Le mystère de la consécration virginale, l'abandon

De Salve Regina

Textes de méditation
Auteur : P. M.-D. Philippe
Source : In Le Mystère de Marie, chapitre premier

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen

Après avoir montré le point de départ et le terme du mystère de la croissance de la charité en la Très Sainte Vierge, il nous faut maintenant regarder attentivement les divers moments de cette croissance.


Première consécration

Le premier acte de charité du cœur de Marie qui nous soit révélé est la consécration de tout son être à Dieu. Dans le mystère de l’Annonciation, à l’ange Gabriel, qui lui dit qu’elle sera mère de Dieu, Marie répond « Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d’homme[1]? » Cette question nous montre bien les inten­tentions intimes du cœur de Marie. Cette vierge, « fiancée à Joseph », s’est entièrement donnée à Dieu, elle lui appar­tient exclusivement. Ses fiançailles à Joseph cachent mer­veilleusement son don total à Dieu.

Cette consécration totale de son être est la première réponse de Marie à la miséricorde prévenante du Père, c’est le premier élan de son cœur vers l’amour de son Dieu. Dans cette réponse, Marie exploite divinement le capital de son privilège d’immaculée. Cet acte est le fruit d’un amour héroïque qui veut tendre le plus parfaitement possible et le plus rapidement possible vers son Dieu. Comme toute donation, il implique une séparation, un sacrifice. Marie, par amour pour Dieu, fait le sacrifice de sa maternité humaine, si tel est le bon plaisir de Dieu, et ce sacrifice se réalise dans l’obscurité de la foi. Elle ne peut savoir ce que Dieu lui réserve. C’est l’acte de foi et l’espérance que Dieu exige d’Abraham lorsqu’il lui demande de quitter la terre de ses pères et de marcher vers la terre promise. « Quitte ton pays, dit Yahvé à Abra­ham, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je t’indiquerai[2]. »

Marie, en se consacrant totalement à Dieu, corps et âme, doit sortir de tout ce qui lui est connaturel, egredere de cognitione tua. Elle doit oublier la maison de son père, obliviscere domum patris tuae, pour s’orienter vers une terre promise, encore invisible, que Dieu lui donnera[3].

Avec cet acte, nous sommes bien en présence de l’au­rore de la loi évangélique. L’esprit de cette loi, dans ce qu’il a de plus exigeant et de plus pur, s’impose au cœur de Marie et prend possession de tout son être.

La question de Marie à l’ange Gabriel à l’Annonciation nous dévoile donc indirectement l’amour intime et caché de son cœur pour son Dieu. Elle l’a choisi de préférence à toutes les autres réalités.

Si l’Esprit Saint ne nous a pas directement révélé le premier ecce venio qu’elle a prononcé dans le secret de son cœur - il se l’est comme réservé -, nous pouvons cependant le deviner à travers cette objection si simple, si nette, qu’elle fait spontanément à l’ange, comme la chose la plus normale.

Cette question nous révèle aussi une exigence tout à fait particulière de son amour au plan social et commu­nautaire : elle est fiancée à Joseph, étant toute à Dieu. C’est donc une communauté nouvelle au sein de l’an­cienne communauté d’Israël que son amour réalise : une communauté familiale de personnes vouées à Dieu, qui s’unissent d’abord pour l’aimer d’une manière plus divine, et s’aimer mutuellement pour lui. Voilà l’aurore de la communauté chrétienne ; toute autre communauté chrétienne s’enracine dans cette communauté et ne peut s’en séparer.

Cette consécration de Marie, que l’Esprit Saint nous révèle d’une manière si voilée, est le modèle de toute pre­mière étape, de toute première orientation dans le mystère de la croissance de la vie chrétienne. En effet, le premier geste de l’âme chrétienne est de se présenter à son Dieu, son Créateur et son Père. Or, se présenter à son Créateur et à son Père ne peut se réaliser qu’en se remettant totale­ment, corps et âme, entre ses mains, lui promettant fidélité et attendant tout de lui. Voilà le geste parfait de la consé­cration, fruit d’une confiance totale en la miséricorde toute-puissante du Père-Créateur. La première coopéra­tion de l’âme chrétienne, répondant à l’action miséricor­dieuse de son Dieu, ne peut être qu’un tel geste. Par cette consécration, l’âme exploite librement, de la manière la plus divine, la grâce que Dieu lui a faite. Elle reconnaît qu’on ne peut coopérer avec Dieu qu’en se livrant totale­ment à lui, le laissant agir en toute liberté. On ne peut se présenter à Dieu qu’en le laissant nous attirer vers lui. On ne peut progresser dans l’amour divin qu’en laissant l’amour de Dieu nous envahir. Le premier sursum corda de la créature ne peut être qu’une consécration totale, laissant l’âme absolument libre pour son Dieu. Celui-ci, ensuite, communiquera ce qu’il veut, déterminant ainsi la volonté de la créature. Mais Dieu ne peut communiquer sa volonté que si, d’abord, dans l’âme de la créature, il y a cette pré­sentation intime, cette consécration profonde. Dieu res­pecte toujours la liberté humaine, il n’agit directement et ne s’impose que dans la mesure où nous le laissons agir. Saint Jean de la Croix affirme qu’« il nous faut laisser le cœur libre pour Dieu, ce qui est le principe dispositif pour toutes les faveurs que Dieu doit faire à l’âme, sans laquelle disposition il ne les fait pas[4] ». La consécration est bien pour permettre cette liberté intérieure du cœur l’orientant totalement vers Dieu.

