Le discernement des Esprits

De Salve Regina

Vie spirituelle
Auteur : P. Garrigou-Lagrange, O.P.

Difficulté de lecture : ♦♦♦ Difficile
  1. Que signifie l’esprit dans cette expres­sion ? Il signifie une manière spéciale de juger, d’aimer, de vouloir, d’agir ; c’est une tendance ou une mentalité particulière de l’âme, par exemple un penchant à la prière, à la pénitence, ou, au cont­raire, à la contradiction ; ainsi parlons-nous de l’esprit de contradiction, ou encore d’insubordination.
  2. Comment distinguer, en spiritualité, les différents esprits ? On distingue généralement trois esprits, le divin, le diabolique et l’humain.


Qu’est-ce que l’esprit divin ? C’est un penchant intérieur de l’âme à juger, aimer, vouloir, agir d’une manière surnaturelle ; c’est ainsi qu’il incline à fuir le péché par la mortification de la chair, par l’hu­milité, et à tendre vers Dieu par l’obéissance, la piété, la foi, la confiance et la charité, affective et effective. L’esprit divin se trouve donc particulière­ment dans les inspirations du Saint-Esprit selon les sept dons.

Cet esprit se trouve à l’état latent dans les commençants et d’une manière plus manifeste dans les progressants et les parfaits, qui sont plus dociles au Saint-Esprit. Sous l’inspiration de Dieu, il y a unité dans une grande variété de vertus, de dons, de vocations contemplatives, actives, apostoliques.

C’est d’après cette variété qu’on distingue l’es­prit de chaque famille religieuse, et celle-ci décline dans la mesure où elle s’éloigne de son esprit, elle se renouvelle au contraire quand elle y revient.


Qu’est-ce que l’esprit humain ou esprit de nature ? C’est un penchant à juger, vouloir et agir d’une manière trop humaine, suivant la nature dé­chue qui tend vers son avantage personnel, vers sa propre utilité ; c’est l’esprit d’égoïsme et d’indivi­dualisme. La prudence est alors envisagée comme une vertu nécessaire pour éviter les inconvénients plutôt que comme une vertu positive qui tend au bien honnête et dirige bien les vertus morales. Par cette prudence de la chair on met la médiocrité, au sens péjoratif, à la place du juste milieu de la vertu.

Cette médiocrité est un milieu entre le bien et le mal, et, s’inspirant de l’utilitarisme, elle demeure au milieu, de la base du triangle pour fuir les incon­vénients des vices, mais non par amour de la vertu. Au contraire le juste milieu de la vertu est comme le sommet du triangle entre deux vices opposés l’un à l’autre, ainsi le juste milieu de la vertu de force est entre la lâcheté et l’audace téméraire. Ce juste mi­lieu s’élève de plus en plus selon le progrès des vertus. Il est plus haut pour la tempérance infuse que pour la tempérance acquise. De même la mé­diocrité diminue toujours l’élévation des vertus théo­logales, comme si elles étaient « par elles-mêmes dans un milieu », comme si l’homme pouvait trop croire en Dieu, trop espérer en lui et trop l’aimer, de la même manière qu’il peut trop aimer sa patrie, en l’aimant plus que Dieu. Le faux milieu de la mé­diocrité reste à mi-côte et n’atteint jamais le sommet de la perfection.

Cet esprit de nature engendre la tiédeur et en­fin le dégoût ; il dispose au péché mortel par des péchés véniels de plus en plus délibérés. Cependant l’esprit de nature a parfois son lyrisme qui se mani­feste dans le sentimentalisme, ou affectation en la sensibilité d’un amour qui n’existe pas assez dans la volonté.

Mais il descend rapidement du lyrisme roman­tique à la prudence de la chair et à une « sottise » dont parle saint Paul qui juge de toutes choses, même les plus élevées, d’après ce qu’il y a de plus bas, d’après les satisfactions de la sensualité ou de l’orgueil (cf. S. Thomas sur la prudence de la chair et la sottise, II-II, q. 55, q. 46)[1].

Qu’est-ce que l’esprit du démon ? C’est une tendance à juger, vouloir et agit d’après une inspira­tion perverse et diabolique. Cet esprit se manifeste clairement dans les impies, dans leur orgueil, leur luxure et leur emportement, mais au moment de la tentation il apparaît à l’état latent dans les autres.

Dans toute âme prédomine l’un de ces trois esprits : dans les impies l’esprit du démon, dans les tièdes l’esprit de nature ; chez les commençants qui sont généreux dans la voie de Dieu domine déjà l’esprit de Dieu, bien que s’introduisent parfois en eux l’esprit de nature, et même celui du démon.

Que signifie enfin le discernement, lorsqu’il s’agit de discernement des esprits ? C’est le jugement qui consiste à discerner exactement par quel esprit est généralement mue telle personne. Mais le discernement peut être acquis ou infus. S’il est acquis, il a sa source sous l’influx de la théologie morale, dans la prudence acquise unie à la pru­dence infuse, et il est plus ou moins perfectionné par l’inspiration du don de conseil.

S’il est infus, c’est la grâce gratis data, appelée par S. Paul (I Cor. XII, 10) « le discernement des esprits ». Elle est assez rare. Cependant un bon directeur, pieux, vertueux et prudent, reçoit assez fréquemment des grâces d’état qui peuvent en quel­que sorte, du fait qu’elles sont pour l’utilité du prochain, se ramener à une grâce gratis data ; elles perfectionnent sa prudence et les inspirations du don de conseil.

