La valeur dogmatique du Concile de Florence

De Salve Regina

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Théologie Fondamentale
Auteur : P. Joseph de Guibert, S. J.
Source : Bulletin de littérature ecclésiastique n° 10
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Date de publication originale : 1919

Difficulté de lecture : ♦♦♦ Difficile

LE DÉCRET DU CONCILE DE FLORENCE POUR LES ARMÉNIENS : SA VALEUR DOGMATIQUE

I. LA TRADITION THÉOLOGIQUE

La base principale de nos traités dogmatiques sur les sacrements est la série de définitions portées par le Concile de Trente à partir de sa septième session. Mais, à côté d’elles, le document ecclésiastique le plus souvent cité dans ces traités est certainement le décret d’Union des Arméniens au Concile de Florence : rien d’étonnant à cela puisque nous y trouvons un exposé complet de la doctrine catholique sur les sacrements, exposé que les Pères de Trente ont eu constamment sous les yeux et parfois reproduit textuellement, et qui est même, en certains points, plus complet que le leur.

Or, tandis que les théologiens du XVIième siècle ont généralement traité ce décret comme une définition de l’Eglise, les auteurs récents diminuent souvent presque jusqu’à rien sa valeur dogmatique. Voici, par exemple, le jugement du cardinal d’Annibale : « Porro hic admonendi sumus hoc decretum non a Concilio Florentino, sed ab Eugenio IV in Sess. Ultima illius concilii fuisse pro instructione Armenorum Ecclesiae Romanae disciplinam sacre cupientium ; ideoque non dogmaticum esse, ceu visum multis, sed historicum : quod velim ne excidat »[1].

Entre ces deux extrêmes s’échelonnent diverses formules donnant plus ou moins d’autorité au célèbre document, celle-ci, par exemple, qui semble aujourd’hui la plus fréquente : « Non esse definitionem… sed instructionem tantummodo practicam, quae tamen ut talis plenam habet auctoritatem »[2]. Parfois on pourra relever chez un même auteur des appréciations assez différentes suivant que le décret paraît dans la démonstration d’une thèse ou parmi les objections faites contre une autre.

Car, et c’est ce qui explique la divergence des jugements, il y a opposition entre le sens obvie de l’instruction d’Eugène IV et une opinion, la plus répandue peut-être depuis la fin du dix-huitième siècle, touchant la matière du sacrement de l’ordre : le décret met cette matière dans la tradition des instruments aux ordinands, la majorité des théologiens et des canonistes tend actuellement à la trouver pour le sacerdoce et le diaconat dans le seul rite de l’imposition des mains. Les tenants de cette opinion essaient bien d’expliquer que dans le texte pontifical il s’agit non de la matière essentielle mais d’une matière intégrante, accessoire, que le Pape désirait voir ajouter par les Arméniens à l’imposition des mains. Ils ne peuvent ne pas sentir ce qu’une telle explication a d’artificiel replacée dans le contexte du document. Aussi appuient-ils plus généralement sur les circonstances qui semblent bien enlever à cet acte une autorité définitive. Il en est résulté que la valeur de cet important décret a été presque toujours examinée ou pour appuyer un argument contesté ou pour répondre à une objection, à tel point qu’une fois connue l’opinion d’un auteur sur la matière de l’ordre, on peut presque à coup sûr prévoir dans quel sens il penchera pour la question qui nous occupe.

Il y a donc un réel intérêt à traiter cette question pour elle-même et plus complètement. En outre, le texte des définitions de Trente ayant été souvent emprunté au décret de Florence qui, lui-même, les avait en partie tirées, on le sait, d’un opuscule de saint Thomas, étudier la genèse et l’économie de ce décret est par là même contribuer à l’histoire de notre formulaire dogmatique. Toutefois, avant d’en venir à l’examen du texte lui-même et des circonstances dans lesquelles il a été élaboré, il sera bon de jeter un rapide coup d’œil sur l’histoire de son interprétation dans la théologie : nous verrons ainsi par quelles étapes principales a. passé la discussion dont nous allons, en la reprenant, essayer de préciser les résultats[3].

Le décret pro Armenis, on le sait, fait partie d’une série d’actes semblables promulgués, par Eugène IV dans le Concile de Florence et du Latran. Le 6 juillet 1439, c’est la bulle Laetentur caeli consacrant l’union avec l’Église grecque officielle de Constantinople[4]. Le 22 novembre 1439, le décret Exsultate Deo réunit les Arméniens soumis au Catholicos de Sis en Cilicie[5] ; le 4 février 1442, ce sont les jacobites monophysites d’Alexandrie et de Jérusalem (Cantate Domino)[6] ; puis, après la translation du Concile au Latran, les Syriens monophysites de Mésopotamie, le 30 septembre 1444 (Multa et admirabilia) ; enfin, le 7 août 1445, les Chaldéens et les Maronites (Benedictus). Les deux derniers documents[7], beaucoup plus brefs, ne faisaient, dans leur partie doctrinale, que renouveler des enseignements déjà donnés clans les autres[8] : ils ne sont jamais, que je sache, entrés dans la documentation théologique des générations suivantes.

Quand y entrèrent les trois autres et quelle fut l’autorité qu’on leur accorda, c’est ce qu’il importe d’examiner en nous attachant naturellement surtout au décret pro Armenis. Saint Antonin avait assisté au Concile comme vicaire de Toscane (depuis 1435) et puis prieur du couvent dominicain de saint Marc (depuis 1439) : dans sa Summa Theologica (III, titre 23, c. 2, n. 5) il fait la liste des conciles généraux qu’il termine par celui de Florence « in quo concilio generali reducti sunt graeci ad fidem et confessionem veram de processione Spiritus sancti, et Armeni etiam reducti sunt ». Dans son Chronicon (titre 22, c. 11, n. 1) il insère le texte du décret Laetentur caeli pour les Grecs et parle de l’union des Arméniens et des Jacobites (qu’il appelle Indiens).

Néanmoins, dans l’exposé théologique de la IIIe partie de sa Summa, il n’invoque pas les décrets de Florence, par exemple au titre 22 où il traite de potestate Summi Pontificis et où l’acte d’union des Grecs lui fournissait le témoignage le plus décisif en faveur de la primauté ; de même au titre 14, c. 16, n. 4, il se demande quelle est la matière essentielle du sacrement de l’ordre, mentionne les controverses entre scolastiques, se prononce comme le décret pro Armenis en faveur de la seule tradition des instruments, mais n’invoque pas cette autorité et s’en tient aux textes classiques des Décrétales, par exemple le chapitre Presbyter (I, 16, 3) de Grégoire IX.

La Summa d’Ange de Chiavasso ( + 1495) au mot Ordo[9] se prononce dans le même sens pour la matière de la prêtrise, mais n’invoque pas davantage le témoignage du Concile de Florence. Biel, dans son commentaire sur les sentences enseigné à Tubingue en 1484-1492[10], au livre I, D. 11, q. 1, à propos de la procession du Saint-Esprit, cite le chapitre Firmiter d’Innocent III (Décret. I, 1, 1) mais non l’acte de Florence ; au livre IV, D. 7, concl. 3, il estime que le Pape ne peut pas déléguer à un simple prêtre, le pouvoir de confirmer, discute le canon Pervenit (1, Dist. 95) de saint Grégoire, mais ne parle pas du texte pro Armenis qui contredit son opinion ; à propos du caractère sacramentel surtout (IV, Dist. 6, q. 2, concl. 2) après avoir examiné l’argument tiré en faveur de son existence du chapitre Maiores (Innocent III, III, 42, 3), argument qui lui paraît seulement probable, il conclut que : « Illa sola auctoritas aliquid facit » : alors que le décret pro Armenis enseigne expressément ce point de doctrine.

Ces quelques coups de sonde, qu’il serait hors de propos de multiplier davantage ici, semblent indiquer qu’avant le XVIième siècle les décrets de Florence ne font pas encore partie de la documentation courante, puisée avant, tout, on le sait, dans les textes transmis de main en main par les auteurs précédents et dans le recueil des Décrétales avec ses annexes, Sexte, Clémentines… Et c’est précisément imprimées en appendice à certaines éditions du Sexte que les définitions de Florence seront citées par Massarello au début du Concile de Trente[11]. Déjà, du reste, il y avait eu une édition du décret pro Iacobitis (contenant les deux autres) à Venise en 1514[12] ; en 1526, à Rome, l’évêque grec Abraham de Crète avait publié une traduction des Actes grecs du Concile[13]. Cette traduction fut reproduite en 1538 dans le recueil de Conciles, imprimé à Cologne par le franciscain Pierre Crabbe, avec en appendice la bulle pro Armenis. Ce fut cette édition qui occasionna au Concile de Trente la première discussion sur la valeur des décrets de Florence.

Déjà, en 1520, Cajétan, dans son Commentaire sur la IIIa de saint Thomas, invoque l’ « auctoritas generalis Concilii Florentini sub Eugenio IV », à propos de la forme du baptême (décret pro Armenis qu’il cite textuellement)[14] : toutefois, le 15 février 1546, lorsqu’on se décida, au Concile de Trente, à reproduire purement et simplement le décret de Florence sur le canon des livres saints (pro Iacobitis, DB. 706) l’évêque de Clermont et celui de Capaccio (Caputaquensis) déclarèrent n’avoir pas connaissance d’un pareil décret et on dut les avertir de se référer à la bulle d’Eugène IV imprimée à la suite du Sexte et qu’ils n’avaient jamais vue[15]. Le document n’était, donc pas encore classique. Quelques jours après[16], l’autorité du Concile de Florence fut invoquée pour la réception des traditions. Aussitôt, l’évêque de Chioggia protesta : il n’entendait pas qu’on fit recevoir ces traditions « sub nomine concilii Florentini », comme on l’avait fait pour les Ecritures, alors que la bulle invoquée d’Eugène IV avait été publiée longtemps après le départ des Grecs, départ qui avait mis fin au Concile.

Le cardinal del Monte, président, intervint aussitôt, et fit remarquer que la Bulle d’Union des Jacobites avait été « vere edita in concilio Florentino ante eius dissolutionem » : il renvoya à l’histoire du Concile composée en 1480 par Augustin Patricio[17] et qui contenait les sessions solennelles célébrées après le départ de l’empereur et. des Grecs ; il expliqua comment ces sessions manquaient dans les Conciles de Crabbe qui n’avait reproduit que la traduction des Actes grecs du Concile ; enfin, il en appela à l’original du décret d’Union qu’il avait vu lui-même à Rome et dont une copie authentique fut envoyée peu après au Concile[18]. Un mois plus tard, le 23 mars[19], l’évêque de Castellamare ayant de nouveau, dans une section, soulevé des doutes sur l’authenticité de ce Concile de Florence, le cardinal de Sainte-Croix, président de la section, renouvela les déclarations de del Monte, faisant remarquer que le Concile avait toute son autorité en promulguant. ces décrets, d’autant que les Orientaux y étaient encore représentés par Isidore de Kiew et Bessarion. On le voit, les légats du Saint-Siège ont, dès le début, et énergiquement, maintenu le caractère conciliaire de la bulle pro Iacobitis et, par conséquent, aussi de celle pro Armenis qui lui était antérieure et qui lui avait été incorporée in extenso. Reste à savoir quelle autorité les Pères du Concile ont accordée à cette seconde bulle, surtout au paragraphe sur les sacrements qui est spécialement en cause ici. Y ont-ils vu une définition du Concile ou un simple décret disciplinaire ? La réponse est aussi difficile à donner qu’elle serait utile à connaître. La classification des documents pontificaux et conciliaires en définitions ex cathedra, décrets disciplinaires, instructions et déclarations dogmatiques exposant la doctrine sans l’imposer solennellement à l’adhésion irrévocable et inconditionnée des fidèles, ces distinctions auxquelles nous tenons aujourd’hui avec tant de raison, restaient encore confuses au début du XVIième siècle. Il suffit de parcourir les listes d’auctoritates proposées au Concile de Trente ou les démonstrations positives, des théologiens tous les chapitres des Décrétales sont mis sur le même plan, tout texte des Pères principaux, Augustin ou Grégoire le Grand par exemple, est accepté comme dirimant par lui-même toute controverse. Le sens même du mot haeresis est encore loin de la précision technique qu’il a sous la plume des théologiens du XIXième ou même du XVIIième siècle. On ne peut donc espérer que des indications assez incertaines.

Ce qui est manifeste tout d’abord, c’est que dans les discussions sur les sacrements[20] ce décret pro Armenis a été l’autorité à laquelle on s’est le plus souvent référé, et, semble-t-il, comme à une autorité ayant force de chose jugée. Par exemple., à propos du caractère sacramentel (Session VII, canon 9), correspondant au n. 9 de la série[21] des Errores damnandi les avis des théologiens étaient partagés : ils se demandaient si on devait condamner sa négation comme hérétique, ou en affirmer l’existence comme simplement plus probable : Cajétan n’avait-il pas noté récemment que cette doctrine « ex Scriptura non habetur, sed ex Ecclesiae auctoritate et non multum anticlua »[22]. Et nous avons vu plus haut Biel concluant à une simple probabilité. Un théologien dominicain, Gaspar a Regibus, déclara que la négation du caractère, art. 9, « damnatur in Concilio Florentino, sed non tanquam de fide »[23]. Cette distinction serait très intéressante si elle n’était pas restée isolée[24]. La masse, en effet, se prononça à la suite de Solis pour définir l’existence du caractère, ce qu’on fit en empruntant pour le décrire les termes mêmes, à un mot près, du décret ad Armenos ; et quand parmi les Pères une discussion s’éleva sur le lien entre le caractère et la non-réitération des trois sacrements, on essaya diverses formules, puis le 2 mars on décida de s’en tenir à celle de Florence, à la « determinatio Concilii Florentini », suivant l’expression du général des Carmes[25].

Il en fut de même pour le ministre de la Confirmation : nous avons vu Biel niant au Pape le pouvoir de déléguer un simple prêtre pour administrer ce sacrement : il n’était pas le seul à penser ainsi et l’on discuta longuement sur la formule proposée (Errores, Confirmation, n. 4)[26] : « Confirmationis ministrum non esse solum episcopum, sed quemvis sacerdotem ».

Par trois fois, parmi les théologiens, dans la Congrégation générale des Pères, et à propos du schéma proposé, les formules les plus diverses, furent mises en avant : néanmoins, d’après Severoli[27], l’évêque d’Accia souleva la réprobation générale en déclarant que le Pape ne peut faire confirmer un simple prêtre « contra statutum Concilii Florentini, cuius verba factum, non ius sonare dixit ». Et, de fait, le Concile finit par se rallier à ceux qui demandaient qu’ici encore on renouvelât telle quelle la formule de Florence (2-3 mars)[28].

Dans les discussions, en dehors de la formule courante « damnatus in Florentino », les Actes en offrent parfois d’un peu plus précises[29] : « Haereticus, ut in Concilio Florentino » (Ludov. Vitriarius, Conc. Trid. 5, 846), « haereticus et damnatus in Conc. Florent. » (Ioannes Consilii, 853), « articulus haereticus,

… licet non proabetur ex scriptura, sed probatur auctoritate Patrum et Concilio-rum Lateranensis, Constantiensis et Florentini » (Vincentius de Casale, O. P., à propos de la transsubstantiation, 926). L’évêque de Saluces (p. 925) : tous les articles proposés sont à condamner « et censet amplectendam formam traditam[30] in concilio Florentino et damnetur sub anathemate qui illam doctrinam non recipit. » Le général des Carmes (p. 968, votum in extenso) à propos du septenaire des sacrements demande que « sicut in concilio Florentino determinatum est esse septem et ex eo non pauciora, ita nunc desidero ut in hoc sacrosancto concilio Tridentino statuatur ca non esse plura quae vere et proprie sacrementa dici possint ». On remarquera, dans ce dernier texte, le parallélisme établi entre le décret de Florence et celui que prépare Trente. A propos des sacrements de l’ancienne loi ou de l’intention du ministre, il ne faut pas omettre de condamner les opinions protestantes proposées, ne pas dissimuler, puisque elles ont déjà été condamnées à Florence[31].

Il sembla donc bien que, dans les délibérations de Trente, le décret pro Armenis ait pris rang purement et simplement parmi les grands documents dogmatiques de l’Eglise[32]. Et c’est aussi la place qu’il conserve chez les Théologiens qui suivent immédiatement.

Le cardinal Van Rossum cite Ruard Tapper et les franciscains Ovandus et Angles parlant de la définition du Concile de Florence à propos de la matière de l’ordre[33]. On peut y ajouter, toujours au sujet du même sacrement, Vasquez (in III, D. 239, n. 6) : ut definit Eugenius IV[34] ; Maeratius (Disputationes, Paris, 1633, t. 3, D. 6, p. 688) : ita definitum a concilio Florentino. Tanner (de Ordine, D. 17, n. 75), Capponi a Porrecta (in Supplem., q. 37, a. 5) qualifient d’error tout sentiment opposé.

Suarez, à propos du ministre de la Confirmation (de Sacramentis, D.,36, s. 2, n. 14), parle d’une doctrine que « Concilia Florentinum et Tridentinum indicant, dum definiunt solum episcopum esse ministrum. ».