Précisons que ce premier acte de charité du cœur de Marie, la Tradition et l’Écriture nous en livrent certaines modalités qu’il nous est très utile de regarder de près.

Modalités de cette consécration

La Tradition, si on la décante de toutes les légendes apocryphes nous donnant des détails superflus que l’Es­prit Saint n’a pas jugé bon de sanctionner, nous livre le seul fait de la consécration de Marie à Dieu : la Présenta­tion de Marie au Temple, pour être vouée au service de son Dieu. L’écriture ne nous en dit rien explicitement. Le premier geste officiel de Marie, comme son dernier, la Présentation de Marie au Temple et sa mort, devaient être, selon le bon plaisir de la Sagesse divine, comme enfouis dans la Tradition.

Notons bien que le mystère de la Présentation est le point de départ de toute la Tradition chrétienne. La Tra­dition chrétienne commence avec ce mystère, ce premier acte personnel de la vie de Marie. Le mystère de la Tradi­tion chrétienne est donc, de fait, inséparable du mystère de la vie de Marie. Si l’on refuse d’admettre la Tradition, on mutile nécessairement le mystère de Marie et l’on se voue à ne plus pouvoir le comprendre de la manière vou­lue par l’Esprit Saint. On ne peut plus le saisir de l’inté­rieur. Ceci est normal, car le mystère d’une mère est toujours un mystère d’intimité affective qui répugne en quelque sorte à être écrit, mais qui ne peut que se vivre et se communiquer par et dans l’amour.

Par ce mystère de la Présentation, la Tradition veut nous faire comprendre que Marie s’est donnée totale­ment à Dieu, qu’elle s’est séparée des siens, pourtant si saints, Joachim et Anne, pour entrer dans la maison de Dieu, se vouer à son service[5]. Elle veut être la servante de Dieu, elle ne veut que cela. Ce premier geste d’amour, Marie l’accomplit dans le secret de son cœur. Saint Albert le Grand nous dit que c’est sous la seule inspiration du Saint-Esprit, sans aucun conseil humain, que Marie se livre à Dieu pour être son bien, solo inspirante Spiritus sanctus absque omni humano prompto consilio et exemplo. Comprenons les droits absolus de Dieu sur celle qui veut devenir sa propriété exclusive. Malgré l’obligation concernant toutes les jeunes filles de la race de David de se marier pour perpétuer la descendance royale d’où doit naître le Messie, Marie, sans mépriser cette obligation, accepte l’appel impérieux de l’Esprit Saint. Elle se sépare des siens, elle fait le sacrifice de la maternité, elle se dépouille du droit d’aimer quelqu’un de son choix et d’être aimée par lui pour n’être aimée que de son Dieu et n’aimer que lui.

Ce don d’elle-même à Dieu, Cajetan précise qu’il ne peut se faire que sous condition, « si tel est le bon plaisir de Dieu ». Marie, en effet, en faisant cet acte, ne peut deman­der conseil à personne. Elle doit le garder comme un secret divin, puisqu’elle est la première à faire un tel geste avec une telle pureté. Elle n’a pas de modèle devant elle. C’est elle qui est « chef de file ». Elle doit donc agir dans une dépendance d’autant plus grande à l’égard de son Dieu, se remettant entièrement à son bon plaisir sur elle.

Cette condition ne diminue en rien l’absolu du don, celui-ci est total, mais elle nous en manifeste la modalité. Ce don se fait dans un abandon plénier, dans une remise totale au bon plaisir de Dieu. Voilà bien l’extrême délica­tesse du cœur de Marie. Ce cœur ne veut rien faire qui ne soit directement voulu par Dieu. Elle comprend, sous l’inspiration du Saint-Esprit, que la meilleure manière de répondre à la miséricorde du Père, c’est de s’ouvrir tou­jours plus à cette miséricorde, de ne pas la limiter à notre taille humaine, mais de s’y livrer, de s’y abandonner. Cette consécration première est donc bien une consécra­tion dans l’abandon, ou mieux une consécration d’aban­don, car elle ne veut être autre chose qu’un abandon plénier, total, sans aucune restriction de matière ni de temps. On se livre pieds et mains liés au bon plaisir de Dieu et on lui promet de considérer durant toute sa vie cette attitude comme l’attitude la plus vraie et la plus fondamentale. Un tel abandon est caractéristique de la créature élevée à l’ordre surnaturel de fils de Dieu. Notre Seigneur nous l’enseigne nettement[6]. Car l’attitude la plus caractéristique de la créature raisonnable se présen­tant à Dieu est de l’adorer. C’est le premier acte des fils de l’homme, Caïn et Abel, qui nous soit révélé. La créa­ture raisonnable en face de son Dieu s’efface, disparaît. Elle ne peut regarder son Créateur sans frémir. Par contre, l’attitude propre du fils est d’aimer son Dieu­-Père, et de vivre dans l’unité d’amour avec lui. On comprend alors comment l’attitude caractéristique de la créature raisonnable élevée à la dignité de fils de Dieu soit cette crainte aimante, filiale, s’épanouissant en un abandon plénier[7].

