le démon croit s'être assuré le succès par la rage qu'il a communiquée en même temps à ses séides de l'Orient et de l'Occident contre tout ce que ces contrées renferment de plus pur et de plus noble. Mais nous, au contraire, qui savons le prix du sang des fidèles et des soupirs du juste, nous disons avec notre saint Docteur : "Victoire, victoire à l'Église, puisque l'Église est momentanément en souffrance ! Elle va rallier les intelligences à sa cause et à son autorité, puisque la conspiration du dénigrement a été hautement fomentée et patronnée contre elle. Elle est à la veille de reprendre son influence dans les conseils des nations, puisque les nations l'ont abandonnée" ».

« Et quand nous parlons ainsi le langage de l'espérance, notre voix aura d'autant plus de poids auprès de vous, que vous nous savez étranger à cette disposition optimiste qui rêve pour la terre des destinées indéfinies que la parole divine ne lui a point promises. Non, nous ne nous exagérons point à nous-même les symptômes de dégénération qu'offre le monde actuel, et nous ne nous dissimulons aucune des conquêtes profondes que l'esprit du mal a obtenues sur la société chrétienne. Toutefois, nous croyons avoir l'esprit de Dieu en nous, quand, en comparant les éléments de bien et de mal qui s'agitent et se remuent à cette heure, nous osons prévoir encore le retour d'une ère de prospérité pour l'Église de Dieu ici-bas (4) ».

La même année, il disait à ses prêtres :

« Quelles sont les pensées du Seigneur sur l'Église, sur la société, sur Rome, sur la France, sur le monde ? Devons-nous descendre désormais par une pente inclinée jusqu'au fond de l’abîme ? Devons-nous remonter jusqu'à la lumière ? Il m'est doux de le répéter : les prédictions des saints (5),

 

(1) IX, 213. Paroles prononcées à la séance de clôture du Congrès catholique de Poitiers (21 août 1875).

(2) IV, 498. Mandement au sujet de la reconstruction de l'église de saint Martin à Tours (novembre 1862).

(3) Histoire du Cardinal Pie, Il, L. III, ch. 2, p. 39. A ces noms il faut ajouter celui de Louis Veuillot qui lui aussi a toujours espéré fermement un renouveau social chrétien. Voyez surtout Paris pendant les deux sièges.

(4) IV, 4 et sv. Mandement qui ordonne une quête pour les chrétiens de la Syrie.

(5) Ceux qui désireraient une étude très judicieuse sur ces prédictions des saints la trouveront dans Mgr DELASSUS : La Conjuration antichrétienne, t. III : Solution de la question, ch. 67. Voix des Saints, p. 914 et sv. Les témoignages analysés par l'auteur sont surtout de sainte Hildegarde, de sainte Catherine de Sienne, de saint Léonard de Port-Maurice et du B. Grignion de Montfort. Parmi ces prédictions des saints, Mgr Pie donnait une grande importance à celles de sainte Marguerite-Marie. La sainte de Paray a en effet affirmé que le Cœur de Jésus régnerait SOCIALEMENT, malgré Ses ennemis.

 

Le culte du Sacré-Cœur de Jésus, disait Mgr Pie, est une des richesses nationales de la France. C'est par la France que Jésus a révélé Son Cœur à l'Église et au monde. Le Christ qui aime les Francs, c'est à la France qu'Il a donné les prémices, c'est sur la France qu'Il veut verser les plus larges effusions de l'infinie tendresse qui est dans ce Cœur. La confidente des secrets divins, la Bienheureuse Marguerite-Marie, aurait voulu que cette dévotion fût dès l'origine une dévotion publique, officielle, nationale. Ce que les deux siècles précédents n’ont pas compris, que notre siècle, éclairé par tant de revers, effrayé par tant de dangers, le comprenne enfin. VII, 549. Mgr Pie a fait beaucoup pour le culte du Sacré-Cœur, espoir suprême de la restauration sociale chrétienne de la France. Ajoutons que c'est à Poitiers, durant son épiscopat et avec ses encouragements, qu'a été élaboré le projet du monument du Vœu national (Montmartre). Histoire du Cardinal Pie, T. II, L. IV. c. 11, p. 443 (6è éd.) IX, 134.

En 1857 Mgr Pie disait à ses prêtres, en leur rappelant tout ce que le culte du Sacré-Cœur devait à la France : « N'est-il pas vrai qu'au milieu de tant de sinistres appréhensions, on est heureux de trouver là l'indice rassurant d'une providence qui veut encore nous protéger et nous sauver ? ». III, 49.

les pressentiments des bons semblent nous permettre d'espérer encore pour l'Église militante des jours de triomphe, au moins temporaire (1) ».

En 1863, il avait terminé sa troisième instruction synodale sur les erreurs du temps par ce cri d'espérance :

Oui, cette Europe sécularisée, ces nations et ces institutions devenues laïques, le jour n'est pas éloigné, où elles

redemanderont au Vicaire de Jésus les paroles de salut et de vie. Le droit chrétien avait formé la famille européenne ; ce même droit, avec les modifications nécessaires que le temps apporte au détail des choses, procurera la solution de tant de problèmes reconnus insolubles désormais sans le secours de l'Église ». (V, 208)

En 1870, dix ans avant sa mort, il écrivait :

« Si déplorable que soit l'état des sociétés, si avancées que soient les conquêtes du mal, si effrayants que soient les symptômes de désorganisation universelle, nous avons la confiance que la catastrophe dernière n'est pas à nos portes, qu'il se lèvera encore en ce monde des jours heureux et favorables pour la religion, que la vérité brillera d'un nouvel éclat dans le temps avant de se replier vers le séjour éternel, enfin qu'il est dans les destinées de notre condition mortelle de jouir encore d'une ère de consolation, sinon de triomphe, avant la période de dissolution finale que suivra le triomphe éternel ». (VII, 32)

Le 1er novembre 1871, il consacre une homélie entière à remonter notre courage et à relever nos âmes. C'est une véritable étude ex professo sur nos motifs d'espérer. La délivrance de la société chrétienne, dit-il, viendra non pas de nos mérites, mais de la miséricorde divine.

« Ne m'alléguez donc point comme un obstacle insurmontable aux bontés de notre grand Dieu, l'excès de la perversité humaine. C'est l'honneur de Dieu, c'est Sa grandeur et c'est Sa gloire de faire déborder, quand Il le veut, Ses miséricordes par-dessus notre malice. Quand Il le veut, oui, me dites-vous ; mais le voudra-t-Il ? » Sans hésiter, il répond : "Il le voudra". Et, développant sa pensée : Je l'avoue, nos maux jusqu'ici ne nous ont pas rendus meilleurs ; ...Malgré cela néanmoins, plus je m'applique à scruter les pensées du Seigneur sur nous, plus je m'obstine à présager une prochaine et immense effusion de miséricorde ; et les sources auxquelles je puise cette confiance me donnent la hardiesse de croire qu'en parlant de la sorte j'ai en moi l'esprit de Dieu (2) ». L'année suivante, dans son homélie prononcée en la solennité de saint Hilaire, il s'écrie :

« La terre sera tremblante sur sa base et agitée dans ses entrailles, elle ne retrouvera pas son assiette, jusqu'à ce qu'une secousse favorable ait réparé la perturbation et les désordres apportés à l'équilibre politique du monde chrétien par la disparition de son chef...

« Cette réparation viendra. Ce qu'un choc funeste a renversé, un choc meilleur le relèvera... Retournez à Rome dans quelques années : vous y verrez le concile du Vatican se poursuivant autour du trône du pontife-Roi (3) ».

En 1873, dans le sanctuaire vendéen de N.-D. de Pitié, il annonce le « secours qui viendra d'en haut (VII, 637). La délivrance viendra du Ciel, dit-il, et le Ciel agira par les mains puissantes de la libératrice des chrétiens ». (VII, 643).

Le 3 juillet 1876, lors des fêtes du couronnement de N.-D. de Lourdes, il parle encore, selon sa propre expression, de cette « espérance, de cette attente ferme et certaine, de la délivrance de la société chrétienne (4) ».

Mais, cette espérance l'avait-il encore à la fin de sa vie ? Oui, plus que jamais, elle animait son courage (5). Dans une de ses dernières instructions pastorales, il disait à ses fidèles :

« L'effort fait contre le christianisme à cette heure, n'est si énergique que pour proportionner la victoire à la multiplicité et à la puissance des éléments et des instruments actuels du bien... Travaillons par notre CHARITE, notre PATIENCE, notre MODESTIE à rendre acceptable à nos adversaires eux-mêmes la victoire finale qui nous est réservée et que leurs propres emportements nous préparent (6) ».

 

(1) IV, 106. Homélie du 25 novembre. Un an auparavant, le 30 novembre 1859, Mgr Pie avait écrit à M. de l'Estoile : « J'espère un beau

quart de siècle, dont le commencement n'est pas très loin de nous ». Histoire du Cardinal Pie. II, L. Ill. c 1, p. 33.

(2) Homélie sur les droits souverains de la miséricorde divine. VII, 298 et 300.

(3) VII, 363. La même année, dans une homélie pour la fête de l'immaculée Conception, il disait : « La disposition de beaucoup de bons esprits nous en est un gage. L'heure approche en laquelle Jésus-Christ rentrera, non seulement dans les intelligences, dans les cœurs, dans les âmes d'où Il avait été exilé, mais dans les institutions, dans les sociétés, dans la vie publique des peuples ». X, 414. 4 IX, 345 : Sous quelle forme se fera cette restauration sociale chrétienne ? le Cardinal Pie ne le détermine pas. « Ce n'est pas que je

croie que la mission du Saint Empire sera reprise sur la terre. Sans doute elle ne sera jamais remplie entièrement, ni surtout longuement... Ce serait plus que ne comporte le règne de Dieu ici-bas ». Lettre à M. Rendu. Histoire du Cardinal Pie, II, ch 11, p. 687. La Restauration sociale chrétienne ne sera pas « la reconstitution du Moyen-Age, mais un renouvellement de cet esprit du Moyen-Age, qui mettait les peuples dans les mains des saints Bernard et des saints Louis, au lieu de les pousser fatalement vers des guides d'une autre espèce. L. VEUILLOT, Mélanges, 2è série. Tome VI, Préface XXI et XXII.

(5) Voyez l'Homélie du 8/12/1879 sur ces paroles : Seigneur, sera-ce en ce temps que Vous rétablirez le royaume d'Israël ? X, 86-94.

(6) X, 116. Ne pourrait-on pas dire que cette ferme espérance de Mgr Pie est ainsi l'espérance de l’Église catholique ? Les documents pontificaux de ces derniers temps sembleraient autoriser cette affirmation. « Dieu assurera à Son heure et par Ses voies mystérieuses le triomphe définitif... cette éternelle assistance... nous persuadera qu’à l’heure marquée par la Providence et dans un avenir qui n'est pas trop éloigné, la vérité resplendira plus brillante et que l'esprit de l’Évangile versera de nouveau la vie au sein de notre société corrompue... Puisse le triomphe de la vérité et de la justice être ainsi hâté en ce monde... etc. LÉON XIII, Lettre : Parvenu à la 25è année du 19 mars 1902. Éd. Bonne Presse T. VI, 290-291.

A plusieurs reprises le même Pape considère comme une promesse divine, comme une prophétie réalisable dans le temps, soit la parole : « Fiet unum ovile et unus pastor », soit le texte : « Omnia traham ad meipsum ».

