Le phénomène des sectes

De Salve Regina

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Apologétique
Auteur : Cardinal Godfried Danneels, archevêque de Malines-Bruxelles
Source : Extrait de "Le Christ ou le Verseau"
Date de publication originale : Noël 1990

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen


“Small is beautiful”


Modèles réduits…

Certains cherchent leur voie en réduisant l’échelle : ce sont les sectes. La plupart d’entre elles sont d’origine chrétienne, elles portent en elles une bonne part de l’héritage du Christ. Nous ne visons pas les grandes Eglises-Sœurs du catholicisme (Protestants, Anglicans et Orthodoxes), mais bien toute une nébuleuse d’églises libres (free churches) et de prédicateurs électroniques. Il y a aussi les organisations et mouvements de provenance orientale qui vantent à qui mieux mieux recettes de bonheur et sagesses ésotériques.

Les sectes sont championnes dans la réduction d’échelle, la miniaturisation. De petites communautés chaleureuses, un choix minimal de textes de l’Ecriture, peu ou pas de dogme, une liturgie créative et spontanée, beaucoup d’attentions personnelles, une proximité qui fait du bien et qui console, une attente anxieuse du retour prochain du Christ. Nulle part de clergé distant, nulle part de réglementations ecclésiales tatillonnes.

Leur clientèle, les sectes la prospectent partout. Mais elle est constituée surtout de jeunes qui n’ont encore poussé de racines nulle part et qui aspirent à des liens affectifs. Déçus par les grandes Eglises ou simplement ignorants, ils cherchent du côté du petit format. Certains adultes se laissent tenter aussi. Pas seulement des « pauvres types », également des gens d’un niveau culturel et social supérieur. Ainsi pas mal d’universitaires voient une issue plutôt de ce côté.

Enfin, il y a toujours ceux qui ont eu des ennuis avec des prêtres ou qui se sentent marginalisés par l’institution ecclésiale.


Pourquoi cette attirance ?

Le plus souvent, les sectes présentent les factures impayées des grandes Eglises. Assurément une partie de leur succès est dû à leurs méthodes de recrutement, voire de manipulation, mais la raison principale de ce succès semble être la tendance de notre société à la dépersonnalisation. Les gens deviennent des numéros. Il est rare qu’on les aborde encore en tant que personnes. Il en résulte un froid et une solitude à peine supportables. C’est précisément là qu’interviennent les sectes avec leur approche bien plus affective qu’intellectuelle. Elles cultivent la logique du cœur, non celle de la raison. Et elles vous déclarent uniques.

S’ajoute à cela une quête généralisée d’harmonie, de paix, d’absence de stress, d’encouragement et d’estime, d’intégration du corps et de l’esprit, de participation aux décisions et aux réalisations.


 « Où trouver un chez-moi ? »

Chacun aspire à un chez-soi. Seulement, les foyers sont en ruines : famille, village, traditions. Où suis-je encore chez moi ? L’imagination de millions d’hommes modernes est hantée de rêves et fantasmes de communication, proximité, communauté, chaleur, amitié, accueil, dialogue, rencontre, partage, abri, apaisement et sécurité. Autant d’étoiles au firmament de leurs rêves.

Les sectes veulent répondre à ces aspirations. Elles mettent de la chaleur dans les relations : on vous y accueille personnellement avec beaucoup d’égards et d’amour ; vous êtes introduits bien à l’abri dans une petite communauté moelleuse, où l’on pense et décide à votre place, et qui vous conduit au-delà des temps morts et des moments de crise. « Chez nous, vous n’êtes jamais seul, et, qui que vous soyez, vous êtes le bienvenu ! ».


Des réponses claires

Il n’y a plus rien de simple dans notre société. Nous vivons dans des structures compliquées, captifs de prescriptions et servitudes sociales comme d’une toile d’araignée. Qui s’y retrouve encore dans la mer de questions qui nous assaillent chaque jour ? Dans cette période post-moderne qui est tellement fragmentée, l’homme cherche l’unité, une sécurité qui englobe tout.

Les sectes fournissent des réponses claires, courtes et prégnantes à des questions obscures. Elles simplifient les vérités et valeurs traditionnelles, souvent proposées ailleurs de façon tellement entortillée, trop nuancée et très peu claire. Les sectes ignorent les mots « à moins que », « si » ou « mais ». Leur oui est oui, leur non non. Leurs directives sont nettes et courtes, leur morale claire, exempte d’astuces casuistiques : « c’est ainsi et pas autrement ». Les preuves ne viennent pas d’une argumentation ou d’une compétence intellectuelle. Elles sont du genre « frappant » : phénomènes de langues, extases, prophéties, guérisons, incantations…


La recherche d’unité

Pas mal de gens ont le sentiment d’être déboussolés, en conflit avec eux-mêmes, avec les autres, la société et le monde entier. Canots à la dérive sur une mer peu sûre. Ils ont fait des expériences de déchirure, et non d’unité et harmonie. D’où ne sont pas venues leurs blessures : parents, école, Eglise et clergé, société tout entière ! Or, de la religion, ils attendent qu’elle restaure l’unité et l’harmonie : une vision de réconciliation, d’apaisement et de participation. La liturgie devrait être thérapeutique de ce point de vue : elle devrait réunir et réconcilier, le corps et l’âme, le moi et le prochain, Dieu et le cosmos entier. Aussi doit-elle me guérir de tous mes maux.