Le tout-petit s’endormant dans les bras de sa mère, illustre bien cette attitude d’abandon parfait. Comme tout-petit, il ne s’appuie que sur sa mère, il n’a pas d’autre soutien que ses bras ; comme tout-petit il n’a aucune inquiétude, il ne sait même pas ce que c’est que l’inquiétude. Il est tellement livré et abandonné qu’il ferme les yeux tout normalement et s’endort. Ce n’est qu’une image, mais c’est une image qui peut nous aider à comprendre cette exigence première de la vie divine dans le cœur de l’homme. « Quiconque n’accueille pas le Royaume de Dieu en petit enfant n’y entrera pas[8]. »

Ce saint abandon du « tout-petit » n’est pas du quié­tisme, car il est le fruit d’actes de foi, d’espérance et d’amour en la miséricorde toute-puissante et aimante du Dieu-Père. Ce n’est pas un abandon psychologique, fruit d’un tempérament lymphatique qui est souvent une atti­tude de nonchalance et d’indétermination. C’est avant tout un abandon divin, tenant l’âme toute prête à accep­ter la volonté de Dieu. Si l’on peut comparer cet abandon divin à l’attitude du tout-petit qui s’endort dans les bras de sa mère, il faut aussi le comparer à l’état du serviteur qui veille, tout attentif au retour de son maître, désireux de recevoir immédiatement le premier ordre de son maître bien-aimé[9]. Cet esprit d’abandon est, en effet, l’attitude fondamentale de la créature raisonnable en face de son Dieu, sachant que servir Dieu, se remettre totale­ment entre ses mains et exécuter ses ordres, est ce qu’il y a de plus grand pour la créature. L’attitude propre du serviteur aimant Dieu est d’attendre les initiatives de celui à qui il se dévoue corps et âme, pour y répondre avec la plus grande diligence et en pleine joie. Cet abandon divin est donc un état d’attention aimante à la volonté de Dieu, pour recevoir cette volonté comme celle-ci demande d’être reçue. La demande du Pater exprime merveilleuse­ ment cela : « que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». Il faut que la créature raisonnable adopte des mœurs célestes pour recevoir divinement la volonté du Père. Que tous les retards, les lenteurs propres à la terre soient bannis et qu’il y ait un désir foncier de recevoir avec amour et immédiatement cette volonté aimante et éternelle.

Enfin, pour mieux pénétrer ce qu’il y a de si divin dans cet esprit d’abandon et éviter toute contrefaçon humaine, on pourrait encore comparer cet état fondamental de l’âme chrétienne qui se livre totalement au bon plaisir de son Dieu-Père, à l’attitude du père de famille qui veille pour ne pas laisser le voleur pénétrer dans son logis[10], à l’attitude du soldat guettant de nuit, à l’attitude du franc-tireur attentif aux moindres indices manifestant les dan­gers possibles d’attaques sournoises et rusées. Ce n’est plus seulement l’attitude première du serviteur qui attend l’ordre de son maître, c’est l’attitude de celui qui est aux aguets et qui lutte. Il sait que, tout en attendant les ordres de son chef, il doit faire attention aux manœuvres de l’en­nemi désireux de l’empêcher de recevoir les ordres et de les exécuter. La vie chrétienne, ici-bas, est une vie mili­tante. Il y a l’adversaire qui ne cesse d’agir, cherchant à détourner le chrétien de la volonté du Père. Saint Pierre nous le rappelle : « Soyez sobres, veillez. Votre partie adverse, le diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer[11]. » Cette action du démon est par­ticulièrement forte et sensible à l’égard de ce commence­ment, de ce départ, si important pour tout ce qui viendra après. La première orientation est toujours ce qu’il y a de plus délicat, de plus sensible, et aussi ce qu’il y a de plus important. Le démon est trop intelligent pour ne pas s’en occuper avec une vigilance toute particulière. C’est pour­quoi le saint abandon du « tout-petit », du fils du Père, est non seulement l’état d’attention du serviteur aimant - le fils étant toujours une créature, servant Dieu - mais aussi l’état de veille du soldat totalement engagé dans la lutte, qui sait que l’ennemi, s’il est caché, est en réalité présent, prêt à dévorer sa proie, dès la moindre imprudence. Cet abandon chrétien exige donc une vigi­lance extrême à l’égard de tout ce qui n’est pas Dieu et les envoyés de Dieu. Cette vigilance extrême, du reste, n’est pas le fruit de la seule prudence humaine acquise ; celle-ci, si parfaite qu’elle soit, ne peut dépister les ruses du démon. Il faut la lumière de foi pour dépister ces ruses, il faut la prudence infuse, aidée du don de conseil, pour être e prudent comme le serpent ». C’est la seule prudence qui permet à l’âme d’être « simple comme une colombe ».

