La télévision, les jeux vidéos et la santé mentale des enfants

De Salve Regina

L'éducation des enfants
Auteur : Dr. Minh Dung NGHIEM
Source : Extrait du Cahier Saint Raphaël n° 64 : Pie XII, prophète de la vie.
Date de publication originale : septembre 2001

Difficulté de lecture : ♦ Facile

Notre collaborateur et ami le Docteur Nghiem poursuit inlassablement sa traque des faiseurs d’illusionsEntendons-nous bien :son approche n’est nullement celle du moralistedu philosophe ou du théologienIl se base sur la physiologiela neuroscience Au mépris des réalitésla société moderne impose des schémas idéologiques (rattachés le plus souvent aux « droits de l’Homme »)Maisdepuis longtemps le Dr Nghiem est persuadé que le pourrissement de la jeunesse est une des clés de la société capitaliste qui s’aliène les esprits au nom du profit.

Or toute une série de découvertes récentes au niveau du cerveau per­mettent de comprendre qu’il existe un ordre naturel des chosesLa musique hypertrophie certaines parties du cerveauLes maîtres aux échecs ont appris à stimuler leur mémoire à long terme,laquelle se situe au niveau corticalfrontal et latéral alors que les amateurs se servent du lobe temporalMadame Westtein Badour (dans notre numéro précédent) démontre que la méthode globale de lecture fait fonctionner le cerveau à l’envers et engendre l’illettrisme Plus extraordinaire encore des découvertes récentes tendent à prouver que le cerveau est conditionné et forgé de telle manière que l’homme a tendance à croire en Dieu.

Il est évident qu’un homme ne peut se concevoir comme une simple machine. Si bien ce type de recherche sera souvent taxé de naturalisme car en effet l’homme est un corps et une âme[1] Pourtant il a le grand intérêt de nous faire comprendre que la nature peut très bien rejoindre le Décalogue et arriver aux mêmes conclusionsN’est-ce pas cela la morale naturelle Celle qui rejoint la morale surnaturelleLe Dr N’Ghiem analyse pour nous la physiologie du cerveau face à la télévision.


La nouveauté effraie car c’est la porte ouverte sur l’inconnuMême chez les Gauloisces barbares agités qui selon Jules César n’aimaient que la nouveautéles hommes n’étaient attirés que par l’anciennetémais l’ancienneté habillée de neuf. L’imagination humaine est pauvre sauf dans le domaine des sciences expérimentalesC’est pourquoi la science a toujours fait peur.

En théorieil est possible d’épargner aux populations les dangers résultant des nouveautés sorties de la tête de nos savants et techniciens il suffit que l’Étatdont la raison d’être est de protéger les citoyensn’accorde l’autorisation de mise sur le marché (l’AMM comme disent les technocrates) des inventions qu’après que celles-ci aient démontré leur parfaite innocuité. Malheureusement les preuves scientifiques exigées à cet effet sont aussi coûteuses que difficiles à obtenir puisque d’une partil faudrait découvrir le mécanisme exact de l’action de la nouveauté proposée sur l’organisme humainet d’autre partfaire des mesures statistiques difficiles et longues à réaliser (en prévision des dangers à long terme).

Or notre civilisation moderne est avant tout mercantile, donc soumise à des impératifs économiques et financiers implacables (« le temps, c’est de l’argent ») : des « lobbies » sont créés et payés pour faire accélérer les mouvements des marchandises, de l’argent etc. Du reste, le terme « moderne » (modernus en latin) vient de « modo », qui veut dire « à la mode », « nouveau » ou « actuel ». La modernité, qui est au cœur des aspirations popu­laires, consiste donc à faire changer constamment de mode, de façon de vivre, de goût, donc de marchandises offertes afin de faire accélérer le commerce, de faire fructifier les capitaux.

Le résultat de cette lutte entre la préservation des intérêts réels de l’homme (la santé) et ceux du Veau d’Or (qui a besoin de grossir) estque, dès le XIXe siècle, les finances ont fini par s’emparer du pouvoir politique et des médias de droite comme de gauche. Aussi, de nos, jours, les nouveaux produits peuvent-ils être mis en vente sans aucune précaution. C’est à la population « d’essuyer les plâtres ». Elle pourra toujours remplir des questionnaires et les renvoyer aux inventeurs qui en tiendront compte dans leurs intérêts bien compris ! Finalement le rôle de la famille dans la protection des enfants s’amplifie de plus en plus à mesure que les hommes censés nous gouverner pour notre bien cèdent devant les différents lobbies. Avec le matérialisme triomphant, tout se vend.