C’est ce qu’offrent les sectes : un sentiment de détente qui apaise et décrispe, de réconfortantes expériences religieuses, l’unification de la personne, la réconciliation par-delà les déchirures ; leur liturgie est vivifiante ; c’est un lieu où peuvent s’extérioriser et se calmer les émotions, où coulent des sources de vie. Par-dessus tout, les sectes offrent la guérison – spirituelle et corporelle – par la prière, l’imposition des mains, l’ambiance de chaude amitié. Même des problèmes d’alcool ou de drogue arrivent à être résolus, au moins dans certains cas, grâce a une présence patiente qui jamais ne renonce et qui guérit.


Je suis quelqu’un de tout à fait particulier

Nous éprouvons un intense besoin d’échapper à l’anonymat afin d’être nous-mêmes et de pouvoir construire et sauvegarder notre moi. Personne ne veut être un numéro sans visage dans la masse. La générosité cachée, sans nom, n’est plus « in » : il ne faut surtout pas oublier de remercier personnellement chacun de ses collaborateurs. Ceci s’avère spécialement difficile dans les grands organismes ou les grandes paroisses, équipés d’une administration forcément plus froide. Où est-il encore possible de pratiquer la visite à domicile systématique ?

Des expressions telles que : affirmation de soi, avoir sa chance, entrer en ligne de compte, avoir son tour, sont sur toutes les lèvres. Aussi les sectes font-elles grand cas de l’individu : leurs propagandistes vont de maison en maison, la correspondance est adressée personnellement.


Il y a Quelqu’un dans les coulisses

Il existe un arrière-plan des choses que nous ne voyons pas, quelque chose ou quelqu’un plus loin que ce qui est immédiatement perceptible, au-delà du vérifiable et du contrôlable. Quelque chose donc ou quelqu’un qui donne un sens à tout et qui dirige tout. Ils sont un nombre incalculable, nos contemporains, qui en sont convaincus aujourd’hui bien plus qu’il y a quelques années. De nouveau, nous sommes entourés de secrets et de mystères ; quelque chose ou quelqu’un est sur le point de se manifester : quelque chose d’extraordinaire, un prophète, un messie. Quantité d’hommes sont en recherche. Mais en privé, car, disent-ils, « les grandes Eglises ne proposent que de la théorie et de la morale : rien de neuf ni de captivant ; d’ailleurs, quand nous parlons de nos expériences religieuses profondes à des prêtres, ils ne nous croient pas, ne nous prennent pas au sérieux, voire nous ridiculisent. Les sectes, elles, nous prennent au sérieux. Elles ont le sens du mystère, du sacré, de la mystique, du réveil spirituel, du souffle libre de l’Esprit, d’espoir de renaissance. De plus, elles nous donnent l’occasion de nous occuper, dans une « zone protégée », d’importantes questions de vie et d’expériences intimes. Elles ont d’ailleurs un langage et des concepts pour aborder ces sujets et leur donner des réponses claires ».


Quelqu’un accepte-t-il de m’accompagner et de me guider ?

Beaucoup de gens se sentent absolument seuls et impuissants quand il s’agit de leur âme. A une époque où les grandes Eglises ne disposent quasi plus de conseillers spirituels, pas mal de gens sont en quête de quelqu’un de pareil, quelqu’un qui veuille les accompagner avec patience et les aider à « discerner ». Or ils ne trouvent personne pour les orienter, pour leur servir en quelque sorte de « père », pour oser s’aventurer sur des sentiers inexplorés.

Les sectes, elles, le font : elles disposent en général de chefs charismatiques qui ne sont pas inhibés et n’hésitent pas à trancher. A votre place, au besoin. Or beaucoup sont à la recherche de pareil maître, guide, gourou. Ils consentiront aussi à ce que ce dernier exige éventuellement une soumission absolue et l’abandon de tout esprit critique. On préfère le risque d’un détour à celui de moisir sur place.


Impossible de vivre sans perspectives d’avenir

C’est surtout l’avenir qui angoisse les gens : où allons-nous avec tous ces conflits ? A peine la guerre froide a-t-elle pris fin qu’il surgit une autre menace avec de nouvelles images d’épouvante. Pensez aussi au racisme ou au fanatisme religieux. On cherche des raisons d’espérer, des portes d’issue. Chacun veut collaborer à un monde meilleur, mais ils sont peu nombreux ceux qui l’attendent pour demain. Les sectes ont des mots qui mobilisent : vision, réveil, ordre nouveau, monde meilleur, issues, alternatives, espérance.