Cette consécration d’abandon dans l’âme de Marie a bien toutes ces dimensions divines : elle livre totalement Marie à son Dieu, comme le tout-petit s’abandonne entre les mains de sa mère ; elle met Marie dans un état de servante aimante de son Dieu, attendant tout de lui et désireuse d’exécuter son bon plaisir ; elle met Marie dans un état de défense à l’égard de Satan, son ennemi person­nel. Cette consécration d’abandon est la meilleure manière pour Marie de se fortifier en son Dieu contre les attaques possibles du démon. Car en s’abandonnant à la miséricorde du Père, elle se cache en cette miséricorde et elle échappe au regard du démon. Elle fuit au désert. Satan ignore tout de ce premier geste de Marie. Voilà la première manière dont Marie écrase la tête de Satan !

Cette consécration d’abandon apparaît bien comme ce qui épanouit fondamentalement, de la manière la plus parfaite, sa plénitude de foi, d’espérance et d’amour, reçue avec son privilège d’immaculée. N’est-elle pas le fruit premier des dons du Saint-Esprit, sa première coopération avec l’Esprit Saint ? Le don de sagesse ne lui fait-il pas découvrir en premier lieu les droits exclusifs et jaloux de son Dieu ? Celui-ci veut tout : Marie se donne sans réserve. Les dons de crainte et de conseil ne la ren­dent-ils pas avant tout docile à la souveraineté absolue de son Dieu ? L’accomplissement du bon plaisir de son Dieu a seul valeur à ses yeux. L’essentiel n’est pas la qualité de l’offrande considérée en elle-même, mais l’accomplisse­ment même de la volonté de Dieu réalisée en cette offrande.

Pour que l’offrande soit agréée de Dieu, pour qu’elle soit sainte, il faut qu’elle soit l’expression vivante de sa volonté. C’est pourquoi, pour se consacrer pleinement et parfaitement, elle s’abandonne totalement au bon plaisir de son Dieu, aimant mieux ce bon plaisir que la consécra­tion elle-même de son être : toute sa joie et toute sa force est auprès du bon plaisir de son Dieu.

Voyons la différence avec le premier acte que l’Esprit Saint nous a révélé de notre mère selon la chair et le sang, Ève. Ce premier acte est un acte d’indépendance, d’isole­ment orgueilleux, d’autonomie terrible, Ève répond à Satan qui l’interroge, elle lui livre le secret de Dieu et devient sa proie.

En nous, il y a une lutte constante entre ces deux pre­mières initiatives qui sont comme nos deux atavismes, celui qui nous vient d’Ève, celui qui nous vient de Marie. Nos initiatives oscillent de fait entre ces deux attitudes si opposées. Dans la mesure où nous sommes engendrés à la vie divine, dans cette même mesure, nos initiatives se rapprochent de plus en plus de cette consécration totale d’abandon. Nous vivons de plus en plus du saint aban­don, comprenant que l’ecce venio et l’in manus tuas qui sont au point de départ et au terme de la vie terrestre de jésus, sont ce qui caractérise fondamentalement l’attitude du chrétien. Cet in manus tuas est, en effet, comme l’alpha et l’omega du disciple du Christ. Marie, la première parmi les disciples de Jésus, celle qui annonce la loi évangélique, nous en donne le modèle.

Cette consécration première d’abandon de l’âme de Marie à son Dieu, demeure toute cachée ; c’est une alliance secrète et intime qui se réalise entre elle et son Dieu. Aucune créature n’en est témoin. Il n’y a que Dieu et elle qui agissent ; Dieu a l’initiative première, elle y coopère et y répond. Elle met tout en cause pour l’aimer par-dessus tout, exclusivement, comme l’unique nécessaire. Ceci est normal, car l’abandon demande d’être caché, d’être réservé à Dieu. Quand une âme s’abandonne vraiment à Dieu, elle est cachée en Dieu, car elle ne veut vivre que pour lui. Ce mystère de la consécration de Marie, de sa présentation, demeure caché dans ce qu’il y a de plus intime, de plus secret dans la Tradition, sans doute pour nous faire comprendre l’importance de ce mode caché. Tout commencement doit être réservé à Dieu, exclusivement à lui : il a droit aux prémices de tout ce qui est créé.