 

CHAPITRE II : LA FRANCE CONTRIBUERA PUISSAMMENT ET EFFICACEMENT A CETTE RESTAURATION

 

Pouvons-nous préciser davantage sa pensée, et sachant qu'il attendait une victoire, savoir comment et d'où il l'attendait ? Pour Mgr Pie, le triomphe du Droit chrétien était intimement lié à la question de l'avenir religieux de la France. C'est un fait qu'il constate :

« Ceux, dit-il, qui attendent et ceux qui redoutent le rétablissement de l'ordre chrétien dans le monde sont d'accord pour ne le juger possible et réalisable que par la France ». (VII, 517)

La question posée : le Christ régnera-t-il, se ramène donc pour l'Évêque de Poitiers, à celle-ci : La France reprendra-telle son rôle antique de chevalier du Christ ?

Terminant l'oraison funèbre du général de Lamoricière, Mgr Pie eut une envolée comme prophétique, que Pie X a fait sienne dans une allocution consistoriale (1). Citons-là en entier.

Après avoir rappelé «  qu'il y a dans la politique, comme dans la religion, une espèce de pénitence plus glorieuse que l'innocence même qui répare des jours de fragilité par des années d’héroïsme », il s'écrie : «  Seigneur, mon Dieu, vous avez créé la France pour l'Église (2) et jamais la France n’abdiquera entièrement sa mission. Il y a dans le naturel de ce pays, des ressources infinies et les esprits y sont capables de retours inespérés… Dieu tient dans Ses mains les cœurs des peuples aussi bien que les cœurs des hommes. Courage, ô France, c'est ainsi que tu reviendras à ta      vocation première. De précieux instincts qui se dérobent encore à toi, mais qui ne sont qu'endormis, se réveilleront dans ton sein. Et tandis que comme Saul respirant encore les menaces et le carnage sur la route de Damas, tu sembleras lancée peut-être dans la voie de l'impiété et de la violence, tout-à-coup, une force secrète te renversera, une lumière subite t'enveloppera et une voix se fera entendre : « Qui êtes-vous, t'écriras-tu... Qui es Domine ? Je suis Jésus que tu poursuis, que tu persécutes. Ego sum Jesus quem tu persequeris. Ô France, il est dur pour toi de regimber contre l’aiguillon. Faire la guerre à Dieu n'est pas dans ta nature. RELEVE-TOI, race prédestinée, race d'élection et va, comme par le passé, porter Mon nom à tous les peuples et à tous les rois de la terre (3) ».

On ne saurait être plus affirmatif. En une autre circonstance, le grand Évêque étudie plus à froid, plus humainement, dirions-nous, si la France redeviendra chrétienne. Citons ce second passage :

« Il y a, pour notre race, une vocation, une prédestination dont nous devons subir toutes les conséquences. Oui, une nation qui est L'ECOLE DU MONDE, qui a porté jusqu'aux extrémités de l'univers ses mœurs, sa civilisation, son langage, ses vertus et ses qualités et, il faut bien le dire aussi, ses travers et ses vices, qui a exercé un empire incontestable sur tous les peuples par la grandeur de ses institutions, l'autorité de ses lois, la noblesse et l'élévation de ses vues, l'élégance et la politesse de ses manières, qui, malgré ses embarras intérieurs, poursuit encore aujourd'hui par les conquêtes pacifiques de ses intrépides missionnaires, I'œuvre de la régénération religieuse et sociale sur les points les plus inexplorés du globe et porte le flambeau de la foi au milieu des ténèbres de l'idolâtrie, une nation qui n'a qu'à vouloir pour bouleverser le monde par ses fureurs ou pour le contenir dans l'ordre et la paix par l'exemple de sa sagesse et de sa modération, une telle nation est marquée du doigt de Dieu pour être à la face des peuples la justification de Sa Providence. Si elle se précipite dans le mal ou seulement si elle devient indifférente au bien, le châtiment suit de près la faute et absout la justice du ciel ; si elle retrouve ses nobles instincts de zèle pour la vérité et d'amour pour la vertu, la prospérité renaît autour d'elle ; et témoins du sceau particulier imprimé à ses revers ainsi qu'à ses succès, jaloux peut-être des uns et des autres, mille peuples divers proclament comme faisait autrefois le vieil Achior, à propos de la nation sainte, que la France a reçu la bienheureuse prérogative de ne jamais pécher impunément et de se relever toujours par le secours même du bras qui l'a châtiée. Telle est la constitution divine qui régit les destinées de notre pays, nul de nous ne changera cette loi. Joignez à cela cette inflexibilité de logique (4), cette marche rapide et précipitée vers les conclusions extrêmes, ce passage presqu'instantané des prémisses aux conséquences, cette facilité avec laquelle les doctrines descendent de la tête aux bras qui les traduisent par des actes, en un mot, cette rigueur pratique et instinctive de raisonnement et de déduction qui est en quelque sorte l’esprit de notre caractère national et qui établit la principale différence entre un esprit français et une intelligence anglaise ou germanique, et vous reconnaîtrez que la France est un pays où l'irréligion et l'erreur ne sauraient être contenues dans leurs développements, où la prospérité, même passagère, est inconciliable avec des principes faux, des exemples funestes, des omissions coupables.

 

(1) Act. Apost. Sedis 1911, p. 657. Allocutio habita occasioni impositionis bireti novis cardinalibus die XXIX novernbris MCMXI. Dans la table analytique des Acta, ce passage est ainsi indiqué : GALLIA... persecutio erit temporanea, reditus ad ecclesiam certus.

(2) Il y a, en effet, des affinités remarquables entre l'âme française et le catholicisme. « Si haut que nous remontions dans notre histoire, une affinité s'entrevoit entre nos âmes et l'idée d'une religion universelle, planant par-dessus les frontières et la variété même des races, et satisfaisant, par une altière et pure métaphysique, à l'unanime appel des anxiétés humaines ». Histoire de la nation française. T. VI, Histoire religieuse, par Georges GOYAU, p. 617.

« La France, avait écrit Mgr Pie dans sa troisième synodale, est originairement et substantiellement chrétienne : aucune révolution ne changera sa nature, sa constitution, son tempérament, sa mission, son histoire, sa destinée, ses aspirations ». V, 183.

(3) V, 506-507. Éloge funèbre de Lamoricière, 5 décembre 1865. Quatorze ans plus tard, le 28 septembre 1879, quelques mois seulement avant sa mort, Mgr Pie, dans les mêmes termes, redisait à Rome la même espérance. X, 63-64. (Discours de prise de possession du titre presbytéral de N.-D. de la Victoire) Il avait manifesté la même espérance dès 1846. Œuvr. sacerdot., II, p. 332-333.

(4) Dans ses Considérations sur la France Joseph de Maistre a merveilleusement étudié et mis en relief cette constitution divine de la France. Mgr Pie écrivant au sujet de la France : "Elle est condamnée à n'être rien, si elle n'est la première des nations catholiques" (VII, 94) a fait siennes les conclusions du grand publiciste chrétien. C'est cette inflexibilité de logique qui fait que "la France n'a jamais été et ne sera jamais hérétique". La France est le pays de la logique et du bon sens... L'hérésie est une halte inconséquente dans la révolte de l'esprit humain contre la Révélation divine. Nier l'infaillibilité de Dieu sur un point et reconnaître cette infaillibilité sur d'autres, c'est une contradiction dont un esprit germanique ou anglais peut s'accommoder pour un temps du moins, un esprit français non. Ainsi la France a-t-elle passé sans milieu de la foi au scepticisme universel, de l'orthodoxie au rationalisme le plus absolu. Œuv. sac., II, 350.

 

Que d'autres s'en plaignent, c'est selon nous la principale fortune de la France que ni la Providence divine, ni son tempérament naturel ne lui permettent de rester tranquillement assise dans les ténèbres et les ombres de la mort, mais que son mal devienne bientôt si extrême qu'elle doive accepter le remède ou risquer de périr dans la crise (1) ».

 

Tels sont les deux textes principaux qui nous semblent résumer les espérances de Mgr Pie : La France reprendra son rôle de Chevalier du Christ.

Le dernier texte cependant, tout en affirmant que la France a reçu « la bienheureuse prérogative de se relever toujours par le secours même du bras qui l'a châtiée » exprime, en finissant, la crainte que notre France chrétienne périsse dans la crise. Mgr Pie se contredit-il ? Cette crainte détruit-elle son espérance ? A-t-il cru que la France périrait dans l'apostasie ?

Sur ce point précis, il ne faut pas le cacher, Mgr Pie eut des moments d'hésitation et de pessimisme.

Déjà, en 1860, il écrivait à Monsieur Foisset : «  Si la France doit redevenir socialement chrétienne, il lui faudra un siècle et au-delà pour désinfecter son vêtement, jour par jour, de la vermine révolutionnaire qui l'a envahie (2) ».

Ses craintes augmentèrent après 1870, lorsqu'il vit le régime sectaire de la troisième République solidement établi.

L'annonce de l'école sans Dieu lui semblait comme le glas funèbre de la France. « Si, pour refaire une génération d'hommes, vous alliez inventer des écoles dont personne ne devrait être absent si ce n'est Dieu, cet outrage à la liberté humaine, comme à la raison et à la religion serait le coup de grâce et l'arrêt de mort. Des mains sacrilèges et parricides auraient écrit sur la pierre sépulcrale de notre pays : Finis Galliae ». (VII, 354. Homélie de Noël 1871)

Nous avons relevé deux textes de crainte. Précisons les : « Si la France doit redevenir socialement chrétienne » écrit-il en 1860. Donc, peut-on dire, il a douté qu'elle le redevînt ?

Oui, quelquefois, mais ce doute passager ne supprime pas l'affirmation rayonnante des précédentes espérances. Examinons l'autre texte : « Si pour refaire une génération d'hommes, vous alliez inventer des écoles sans Dieu, ce serait le coup de grâce et l'arrêt de mort ».

On nous dit : « Ces écoles sont faites, donc la France a reçu son coup de grâce et son arrêt de mort ». Nous répondons : A côté de ces écoles, d'autres et catholiques ont été maintenues ; ensuite, là même où les écoles sans Dieu n'ont pu être évitées, l'Église a pourvu à parer le coup par les mesures imposées aux chefs de famille, contraints d'envoyer leurs enfants aux écoles de l'État ; enfin, dans ce texte encore, le « si », suspendu comme une menace, nous stimule à agir contre ces écoles et nullement à désespérer parce qu’elles existent.

Ainsi, les craintes de Mgr Pie ne sont pas des affirmations absolues, mais elles nous excitent à repousser un malheur toujours possible de par la liberté de l'homme. La crainte, inévitable en pareille matière, ne détruit pas l'espérance, laquelle s'appuyant sur une tradition, prévaut finalement et domine.

Oui, l'espérance domine. C'est elle, toujours vivante au cœur du grand Cardinal, qui lui fait annoncer hardiment dans son dernier entretien synodal, la défaite très certaine du laïcisme scolaire, le plus sérieux obstacle de la Restauration sociale chrétienne.

« J'ignore, disait-il à ses prêtres, jusqu'où Dieu permettra que le mal triomphe : il peut entrer dans Ses desseins de pousser loin l’épreuve qui nous est réservée, et dont l'expérience seule, peut-être, dessillera les yeux de toute une catégorie d'hommes aujourd'hui encore satisfaits d'eux-mêmes et de leurs déplorables systèmes. Mais les signes les moins trompeurs nous l'annoncent : le RETOUR AUX VRAIS PRINCIPES et à tous les biens qui en procèdent s'effectuera dans la mesure même des ravages que les principes contraires auront opérés. Assurément, je suis plein de douleur à la vue de tous les maux, de tous les troubles, de tous les excès que nous avons en perspective ; je voudrais, au prix de mon sang et de ma vie, les conjurer et les écarter ; je demande et nous demandons tous à Dieu que ces périls soient dissipés, et que tant d'intérêts de tous genres ne soient pas injustement méconnus. Mais enfin, tranquilles sur le dénouement d’un conflit entre l'homme et Dieu, entre "l’évangile" de M. Ferry et l’Évangile du Christ, nous répétons la parole du prophète : « Assemblez-vous et soyez vaincus : congregamini et vincimini ; réunissez vos forces et soyez vaincus : confortamini et vincimini ; armez-vous en guerre, et soyez vaincus : accingite vos et vincimini ; dressez vos plans et ils seront dissipés ; dites le mot, et il ne passera point en acte, parce que Dieu est avec nous: Inite consilium, et dissipabitur : loquimini verbum, et non fiet, quia nobiscum Deus (3) ».

