Le sens chrétien de l'histoire

De Salve Regina

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Philosophie historique
Auteur : Abbé Régis Spinoza
Source : Extraits du mémoire de Maîtrise soutenu à l'université de la Sorbonne, Paris IV.
Date de publication originale : mai 2003

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen

Le sens chrétien de l'histoire

Le mot grec historia  signifie « enquête » c’est à dire la connaissance que l’historien essaie de constituer et définit alors l’histoire comme une science. Mais la vision contemporaine de l’histoire tend à rejeter l’idée qu’elle ait un sens et donc une fin. Si Hegel dans la Raison dans l’histoire affirme qu’elle  est en son fond la réalisation progressive de l’Esprit, les évènements du vingtième siècle ont favorisé un certain relativisme historique. Pourtant, les civilisations chrétiennes dans leur ensemble sont imprégnées, encore de nos jours, de l’histoire de l’Eglise, qui était au cœur de la vie sociale jusqu’il y a encore cinquante ans. S’il est vrai que le processus de laïcisation s’est accéléré depuis la fin de la seconde guerre mondiale, il ne faut pas oublier, pour le cas de la France par exemple, que l’Eglise et l’Etat n’ont été séparés qu’au début du vingtième siècle. De plus, le mot « histoire » dans le monde chrétien est indissociable de la révélation biblique, qui affirme l’intervention divine au sein même de l’activité humaine : « Ni l’homme, a écrit à son tour l’historien Dom Guéranger, ni la société, ni l’histoire, ne sont explicables en dehors de l’idée chrétienne ; et si la Providence n’est pas un mot, si l’Incarnation n’est pas un mythe, si l’ordre surnaturel n’est pas un rêve, si l’éternité n’est pas un mirage, ce vaste ensemble de la vie de l’humanité que l’histoire a la prétention de présenter aux esprits, a un sens, une portée, une loi, une direction. Il ne se peut pas qu’il n’y ait là autre chose que des faits et des dates, un pur spectacle, et que l’humanité, au cours de sa longue vie, n’ait rien à faire, rien à obtenir »[1]. Alors, sous cet angle l’histoire se définit à la fois comme un art et une science puisqu’en tant que science, elle tâche de mettre en évidence les lois de vie et de mort de toute société humaine. Subséquemment, tout le sens chrétien de l’histoire se ramène au sens de l’existence humaine, parce que l’histoire l’établit non pas selon les méthodologies philosophiques  ou sociologiques contemporaines mais à partir des actions humaines, qui s’appuient sur la morale du Décalogue et la religion du Christ, qui sont la grande explication chrétienne de l’Histoire et ceci contre le naturalisme des dix neuvième et vingtième siècle : « Dieu, a fait un ouvrage  au milieu de nous qui, détaché de toute autre cause et ne tenant qu’à Lui seul, remplit tous les temps et tous les lieux et porte par toute la terre, avec l’impression de sa main le caractère de son autorité, c’est Jésus-Christ et son Eglise. »[2]

La question du sens de l’histoire nous ramène donc à une réflexion sur le terme même de « sens » qui implique nécessairement la notion de finalité. Quant au mot « histoire », il désigne soit une étude s’efforçant de connaître le passé de l’homme, soit l’ensemble des états par lesquels passe une réalité, qui oblige alors à l’idée d’une fin.  Il ne s’agit pas ici de comprendre l’histoire comme celle des historiens ou comme science, mais bien d’en définir le sens et donc la fin dans une visée chrétienne.

Il reste alors à savoir s’il faut parler, dans la situation qui nous concerne d’une philosophie de l’histoire ou d’une théologie de l’histoire. Doit-on séparer l’histoire des hommes et l’histoire Sainte ? De quelle manière sommes-nous appelés à saisir les histoires particulières et l’Histoire Universelle ?