Au point de vue communautaire, il n’y a rien de changé. La vie du Temple, extérieurement, reste la même. Marie n’y modifie rien. Les regards des hommes ne pourraient rien deviner. Seul Dieu sait combien Marie, au milieu des autres, vit d’une manière toute nou­velle, selon des exigences plus profondes et plus divines, celles de la loi évangélique. L’idéal évangélique doit d’abord être vécu dans le cœur de Marie d’une façon toute secrète, à l’ombre du Temple.

La première pierre de l’édifice que Dieu veut construire en nous, ce temple divin où doit habiter l’Esprit Saint, doit être comme enfouie au plus intime de nous-mêmes, en la miséricorde du Père, sans qu’il soit nécessaire qu’extérieurement il y ait quelque chose de changé.

Voilà une des exigences du gouvernement divin que la première réponse de Marie, dans le mystère de la croissance de sa vie divine, nous montre merveilleusement.

Première consécration communautaire

Cette donation secrète, faite à Dieu sous condition, va se modifier ou plus exactement s’épanouir grâce à Joseph. Nous ne savons pas comment s’est réalisée cette première rencontre de Joseph et de Marie, si c’est Marie qui a confié à Joseph son secret, ou si c’est l’Esprit Saint lui-même qui révéla à Joseph l’amour spécial de Dieu sur Marie. La première hypothèse semble plus conforme aux lois du gouvernement divin, et elle unirait plus intimement Joseph à Marie. Joseph serait le premier qui recevrait la confidence de Marie. Il deviendrait par là le premier bénéficiaire de sa charité fraternelle et miséricordieuse. Car confier à quelqu’un un secret personnel qui intéresse profondément toute notre vie, c’est lui témoigner une très grande confiance et, par là, c’est faire à son égard un acte d’amitié. Joseph deviendrait par là, du point de vue spirituel, comme le premier confident et ami de Marie. L’Écriture nous dit que Joseph est officiellement le fiancé de Marie. Par le fait même qu’il accepte de la considérer comme sa fiancée aux yeux de tous, tout en respectant son don total à Dieu, Joseph permet une réalisation plus plénière de la consécration de Marie à Dieu. Joseph est pour Marie comme la première réponse miséricordieuse de Dieu à son abandon plénier, puisque grâce à lui, il n’y a plus aucun obstacle qui puisse empêcher la réalisation de son don total, âme et corps, à son Père. Joseph, gardien de la Vierge, est celui qui cache l’œuvre première réalisée par Marie en la miséricorde de son Père : son abandon filial. Il coopère activement et librement à cet abandon en le vivant dans son cœur, en en faisant sa vie. Cette coopération permet à l’œuvre de Dieu de s’affermir, de s’installer selon un mode communautaire, et le mode communautaire le plus intime et le plus naturel qui soit : le mariage.

Voyons bien la progression des exigences de l’amour divin en Marie : cet amour lui demande le don de tout elle-même, d’abord d’une façon tout à fait solitaire et cachée - elle seule en vit - puis cette exigence de l’amour demande de s’emparer du cœur de son prochain le plus proche : Joseph. C’est ensemble qu’il faut vivre de cette exigence. La charité fraternelle et la miséricorde dans ce qu’elle a de plus grand s’emparent tout de suite du cœur de Marie et la lient à Joseph de ce lien si extraordinaire que seul peut exiger le don de conseil. C’est évi­demment un peu fou, si on le regarde avec notre pauvre regard humain. C’est merveilleux sous le regard de la sagesse divine. La consécration virginale, pourrait-on penser, en nous liant exclusivement à Dieu, doit nous séparer de la charité fraternelle. En réalité, nous unissant plus étroitement à l’amour de Dieu, elle nous permet d’aimer plus profondément le prochain, de l’aimer avec une profondeur et une délicatesse toutes divines. Il est très grand de constater que Marie, qui se voue si totale­ment à Dieu, est engagée en même temps dans de tels liens de charité fraternelle à l’égard de Joseph. Son cœur virginal aime Joseph d’une manière toute divine, très pure, mais très réelle, très efficace. Il ne s’agit pas du tout d’une sorte d’amour platonique, abstrait, lointain ; un tel amour n’est pas divin, il est au fond toujours très larvé d’égoïsme et de dilettantisme. La charité fraternelle nous fait aimer le prochain comme Dieu l’aime, avec toute la profondeur, tout le réalisme et toute la pureté de l’amour divin, qui atteint tout ce qui est sans être lui-même touché, selon une générosité toute désintéressée. C’est vraiment par amour pour l’autre qu’on l’aime, lui voulant du bien et le bien le plus excellent dont il est capable. C’est de cet amour divin que Marie aime Joseph. Elle l’aime parce qu’il est pour elle le prochain choisi par Dieu, qui doit être son fiancé et son époux ; elle se conforme totalement au choix de Dieu ; elle choisit Joseph pour qu’il soit son compagnon de route, son sou­tien, son chef, son confident. Elle le choisit pour mener avec lui une vie commune très étroite, la vie commune d’un foyer, d’une famille. Sa confiance en Joseph est telle qu’elle lui confie le secret de son âme : sa consécration virginale à Dieu. Voilà bien le modèle de toute charité fraternelle, car cette charité apparaît à la fois si pure qu’elle coexiste parfaitement avec les exigences les plus grandes du cœur de Marie, immaculé et consacré à Dieu, et si profondément humaine, que cet amour implique un choix mutuel très singulier, un choix très absolu et très fidèle qui décidera définitivement de l’orientation humaine de leur vie. Leur choix est une promesse de fidé­lité qui ne peut se reprendre officiellement : Joseph et Marie sont fiancés. Ce choix est très intime, très respec­tueux des exigences mutuelles, très accueillant et très confiant. On peut même dire que, comme Marie s’abandonne totalement à la miséricorde toute-puissante du Père en se consacrant à lui, de même sa confiance envers Joseph, représentant de cette autorité du Père sur elle, est si totale, qu’elle s’abandonne vraiment et entièrement à lui pour tout ce qui regarde la vie commune. Elle peut se fier entièrement à la prudence divine de cet homme juste[12]. Seule une prudence chrétienne toute divinisée par le don de conseil, peut diriger les actes extérieurs d’une telle charité fraternelle et ordonner cette vie commune de Marie et de Joseph, aurore de la première communauté chrétienne.