Examinant la forme du baptême chez les Grecs : « Baptizetur servus Christi… », il déclare « Certum de fide » qu’elle est valide et après avoir rappelé les doutes de certains scolastiques, il conclut : « Tamen post consilium praecipue Florentinum, certum est illam formam esse sufficientem. » (D. 21, sect. 2). Que tous les sacrements sont composés ex rebus et verbis « ex traditione Ecclesiae constat, ut Concil. Florent. tandem explicuit. » Ici, le mot est moins expressif : mais, D. 11, sect. 2, Suarez parle expressément des « definitiones Conc. Florent. et Trident. » Ce décret est donc, pour lui comme pour ses contemporains, un document, dogmatique dont l’autorité est décisive.

A ce moment-là, un nouveau problème vient compliquer la question, jusqu’alors, en somme, assez simple : lorsque Bellarmin (de Ordine, I, c. 9), Valentia, Vasquez discutent quelle est la matière de l’ordre, c’est l’opinion de certains scolastiques comme saint Bonaventure et Durand qu’ils réfutent, ce sont les canons du pseudo-Concile de Carthage (Statuta Ecclesiae antiqua) dans lesquels ils ont à envisager le cas d’une ordination par simple imposition des mains[35]. Il n’est pas question de l’usage des Grecs en cette matière ; et quand Suarez (de Sacramentis, D. 2, sect. 6) veut citer des exemples de variations entre les deux Eglises orientale et occidentale, pour l’administration des sacrements, il cite le Baptême, 1’Eucharistie, Mais ne parle pas, de l’Ordre.

Il semble donc bien que ce soit dans la première moitié du XVIIième siècle que la question des ordinations grecques ait fait son entrée dans les discussions théologiques : c’est vraisemblablement le livre d’Arcudius De Concordia Ecclesiae occidentalis et orientalis in septem Sacramentorum administratione, Paris, 1626, qui porta la question devant le public théologique et la mit à l’ordre du jour. Même après cette date, on trouve encore Mastrius, par exemple, qui, en 1655, discute sur la matière de l’ordre sans la toucher (in IV, D. 4, q. 3) : mais le problème est alors définitivement soulevé.

Traitant de l’ordre et analysant avec précision les rites qui le confèrent dans l’Eglise grecque, Arcudius arrive (livre 6, chap. 3) à cette conclusion que dans l’Eglise grecque il n’y a pour le diaconat et la prêtrise d’autre matière que l’imposition des mains, que les traditions de vêtements ou d’instruments qui suivent ne sont que des cérémonies accessoires. Du coup, l’antinomie se posait avec le décret ad Armenos qui, en fait de matière de l’ordre, ne parlait que de la tradition des instruments. Dès lors, cette difficulté va dominer toute la critique théologique de notre document.

Arcudius, du reste, l’avait examinée ex professo dans son chapitre 5 : elle lui était posée par le fait que « quidam recentiores latinorum », affirmant que le rite essentiel de l’ordination devait être le même chez les Grecs que chez les Latins[36] (1) et ne trouvant pas chez les premiers la. tradition des instruments, seule matière indiquée à Florence, « negant eos habere sacerdot-iuni ». Après avoir réfuté un argument ad hominem tiré de la prétendue acceptation du décret ad Armenos par les Grecs, Arcudius en vient aux principes à sauvegarder : 1) tout d’abord, le décret a été porté par le même Concile œcuménique qui a accompli l’union des Grecs : le nier serait, d’après Arcudius qui s’appuie sur l’autorité du cardinal Sanctorius, une opinion non tuta, sed haeresim sapiens. 2) Ce décret n’est pas adressé aux Grecs mais aux seuls Arméniens. 3) La doctrine contenue dans ce décret d’un Concile œcuménique « hanc inquam, doctrinam ut talent esse veram, et catholicam, utque talent cuilibet catholico latino vol graeco, tenendam esse, tuendam atque defendendam ». S’ensuit-il que les Grecs soient obligés d’ordonner comme les Latins ? Non, puisque le décret ne leur est pas adressé et ne leur impose pas la matière plus complète qu’il prescrit aux Arméniens : pour eux, il leur suffit d’employer le rite en usage chez eux et de ne pas condamner ceux qui font autrement. La difficulté se résout en admettant une différence de matière entre les deux Eglises.

Ces explications d’Arcudius entrèrent vite dans l’enseignement théologique : elles sont résumées avec grande précision par Sylvius (in III, Suppl., q. 37, a 2, quaeritur 4) en 1637[37] le célèbre professeur de Douai conclut : « Neque hinc sequitur quod latini possint solis, materiis et formis graecorum ordinare presbyteros : quoniam Ecclesia, pro latinis determinavit instrumenta… idque iuxta facultatem… a Christo sibi relictam ; pro Graecis autem non sic determinavit. »

Ce pouvoir accordé par le Christ à l’Eglise, permit à beaucoup de théologiens de maintenir à la fois la valeur incontestable des ordinations grecques et celle qu’on accordait communément au décret de Florence : ainsi Lugo (de Sacramentis, D. 2, n. 2, en 1636), chez qui cependant je n’ai pas trouvé le mot de définition. Mais Amicus, S. J., à Douai, en 1640, parle de la matière du diaconat : « Ut definit Conc. Florentinum (de Sacram., D. 2, n. 28, cf. n. 58 sur le pouvoir de l’Eglise). Arriaga en 1655 : « Cura definitione Eugenii IV » (de Sacram., D. 6, n. 11, cf. de Ordine, D. 54, n. 26). Esparza à Rome, en 1660 : « Propter apertam definitionem Florentini », en parallèle avec la « definitio Tridentini » (de Ordine, q. 104 à 11, cf. a 7 et de Sacramentis, q. 4, sur la détermination de la matière in genere). G. de Rhodes, en 1671 (Disputationes Theol., t. 2, p. 662), admet une diversité de matière et approuve Vasquez taxant d’erreur, après le Concile de Florence, l’opinion niant (pour les Latins) que la tradition du livre soit essentielle dans le diaconat. Le cardinal de Lauria, en 1681 (de Ordine, D. 6, n. 89, cf. n. 102) « nostra conclusio est mera concilii (Florentini) doctrina, nec potest defendi contrarium ». Compton (Theologiae Cursus, Anvers, 1710, t. 2 D. 63, s. 6, n. 9) : « Hoc tamen post Florentinum videtur sustineri non posse cum in decreto ad Armenos, Pontifex contrarium expresse docere videatur. »

Marin, Theologia, tract. 18, D. 1, Venet. 1720), n. 74, 76, le Christ a institué les matières et formes des sacrements : « Formaliter, non materialiter », le Concile de Trente les a indiquées pour quelques-uns « et Florentinum definivit de omnibus » (n. 20). Dans le même sens, le cardinal Gotti, en 1735 (de Ordine, q. 6, n. 13 et 26) qui remarque que « Ecclesia latina usa est potestate sibi a Christo relicta matis determinnandi ritum ».

Mais d’autres théologiens cherchaient ailleurs une solution qui leur paraissait à la fois tenir pleinement compte des beaux travaux liturgiques du XVIIième siècle et maintenir le principe, pour eux intangible, signalé plus haut chez Suarez et Vasquez : la matière et la forme nécessaires et suffisantes en un lien et un temps donnés pour la validité d’un sacrement sont aussi nécessaires et suffisantes dans tous les lieux et tous les temps de l’histoire de l’Eglise.

En 1639, Urbain VIII faisait réunir â la Propagande une Commission pour préparer une édition revue de l’Euchologe grec[38] : quand on en vint à examiner les rites de l’ordination, le rapporteur, Vincent Richard, théatin, considérant la question comme définitivement tranchée par le Concile de Florence, demanda qu’on changeât la matière du sous-diaconat (imposition des mains) du rituel grec en lui substituant celle qui seule était valide, celle de l’Eglise latine. D’autres membres de la Commission, par exemple le cistercien Hilarion, s’y opposèrent, faisant remarquer que l’Eglise, jusque là, avait toujours accepté comme valides les ordinations faites suivant le rite qu’on voulait proscrire : c’est ce fait indéniable qu’Arcudius objectait lui aussi à ceux qui, déjà quinze ans avant, révoquaient en doute la valeur des ordres grecs.

Le 9 juillet, on adjoignit à la Commission de nouveaux consulteurs parmi lesquels le célèbre converti oratorien, Jean Morin, qui, partant du principe que les ordres conférés dans l’Eglise grecque avant le schisme étaient sûrement valides, montra ensuite que les rites actuels des Grecs étaient les mêmes que ceux d’autrefois et ainsi fit définitivement trancher la question en leur faveur. Restait la difficulté du Concile de Florence : Morin, si on en juge par son de Sacris ordinationibus, ne paraît guère avoir été impressionné par elle : dans ses Exercitationes VII et IX sur la matière de la prêtrise et du diaconat, il ne la discute même pas[39], la décision de la question appartenant pour lui quasi exclusivement aux documents liturgiques. A la Commission, la majorité rejeta l’opinion du premier rapporteur : le Concile de Florence, supposant l’imposition des mains que les Arméniens avaient déjà comme les Grecs, s’était contenté de leur indiquer la matière plus complète qu’en fait on leur demandait d’adopter pour plus de conformité avec les Latins. Le document n’était pas une définition sur la nature du sacrement, mais simplement une instruction pratique pour les Arméniens (in praedicta instructione definitiom de fide non contineri) »[40].

Cette dernière solution fit, fortune lorsque les travaux de Morin et des autres liturgistes du XVIIième siècle eurent mis en pleine évidence l’origine relativement récente de la tradition des instruments, même dans l’Eglise latine. On ne pouvait plus, dès lors, maintenir l’invariabilité absolue de la matière du sacrement qu’en la réduisant à la seule imposition des trains, puisque seul ce rite se trouvait partout : il y eut bien quelques tentatives pour essayer de conserver et la thèse de l’invariabilité et celle de la tradition des instruments ou, tout an moins, de la double matière[41] : mais c’était s’acculer à des solutions artificielles et à de vraies acrobaties exégétiques. A partir de la fin du XVIIième siècle chez les auteurs qui se refusent à admettre aucun pouvoir de l’Eglise sur les conditions de validité des sacrements et veulent cependant tenir compte des données historiques, c’est la seule imposition des mains qui est maintenue comme matière de l’ordre[42] et, comme le sens du décret de Florence est par trop clair, il faut admettre que ce Concile n’a nullement voulu définir la question, mais a simplement donné une instruction pratique ou tout au plus un enseignement non infaillible.

Déjà, en 1612, Becanus expliquait que le Concile avait voulu parler seulement de la matière accidentelle de l’ordre (de Sacrament., c. 24, q. 4, n. 6-7) ; Coninck, en 1615, estimait qu’il avait simplement entendu « aliquid exempli gratia narrare ». Dom Ménard (dans Migne, P. L. 78, 494) parle de matière accessoire ou intégrante ; Tournely (de Ordine, q. 3, concl. 1, ad 1) lui aussi n’ose pas suivre ceux qui nient purement et, simplement l’autorité du document et reprend la même formule : matière accessoire que le Pape désire voir les Arméniens ajouter à l’imposition des mains qu’ils avaient déjà. L’adhésion de Benoît XIV à cette explication (de Synodo, VIII, c. 10, n. 8) achève de lui rallier les suffrages, celui en particulier de saint Alphonse de Liguori (Theol. Moral. VI, tract. 1, n. 12). C’est depuis lors l’interprétation ordinaire de ceux qui veulent sauvegarder à la fois l’autorité du décret et la thèse de l’imposition des mains, seule matière : ainsi les cardinaux d’Annibale et Gasparri, dans les textes cités au début de cet article ; ainsi Pesch (Praelectiones, t. 7, n. 628), ainsi Perrone, (de Ordine, n. 126), Knoll a Bulsano (t. 5, p. 593, tract. 2, c. 6, a. 3), Schanz (Lehre von Sakrament, 1893, n. 51, p. 684), Pohle (Dogmatik 4. ed., III (1910), p. 555), etc.[43].

Certains, cependant, trouvent cette explication bien artificielle et bien difficile à concilier avec l’ensemble du texte d’Eugène IV ont cherché une solution plus logique : déjà Witasse, par exemple (de Ordine, p. 2, q. 2, a. 2), pensait que le Pape exprimait simplement son opinion ; Gihr (Les Sacrements, trad., Paris, 1900, t. 4, § 17, n. 7, p. 175) déclare, en s’appuyant sur Prileszky, que le décret reproduisant un opuscule de saint Thomas « n’a, par conséquent, d’autre autorité que celle qui appartient en propre (à cet opuscule) ». Décret purement disciplinaire, adressé aux seuls Arméniens, simple document historique sans autorité dogmatique proprement dite, acte émanant uniquement de la chancellerie pontificale et non du Concile œcuménique de Florence…, telles sont les formules qui tendent à prévaloir pour caractériser ce document chez la plupart des théologiens récents.

Mais alors, comment expliquer l’usage qui en a été fait, comment justifier le recours que l’on a encore lui dans tant de thèses de théologie sacramentaire ? Une réaction a commencé à se produire contre cette dépréciation excessive d’un document si important. Elle se marquait déjà, à la fin du XVIIième siècle, dans les Wirceburgenses (de Ordine, n. 109) : elle s’affirme avec la plus grande netteté chez un certain nombre de théologiens récents.

Les uns, reprenant la position de Lugo, admettent que l’Eglise a reçu le pouvoir de déterminer davantage la matière essentielle de certains sacrements et qu’elle en a usé pour l’ordre dans l’Eglise latine : ils sont, dès lors, tout à leur aise pour laisser au décret de Florence sa pleine valeur dogmatique : ainsi le cardinal Billot qui revendique pour ce document une plena auctoritas (de Sacramentis, 3e éd., II (1901), t. 30, p. 276), ainsi Mgr Gutberlet et F. Schmidt, dans deux articles de la Zeitschrift für kath. Theologie (1901, p. 633 et 1908, p. 261) ; ainsi Hurter qui, dans les éditions successives de son Compendium se rallie de plus en plus nettement à la thèse de Lugo, précisément « ob Eugenii decretum quod tam levi manu illud esse tantum instructionem praeticam negligi nequeat, cum alioquin theologi in re sacramentaria decretum hoc magno invocent consensu (édit. 12, 1908, t. 3, n. 576)[44].

D’autres maintiennent la, double thèse de l’immutabilité absolue des conditions de validité établies par le Christ pour les sacrements et, par conséquent, de l’imposition des mains seule matière, mais au lieu de biaiser avec le texte d’Eugène IV reconnaissent nettement qu’il est contre leur thèse, que c’est un décret dogmatique qui « doctrinam exhibet tum temporis magis in Ecclesia receptam », mais qui « valorem documenti ab ordinaria Magisterii auctoritate conditi non excedit ». D’où ils concluent que ce texte n’étant pas infaillible on peut, pour des raisons très graves s’écarter de son enseignement et ils estiment que la nécessité de sauvegarder la doctrine de l’immutabilité absolue dans la matière essentielle des sacrements constitue cette raison très grave. C’est la position prise par le cardinal Van Rossum dans sa remarquable dissertation de Essentia sacramenti ordinis (1914, p. 154-187), position dont on peut discuter le présupposé fondamental, mais qui, du moins, est parfaitement scientifique et cohérente[45].

L’accord tend donc à se faire sur la valeur du décret pro Armenis, indépendamment des thèses soutenues par chacun, touchant l’essence du sacrement de l’ordre : reste à examiner si l’étude du texte lui-même et des circonstances où il fut promulgué justifie l’opinion qui tend à prévaloir.


II- L’HISTOIRE DU DÉCRET.

Lorsqu’après avoir parcouru le relevé d’opinions ébauché dans le précédent article, on en vient à étudier directement le texte du décret pro Armenis, il faut bien constater tout d’abord que, faute d’attention, on a parfois mis en doute des points qui auraient dû rester hors de conteste. Que ce décret pris dans son ensemble soit un acte solennel du Concile œcuménique de Florence, au même titre que l’acte d’Union des Grecs, que son caractère général soit dogmatique et non simplement disciplinaire, la chose est certaine. Quelle a été l’intention précise du Concile en expliquant les sept sacrements dans la cinquième partie du décret ? Voilà qui est moins clair et ne saurait, peut-être, recevoir une réponse aussi simple et catégorique que celle qu’on donne souvent. C’est ce que nous rechercherons après avoir mis hors de cause la première assertion.

Nous avons déjà indiqué pourquoi le décret ad Armenos s’est transmis jusqu’à nous dans les listes de citations avec cette référence « in concilio Florentino post ultimam sessionem », et pourquoi on a si souvent affirmé qu’il n’émanait pas du Concile lui-même, mais seulement d’Eugène IV. Le Concile a été surtout connu d’après ses actes grecs qui, traduits par Abraham de Crète sont entrés en 1538 dans la deuxième en date des collections de conciles, celle de Crabbe : or, ces Actes rédigés du point de vue grec (par un catholique du reste), s’arrêtent au départ de l’empereur et des évêques grecs, le 26 août 1439, sans rien dire de la continuation du Concile. Crabbe leur a joint à la fin de son second volume, mais sans rien qui la rattachât au Concile, la Constitution Exultate Deo pour les Arméniens après lui, Surius et les autres collecteurs de Conciles ont reproduit le tout tel quel, jusque et y compris la réédition toute récente de Mansi (t. 31, 1047).