Des hommes machines ?

En France, la vulgarisation de la télévision s’est produite à partir des années 1960. Mais les gens ne commencent à s’inquiéter des effets néfastes de cette nouvelle technique de communication que vers les années 1970-1980, lors de l’apparition sur le marché des jeux vidéo – sans doute parce que la violence urbaine, et surtout la violence chez les jeunes d’âge scolaire, en croissance continue depuis une trentaine d’années en Amérique (et avec un retard de dix à quinze ans en France), commencent à atteindre des niveaux insupportables, même pour des gens de gauche viscéralement laxistes (cf. les enfants d’hommes politiques de gauche rackettés en plein jour dans les rues de Paris en l’an 2000). Du coup les langues se délient ; on met tous nos malheurs sur le compte de la télévision et des jeux électroniques. Et, de ce fait, les spécialistes des sciences humaines se mettent à déblatérer contre l’environnement et les logements (les HLM), puis contre l’association diabolique « télévision jeux-vidéo », oubliant systématiquement le rôle de l’ambiance créée par les philosophies contestataires. Il est vrai que le béhaviorisme, importé des États-Unis d’Amérique, affirme que l’homme se comporte en fonction du milieu et de manière purement réflexe ! En somme, que nous sommes des hommes-machines sans pensée ni volonté propre. Enfin, que, dans les meilleurs cas, nous pensons, mais notre pensée elle aussi est un com­portement : elle est donc suscitée par l’environnement, comme un réflexe. Aussi les travaux de recherche à ce sujet seront-ils probabilistes et non pas déterministes. Admettons que cette hypothèse des gauchistes (« libéral » en américain), adeptes du marxisme, du freudisme (psychanalyse) et du béha­viorisme, soit la bonne ; et faisons le procès de la télévision et des jeux vidéo.


Des statistiques imprécises

Pour commencer, il faut avouer qu’on n’a jamais su le nombre d’heures que les enfants français consacrent quotidiennement à la télévision. Nous dis­posons de rares statistiques à ce sujet : j’en ai trouvé une, faite dans une école en Italie du Nord, permettant de savoir que 50 % des enfants passent de une à trois heures par jour devant le poste familial. Et une autre, faite dans un sondage en Grèce, nous apprenant que les enfants, « en moyenne » (sic), consacrent de trois à quatre heures et demie par jour à la télévision. Sans doute, devant des études aussi imparfaites, on a décidé que le petit Français « moyen » perd trois heures par jour devant sa télé, soit deux fois moins de temps que son homologue américain, référence obligatoire pour faire sérieux. D’ailleurs tout ce qui est américain doit être amplifié. La bibliothèque médi­cale parisienne que j’ai consultée ne dispose d’aucune statistique américaine à ce sujet. Pourtant elle est reliée à bien des centres de recherche et dispose d’une collection considérable de revues de médecine et de sciences humaines en provenance d’Amérique et d’Europe entre 1970 et 2001.

Quant aux jeux vidéo, ils sont encore moins documentés. D’après les pro­tocoles des études, il apparaît que les enfants passent encore bien moins de temps devant une console de jeu vidéo que devant un écran de télévision ; car on s’est intéressé même à des « populations » jouant seulement deux heures par semaine ! Dans le domaine des jeux vidéo, la plupart des chercheurs américains se contentent de distinguer deux catégories de jeux : ceux qui font participer à des actions agressives contre un tiers (martiens ou autres monstres imaginaires, etc.) et ceux qui ont un objectif dit « culturel » (qui apprennent quelque chose aux utilisateurs). Mais est-ce suffisamment précis pour définir un jeu et son impact sur le cerveau du joueur ?


L’abrutissement des plus pauvres.