Considérons ici encore cette exigence du gouvernement divin : Dieu veut que ce qui est initialement très secret et très caché dans notre cœur, s’empare progressivement de toute notre nature. Que notre cœur soit tout à lui, en premier lieu, dans ce qu’il a de plus profond, mais qu’il soit ensuite tout à lui également, dans ses relations avec les autres hommes. La charité doit prendre possession de l’amitié humaine dans ce qu’elle a de plus excellent et la transformer. Grâce à cette charité fraternelle, la miséricorde de Dieu peut surabonder. Ce n’est plus seulement Marie qui est totalement consacrée à Dieu, c’est aussi Joseph dans sa relation à Marie. Ce n’est pas seulement Marie qui est servante de son Dieu, mais c’est aussi Joseph qui est serviteur de Dieu, en devenant le serviteur de la servante de Dieu. Joseph est un serviteur très pauvre, dont le rôle principal est de cacher. Dieu avait besoin de lui pour cacher sa servante, et par là, il se la réserve plus profondément. Dieu, dans son gouvernement miséricordieux, aime à multiplier ses serviteurs, pour que sa miséricorde surabonde. Il aime à les unir d’une manière très intime, réalisant entre eux des liens très forts de charité fraternelle, conditionnant même l’efficacité des services de l’un à la fidélité de l’autre. Voyons en Moïse et Aaron, dans l’Ancien Testament[13], la préfiguration de ce qui se réalise entre Marie et Joseph. Pour cacher Moïse, Aaron lui est donné. Aaron sera le porte­-parole officiel de Moïse, la « bouche de Moïse ». Celui-ci pourra alors demeurer uniquement tourné vers son Dieu. Mais n’insistons pas. Considérons seulement comment Dieu donne à cette première consécration d’abandon sa fécondité immédiate. L’abandon véritable et divin d’une âme toute consacrée à Dieu rayonne et engendre l’abandon dans l’âme du prochain.

Cette première consécration : modèle des consécrations reli­gieuses

On peut dire que cette consécration de la Très Sainte Vierge à Dieu est le modèle de toutes les consécrations religieuses. Elle doit donc nous montrer ce qu’il y a d’essentiel et de principal en celles-ci. Marie ne peut répondre à Dieu qu’en se donnant totalement à lui. Cette consécration est la première œuvre commune de Marie avec son Dieu. Elle est l’exploitation divine de sa grâce initiale : l’immaculée conception et la plénitude de grâce. À la miséricorde prévenante du Père qui l’enveloppe, Marie répond divinement en se livrant totalement à cette miséricorde, en s’y abandonnant corps et âme. Dieu a tout donné gratuitement, Marie remet tout librement à sa volonté, à son bon plaisir. Voilà sa réponse à la miséricorde initiale du Père. Voilà le geste divin qui jaillit immédiatement de la plénitude de foi, d’espérance et d’amour de son cœur tout pur. La consécration des vierges s’enracine dans le mystère de l’Immaculée Conception. C’est en réponse à ce mystère qu’elle est entrée dans l’Église.