I. Le concept d'histoire à travers le temps et sa finalité.

« Le Christ est chez Lui, dans l’histoire »[3] nous dit Dom Guéranger. Ceci pouvait très bien être compris durant la période médiévale où la chrétienté était au cœur de toute l’activité humaine. Le monde chrétien du Moyen-âge n’a pas cherché à formuler une analyse du sens de l’histoire bien qu’il conçoive l’histoire humaine dans son ensemble comme un cheminement vers Dieu, Créateur et Fin ultime de toute chose. C’est d’ailleurs dans ce sens que Gilson nous dit : « C’est donc parce qu’ils ont cru à la Bible et à l’Evangile, au récit de la création et à l’annonce du royaume de Dieu, que les Chrétiens ont osé tenter la synthèse de l’histoire totale. »[4] Par conséquent, l’idée d’histoire est indépendante de celle d’Histoire Sainte. Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas d’histoires particulières propre à un peuple et à ses coutumes. Mais ce n’était pas la préoccupation première des médiévaux, qui n’ont d’ailleurs pas composé d’Histoire Universelle comme le fera Bossuet mais quelques fragments qui serviront de base aux ouvrages suivants.[5]


Y a-t-il par la suite une véritable « synthèse » historique de l’Histoire prise dans son ensemble ?

Notre réponse ne sera pas aussi simple que pourrait le suggérer la question. En effet, l’idée d’une Histoire au sens large a été abordée par deux grands hommes, qui sont saint Augustin dans La Cité de Dieu et Bossuet dans son Discours sur l’Histoire Universelle. L’un et l’autre ont montré que Dieu est Maître de l’histoire et qu’Il dirige les actions humaines par sa Providence. Les médiévaux avait, bien entendu, retenu cet élément fondamental de la pensée augustinienne et la période classique avec Bossuet reprendra tel quel le fait que Dieu n’est pas seulement cause première du Cosmos mais bien agent principal des activités humaines. Mais, comme le soutient clairement la doctrine chrétienne, le Créateur est transcendant, écartant ainsi tout panthéisme tel qu’il avait était déjà formulé par les Stoïciens dans l’idée de Destin. D’autre part, l’idée de sens est rapportée au concept de finalité ultime, Dieu, et c’est bien sous cet angle que la pensée chrétienne dans son ensemble approche l’histoire.


Mais, l’anthropocentrisme, qui naît durant « le Siècle des Lumières » avec Voltaire, Rousseau et plus tard Condorcet[6], atténuait l’idée de Providence et ira jusqu’à réduire Dieu à une sorte de grand architecte de l’Univers en détachant l’idée de fins particulières et de finalité ultime. D’ailleurs, Condorcet sépare l’histoire humaine de l’histoire sainte. Tout en ne niant pas d’une manière absolue l’idée d’un Dieu, il affirme l’indépendance de l’homme, au nom de sa liberté d’action, de l’intervention divine. Dieu n’est donc plus le maître de l’histoire, puisque c’est l’homme qui construit librement son histoire, excluant alors toute intervention directe de Dieu. Cette autonomie n’implique pas encore l’anéantissement d’une certaine fin et donc d’un sens historique. Mais cette fin sera ramenée à l’homme en tant qu’individu et non plus dans une optique universelle christocentrique comme le voulaient saint Augustin et Bossuet.

Puis, le dix neuvième siècle, avec notamment  Hegel[7] dans son écrit la Raison dans l’histoire, remanie l’idée d’un sens de l’histoire ramené à l’Esprit Absolu, rationnel et logique et est ainsi conçue comme une Idée en marche vers un perfectionnement permanent qui gouverne le monde.[8] C’est alors dans l’ordre universel et non particulier, même si c’est l’impulsion donnée par l’Idée, que les histoires particulières vont évoluer. Il reste que la conception chrétienne d’une histoire de l’homme comprise dans le sein d’une Histoire Sainte est totalement évacuée. Il faut également noter le développement d’une histoire « scientifique », qui fait suite à l’impulsion donnée par Auguste Comte et nie bien évidemment toute finalité et toute idée d’une Histoire Universelle.