La revue de presse spécialisée, triée par l’ordinateur de la bibliothèque, per­met de savoir d’abord que la « consommation » de télévision et de jeux vidéo est d’autant plus importante que l’enfant appartient aux classes sociales les plus basses. Ensuite que la télévision, comme les jeux vidéo, est une concur­rente directe de la lecture des œuvres littéraires si bien que, en guise de pro­phétie, certains psychologues et sociologues américains ont affirmé que les « mordus » de ces distractions audiovisuelles ne seront pas « très intelligents » (sic). Et enfin que les parents ne choisissent ou ne censurent les émissions télévisuelles et les jeux électroniques destinés à leurs enfants que dans les classes sociales supérieures ; autrement dit, dans les classes populaires ; les enfants sont abandonnés (par les parents et par l’État) à la désinformation, au lavage de cerveau du show-biz, des lobbies, des groupuscules de toutes espèces ayant infiltré et noyauté les médias et les organismes dits « culturels ». Il est à noter que tous les sociologues, et même les Américains, définissent les classes supérieures comme étant celles des gens diplômés de l’université et non plus comme celles des riches comme il y a trente-cinquante ans, et enfin que la notion de culture est liée aux livres, à la lecture, sans doute à cause des outrances des politiques dites culturelles et des « artistes » contem­porains ou avant-gardistes. Ici, nous devons sûrement une fière chandelle au professeur Jean-Louis Harouel qui a dénoncé l’imposture des contre-­cultures qui ne sont, en réalité, que des sous-cultures, servant à exploiter le snobisme de l’immense classe des ignorants, des incultes !

Il existe un consensus universel entre les spécialistes (médecins, psycho­logues et sociologues) de tous les pays civilisés permettant d’affirmer que la télévision et les jeux vidéo, par leur contenu (films, spectacles violents, stra­tégies agressives des jeux), augmentent l’agressivité et même l’incivilité des comportements. Et cette corrélation paraît si « significative » qu’on a pu conseiller aux parents de réduire l’exposition de leurs enfants à l’influence de la télévision et des jeux vidéo. Quant à l’effet cathartique (purifi­cateur) des spectacles violents, il est en général nié.


Des effets sur la santé.

Les appareils de télévision et de jeux vidéo sont accusés d’être responsables de bien d’autres malheurs :

  • D’être capables d’ « induire » la leucémie par l’émission d’un champ magné­tique néfaste (exactement comme le téléphone portable ou les lignes à haute tension). Mais, jusqu’ici cette grave accusation n’est pas retenue.
  • De provoquer des attaques d’épilepsie sous la forme de crises convulsives généralisées ou partielles, voire de simples maux de têtes paroxystiques avec modifications de l’électroencéphalogramme. Ces troubles sont déclenchés par des éclairs « photiques » sur l’écran, la projection de certains dessins en couleurs, par le changement de scènes et surtout par la fréquence du balayage électronique de l’écran de télévision. On affirme que la fréquence de cin­quante images / seconde est la plus dangereuse pour les épileptiques connus ou latents, non encore dépistés.
  • De créer le phénomène de l’addiction, c’est-à-dire de dépendance comme chez le drogué : l’enfant ne peut plus se passer de jouer au jeu vidéo, vole au besoin pour se procurer de l’argent. On trouve en effet dans la littéra­ture médicale de tels drames, avec affrontement des parents, éclatement de la famille, et où parents et enfants « accro » finissent chez le psychiatre ! Mais, dans le domaine des autres jeux sans vidéo, au casino par exemple, on connaît des cas où le joueur finit par y laisser sa culotte ! Bref, cela relève de la psy­chiatrie pure (troubles compulsifs), on ne saurait retenir la responsabilité des ondes hertziennes, des stratégies de jeu vidéo ou de la photo-stimulation. De développer des maladies du membre supérieur, d’origine mécanique (comme chez le violoniste ou le pianiste), à cause des efforts musculaires brusques et répétés des mains : tendinite, neuropathie distale analogue au syndrome du canal carpien, etc.

De favoriser l’obésité chez l’enfant qui regarde la télévision en mangeant. Bien sûr, ce n’est pas la télévision qui engraisse, mais le grignotage des friandises et autres fast-foods que des parents, négligents et oublieux des bons usages, jettent à leurs rejetons pour avoir la paix, à la place des repas cuisinés.


Des effets sur le psychisme.