Comprenons bien que cette consécration se fait d’abord dans le secret. Il n’y a rien de juridique, rien d’officiel. C’est pour Dieu et uniquement pour Dieu, et pour Marie et uniquement pour elle. C’est pourquoi, si l’on veut parler d’une façon précise, on doit dire que cette consécration est le modèle de l’esprit de toutes les autres consécrations religieuses, de ce qui doit les inspirer et leur donner leur caractère divin. Et cette consécration, ayant comme modalité propre d’être une consécration d’abandon, Marie nous enseigne donc, par ce mystère de la Présentation, que l’esprit de toute consécration, c’est l’abandon. Le vœu d’abandon, ou mieux l’esprit d’abandon, est comme l’âme des autres vœux, c’est l’essentiel. Les vœux se sclérosent dans la mesure même où ils ne sont pas constamment vivifiés par cet esprit d’abandon. Et par le fait même, le mystère de la Présentation n’est pas seulement le modèle de toutes les âmes religieuses, il est aussi le modèle de toute âme chrétienne. Celle-ci doit toujours vivre de cet esprit d’abandon, même lorsque, juridiquement et socialement, Dieu lui a permis de s’engager dans une autre voie que la vie religieuse. On ne peut jamais dispenser une âme chrétienne de vivre dans l’abandon, dans cette remise totale à la miséricorde fraternelle, et ainsi cette âme vivra de l’esprit des vœux de religion.

De même, on peut dire que la communauté qui s’établit avec Joseph est le modèle de toute communauté chrétienne et tout spécialement de la communauté religieuse. Mais en faisant la même précision : ce que Marie nous enseigne, ce n’est pas l’aspect social et juridique, mais la manière de vivre en communauté chrétienne. Elle nous montre l’esprit qui doit animer toute communauté chrétienne.

Cette consécration virginale de Marie au Père dans l’abandon à sa miséricorde, et cette confiance fraternelle si pure et si forte qui lie Marie à Joseph sont comme les fruits ultimes de tout l’Ancien Testament. Tout l’Ancien Testament devait s’achever, se terminer dans ces deux actes de l’amour divin : l’un qui regarde Dieu, l’autre qui regarde le prochain. À l’égard de Dieu l’attente d’Israël devait s’achever dans l’abandon, celui-ci étant la forme la plus divine du désir suprême. Quand le désir surnaturel atteint son paroxysme, s’il ne veut pas se matérialiser et s’humaniser en impatience révolutionnaire, s’il veut demeurer divin, il doit se transformer en abandon : on s’en remet totalement à la miséricorde de Dieu. Toute l’attente d’Israël fleurit donc bien dans le mystère de la Présentation de Marie. À l’égard du prochain, les rapports de justice et de charité qui unissaient entre eux les membres du peuple d’Israël ne pouvaient pas avoir d’achèvement plus parfait que ceux qui se réalisent entre Marie et Joseph. Tous deux sont de la race de David. Ils s’unissent dans les liens du mariage, liens qui constituent les rapports de justice la plus étroite, et ils s’unissent en respectant mutuellement leur consécration virginale à Dieu, ce qui exige la plus pure et la plus grande des confiances fraternelles et donc un amour mutuel extraordinairement fort. Toute la Loi de l’Ancien Testament s’achève donc bien dans ces deux gestes de Marie, qui déjà sont au-delà de la Loi et préparent d’une manière ultime la Loi nouvelle.