Mais si les actes du Concile après la Ve session publique du 6 juillet 1439, n’existent plus ou du moins sont inconnus jusqu’ici, il reste deux histoires du Concile, celle d’André de Sainte-Croix[46], qui y avait assisté, et celle du chanoine siennois Augustin Patricio, écrite en 1480 : or, nous savons par l’un et par l’autre que 1e Concile fut continué après le départ des Grecs, puis transféré au Latran, et Patricio en particulier consacre un chapitre à la VIIe session solennelle où fut proclamée l’union des Arméniens[47].

Il suffisait, du reste, de lire le document lui-même pour y voir la formule consacrée « sacro hoc approbante Florentino concilio »[48] et tout doute, cesserait en parcourant dans le texte complet : publié par Balgy[49] la liste des signatures (Ego… suscripsi) comprenant huit cardinaux, deux patriarches, cinq archevêques, trente-six évêques et vingt-cinq abbés.

Dans l’acte d’union des Jacobites (2 février 1442) promulgué lui-même « sacro approbante œcumenico concilio Florentino », Eugène IV rend grâces à Dieu pour la triple union (Grecs, Arméniens et Jacobites) réalisée en trois ans « in bac sancta œcumenico synodo )[50].

Reste à déterminer la nature exacte de cet acte solennel du concile, soit pris dans son ensemble, soit spécialement pour la section sur les sacrements. Il convient, tout d’abord, de comparer les trois actes d’union avec les Grecs, les Arméniens et les Jacobites, que pour plus de commodité nous désignerons par les lettres G, A, J. Les trois documents commencent chacun par des actions de grâces rendues à Dieu pour la concorde et l’union rétablies entre les Eglises : G : Laetentur coeli (Mansi, 31, 1025-1027 B). A : Exultate Deo… (1047-1049 D). J. : Cantate Domino (1734-1735 A).

Tous trois rappellent ensuite la venue à Florence des évêques ou des délégués de chacune des trois Eglises, les conférences qui ont eu lieu entre Latins et Orientaux ; les deux premiers actes indiquent même les points principaux sur lesquels on a discuté (G, 1027 B, A, 1049 E, J, 1735 B). Comme conclusion des négociations la partie doctrinale des décrets est introduite de la manière suivante.


G (1030 D)
A (1050 B)
J (1735 D).
Et cum ex his omnibus unes et idem eliciatur veritatis sensus, tandem in infrascriptam sanctam et Deo amabilem unionem unanimiter concordarunt et consenserunt. In nomine igitur Sanctae Trinitatis, Patris et Filii et Spiritus sancti, hoc sacro universali approbante Florentino Concilio, diffinimus ut hanc fidei veritas ab omnibus christianis credatur et. suscipiatur, sicque omnes profiteantur quod Spiritus Sanctus ex Patre et Filio aeternaliter est… … post rerum discussionem : tandem expedire iudicavimus, ne ulla in futurum de fidei veritate apud ipsis Armenos haesitatio esse valeat, atque idem per omnia sapiant cum sede apostolica, unioque ipsa stabilis et perpetua sine ullo scrupulo, perseveret, ut sub quodam brevi compendio orthodoxae fidei veritatem quam super praemissis Romana profitetur Ecclesia, per hoc decretum, sacro hoc approbante Florentino Concilio, ipsis oratoribus ad hoc etiam consentientibus, traderemus.

In primis ergo eis damus… Sanctum Symbolum…

… diligenter examinari fecimus ; et tandem quantum visum est fore necessarium, exposita eidem abbati (l’envoyé) Sanctae Romanae Ecclesiae fide catholica, et per ipsum humiliter acceptata, hanc quae sequitur veram necessariamque doctrinam hodie in hac solemni sessione, sacro approbante oecumenico Concilio Florentino, in nomine domini tradidimus. In primis igitur Sacrosancta Romana Ecclesia, domini et Salvatoris nostri voce fundata, firmiter credit, profitetur et praedicat…

De la comparaison de ces formules ressort tout d’abord le caractère dogmatique et non disciplinaire qu’ont, dans leur ensemble, les trois documents : il s’agit d’enseigner la vraie foi qui doit être crue, reçue et professée par tous les chrétiens (G) ; la vraie foi que professe l’Eglise romaine (A) ; la doctrine vraie et nécessaire… que l’Eglise romaine croit fermement, fondée sur les paroles de Notre-Seigneur (J).

On remarquera, en revanche, la différence de ton très sensible entre G et A J : dans G, l’intention de définir, solennellement et sans appel, est manifeste ; dans les deux autres, surtout dans A, elle est beaucoup moins claire ; toutefois eux aussi n’enseignent pas seulement ce que doivent tenir Arméniens ou Jacobites, mais ce qui est la foi de toute l’Eglise et, par conséquent, s’adressent indirectement à tous les fidèles, comme tant d’autres documents qui, à propos d’une erreur particulière, enseignent ce que tous doivent tenir.

Dans G, après la définition de la procession ex utroque, viennent une série d’autres définitions, toutes introduites par la même formule : Diffinimus insuper (addition du Filioque légitime)… Item (valeur de la consécration in azymo et in fermentato)… Item (admission à la vision béatifique avant le jugement)… Item diffinimus sanctam apostolicam Sedem (primauté).

Enfin, une disposition disciplinaire : renovantes ordinem Patriarcharum…, puis la date et les signatures sans aucune clausule.

Dans A, l’exposé est d’allure très différente : le Concile ne définit pas lui-même ce qu’il faut croire, mais donne une série de documents où les Arméniens trouveront la foi de l’Eglise Romaine, en y joignant un certain nombre de prescriptions d’ordre disciplinaire. Voici la série des huit sections :

1) Damus eis Sanctum symbolum (de Nicée, avec le Filioque)… cuius tenor est… Et decernimus que ce symbole sera chanté comme chez les Latins dans toutes les églises arméniennes, au moins le dimanche.

2) Tradimus eis definitionem IVe Concilii Chalcedonensis… cuius tenor est…

3) Diffinitionem de duabus voluntatibus (sixième Concile) cuirs tenor talis est…

4) Les Arméniens ayant toujours refusé d’admettre le Concile de Chalcédoine et saint Léon, affirmant qu’on leur a persuadé que pape et concile étaient tombés dans l’hérésie de Nestorius : instruximus eos et declaravimus huismodi falsam fuisse suggestionem… ; iniunximusque ut… Leonem… tanquam sanctum… reputent et venerentur… et de recevoir, non seulement les trois premiers Conciles, mais ainsi tous les autres qui ont été tenus par l’autorité du Pontife Romain.

5) …Ecclesiasticorum Sacramentorum veritatem. pro ipsorum Armenorum tam praesentium quam futurorum faciliori doctrina, sub hac brevi redigimus formula : …

6) … Compendiosam illam fidei regulam per beatissimum Athanasium editam, ipsis praebemus oratoribus, cuius tenor talis est : …

7) Decretum unionis cum Graecis consummatae pridem in hoc sacro œcumenico Florentine, concilie, promulgatum, cuius tenor talis est : …

8) Les Arméniens discutent même entre eux sur la date de certaines fêtes et la vérité ayant été mise dans son plein jour par les témoignages des Pères et la coutume de l’Eglise Romaine et de toutes les autres, pour que la différence de rite dans ces grandes fêtes ne soit pas une occasion de troubles pour la charité, decernimus tanquam veritati et rationi consentaneum… que les Arméniens célèbrent ces fêtes (Noël…) le même jour que les autres.

La dernière partie du décret comprend l’acte d’acceptation et d’union des délégués Arméniens. Les collections de Conciles reproduisant A tel qu’il fut inséré dans J et publié dans les premiers recueils, ne donnent que le début de cet acte : il est complet dans Raynaldi (1439 n. 16) et dans Balgy (loc. cit.). Les délégués y déclarent accepter le décret du Concile « cum omnibus suis capitulis, declarationibus, diffinitionibus, traditionibus, praeceptis et statutis, omnemque doctrinam in ipso descriptam… » Puis, après lecture solennelle du décret, les Arméniens firent en leur langue une déclaration aussitôt traduite par l’interprète, le frère mineur Basile, et insérée dans le document. Pour mieux exprimer leur pensée, ils reprennent, en les résumant, les huit sections du décret : il est intéressant de voir par quels mots elles sont caractérisées dans la traduction latine faite sur place : « 1) traditis symbolum… cum illa additione… legi debeat ; 2) diffinitionem concilii IVi ; 3) diffinitionem de duabus Christi voluntatibus ; 4) declaratis quod… iubetisque ut… suscipiamus ; 5) brevem formulam septem sacramentorum videlicet… declarando quae sit cuiuslibet sacrementi materia, forma et minister, quodque in sacrificio altaris, dum calix offertur, vino paululum aquae admisceri debeat ; 6) compendiosam b. Athanasii fidei regulam ; 7) decretum unionis… continens qualiter Spiritus Sanctus… et quod… : quid etiam sit credendum de poenis purgatoriis… ; 8) decernitis… »

Le décret des Jacobites a lui aussi son allure spéciale : il comprend dans sa partie doctrinale trois grandes sections

A) Une série de professions de foi, suivies d’anathème contre ceux qui enseignent le contraire : Ecclesia Romana.

1) Firmiter credit et profitetur et praedicat (Trinité). Quoscumque ergo adversa et contraria sentientes reprobat, damnat et anathematizat et a Christi corpore, quod est Ecclesia alienos esse denuntiat. Hinc damnai Sabellium… etc.

2) Firmissime credit, profitetur et praedicat (Dieu, créateur de tout, auteur des deux Testaments, canon des Ecritures). Anathème aux Manichéens.

3) Firmissime… (incarnation et rédemption). Anathème à Ebion, Cérinthe, etc…

4) … Péché originel et nécessité du salut par Jésus-Christ.

5) … Cessation de la loi ancienne, de la distinction des aliments… Anathème à ceux qui continueraient d’observer la circoncision ou le sabbat, suivi de prescriptions disciplinaires.

6) … Nécessité d’appartenir à l’Eglise.

B) Réception des Conciles œcuméniques sous la formule répétée pour chacun : Amplectitur, approbat et suscipit Sanctam Nicaenam synodum… Constantinople, Ephèse (anathème au brigandage d’Ephèse), Chalcédoine, Constantinople II et III.

Puis formule générale : Amplectitur etiam, veneratur et suscipit omnes alias universales synodos auctoritate Romani pontificis legitime congregatas ac celebratas et confirmatas, et praesertim hanc sanctam Florentinam, in qua inter alia Graecorum et Armenorum sanctissima unio consummata est et multae circa utramque unionem saluberrimae diffinitiones editae sunt, prout in decretis desuper promulgatis plenius continetur, quorum tenor in hunc modum sequitur (suivent in extenso G et A).

C) Deux compléments sont ajoutés à A pour la doctrine sur les sacrements :

1) Sur l’Eucharistie, le décret donne les paroles de la consécration parce que dans A « non est explicata forma verborum… » ; il précise la matière et ajoute que nullatenus, dubitandum est, que la transsubstantiation ait lieu aussitôt après la consécration (contre les doctrines orientales sur l’Epiclèse).

2) … declaramus (sur la licéité des quatrièmes noces). Le décret se termine comme A par l’acte d’acceptation des délégués Jacobites, dans les mêmes termes que celui des Arméniens (sauf le résumé du décret qui est réduit ici à une ligne) ; il n’y a, au moins dans le texte imprimé, les signatures, que de douze cardinaux parmi lesquels Bessarion (Gard. du titre des Douze Apôtres)[51].

On voit par cette analyse un peu longue, mais nécessaire, qu’on peut assez nettement distinguer dans nos documents quatre ordres d’éléments

1) Des définitions portées par le Concile en son nom propre ; 2) des définitions de Conciles antérieurs qu’il renouvelle ; 3) des déclarations et explications doctrinales ; 4) enfin des décisions disciplinaires.

G ne contient que 1) et 4) ; A n’offre que 2), 3), 4), et J 1), 2) et 3) (à moins qu’on ne compte les décrets disciplinaires de G et A qu’il applique aux Jacobites). Les formules analysées plus haut, p. 121, laissaient incertain le caractère de définition pour A et J : il semble nue pour la première partie de J tout doute doive cesser devant les expressions si catégoriques qui y sont employées et l’anathème qui les suit. Au contraire pour A, dans les deux seules parties doctrinales qui lui sont propres (savoir 4) et 5), rien n’autorise à y voir plus qu’une simple déclaration doctrinale, authentique et solennelle, mais sans intention de définir. On voit, en effet, facilement que dans la phrase si souvent citée de l’acceptation, les definitiones regardent les décisions renouvelées des anciens Conciles, les capitula et declarationes nos sections 4) et 5) les traditiones, praecepta et statuta soit la section finale sur les fêtes, soit les diverses prescriptions annexées aux exposés doctrinaux (par exemple sur les honneurs à rendre à saint Léon, sur l’usage de mettre de l’eau dans le calice, etc.…) Un seul mot pourrait faire douter : on a vu que dans J, le Concile adhère de nouveau aux décisions déjà promulguées par lui dans la double union des Grecs et des Arméniens et aux « Multae circa utramque unionem diffinitiones editae » : quelles peuvent être ces définitions portées dans l’Union des Arméniens ? Il paraît difficile d’appliquer le mot aux anciens Conciles que J lui-même vient de renouveler explicitement : il ne reste plus guère que la déclaration sur l’orthodoxie de saint Léon et de Chalcédoine et la section sur les Sacrements. Faut-il donc en conclure qu’Eugène IV et le Concile considéraient cette section comme une définition portée par eux ? Si oui, la question serait tranchée, la valeur des décisions d’un Concile dépendant non de telle ou telle forme, mais de son intention suffisamment manifestée.

Toutefois, on pourrait se demander si précisément cette intention a été suffisamment manifestée ; il est assurément très remarquable de voir le Pape placer son décret ad Armenos dans la même série que les définitions de sept grands Conciles et que l’union solennelle des Grecs, et cela sans rien qui indique une différence d’autorité entre ces divers documents. Néanmoins, étant donné la forme de A, notablement différente de celle de G et J, on peut hésiter à prendre le terme de definitio qui lui est appliqué dans un sens absolument rigoureux.

Que si nous passons à l’étude particulière de la section sur les sacrements, nous arriverons à des conclusions pareilles. Le texte de cette section est, on le sait, en grande partie emprunté à un opuscule de saint Thomas, le de articulis symboli et sacramentis Ecclesiae ad archiepiscopum Panormitamum[52]. On argue souvent de ce fait comme incompatible avec le caractère de définition dogmatique : le Concile, dit-on, n’a pu vouloir transformer en dogmes tout un traité de théologie. L’argument paraît, à tout le moins, bien faible. Car le dit opuscule n’est nullement un traité spéculatif, systématique, mais bien un très bref et très concis exposé de la doctrine catholique rédigé par le saint pour le prélat qui le lui avait demandé[53] ; à priori, donc, il n’y aurait rien d’impossible, ni même d’invraisemblable à ce qu’un Concile prit ce texte comme base pour rédiger une définition. Je dis simplement comme base : car les modifications (coupures et additions) apportées à la rédaction de saint Thomas sont beaucoup plus considérables que ne le laisseraient croire les expressions de plusieurs théologiens récents. Aussi sera-t-il intéressant, après avoir précisé les antécédents du décret et les circonstances dans lesquelles il fut porté, de comparer en détail les deux textes : on pourra alors déterminer plus exactement ce qu’a voulu le Concile.

Les lettres de pouvoir des quatre délégués Arméniens venus à Florence sont signées par Constantin, patriarche de Vagarsabath[54] : il s’agit du Catholicos, Constantin VI Vaghkatzi qui gouverna l’Eglise arménienne de 1429 à 1439 (les pouvoirs sont du 25 juillet 1438). Bien que portant le titre de Vagarsabath (depuis Etchmiadzin) l’ancienne capitale de la Grande Arménie, le Catholicos résidait alors à Sis, en Cilicie, où avait été la capitale du royaume mi-oriental, mi-latin de Petite Arménie, gouverné, de 1342 à sa destruction en 1375, par les Lusignan[55].

L’Eglise Arménienne, fondée ou développée par saint Grégoire l’Illuminateur, avait rompu définitivement l’unité vers 527, au synode de Tvin, sous le Catholicos Nersès[56] ; elle avait embrassé alors le monophysisme, condamnant le Concile de Chalcédoine et la lettre de saint Léon à Flavien, comme infectés de Nestorianisme, et se séparant ainsi à la fois de Rome et de Constantinople. Depuis lors des tentatives multiples furent faites pour renouer avec Constantinople, et il y eut même des périodes d’union éphémère et incomplète[57].