Finalement les dégâts attribués à la télévision et aux jeux vidéo sont ou hypo­thétiques ou négligeables par leur rareté ou par leur bénignité (l’épilepsie n’est pas produite, mais révélée, par l’écran éclairé). L’immense majorité des médecins ne s’inquiète pas de l’enfant, dans la formation de son intelli­gence et de sa personnalité. Mais ici on continue à se poser plus de ques­tions qu’on apporte de réponses :

A. - Certains pédiatres réprouvent les jeux vidéo dont les thèmes sont fon­dés sur l’ambiance d’un monde médiocre, méchant ou effrayant, sur ces voyages dans des « espaces virtuels » monstrueux, créant chez le joueur une pression psychologique violente (stress). Et l’examen en laboratoire a mon­tré que, pris au jeu, les enfants sont devenus momentanément agressifs. Le problème qu’on se pose est de savoir si, à distance de ces expériences « vir­tuelles » (ou tout s’est passé dans la tête), les joueurs en conservent des séquelles intellectuelles ou « émotionnelles », ou risquent de perdre le sens de la réalité. Et que se passera-t-il chez les enfants immatures ? C’est le grand problème de l’ « éducation de masse » diffusée par la télévision publique, en fait, à l’intention des enfants des parents laxistes ou inconscients.

B. - Certains médecins évoquent le phénomène de la projection et de l’iden­tification : l’enfant tend à imiter la personne regardée comme remarquable (il s’ « identifie au héros ») et lui prête ses sentiments, ses idées (il se pro­jette sur son héros). Ce phénomène ne devient important que lorsque les parents sont moralement absents et cessent de compter pour l’enfant. C’est pourquoi on peut reprocher à la télévision de montrer des « anti-héros » qui risquent toujours de servir de modèle aux enfants en carence d’affection et de soins. À ce sujet il est intéressant de rapporter le travail de Holtzman et Akiyama comparant les programmes des télévisions américaines et japo­naises. Les auteurs ont été étonnés de constater que les héros américains sont plus traditionnels et « positifs » que leurs homologues d’outre-Pacifique ; autrement dit, les films américains sont plus conformes à la morale que les japonais. C’est sans doute pour cela que l’Amérique demeure une grande nation, la première puissance du monde. En France, aucun sociologue, aucun psychologue n’a encore fait une étude semblable qui risque fort de montrer que nous sommes les plus modernes du monde hélas !

C. - Enfin on reproche à la télévision de favoriser la paresse intellectuelle, la passivité, puisque regarder l’image consiste à recevoir l’information toute faite, toute façonnée, sans nécessiter aucun effort d’esprit critique. Le professeur Harouel, sociologue, a aussi remarqué que la communication par l’image n’exige aucun effort ni de la part de l’auteur de l’image (photo, ciné, TV), ni de la part de celui qui reçoit. Pour la médecine, l’image est reçue glo­balement dans le cerveau droit et suscite immédiatement une émotion, alors que la lecture demande un travail de décryptage (analyse, synthèse, concep­tualisation etc.) conduisant à la perception sémantique (compréhension) et enfin à l’élaboration d’une émotion par comparaison avec un souvenir (réminiscence). Bref, la lecture constitue en soi un effort intellectuel et « émo­tionnel » faisant intervenir le fonctionnement de tous les organes du cerveau.

C’est pourquoi la vraie culture, celle des gens dits "cultivés", ne peut prove­nir que de la lecture et non de l’avachissement devant un poste de télévision avec ou sans cornet de « pop corn » ou de « ice-cream » à la main. Or la cul­ture, c’est la vision du monde et les aspirations de chacun ; aussi convient-il de la développer, de la perfectionner, enfin de l’amener au plus haut point. Et, en pédiatrie, l’on sait que le cerveau intellectuel est lié au cerveau sen­soriel (vision, audition, tact etc.), au cerveau moteur etc, puisqu’une paraly­sie ou une cécité aura un retentissement catastrophique sur la constitution des fonctions intellectuelles. Empiriquement, dans toutes les civilisations, on a toujours su que l’homme doit pratiquer tous les arts (dont la littérature, la musique et les arts martiaux) et toutes les sciences (géométrie, arithmétique, astronomie etc.), autrement dit développer toutes les fonctions cérébrales connues, pour pouvoir atteindre à l’idéal et faire partie des élites, enfin pou­voir se dire « cultivé ». Et cette culture-là n’a aucun rapport avec celle du ministère du même nom, qui mérite de s’appeler ministère de l’imposture !