Un dernier texte (nous le citons en dernier lieu, il fut aussi postérieur en date aux textes de crainte) élève l'espérance à son degré suprême : LA FRANCE, SERAIT-ELLE MORTE, RESSUSCITERA.

« La France, je le confesse, a grand besoin de travailler à sa propre guérison avant de procurer la guérison des autres. N'est-elle pas elle-même étendue et gisante sous le lourd couvercle du sépulcre ? Qui donc renversera la pierre du monument funèbre ? Je l'ignore, mais j’affirme que nous verrons cette pierre renversée... Quand et comment me dites-vous ? Ce n'est pas la question et c'est le secret de Dieu seul4 ».

 

(1) I, 315-316-317. Seconde instruction pastorale à l'occasion du jubilé (1851). Dans une célèbre homélie prononcée à Reims, en 1876, Mgr Pie signale un triple caractère de la France : « L'inaltérable fidélité à l'orthodoxie, l'alliance indissoluble du sacerdoce et des pouvoirs publics, le zèle de l'apostolat et du protectorat catholique dans le monde entier : triple cachet de la vocation des Francs et par suite triple condition de leur prospérité, car les peuples comme les individus ne grandissent et ne durent qu'en se conformant aux lois qui ont présidé à leur naissance et à leur formation première ». IX, 390.

(2) Histoire du Cardinal Pie, Il, L. Ill, c. 2, p. 66.

(3) Entretien avec le clergé à l'occasion des récentes discussions de la Chambre sur l'enseignement, etc. X, p. 27-29.

(4) VII, 517. Homélie pascale 1873. Voyez encore X, 29, 63, 386, 407, 416, 436, 494. Cf. aussi : Histoire du Cardinal Pie Il, L. IV, ch. IV, 513. «  Non, jamais je n'accepterai pour la France la nécessité absolue et définitive de ce qu'on appelle hypothèse en haine de la thèse chrétienne. J'estime trop mon pays, j'ai trop haute idée de sa prédestination divine, je connais trop sa facilité à revenir au bien après qu'il a servi le mal, pour déclarer qu'il est irrémédiablement assis dans le mensonge. Non, la France n'est point apostate à toujours ». (Mémoire au Comte DE CHAMBORD)

 

L'Évêque de Poitiers, même aux plus mauvais jours, n'a jamais désespéré de la France, car en elle il a toujours vu l’élite, la vraie France, la France catholique. « Depuis quand, ô Dieu, s'écria-t-il en 1870, le nombre, le vil nombre, depuis quand la foule vulgaire l'emportent-ils à Vos yeux sur la qualité et le mérite ? Ne regardez la France que dans l'élite de ses enfants. La France, la vraie France croit en Vous ; cette France Vous aime, cette France n'aspire qu'à Vous obéir et qu'à Vous servir. Ceux qui Vous maudissent, qui Vous blasphèment, ou seulement qui Vous méconnaissent, qui Vous ignorent, ceux-là ne sont pas la France. Eh quoi ! à cause du déchet et des scories qui sont pour un temps à la surface, Vous anéantiriez, Seigneur, la plus belle œuvre de Vos mains, la plus généreuse, la plus héroïque nation qui se soit épanouie au soleil du christianisme ! » VII, 67.

 

On ne peut dire davantage. La crainte et l'espérance ont tour à tour abaissé et relevé l'âme du grand Évêque, mais l'espérance a triomphé. Tout en tremblant quelquefois avec lui, nous espérons fermement avec lui. A la question : Le Christ régnera-t-il ? Répondons avec Mgr Pie : Il régnera, quoique d'un règne transitoire, et Son sergent sera la France.

Que la France ait pour mission spéciale de promouvoir le Règne de Dieu dans le monde, c'est une affirmation traditionnelle que nous retrouvons dès le IXè siècle, dans une belle formule liturgique, très justement appelée "Prière des Francs". Voici cette oraison :

Dieu Tout-puissant et Éternel, qui pour servir d'instrument à Votre divine volonté dans le monde, et pour le triomphe et la défense de Votre Sainte Eglise, avez établi l'empire des Francs, éclairez toujours et partout leurs fils de Vos divines lumières, afin qu'ils voient ce qu'ils doivent faire pour établir Votre règne dans le monde et que, persévérant dans la charité et dans la force, ils réalisent ce qu'ils auront vu devoir faire. Par Notre-Seigneur Jésus-Christ Roi de France. Ainsi soitil.

 

DOM PITRA, Histoire de Saint Léger, Introduction. p. XXII-XXIII.

 

CONCLUSION

 

Cette espérance termine notre essai de synthèse sur le Règne social du Christ d'après Mgr Pie.

L'Évêque de Poitiers nous a exposé les preuves de la Royauté sociale de Jésus-Christ (Iè partie). Il nous a montré le Règne social presque renversé par l'apostasie des nations, et il a mis sous nos yeux les ruines causées par cette apostasie (2è partie). Il nous a enseigné à rétablir le Règne social (3è partie), soulevant nos courages par l'espérance que nos efforts ne seront pas vains (4è partie).

Reste pour nous à entrer dans ces vues. Toute sa vie, Mgr Pie a lutté pour ce royaume, ne craignant pas d'encourir les colères des puissants, ligués contre le droit social du Christ. Ses discours, nous l'avons vu, ne furent pas une pure parole. Ils préparaient, expliquaient, prolongeaient son action.

Dans cette modeste étude, nous avons cité ses paroles, nous avons montré son action, et en terminant nous n'avons qu'un désir, c'est que la doctrine et l'action de Mgr Pie éveillent dans nos âmes la réponse bien nette à ces deux questions : Qu'avons-nous fait pour le Règne social du Christ, et que ferons-nous ?

 

I. QU'AVONS-NOUS FAIT JUSQU’À PRÉSENT POUR LE RÈGNE SOCIAL DE JÉSUS-CHRIST ?

 

Mgr Pie, commentant saint Augustin, a bien voulu faire notre examen de conscience (1).

« N'arrive-t-il pas trop souvent aux chrétiens, nous dit-il, de se rendre solidaires et complices des égarements et des fautes de leur temps, soit par un silence pusillanime, soit même par un assentiment de complaisance à ce qui est contraire à la vérité ? Devant ces excès d'orgueil et de licence, devant ces iniquités et ces impiétés exécrables qui attirent à la terre les coups terribles et écrasants dont Dieu l'a menacée par ses prophètes, est-il commun de trouver sur les lèvres des chrétiens les énergiques réprobations que l'amour de Dieu et de la vérité commande ? En est-il beaucoup qui gardent avec les coryphées de ces doctrines coupables et funestes l'attitude que la foi prescrit ? Non qu'on ne puisse et qu'on ne doive user des ménagements charitables et se garder d'un zèle indiscret et inopportun, mais ces égards ont leurs bornes (2) ».

Serions-nous consacrés à Dieu par les vœux de religion, ces reproches adressés aux simples fidèles nous atteignent nous aussi. Écoutons la suite du texte :

«  Or, ce ne sont pas seulement les chrétiens d'une trempe plus faible, les hommes engagés dans la vie conjugale et dans les devoirs de la famille et de la propriété, à qui diverses considérations humaines ôtent le courage de résister en face au mensonge et à l'iniquité. Hélas ! trop souvent, ceux-mêmes qui ont embrassé un degré plus haut de perfection, qui se sont voués au célibat et à la vie humble et mortifiée s'abstiennent de flétrir ce que la religion réprouve, atteints qu'ils sont de cette infirmité qui les porte à se préoccuper de leur personne et de leur renommée, à se complaire dans les éloges et les appréciations flatteuses de l'opinion humaine, ou à redouter le jugement du vulgaire ou le péril de l’impopularité (VII, 104) »

Même, Mgr Pie relevait spécialement ce péché de silence et de timidité dans les prêtres. S'adressant à son clergé, il l'exhortait ainsi :

 

(1) Puisque nous parlons ici d'examen de conscience, le parallèle établi par M. le chanoine Vigué, entre la méthode des libéraux et celle de Mgr Pie, nous aidera à juger plus parfaitement notre manière d'agir.

« Les catholiques libéraux, pour gagner les peuples à l'Église crient : Liberté ! et Mgr Pie : Vérité ! - eux, des hommes "pour qui le présent est tout" comme il dit, non sans dédain ; et lui, le défenseur des principes éternels, le veilleur de la foi, par-dessus les agitations humaines ; - eux, qui rêvent de concilier l'inconciliable ; lui, qui méprise tous ces compromis religieux où il ne voit qu'un "christianisme appauvri" et "des vérités diminuées" ; - eux, qui flattent volontiers les illusions politiques et sociales de leurs contemporains ; lui, qui se croit au siècle des antéchrists et qui, l'âme attristée par la corruption des mœurs et la décadence de la foi, vit, comme tant de chrétiens des jours primitifs, dans la hantise que la fin du monde est prochaine ; - eux, qui soupirent après les jeunes et vivantes églises de l'Amérique anglaise ; lui, dont l'idéal est dans le passé de la France, dans ce treizième et dix-septième siècles où l'ordre chrétien lui parait avoir été le plus pleinement réalisé ; - eux, qui adoptent la phraséologie politique en faveur, souvent injurieuse pour l'Église ; lui, l'ecclésiastique, le traditionnel qui ne peut retenir un geste d'impatience devant ces banalités révolutionnaires ; - eux, qui gardent l'espoir de christianiser les droits de l'homme ; lui, qui ne veut être que le héraut des droits de Dieu ; - eux, qui trouvent avantageux le droit commun pour la conquête des âmes ; lui, qui le regarde avec horreur, y découvrant le suprême outrage fait à la majesté souveraine de la vérité, comme à Jésus, quand il fut mis par Pilate en parallèle avec Barabbas ». Pages choisies. Introduction LI - LII.

(2) VII, 103. Instruction pastorale sur les malheurs actuels de la France.

 

« Tous, tant que nous sommes, disons avec le prophète : "Malheur à moi, parce qu'habitant au milieu d'un peuple aux lèvres souillées, j'ai souvent omis de rendre témoignage aux pures doctrines de la vérité et parlant la langue de ceux parmi lesquels je vivais, j'ai contracté moi-même la souillure des lèvres". Tous, tant que nous sommes, disons aujourd'hui au Seigneur avec les Apôtres : "Seigneur, augmentez en nous la foi, étendez-là à tout ce qui est de son empire, car vous êtes le Dieu des peuples, au même titre que celui des âmes" (1) ».

Donc, pour la plupart, nous n'avons rien fait pour le Règne social de Jésus-Christ. Quelle peut en être la cause ? D'après l'Évêque de Poitiers, c'est manque de foi et manque de courage.

 

MANQUE DE FOI !

 

« Pourquoi, se demande-t-il, un sacerdoce si nombreux, pourquoi une élite si considérable d'hommes croyants et pratiquants n'apportent-ils aux souffrances du pays qu'un remède si peu appréciable et si peu efficace ? Les étrangers qui savent, qui admirent et qui envient tout ce que la France catholique contient d'éléments exquis, se posent souvent à eux-mêmes cette question. Comment s'expliquer que tant de charité, tant d'activité, tant de dévouement produisent si peu d'effet et si peu de fruit, quant à l'amélioration de la chose publique ? » (VIII 25)

Et il répond hardiment : « Propter incredulitatem vestram ».