Quel est le principe fondamental du discerne­ment des esprits ?

C’est le principe formulé par Notre Seigneur, à savoir : « On juge de l’arbre à ses fruits. Gardez-­vous des faux prophètes, c’est d’après leurs fruits que vous les jugerez. Un bon arbre donne de bons fruits et un arbre mauvais ne peut porter de bons fruits » (Matth. VII, 17-20).

Or les fruits, ce sont les vertus, les dons du Saint-Esprit et leurs actes. Il faut donc juger d’après les principales vertus, c’est-à-dire, dans l’ordre ascendant, d’après la chasteté et la mortification ; d’après l’humble obéissance ; et d’après la foi, l’es­pérance et la charité. Il est facile d’en faire l’appli­cation aux trois esprits distingués plus haut.

Description des signes de l'esprit naturel

Cette description se fait assez facilement par contraste avec l’esprit de Dieu, en notant quelques différences avec l’esprit du démon. Cet esprit naturel c’est, comme nous l’avons dit plus haut, une tenda­nce à juger, vouloir et agir d’une manière natu­relle et non surnaturelle. De quelle « nature » s’agit­-il ? Il n’est pas question de la nature considérée en elle-même, comme pouvant être élevée à l’ordre de grâce, mais il s’agit soit de la nature déchue et non encore régénérée par la grâce, soit de la nature encore blessée, qui, malgré la présence de la grâce, conserve les quatre blessures, suites du péché origi­nel, lesquelles sont avivées par les péchés per­sonnels. Ces blessures chez les baptisés restés en état de grâce sont en voie de cicatrisation ou de guérison, mais il n’y a pas de parfaite guérison en cette vie[2].

Infligées à toute la nature humaine par le péché du premier père, ces blessures sont imparfaitement guéries par le baptême ; car la concupiscence demeure après cette nouvelle naissance ; ce qui nous oblige au combat spirituel. Ainsi, avec l’aide de Dieu, l’homme surmonte la concupiscence d’une manière méritoire, comme le dit S. Thomas (III, q. 69, a. 3). Et cela convenait également, ainsi qu’il est dit au même endroit, de peur que les hommes ne viennent au baptême pour échapper aux peines de la vie pré­sente plutôt que pour la gloire de la vie éternelle. Nous sommes les cohéritiers du Christ, « à condi­tion toutefois que nous souffrions avec lui, afin d’être aussi glorifiés avec lui ». Or ces quatre bles­sures sont aggravées par le péché actuel qui diminue l’inclination naturelle à la vertu en apportant un obstacle, celui de l’inclination au mal ; ainsi « par le péché (même véniel dans les justes) la raison est émoussée, surtout dans l’ordre de l’action, la volonté se raidit contre le bien, la difficulté de bien agir s’accroît et la concupiscence s’enflamme davantage » (I-II, q. 85, a. 3).

C’est pourquoi l’esprit de nature déchue ou blessée incline à la concupiscence, qui est le foyer du péché, et ensuite à la paresse, à la lâcheté dans l’irascible, et par suite à l’injustice dans la volonté, à la négligence, à l’imprudence ou à la ruse dans l’intelligence. En résumé, c’est l’esprit de l’amour­ propre, de l’amour désordonné de soi-même ou égoïsme. Et cet esprit d’amour-propre, comme le montre S. Thomas, entraîne aux trois concupiscences, c’est-à-dire à la concupiscence de la chair, à la con­cupiscence des yeux et à l’orgueil de la vie[3].

Enfin ces trois concupiscences inclinent aux sept péchés capitaux qui sont à l’origine des autres péchés souvent plus graves (I-II q. 84, a. 4) ; ce sont la vaine gloire, l’envie, la colère, l’avarice, la paresse ou le dégoût, la gourmandise et la luxure. Selon la remarque de S. Jean de la Croix (Nuit obs­cure, 1. I, au début), ces sept péchés existent même à l’égard des biens spirituels, ainsi la gourmandise spirituelle, qui est le désir immodéré de la consola­tion spirituelle aimée pour elle-même et non pour Dieu, et l’orgueil spirituel. Or les péchés capitaux, auxquels incline premièrement l’esprit de nature, disposent à de plus graves, par exemple à l’incré­dulité, au désespoir, à la haine de Dieu et du pro­chain. Ainsi considérée, la nature blessée dont parle S. Thomas ne diffère pas de celle dont parle le livre de l’Imitation de Jésus-Christ (1. III, c. 54). Si nous voulons décrire l’esprit de nature par rapport à la mortification, à l’humilité, aux vertus théolo­gales, disons qu’il faut lui appliquer la première règle du discernement : « c’est à ses fruits qu’on doit juger l’arbre ».


1. L’esprit de la nature n’incline jamais à la mortification, ni extérieure, ni intérieure, ni à accep­ter les humiliations. Comme disent les spirituels : la nature ne veut pas mourir, mais elle cherche la délectation dans les choses de la piété, avec une gourmandise spirituelle qui s’oppose à l’esprit de foi et au véritable amour de Dieu.