Un appauvrissement de la personnalité.

La distraction et l’amusement par les moyens audiovisuels (TV et jeux vidéo) qu’on essaie de nous faire prendre pour des activités culturelles font perdre du temps aux enfants tout en les habituant à la communication par images, au raisonnement analogique du cerveau droit. Déjà en 1977, le Doc­teur Mireille Chalvon, psychiatre, a fait remarquer que la télévision s’adresse aux sentiments et non pas à l’intellect, et que les enfants adeptes de la télé­vision (deux heures de pratique par jour) sont remarquables par la pauvreté de leur vocabulaire, qu’ils comprennent bien par la mimique et les gestes (exprimant les émotions en langage du cerveau droit), mais qu’ils sont inca­pables de raconter (de traduire l’objet en concept, opération du cerveau gauche). En somme, la télévision aurait bloqué la maturation cérébrale de ces malheureux.

Quant au rôle de la « télévision poubelle », de la télévision instrument du lavage de cerveau, de la désinformation et du nivellement par le bas, c’est un autre problème… Cette télévision est destinée surtout aux adultes, aux parents pour diriger leurs bulletins de vote. Certes, elle est insupportable. Mais il appartient aux citoyens de la réformer, de zapper (changer de chaîne) ou de la remplacer par une bibliothèque !

Compte tenu de tous les griefs que l’on peut formuler contre la télévision et les craintes que celle-ci suscite, on ne peut que donner un conseil de pru­dence aux parents : il est de leur devoir de contrôler la télévision de leurs enfants, de sélectionner les émissions en fonction de la religion et de la morale qu’ils veulent transmettre à leurs rejetons. Le show-biz, les médias, les par­tis politiques proposent des modèles de vie et de société, des modes etc. ; mais en dernier recours, c’est à chacun de nous de choisir pour soi et pour les siens. Cela demande du courage et de la droiture de la part des parents jusqu’à ce que leurs enfants aient dépassé l’âge de raison et achevé la for­mation de leur personnalité.


La neuroscience, cette inconnue.

Dans les lignes précédentes, j’ai présenté succinctement les problèmes sou­levés par la vulgarisation des techniques audiovisuelles. Il convient de noter que les travaux que j’ai consultés dans une grande bibliothèque médicale de Paris ont été faits pour environ 40 % d’entre eux par des spécialistes des sciences humaines (psychologues principalement) et 60 % par des médecins (surtout des pédiatres, les psychiatres et neurologues ne se sont intéressés qu’aux épileptiques). Certains sont fondés sur des arguments tirés de la psy­chanalyse ; aucun n’a fait allusion aux neurosciences. Or les connaissances tirées de la physiologie du cerveau amènent à interpréter les effets de la télé­vision autrement.

Depuis 1970, grâce aux travaux de Sperry et ses élèves, on sait que l’homme dispose de deux cerveaux : le cerveau gauche intellectuel, siège de la conscience, de la perception par les sens et de la reconnaissance du monde, en procédant par analyse, synthèse, conceptualisation, suivant le mode hypo­thético-déductif, discursif. Et le cerveau droit « émotionnel », siège de l’inconscient, procédant par intuition, par appréhension globale des choses, rai­sonnant de manière analogique, par images. Celles-ci suscitent des émotions. Dans l’enfance, pendant la période pré-scolaire, le fonctionnement du cerveau droit est prédominant. L’école, par l’instruction, permet à l’enfant d’ap­prendre à raisonner, à développer son sens critique, donc à se servir de son cerveau gauche. Et finalement, à l’âge de raison (entre neuf et treize ans), l’en­fant sait penser abstraitement, comme un adulte ; et dans la civilisation gréco-­latine et judéo-chrétienne, désormais le cerveau gauche sera prédominant. Toutes les autres civilisations reposent principalement sur le cerveau droit de la poésie, des arts, de la rêverie, des idéologies et des superstitions.