Avec Rome, il y eut des relations et des essais d’union dès le haut moyen âge : l’union fut réalisée au moins partiellement et par intervalle au temps des Croisades, en 1198, entre Innocent III et le catholicos Grégoire : parmi les successeurs de celui-ci les uns semblent avoir été franchement unis à Rome, d’autres plus froids sinon hostiles : la question religieuse restait compliquée par la question politique, besoin de secours contre les Mahométans, relations plus ou moins bonnes avec les latins de Palestine et de Chypre. Dès 1142, le catholicos Grégoire III avait assisté au synode latin de Jérusalem et le légat pontifical présent au synode lui avait demandé le changement de certains usages particuliers aux Arméniens et peu conformes à la vraie foi. Dès lors, dans toutes les négociations reviendra cette question des usages particuliers que les Latins demandent de supprimer, sans distinguer souvent des points capitaux comme le divorce en cas d’adultère et de simples points de pure discipline. Il serait trop long de suivre ces séries de Conciles et de correspondances dont on peut voir le détail dans le beau livre du P. Tournebize. Lorsque en 1293 le Catholicos transporta sa résidence à Sis, les relations avec les Latins devinrent plus fréquentes encore : frères mineurs et frères prêcheurs ont leurs couvents dans le royaume d’Arménie et sont les intermédiaires habituels entre le Saint Siège et le Catholicos. Le grand Concile de Sis, en 1307, complété par celui d’Adana, en 1316, non seulement consacra l’accord dogmatique complet, mais tenta de réformer plusieurs usages liturgiques sur le modèle « de la grande et sainte Eglise catholique romaine »[58]. Mais si le Concile avait groupé vingt-cinq évêques et dix-sept vartabeds ou docteurs, il ne put réaliser l’union générale : à l’Orient surtout, dans la grande Arménie, il resta beaucoup de réfractaires.

C’est pour promouvoir cette cause que, vers 1330, le frère prêcheur Barthélemy le Petit et le Vartabed Jean de Kerna fondèrent sous la règle dominicaine l’ordre arménien des Frères Unis ou Uniteurs, qui, en 1356, passèrent sous l’autorité du Maître général des Frères prêcheurs à la manière d’un tiers-ordre régulier. Ces religieux qui existaient, encore au XVIIième siècle, firent immensément pour l’œuvre à laquelle ils s’étaient voués, pas toujours cependant avec assez de discrétion. Les historiens catholiques sont d’accord pour leur reprocher d’avoir souvent confondu eux aussi l’accord nécessaire sur le dogme et l’uniformité complète dans la liturgie et la discipline, utile et souhaitable peut-être, mais qu’il était peu sage d’exiger comme condition absolue de l’union[59].

Cette confusion se trouve déjà dans le catalogue de dix-neuf erreurs relevées par Jean de Kerna chez « les, Arméniens » en général, et sans distinguer assez entre l’Eglise arménienne officielle vraiment soumise au Catholicos et les communautés lointaines ou révoltées qui échappaient à son autorité[60].

Quelques années après, deux frères-unis, les évêques Nersès d’Ourmiah et Siméon de Garin, en contestation avec le Catholicos Mekhithar (1341-1355, le Consolator des documents latins), envoyaient au pape Benoît XII un long mémoire relevant cent dix-sept erreurs des Arméniens : d’une enquête prescrite par le Pape, il dut ressortir que ces accusations étaient fondées au moins en partie, car le 1er août 1341, à une demande de secours du roi Léon d’Arménie, le Pape répond qu’il ne peut accorder ces secours tant que subsisteront ces erreurs dont il envoie le catalogue aux Arméniens. C’est le document souvent cité, reproduit intégralement par Raynaldi, en partie par Denzinger[61].

Une première réponse rédigée par le frère mineur Daniel ne suffit pas au Pape qui insiste pour la tenue d’un synode destiné à réprouver ces erreurs. Le synode se tient en 1344 ou 1345 à Sis et rédige un mémoire justificatif adhérant à la doctrine catholique et répondant point par point aux cent dix-sept chefs d’accusation. Au début de 1346, Daniel et d’autres envoyés apportent à Clément VI, successeur de Benoît XII, les actes du Concile qui furent aussitôt transcrits[62]. Le 31 août, deux légats partent avec une lettre du Pape pour le Catholicos et un formulaire en cinquante-trois articles (perdu ou encore inédit). Leur mission accomplie, les légats reviennent en 1348, rapportant une réponse qui ne satisfait pas encore pleinement Clément VI : car, en 1351, il envoie encore une nouvelle lettre au Catholicos (ad Consolatorem) demandant diverses précisions sur des points restés obscurs dans la réponse de celui-ci et se plaignant de ce qu’en transmettant à son Eglise le formulaire envoyé, le Catholicos a supprimé seize des cinquante-trois articles[63]. Il semble que la dernière réponse ait été satisfaisante et que Mekhithar soit mort (1355) dans l’union complète avec Rome. Mais dès 1361, son second successeur Mesrob se prononce, dans un synode, pour la consécration faite sans eau dans le vin, un des points principaux du litige avec les catholiques[64]. En 1375, le royaume d’Arménie sombrait et son dernier roi latin, Léon de Lusignan, revenait mourir en France. Les relations et les négociations devinrent moins actives : l’Arménie resta séparée de Rome d’une manière plus ou moins explicite jusqu’au moment où les envoyés d’Eugène IV vinrent l’inviter à suivre les Grecs au Concile de Florence. Dès 1433, une invitation au Concile de Bâle avait été transmise par Constantinople au Catholicos Arménien[65]. En 1437, lorsque le Concile d’union fut définitivement convoqué à Ferrare, le Pape, chargea les frères mineurs François de Bologne, Louis de Bologne et Jacques de Primatis de porter une nouvelle invitation[66]. De Constantinople, les religieux se rendirent à la colonie génoise de Caffa en Crimée : cette ville était un des centres d’activité des frères-unis qui y avaient leur maison d’études[67], le gouverneur génois ou consul de la ville, Paul Imperiali, était tout dévoué à la cause de l’Union. Il y avait aussi là une communauté arménienne soumise au Catholicos de Sis. A peine les frères mineurs arrivés, on décida d’envoyer des délégués à Sis, auprès du Catholicos Constantin VI pour lui transmettre l’invitation[68]. Celui-ci répondit le 25 juillet 1438, en donnant pleins pouvoirs au Vartabed Sergius, son vicaire à Caffa, chargé de le représenter personnellement au Concile, à l’évêque Joachim de Père et aux Vartabeds Marc et Thomas[69]. Ces délégués passèrent de Caffa à Constantinople, mais y trouvèrent le patriarche et l’empereur déjà partis pour Ferrare[70]. Ils continuèrent leur route péniblement : ils arrivèrent. à Florence quelques jours après la cinquième session où avait été proclamée l’Union des Grecs. L’empereur, avant de repartir, les encouragea dans leurs désirs d’union[71]. Le Pape constitua, d’accord avec le Concile, une Commission pour discuter avec eux sur les divergences doctrinales et. disciplinaires[72]. Cette Commission était composée du cardinal Antoine Corratio, évêque d’Ostie, neveu de Grégoire XII, du Bienheureux Nicolas Albergati, cardinal de Sainte-Croix, et de Julien Cesarini, cardinal de Sainte-Sabine. Ce dernier avait déjà pris une part considérable à l’union des Grecs et au dire de son biographe, Vespasiano da Bisticci[73], ce fut encore lui qui, avec Thomas Parentuccelli (le futur Nicolas V, alors secrétaire du cardinal Albergati), furent encore les principaux ouvriers de cette nouvelle union. Avec les cardinaux conféraient de nombreux docteurs. On se réunissait dans le palais apostolique quasi tous les jours ; les conférences durèrent depuis le départ des Grecs jusqu’au 8 novembre, on y discuta « non minus religiose acuteve quam cum Graecis… de fidei sacramentis » et les Arméniens y furent « institutis Sacrae Romanae Ecclesiae instructi »[74].

Du détail de ces conférences nous ne savons rien : nous apprenons seulement par saint Antonin, témoin oculaire, vraisemblablement membre lui aussi de cette Commission, qu’on appliqua pour eux les mêmes principes que pour les Grecs. Ceux-ci, dit saint Antonin[75], « errabant in tribus communiter (procession du Saint-Esprit, purgatoire, primat)… Horum quodlibet est haereticum. In aliis ritibus suis qui non important haeresim (licet rationabiliores sint ritus Ecclesiae occidentalis Romanae) fuerunt permissi manere, sic quod celebrent in fermentato, quod baptizent in alia forma quam nos, videlicet : Baptizetur… Item quod ordinati in Sacris utantur matrimonio… etc. Insuper Armeni… miserunt legati… Qui examinati in paucis reperti sunt dissentire a. catholica fide et in illis subiecerunt se correctioni Apostolicae Sedis. Quae de consilio praelatorum decrevit in ritibus suis qui non sunt contra veritatem fidei, permitti sicut et Graeci, licet dissimiles sint a moribus latinae Ecclesiae : in aliquibus vero quae a fide vera discrepabant, prohiberi : ut quod sacramentum confirmationis non habebant in usum conferendi illi nationi[76], declarato eis quod illi sicut et cetera sacraria (sacramenta ?) deberent accipere, credere et conferre ; et aliqua alia quae nunc non occurrunt menti. Quibus determinationibus acquieverunt. »

On voit tout de suite combien il est difficile de faire cadrer ces remarques de saint Antonin et les faits qui précèdent avec l’explication courante du décret ad Armenos : Eugène IV aurait simplement voulu leur faire connaître les usages latins qu’ils ignoraient, et manifesté le désir d’une plus grande conformité entre les deux Eglises, même pour des cérémonies non essentielles, comme la porrection des instruments dans l’ordination. En fait, les Arméniens connaissaient depuis longtemps les Latins avec qui ils vivaient si mêlés, et tous les points que tranche le décret de Florence avaient été déjà touchés dans la longue série de documents énumérés plus haut. Quant à saint Antonin, il dit expressément qu’on n’a pas voulu supprimer les différences de rite, mais seulement trancher les points où la foi était intéressée : ce que le décret lui-même dit à propos de la forme du baptême, de la matière de l’Eucharistie, confirme tout à fait cette assertion. Et le 15 décembre 1439, quelques jours après l’union, Eugène IV, dans un bref à l’Eglise latine de Caffa, recommandait à ses chefs de ne plus traiter les Arméniens en schismatiques, de ne plus les rebaptiser et d’accorder les honneurs de leur rang à leurs évêques, nonobstant les différences de rite : on voit que les indiscrétions d’un zèle un peu étroit signalé plus haut chez les premiers frères-uniteurs, avaient encore besoin d’être réprimées[77].

Le but du Concile, en rédigeant la partie de son décret relative aux sacrements, n’a donc pas été d’établir l’uniformité complète entre les deux églises arménienne et latine ; ce n’a pu être davantage de faire connaître à ces Orientaux des usages et une doctrine qu’ils auraient, ignorés[78] : reste qu’il a voulu donner une consécration officielle à un enseignement déjà connu. L’étude du texte même du décret ne fera que confirmer cette conclusion sur son caractère dogmatique.


III- LE TEXTE DE LA SECTION SUR LES SACREMENTS

Les procès-verbaux des réunions où fut préparé le décret aux Arméniens existent-ils encore ? Ils n’ont jamais été, que je sache, ni publiés, ni même signalés.

Nous avons, du moins, la source principale qui a manifestement servi de base a la rédaction du passage relatif aux sacrements et, grâce aux modifications apportées au texte de saint Thomas, nous pouvons discerner assez clairement certaines intentions des Pères du Concile, préciser la portée de cette partie du décret.

Nous comparerons donc les deux documents en mettant en note les principales remarques suggérées par le rapprochement des deux textes entre eux et avec les autres pièces qui nous restent des négociations arméno-romaines racontées dans le précédent article, les 117 Errores de 1341[79], le Concile arménien de Sis en 1344[80] ; la lettre de Clément VI à Consolator (Mekhithar), en 1351[81].

Pour le décret de Florence, je donne le texte collationné par Balgy sur la Bulle originale de la Laurentienne[82] : il ne diffère de celui imprimé dans les collections de Conciles et dans Denzinger-Bannwart (n. 595) que par des variantes sans importance pour le sens. Le texte de l’opuscule de saint Thomas, de Symbolo fidei et Ecclesiae sacramentis est celui de Fretté (t. 27, p. 171)[83].

CONCILE DE FLORENCE

Quinto, ecclesiasticorum sacramentorum veritatem pro ipsorum Armenorum tam praesentium quam futurorum faciliori doctrina sub hac brevissima redigimus formula.

Novae legis septem sunt sacramenta : videlicet baptismus, confirmatio, eucharistia, poenitentia, extrema unctio, ordo et matrimonium, quae multum a sacramentis differunt antiquae legis[84]. Illa enim non causabant gratiam, sed eam solum per passionem Christi dandam esse figurabant : haec vero nostra et continent gratiam, et ipsam digne suscipientibus conferunt[85]. Horum quinque prima ad spiritualem uniuscuiusque hominis in seipso perfectionem, duo ultima ad totius Ecclesiae regimen multiplicationemque ordinata sunt. Per baptismum enim spiritualiter renascimur ; per confirmationem augemur in gratia, et roboramur in fide ; renati autem et roborati, nutrimur divina eucharistiae alimonia. Quod si per peccatum aegritudinem incurrimus animas, per poenitentiam spiritualiter sanamur : spiritualiter etiam et corporaliter, prout animae expedit, per extremam unctionem : per ordinem vero Ecclesia gubernatur et multiplicatur spiritualiter : per matrimonium corporaliter augetur.

Haec omnia sacramenti tribus perficiuntur, videlicet rebus tamquam materia, verbis tamquam forma, et persona ministri conferentis sacramentum cum intentions faciendi quod facit ecclesia : quorum si aliquod desit, non perficitur sacramentum[86]. Inter haec sacramenti tria sunt : baptismus, confirmatio et ordo, quae characterem, id est, spirituale quoddem signum a caeteris distinctivum, inprimunt in anima indelebile, unde in eadem persona non reiterantur. Reliqua vero quatuor characterem non imprimunt, et reiterationem admittunt.


SAINT THOMAS
=== CONCILE DE FLORENCE ===


His visis in communi circa Ecclesiae sacramenta, oportet quaedam in speciali de singulis dicere. Primo igitur circa Baptismum sciendum est quod


materia Baptismi est aqua vera et naturalis nec differt utrum sit frigida vel calefacta. In aquis autem artificialibus, sicut est aqua rosacea, et aliis hujusmodi, non potest baptizari. Forma autem Baptismi est ista : Ego te baptizo in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti.


Ministerhuius sacramenti proprius est Sacerdos, cui ex officio competit baptizare. In articulo tamen necessitatis, non solum diaconus sed etiam laicus et mulier, immo paganus et haereticus potest baptizare, dummodo servet formam Ecclesiae, et intendat facere quod facit Ecclesia. Si vero extra articulum necessitatis aliquis a talibus baptizetur, recipit quidem sacramentum, et non debet iterum baptizari ; non tamen recipit gratiam sacramenti, quia ficti deputantur, utpote contra statutum Ecclesiae sacramentum accipientes.

Effectus auteur Baptismi est remissio culpae originalis et actualis et etiam totius culpae et poenae ; ita quod baptizatis non est aliqua satisfactio iniungenda pro peccatis praeteritis ; sed statim morientes post baptismum introducuntur ad gloriam Dei. Unde effectus Baptismi ponitur apertio ianuae paradisi. Circa hoc sacramentum fuerunt aliqui errores…


Secundum sacramentum est Confirmationis ; cuius materia est chrisma confectum ex oleo, quod significat odorem bonae famae, per Episcopum benedicto. Forma autem huius sacramenti est talis : Consigno te signe crucis, et confirmo te chrismate salutis ; in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti. Amen.


Minister autem huius sacramenti est solum episcopus. Non enim licet sacerdoti confirmandis Chrismate in fronte inungere.


Effectus autem huius sacramenti est quod in eo datur Spiritus Sanctus ad robur, sicut datus est Apostolis in die Pentecostes, ut scilicet Chistianus audacter confiteatur nomen Christi. Et ideo confirmandus in fronte ungitur, in qua est sedes verecundiae ; ut scilicet nomen Christi confiteri non erubescat, et praecipue crucem eius quae est Iudaeis scandalum, Gentilibus autem stultitia et propter hoc etiam signo crucis signantur.

Circa hoc sacramentum est error quorumdam Graecorum dicentium, quod Sacerdotes simplices hoc sacramentum possunt conferre : contra quos dicitur, Act. VIII, quod Apostoli miserunt Petrum et Ioannem Apostolos, qui imponebant manus super eos qui baptizati erant a Philippo diacono, et accipiebant Spiritum sanctum. Episcopi autem sunt in Ecclesia loco Apostolorum, et loco illius manus impositionis datur in Ecclesia confirmatio[87].

Tertium sacramentum est Eucharistia, cuius materia est panis triticeus, et vinum de vite, modica aqua permixtum, ita quod aqua transeat in vinum[88].

Primum omnium sacramentorum locum tenet, sanctum baptisma, quod vitae spiritualis ianua est ; per ipsum membra Christi, ac de corpore efficimur Ecclesiae. Et cum per primum hominem mors introierit in universos : nisi ex aqua et Spiritu renascamur, non possumus, ut inquit veritas in regnum coelorum introire[89].

Materia huius sacramenti est aqua vera et naturalis : nec refert, frigida sit an calida[90].