Enfin, on tend de nos jours, vers un impérialisme de l’histoire (Ecole des Annales: M. Bloch...) qui annexe tous les domaines et prend en compte tout le non-évènementiel, ce que ne faisait pas l’historiographie traditionnelle qui s’arrête à l'événementiel - aux horizons infinis, il est vrai. Il ne faut pourtant pas se bercer d’illusions. L’histoire avec une majuscule n’existe pas. Elle est une limite inaccessible ou plutôt transcendantale. Il est trompeur de prétendre à une « Histoire totale » affirment ces mouvements contemporains. C’est pourquoi la philosophie de l’histoire est aujourd’hui un genre mort, à moins d’être une philosophie révélée: le providentialisme d’un saint Augustin est viable. L’autre extrême apparemment viable est l’épistémologie historique: les historicistes introduisent une philosophie de l’histoire qui prétend voir des théories dans les interprétations, en visant à l’objectivité absolue. C’est en vain qu’il tente d’éviter tout point de vue subjectif mais elle implique méthodes et théories qui paraissent incompatibles avec l’histoire. Il semble plus réaliste de s’en tenir aux constatations de la philosophie antique, notamment aristotélicienne, à savoir que notre monde « sublunaire » est celui du devenir, et que, par conséquent, il faut compter avec les particularités que la matière introduit dans nos raisonnements et écarter tout déterminisme. Les faits historiques ne sont pas scientifiques: c’est la base solide sur laquelle il faut envisager l’histoire et repousser définitivement l’Histoire des scientistes.


Cette approche chronologique du sens de l’histoire met en évidence le rôle déterminant qu’à jouer l’évolution de la pensée métaphysique. C’est en effet sous l’angle d’une théologie de l’Incarnation et de la Rédemption que la pensée chrétienne se place : « Nulle philosophie, nulle religion, même l’islamisme fataliste, n’a un sens aussi poussé de l’emprise divine sur les évènements humains (…) il suffit de prendre conscience un instant des dogmes principaux. Du dogme essentiel : celui du Christ, du Fils de Dieu incarné. »[9] que la pensée chrétienne entend le concept d’Histoire qui est considérée comme la manifestation de Dieu au sein du monde. Les approches rationalistes et scientistes, que nous venons rapidement d’aborder, rejettent toute idée de Providence au même titre que Leibniz à la suite de Descartes, a réduit le champ métaphysique, qui permettra à Kant de l’affirmer comme impossible et à Auguste Comte de la définir comme un « âge » révolu obéissant à un processus d’évolution de l’homme.


II. Dieu, Maître de l'histoire.

Ainsi, C’est Dieu qui donne le sens réel de l’histoire. Il est évident que l’idée même de vérité chrétienne, quête à laquelle les Grecs se sont affairés, implique une vision du monde qui soit en lien avec celle de la Révélation où Dieu est au cœur de la vie humaine. Mais le Dieu architecte des théistes est insuffisant. Il est plutôt question, dans la tradition judéo-chrétienne d’un Dieu personnel et créateur qui se révèle à ses créatures. Alors, toute l’Histoire de l’humanité s’établit en fonction de l’histoire sainte qui lui est indissociable[10]. Il ne s’agit donc pas de l’histoire « vécue » par l’humanité, l’histoire des historiens, ni de l’histoire  comme science, qui implique un traitement approprié des documents collectés mais l’Histoire qui poursuit une fin, celle qui conduit l’homme à son salut. Si la science historique nous fait entrevoir la structure de l’histoire comme par exemple la période médiévale a l’idée de chrétienté, il est question ici d’une Histoire Universelle. Nous sommes alors menés à saisir le sens de l’histoire non plus par rapport à des faits particuliers qui jonchent les histoires particulières des peuples, mais l’histoire comme économie divine, qui s’identifie en quelque sorte à l’histoire de Dieu créateur et de l’homme créature.


Il est donc évident, que nous devons aborder une des œuvres majeures qui aborde notre question, le Discours de l’histoire Universelle de Bossuet. Ce discours a été composé pour le Dauphin dont Bossuet fut le précepteur. Dès la première partie de son ouvrage, il précise en quelque sorte l’objet de l’étude historique : «  Mais ceux qui s’étonnent de trouver l’histoire profane en quelques endroits peu conforme à l’histoire sainte, devaient remarquer en même temps, qu’elle s’accorde encore moins avec elle-même »[11] «  Il est certain que l’Ecriture les unit toujours ensemble ; et vous voyez Monseigneur, qu’outre l’autorité des livres saints, le seul ordre des faits montre que c’est à cela qu’il s’en faut tenir. »[12] En fait, c’est sous le rapport de la chrétienté que l’évêque de Meaux aborde son Histoire Universelle, obéissant au gouvernement de la Providence divine.[13]