« C'est que, dit-il, dans l'ordre des choses publiques et sociales, les fidèles et trop souvent les prêtres de notre génération, ont cru que, même en pays de christianisme, on pouvait observer la neutralité et l'abstention vis-à-vis de la foi chrétienne, comme si Jésus-Christ était non avenu, ou avait disparu du monde. Or, quiconque professe et pratique une pareille théorie, se condamne à ne rien pouvoir, absolument, pour la guérison et le salut de la société... Si nous n'avons pas réussi à dompter le mal révolutionnaire qui nous donne ainsi en spectacle aux autres peuples, ce mal intérieur qui nous mine, qui nous dessèche, qui nous tue, c'est que, tout en ayant la foi privée, nous avons notre part de l'infidélité nationale » (VIII 26-27).

Ainsi, d'après Mgr Pie, dans la vie privée nous croyons, mais dans la nation, nous marchons avec les incrédules. Manque de foi !

 

MANQUE DE COURAGE AUSSI (2) !

 

Peut-être en avons-nous parfois contre les méchants, mais il nous manque complètement en face des bons qui s’opposent à la Restauration sociale des principes chrétiens. Écoutons toujours :

« Quand on se sent porté par l'adhésion de tous les bons, quand on est sûr de ne trouver à l'encontre de soi que les adversaires prononcés, c'est une tâche facile de parler et d'agir. Ce qui en est une moins aisée peut-être, c'est de marcher à l'encontre de cette masse d'intelligences honnêtes mais flasques, timides, flottantes, qui s'effrayent de toute réclamation hardie et dont il faut braver le jugement. Les écrits de nos illustres devanciers nous montrent que les plus grands lutteurs de la cause sacrée ont eu leurs jours d'hésitation et d'abattement, lorsque, comme le Psalmiste, considérant à leur droite, ils apercevaient des contradictions et des blâmes (3) ».

 

 

 

(1) VIII, 29. Homélie (25 Novembre 1873). Sur ce point précis des paroles, Mgr Pie descend aux détails pratiques et nous fournit ample

matière à examen de conscience. Écoutons :

« La plaie du libéralisme est proprement la plaie des sociétés actuelles. Non seulement il procède de là beaucoup de mal, mais le bien même s'en trouve vicié et dénaturé. Il nous serait facile d'en donner plus d'une preuve.

« N'est-il pas triste, par exemple, que même sur la motion des croyants les plus irréprochables, la France ne puisse être rappelée à offrir à Dieu le tribut des prières publiques, sans que la résolution officielle qui l'y convoque place sur un même rang la véritable Église et les cultes dissidents : comme s'il ne suffisait pas que ceux-ci, par voie d'exception, fussent administrativement mis en mesure de s'y associer chacun chez eux ?

N'est-il pas désolant que la revendication de la sainteté du jour réservé à la divinité chez toutes les communions chrétiennes ne se produise, même sur des lèvres sacrées, qu'au moyen d'une égale protestation en faveur du sabbat des Juifs et du vendredi des sectateurs de Mahomet : de telle sorte que le vrai Dieu créateur et rédempteur n'ait point, dans la France chrétienne, l'apparence d'un privilège ?...

« Seigneur très saint, Vous nous avez appris Vous-même que Vous Vous appelez le Dieu jaloux, le Dieu qui ne supporte pas de rivaux: Dominus zelotes nomen ejus, Deus est œmulator ; et Vous ne nous laissez pas ignorer que Votre force est au service de cette légitime jalousie : Ego sum Dominus tuus, fortis, zelotes. Est-il donc étonnant que Vous jetiez périodiquement à bas ces institutions qui affectent d'élever au même niveau que Vous tout ce qui n'est pas Vous ?… » VII, 572-573. Entretien avec le clergé (1873).

(2) Le manque de courage dans la revendication du droit social de J.-C. et de l'Église a été aussi spécialement reproché à nos députés catholiques. Jetant un regard sur l'ensemble des débats parlementaires au sujet de la séparation de l'Église et de l'État, un homme politique, hostile aux principes chrétiens, faisait dans son journal cette constatation qui est pour nous tous une leçon : « Nos adversaires ont-ils opposé doctrine à doctrine, idéal à idéal ? Ont-ils eu le courage de dresser contre la pensée de la Révolution, l'entière pensée catholique, de réclamer pour le Dieu de la Révélation chrétienne le droit, non seulement d'inspirer et de guider la société spirituelle, mais de façonner la société civile ? Non, ils se sont dérobés, ils ont chicané sur les détails d'organisation. Ils n'ont pas affirmé nettement le PRINCIPE même qui est comme l'âme de l'Église. » Jaurés, Mgr DELASSUS, La Conjuration anti-chrétienne, t. 1, p. 308.

(3)  IV, 232. Lettre à M. le ministre de l'instruction publique et des cultes (16 juin 1861). Il faut savoir marcher à l'encontre de cette masse d'intelligences honnêtes, mais flasques, timides et flottantes qui s'effraient de toute réclamation hardie. Cette masse remplira les cadres de l'armée auxiliaire de l'Antéchrist. Le Cardinal Pie aimait à faire siennes ces paroles du P. Faber : « Si tous les méchants se trouvaient d'un côté et tous les bons de l'autre, il n'y aurait aucun danger que les élus puissent être trompés par de faux prodiges. L'œuvre de l'Antéchrist sera faite par beaucoup de gens de bien. Il faut donc nous mettre en garde contre les dangers du dedans ». V, 205. Troisième Instruction synodale.

 

Dans son panégyrique de saint Émilien, Mgr Pie s'était déjà écrié : « Je veux le dire bien haut, aujourd'hui plus que jamais, la principale force des méchants, c'est la faiblesse des bons et le nerf du règne de Satan parmi nous, c'est l'énervation du christianisme dans les chrétiens. Que ne m'est-il donné d'introduire au milieu de cette assistance la personne adorable du Sauveur Jésus et de Lui demander comme au prophète : Quelles sont ces blessures dont Vous êtes couvert, ces coups dont vous êtes meurtri : Quid sunt plagæ istæ in medio manuum tuarum ? Sa réponse ne serait pas douteuse : Ah ! dirait-il, ce n'est pas précisément par la main de Mes ennemis, c'est dans la maison de Mes amis que J'ai été ainsi maltraité : His plagatus sum in domo eorum qui me diligebant, de Mes amis qui n'ont rien su oser pour Ma défense et qui se sont faits à tout propos les complices de Mes adversaires », III, 524.

Ainsi, beaucoup de ceux qui se croient les amis de N.-S. sont les ennemis de Sa Royauté sociale. C'était aussi la pensée de Mgr Gay qui écrivait en 1884 : « Gémissez dans le secret, conjurant Dieu de protéger Lui-même la cause, les droits, la sainte gloire de Son Fils, Roi du monde malgré le monde, et adorons d'autant plus cette Royauté ensemble qu'elle reçoit plus d'outrages et de ceux-là mêmes qui se disent et se croient Ses amis: c'est une grande amertume. Mgr Gay, Sa vie, ses œuvres, Dom DE BOISROUVRAY, Il, 112 n 1.

Il n'exagérait donc pas ce prédicateur, qui à Paray-le-Monial, dans un magnifique discours des fêtes jubilaires en l'honneur de sainte Marguerite-Marie, s'écriait : « Le Règne social du Cœur de Jésus, c'est Dieu à Sa place dans la raison, la conscience, le cœur et la vie publique de l'homme, le règne social de Satan, c'est Dieu exclu de la religion, de la conscience, du cœur et de la vie publique de l'homme ; c'est l'humanité laïcisée et s'adorant elle-même.

« Il n'y a pas de milieu possible : Il faut choisir. Les libéraux qui se disent et se croient catholiques ne veulent pas choisir ; ils ne veulent pas répudier et combattre à fond la laïcité et par le fait même, ils en acceptent et en professent le principe, ils excluent Dieu de la vie publique de l'humanité, ils répudient le Règne social du Cœur de Jésus, ils acceptent le règne social de satan. En dépit de leurs protestations verbales, ils font I'œuvre de la Franc-maçonnerie ; ils sont du parti de satan contre le Cœur de Jésus ». Ch. GAUDEAU, La Mission actuelle de sainte Marguerite-Marie, p. 25.

 

Voilà notre triste état ! Le combat pour le règne du Christ demande plus de foi et de courage que nous n'en avons eu.

 

II. QUE DEVONS-NOUS FAIRE POUR ÊTRE LES CHEVALIERS DU CHRIST-ROI ?

 

Que ferons-nous donc ?

« A vero bello Christi, nous crie l'Évêque de Poitiers, voilà la guerre où tous nous DEVONS être soldats. Oui, la VRAIE guerre du Christ, le dévouement vrai et sans réserve à la cause du Christ ». (VII, 338)

LUTTONS ! C'est le dernier mot du vaillant Évêque. Chacun précisera (1) ce mot selon son rang dans l'armée du Christ. Mgr Pie nous a indiqué avec précision le devoir des fidèles, des prêtres et des chefs. A nous de l'accepter. Mais, de toute manière, et pour tous, c'est la lutte, car l'homme laissé à sa chair aime à rester en repos et à disparaître dans une vie insignifiante et nulle. Lutter contre soi-même et contre les hommes qui refusent le joug social du Christianisme, résume donc le devoir pour le Règne du Christ.

Luttons, parce que la condition de tout règne est d'être défendu par des soldats. Luttons, parce que les ennemis de ce Règne se font plus nombreux et plus acharnés. Luttons, parce que ne seront couronnés que ceux qui seront morts, les armes à la main. Luttons, parce que plus nous avançons vers la fin du temps, plus ce sera la condition des chrétiens icibas. Laissons le Cardinal Pie nous dire tout cela dans un dernier texte, auquel nous n'ajouterons rien.

Luttons « avec espérance contre l'espérance même. Car je veux le dire à ces chrétiens pusillanimes, à ces chrétiens qui se font esclaves de la popularité, adorateurs du succès et que les moindres progrès du mal déconcertent.

Ah! affectés comme ils sont, plaise à Dieu que les angoisses de l'épreuve dernière leur soient épargnées ! Cette épreuve est-elle prochaine, est-elle éloignée ? Nul ne le sait et je n'ose rien augurer à cet égard. Mais ce qui est certain, c'est qu'à mesure que le monde approchera de son terme, les méchants et les séducteurs auront de plus en plus l'avantage. On ne trouvera quasi plus de FOI sur la terre, c'est-à-dire elle aura presque complètement disparu de toutes les institutions terrestres. Les croyants eux-mêmes oseront à peine faire une profession publique et sociale de leurs croyances. La scission, la séparation, le divorce des sociétés avec Dieu, qui est donné par saint Paul comme un signe précurseur de la fin, "nisi venerit discessio primum" ira se consommant, de jour en jour. L'Église, société sans doute toujours visible, sera de plus en plus ramenée à des proportions simplement individuelles et domestiques. Elle, qui disait à ses débuts : Le lieu m'est étroit, faites-moi de la place où je puisse habiter : Angustus mihi locus, fac spatium ut habitem, elle se verra disputer le terrain pied à pied, elle sera cernée, resserrée de toutes parts : autant les siècles l'avaient fait grande, autant on s’appliquera à la restreindre. Enfin, il y aura pour l'Église de la terre comme une véritable défaite, il sera donné à la Bête de faire la guerre avec les saints et de les vaincre. L'insolence du mal sera à son comble.

« Or, dans cette extrémité des choses, dans cet état désespéré, sur ce globe livré au triomphe du mal et qui sera bientôt envahi par les flammes, que devront faire encore tous les vrais chrétiens, tous les bons, tous les saints, tous les hommes de foi et de courage ?