Les sectes disent : « Porte un autre regard sur toi-même »  - « Aie une pensée plus positive sur les autres » - « Un âge nouveau se prépare, un nouveau monde et un ordre nouveau ». Les sectes relisent les vieux textes des prophètes dans cette perspective ; entre autres elles font ample usage du Livre de la Révélation de Jean. « Viens chez nous : nous avons des perspectives d’avenir et un projet ».


Puis-je être de la partie ?

Beaucoup de ceux qui sont en recherche ne se contentent pas de perspectives quant à l’avenir de la société, ils veulent avoir leur mot à dire là où on projette, décide et met en œuvre. Ils tiennent a participer, a collaborer de façon constructive, a être concernés, à être consultés, à compter parmi l’élite.

Les sectes voient souvent la chose de façon particulièrement concrète ; C’est qu’elles ont du sens pratique en matière d’aide sociale, de collaboration à une mission, d’engagement pour une bonne œuvre. Chacun est irremplaçable et doit donc participer. Les relations fort personnalisées à l’intérieur de la secte font que personne ne se sent oublié : chacun se sait important.

« En résumé, on peut dire que l’essor des sectes est dû à ce qu’elles croient avec beaucoup de conviction, de générosité et d’ardeur. Elles vont à la rencontre personnelle des gens. Elles sauvent l’individu de l’anonymat, favorisent la participation, la spontanéité, le sens de la responsabilité, l’engagement. Elles accompagnent de près les gens par de multiples contacts, visites à domicile, encouragements : un accompagnement ininterrompu. Elles aident à interpréter les expériences personnelles et à répondre aux problèmes grâce à un système de pensée global et cohérent. Elles disposent d’une parole qui convainc : prédication, livres et brochures, mass médias (avec usage abondant de la Bible) ; souvent elles font appel aussi au ministère de la guérison. En un mot, elles se présentent elles-mêmes comme la réponse unique, limpide et décisive, comme la bonne nouvelle dans un monde chaotique. »  (Le phénomène des sectes ou nouveaux mouvements religieux - Un défi pastoral, Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens, Rome, 3 mai 1986).


Le syndrome

Si les sectes obtiennent pareil succès « thérapeutique » c’est incontestablement parce que notre société manifeste un type de maladie bien déterminé.

En effet, énormément de traditions sociales et culturelles sont perdues, si bien que pas mal de gens végètent sans racines à la limite de l’étouffement. Ils sont devenus très vulnérables. Aussi sont-ils en quête de points d’attache, de racines. Et ce qui est à portée de main, si simpliste que ce soit, est souvent le plus apprécié.

Il règne une grande incertitude. D’abord vis-à­-vis de soi-même : « Qui suis-je ? ». Mais aussi vis-à-vis de l’avenir (chômage, menaces en tout genre : guerre, violence, racisme). On se pose beaucoup de questions : « Qu’est-ce que la vérité ? Qui a raison ? Qui garantit notre avenir et notre sécurité ? Quel est le sens de ma vie, de mon histoire ? Y a-t-il quelque chose après la mort ? ».

De plus, on manque souvent de toute guidance, du moins d’orientation destinée à soi personnellement. « Personne ne répond à mes questions ; les réponses des Eglises et des politiciens se cantonnent dans les généralités : elles ne concernent pas mes problèmes ».

Et qui protègera l’individu ? C’est qu’il ne possède aucun droit de parole, aucune influence, là où se prennent les grandes options et tombent les décisions ! Il n’est qu’un frêle esquif sur l’océan, un esquif à la dérive.

Il y a pas mal de frustration et de déracinement, de manque d’un chez-soi. Solitude à la maison, à l’école, au lieu de travail, dans la ville, jusqu’au milieu de la foule des stades.

Amère désillusion aussi quant à la société technologique qui ne cesse de devenir plus compliquée et plus administrativement impersonnelle (« Toujours il manque quelque chose pour que je sois en ordre ») ; quant aux affaires publiques, l’enseignement, le monde des affaires, la loi, les politiciens,… l’Eglise.

Chacun réagit à sa manière, selon son tempérament : certains se sentent vides, d’autres indifférents, d’autres encore deviennent agressifs. Mais tous veulent s’en sortir : « Non, ça ne peut pas continuer ainsi ! ».

C’est précisément cela que les sectes ont compris : elles répondent à cette pathologie. Et cela à l’aide de méthodes de recrutement, habiles mais pas toujours innocentes, et que, au début, on n’a même pas conscience de subir. Par exemple : des marques de très intense amitié (« love bombing »), un dîner luxueux, des visites à domicile assidues, une aide financière ou des médicaments gratuits ; parfois on isole les nouveaux adeptes, on les endoctrine, on les garde en activité de façon ininterrompue pour les empêcher de réfléchir et de réagir ; on prévient leur indécision éventuelle en exigeant une confiance aveugle au leader. Il faut dire que ces méthodes, pour inacceptables qu’elles soient parfois, n’empêchent pas que les sectes répondent à des besoins réels. Leur succès ne peut pas être expliqué seulement par le savoir-­faire de propagandistes experts.

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