Après les premières difficultés ou aridités, celui qui est conduit par cet esprit de nature ne progresse plus et abandonne la vie intérieure. Sous prétexte d’apostolat, il se livre à une activité naturelle exté­rieure, vit à la surface de son âme ; en lui rien de profond, il confond la charité avec la philanthropie, l’humanitarisme et le libéralisme. Cette activité na­turelle se manifeste, selon l’ordre décroissant, de trois manières : 1) l’emportement, ardeur naturelle ; 2) la précipitation naturelle ; 3) le mouvement natu­rel, ou l’activité naturelle, non sanctifiée, nullement inspirée par l’esprit de foi ou par l’amour de Dieu.

Survienne la contradiction ou l’épreuve, alors la nature gémit, refuse de porter la croix et tombe peu à peu dans le désespoir. La ferveur initiale n’était qu’un feu, de paille subitement éteint.

Cet esprit, c’est proprement l’égoïsme, avec une parfaite indifférence pour la gloire de Dieu et le salut des âmes. Ce n’est pas l’amour de Dieu ou du prochain qui tient la première place dans l’âme, c’est l’amour désordonné de soi-même.

Mais pour se justifier, cet esprit de nature a sa théorie ; le principe en est le suivant : il ne faut rien exagérer, on doit éviter les excès soit dans l’austérité, soit dans la piété ; nous ne sommes pas tenus de tendre à la perfection mystique, ce serait du mysticisme. Selon cet esprit, si quelqu’un lit chaque jour privément un chapitre de l’Imitation de Jésus­-Christ pour son progrès spirituel, c’est déjà un mystiq­ue. Il faut, comme on dit, avancer par la voie commune, parce que la vertu se tient dans un milieu.

Mais ils dénaturent ce principe ; le vrai sens est que la vertu morale se tient dans un milieu et est un sommet entre deux vices, l’un par excès, l’autre par défaut, ainsi la force entre la lâcheté et une audace téméraire. Il est évident que ce milieu est aussi un sommet qui s’élève entre et au-dessus de deux vices opposés l’un à l’autre. Au contraire, le milieu dont parle la théorie susdite est au bas du triangle qui figure le mont de la perfection. Car le milieu de la tiédeur, non pas entre et par-dessus deux vices opposés l’un à l’autre, mais entre le vice et la véritable vertu, c’est le milieu instable de la médiocr­ité, entre le bien et le mal, et plus près du mal que du bien, pas même à mi-côte, comme dans cette énumération de notes qu’on donne aux enfants de l’école : très bien, bien, assez bien, médiocre, mal, très mal. Cette théorie est donc celle de la médiocrité sous l’apparence de la vertu ; car si elle fuit les vices opposés entre eux, c’est à cause de leurs inconvénients et en raison de la commodité ou utilité personnelle, non pour l’amour du bien honnête et de la vertu. Ainsi en était-il pour l’utilitarisme d’Epicure et d’Horace. On dit de même : vin médiocre, ni bon ni mauvais, esprit médiocre, œuvre médiocre.

De plus, cette théorie de la médiocrité refuse, au moins en pratique, d’admettre que les vertus théologales ne sont pas par elles-mêmes dans un milieu, elle rejette donc pratiquement ces paroles de S. Thomas : « nous ne pouvons aimer Dieu autant qu’il doit être aimé, ni croire ou espérer en lui autant qu’il le faut » (I-II, q. 64, a. 4). Nous devons donc aspirer à une foi, à une confiance et une charité toujours plus grandes.

A plus forte raison, dans cette catégorie, né­glige-t-on pratiquement la nécessité de la docilité aux inspirations du Saint-Esprit suivant les sept dons.

Dans la lettre du Rme Père de Paredès, Maître général des Frères Prêcheurs, publiée en 1926 au début de la nouvelle édition des Constitutions, cet esprit naturel est ainsi décrit (p. 20) : « Bien que la sainteté soit dans l’homme l’effet de la grâce de Dieu agissant en nous, elle suppose cependant, de notre part, un long et laborieux progrès de purifica­tion et de transformation de tout ce qu’il y a en nous, jusqu’à ce que nous parvenions au total abandon du vieil homme, qui se pervertit dans les désirs de la chair, et revêtions l’homme nouveau « qui a été créé selon Dieu dans la justice et la sainteté de la vérité ». De là l’esprit d’obéissance, d’abnégation et de sacrifice avec lesquels nous devons tous garder ces observations avec exactitude et persévérance... ».

Par contre : « Toute indulgence humaine, tout esprit de pusillanimité, toute condescendance faite sur ce point à des considérations terrestres, toute dispense illégitime, sans fondement dans les Constitu­tions elles-mêmes, peuvent être considérés comme une prévarication de la part des supérieurs... et de la part des sujets comme une renonciation à l’obliga­tion de se sanctifier et de faire de soi des instruments utiles pour accomplir le saint ministère. Céder à notre lâcheté suivant la manière susdite, ce serait montrer que nous professons l’état religieux, non pour y atteindre la fin que Dieu et l’Eglise nous ont imposée, mais pour y trouver une solution agréable au problème de la vie présente, c’est-à-dire pour trouver plus sûrement dans l’état religieux tous les biens nécessaires à la vie et nous procurer en outre plus facilement des avantages dont nous ne jouirions peut-être pas dans le siècle.