« S'acharnant à une impossibilité plus palpable que jamais, ils diront avec un redoublement d'énergie et par l'ardeur de leurs prières et par l'activité de leurs œuvres et par l'intrépidité de leurs luttes : O Dieu ! ô notre Père qui êtes dans les cieux, que Votre nom soit sanctifié sur la terre comme au ciel ; que Votre règne arrive sur la terre comme au ciel ; que Votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, sicut in cœlo et in terra... Sur la terre comme au ciel ! ils murmureront encore ces mots et la terre se dérobera sous leurs pieds. Et, comme autrefois à la suite d'un épouvantable désastre, on vit tout le sénat de Rome et tous les ordres de l'État s'avancer à la rencontre du consul vaincu, et le féliciter de ce qu'il n'avait pas désespéré de la république ; ainsi, le sénat des cieux, tous les chœurs des anges, tous les ordres des bienheureux viendront au devant des généreux athlètes qui auront soutenu le combat jusqu'au bout, espérant contre l'espérance même : contra spem in spem. Et alors, cet idéal impossible, que tous les élus de tous les siècles avaient obstinément poursuivi, deviendra enfin une REALITE. Dans ce second et dernier avènement, le Fils remettra le Royaume de ce monde à Dieu Son Père, la puissance du mal aura été évacuée à jamais au fond des abîmes ; tout ce qui n'aura pas voulu s'assimiler, s'incorporer à Dieu par Jésus-Christ, par la foi, par l'amour, par l'observation de la loi, sera relégué dans le cloaque des immondices éternelles. Et Dieu vivra et Il régnera pleinement et éternellement, non seulement dans l'unité de Sa nature et la société des trois personnes divines, mais dans la plénitude du corps mystique de Son Fils incarné et dans la consommation des saints ! »(III, 527 à 529).

 

(1) Tous ceux qui aiment la cause du Roi Jésus voudraient savoir avec précision, jusque dans les plus humbles détails, ce qu'ils doivent faire pour le triomphe de cette cause sacrée. Le Cardinal Pie n'a pas pu entrer dans tous ces détails. La 3è partie de cet ouvrage nous indique cependant très nettement les grandes lignes de notre conduite. Pour compléter de si sages conseils nous recommandons instamment la lecture méditée du beau livre du P. RAMIERE, Le Règne Social du Cœur de Jésus. Signalons quelques chapitres très riches en indications pratiques : - dans la 2è partie, Les ennemis du Règne social: ch. VI, L'ennemi le plus dangereux de la royauté sociale (le libéralisme catholique) ; ch. V, Point de Pacte avec l'erreur ; - dans la 3è partie, Les principaux auxiliaires du Règne social : ch. III, Prêtres ; ch. IV, Les orateurs sacrés ; ch. V, Les religieux ; ch. VI, Les écrivains ; ch. VIII, Les journalistes ; ch. IX, Les maîtres chrétiens ; ch. X, Les jeunes gens chrétiens ; ch. XI, Les âmes saintes. - Enfin, dans la 5è partie, Qualités que doivent avoir les soldats du Roi Jésus : ch. I, L'esprit de foi ; ch. III, L'esprit catholique ; ch. IV, L'esprit militant, etc., etc.

Le P. RAMIERE a été avec le Cardinal Pie un des plus vaillants et des plus zélés défenseurs du Christ-Roi. Il a donné à la Ligue : L'Apostolat de la Prière, l’Adveniat Regnum tuum comme devise et, lui aussi appliquait cette demande du Pater au règne social. « Adveniat regnum tuum ; Que votre règne arrive ! » C'est dans cette aspiration, écrit-il, que se résument les désirs du Cœur de Jésus ; c'est en elle aussi que doivent se résumer tous les soupirs de notre cœur. Plus que jamais, cette aspiration doit devenir la devise, le mot d'ordre, le cri de guerre des associés de l'Apostolat de la Prière. Il faut nous unir dans un immense effort pour obtenir que, comme nous avons vu la Révolution s'ouvrir par la déclaration des Droits de l'homme et la proclamation de la déchéance sociale de JésusChrist, nous voyions cette même Révolution se clore par la reconnaissance des Droits de Dieu et des devoirs de l'humanité envers son Sauveur et son Roi » (Op. cité p. 604)


ADVENIAT REGNUM TUUM !