Forma autem est : Ego te baptizo in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti. Non tamen negamus, quin et per illa verba : Baptizatur, talis servus Christi in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti, vel : Baptizatur manibus meis talis in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti, verum perficiatur baptisma ; quoniam « cum principalis causa ex qua baptisma virtutem habet, sit Sancti Trinitas ; instrumentalis autem sit minister, qui tradit exterius sacramentum », si « exprimitur actus, qui per ipsum exercetur ministrum, cum Sanctae Trinitatis invocatione, perficitur sacramentum »[91].

Minister huius sacramenti[92] est sacerdos, cui ex officio competit baptizare. In casu autem necessitatis non solum sacerdos vel diaconus, sed etiam laicus vel mulier, immo etiam paganus et haereticus baptizare potest, dummodo formam servet Ecclesiae et facere intendat, quod facit Ecclesia[93].


Huius sacramenti effectus est remissio omnis culpae originalis et actualis, omnis quoque poenae, quae pro ipsa culpa debetur : propterea baptizatis nulla pro peccatis praeteritis iniungenda est satisfactio : sed morientes, antequam culpam aliquam committant, statim ad regnum coelorum et Dei visionem perveniunt[94].


Secundum sacramentum est confirmatio[95] ; cuius materia est chrisma confectum ex oleo, quod nitorem significat conscientiae, et balsamo, quod odorem significat bonae famae, per episcopum benedicto.

Forma autem est : Signo te signo crucis, et contirmo te chrismate salutis, in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti.


Ordinarius[96] minister est episcopus. Et cum caeteras unctiones simplex sacerdos valent exhibere, hanc non nisi episcopus debet conferre : quia de solis apostolis legitur, quorum vicem tenent episcopi, quod per mamus impositionem Spiritum Sanctum dabant, quemadmodum Actuum Apostolorum lectio manifestat : « Cum enim audissent… et accipiebant Spm Sanctum ». Act. 8, 14.

Loco autem illius manus impositionis datur in Ecclesia confirmatio. Legitur tamen aliquando per Apostolicae Sedis dispentionem ex rationabili et urgente admodum causa, simplicem sacerdotem Chrismate per episcopum confecto hoc administrasse confirmationis Sacramentum.

Effectus autein huius sacramenti est quia in eo datur Spiritus Sanctus ad robur, sicut datus est apostolis die Pentecostes, ut videlicet Christianus audacter Christi confiteatur nomen. Ideoque in fronte, ubi verecundiae sedes est, confirmandus inungitur, ne Christi nomem confiteri erubescat et praecipue crucem eis quae Iudaeis, est scandalum, gentibus autem stultitia, secundum apostolum, propter quod signo crucis signatur.


Tertium est eucharistiae sacramentum, cuius materia est panis triticeus, et vinum de vite cui ante consecrationem aqua modicissima admisceri debet.

Aqua autem ideo admiscetur[97], quoniam iuxta testimonia sanctorum patrum ac doctorum ecclesiae pridem in disputatione exhibita, creditur, ipsum Dominum in vivo aqua permixto hoc instituisse sacramentum. Deinde, quia hoc convenit Dominicae Passionis repraesentationi. Inquit enim beatus Alexander Papa quintus a beato Petro : « In Sacramentorum oblationibus, quae intra Missarum solemnia Domino offeruntur, panis tantum et vinum aqua permixtum in sacrificium offeruntur. Non enim debet in calice Domini aut vinum solum, aut aqua sola offerri, sed utrumque permixtum : quia utrumque, id est, sanguis et aqua, ex latere Christi profluxisse legitur. » Tum etiam, quod convenit ad significandum hujus sacramenti effectum, qui est unio populi Christiani ad Christum.

Nam aqua significat populum, qui incorporatur Christo.


De alio autem pane quam tritici, et alio vino, non potest hoc confici sacramentum.

Forma autem huius sacramenti sunt ipsa verba Christi dicentis : Hoc est corpus meum ; et Hic est calix sanguinis mei, novi et aeterni testamenti, mysterium fidei, qui pro vobis et pro multis effundetur in remissionem peccatorum : quia Sacerdos in persona Christi loquens, hoc conficit sacramentum. Minister autem sacramenti huius est Sacerdos, neque aliquis alius potest corpus Christi conficere[98]. Effectus autem huius sacramenti duplex est : quorum primus consistit in ipsa consecratione sacramenti : nam virtute praedictorum verborum panis convertitur in corpus Christi, et vinum in sanguinem ; ita tamen quod totus Christus continetur sub speciebus panis, quae remanent sine subjecto, et totus Christus continetur sub speciebus vini : et sub qualibet parte hostiae consecratae, vini consecrati, separatione facta, est totus Christus. Alius vero effectus huius sacramenti, quem in anima digne sumentis facit, est adunatio hominis ad Christum, sicut ipse dicit Joan. V, 57 : « Qui manducat… » Et quia per gratiam homo Christo incorporatur et membris eius unitur, consequens est quod per hoc sacramentum in sumentibus digne gratia augeatur.


Sic igitur in hoc sacramento est aliquid quod est sacramentum tantum, scilicet ipsa species panis et vini ; est aliquid quod est res et sacramentum, scilicet corpus Christi verum ; et aliquid quod est res tantum, scilicet unitas corporis mystici, idest Ecclesiae, quam hoc sacramentum et significat et causat[99].

Fuerunt autem circa hoc sacramentum multi errores…

Aqua enim populum significat, secundum illud Apocalypsis, 17, 15 : « Aquae multae, populi multi. » Et Julius Papa secundus post beatum Sylvestrum, ait : « Calix Dominicus iuxta canonum praeceptum, vino et aqua permixtus debet offerri, quia videmus in aqua populum intelligi, in vino vero ostendi sanguinem Christi. Ergo cum in calice vinum et aqua miscetur, Christo populus adunatur, et fidelium plebs (ei), in quem credit copulatur et iungitur ». Cura ergo tam Sancta romana ecclesia a beatissimis Apostolis Petro et Paulo edocta, quam reliquae omnes Latinorum Graecorumque ecclesiae, in quibus omnis sanctitatis et doctrinae lumina claruerunt, ab initio, nascentis ecclesiae sic servaverint, et modo servent, inconveniens admodum videtur, ut alia quaevis regio ab hac universali et rationabili discrepet observantia. Decernimus igitur, ut etiam ipsi Armeni se cum universo orbe Christiano conforment : eorumque sacerdotes in calicis oblatione paululum aquae, prout dictum est vino, admisceant.

Forma hujus sacramenti sunt verba Salvatoris, quibus hoc conficit sacramentum :


Sacerdos enim in persona Christi loquens, hoc conficit sacramentum.


Namipsorum verborum virtute, substantia[100] panis in corpus Christi, et substantia vini in sanguinem convertuntur ; ita tamen, quod totus Christus continetur sub specie panis[101] et totus sub specie vini. Subqualibet quoque parte hostiae consecratae et vini consecrati, separatione facta, totus est Christus. Huius sacramenti effectus, quem in anima operatur digne sumentis, est adunatio hominis ad Christum.

Et quia per gratiam homo Christo incorporatur et membris eius unitur, consequens est, quod per hoc sacramentum in digne sumentibus gratia augeatur[102] : omnemque effectum, quem materialis cibus et potus, quoad vitam agunt corporalem, sustentando, augendo, reparando et delectando, sacramentum hoc quoad vitam operatur spiritualem : « in quo ut inquit Urbanus Papa, gratam Salvatoris nostri recensemus memoriam, a malo retrahimur, confortamur in bono, et ad virtutum et gratiarum proficimus incrementum ».

Quartum sacramentum est poenitentia cuius quasi materia sunt actus poenitentis qui dicuntur tres poenitentiae partes. Quarum prima est cordis contritio, ad quam pertinet quod homo doleat de peccato commisse et proponat se de caetero non peccaturum. Secunda pars est oris confessio, ad quam pertinet ut peccator omnia peccata, quorum memoriam habet, suo Sacerdoti confiteatur integraliter, non dividens ea diversis Sacerdotibus. Tertia pars est satisfactio pro peccatis secundum arbitrium Sacerdotis : quae quidem praecipue fit per ieiunium et orationem et eleemosynam. Forma autem huius sacramenti sunt verba absolutionis quae Sacerdos profert, cum dicit : Ego te absolvo… Minister huius sacramenti est Sacerdos habens auctoritatem absolvendi vel ordinariam, vel commissione superioris. Effectus huius sacramenti est absolutio a peccato.

Est autem contra hoc sacramentum error Novatianorum.

Quartum. sacramentum est poenitentia, cuius quasi materia sunt actes poenitentis, qui in tres distinguntur partes[103]. Quarum prima est cordis contritio ; ad quam pertinet, ut doleat de peccato commisso, cum proposito non peccandi de caetero. Secunda est oris confessio : ad quam pertinet, ut peccator omnia peccata, quorum memoriam habet, suo sacerdoti confiteatur integraliter[104].

Tertia est satisfactio pro peccatis secundum arbitrium sacerdotis ; quae quidem praecipue fit per orationem, ieiunium, et eleemosynam. Forma huius sacramenti sunt verba absolutionis, quae sacerdos profert, cum dicit : Ego te absolvo, etc.[105]. Minister huius sacramenti est sacerdos habens auctoritatem absolvendi, vel ordinariam, vel ex commissione superioris. Effectus, huius sacramenti[106] est absolutio a peccatis.

Quintum sacramentum est extremae Unctionis ; cuius materia est oleum olivae per Episcopum benedictum. Hoc auteur sacramentum non debet dari nisi infirmis, quando timetur de periculo mortis ; qui debent inungi in lotis quinque sensuum, videlicet in oculis propter visum, in auribus proper auditum, in naribus propter odoratum, in ore propter gustum vel locutionem, in manibus propter tactum. in pedibus propter gressum. Quidam auteur inungunt in renibus ; propter delectationem quae in renibus viget. Forma auteur huius sacramenti est ista : Per istam unctionem et suam piissimam misericordiam indulgeat tibi Dominus quidquid deliquisti per visum ; et similiter in aliis. Minister huius sacramenti est sacerdos. Effectus autem huius sacramenti est sanatio mentis et corporis.

Contra hoc sacramentum est error Elaeonitarum contra formam a Iacobo traditam, ut supra dictum est.

Quintum sacramentum est extrema unctio, cuius materia est oleum olivae per episcopum benedictum. Hoc sacramentum nisi infirmo de cuius morte timetfur, dari non debet[107] : qui in his locis ungendus est : in oculis propter visum, in auribus propter auditum, in naribus propter odoratum, in ore propter gustum vel locutionem, in manibus propter tactum, in pedibus propter gressum, in renibus propter delectationem ibidem vigentem[108]. Forma huius sacramenti est haec : Per istam sanctam unctionem et suam piisimam misericordiam indulgeat tibi Dominus quidquid deliquisti per visum, etc. Et similiter in aliis membris. Minister huius sacramenti est sacerdos. Effectus vero eius est mentis sanatio ; et, in quantum autem expedit, ipsius etiam corporis. De hoc sacramento inquit beatus Iacobus Apostolus « Infirmatur quis in vobis ? Inducat presbyteros Ecclesiae, ut orent super eum, urgentes eum oleo in nomine Domini : et oratio fidei salvabit infirmum, et alleviabit eum Dominus : et si in peccatis sit, dimittentur ei »[109].
Sextum est sacramentum Ordinis. Sunt auteur septem ordines : scilicet Presbyteratus, Diaconatus, Subdiaconatus, Acolythatus, Exorcistae, Lectoris et Ostiarii. Clericatus autem non est ordo, sed quaedam professio vitae dantium se divino ministerio. Episcopatus auteur magis est dignitas quam ordo. Materia auteur huius sacramenti est illud materiale, per cuius traditionem confertur ordo : sicut Presbyteratus traditur per collatioriem calicis ;

et quilibet Ordo traditur per collationem illius rei quae praecipue pertinet ad ministerium illius ordinis. Forma auteur huius sacramenti est talis : Accipe potestatem offerendi sacrificium in Ecclesia pro vivis et mortuis :


et idem est dicendum in consimilibus ordinibus. Minister huius sacramenti est Episcopus qui confert ordines. Effectus autem huius sacramenti est augmentum gratiae ad hoc quod aliquis sit idoneus minister Christi.

Contra, nos sacranienturn fuit error Arii…

Sextum est sacramentum ordinis[110],


Cuius materia[111] est illud, per cuius traditionem confertur ordo : sicut presbyteratus traditur per calicis cum vino, et patenae cura pane porrectionem. Diaconatus vero per libri evangeliorum dationem. Subdiaconatus vero per calicis vacui cum patena vacua superposita traditionem : et similiter de aliis per rerum ad ministeria sua pertinentium assignationem. Forma sacerdotii talis est : Accipe potestatem offerendi sacrificium in ecclesia pro vivis et mortuis, in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti.

Et sic de aliorum ordinum formis, prout in Pontificali Romano late continetur. Ordinarius minister[112] huius sacramenti est episcopus. Effectus augmentum gratine, ut quis sit idoneus Christi minister.

Septimum sacramentum est Matrimonium, quod est signum coniunctionis Christi et Ecclesiae.

Causa autem efficiens Matrimonii est mutuus consensus per verba de praesenti expressus. Est autem triplex bonum Matrimonii : quorum primum est proles suscipienda et educanda ad cultum Dei ; secundum est fides quam unus coniugum alteri debet servare ; tertium est sacramentum, idest indivisibilitas Matrimonii, propter hoc quod significat indivisibilem coniunctionem Christi et Ecclesiae.

Est autem circa hoc sacramentum multiplex error…

Horum autem virtute sacramentorum homo perdueitur ad futura gloriam…

Septimum est sacramentum matrimonii, quod est signum coniunctionis Christi et ecclesiae, secundum Apostolum dicentem : « Sacramentum hoc magnum est »[113]. Causa efficiens matrimonii, regulariter[114] est mutuus consensus per verba de praesenti expressus. Assignatur autem triplex bonum matrimonii. Primum est proles suscipienda et educanda ad cultum Dei. Secundum est fides, quam unus coniugum alteri servare debet. Tertium indivisibilitas matrimonii, propter hoc quod significat indivisibilem coniunctionem Christi et ecclesiae. Quamvis autem ex causa fornicationis liceat tori separationem facere, non tamen aliud matrimonium contrahere fas est, cuni matrimonii vinculum legitime contracti perpetuum sit[115].

De cette comparaison de textes, ce qui ressort tout d’abord, c’est que l’opuscule de saint Thomas a bien fourni le cadre et le fond du décret, sur les Sacrements ; en outre, plusieurs des passages ajoutés sont, ou empruntés au texte même de la IIIa, ou inspirés par elle. Ce fait semble témoigner de l’influence exercée par les théologiens Dominicains dans la préparation du décret, influence qui, du reste, s’explique aisément : sans parler, en effet, de l’autorité déjà acquise à ce moment par saint Antonin qui était présent au Concile, les négociations. pour l’union s’étaient faites par l’intermédiaire de la ville de Caffa, un des centres des Frères-Unis affiliés aux Dominicains[116].

Mais si le texte de saint Thomas forme la base du décret, on a pu voir aussi qu’il été fortement remanié et adapté en vue de répondre à la position des questions débattues entre Arméniens et Latins ; plus d’une omission ou addition sont difficiles à expliquer : mais le sens de la plupart est très clair en les rapprochant des autres documents de ces controverses.

Rien toutefois ne permet de supposer que le Concile ait voulu changer le caractère général de l’exposé de saint Thomas, exposé d’allure manifestement dogmatique. Les parties clairement disciplinaires du décret (l’ordre d’employer pour le Saint Sacrifice du vin mélangé de quelques gouttes d’eau, et plus haut l’ordre de chanter au moins le dimanche le Credo avec le Filioque, l’ordre de rendre à saint Léon les honneurs des saints…) toutes ces parties se distinguent nettement dans le contexte et leur sens n’est pas douteux. Pour les autres, au contraire, le Concile semble en avoir plutôt accentué le caractère dogmatique en résumant certains développements, en supprimant certaines explications d’allure systématique, par exemple sur la distinction entre sacramentum, res et sacramentum, res tantum.


IV. CONCLUSIONS

Au XVième siècle, la distinction entre les documents disciplinaires et dogmatiques n’est pas aussi nette et explicite qu’elle le serait aujourd’hui : pour les sacrements surtout les deux aspects se compénètrent et se confondent presque, dans bien des cas. Néanmoins, cette distinction n’étant pas purement logique, mais tenant à la nature même des choses, existe en fait, même si elle n’est ni marquée, ni clairement sentie, par les contemporains. Et si nous cherchons de quel côté est classé le décret de Florence sur les sacrements, du moins pris dans son ensemble, nous sommes, on le voit, toujours ramenés à la même conclusion que c’est un document de caractère dogmatique.

Mais alors nous nous retrouvons en face de la difficulté signalée plus haut et qu’il faut examiner brièvement avant de terminer cette étude.

Le Concile (et les Papes après lui) ont toujours regardé comme validement ordonnés, évêques et prêtres, Grecs ou Arméniens, lesquels pourtant avaient été ordonnés par la seule imposition des mains. Comment donc ce même Concile a-t-il pu enseigner que la matière de l’ordre est la tradition des instruments ?[117].