« Mais pour que les observances régulières pro­duisent en nous tous les fruits de sainteté visés par les Constitutions, il ne suffit pas de les observer seulement d’une façon matérielle ou littérale, ni comme celui qui n’a d’autre but que d’éviter la sanction prévue par la loi ou pouvant être imposée par les supérieurs, ni comme celui qui cherche uni­quement à se montrer irrépréhensible devant les su­périeurs. Pour que nos observances soient pour nous un moyen de sanctification... (et de préparation au saint ministère), il est nécessaire qu’elles soient surnaturelles dans leur principe et aient leur cause dans la grâce divine qui leur infuse l’être surnaturel.

« A défaut de cet esprit intérieur, qui est le centre et la source de cette vie surnaturelle... il n’y a rien en nous que de matériel et de mécanique, notre piété personnelle manque d’énergie vitale « comme un airain sonnant et une cymbale retentissante », elle s’affaiblit et perd tout mérite et notre action commune elle-même est privée de l’orientation et de l’efficacité véritables. Nous travaillons et nous nous agitons peut-être trop dans nos affaires ; mais notre activité n’exprime pas la vraie vie intérieure de foi, d’espérance et de charité... Elle ressemble seule­ment à un effort provoqué par la nécessité extérieure d’agir ou obéissant uniquement à des raisons natu­relles qui nous entraînent, consciemment ou non, du seul fait qu’elles favorisent les inclinations de notre nature. A défaut de l’esprit intérieur qui nous pro­cure le triomphe sur nous-mêmes et donne à notre ministère la victoire sur les ennemis du salut des âmes, que de temps perdu et passé en vain, que d’efforts, que de sacrifices stériles, combien d’acti­vité dépensée inutilement ! »

Au contraire là où prospère et fleurit l’esprit intérieur, il produit les fruits d’une sainteté solide... Alors la valeur et la vertu de la vocation religieuse nous apparaissent plus clairement... « Cet esprit in­térieur se forme en nous par la pratique des moyens que suggère l’ascèse religieuse ; il s’affermit et se perfectionne par le progrès spirituel dans les divers degrés de la mystique chrétienne, comme l’enseigne le Docteur angélique. La mystique est en effet le complément de l’ascèse dans l’ascension des âmes vers Dieu par les degrés de la perfection de la vie chrétienne. S’il y a eu parfois erreur à ce sujet, si des aberrations pratiques ont grandement nui sur ce point à la vraie piété, nous assistons maintenant à une restauration de la véritable doctrine tradition­nelle qui donne aux âmes assoiffées de vie surnatu­relle le moyen de connaître les réalités mystiques ». C’est dans cette vie parfaite que se trouve vraiment l’esprit de Dieu qui renouvelle les âmes.

L’esprit de nature apparaît surtout dans la manière tiède de célébrer la Messe, dans la façon de dire l’office, avec précipitation et comme méca­niquement, de vaquer à l’étude avec curiosité et en­suite avec paresse, ou encore d’observer ou plutôt de ne pas observer le silence et les autres pratiques régulières, et dans la manière imparfaite d’obéir soit incomplètement, soit servilement, comme on le ferait pour une personne humaine et non pour Dieu, ou par désir des honneurs et des dignités.

Comme nous l’avons remarqué plus haut avec plusieurs auteurs, en traitant de la célébration de la Messe, celle-ci peut être célébrée dignement avec esprit de foi et piété, ou lue exactement plutôt que célébrée, comme pour accomplir un devoir à la manière d’un fonctionnaire exact ou d’un magistrat qui remplit régulièrement sa fonction civile, ou en­core expédiée avec précipitation, par exemple en vingt minutes ou même en moins de temps, sans aucune piété et parfois au scandale des fidèles. Dans la première manière il y a l’esprit de Dieu ; dans les deux autres, c’est évidemment l’esprit de nature. Il faut prêcher sur ce sujet dans les exercices spiri­tuels pour le clergé.


Que faut-il donc dire contre l’esprit naturel dans la célébration de la Messe[4] ?

La célébration quotidienne est utile pour tous les prêtres : 1) en raison du sacrifice à offrir à Dieu pour une quadruple fin, l’adoration, la de­mande, la réparation, l’action de grâces pour les bienfaits de chaque jour ; 2) en raison de la com­munion sacramentelle où nous prenons le pain quoti­dien supersubstantiel ; 3) à cause de la grande utilité qui en résulte pour l’Eglise universelle et pour tous les fidèles vivants et défunts. De plus, si le prêtre célèbre rarement, il manque à son devoir et enfouit son talent dans la terre. La célébration quo­tidienne requiert une digne préparation.


Que faire en cas de doute, lorsque nous igno­rons si telle personne que nous devons diriger est généralement conduite par l’esprit bon ou par l’es­prit mauvais ?

  1. Il faut surtout examiner son humilité.
  2. Sa mortification.
  3. Son obéissance au directeur.
  4. Celui-ci doit lui-même prier pour recevoir de Dieu la lumière.

Description sommaire des signes de l'esprit mauvais

Par contraste avec l’esprit de Dieu, l’esprit du démon pousse d’abord à l’exaltation de l’orgueil, et il jette ensuite l’âme dans le trouble et le désespoir, comme le démon lui-même a péché par orgueil et demeure maintenant dans le désespoir éternel et la haine de Dieu.