Notes et références

  1. « L'ateismo eretto a sistema di pretesa civilta ha piombato il mondo in un mare di sangue », BENOÎT XV, Allocution au Sacré-Collège. Noël 1917. Le Cardinal MERCIER, faisant écho à la parole pontificale, écrivait dans sa pastorale de 1918: « Le principal crime que le monde expie en ce moment, c'est l'apostasie officielle des États. Aujourd'hui les hommes investis de la mission de gouverner les peuples sont ou se montrent à bien peu d'exceptions près, officiellement indifférents à Dieu et à Son Christ. Je n'hésite pas à proclamer que cette indifférence religieuse, qui met sur le même pied la religion d'origine divine et la religion d'invention humaine, pour les envelopper toutes dans le même scepticisme, est le blasphème, qui, plus encore que les fautes des individus et des familles, appelle sur la société le châtiment de Dieu ».
  2. Act. Apost. Sedis., T. XIV, 1922. Encyclique Ut arcano Dei consilio p. 673-700. Traduction française de la Documentation Catholique, T. IX, 1923, 67-87.
  3. Ex his liquet nullam esse Christi pacem nisi in regno Christi ; nec vero posse nos contendere efficacius ad pacem constabiliendam quam Christi regnum instaurando. Act. Ap. Sed. 690. 1. C.
  4. C'est en France qu'a été fondée par le P. DREVON S.J. la Société du Règne social de Jésus-Christ qu'on peut ainsi définir : Une société de piété, d'étude et d'action destinée à reconnaître et à promouvoir le Règne social de Jésus-Christ.
  5. Voir Le règne social du Sacré-Cœur, par Mgr NEGRE et M. de NOAILLAT, Tours, Mame ; la Revue Regnabit, les nombreuses publications de la Société du Règne social de J.-C. (Paray-le-Monial), celles du Règne du Sacré-Cœur par Marie Immaculée (Chinon), les tracts et brochures de la Ligue : Dieu à sa place (Paris).
  6. Cf. Sainte Jeanne d’Arc par Mgr DEBOUT I. c.8, c. 15, c. 19. La proclamation de la Royauté sociale du Christ a été le but principal de la vie de Jeanne d'Arc. Admirons ce trait de la vie de Jeanne : Pour bien prouver au roi qu'il n'est que le lieutenant de Jésus-Christ, elle lui fait cette demande extraordinaire : «  Gentil roi, il me plairait avant de descendre dans le cercueil, d'avoir votre palais et votre royaume. - Oh ! Jeanne, répond Charles VII, mon palais et mon royaume sont à toi. - Notaire, écrivez, dit la Pucelle inspirée : Le 21 juin à 4h. du soir, l'an de J.-C. 1429, le roi Charles VII donne son royaume à Jeanne. - Écrivez encore : Jeanne donne à son tour la France à Jésus-Christ. - Nos seigneurs, dit-elle d'une voix forte, à présent c'est Jésus-Christ qui parle : Moi Seigneur éternel, Je la donne au roi Charles. Cet acte authentique d'une importance capitale dans l'histoire de France était la raison des voix de Jeanne d'Arc, c'est pour arriver à cet acte, qui paraît étrange, qu'Orléans fut délivré, et que la royauté un moment comme anéantie fut sacrée de nouveau à Reims. Le P. Coubé, qui a bien étudié l'âme de Jeanne d'Arc, a écrit avec beaucoup de justesse : « L'établissement de la royauté du Christ sur la France, voilà la grande idée et la profonde mission de Jeanne d'Arc. Ce n'est pas là une conception de mon esprit que je lui prête arbitrairement. C'est bien son programme à elle, celui qu'elle expose partout avec une netteté lumineuse et qui ressort de tous ses actes comme de toutes ses paroles. Il constitue le trait le plus original de sa mentalité, il s'impose à l'étude de l'historien et du psychologue comme à celle du penseur religieux. J'ose dire que qui n'a pas compris cela n'a rien compris de l'âme de notre héroïne. C'était d'ailleurs le programme de saint Paul qui voulait faire régner le Christ sur le monde entier : Oportet illum regnare. C'était le programme de ce grand moyen-âge chrétien dont Jeanne fut la fleur ultime la plus pure et la plus éclatante. C'était le programme de ces fières républiques italiennes du XIVè siècle qui n'hésitaient pas à afficher partout des devises comme celle-ci : « Au Christ son premier citoyen et son chef la République de Venise » P. COUBE, L'âme de Jeanne d’Arc, Jeanne d'Arc et la royauté sociale de J.-C., p. 142-143.fckLRfckLRLa royauté sociale du Sacré-Cœur a été le point culminant des révélations de sainte Marguerite-Marie. Sur la fameuse question de son Message à Louis XIV et par lui à la France, voyez BAINVEL : La dévotion au Sacré-Cœur, doctrine, histoire, Paris, Beauchesne. Voir aussi : La mission actuelle de sainte Marguerite-Marie, le Sacré-Cœur de Jésus remède au laïcisme contemporain, par le chan. B. GAUDEAU. Paris, 1922. Collection Dieu à sa place, n'° 1.fckLRfckLRDisons tout de suite que le règne du Sacré-Cœur est la même chose que le règne de Jésus-Christ. Toutefois l'expression règne social du Sacré-Cœur fait mieux ressortir que le règne de Jésus-Christ est un règne d'amour et qu'il réclame l'amour. Nous aimons donc la formule : Règne social du Sacré-Cœur. Elle est éminemment profonde et théologique. Si nous ne l'employons pas dans cette étude, c'est uniquement parce que le Cardinal Pie n'a pas habituellement envisagé la question de la Royauté du Christ dans ses rapports avec le Sacré-Cœur.
  7. Louis VEUILLOT : L'illusion libérale (réédité en 1987 chez Dismas).
  8. Histoire du Cardinal Pie par Mgr BAUNARD (6è édition) II. L. IV. ch. 8 p. 651.
  9. La Croix, Supplément du 28 septembre 1915 : Le Cardinal Pie. C.L. Le trait suivant, rapporté par M. le Chanoine Vigué, Pages choisies du Cardinal Pie. I (avertissement p. Xl) nous montre le culte du Pape Pie X pour le grand évêque de Poitiers. « Un prêtre poitevin nous a raconté qu'il eut un jour l'honneur d'être introduit dans le cabinet du Souverain Pontife Pie X, en compagnie d'un religieux, poitevin d'origine. «  Oh ! le diocèse du Cardinal Pie ! dit le Saint-Père en levant les mains, dès qu'il eut entendu le nom de Poitiers. J'ai là tout proche les œuvres de votre Cardinal et voilà bien des années, que je ne passe guère de jours sans en lire quelques pages ». Ce disant, il prenait l'un des volumes et le mettait aux mains de ses visiteurs. Ceux-ci purent constater à la modicité de la reliure, qu'elle avait dû appartenir au curé de Salzano ou au directeur spirituel du séminaire de Trévise longtemps avant de pénétrer au Vatican.
  10. Comparer l'Encyclique E supremi apostolatus cathedra dans Actes de S.S. PIE X (Bonne Presse) T. 1, 30-48, avec la lettre pastorale à l'occasion de la prise de possession du diocèse de Poitiers ; I, 96-120. Les traits de ressemblance sont nombreux. Notons simplement dans l'Encyclique E supremi apostolatus cathedra : « Il s'en trouvera sans doute qui chercheront à scruter nos pensées intimes. Pour couper court à ces vaines tentatives, Nous affirmons en toute vérité que Nous ne voulons être... que le Ministre du Dieu qui nous a revêtu de Son autorité. C'est pourquoi si l'on Nous demande une devise traduisant le fond même de notre âme, Nous ne donnerons jamais que celle-ci : Restaurer toutes choses dans le Christ ». p.35.fckLRfckLRDans la lettre pastorale : « Nous sommes, nous serons pour vous l'homme de Dieu. Et si nous devions apporter avec nous un mot d'ordre, ce serait celui-là : « Instaurare omnia in Christo » Restaurer toutes choses dans le Christ. p. 102.
  11. Lettre du Cardinal GASPARRI à M. le Chanoine VIGUE, du Vatican 21 février 1916.
  12. Nous n'avons indiqué que des éloges émanant directement du Saint-Siège. L'œuvre doctrinale du Cardinal Pie a été louée sans réserve par de nombreux cardinaux et évêques, par des religieux éminents. Signalons ici le magnifique éloge du grand évêque de Poitiers par S.E. le Cardinal Billot.fckLRfckLR« La grande figure de Mgr Pie, nous dit-il, n'a rien perdu de son actualité ; au contraire et plus que jamais, dans cette effroyable lutte engagée entre l'Église et la Révolution, il est pour nous l'homme de la situation, une lumière, un porte-étendard, un chef digne de figurer au premier rang parmi ces pères de notre génération, que nous devons louer, dont nous devons suivre les conseils, imiter les exemples, méditer les enseignements... Nous donc, qui que nous soyons, à quelque degré de la hiérarchie que nous appartenions, en quelque milieu, office, fonction, que nous nous trouvions placés, si seulement nous avons au cœur l'ambition de servir selon la mesure de nos moyens la cause sacrée de Dieu et de la sainte Église dans les temps exceptionnellement troublés que nous traversions ; nous tous, dis-je, nous n'aurons que profit à nous mettre à l'école du maître dont le déclin de l'année courante amène le centenaire et rappelle le souvenir. De lui, en effet, que de lumières à utiliser, que de précieuses indications à recueillir, que de conseils à prendre, que d'enseignements à inscrire à notre ordre du jour ! Que d'encouragements aussi à recevoir dans la lassitude et l'épuisement de la lutte ». Éloge du Cardinal Pie par S.E. le Cardinal BILLOT.fckLRfckLRMentionnons également le jugement porté par Dom BESSE, O.S. B., sur les œuvres du Cardinal Pie : « Les enseignements de l'évêque de Poitiers sont dans leur ensemble le développement de sa doctrine touchant le règne de J.-C. par sa grâce sur les individus et sur les peuples. Celui qui lirait avec une intelligence soutenue ses œuvres pastorales se formerait une synthèse philosophique d'une inappréciable valeur. Les hommes, prêtres ou laïques, qui désirent avoir la clef des événements dont ils sont à l'heure présente les témoins attristés, n'ont qu'à les lire et relire encore. Que de pages semblent écrites depuis quelques jours seulement, tant leur vérité saisit ». Dom BESSE : Le Cardinal Pie. Sa vie, son action religieuse et sociale, p. 113-114. Enfin l'introduction aux Pages choisies du Cardinal Pie, par M. le Chanoine VIGUE, constitue un éloge complet et motivé de la doctrine du Cardinal.
  13. La thèse de la royauté sociale de J.-C par suite des négations et des erreurs contemporaines est devenue la thèse de l'Église au XIXè siècle. VIII, 145.
  14. Discours au Président de la République (26 mai 1879) X, 7-8.
  15. Mgr Gay au sujet de cette question de la royauté du Christ : « Là fut le grand champ de bataille de l'évêque de Poitiers ; il n'y descendit pas seulement, il y fixa sa tente pour ne la replier jamais ». Oraison funèbre du Cardinal Pie, 37.
  16. Le plus riche patrimoine de notre nation, la première de nos gloires et la première de nos nécessités sociales, c'est notre sainte religion catholique... Un français ne peut abdiquer sa foi sans répudier tout le passé, sans sacrifier tout l'avenir de son pays ». Panégyrique de Jeanne d'Arc. I, 3.
  17. « Savez-vous pourquoi depuis plus d'un demi siècle nous avons vu périr au milieu de nous toutes les formes du gouvernement, sans excepter celle-là même à laquelle nous revenons aujourd'hui ? Je vais vous le dire. Toutes les formes dont s'est revêtue la société ont péri parce que, sous ces formes, il manquait une âme. Or, si heureusement pourvu qu'il soit d'articulations, de ressorts et de muscles, un corps sans une âme, c'est un cadavre, et c'est le propre d'un cadavre de tomber bientôt en dissolution. L'âme de toute société humaine, c'est la croyance, c'est la doctrine, c'est la religion, c'est Dieu. Or les sociétés modernes ont trop longtemps divorcé avec Dieu ». Discours pour la bénédiction d'un arbre de la liberté. I, 85.
  18. P. LONGHAYE, Epilogue. Vingt-cinq ans d'épiscopat. Dans les Œuvres épiscopales. VIII, 265-266.
  19. Encore séminariste à Saint-Sulpice, l'abbé Pie compose une dissertation sur "les Droits et les Devoirs de la société" où il établit fermement le droit de l'État à réprimer, interdire, proscrire l'erreur religieuse. Son historien fait observer que par cette étude « il était dès lors entré dans la vérité sur le sujet du règne social de Jésus-Christ ». Histoire du Cardinal Pie, par Mgr BAUNARD I, L. 1. ch. Il. p.42 Parlant du vicariat de l'abbé Pie à N.D. de Chartres, le même historien nous fait savoir que dès cette époque le jeune vicaire n'eut pas de peine à reconnaître dans la marche de notre société un déraillement qui datait de loin. « L'état moderne lui parut un état d'apostasie, l'état de péché mortel d'une société sciemment et volontairement séparée de Jésus-Christ. C'est le naturalisme à la place du christianisme. L'homme à la place de Dieu, l'État au-dessus de l'Église. Or les sociétés se meurent spirituellement de ce mal en attendant qu'elles en meurent temporellement ». Op. cit. I L 1 ch. III p.81-82.
  20. Deux volumes d'Œuvres sacerdotales et dix volumes d'Œuvres pastorales. Nous les citerons d'après les dernières éditions. Nous avons aussi utilisé l'Histoire du Cardinal Pie, par Mgr. BAUNARD (6è édition).
  21. Ou au moins des deux volumes Pages choisies du Cardinal Pie par M. le chanoine VIGUE. Rien d'essentiel n'a été omis dans ces pages. Nous voudrions voir ces deux précieux volumes dans les mains de tous les prêtres et de tous les laïques instruits. Ils seraient pour eux un incomparable instrument de travail.fckLRfckLRL'ouvrage La vie Chrétienne d'après le Cardinal Pie publiée par M. l'abbé TEXIER, renferme aussi des textes intéressants.
  22. III, 511-512. Mgr Pie, lors de son voyage à Rome en 1866, vénéra longuement cette inscription de la Croix. « Là, dit-il, mon impression a été encore plus vive que la première fois en lisant d'une façon si nette le mot Rex écrit sur ce bois de la Croix par l'ordre de Pilate. Ce que le procurateur romain a écrit, était bien écrit et restera écrit : quod scripsi scripsi ». Hist. du Card. Pie. Il, L. III, ch. 10. p. 294.