Ainsi, trois axes principaux organisent l’ensemble de cette Histoire Universelle qui obéit à l’économie divine en vue de la finalité ultime de l’homme. Le premier est l’alliance que Dieu a contractée avec le peuple hébreu. Il y a là une véritable influence du peuple juif qui échappe à toutes les lois ordinaires de l’histoire en vue de la préparation de l’Incarnation.  Puis Bossuet, dans un deuxième temps, exposera le «  divin coup d’état », le Christ, qui n’a eu son pareil qu’au moment où la création sortit du néant pour la gloire de son créateur.  C’est donc le Christ qui donne le sens plénier à l’Histoire puisqu’il est l’alpha et l’oméga, celui qui rend Dieu présent à l’homme.  Enfin, le troisième axe s’organise autour de l’Eglise, qui « achève de donner à l’historien chrétien la raison d’être de l’humanité. »[14] C’est alors que Bossuet peut affirmer qu’il n’y a plus de mystère dans l’histoire puisque tout s’achève en Dieu, Fin ultime de la création et plus particulièrement de l’homme qui est l’image de Dieu.

Mais cet exposé «  chronologique » qui retrace en quelque sorte les grandes lignes de l’économie de salut, indissociable de l’histoire de l’humanité, va se manifester à travers les actions humaines. Que ce soit Bossuet ou Dom Guéranger dans le sens chrétien de l’histoire, ils s’efforcent de montrer que le miracle jonche l’histoire humaine. Ce sont  « des gages » de la présence surnaturelle de Dieu dans le mouvement de l’humanité et ont une influence incontestable sur les peuples. Qu’il suffise de reprendre l’Ancien Testament ou encore l’histoire de France, comme le fait Bossuet, pour comprendre que Dieu intervient directement dans la vie de la chrétienté : « l’histoire est le grand théâtre où se produit le surnaturel. »[15] Enfin, ceci fera dire à Dom Guéranger que : « « le catéchisme a servi de base aux deux grandes œuvres historiques de saint Augustin et de Bossuet, et l’ont ne remarque pas que leur talent ait baissé pour cela. »[16]


Il nous a pourtant semblé opportun d’aborder, l’œuvre de saint Augustin qu’à présent et ceci  pour mettre en valeur quelques différences d’approches avec celles que nous avons abordées avec Bossuet et Dom Guéranger. Il  est vrai que le Christ tant dans l’œuvre de Bossuet que dans la Cité de Dieu de saint Augustin est le véritable «  héros » de l’histoire. En effet, les livres onze à vingt-deux fournissent l’explication chrétienne de l’histoire en définissant d’abord l’origine de la  Cité de Dieu pour ensuite (livres XV à XVII) exposer l’histoire des deux Cités. Mais, à l’encontre d’une lecture manichéenne de l’œuvre augustinienne, qui définirait la Cité de Dieu comme le Bien et la Cité terrestre comme le Mal en perpétuelle opposition, il faut préciser que :  « ces deux Cités sont entrelacées l’une à l’autre ( comme les brins d’osier dans une vannerie) et intimement mêlées ( comme dans une émulsion chimique), si bien qu’il nous est impossible de les séparer, jusqu’au jour ou le Jugement les partagera. »[17]