Pour connaître cet esprit mauvais, il faut donc considérer son influence par rapport à la mortifica­tion, l’humilité et l’obéissance, et ensuite par rapport aux vertus théologales. L’esprit du démon n’éloigne pas toujours de la mortification ; il diffère ainsi de l’esprit de nature, parfois même au contraire il pousse à une mortification extérieure exagérée, vi­sible à tous, qui entretient l’orgueil spirituel et affai­blit la santé. Mais il n’incline pas à la mortification intérieure de l’imagination, du cœur, de la volonté propre et du jugement propre, bien qu’il la stimule quelquefois en inspirant des scrupules à l’égard des plus petits détails et le laxisme au sujet des choses de plus grande importance, par exemple sur les principaux devoirs d’état. Il inspire aussi l’hypocri­sie : « Je jeûne deux fois par semaine » (Luc XVIII, 12).

Il ne pousse pas à l’humilité, mais nous trompe peu à peu, pour que nous nous estimions plus qu’il ne faut, plus que les autres, afin que presque in­consciemment nous priions à la manière du phari­sien en disant : « O Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme les autres hommes... ni comme ce publicain » (Luc XVIII, 11). Cet orgueil spirituel s’accompagne de fausse humilité, du fait que nous avouons un péché personnel, pour que les autres ne nous accusent pas d’une faute plus grave et nous considèrent comme humbles. L’esprit mau­vais nous amène encore à confondre l’humilité avec la timidité, qui est fille de l’orgueil et redoute le mépris. De même il n’excite pas à l’obéissance, mais à la désobéissance ou à la servilité suivant l’opportu­nité des circonstances.

Au sujet de la foi, l’esprit mauvais n’incline pas notre esprit à considérer dans l’Evangile ce qui est en même temps plus simple et plus profond, par exemple à dire attentivement et dévotement l’orai­son dominicale, à méditer les mystères du saint rosaire, mais à ce qui est extraordinaire et favorise l’ostentation, comme lorsqu’il a dit au Sauveur : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas. Car il est écrit : il a donné des ordres à ses anges pour toi et ils te porteront dans leurs mains, de crainte que de ton pied tu ne heurtes contre la pierre ». A quoi Jésus répondit : « Il est écrit aussi : tu ne tenteras point le Seigneur, ton Dieu ».

L’esprit mauvais nous incite également à ce qui est contre notre vocation ; par exemple il pousse un chartreux à aller évangéliser les infidèles ou un missionnaire à la vie érémitique des chartreux. Ou bien, en ce qui concerne la dévotion, il inspire de prier en négligeant la liturgie, par exemple de prier le vendredi saint comme si c’était Noël ou vice-versa. De même, dans les choses de la foi, il pousse à des nouveautés dogmatiques, comme par exemple au temps du modernisme, à lire les livres des protes­tants libéraux sous prétexte d’adapter notre foi à la pensée moderne. Ou au contraire, si notre inclina­tion naturelle est en un sens opposé, il nous excite à un archaïsme immodéré, pour provoquer un conflit entre catholiques ; ainsi poussait-il les israélites récemment convertis au Christianisme à revenir à la loi mosaïque ; c’est contre cette tentation que fut écrite l’Épître aux Hébreux, où il est dit (III, 13) : « Exhortez-vous les uns les autres pour que nul d’entre vous ne s’endurcisse par la séduction du péché ». De même l’esprit mauvais altère les dogmes, par exemple celui de la prédestination ainsi qu’il apparaît dans le calvinisme, et alors se réalise l’adage : corruptio optimi pessima. La corruption du meilleur est la pire de toutes. Le démon connaît très bien ce proverbe ; aussi travaille-t-il à la perversion de la foi surnaturelle. Il sait, en effet, qu’il n’y a rien de pire, de plus périlleux et dangereux que le faux christianisme, qui conserve une certaine appa­rence du vrai, et il agit parfois comme un faux Christ avant d’apparaître comme Antéchrist. Tel qu’il fut dans la pensée de Luther et de Calvin (non dans celle des protestants de bonne foi), le protes­tantisme est donc quelque chose de pire et de plus dangereux que le naturalisme, parce qu’il est plus séduisant et abuse davantage de la sainte Ecriture ; certes, il admet l’Ecriture, mais pour un usage dépravé.

Le naturalisme pratique et ensuite théorique provient souvent de l’esprit de la nature déchue, mais la corruption très perverse des dogmes sur­naturels, comme dans le calvinisme, vient de l’esprit du démon. Altérer la foi divine, c’est donc, peut-on dire, utiliser une arme de grande précision, non contre des ennemis, mais contre ses propres frères et contre soi-même, c’est un fratricide et un suicide. Ainsi s’explique en grande partie l’histoire de la pseudo-Réforme quant à son esprit, bien que beau­coup de protestants soient de bonne foi, du fait qu’ils ignorent le véritable esprit du protestantisme.

En ce qui regarde l’espérance, l’esprit mauvais travaille à faire dégénérer notre espérance en pré­somption ; par exemple, on veut parvenir trop vite à la sainteté, et non peu à peu, par les degrés néces­saires, ni par la voie de l’humilité et de l’abnéga­tion. Il inspire également une certaine impatience vis-à-vis de nous-mêmes, lorsque nos défauts paraissent trop. Par suite, il produit en nous l’indigna­tion au lieu de la contrition, une indignation qui est fille de l’orgueil et contraire à la contrition. Or la présomption mène au désespoir, quand on voit l’im­possibilité de parvenir par ses propres forces à la fin visée : le bien ardu apparaît alors presque inaccessible et c’est la désespérance.