  23. III, 513 et sv. ; VII, 538 ; VIII, 56 et sv. ; X, 256 et sv. et les trois homélies sur le psaume Il contenues dans le Xè vol. p. 241 et sv. Ces homélies sur le Psaume II se prêtent difficilement à une synthèse. Cependant il faut les lire et les méditer, si l'on veut connaître à fond la preuve scripturaire de la Royauté du Christ.
  24. III, 498-499. Panégyrique de saint Émilien.
  25. Voyez p. ex. V, 188 ; IX, 210. Et cette lettre de Mgr Pie à M. Rendu : « Ni Charlemagne et la France, ni saint Henri et l'Allemagne n'ont été autre chose que des souverains et des nations ayant eu, à un jour donné, l'intelligence de l'oraison dominicale dans ses trois premières demandes. Et tant pis pour les races et les peuples dont la politique a désappris le Pater ». Histoire du Cardinal Pie I, L. Il, ch. XI, 687.fckLRfckLRMgr Gay, auxiliaire du Cardinal Pie, met lui aussi cette preuve en relief dans sa belle lettre à l'auteur de la vie de Garcia Moreno : « Non les peuples ne sont point condamnés sans retour à vivre (si c'est vivre) dans ce déplorable à peu près qu'on nomme l'hypothèse, qui ne rendant pas "gloire à Dieu" ne donnera jamais la "paix aux hommes" et dont le résultat le plus clair a été de laisser le passage libre à toutes les erreurs d'où naissent les impiétés légales et où s'appuient toutes les tyrannies. Quand, instruits par Dieu même, nous prions chaque jour pour que "son règne arrive", nous ne rêvons pas une chimère, et ne demandons pas un bien qu'il faille renoncer d'avance à voir jamais sur la terre autant qu'il y peut être. Le passé, au besoin, garantit ici l'avenir ». Lettre de Sa Grandeur Mgr GAY au R.P. BERTHE. Vie de Garcia Moreno. Lettres épiscopales.
  26. Homélie prononcée en la solennité de S. Hilaire, 17 janvier 1874.
  27. VIII, 61. Pour être complète, une étude sur la Royauté du Christ devrait nécessairement parler de la nature ou du caractère de cette Royauté. Mgr Pie n'a pas l’occasion d'envisager directement cet aspect de la question. En affirmant toutefois que « le Christianisme est une œuvre d'amour » VI, 609, et plus précisément en faisant observer « que le plus bel attribut de la Royauté, c'est la miséricorde ». V, 284, enfin, en montrant que le caractère de bonté de l'autorité chrétienne est un reflet de la bonté du Roi Jésus, VIII, 44 et sv., il nous a laissé très clairement à entendre que LE CARACTERE DE LA ROYAUTE DU CHRIST ETAIT L’AMOUR. C'est donc avec raison qu'on appelle la Royauté de Jésus-Christ la royauté du Sacré-Cœur, c'est-à-dire la Royauté d'Amour. Voici comment un théologien éminent définit le caractère du Règne du Christ, bien mis en relief par l’appellation nouvelle : Règne du SacréCœur. « Le règne du Sacré-Cœur est le même que le Règne de Jésus. Mais quand je parle du Règne du Sacré-Cœur, j'entends que ce Règne de Jésus est un Règne d'Amour avec une plus grande abondance des grâces de son Cœur. Les lois du Sacré-Cœur sont les mêmes que les lois de Jésus. Mais quand je parle des lois du Sacré-Cœur j'entends que ces lois, Jésus nous les impose par amour pour nous, et que nous devons les observer par amour pour Lui. » Regnabit t. I, 366. Le P. Henry RAMIERE dans son beau livre sur La royauté sociale du Sacré-Cœur, Mgr NEGRE dans son étude sur La Royauté du SacréCœur, le P. ANIZAN dans ses ouvrages sur le Sacré-Cœur, ont insisté avec raison sur ce point. Si l'on veut consulter un auteur ancien qui ait développé la même pensée, en mettant en relief le caractère d’Amour de la Royauté du Christ, qu'on lise et médite Louis de LEON (traduction Postel) : Des noms de Jésus-Christ dans la Sainte Écriture. Jésus-Christ Pasteur (119-144). Jésus-Christ Roi de Dieu et Prince de la Paix (267-359). Encore une fois, on ne saurait ajouter trop d'importance à ce caractère d'Amour de la Royauté du Christ, car pratiquement c'est par Son Cœur, c'est-à-dire par Son amour que le Christ gagnera à la cause de Son Règne et gouvernants et gouvernés.
  28. Particulièrement dans les deux premières instructions synodales sur les principales erreurs du temps présent Il, 340-418, 7 juillet 1855 ; III, 127-263, juillet 1857 et juillet 1858.
  29. V, 175-176-177. Troisième instruction synodale.
  30. III, 501. Sur cette identité des trois règnes : règne de Dieu, règne de J.-C., règne de l'Église et la nécessité de ne pas les séparer, cf. surtout : Œuvres sacerdotales : I, 143-144 ; 317 à 320 ; 381 ; 499-500. Nous croyons rendre service au lecteur en citant et en résumant ces fortes pages d'apologétique. Elles ne sauraient être trop méditées. Elles nous apprendront à passer du domaine de l'abstraction et des formules vagues aux réalités concrètes et aux formules précises. Elles nous habitueront à une terminologie strictement catholique et non pas à ces formules fuyantes, si chères aux déistes et aux protestants.
  31. V, 175-179. Troisième Instruction synodale sur les principales erreurs du temps présent.
  32. Parmi les coryphées du libéralisme, dont les doctrines furent combattues et réfutées par Mgr Pie, citons le comte de MONTALEMBERT (Cf V, 349 et sv. : réfutation de quelques-unes de ses propositions au second congrès de Malines) et le duc Albert de BROGLIE. Mgr Pie fit de très graves réserves sur le livre de ce dernier, L’Église et l’Empire au IVè siècle (Voir V, 108 et VIII, 147-148-149) L'évêque de Poitiers reprochait avec vérité aux libéraux de manquer de science ecclésiastique et de loyauté scientifique, en se copiant sur la foi les uns les autres, au lieu de recourir aux sources : « A quelques nuances près, disait-il, et sauf quelques prudents subterfuges en vue d'éviter la censure de l'Église et la contradiction trop manifeste de son enseignement doctrinal, on retrouve dans leurs écrits le même langage ». IX, 168.
  33. VII, 3, 4. Lettre pastorale annonçant la suspension du Concile œcuménique (31 octobre 1870).
  34. Il s'agit surtout ici de la parole indignée de saint Martin (novum et inauditum nefas) lorsqu'il apprit le châtiment infligé aux évêques priscillianistes par l'empereur Maxime sur les sollicitations de l'évêque Ithace et des siens. Mgr Pie (V, 356-357) donne, d'après l'historien contemporain de saint Martin, la véritable explication de l'exclamation de l'évêque de Tours. « Quand on fait une citation, il n'est jamais indifférent d'en vérifier le texte et le contexte, surtout si l'on entreprend de redresser la pratique de l'Église par l'autorité de ses propres docteurs. Or ce texte, le voici : Novum et inauditum nefas, si causam ecclesiæ judex sæculi judicaret. Que Martin désavoua le zèle amer d'Ithace et des siens, gens peu recommandables et dont Sulpice Sévère a pu dire : ac mea quidem sententia est, mihi tam reos quam accusatores displicere ; qu'il fut énergiquement opposé à une exécution capitale qui ne lui semblait point favorable à la cause de la vérité et qui répugnera toujours à la mansuétude sacerdotale, cela est hors de doute. Mais selon la remarque de l'historien, le zèle des lthaciens à poursuivre les hérétiques n'aurait pas été répréhensible en lui-même, s'il n'avait été une affaire de parti et de passion et si les accusateurs n'eussent été tout aussi peu estimables que les accusés. Dans tous les cas, le tort des accusateurs (tort dont les accusés avaient eu du reste l'initiative) ç'avait été de recourir à un tribunal laïque, et le saint évêque de Tours ne craignait point de dire que ce serait un attentat nouveau et sans exemple si le juge séculier jugeait une cause ecclésiastique et si des évêques, mêmes indignes, étaient soustraits au for de l'Église : novum esse et inauditum nefas, si causam Ecclesiæ judex sæculi judicaret. On le voit, il y a loin de là à cet abandon de l'immunité si facilement consenti et si joyeusement proclamé qu'il ne puisse plus entrer dans l'esprit de personne d'y songer encore. Il y loin de là à l'acceptation pleine et entière de l'égalité de tous devant la loi séculière, comme d'un progrès conforme à l'esprit du christianisme ». V, 356-357. Entretien avec le clergé, juillet 1864.
  35. V, 178. Troisième Instruction Synodale sur les principales erreurs du temps présent. V, 356-357. Entretiens avec le clergé (juillet 1864) ; VIII, 147-148. Entretiens avec le clergé (juillet 1874) ; IX, 168 Entretiens avec le clergé (juillet 1875).
  36. V, 355. A propos de quelques paroles prononcées dans le congrès de Malines.
  37. V, 182. Mgr Pie corrobore cette preuve de raison par la preuve historique. Tous les peuples ont assis la loi et les institutions publiques sur la base de la religion. Cherchez même dans le paganisme antique si dépravé, vous n'en verrez pas un qui ait exclu de parti pris les choses religieuses de la vie sociale. V, 189.
  38. V, 172 à 209. Il appelle cette conclusion, conclusion du bon sens, p. 175, conclusion évidente p. 183.
  39. Du paragraphe XXII au paragraphe XXVIII inclus.
  40. V, 189 Cf. aussi VII, 134 et sv. Dans son instruction pastorale sur les malheurs actuels de la France (Carême 1871) Mgr Pie établit ainsi la supériorité morale du passé sur le présent. Après avoir affirmé qu'il n'est donné à aucune balance humaine, mais à la seule balance de Dieu, d'établir la proportion exacte entre la moralité du présent et celle du passé, il ajoute : « Mais, en ce qui est de la gravité respective de tel ou tel péché, nous possédons des principes certains. Le mal moral, comme le mal physique, se discerne et se gradue d'après le genre et l'espèce ». Il note, ensuite, d'après saint Hilaire, une différence considérable entre l'impiété et le péché. « Par la grâce de Dieu, tout pécheur n'est pas impie, parce que tout péché n'est pas impiété ; au contraire l'impie ne peut pas n'être point pécheur, attendu que l'impiété implique par elle-même le plus grand péché ». C'est sur la gravité et la multiplicité du péché d'impiété que Mgr Pie se base pour affirmer que la société actuelle, sous un certain vernis de décence, est pourtant inférieure au point de vue moral à la société du Moyen-Age. « N'est-il pas trop manifeste, dit-il, que le nombre des impies s'est étendu parmi nous et qu'il a prodigieusement grandi dans les temps modernes ? Et ce qui est infiniment plus injurieux pour Dieu et plus pernicieux pour la terre, n'est-il pas trop établi, que sous plusieurs de ses aspects, le crime d'impiété n'est plus seulement le crime des particuliers, mais qu'il est devenu le crime de la société ? » VII, 98-100 ; X, 206-207. Nous reviendrons dans la 3è partie sur cette question de la civilisation de l'Europe sous le régime du droit chrétien.
  41. X, 246. « Écoutez les politiques d'au delà de la Manche ou d'au-delà des Alpes et écoutez ceux du Nord et ceux du Midi, divisés par mille intérêts, par mille antipathies, par mille préjugés nationaux, la passion les met d'accord contre Dieu et Son Christ, contre l'Église de Dieu, contre le Vicaire du Christ ».
  42. IV, 327 et VII, 100. « Le principe posé à la base de tout le moderne édifice social, a été l'athéisme de la loi et des institutions, qu'on le déguise sous les noms d'abstention, de neutralité, d'incompétence, ou même d'égale protection... il est l'essence de ce qu'on appelle les temps nouveaux ».
  43. VII, 3 Le jugement de Mgr Pie sur la société moderne a été confirmé par Léon XIII dans sa mémorable encyclique Immortale Dei (1er novembre 1885)
  44. IV, 588. Instruction pastorale sur cette parole de saint Jean : Et il y a déjà beaucoup d’Antéchrists.fckLRfckLRUn auteur contemporain a exprimé la même vérité sous une forme saisissante : «  Nous ne sortirons pas de ces dilemmes: Ou l'Église est le salut des nations, ou sa doctrine leur est inapplicable ; ou les encycliques des Papes, affirmant non seulement pour les individus, mais pour les États l'obligation du culte public rendu au Christ Roi, sont des chartes à appliquer rigoureusement, ou elles ne sont que des sermons en l'air ; ou notre foi doit être la substance de toute notre vie, non seulement individuelle mais aussi politique et sociale, ou elle n'est qu'une hypocrisie ; ou la cité de Dieu comprend ce que Péguy appelait les paroisses charnelles, et alors il s'agit de les sauver charnellement, ou il n'est de Jérusalem véritable que les monastères et il n'est d'état saint que le sacerdoce, et la société civile est abandonnée à sa perdition et l'Incarnation n'est qu'un leurre et la nouvelle terre qu'un mythe ». VALLERY-RADOT, Univers 1919, p.339.
  45. VI, 434;IX, 166. Le christianisme ne serait pas divin s'il n'avait d'existence qu'au regard des particuliers et non au regard des sociétés.
  46. Œuvres Sacerdotales, I, 358.
  47. Œuvres Sacerdotales, Il, 524.
  48. Œuvres Sacerdotales, Il, 626.
  49. VII, 573, et encore : « Il faut méconnaître entièrement les conditions réelles de l'humanité et s'aveugler à plaisir sur la situation morale et doctrinale de notre pays pour ne pas voir à quel point le vice ou seulement la lacune des institutions influe sur toutes les classes de la société et pèse sur les esprits même en apparence les plus fermes et les plus indépendants ». VII, 102.
  50. V, 191. Voyez également, VII, 399.
  51. VII, 367. Instruction pastorale sur l'opposition à Dieu manifestée par l'opposition au prêtre (Carême 1872).
  52. VII, 375. Cf. aussi : Œuvres sacerdotales : I, 334 et sv. Sur le sacerdoce et son influence sociale.
  53. IX, 460, 461. Instruction pastorale sur un devoir urgent de la génération actuelle envers le sacerdoce. (Carême 1877).