Ainsi, on ne peut réduire le sens et la perception chrétienne de l’histoire à celle d’une histoire ecclésiastique comme le firent Dom Guéranger ou Bossuet : « L’histoire peut avec quelque vérité être comparée à un immense concert que dirige sa main toute puissante, nelut magnum carmen cuisdam ineffabilis modulatoris. Lui seul sait où elle va (…) »[18] D’autre part, comme le montre Henri-Irénée Marrou dans sa Théologie de l’Histoire Bossuet a confondu chrétienté et Cité de Dieu. En effet, si la période médiévale n’a pas proposé une « Somme » de l’Histoire Universelle, elle reste bâtie sur l’idée d’une « Immutabilité des choses »,[19] qui influencera Bossuet tant dans sa manière didactique de proposer l’histoire au dauphin que dans l’exposé formel des faits historiques.  Mais Bossuet a confondu le moyen et la fin qui l’amène à  subordonner la fin particulière à la fin ultime. Cette confusion va servir de point d’appui au principe de sécularisation.[20] En effet, Bossuet projette l’absolu dans le relatif, la contingence des faits et donc le transcendant est ramené à l’empirique.  Il apparaît alors une vision mutilée de la réalité, qui servira d’appui aux philosophies déchristianisées ouvrant alors à la possibilité de l’émergence d’une philosophie indépendante, se suffisant à elle-même, empirique et donc observable. C’est ce qui se passa au dix huitième siècle. Nous voyons alors que limiter le sens de l’histoire à l’histoire ecclésiastique et aux faits contingents pris dans leur singularité, permet des déviations qu’exploitèrent les philosophies rationalistes puis scientistes, qui ont tenté de réduire l’histoire à une science empirique et logique fondée sur des lois « expérimentales », excluant subséquemment toute finalité  transcendante au nom d’une liberté humaine.

De plus, à la lumière de son approche de la pensée augustinienne, Marrou affirme à l’encontre de Dom Guéranger que :  « Dieu soit en dernière analyse le maître de l’histoire et qu’il la conduise à son gré vers la fin qu’il lui a assignée, cela est hors de doute, mais il ne nous a pas révélé les secrets de ce cheminement ; pour en déchiffrer le mystère, il faudrait alors ( ce qui est inconcevable) pouvoir nous situer en Dieu, là où sa prescience et sa providence se rejoignent dans le présent de son éternité. »[21] Ainsi, l’homme est réellement libre dans son action, malgré la prescience divine. Nous pourrions dire que Dieu sait où il va et surtout où il nous mène. Alors l’histoire humaine, celle de la Cité terrestre a sa propre voie, tracée par Dieu mais selon une direction qui nous est connue qu’en fonction de la Fin ultime qui doit nous conduire à la Cité de Dieu. L’histoire terrestre n’est donc pas une fin en soi comme l’affirme les philosophes modernes de l’histoire, mais elle est :  «  le moyen par lequel, avec lequel et à travers lequel l’Histoire Sainte s’avance toujours plus en direction de sa fin. »[22]


Conclusion.

Doit-on alors parler de philosophie de l’histoire ou de théologie de l’histoire ? Tout dépend du sens que l’on donne au mot théologie. Or, dans notre brève démonstration, nous avons établi que le sens chrétien de l’histoire est donné par Dieu qui en est le maître. Ceci est à comprendre dans le sens d’une vision providentielle de l’Histoire Humaine selon une économie divine. Ceci ne veut pas dire selon saint Augustin, que c’est Dieu qui fait l’histoire, sous peine d’abolir toute liberté humaine. Non, c’est l’homme qui fait l’histoire sous le regard de Dieu. Cette approche est saisissable qu’au regard d’une « anthropologie théologique » c’est à dire sous l’angle de l’Incarnation et de la Rédemption sont au cœur de la vie humaine. Mais là encore, l’homme est libre de choisir ou de refuser la voie qui lui est tracée, comme le dit  Bossuet[23], ce qui rejette tout déterminisme absolu. Par conséquent, il est difficile de vouloir « construire » une philosophie de l’histoire indépendante d’une théologie à moins de rejeter toute idée de finalité ultime. On pourrait objecter que Hegel a proposé une solution « finaliste », qui ramène à l’Esprit absolu selon une réalité purement logique et rationnelle, excluant un Dieu personnel. Mais, la finalité hégélienne rejette toute intervention divine.

Alors, il nous semble que le sens chrétien de l’histoire se présente comme une théologie de l’histoire qui considère les deux Cités intrinsèquement liées. Il n’est pas question d’exclure une étude scientifique des histoires particulières, qui oblige à des techniques de recherches, qui resteront malgré tout toujours incomplètes.

Dieu donne donc un sens à l’Histoire et nous affirmons qu’  « il y a une seule histoire, celle de l’humanité en marche vers le Royaume de Dieu, «  histoire sainte » par excellence.»[24]


Eléments de Bibliographie.