Touchant la charité, l’esprit mauvais favorise ses simulacres qui sont comme un faux diamant ; ainsi, selon les inclinations variées et opposées de notre nature, il pousse certains à cette fausse charité envers le prochain qu’est le sentimentalisme, avec une indulgence excessive sous prétexte de miséri­corde et de générosité. Il en excite d’autres, au con­traire, à un faux zèle : nous voulons alors toujours corriger les autres, mais non nous-mêmes, et en voyant le fétu dans l’œil de notre frère, nous ne voyons pas la poutre dans notre œil.

De tout cela résulte le contraire de la paix, c’est-à-dire la discorde. L’homme conduit par cet esprit ne peut plus supporter la contradiction, il ne voit que lui-même dans sa personnalité encombrante et se place inconsciemment au-dessus de tous les autres, comme une statue sur son piédestal.

Si cet homme tombe dans un péché grave et manifeste qu’il ne peut cacher, il se laissera gagner par le trouble, l’indignation, le désespoir et enfin par l’aveuglement de l’esprit et l’endurcissement du cœur. Avant cette faute, le démon cachait les suites décourageantes du péché et inspirait le relâchement ; maintenant, après la faute, il parle de l’inexorable justice de Dieu, pour nous acheminer au désespoir. C’est ainsi qu’il forme les âmes à son image : après l’emportement de l’orgueil vient le désespoir.

Donc si quelqu’un avait une grande dévotion sensible dans l’oraison, mais en sortait avec un plus grand amour-propre, s’estimant au-dessus des au­tres, sans obéissance envers ses supérieurs, dépourvu de simplicité à l’égard de son directeur spirituel, ce serait le signe de la présence de l’esprit mauvais dans sa dévotion sensible. Le manque d’humilité, d’obéissance et de charité fraternelle est alors l’in­dice qu’il est privé de l’esprit de Dieu. Venons-en maintenant aux signes de ce dernier.

Signes de l'esprit de Dieu

Ces signes s’opposent à ceux de l’esprit de nature et de l’esprit du démon. L’esprit de Dieu incline à la mortification extérieure, il diffère en cela de l’esprit de nature, mais à la mortification extérieure réglée par la prudence chrétienne et par l’obéissance, et qui n’attire pas l’attention sur nous ni n’affaiblit la santé. Il nous enseigne en outre que la mortification extérieure est peu de chose, s’il n’y a en même temps mortification de l’imagination, de la mémoire (souvenir des torts qu’on nous a faits), du cœur, de la volonté propre et du jugement propre. Il inspire également la véritable humilité qui dis­pose à l’obéissance parfaite, nous défend de nous préférer aux autres, ne craint pas le mépris, garde le silence sur nos qualités ; cependant elle ne les nie pas, si elles existent, mais en rend gloire à Dieu.

L’esprit de Dieu nourrit notre foi de ce qu’il y a de plus simple et de plus profond dans l’Evangile, par exemple l’oraison dominicale, avec la fidélité à la tradition, en fuyant les nouveautés. Cette vraie foi surnaturelle nous montre Dieu dans les supé­rieurs ; ainsi se perfectionne l’esprit de foi, parce que nous jugeons tout à la lumière de cette vertu.

L’esprit de Dieu rend l’espérance ferme, en la préservant de la présomption ; il nous dit, par exemple : il faut désirer ardemment l’eau vive de l’oraison, mais on y parvient par la voie de l’hu­milité, de l’abnégation et de la croix. Par suite, il donne une sainte indifférence pour le succès humain.

L’esprit de Dieu augmente la ferveur de la cha­rité, il donne le zèle de la gloire de Dieu et du salut des âmes, l’oubli de soi. Ainsi nous pensons d’abord à Dieu, secondairement à notre avantage. Il incline également à l’amour efficace du prochain ; il nous dit : la charité fraternelle est le principal signe du progrès de l’amour de Dieu. Il empêche le jugement téméraire, le scandale sans motif. Il inspire le zèle, certes, mais un zèle patient, doux et prudent, qui édifie par la prière et par l’exemple, et n’irrite pas par des admonitions intempestives. Il donne une grande patience dans l’adversité, l’amour de la croix, l’amour des ennemis. Il donne la paix avec Dieu, avec les autres, avec nous-mêmes, et souvent la joie intérieure.

S’il y a une chute accidentelle, alors l’esprit de Dieu nous parle de miséricorde. S. Paul dit (Gal. V, 22-23) : « Les fruits de l’esprit sont la charité, la joie, la paix, la patience, la bienveillance, la bonté, la longanimité, la douceur, la foi, la modestie, la con­tinence, la chasteté », avec l’humilité et l’obéissance.

S’il s’agit d’un acte particulier, il est plus diffi­cile de discerner s’il vient de Dieu. Cependant si, se trouvant plutôt dans la tristesse, l’âme prie et reçoit une consolation profonde, c’est le signe de la visite de Dieu, si cette consolation incite à l’obéissance humble et à la charité fraternelle.

Mais il faut distinguer le premier moment de consolation du temps suivant, où quelquefois l’âme juge par elle-même de cette consolation et peut-être d’après son amour-propre.