Notes et références

  1. Lc 1, 34.
  2. Gn 12, 1. Citons ces paroles de saint Grégoire de Nysse au sujet d’Abraham quittant son pays pour répondre à l’appel de son Dieu : « Abraham, sur l’ordre de Dieu, sortit de sa terre et de sa parenté. Il s’agit là d’une sortie convenant à un voyant, tendu vers la connaissance de Dieu. Ce n’est pas, en effet, un changement de lieu que me paraît signifier cette expression : il faut l’entendre spirituellement. Elle veut dire qu’étant sorti de soi et de sa propre terre, c’est-à-dire de sa menta­lité basse et terrestre, ayant élevé son esprit, autant qu’il le pouvait, au­-dessus des bornes ordinaires de la nature et ayant laissé la parenté de l’âme avec les sens, en sorte qu’aucune apparence sensible ne vînt le troubler et le rendre moins capable de percevoir les réalités invisibles, fermant ses oreilles au bruit du monde extérieur, ne laissant pas la vue égarer son esprit dans les apparences, marchant dans la foi, non dans la vue, il s’éleva à un si haut degré de gnose qu’il put atteindre à la limite de la perfection humaine, ayant connu Dieu autant que notre nature étroite et périssable, tendue au-delà d’elle-même, en est capa­ble. » (Adv. Eunom., XII ; P.G. 45. c. 020).
  3. Gn 24, 16 et 43, Rébecca, préfiguration de Marie, nous est pré­sentée comme une jeune fille très belle, vierge (bethulah) ; aucun homme ne l’avait approchée et elle est aussi d’une innocence virginale (alma) ; cf. Ex 2, 8 ; Is 7, 14 ; Ct 1, 3 ; 6, 8 ; Ps 68, 26 ; Pr 30, 19. Cette expression se retrouve sept fois dans l’Écriture.
  4. Saint Jean de la Croix, Montée du Carmel, liv. III, ch. 20, éd. du père Lucien-Marie de Saint-Joseph, Desclée, 1942, p. 367.
  5. Saint Jean Damascène affirme : « Elle naît dans la maison de Joa­chim, et est conduite au temple. Plantée dans la maison de Dieu et engraissée par le Saint-Esprit, comme un olivier fructifiant, elle devient l’asile de toutes les vertus, détournant son esprit de tout désir charnel, et conservant son âme et son corps vierges, comme il convenait à Celle qui devait concevoir Dieu dans son sein. Dieu étant saint se repose dans les saints ; donc en conservant la sainteté, elle devint un temple saint et admirable, digne de recevoir le Très-Haut », De Fide orthod., IV. 14, P.G. 94, c. 1160 (trad. de V. Ermoni, Paris, 1904, pp. 200­-261).
  6. Lc 12, 22. « Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez. »
  7. Il serait intéressant de comparer le premier acte que l’Écriture nous rapporte de Moïse, serviteur de Dieu, avec celui que la Tradition nous livre de Marie, servante de Dieu. « En ce temps-là, Moïse, devenu grand, alla rendre visite à ses frères. Il fut témoin des corvées auxquelles ils étaient astreints, et remarqua un Égyptien qui rouait de coups un Hébreu, un de ses frères. Il jeta un coup d’œil autour de lui et, n’ayant vu personne, il tua l’Égyptien et le cacha dans le sable » (Ex 2, 11-12). À la miséricorde prévenante de Dieu qui l’a sauvé des eaux du Nil, Moïse répond par une œuvre de justice humaine ; on peut même dire par trois gestes successifs de justice humaine, donc par une plénitude de justice humaine (Ex 2, 13-17). À la miséricorde prévenante du Père qui l’a retirée des eaux du péché, Marie répond par une promesse d’abandon. Voilà la seule réponse adéquate à la miséricorde divine. Car répondre à la miséricorde par la justice humaine, c’est ramener la miséricorde divine à notre propre taille humaine, c’est la canaliser dans notre propre raison, c’est donc la détruire. Moïse aura peur des consé­quences de son geste quand il s’apercevra que le pharaon est averti, aussi s’enfuira-t-il au pays de Madian. Répondre au contraire par une promesse d’abandon, c’est reconnaître l’absolu de la miséricorde divine, c’est vouloir en vivre le plus totalement possible, c’est ouvrir notre âme à cette miséricorde pour qu’elle prenne possession de tout. Au lieu d’utiliser humainement la miséricorde de Dieu, on veut être possédé par celle-ci, on veut s’y cacher le plus parfaitement possible. On devient alors fort de la force de Dieu. Notons bien que si Marie, grâce à la pureté de son cœur, s’abandonne immédiatement, d’une manière si parfaite, ceci ne veut pas dire que cet acte ne soit pas héroïque et n’exige point une véritable mort des initiatives humaines. Le vivant est celui qui « se meut » ; l’abandon réclame que le vivant inférieur accepte de se taire, de ne pas « se mouvoir », pour laisser le vivant supérieur agir librement, selon son bon plaisir. L’abandon à la miséricorde divine exige donc que l’« Égyptien » (qui représente le païen, celui qui obéit au pharaon, aux puissances humaines tyran­niques) soit mis à mort et enfoui dans le sable. Le geste de Moïse est donc significatif et symbolique. Il nous éclaire à la fois sur la grandeur et la pureté du geste de Marie - nous montrant tout l’abîme qui existe entre la justice et l’abandon - et ce que ce geste d’abandon présuppose et implique - la mort et l’ensevelissement du vieil homme.
  8. Lc 18,17.
  9. Lc 12, 35. « Tenez vos reins ceints et vos lampes allumées »
  10. Cf. Lc 12, 39.
  11. 1 P 5, 8. « Fratres, sobrii estote, et vigilate : quia adversarius vester diabolus, tamquam leo rugiens circuit quaerens quem devoret… »
  12. Cf. Mt 1,19.
  13. Cf. Ex 4, 14-16. Il serait très intéressant de comparer la manière dont Dieu unit Joseph à Marie, comme gardien de sa servante, et celle dont il unit Aaron à Moïse, puisque, des deux côtés, nous sommes en présence d’une certaine surabondance de la miséricorde divine multi­pliant ses instruments et les unissant entre eux pour faire œuvre commune. Mais la manière dont Dieu unit Joseph à Marie et Aaron à Moïse est toute différente, ainsi que le motif propre de leur union. Joseph est à la fois beaucoup plus uni à Marie et beaucoup plus séparé ; c’est en raison de la perfection de Marie que Joseph participe à son secret. C’est au contraire en raison de l’imperfection de Moïse qu’Aaron lui est donné pour l’aider. Le parallélisme peut nous per­mettre de mieux saisir ce qu’il y a de si parfait et de divin dans cette union que Dieu réalise entre Joseph et Marie, et comment, grâce à celle-ci, Dieu réclame de l’un et de l’autre une pauvreté beaucoup plus grande et un amour fraternel si intense.
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