Dire qu’il n’a voulu parler que de la matière accessoire, intégrante, la matière essentielle étant suffisamment connue, cela n’a pas de sens. La matière essentielle du Baptême ou de l’Eucharistie était-elle moins connue, moins clairement exprimée dans l’Ecriture ? et, du reste, tout le monde en convient, dans le texte de saint Thomas, c’est bien de la matière essentielle qu’il s’agit : or, ce texte, le Concile l’a fait sien et rien n’autorise à supposer qu’il en a ainsi changé le sens du tout au tout ; sans compter que ce sens nouveau est inintelligible en fonction du vocabulaire théologique courant au XVième siècle. Avec une pareille exégèse, il serait facile de se débarrasser de n’importe quel texte conciliaire.

Comment donc le Concile a-t-il pu reconnaître des ordinations où manquait la matière indiquée par lui-même comme essentielle ?[118].

Avant de répondre directement à cette question, il y a un fait à tirer au clair : les Pères de Florence se sont-ils rendu compte que les Grecs employaient comme matière la seule imposition des mains ? Arcudius[119] et bien d’autres répondent sans hésiter : évidemment ; comment les théologiens latins, qui ont interrogé les Grecs sur tant de points minimes, auraient-ils pu passer celui-là sous silence ? N’avaient-ils pas en mains le rituel des Grecs ?[120] Et pour les Arméniens la question n’avait-elle pas été explicitement soulevée par les Errores n. 92-94 cités plus haut ?[121].

En réalité, la réponse est loin d’être aussi simple. J’ai déjà signalé le fait : avant le XVIIième siècle, les théologiens qui discutent longuement la valeur de la formule Baptizatur servus Dei… attribuée aux Grecs depuis le Haut moyen âge, ces mêmes théologiens discutent la valeur de l’ordination par seule imposition des mains à propos des opinions de saint Bonaventure, de Durand, mais sans dire un mot des Grecs : peut-on croire qu’ils s’étaient rendu compte de la divergence du rite ? Au Concile même de Florence, les Actes grecs mentionnent une série de questions posées aux Grecs par les Latins, après l’union du 6 juillet[122] : avec des points très importants, il y a des divergences de détail : « Cur in apparatu missae particulas disponimus et coniungimus divino ac dominico pani ?… Et quam ob causam infundimus in sacrum calicem ferventem aquam ? etc… » Est-il vraisemblable qu’une divergence aussi grave que celle du rite d’ordination ait été omise, alors qu’elle allait contre ce qui était certainement l’opinion courante des théologiens latins ? Qu’on se rappelle le trouble dans lequel cette difficulté, quand elle fut rencontrée, jeta la Commission d’Urbain VIII, et on conclura qu’en fait elle était neuve alors et avait, jusqu’à ce moment, passé inaperçue. Comment cela a-t-il pu se faire ? Il suffit pour s’en rendre compte d’ouvrir le traité des Sacrements écrit, quelques années avant le Concile de Florence, par l’archevêque grec Siméon de Thessalonique (mort en 1428 ou 1429). Dans son traité sur l’Ordre[123], il en décrit longuement les rites : or, à propos du diaconat, il développe beaucoup ce qui a trait à la remise des vêtements de cet ordre et du flabellum, tandis que la cérémonie de l’imposition des mains a peu de relief dans sa description. De même pour la prêtrise, longues considérations sur les vêtements sacerdotaux, sur la tradition du pain consacré faite à l’ordinand avec cette formule : « Reçois ce dépôt et garde-le jusqu’à la venue du Seigneur, au jour où il doit te le redemander »[124]. Une analyse un peu précise de ces rites montre aussitôt que seule l’imposition des mains peut y être cérémonie essentielle, et c’est la conclusion qu’imposèrent au début du XVIIième siècle les études de Morin et des autres liturgistes. Mais auparavant, il a été si facile aux Latins de prendre le change et de ne pas voir la différence ; à juger en gros, ils retrouvaient chez les Grecs sensiblement les mêmes éléments que chez eux.

Avec les Arméniens, la question avait été soulevée par les Frères-Unis (Errores, n. 92, 94). Mais le Concile de Sis la résolut précisément, en montrant que la tradition des instruments existait chez eux aussi. Et, fait significatif, les paroles qui accompagnent la tradition du pain consacré au nouveau prêtre sont, d’après le P. Tournebize, par exemple[125] : « Reçois, car tu as obtenu le pouvoir, par la grâce de Dieu, de consacrer et de célébrer… » Il est clair qu’il s’agit d’une cérémonie symbolique du pouvoir déjà reçu : dans le texte latin du Concile de Sis, elles sont ainsi traduites : « Accipe potestatem per gratiam Dei signare et perficere sanctam Eucharistiam pro vivis et mortuis… »[126] </sup>Ce sont à peu près les paroles du rite latin où le Concile de Florence met la forme du sacrement. On comprend que, pour des gens à qui ces formules n’étaient accessibles qu’à travers des traductions, les confusions et les déformations aient été faciles. Les divergences saisies semblent, dès lors, s’être réduites au fait que la tradition portait chez les uns sur le flabellum ou l’encensoir pour le diaconat, chez les autres sur le livre des Evangiles, ce qui suffit à expliquer la précision ajoutée sur ce point au texte de saint Thomas[127].

Si donc au Concile de Florence la question de validité n’a même pas été soulevée à propos des ordinations grecques (ou arméniennes) ce n’est, vraisemblablement pas comme le croyait, Arcudius parce que les Pères du Concile auraient reconnu purement et simplement que les Grecs pouvaient validement ordonner avec une matière différente de celle des Latins : i1 semble difficile que la chose ait pu se faire sans discussion et sans laisser de traces dans les Actes. C’est bien plutôt parce que les théologiens du Concile ne se sont pas rendu compte, faute d’avoir analysé les rituels d’assez près, et assez méthodiquement, de la différence profonde qu’il y avait entre les deux Eglises pour la manière d’ordonner[128].

Mais si l’on peut expliquer de la sorte qu’en fait le Concile ait en même temps accepté les Ordres grecs et enseigné que la matière essentielle de ce sacrement est la tradition, la question de droit n’en reste pas moins tout entière : a-t-il pu le faire sans se tromper ? Et c’est précisément cette question de droit qui fait l’intérêt des conclusions qui me paraissent nettement ressortir de cette étude sur la valeur dogmatique de la section relative aux sacrements.

Nous pouvons, en effet, pour conclure, reprendre les ternies mêmes signalés plus haut[129] et par lesquels les Arméniens désignaient, dans un acte d’acceptation, les différentes parties du décret. Celui-ci comprend, au point de vue dogmatique :

1° La définition contenue dans le Symbole de Nicée avec l’addition du Filioque, définition que le Concile renouvelle en y joignant l’ordre de ne chanter le Symbole qu’avec cette addition (debeat) ;

2° Les deux définitions de Chalcédoine et de Constantinople (680) simplement renouvelées ;

3° Une déclaration dogmatique sur l’orthodoxie. du Concile de Chalcédoine et de saint Léon, suivie de l’ordre (iubetisque) d’honorer ce Pape parmi les saints ;

4° Une brevis formula ou deuxième déclaration dogmatique (declarando) sur les sept sacrements, leur matière, leur forme. leur ministre, accompagnée de l’ordre (debeat) de mêler l’eau au vin de la messe ;

5° Le Symbole de saint Athanase et le décret d’Union des Grecs simplement renouvelés ;

6° Un décret disciplinaire (decernitis ut …) sur la date des fêtes.

Ainsi donc la section 4) relative aux Sacrements est bien un acte promulgué en session solennelle du Concile œcuménique de Florence sous la présidence d’Eugène IV. Ce n’est pas un simple exposé « historique » des rites de l’Eglise latine : les Arméniens les connaissaient depuis longtemps déjà. Ce n’est pas davantage (sauf le passage déjà signalé sur la matière de l’Eucharistie) un document disciplinaire prescrivant simplement aux Arméniens ce qu’ils doivent faire : pourquoi le Concile aurait-il employé un exposé dogmatique pour faire une loi ? Mais surtout le texte entier, les circonstances de son élaboration et les documents contemporains disent le contraire.

Reste donc que le Concile a voulu expliquer la vraie doctrine catholique sur les sacrements, que, sans doute, cette doctrine a de nombreuses conséquences pratiques, mais que l’exposé qui en est fait là constitue un document d’ordre essentiellement dogmatique. Ce n’est pas, comme on l’a cru souvent, une définition : l’intention de définir n’est nulle part clairement manifestée et surtout l’Eglise, comme le remarque justement le cardinal Van Rossum, a laissé les théologiens discuter certaines assertions de ce document et même s’inscrire en faux contre elles, ce qu’elle n’aurait pu laisser faire pour une définition[130].

L’expression qui parait le mieux caractériser la nature de ce document est, donc celle de déclaration ou exposé doctrinal du Concile de Florence sur les sacrements[131]. S’il fallait chercher un terme de comparaison parmi les actes récents du Saint-Siège, on pourrait penser à certaines encycliques doctrinales de Pie IX ou de Léon XIII, par exemple la lettre de ce dernier au cardinal Gibbons sur l’Américanisme, en 1899, ou celle de son prédécesseur à l’archevêque de Munich sur les erreurs de Frohschammer en 1862[132].

Si maintenant nous revenons titre dernière fois à la question qui a été l’origine des discussions sur le décret de Florence, nous pouvons constater qu’il ne reste que deux positions possibles.

Ou bien on admet avec Arcudius, Lugo, Gutberlet, etc., que 1’Eglise peut modifier, dans certaines limites les conditions de validité d’un sacrement ; et on conclut que le Concile a exprimé une doctrine exacte sur la matière de l’ordre dans l’Eglise latine et l’Eglise arménienne à qui était adressé le document[133]. Ou bien avec Suarez, etc., on refuse à l’Eglise un pareil pouvoir comme touchant à la substance des sacrements, et alors, avec le cardinal Van Rossum, on conclut que le Concile a exprimé une doctrine, courante en son temps, mais erronée[134]. Dans les deux cas la conclusion est on ne peut plus intéressante : dans le premier, nous avons une manifestation, la plus nette peut-être, du pouvoir de l’Eglise sur les sacrements, pouvoir dont l’affirmation ou la négation dominent toute la partie positive de la théologie sacramentaire ; dans le second, nous avons un exemple non moins net et peut-être unique, d’une erreur dogmatique dans un exposé doctrinal émanant d’un Concile œcuménique : a priori, la chose est possible, puisqu’il ne s’agit pas de définition : il n’en serait pas moins fort intéressant d’avoir un cas concret à examiner clans l’étude du magistère ecclésiastique et de son fonctionnement.

Il n’était donc pas sans utilité de, mettre en pleine lumière le caractère conciliaire et doctrinal du document que nous venons d’étudier.

Joseph de GUIBERT, S. J.