Il y aurait présomption à désirer des grâces proprement extraordinaires comme les visions ou les paroles intérieures ; mais si l’âme vit et persévère dans l’humilité, l’abnégation et le recueillement pres­que continuel, il n’est pas rare qu’en vertu des sept dons du Saint-Esprit, elle reçoive des inspirations, grâce auxquelles se concilient la simplicité et la pru­dence, l’humilité et le zèle, la fermeté et la douceur. Cette conciliation et cette harmonie constituent le signe le plus clair de l’esprit de Dieu.

Le secret, le silence et la croix sont absolu­ment nécessaires à ceux que Dieu conduit vraiment par des voies extraordinaires et ils ne doivent les manifester qu’à leur père spirituel ; sinon il y a grand danger d’orgueil spirituel.

Particulièrement dangereuse est la disposition à se complaire dans les révélations, à forme dogma­tique ou prophétique ; car elles s’accompagnent facilement d’illusion, et même si la première inspira­tion vient de Dieu, souvent vient s’ajouter une inter­prétation humaine plus ou moins erronée, générale­ment trop matériellement comprise. Enfin l’esprit qui procure des extases et des révélations, s’il ne per­fectionne pas les mœurs et la vie, et ne rend pas l’homme défiant de lui-même, est un esprit d’illu­sion, surtout si tout cela empêche l’accomplissement du devoir d’état et engendre des discordes. Les signes de l’esprit de Dieu sont donc l’obéissance humble, la charité fraternelle, la paix et la joie spirituelle rayonnante.

Principes secondaires du discernement des esprits

1. Dans ce qui se présente soudain à faire, l’esprit qui anime quelqu’un se manifestera, si, après délibération, il se défie de lui-même. Cependant dans cette règle il ne s’agit pas du mouvement primo primus, ni du péché de fragilité, mais d’un acte suffisamment délibéré et grave que l’hypocrite ne peut cacher ; ainsi se révéla le cœur des pharisiens après la guérison imprévue de l’aveugle-né.

2. Les secrets du cœur se manifestent dans les tribulations. Ainsi les vrais amis demeurent au jour de la tribulation, mais non les autres, comme il est dit dans l’Ecclésiastique (VI, 8). De même la tribulation est comme une fournaise où Dieu éprouve ses élus, selon cet autre passage de l’Ecclésiastique (XXVII, 5) : « Les vases du potier sont éprouvés par la fournaise et les justes le sont par la tentation » ou la tribulation. On lit dans la Sagesse (III, 5-8) : « Dieu les a éprouvés et les a trouvés dignes de lui. Il les a examinés comme l’or dans le creuset et il les a agréés comme une victime d’holocauste, en temps voulu ils auront leur récompense. Les justes brilleront et courront comme des étincelles parmi les roseaux. Ils jugeront les nations et domineront les peuples et le Seigneur régnera éternellement ». Mais pour cela la tribulation était nécessaire ; « nom­breuses sont les tribulations des justes » ; leur lon­ganimité, leur humilité, leur douceur, leur persé­vérance indéfectible s’y manifestent.

3. Le commandement révèle l’homme ; car lorsqu’on parvient au pouvoir et aux honneurs, on doit corriger et gouverner les autres, ce qui com­porte beaucoup plus de difficultés que ce qu’on faisait auparavant dans sa vie privée. Il faut en effet montrer de la sagesse, de la prudence, sans opportunisme et utilitarisme mesquins, de la charité en­vers tous, de la justice également, une fermeté qui ne craigne pas de corriger les mauvais, enfin de la bienveillance pour les bons serviteurs qui doivent être aidés. Voir le Dialogue de sainte Catherine de Sienne, où il est question des bons et des mauvais pasteurs.

Règles pour diverses circonstances

1. Aux moments de désolation, il ne faut faire aucun changement, mais tenir avec fermeté et con­fiance les résolutions qu’on a déjà prises devant Dieu. C’est surtout vrai s’il s’agit d’une désolation accablante, qui pousse à une tristesse mauvaise où l’esprit mauvais serait notre guide.

2. Aux moments de désolation, il faut s’a­donner davantage à la prière, à l’examen et à la pénitence. Pourquoi ? Parce que la désolation, en­gendrée par le dégoût, nous éloigne de la prière, de l’examen de conscience et de la pénitence. On soignera donc les contraires par les contraires. De quelque cause qu’elle provienne, cette désolation doit être pour nous l’occasion d’une réaction ver­tueuse ou d’un empressement de l’âme au service de Dieu. Voir l’Imitation de Jésus-Christ, au livre I, c. 12 : Avantages de l’adversité ; il y est dit : « L’ad­versité rappelle l’homme à son propre cœur, de ma­nière qu’il se sache en exil et ne mette son espérance en aucune chose du monde ». Ainsi, peu à peu, grâce à la prière, la tristesse, de mauvaise qu’elle était, devient bonne.

3. L’esprit mauvais nous trompe en attirant notre âme sous l’apparence du bien, et ensuite nous induit et nous incite au mal. C’est à proprement parler une séduction, bien plus le démon se trans­figure parfois en ange de lumière : sous prétexte d’une amélioration en des choses inférieures, il nous détourne de la voie de Dieu, pour nous faire désirer la commodité plutôt que la sainteté. Il provoque ainsi des divisions, trouble la paix et sème la dis­corde.