  54. Le Cardinal Pie, dans ses dernières allocutions (9 mai 1880), montre dans les décrets contre les Ordres religieux, une conséquence directe de l'athéisme de l'État, une « déduction logique de maximes sacrilèges élevées à la hauteur de principes et de dogmes sociaux » X, 148-149. Ainsi, l'État sans Dieu éloigne les âmes et du prêtre, distributeur officiel de la grâce, et du religieux, modèle de perfection évangélique. Voyez V, 12, et VIII, 32-33.fckLRfckLRLe P. LIBERATORE a bien étudié les causes profondes de la guerre des gouvernements impies contre les ordres religieux. L’Église et l’Etat, I, Il. Du naturalisme politique ch. VI, 226-232.fckLRfckLRQuiconque aura lu ces pages, comprendra la justesse de cette réflexion de Louis Veuillot, lorsqu'il parle de l'aversion des hommes politiques pour les religieux. « Une grande merveille, c'est la conviction où sont aujourd'hui les hommes que la liberté de leurs opinions a beaucoup plus à craindre d'un seul religieux que de cent régiments ». Parfums de Rome, Il 1. VII 67.
  55. Mgr Pie (Œuvres sacerdotales, I, 46, note) signale une des causes importantes de l’enseignement irréligieux. « L'éducation publique n'est si mauvaise parmi nous que parce qu’avant tout l'éducation domestique est nulle ».
  56. V. Cousin et Ad. Garnier, adversaires peut-être inconscients, mais néanmoins, par leur doctrine, précurseurs de nos laïques modernes : Ferry, Buisson, Aulard, Payot et autres.
  57. III, 208. Voyez aussi Il, 401, ce passage très important : « la liberté de conscience... l'abolition d'une religion dominante permettent moins que jamais de remettre les écoles de l'État entre les mains d'un ministre du culte. L'État professera les vérités religieuses communes à toutes les diverses religions, c'est là la religion la plus haute, la plus universelle ou la plus catholique dans le sens étymologique du mot »
  58. Cf. l'École et la Maçonnerie avant la 3è République dans Ami du Clergé 1919, colonne 1269, et Mgr BAUNARD : Un siècle de l’Église de France, ch 5, on y trouvera des détails intéressants sur Jean Macé et la ligue maçonnique de l'enseignement établie sous le second Empire.
  59. C'est ce qui explique toute l'attitude des catholiques contemporains de Mgr Pie contre l'Université et la morale universitaire. Voyez, Histoire du Cardinal Pie par Mgr BAUNARD. I, L. II, ch. 2, 289-300 et ch. 6, 450-480.
  60. Voici le passage le plus substantiel du Cardinal Pie contre le naturalisme : « Le naturalisme est le règne absolu du mensonge et du mal... Le naturalisme, fils de l'hérésie, est bien plus qu'une hérésie ; il est le pur antichristianisme. L'hérésie nie un ou plusieurs dogmes, le naturalisme nie qu'il y ait des dogmes ou qu'il puisse y en avoir. L'hérésie altère plus ou moins les révélations divines, le naturalisme nie que Dieu soit révélateur. L'hérésie renvoie Dieu de telle portion de Son royaume, le naturalisme l'élimine du monde et de la création... il s'en suit que sa loi fatale, son besoin essentiel, sa passion obstinée, et dans la mesure où il y réussit, son œuvre réelle, c'est de détrôner le Christ et de le chasser de partout ; ce qui sera la tâche de l’Antéchrist et ce qui est l'ambition suprême de Satan ». VII, 193-194. Instruction synodale sur la première constitution du Concile du Vatican.
  61. VII, 400-411. Éloge de la B. Jeanne-Marie de Maillé (7 avril 1872).
  62. VII, 63 et IX, 172. Mgr Pie fait ici allusion à Renan qui a fait un mal incalculable à la jeunesse française. Voyez sur ce point le bel ouvrage du P. MAINAGE, O. P. Les témoins du renouveau catholique, p. 21, 22, 23, 68 et autres.
  63. M. le Ch. VIGUE dans ses Pages choisies du Cardinal Pie, Introduction LXI, flétrit avec énergie cette influence funeste de la société athée sur les individus : « Tant que le Christ ne règne pas sur les sociétés, son influence sur les individus eux-mêmes demeure superficielle et précaire. S'il est vrai que I'œuvre de l'apostolat se ramène, en définitive, à des conversions individuelles et que ce ne sont pas les nations qui vont au ciel, mais les âmes, une par une, il ne faut cependant pas oublier que l'individu vit profondément engagé dans une organisation sociale qui perpétuellement influe sur lui. Chrétienne elle le rend chrétien : non chrétienne, elle l'empêche de croire, ou s'il est croyant elle tend à ruiner sa foi. Supposez des institutions sociales maintenues chrétiennes, alors que le Christ ne vit plus au fond des cœurs : la religion n'est plus là que comme une enseigne déplaisante, on ne tardera pas à l'arracher. Mais par contre, essayez de convertir les individus sans vouloir christianiser les institutions sociales, votre œuvre reste fragile : ce que vous avez édifié le matin, d'autres le soir viennent le renverser.
  64. X, 445 Sur cette loi de talion : Comme les nations font à Dieu, Dieu fait aux nations, voyez : Lettre de Mgr Pie à M. Foisset : Vie II, L. III, ch. 2. p. 65-66, à l'archevêque de Turin (26 décembre 1858) communiquée par ce dernier et insérée dans l'ouvrage L'infaillibilité de Blanc de Saint-Bonnet : p. 485-486-487. Voyez : Œuvres sacerd., Il, p. 353-627 et V, 176 ; VII, 361-539-540 ; VIII, 90 ; X, 259-445.
  65. I, 101-102. « C'est là et non ailleurs qu'il faut chercher la cause de tous nos maux. C’est là le triste début de toutes nos fautes et par conséquent le point de départ de tous nos malheurs. Nous avons depuis bien longtemps renversé un premier trône, celui de Dieu, nié une première souveraineté : la souveraineté divine... Tous nos torts pâlissent à côté de ce premier attentat. C'est contre Dieu que nous avons péché ».
  66. VII, 22-23. Hélas! Mgr Pie le constate avec douleur, cette leçon des désastres de 70 ne fut pas comprise. « A l'heure présente, écrivait-il le 31/10/1870, parmi ceux de nos concitoyens qui ne ferment pas les yeux à la lumière des enseignements terribles donnés à notre nation, que voyons-nous et qu'entendons-nous ? A la vérité, il n'est pas rare de rencontrer des hommes qui confessent, qui déplorent, qui condamnent et enfin veulent réparer les fautes et les omissions personnelles de leur vie, quant à l'accomplissement du devoir religieux. Il en est un assez grand nombre encore qui voient dans ces dures épreuves un châtiment et un remède aux idées d'orgueil, aux habitudes de cupidité, de luxe, aux excès de sensualisme et de naturalisme qui avaient envahi presque toutes les conditions sociales. Mais à qui vient-il en pensée de se demander si cet effondrement complet d'une grande nation, n'aurait pas sa cause dans un grand péché national ; si l'abandon momentané où Dieu nous laisse ne serait pas sa réponse aux systèmes politiques qui lui donnent congé ? » VII, 4.
  67. Œuvres sacerdotales, Il, 627-628-629. 2° Conférence sur le Symbole, Chartres 1847.
  68. Dans l'instruction pastorale de 1871, il écrivait qu'il est « trop évident que l'irréligion a multiplié et aggravé au sein de la société un grand nombre de vices mal déguisés sous un certain vernis de décence ».
  69. Instruction pastorale sur l'esprit de renoncement et de sacrifice. Carême 1853. I, 590-622.
  70. Fustel de Coulanges cité par Mgr DELASSUS : Vérités sociales et erreurs démocratiques. p. 95.
  71. V, 199. Troisième instruction synodale sur les principales erreurs du temps présent.
  72. VII, 379. Instruction pastorale sur l'opposition à Dieu manifestée par l'opposition au prêtre (Carême 1872).
  73. VIII, 52-53. Homélie sur le caractère de l'autorité dans le christianisme (25 décembre 1873).
  74. Le Concile du Vatican, dans sa première Constitution, avait signalé le socialisme ou la destruction des bases mêmes de la société, comme la conséquence du naturalisme. Quelques mois après, le mouvement révolutionnaire de la Commune venait justifier la clairvoyance des Pères du Concile. « Nous ne pensions pas toutefois, écrit à ce sujet Mgr Pie, qu'avant une année écoulée, nous dussions lire, transcrites en caractères de sang et de feu ces déductions naturalistes pacifiquement exposées dans nos actes, et que les événements dussent fournir au texte du concile une démonstration si prochaine et un si effrayant commentaire ». VII, 197.
  75. VII, 196. Instruction synodale sur la première constitution du Concile du Vatican, 17 juillet 1871.
  76. IV, 526-527 ; VII, 97-102 ; IX, 126. « Qu'est-ce qui tient parmi les sociétés modernes ? Et ce qui semble tenir, où prend-il cette ombre de consistance ?
  77. VIII, 18-19. Homélie (25 novembre 1873). Ailleurs, Mgr Pie fait observer que nous vivons dans un temps où l'on prétend follement arracher le sceptre aux principes qui sont immuables et qui forment le patrimoine divin de nos esprits, pour le remettre à l'opinion. L'opinion, c'est-à-dire, quant à son origine, l'acte le plus infime de la raison humaine, et, quant à la conduite qu'elle détermine, la règle la plus mouvante, la plus incertaine et la plus aisément déréglée ». IX, 125. Lettre pastorale et mandement concernant la consécration générale au Sacré-Cœur (1er juin 1875).
  78. IX, 345-346. Homélie prononcée dans la solennité du couronnement de N.D. de Lourdes (3 juillet 1876).
  79. VII, 289. Homélie sur les alliances de Dieu avec les peuples (13 août 1871).
  80. VII, 353. Homélie (Noël 1871). Dans une lettre à M. de L'Estoile, Mgr Pie constate ainsi la nullité des hommes. « Pas plus de 1830 à 1849 que de 1792 à 1815, les hommes que l'on a appelés bien pensants n'ont pu parvenir à bien penser. C'est lamentable ! » Histoire du Cardinal Pie L, ch. VII p. 221.
  81. V, 206. Troisième instruction synodale sur les principales erreurs du temps présent.
  82. On doit dire qu'il n'y a de vrais conservateurs que ceux qui veulent tout d'abord conserver Dieu, Jésus-Christ, l'Église.
  83. VIII, 2-3 Lettre pastorale qui ordonne les prières publiques demandées par l'assemblée nationale (15 octobre 1873).
  84. VII, 65. Homélie sur l'action simultanée du bien et du mal. (8 décembre 1870).
  85. C'est-à-dire imbus des principes de la Révolution dont ils combattent néanmoins les conséquences extrêmes, « incendiaires et pompiers à la fois ». Selon la fine remarque de Mgr Pie : « Est-on jamais bien sûr de son fait quand on s'est donné le double rôle d'incendiaire et de pompier ? La flamme ne peut-elle pas dépasser la stratégie de ceux qui s'imaginent toujours arriver à temps pour l'éteindre parce qu'ils l'ont allumée eux-mêmes ». VI, 216. Entretien sur l'état actuel des intérêts de la société et de l'Église (12 juillet 1868).
  86. VIII, 14. Homélie sur l'urgence du secours divin (1er novembre 1873). Avant son épiscopat, Mgr Pie avait mis ces paroles dans la bouche de l'Église : « Ce que je redoute le plus, ce ne sont pas les doctrines violentes et par conséquent peu durables de mes adversaires, mais c'est l'absence de vraies et salutaires doctrines chez mes partisans. Ce n'est point dans la rue, c'est dans l'assemblée de mes défenseurs, de mes législateurs que se préparent contre moi les coups les plus meurtriers. Non le temps des malheurs n'est pas fini, puisque le jour de la vérité n'est pas encore venu ». Œuvres sacerdotales, Il, 707.
  87. Ce jugement du Cardinal Pie, sur la Restauration semblera peut-être sévère. Il ne l'est pas. La Restauration, tout en rendant à l'Église d'inestimables services, n'a pas toujours et complètement brisé avec les principes de la Révolution, et par conséquent n'a pas rétabli le trône de Dieu. Nous portons ce jugement d'après les paroles mêmes de Pie VII dans son bref « Post tam diuturrnas » à Mgr de Boulogne, évêque de Troyes : « Nous avions espéré qu'à la faveur de l'heureux changement qui venait de s'accomplir, non seulement la religion catholique serait délivrée sans aucun retard de toutes les entraves qu'on lui avait imposées en France malgré nos constantes réclamations ; mais qu'on profiterait de circonstances si favorables pour la rétablir dans tout son lustre et pourvoir à sa dignité. Or, nous avons remarqué en premier lieu que, dans la constitution mentionnée, la religion catholique est entièrement passée sous silence, et qu'il n'y est pas même fait mention du Dieu tout-puissant par qui règnent les rois, par qui les princes commandent. « Vous comprendrez facilement, vénérable Frère, ce qu'une telle omission a dû nous faire éprouver de peine, de chagrin, d'amertume, à nous que Jésus-Christ, le Fils de Dieu, Notre-Seigneur, a chargé du suprême gouvernement de la société chrétienne. Et comment ne serions-nous pas désolé ? Cette religion catholique, établie en France dès les premiers siècles de l'Église, scellée dans ce royaume même par le sang de tant de glorieux martyrs, professée par la très grande partie du peuple français, à laquelle ce même peuple a gardé avec courage et constance un invincible attachement à travers les calamités, les persécutions et les périls des dernières années, cette religion enfin que la race à laquelle appartient le roi désigné professe elle-même, et qu'elle a toujours défendue avec tant de zèle, non seulement elle n'est pas déclarée la seule ayant droit dans toute la France, à l'appui des lois et de l'autorité du gouvernement, mais elle est entièrement omise dans l'acte même du rétablissement de la monarchie !
  88. Histoire du Cardinal Pie I, L. Il. ch. 11, 697-699.
  89. VIII, 63. Homélie sur l'étendue universelle de la Royauté de Jésus-Christ (18 janvier 1874).
Doctrine sociale de l'Église
Auteur : P. Théotime de Saint-Just, O.M.C.

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen
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