AUGUSTIN ( saint), La Cité de Dieu, 4ème édition, Desclée de Brouwer, 1960, imprimé en Belgique

BOSSUET , Œuvres de Bossuet, Discours sur l’histoire universelle, Tome XXXV, J.A Lebel , 1818, Versailles

DAVENSON.H, Qu’est ce que l’histoire ? , le sens chrétien de l’histoire, édition de l’abeille, Lyon, 1941

GILSON. E,  L’esprit de la philosophie médiévale, Vrin, Paris, 1948.

GRAIL. A  (O.P), Dieu, maître de l’histoire, édition de l’abeille, Lyon, 1941

GUERANGER O.S.B ( DOM), Le sens chrétien de l’histoire, Plon, Paris, 1945

MARROU H.I, Théologie de l’histoire, Edition du seuil, Paris, 1968


  1. Dom Delatte, Vie de Dom Guéranger, tome I, page 177.
  2. Bossuet, Oraison funèbre de la Princesse Palatine.
  3. Dom Guéranger, Le sens chrétien de l’histoire, Plon, Paris, 1945
  4. Gilson Etienne, L’esprit de la philosophie médiévale, Vrin, Paris, 1948.
  5. Idem
  6. Esquisse historique
  7. Puis Marx, qui établira à l’inverse d’Hegel tout en conservant sa méthode,  une dialectique historique se manifestant par la lutte des Classes.
  8. Hegel, La Raison dans l’histoire : « L’Idée est le vrai, l’éternel, la puissance absolue. Elle se manifeste dans le monde et rien ne s’y manifeste qui ne soit elle, sa majesté et sa magnificence ; voilà ce que la philosophie démontre »
  9. Davenson.H, Qu’est ce que l’histoire ? , le sens chrétien de l’histoire, édition de l’abeille, Lyon, 1941. Marrou Henri-Irénée dans la Théologie de l’histoire affirme également : « A la lumière de la révélation, nous pouvons nous représenter l’ensemble de l’histoire de l’humanité comme un grand triptyque. Au centre, l’Incarnation, le Verbe éternel qui se rait homme pour nous et notre salut, la Kénose, l’humilité, l’humiliation, l’obéissance usque ad mortem, la croix du calvaire, la résurrection »
  10. A.D Sertillanges (O.P) : «  En d’autres termes, toute l’Histoire authentique est une Histoire Sainte. »
  11. Bossuet, Œuvres de Bossuet, Discours sur l’histoire universelle, Tome XXXV, J.A Lebel, 1818, Versailles,  septième époque, page 41.
  12. Idem septième époque page 44.
  13. Bossuet, Œuvres de Bossuet, Discours sur l’histoire universelle, Tome XXXV, J.A Lebel, 1818, Versailles, «  Mais souvenez-vous, Monseigneur, que ce long enchaînement des causes particulières, qui font et défont les empires, dépend des ordres secrets de la divine Providence. Dieu tient du plus haut des cieux les rênes de tous les royaumes ; il a tous les cœurs en sa main : tantôt il retient les passions ; tantôt il leur lâche la bride, et par là, il remue tout le genre humain. » chapitre VIII, Troisième partie, p555
  14. Dom Guéranger, Le sens chrétien de l’histoire, Plon, Paris, 1945, page 27.
  15. Idem page 48. Dom Guéranger ajoute d’ailleurs que : « le grand malheur de l’historien serait de prendre pour règle d’appréciation les idées du jour, et de les transposer dans ses jugements sur le passé » page 54.
  16. Idem , page 64.
  17. Saint Augustin, La Cité de Dieu, 4ème édition, Desclée de Brouwer, 1960, imprimé en Belgique, livre I.
  18. Idem livre XI,18.
  19. Gilson. E,  L’esprit de la philosophie médiévale, Vrin, Paris, 1948
  20. Dilthey, Einleitung in die Geisteswissenschaften (1883), traduction française, Paris, 1942, p 142-143
  21. Marrou H.I, Théologie de l’histoire, Edition du seuil, Paris, 1968, page 63 chapitre 14
  22. Langmead Casserly, Toward a théology of hystory, page 65
  23. «La connaissance de Dieu et la mémoire de la création s’y conserva ; mais elle allait s’affaiblissant peu à peu (…) les fausses divinités se multipliaient(…) » p 14 , première partie ( deuxième époque)
  24. Emmanuel Mounier, 1949.
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