Les relations de voyage et la littérature ancienne montrent que le cerveau humain subit aussi une maturation selon l’évolution de la civilisation. Ainsi M. Claude Lévy-Strauss, de l’Académie Française, a-t-il décrit la « pen­sée sauvage », c’est-à-dire la pensée naturelle, non modifiée par une ins­truction particulière, sélectionnant certaines fonctions cérébrales, tout en les amplifiant. Par exemple, en France dès le XIIesiècle, on a cherché à déve­lopper le sens critique, le sens de l’analyse et de l’abstraction (cf. rhétorique, dialectique, scolastique), autrement dit à développer le cerveau gauche, mais tout en fortifiant aussi le cerveau droit (par la foi, et les arts, dont l’archi­tecture, la musique). Cette pensée sauvage de M. Lévy-Strauss s’accom­pagne de la personnalité hystérique. Celle-ci est caractérisée par une émotivité excessive, une instabilité des sentiments (passage facile de l’amour à la haine, de l’enthousiasme à la panique) et de la volonté. Aussi convien­drait-il de parler de mentalité sauvage (ou plutôt primitive) au sujet de l’as­sociation de la pensée sauvage à la personnalité hystérique. Cette mentalité primitive était fréquente en Europe jusqu’au XVIe siècle, jusqu’à la créa­tion des écoles paroissiales gratuites. Les médiévistes reconnaissent que l’homme de ces temps anciens était différent de l’homme moderne : il .était « nerveux », émotif, instable et changeant, sujet à des accès de colère, de désespoir violent, de crises de « pâmoison », des « coups de tête », et des hallucinations (vision de fantômes, de monstres etc.).

Cette mentalité primitive semble être celle de l’homme naturel et s’observe chez les enfants dans l’âge pré-scolaire et, selon Gustave Le Bon, Carl Gus­tav Jung, Sigmund Freud, etc., chez le « sauvage » (nous dirions le primitif). On la retrouve encore chez certains individus groupés en foule lorsque se produit la « psychose (ou hystérie) collective » conduisant à la panique, au hooliganisme sportif, au lynchage, à l’émeute et la tuerie etc. Ces états de conscience altérée, qu’on assimile à la transe (ou extase), s’observent aussi dans les raves parties et dans les concerts de musique tam-tam (rock, rap, techno, jazz etc.). Ils résultent de l’inhibition de la conscience et de la libé­ration concomitante de l’inconscience (du cerveau reptilien). L’homme peut alors passer à l’acte, et tuer sans en garder le souvenir.

Cette notion du passage à l’acte dans un état de conscience altérée, dans l’état de transe (sous l’action de l’inconscient) semble oubliée des sciences humaines imprégnant l’esprit des psychologues et des médecins étudiant les effets de la télévision et des jeux vidéo sur les enfants. C’est pourquoi, à mon avis, leurs conclusions sur l’agressivité des paroles et des comportements ne sont pas toujours claires : on a même confondu la menace verbale avec l’acte de frapper réellement exécuté. Du reste, certains travaux, comme pour aller dans le sens du consensus susdit, ont affirmé, sans rire, que la télévision ne rend violents et agressifs que ceux qui le sont déjà !

Selon les neurosciences, la télévision impose à ses adeptes le mode de rai­sonnement analogique par images. Il s’ensuit que la télévision entrave et neutralise l’action de l’instruction de l’école dont le but en Europe est de latéraliser le cerveau à gauche. La maturation du cerveau s’arrête : d’où pauvreté intellectuelle et pérennisation de la personnalité infantile (primi­tive, hystérique). Les « enfants de la télévision » sont des « sauvages » selon la vision de Gustave Le Bon. Il convient de rappeler que le sauvage est un ancien civilisé qui a perdu sa civilisation, en général par défaut d’apprentissage, comme dans le cas des « enfants de la télévision ». Quant au primitif, c’est un homme dont la civilisation, semblable à celle de nos ancêtres, s’est attardée dans une certaine étape de son évolution. Le primi­tif a une civilisation, des tabous ; il ne pourra donc pas tuer sans cérémonie, sans préparation psychologique et physique, sans lever les inhibitions par la transe, alors qu’un sauvage n’a qu’un comportement instinctif comme les bêtes.

