Le fondement spirituel : L'humilité

De Salve Regina

Vie spirituelle
Auteur : P Sertillanges, O.P.
Source : Revue "La Vie Spirituelle" n°204

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen

A peine nomme‑t‑on l'humilité, fût‑ce bien humblement et avec une réserve prudente, aussitôt l'on voit les fronts se redresser, les reins se cambrer et un geste du doigt signifier : Moi, non ! Moi... Ce pauvre moi humain qui se cabre ainsi ignore‑t‑il donc ce qu'il est, sait‑il ce que lui prépare l'orgueil et que des sept démons qui nous hantent, il a installé en lui‑même le pire ?

Saint Bernard estimait que parmi les enseignements du Christ l'humilité est le plus grand. Cela n'apparaît point tout d'abord, parce que beaucoup de liaisons délicates s'interposent entre ce principe de la vie spirituelle et ses ultimes conséquences, mais cette obscurité n'infirme pas l'assertion du grand moine : se dérober aux regards est le cas de tous les fondements et de toutes les racines.

Quand nous voulons fournir un abrégé de nos devoirs, nous prononçons le mot intégrité, ou nous parlons de droiture, de rectitude : or, l'humilité s'offre à la rectitude et à l'intégrité comme condition fondamentale, en attendant que l'amour apparaisse comme l'âme de toute la vie spirituelle et comme son couronnement.

L'humilité mène à la rectitude parce qu'elle veut obéir à l'ordre souverain dont elle a reconnu l'empire, parce que le moi égoïste et orgueilleux ayant cédé la place, c'est Dieu qui lui est tout, et le prochain en Dieu, et elle‑même en l'unité du prochain et de Dieu.

L' « abstine et sustine » des Stoïciens, qui à leurs yeux résumait la morale, doit être inscrit à l'actif de l'humilité, alors que l'orgueil de ses inventeurs risquait de troubler l'économie morale au point de la détruire.

L'humilité s'abstient de ce qui contredit Dieu, de ce qui fait concurrence à Dieu, en soi et dans tout ce qu'elle aborde. Elle soutient l'action de Dieu en soi et hors de soi avec une patience et un zèle exempts de négligence, parce qu'ainsi le veulent la place et le rôle qu'elle s'attribue dans l'ordre divin, éblouie de l'être de Dieu, éblouie d'une autre manière des pouvoirs et des fastueuses promesses qui s'attachent à son néant.

L'humilité n'est pas une simple persuasion de l'esprit : c'est une attitude de l'âme ; elle implique donc un culte à l'égard du souverain bien, d'où naissent la soumission et le service. Tout se met en place pour nous du seul fait que nous sommes en place. Adaptés à ce qui est, nous agissons en harmonie avec tout, éloignés d'abuser d'autrui plus que de nous, prêts à de mutuels services, dans un ordre où le service mutuel est la loi, ignorants de l'envie et de la cupidité, parce que ce monde a été fait pour tous et doit être à la disposition de tous, satisfaits des avantages d'autrui comme des nôtres, puisque le moi séparé et adversaire a fondu et en quelque sorte s'évapore sous le rayonnement divin.

L'orgueil, lui, ne sait pas obéir et ne sait pas aimer ; il ne sait pas se modérer et ne sait pas servir; il n'est jamais content de rien ni de personne, car il mesure toutes choses à ses prétentions et il n'estime les gens qu'en proportion de l'honneur qu'il en reçoit; or il est insatiable.

La sauvegarde et le progrès de toutes les vertus se trouvent ainsi dans la dépendance étroite de l'humilité, ce qui faisait dire à saint François Xavier : « Sur les pas de Jésus‑Christ, on ne monte qu'en descendant. » Alors que l'orgueil s'introduit dans toutes les passions pour les porter aux extrêmes, l'humilité les calme et les subordonne. Elle est l'ennemie des forces d'anarchie que l'orgueil alimente et le soutien des forces utiles que l'orgueil brise.

Le moindre petit lot de vertu ainsi gardée vaut mieux que beaucoup de vertu enflée d'elle‑même. La vertu orgueilleuse est un effort pour gravir un rocher qui dévale sur une pente : que sert l'ascension, si la chute du grimpeur et de son roc est devenue fatale dès l'abord ?

L'humilité, qui commence tout, donne par surcroît la stabilité et la persévérance par quoi tout s'achève. En quel point celui qui ne compte pas pour soi serait‑il vulnérable ? Il a substitué à lui‑même ce qui échoppe à toute mutabilité et à tout caprice : il en doit partager la sécurité. Ainsi que l'écrivait Léonard de Vinci dans ses notes : « Celui qui fixe sa route sur une étoile ne change point. »

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