  1. D’ANNIBALE, Sunnmala Theolog. Moralis, III, n. 231, not. (ed. 5a posthum. 1908, p. 214). Jugement repris et cité en partie par le card. GASPARRI, de Sacra ordinat. (1894), t. 2, n. 1007.
  2. DENZINGER, Enchiridion, note au n. 590, conservée dans les nouvelles éditions du P. Bannwart, au n. 695.
  3. Le présent travail était achevé et même rédigé en 1914 ; j’ai dû alors le laisser en Belgique pour vaquer a d’autres occupations. Je n’avais pas encore en mains l’importante dissertation du cardinal van Rossum, De Essentia sacramenti ordinis (Herder, 1914), qui traite la même question, p. 154-187 : on verra que j’étais arrivé sur la valeur du décret aux mêmes conclusions que l’éminent théologien. La marche que j’avais suivie a paru assez différente de la sienne pour que ces pages vaillent encore la peine d’être publiées.
  4. DENZINGER-BANNWART, n. 691-694. Texte complet dans MANSI, t. 31, 1026.
  5. DENZINGER-BANNWART, n. 696-702 ; texte presque complet dans MANSI, t. 31, 1047 ; l’acte d’acceptation des Arméniens, qui manque dans les collections de Conciles, se trouves dans RAYNALDI, 1439, n. 16 : le texte complet avec les souscriptions dans BALGY, Historia doctrinae catholicae inter Armenos, Vienne, 1878, p. 102 (d’après l’original de la Laurentienne).
  6. DENZINGER-BANNWART, n. 703-715, MANSI, t. 31 B, 1734.
  7. Publiés en 1638 par JUSTINIANI, dans son Histoire du Concile de Florence (pars III, n. 19 et 20) : MANSI, t. 31 B, 1752, 1755 ; RAYNALDI, 1444, n. 15-16 ; 1445, n. 21-22.
  8. Le seul point nouveau, sans importance du reste, est la promesse de l’archevêque Chaldéen de Tarse : « Item quod de cetero nunquam in sacra Eucharistia oleum apponam. »
  9. Surnnra Angelica, v° Ordo, n. 6 et 8 (éd. Nuremberg, 1492, f° 215).
  10. Cf. RUCH, dans DTC, II, 814.
  11. Conc. Trident. Diaria, ed MERKLE, t. I, 480.
  12. Citée dans une note de Labbe reproduite dans MANSI, t. 31 B 1742.
  13. Actes du Concile allant,jusqu’au départ des Grecs, le 26 août 1439, composés par BESSARION ou DOROTHÉE DE MITYLÉNE ( ?), reproduits dans toutes les collections de Conciles avec la traduction d’ABRAHAM DE CRÈTE. Sur cet évêque, voir EUBEL, III, 131.
  14. In III, q. 66, a 5 : de même pour la. définition du caractère, in III, q. 63, a. 2. Pour la date, MANDONNET, DTC, II, 1321.
  15. Diaire de MASSARELLO, Conc. Trid., 1, 480, cf. SEVEROLI, ibid, 1, 32 et les Acta, t. 5, 9.
  16. Acta, Conc. Trid., 5, 18-20 ; MASSARELLO, t. 1, 495, sq.
  17. Imprimée dans les grandes collections en appendice au Concile de Florence : Historia Conc. Basil. et Florent., MANSI, t. 31 B, 1813 ; Union des Arméniens, session VII, c. 1904.
  18. Cette copie qui a servi aux délibérations de Trente est conservée encore aux Archives du Vatican (EHSES, t. 5, p. 20, note).
  19. Conc. Trident., t, 5, 35.
  20. Sur ces discussions, voir CAVALLERA, dans le Bulletin de 1914, p. 361 et suiv.
  21. Ces Errores dans Conc. Trid., 5, 836 et les observations des théologiens, p. 865.
  22. In III q. 63 a 1 et 2 où il invoque deux textes des Décrétales et le Concile de Florence.
  23. Conc. Trid., t. 5, 849, 851.
  24. Peut-être est-elle à expliquer par la pensée, commune à plusieurs théologiens et Pères de Trente que seules étaient condamnées « de fide », les propositions frappées d’anathème.
  25. Conc. Trident., 5, 969. Sur cette discussion, cf. CAVALLERA, loc. Cit., 1915-16, p. 84-87.
  26. Conc. Trid., 5, 838, cf. 866.
  27. Conc. Trident., I, 131.
  28. On avait proposé la formule : Si quis dixerit quemlibet sacerdotem esse ministrum confirmationis (C. T., 5, 985), finalement on s’en tint à celle de Florence (Ibid., p. 991, 993).
  29. Inutile de faire remarquer que je choisis dans les discussions sur les Sacrements les points que le Concile de Florence ne touche que dans le décret pro Armenis.
  30. Tradere formam sont les mots mêmes dont le décret se sert pour désigner son exposé sacramentaire, MANSI, t. 31, 1047.
  31. Evêque de Vérone, C. T., t. 5, 925 ; Général des Carmes, ibid., 969. Sur la discussion relative aux sacrements de l’ancienne loi, cf CAVALLERA, loc. cit., 1914, p. 417. Des discussions suivantes je citerai seulement la remarque de l’évêque d’Ugento, le 18 août 1563, à propos du mariage : « Ecclesia in his sacrementis in quibus Christus non expressit formam potest eam instituere… sicut fecit in Conc. Florentino circa formas aliquorum sacramentorum, puta Ordinis et aliorum. » (THEINER, Acta, II, 360).
  32. Exposant la doctrine que l’ordre est un sacrement, François Sanchez ajoutait, le 23 septembre 1562 (THEINER, II,137) : diffinitum in Conciliis Constatiensi, Florentino et hoc Tridentino, Sessione VII ». On notera l’assimilation entre le décret pro Armenis et celui de Trente.
  33. De Essentia Sacr. Ord., n. 26, p. 17.
  34. De Matrimonio, D. 2, n. 13 (cf. n. 10 et 75), Vasquez s’étonne que, même avant la définition de Trente, Soto n’ait pas osé déclarer hérétique l’opinion de Durand sur le mariage, vu que « sufficere ei debuisset definitio Eugenii ».
  35. DENZINGER-BANNWART, 151, sq.
  36. C’est le principe posé par Suarez, de Sacram., D. H, s. 6, Vasquez, in III, D, 129, c. 5, n. 73. Mais je ne sache pas qu’ils l’aient appliqué eux-mêmes aux ordinations des Grecs.
  37. Sylvius y fait textuellement siennes les paroles d’Arcudius citées plus haut sur la valeur catholique du décret.
  38. Les procès-verbaux de cette Commission sont encore aux archives de la Propagande : Dom Gasquet en a donné un résumé en 1900 : A commission on the greek ordinal in the XVII Century, dans American Catholic Quartely Review ; t. 25, p. 628 et sq. On trouve quelques détails déjà dans la Préface du de Sacris Ordinationibus de Morin.
  39. Il cite le décret ad Armenos (Exerc. I, c. 3, n. 10) qui « evidenter confirmat » sa manière d’entendre la distinction de matière et de forme. Pour le caractère (Exerc. III. c. 1) dans le sommaire il annonce que duo concilia generalia rem dubiam (son existence) definierunt ; puis dans son exposé parle seulement de Trente (éd. 1695, p. 15). Enfin (Exerc. VII, c .5, n. 2), il admet que l’Eglise a pu imposer la tradition des instruments aux Occidentaux, même sous peine d’invalidité, pourvu qu’on ne prétende pas qu’elle a, du coup, rendu invalides celles des autres rites ; mais rien du décret ad Armenos.
  40. GASQUET, p. 632. Cette formule signalée par une note de la Zeitschrift Kath. Theologie, 1901, p. 562, a été, d’après elle, reproduite de divers côtés, peut-être un peu trop comme une déclaration authentique sur la valeur du décret de Florence. On peut regretter que D. Gasquet n’en ait pas donné le contexte, ni la source exacte.
  41. Le cardinal VAN ROSSUM (de Essentia Sacr. Ordinis, 1914, p. 13, 31, 41, 44 et 50) donne une série fort abondante de références sur ces tentatives.
  42. VAN ROSSUM, ibid., p. 52-56, montre très bien le progrès de cette opinion dans la littérature théologique depuis la fin du XVIIième siècle. Le P. d’Alès l’a rendu encore plus visible par le tableau qu’il a dressé dans les Recherches de Science religieuse (1919, p. 120) en analysant le livre du cardinal : on peut toutefois le noter, pour apprécier justement ce renversement de tendances, il ne faut pas oublier que les opinions 1 à 5 énumérées par le cardinal ne sont que des variantes du même système maintenant toujours la tradition des instruments comme matière au moins partielle de l’ordre et donc (ce qui nous importe ici) acceptant le texte de Florence dans son sens obvie. Si l’on veut se rendre compte combien cette question était agitée au moment on écrivait Morin, on vent voir la série de thèses soutenues en Sorbonne en 1639 et citées par D. Ménard, dans son commentaire sur le Sacramentaire Grégorien (dans MIGNE, P. L., 78, 493, n. 757).
  43. Ici encore, il suffit de renvoyer à la longue liste de références du cardinal VAN ROSSUM (loc. cit., p. 54).
  44. J’ai moi-même défendu ce point de vue dans unie chronique de la Revue Pratique d’Apologétique (1914, t. 19, p. 211-227) où on trouvera d’autres indications.
  45. C’est aussi celle de Mgr MANY, de Sacra ordinations (1905, n. 257). M. d’Alès s’y rallie dans les Recherches (1919, p. 135), mais trouve ailleurs que dans la thèse de l’immutabilité les raisons très graves pour s’écarter de l’enseignement du décret.
  46. Cette histoire a été utilisée par Horace JUSTINIANI dans ses Acta concilii Fiorentini (Rome, 1638), qui ont été reproduits dans les grandes collections de Conciles (Labbe, Mansi).
  47. Patricius, c. 102 (dans MANSI, t. 31 B., 1904) : inde celebrata publica sessione VIIa, Florentine X Kalend. Decembres, solemni more quid ab eis (Armenis) profitendum esset praescripsit, eosque edocuit catholicam fidem in hanc sententiam (suit le résumé de la Bu1le). Cf. André de SAINTE-CROIX dans Justiniani, III, n. 6 (MANSI, t. 31 B., 1730)
  48. MANSI, t. 31, 1050.
  49. Historia doctrinae catholicae inter Armenos, Vienne, 1878, p. 102 et suiv.
  50. MANSI, t. 31 B, 1035 et 1034. Au Concile de Trente, Del Monte cita cette formule pour prouver que le décret émanait bien du Concile. Mais dans la première rédaction des actes par MASSARELLO (Conc. Trident., t. 5, 20, Cod. 62), le mot œcumenico manque : il se trouve, au contraire, dans la seconde rédaction (Cod. 116, cf. introduct., p. XVI et XXVI), sans doute restitué d’après la copie authentique que Massarello avait en mains.
  51. EUBEL, Hierarchia, 11, 8.
  52. Edition de Parme, opusc. 4, t. 16, 118 : édition Fretté (Paris, Vivès, 1875), t. 27, 171.
  53. « Postulavit a me vestra dilectio ut de articulas fidei et Ecclesiae sacramentis aliqua vobis compendiose pro memoriali transcriberem cum dubitationibus quae circa haec moveri possunt… Ad praesens vobis sufficiat si articulos fidei et ecclesiae sacramenta breviter vobis distinguam, et qui errores sunt circa quemlibet eorum vitandi. »
  54. MANSI, t. 31 B, 1728.
  55. Cf. Mgr PETIT, DTC, 1, 1904 et 1924.
  56. TOURNEBIZE, Histoire politique et religieuse de l’Arménie, Paris (1900), p. 90 et 327 ; Mgr Petit, loc. cit., 1896.
  57. Mgr PETIT, DTC, I, 1901-1902.
  58. Sur ces relations, voir Mgr PETIT, DTC, I, 1903-1905, TOURNEBIZE, loc. cit., p. 237 et suiv., p. 309-312 et tout le livre de Balgy, Historia doctrinae catholicae inter Armenos, Vienne 1878. ? ?TOURNEBIZE, p. 306.
  59. Sur les Frères-Unis, voir TOURNEBIZE, p. 320 et suiv. et MORTIER, Histoire des Maîtres-Généraux de l’ordre des Frères prêcheurs, t. III (1907), p. 30-37 et p. 320-335.
  60. TOURNEBIZE, p. 327, Mgr PETIT, DTC, 1, 1904.
  61. Voir dans TOURNEBIZE, p. 350-364, un résumé méthodique des cent dix-sept articles, suivi d’un résumé parallèle des réponses du Concile de Sis. Texte des Errores dans Raynaldi, 1341, n. 49.
  62. TOURNEBIZE, p. 365 suiv. et 674 suiv. Texte publié dans MARTÈNE et DURAND, Vet. Script. et Monum. t. VII, 310-413 et reproduit dans MANSI, t. 25, 1185.
  63. Texte complet dans RAYNALDI, 1351, n. 2-18 et résumé dans TOIIRNEBIZE, p. 682 et suiv.
  64. TOURNEBIZE, p. 697.
  65. BALGY, p. 99, RAYNALDI, 1434, n. 18.
  66. WADDING, 1439, p. 6-33.
  67. MORTIER, t. III, 328.
  68. BALGY, p. 95, 336, donne le procès-verbal de la réunion tenue à Caffa.
  69. MANSI, t. 31. BALGY, 1728, B. p. 96 (revu sur l’original à Florence).
  70. BALGY, p. 99.
  71. Actes Grecs, MANSI, t. 31 A, 1046.
  72. André de SAINTE-CROIX (MANSI, t. 31, 1730) : « R.R. Cardinalibus Ostiensi, S. Crucis et S. Sabinae ac doctoribus pluribus per Summun Pontificem, sacra approbante Synodo, deputatis et incessanter quasi diebus singulis in apostolico palatio cum Armenis praefatis convententibus… » Cf. EUBEL, 12, 31 ; II, 6.
  73. Vite di uomini illustri del secolo XIV, dans MAI, Spicileg. Roman., 1, 179 et 30.
  74. André de Sainte-Croix, MANSI, t. 31, 1730, Vespasiano da Bisticci, loc. cit., p. 30, dit. deux fois par jour : cet auteur, comme André de Sainte-Croix est un témoin oculaire du Concile, protégé de Césarini et de Nicolas V : mais il commet parfois de grosses erreurs comme lorsque, p. 16 (Eugène IV, n. 15), il fait proclamer l’union des Arméniens dans la même cérémonie que celle des Grecs.
  75. Chronicon, tit. 22, c. 11, n. 1.
  76. Cf. Errores, n. 63-64 (RAYNALDI, 1341, n. 68).
  77. BALGY, p. 156.
  78. S’il fallait ajouter encore une preuve aux textes déjà cités, rappelons que, un siècle avant, la Somme contre les Gentils, la IIIe partie de la Somme théologique de saint Thomas et d’autres ouvrages de théologie occidentaux avaient été traduits en arménien par les soins de Jean de Kerna (MORTIER, t. 3, p. 30).
  79. Texte dans RAYNALDI, 1341, n. 49.
  80. Texte dans MARTÈNE et DURAND. t. VII, 310 (MANSI, t. 25, 1185).
  81. Texte dans RAYNALDI, 1331, n. 2.
  82. Historia doctrinae Catholicae inter Armenos, p. 102.
  83. Dans le texte de saint Thomas, je supprime les paragraphes relatifs aux hérésies sur chaque sacrement et que le Concile a omis en bloc. Je ne reproduis pas non plus la partie de l’opuscule relative aux sacrements en général : elle est, en effet, extrêmement résumée dans le décret ; aux vingt-six lignes de celui-ci en correspondraient quatre-vingts pour le passage parallèle de saint Thomas. La chose s’explique par le double fait que ce passage contenait plus de vues systématiques et que sur la notion de sacrement, le caractère, etc., ni les Errores ni les autres documents ne signalent guère de divergence entre Arméniens et Latins. Errores, n. 42, parle bien d’une négation générale de l’efficacité sacramentelle : mais cette accusation qui ne reparaît pas ailleurs et est repoussée absolument par le Concile de Sis, devait être sans grand fondement.
  84. Clément VI (RAYNALDI, 1351, n. 5) demande à Consolator des précisions sur l’assimilation qu’il fait entre la circoncision et le baptême pour la production de la grâce.
  85. La mention de la Passion est ajoutée, conformément à saint Thomas, III, q. 62, a. 6. De même la clausule restrictive digne suscipientibus.
  86. Rien n’est ajouté touchant la probité du ministre : cependant d’après les Errores, n. 68-69, les Arméniens auraient considéré certaines fautes (fornication) ; comme faisant perdre au prêtre le pouvoir d’administrer les sacrements. D’après le Concile de Sis, confusion est faite par les accusateurs entre l’interdiction de célébrer portée par les Canons Arméniens contre ces coupables et la perte du pouvoir même de consacrer. Ici, tout un paragraphe sur les sacrements reçus cum obice ou in voto est supprimé par le décret et remplacé par les simples mots ajoutés plus haut : « digne suscipientibus ». Il est difficile de dire pourquoi : trouvait-on cette doctrine trop compliquée pour les Arméniens. Voir plus bas un fait analogue à propos du baptême.
  87. Cette finale a été utilisée pour la rédaction du passage ajouté plus haut sur le ministre ; d’elle vient, en particulier, l’expression que « confirmatio datur loco impositionis manuum. »
  88. Innocent III (Decret, III, tit. 41, c. 6) et, après lui ; saint Thomas, III, q. 74, a. 8, signalent la controverse relative à ce que deviennent les gouttes d’eau mises dans le calice avant la consécration : c’est sans doute à cause de cette controverse, restée classique, que le Concile supprime les mots où saint Thomas exprime l’opinion commune des scolastiques.
  89. Les Errores attribuent aux Arméniens cette idée que le péché d’Adam ne se transmet plus aux enfants depuis la Passion de Jésus-Christ : « Post Dominicam passionem in qua peccatum primorum parentum deletum fuit, pueri qui nascuntur ex filiis Adam non sunt clamnationi addicti… quia Christus totaliter peccatum primorum parentum delevit (n. 4) … pueri nullum peccatum habent… nec (baptizantur) ut consequantur remissionem peccatorum, sed ut sint Christiani (n. l3, cf. aussi n. 18-19, 62). Le Concile de Sis protesta contre cette imputation calomnieuse : néanmoins, dans sa lettre à Consolator, Clément VI se plaint que le Catholicos ait supprimé parmi les Capitula à lui envoyés le 3ième, quod parvuli ex primis parentibus contrahunt originale peccatum » (RAYNALDI, 1351, n. 15, cf. n. 5). On voit la raison de l’addition faite au texte de saint Thomas.
  90. Omission curieuse : Clément VI (loc. cit.) relève précisément la suppression du Capitulum 40 : « Quod baptismus non potest esse in liquore alio quam in vera aqua ». On reprochait à certains Arméniens de baptiser avec du lait ou du vin (Errores, n. 59). Voulait-on éviter de signaler des erreurs semblables, mais non répandues chez eux ?
  91. Errores, n. 59 « nulla forma baptismi certa est apud eos… », it. n. 60. Réponse du Concile de Sis : les Arméniens emploient communément la formule : « Talis veniens a Catechumeno ad baptismum baptizatur in nomine… » répétée trois fois (à chaque immersion). Les Pères ajoutent que la forme romaine : « Ego… », tend à s’introduire. DENZINGER (Rites Orientalium), t. I, 387, cite la seconde formule du décret : « Baptizatur manibus… ». Les raisons apportées pour justifier la forme orientale sont empruntées textuellement à saint Thomas, III, q. 66, a. 5, in Corp. et ad 5.
  92. Peut-être a-t-on supprimé proprius parce qu’il risquait d’être mal compris : Errores n. 63 « … presbyter et episcopus solum possunt dare verum baptismum. »
  93. Pourquoi a-t-on supprimé ce passage sur le baptême valide mais non fructueux, tout comme plus haut le paragraphe général sur les Sacrements reçus cum obice ou in voto ? Il est certain que la question de validité du baptême était une des plus aigrement agitées entre Latins et Arméniens qui incriminaient réciproquement leurs usages et s’accusaient mutuellement de rebaptiser ceux qui passaient d’une communion à l’autre (Errores, n. 77-79, et la réponse du Concile de Sis) : c’était, en particulier, le grand grief du Catholicos contre les deux évêques frères-unis Nersés d’Ourmiali et Simon de Garin, ceux-là même qui avaient envoyé le Libellus errorum à Rome. Dans la lettre de Clément VI à Consolator (RAYNALDI, 1351, n. 7, 10, 12 et 15), le Pape insiste à la fois contre la rebaptisation des catholiques et pour qu’on n’inquiète pas ceux qui doutent du baptême reçu dans l’Eglise arménienne et même vont demander aux Latins de les rebaptiser sous condition (n. 12). Le Concile de Florence reconnaît purement et simplement la valeur du baptême arménien, se dégageant ainsi des controverses étroites des frères-unis : nous avons vit déjà que le 14 décembre 1439, quelques jours après l’union, le Pape envoie un bref aux catholiques de Caffa, un des Centres des frères-unis, leur interdisant expressément de rebaptiser les Arméniens (cf. plus haut, p. 162). Il est assez possible que, pour couper court à ces controverses, on ait supprimé les paragraphes qui auraient pu être l’occasion de les faire renaître.