D’après les neurosciences, une étude sur les effets de la télévision sur les enfants devrait se dérouler non pas sur quelques jours ou quelques semaines comme c’est le cas des travaux que j’ai pu consulter, mais sur au moins une dizaine d’années, de la naissance à l’âge de raison. Déjà on a des arguments permettant de penser que l’audiovisuel est néfaste pour nos enfants. En effet, dès les années 1983, soit une vingtaine d’années après le début de la vulga­risation de la télévision, P Babin, L. Busato et M.E Kouloumdjian, cités par J.-M. Albertini, avaient remarqué que certains jeunes gens s’exprimaient bizarrement. En faisant analyser leurs conversations spontanées enregis­trées par des agrégés ès lettres, on s’aperçut qu’ils parlaient en langage audio­visuel « mixtant » (sic) « bouts de phrases, gestes et onomatopées » (sic), en « faisant du cinéma quand ils parlaient … » « par flashes » (sic), « sans déve­loppement linéaire logique » (discursif). Albertini pensa que, pour cette population issue de l’audiovisuel, il fallait faire un enseignement spécial en « photolangage » (sic), par images (diapositives, photos), qui développerait un « fonctionnement analogique par le canal de l’intuitif et du global », tout en excluant celui de l’analytique et de l’abstrait » (sic), incompatible. Ainsi, sans connaître les neurosciences, il a parfaitement décrit le raisonne­ment par images du cerveau droit de la « mentalité primitive » étudiée au début du XXe siècle par notre philosophe normalien Lévy-Bruhl. Ce dia­gnostic fut fait par le Dr Mireille Chalvon, en 1977, comme je l’ai rappelé précédemment.

Bien sûr, on peut penser que la télévision et les jeux vidéo ne sont pas les seules causes de l’ensauvagement d’une certaine jeunesse. Les « musiques jeunes » ou « musiques actuelles », à base de battements de tam-tam et de la batterie en général par l’excitation ou même la transe produite, y contri­buent largement. Il faudra donc mettre en accusation toute la « culture » de l’image et du rythme ou « culture tam-tam, télévision ».

Il faut se souvenir que les dégâts cérébraux causés par le tam-tam et la télé­vision, aggravés par la philosophie laxiste (refusant l’institution des tabous et de la discipline tant morale qu’intellectuelle, fondée sur le principe qu’« il est interdit d’interdire », recrée, de manière irréversible après l’âge dit de raison, la personnalité hystérique (mentalité primitive) menant à l’ensau­vagement des enfants. Mais je ne puis dire à partir de quelle durée l’usage de la télévision est néfaste pour le cerveau.

Bien sûr les factotums du modernisme et de l’ouverture de l’esprit essaient de faire croire aux parents peu au courant de la technique que la pratique de la télévision et des jeux vidéo favorise l’apprentissage d’un métier moderne, alors qu’un stage de quelques jours permettra à un jeune étudiant de s’ha­bituer à n’importe quel ordinateur, et que les appareils existant actuellement n’ont aucun rapport avec ceux qu’on inventera dans cinq ou dix ans, qui seront de plus en plus simples, faciles à manipuler. Le problème des jeunes de tous les temps est d’acquérir un cerveau bien fait, bien structuré par de solides connaissances classiques (qui ont permis à nos pères de créer le monde moderne actuel), comportant les sciences (pour structurer le cerveau gauche) mais aussi les arts (pour façonner le cerveau droit de la sensibilité et de la créativité) ; ce qui permettra, le moment venu, de se spécialiser pour exer­cer un métier. Et ces connaissances classiques forment la culture de l’homme, qui finalement n’a aucune relation avec l’apport de l’audiovisuel. Et celui-­ci, par la volonté politique des gouvernements successifs, est demeuré l’ins­trument de l’amusement et du divertissement du bas peuple alors qu’il aurait pu diffuser la vraie culture des élites nationales et internationales (théâtres, opéras, concerts, ballets etc.) au profit des classes populaires.

Puisque la télévision éduque, elle devrait bénéficier des mêmes soucis de qualité et de rigueur de la part de l’État que nos écoles !


Notes et références

  1. Le Docteur N’Ghiem est l’auteur d’un ouvrage important Musique, Intelligence et per­sonnalité, Ed. Godefroy de Bouillon. Ouvrage indispensable pour comprendre comment on abrutit la jeunesse. Et que l’on détruit l’esprit civilisé.
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