4. Si l’on s’attriste d’être méprisé, c’est le signe, sinon de l’esprit mauvais, du moins d’un esprit imparfait ; donc si l’on se décourage quand on est méprisé, c’est un mauvais signe, surtout chez ceux qui passent pour être gratifiés des plus grands dons de Dieu. Car ceux qui sont vraiment tels ne se réjouissent pas seulement de ces dons et de ces faveurs, mais aussi des adversités et du mépris, selon ces paroles de S. Paul (II Cor. XII, 5, 10) : « Pour ce qui me concerne, je ne me glorifie de rien, sinon de mes faiblesses... afin que la puissance du Christ habite en moi. C’est pourquoi je me complais dans mes faiblesses, dans les injures et les détresses pour le Christ ». Ainsi, comme le dit S. Augustin, « l’apôtre a trouvé un trésor dans le mépris dont le philosophe rougissait » (Sermon 160).

Par suite, l’esprit qui refuse d’être méprisé n’est pas un esprit parfait ; de même celui qui néglige de se renoncer n’est pas d’une vertu solide. Car, du fait qu’elles sont connexes, toutes les vertus doivent augmenter en même temps.

Corrolaires

1. L’esprit qui abonde en pénitences tout en étant pauvre d’obéissance est im­parfait, et il tend au mal en quelque sorte, parce qu’il est trop attaché à la volonté propre ; il fait beaucoup de bonnes œuvres, mais non par amour de Dieu ; ce qui le prouve, c’est qu’il ne croît pas en cette humble obéissance qui manifeste la conformité avec la volonté de Dieu.

2. Ce n’est pas, non plus, un bon esprit que celui qui est porté au paradoxe, c’est-à-dire qui juge habituellement en dehors ou à l’encontre de l’appré­ciation commune des gens prudents, qui a quelque chose d’étrange et d’artificiel : il contient plus d’en­flure que de vertu.

3. Mauvais aussi est l’esprit qui pousse à des choses extraordinaires et en parle volontiers sans discrétion. La raison en est que toutes les vertus augmentent en même temps, du fait qu’elles sont connexes ; par suite Dieu ne pousse pas à de grandes choses sans inspirer en même temps une grande humilité. Ainsi la véritable magnanimité diffère de l’impétuosité de la présomption. C’est au contraire le propre du démon d’inciter à des entreprises nou­velles, curieuses, singulières, prodigieuses, inusitées, provoquant l’admiration et la stupeur pour obtenir les honneurs de la sainteté.

Il en est de même si quelqu’un n’est pas solidement établi dans l’humilité et l’obéissance, s’adonne à une vie extraordinaire d’oraison et de pénitence, sous prétexte d’imiter les saints dans celles de leurs actions qui sont plus admirables qu’imi­tables.

La constitution de l’édifice spirituel ne peut commencer par le faîte, et l’oiseau ne peut voler avant d’avoir des ailes. Ainsi en est-il de l’âme : dans ce cas, si elle semble voler, c’est seulement un simulacre de vol ou d’élévation, une vaine et péril­leuse exaltation.

Conclusion

De tout cela il résulte claire­ment que l’esprit de Dieu se manifeste surtout dans l’humble obéissance, et dans la charité fraternelle qui aime le prochain pour Dieu avec abnégation. Car l’obéissance humble ne vient pas de l’esprit de la nature qui n’incline pas à l’humilité, ni de l’esprit mauvais, qui est un esprit d’orgueil et de désobéis­sance ; au contraire l’obéissance humble, jusque dans les plus petits détails, manifeste la conformité progressive avec la volonté divine.

D’autre part, la charité fraternelle est le plus grand signe de l’amour de Dieu, selon ces paroles du Seigneur (Jean XIII, 35) : « C’est à ceci que tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres ». La charité fraternelle est le thermomètre sensible de notre union à Dieu ; car c’est bien d’une manière sensible qu’apparaît notre charité quand il faut aider le prochain, surtout s’il est difficile et exigeant ; alors, si nous l’aimons malgré cette difficulté, c’est le signe que nous lui faisons du bien à cause de Dieu et que, par suite, augmente notre charité envers Dieu lui-même. Il n’y a pas deux vertus de charité, l’une envers Dieu, l’autre envers le prochain. Il n’y a qu’une seule charité, dont l’objet principal est Dieu et l’objet secondaire le prochain. L’amour vi­sible du prochain manifeste ainsi l’amour invisible de Dieu, dans la mesure où il se distingue du sentimentalisme.

Donc, si l’humble obéissance et la charité fra­ternelle se conservent et progressent dans une âme ou dans une communauté, c’est alors le signe que le véritable amour de Dieu y est en progrès. Par suite, si cette âme manque un peu d’intelligence naturelle et d’énergie physique, Dieu y supplée par les inspi­rations des dons de conseil et de force.

Notes et références

  1. De même Imitation de J-C, l. III, c.4 : Les divers mouvements de la nature et de la grâce.
  2. Cf. I-II, q. 85, a. 3 : Blessures : (- dans la raison déchue de son orientation vers la vérité, blessure de l’ignorance, au lieu de la prudence ; (- dans la volonté par rapport au bien en général, c’est la malice au lieu de la justice ; (- dans l’irascible à l’égard du bien ardu, c’est la faiblesse à la place de la force ; (- dans le concupiscible par rapport au bien délectable réglé par la raison, c’est la concupiscence au lieu de la tempérance.
  3. I-II, q. 77, a. 4 et 5 ; cf. Bossuet, Traité de la concupiscence.
  4. Cf. Imitation de J-C, l. 4, c. 5 : Excellence du sacrement et de l’état sacerdotal.
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