  94. Déjà Jean de Kerna (TOURNEBIZE, P. 329, n. 2 et 3) reprochait aux Arméniens de retarder l’entrée dans la béatitude jusqu’au jugement. Les Errores le font aussi, n. 24, et prétendent qu’ils rejettent toute vision de l’essence divine elle-même, n. 8. Ici encore le Concile de Sis le nie et affirme sa foi à la vraie doctrine. Clément VI doit cependant demander encore des précisions sûr cette question (n. 6) en reprenant. les termes mêmes de la célèbre définition de Benoît XII. C’est aussi un des points qu’il reproche au Catholicos d’avoir supprimé dans sa profession de foi (n. 15, 6e) « quod animae ex toto purgatae, separatae a suis corporibus, manifeste Deum vident ». C’est ce qui explique l’addition.
  95. Errores, n. 63, 65 (après Jean de Kerna, n. 9) : « Apud Armenos… non datur sacramentum confirmationis », nié absolument par le Concile de Sis.
  96. Errores, n. 64, le Catholicos « dedit licentiam presbyteris ut idem sacramentum (confirmation) conferant ». Le Concile de Sis reconnaît (n. 63) que les Arméniens « sacramentum confirmationis dant post baptismum per episcopus et sacerdotes indifferenter ». Aussi Clément VI (RAYNALDI, 1351, n. 12) demande à Consolator : « … si credis quod per nullum sacerdotem qui non est episcopus chrisma potest rite et debite consecrari ; 2e si credis quod sacramentum confirmationis per alium quam per episcopum non potest ex officio ordinarie ministrari ; 3e quod per solum Romanum Pontificem… possit dispensatio sacramenti confirmationis presbyteris… committi ». Le premier point était déjà touché par saint Thomas, les deux autres sont ajoutés, en particulier le mot ordinarius. L’addition s’inspire assez clairement ici aussi de saint Thomas, III, q. 72, a. 11, qui cite déjà Act.8, et le texte classique Pervenit ad nos (Ep. IV, 25, M. 77, 696) de saint Grégoire auquel fait allusion la dernière phrase : « Legitur… »
  97. La question de l’eau dans le calice était, on le sait, une des plus disputées : aussi n’y a-t-il pas lieu de s’étonner du décret en forme inséré ici dans l’exposé de saint Thomas. Les trois motifs apportés pour justifier le décret sont empruntés à la IIIa, q. 14, a. 6, où ils se retrouvent dans le même ordre, le 2e et 3e textuellement. Les autorités de (saint Alexandre) et (saint Jules), empruntées à Gratien (de Consecrat. Dist. 2, can, 1 et 7) s’y retrouvent aussi, mais citées seulement en partie. C’étaient, du reste, les textes classiques d’une controverse classique, nous les trouvons aussi cités par le Concile Arménien de Sis en 1307 (BALGY, p. 307) en même temps que d’autres passages de saint Cyprien et saint Ambroise, empruntés eux aussi au de Consecrat. de Gratien. On voit par là, pour le remarquer en passant, que les Arméniens connaissaient depuis longtemps les rites et usages des Latins. Saint Thomas, loc. cit., apporte une quatrième raison assez artificielle du reste, qui est omise par le Concile : « 4° Quia hoc competit ab ultimum effectum huius sacramenti, qui est introitus ad vitam aeternam, unde Ambrosius dicit 1. v. de Sacramentis, c. 1 : redundat aqua in calicem et salit in vitam aeternam ». L’acte d’union ajoute le motif de conformité entre les diverses Eglises : seuls les Arméniens se distinguent en cela des autres. Puis est porté le décret, qui, on le voit, se distingue très nettement, par sa forme même, de l’exposé dogmatique au milieu duquel il est inséré. Pourquoi cet usage est-il ainsi imposé aux Arméniens ? Cette prescription n’est elle pas en contradiction avec les principes qui, d’après saint Antonin cité plus haut, auraient guidé les Pères du Concile ? En fait, les Arméniens eux-mêmes ne regardaient pas ce point comme purement disciplinaire, mais comme touchant à la validité même des sacrements : s’ils rebaptisaient les Latins, c’est parce que ceux-ci, ayant déjà employé à la messe l’eau sortie du côté du Sauveur et destinée au baptême, ne pouvaient plus administrer celui-ci valablement (Errores, n. 73). L’Eucharistie elle-même, d’après le Concile de Manazgherd (en 726, TOURNEBIZE, p. 388, note), est invalide dans ce cas : les Errores, n. 71, le rappellent et le Concile de Sis le reconnaît, tout en repoussant pour sa part cette doctrine. Les Arméniens schismatiques (ibid.) mettaient cette pratique sur le même rang que le dyophysisme des Latins et des Grecs. On s’explique dès lors que les Papes et le Concile n’aient jamais toléré l’usage arménien contraire.
  98. Ici le décret suit de moins près saint Thomas qu’il remanie davantage. L’omission des paroles de Notre-Seigneur et de la phrase sur le ministre qui est le seul prêtre, est à noter. Car la question de la consécration par les paroles mêmes de l’institution ou par l’épiclèse était agitée entre Latins et Arméniens, comme entre Latins et Grecs. Voir Errores, n. 66, et surtout Clément VI (ad Consolatorem, RAYNALDI, 1351, p. 11) qui pose la question avec grande précision. Le décret des Arméniens sera complété sur ce point par celui des Jacobites (DENZINGEK-BANNW, n. 715). Peut-être cependant le mot « ipsorunt verborum virtute » ajouté ici même au texte de saint Thomas veut-il discrètement indiquer cette doctrine. La question avait été soulevée auprès des Grecs après l’Union (MANSI, t. 31, 1042) : ceux-ci (d’après les actes écrits par eux) avaient satisfait à l’objection des Latins : voulait-on éviter de remettre cette discussion sur le tapis ? D’autres cependant parmi les questions laissées en suspens avec les Grecs sont tranchées dans le pro Armenis, par exemple celle du ministre de la Confirmation, du divorce en cas d’adultère. (MANSI, ibid., 1039-1042). Pour ce qui est du ministre, Clément VI (RAYNALDI, 1351, n. 15) se plaint au Catholicos de la suppression du 45e article disant « quod nullus etiam sanctus corpus Christi potest conficere nisi sit Sacerdos ». Cf. Errores, n. 68-69.
  99. Explications supprimées, évidemment à cause de leur caractère technique et spécial.
  100. Le mot de substantia est ajouté : les Arméniens auraient nié la transsubstantiation et même la présence réelle (Errores n. 67) ; malgré les protestations des Pères de Sis, Clément VI (ad Consolit. n. 11) demande encore une profession de foi plus explicite.
  101. En revanche, la permanence des espèces sine subjecto est supprimée, sans doute pour éviter une question plus philosophique.
  102. Peut-être cette mention des effets de l’Eucharistie est-elle ajoutée pour pousser les Arméniens à une fréquentation plus grande de ce Sacrement. D’après les Errores, n. 81, l’usage aurait été de ne donner la communion aux fidèles que le jour et la veille de l’Epiphanie, et pour le Jeudi et le Samedi Saint ; le P. TOURNEBIZE atteste (page 582, note) que la communion est très rare encore aujourd’hui chez les Arméniens non unis, en dehors de cinq grandes fêtes. Ou bien a-t-on voulu combattre les fausses idées signalées par Errores n. 70 : d’après les Arméniens, l’Eucharistie ne produit ni augmentation de grâce, ni rémission des péchés et de leurs peines, mais une union purement physique avec le corps du Christ comme avec les autres aliments, union protégeant le corps d’une façon quasi-magique : les Pères de Sis nièrent absolument que leur Eglise professât une telle « hérésie ».
  103. Autre suppression : le Concile se contente de diviser en trois parties les actes du pénitent, sans conserver l’appellation de penitentiae partes que le Concile de Trente reprendra en expliquant son sens (DENZINGER-B., n. 896).
  104. Troisième suppression : on doit juger inutile de signaler par une condamnation aux Arméniens cette pratique qu’ils ne connaissaient pas de diviser ses péchés entre plusieurs prêtres. Ils avaient été, en revanche, accusés par les Errores, n. 82, de ne pas pratiquer la confession des péchés en particulier, mais de s’en tenir à une accusation générale. Sur l’accusation de violer le secret de la confession (Errores, n. 82-50), rien ne fut ajouté au texte de saint Thomas : du reste, le Concile de Sis avait repoussé purement et simplement ces deux accusations comme calomnieuses.
  105. Les Arméniens employaient la forme déprécative pour l’absolution : Deus dimittat tibi… (Errores, n. 40) : le Concile de Sis le reconnaît, tout en ajoutant que « ex tunc quod habuimus notitiam Romanae Ecclesiae, multi de nobis addiscentes formam eius, cum eadem forma facimus remissionem peccatorum, et docemus alios facere ». C’est peut-être cette forme déprécative qui a fait attribuer aux Arméniens l’opinion que Dieu seul remet les péchés et que l’absolution n’a en elle-même aucune efficacité. (Errores, n. 40-41).
  106. Errores, 84 et 89 : évêques et prêtres ont tous, du seul fait de leur ordination, un pouvoir égal de remettre les péchés, et un pouvoir égal à celui même du Souverain Pontife. Le Concile de Sis se défend de cette erreur tout en recormaissant que, selon la coutume d’Arménie « qu’ils sont prêts à abandonner », « non astringimns auctoritaie subditorum nostrorum populos, scilicet audire confessionem et absolvere large ab omnibus peccatis » (n. 84). Le sens exact paraît difficile à déterminer. En tout cas, Clément VI se plaint encore qu’on ait supprimé son article : « Quod est necesse necessitate salutis confiteri proprio sacerdoti, vel de licentia eius, omnia peccata mortalia perfecte et distincte » (RAYNALDI, 1351, n. 15 a. 46). Et il explique que le « proprius sacerdos » est a fortiori l’évêque ou le Pape. Sur cette controverse le Concile se contente de la formule de saint Thomas sans y toucher.
  107. La substitution des mots « de morte timetur » à « de periculo mortis timetur » est-elle intentionnelle ? Faut-il y voir une trace de la tendance qui s’est répandue de plus en plus à partir du XIIIièmesiècle (cf. KERN, de Extrema Unctione Ratisbonae, 1907, p. 287) de ne donner l’Extrême-onction qu’au moment où la mort elle-même est imminente ? Clément VI (n. 12) avait cru devoir rappeler que ce sacrement ne doit être administré qu’à celui qui est « in periculo mortis » (n. 35).
  108. A propos de l’onction des reins, on voit que la pratique de quelques-uns au temps de saint Thomas devient règle générale.
  109. Le texte de saint Jacques cité par saint Thomas, à, propos des erreurs contre l’Extrême-Onction, est ajouté par le Concile à l’exposé, évidemment à cause du peu d’estime des Arméniens pour ce sacrement, Jean de Kerna (n. 9, TOURNEBIZE, p. 330), les Errores, n. 65, cf. 83, reprochent aux Arméniens de ne pas administrer le Sacrement d’Extrême-onction et le Concile de Sis (n. 65) le reconnaît. Clément VI insiste (n. 12) rappelant « quod si non habens fidem huius sacramenti omitteret, vel sacerdos ex eadem causa administrare nollet, peccarent ambo graviter et errarent in fide ». On sait qu’aujourd’hui encore les Arméniens non unis n’usent pas de ce sacrement, bien que certains vartabeds essaient de le remettre en honneur. (TOURNEBIZE, P. 587-588, Mgr PETIT, DTC, I, 1956).
  110. Errores, n. 92 : Les Arméniens n’auraient que trois ordres (acolythat, diaconat, prêtrise) ; nié par les Pères de Sis, qui montrent que les ordres sont les mêmes chez eux et chez les Latins. Conformité qui est notée par leurs historiens (TOURNEBIZE, p. 597, Mgr PETIT, DTC, I, 1957). Pourquoi l’énumération de ces sept ordres est-elle supprimée du texte de saint Thomas ?
  111. Errores, n. 92 et 94 : les Arméniens ordonnent par la seule imposition des mains, sans tradition des instruments et des ornements sacerdotaux. Le Concile de Sis répond (n. 92) en décrivant les rites de l’ordination où il souligne la tradition des instruments. II ajoute qu’il a fait envoyer à Rome traduit : en latin « modum et responsionem istorum ordinum secundum antiquam consuetudinem Armenorum et secundum novam consuetudinem quas (sic) Ecclesia Armenorum impetravit ab Ecclesia Romana à CC annis », donc, au milieu du XIIième siècle, entre la première et la deuxième croisade, peut-être lors du Synode de Jérusalem en 1142, ou dans l’ambassade envoyée à Eugène III par le Catholicos Grégoire (cf. TOURNEBIZE, p. 237) ? Clément VI ne touche pas ce point du rite de l’ordination. Noter néanmoins que le Concile de Florence ajoute la mention expresse de la matière des trois ordres majeurs et, pour la forme, renvoie au Pontifical Romain.
  112. Errores, n. 95 : un catholicos aurait donné à un simple prêtre pouvoir de conférer le diaconat. Fait nié par le Concile de Sis. Noter ici encore l’addition du mot ordinarius, se référant évidemment au pouvoir des abbés relativement aux ordres mineurs.
  113. Errores, n. 19 : tout usage de mariage, même légitime, serait un péché. Calomnie pure d’après le Concile de Sis (Cf. Clément VI, RAYNALDI, 1351, n. 9).
  114. Errores, n. 100 : « Apud Armenos nulla est certa forma verborum exprimens consensum matrimonialem inter virum et uxorem » : fait nié par les Pères de Sis qui donnent la formule en usage. Peut-être à cause de cette controverse a-t-on ajouté le mot regulariter pour bien faire entendre que, absolument, n’importe quel signe de consentement suffit et qu’il n’y a pas de formule spéciale à exiger.
  115. Les Arméniens, avant l’union (et après là où elle n’était pas effective, comme en grande Arménie), suivaient la pratique des Grecs et autorisaient le divorce en cas d’adultère : Jean de Kerna, n. 17 (TOURNEBIZE, p. 330), Errores, n. 102 (leur attribuant même le divorce pour simple incompatibilité d’humeur). Le Concile de Sis reconnaît due cette pratique a été en usage avant l’union mais a cessé, du moins a cessé d’être admise comme légitime. Clément VI (loc. cit. n. 9) revient encore sur ce sujet et fait préciser. Il revient aussi sur la licéité des troisièmes et quatrièmes noces (cf. aussi Errores, n. 49). Sur cette dernière question, rien n’a été ajouté au texte de saint Thomas : elle est touchée, en revanche, dans le décret des Jacobites comme complément du décret aux Arméniens.
  116. Sur l’influence des Dominicains au Concile, cf. MORTIER, t. IV (1909), p. 313 et suivantes : le Pape résidait à Santa-Maria-Novella, où se tenaient les réunions. On sait, en particulier, te rôle éminent joué pat J. de Torquemada.
  117. Je ne parle que de la difficulté plus classique pour l’ordre : mais il en reparaît une toute semblable à. propos de l’Extrême-onction dont la matière est oleum ab episcopo benedictum : que dire alors du rite grec ou le simple prêtre bénit lui-même l’huile qu’il va employer ?
  118. Faut-il ajouter avec le cardinal Van Rossum (op. cit., p. 457 et suivantes) que le décret ne parlant pas de l’imposition des mains, celle-ci se trouve par là même exclue ? Je ne crois pas que ce soit nécessaire (cf. Rev. Prat. Apolog., 1914, t. 19, p. 219, 220) ; mais peu importe ici même si la tradition n’est qu’une part du rite essentiel, son absence devrait suffire pour entraîner la nullité des ordinations grecques.
  119. ARCADIUS, de concordia, VI, c. 5 sub finem (éd. 1672, p. 516).
  120. ibid, p. 5l6 : l’auteur parle d’un Euchologe que le prêtre grec Georges de Crète offrit dans le Concile au Cardinal Julien Cesarini.
  121. P. (36, not. 2).
  122. MANSI, t, 31, 1039.
  123. M. 155, 364 et suiv.
  124. M. 155, 392.
  125. Histoire pol. et relig. de l’Arménie, p. 601. DENZINGER. Ritus Orientalium, II, 315, cf. 274 donne d’après Richter les formules « Accipe et suscipe potestatem et facultatem a Spiritu Sancto signandi… » d’après Serpos : « Accipe, quoniam suscepisti… » et d’après Cralano : « Accipe, suscipe : accepisti enim potestatem… »
  126. MARTÈNE et DURAND, VII, 402, n. 92.
  127. Voir plus haut (p. 207, note 2).
  128. Ceux qui jugeraient la chose impossible n’ont qu’à relire les passages où les théologiens du moyen âge discutent sur les ordinations, par exemple le texte de PIERRE DE TARENTAISE (INNOCENT IV), in IV, D. 24 q. 2, u 3, cité par le cardinal Van Rossum et discuté et examiné dans la Rev. Pratiq. d’Apolog., 1914, t. 19 ; p. 222.
  129. P. 154.
  130. Loc. cit., p. 165 ; l’argument parait fort bon, pourvu qu’on n’en exagère pas la valeur : la plupart des théologiens qui défendent la même thèse que le Cardinal ne veulent pas avouer avec la même franchise que lui leur opposition à ce document : ils biaisent, cherchant à diminuer la valeur du texte qu’on leur oppose et à montrer en même temps que ce texte ne leur est pas absolument contraire : c’est un cas intéressant de psychologie théologique.
  131. Le card. Van Rossum (p. 169), conclut ainsi : « …pars decreti, quae agit de sanctis Ecclesiae Sacramentis, quaeque doctrinam exhibet tum tempore magis in Ecclesia receptam, valorem documenti ab ordinaria Magisterii auctoritate conditi, non excedit ».
  132. D-B, n. 1967 et 1666.
  133. Le card. Van Rossum (p. 18 et p. 158-160) estime que la doctrine du Concile est inexacte, même si l’imposition est seulement matière partielle de l’ordre dans l’Eglise latine, en même temps que la tradition : cela ne parait pas évident (voir Rev. Prat. d’Apol, 1914, t. 19, p.219).
  134. M. d’Alès (Recherches, 1919, p 135) admet la « possibilité théorique » d’une modification apportée par l’Eglise à la matière de l’ordre. En pratique, il se rallie à la thèse du cardinal Van Rossum sur l’imposition seule matière, en raison des « complications inextricables » où on se lance en admettant la solution de Lugo. Ces complications sont-elles tellement inextricables ? Conduisent-elles à un système tellement impensable ? Déjà Morin (de Sacris Ordinat., Exercitat. VII, c. 6 (5), n. 2, éd. 1655, p. 149) faisait remarquer que de pareils changements dans les rites d’un sacrement se sont produits, si jamais ils ont eu lieu, peu à peu : le rite nouveau de la tradition n’est devenu essentiel dans l’Eglise latine que le jour où il a été si bien passé partout en usage qu’on ne concevait même plus une ordination comme possible sans lui. La même difficulté, du reste, existe pour la forme de la confirmation. Et on aura remarqué la prudence du nouveau Code Canonique (can. 1002, cf. 737, 780, 935) qui se borne à poser le principe général : « On doit, pour l’ordination, s’en tenir scrupuleusement aux rites du Pontifical et des autres rituels approuvés par l’Eglise. » De même pendant le moyen âge : ont été valides toutes les ordinations faites conformément aux rituels approuvés de la manière dont l’Eglise les approuvait alors. Il nous sera impossible d’assigner la date où la tradition déjà universellement adoptée dans l’Eglise latine serait devenue partie essentielle du sacrement : mais n’est-ce pas le cas de bien d’autres développements ?
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