Le soucis des plus faibles d’après Sts Camille de Lellis, V. de Paul et Jérôme Emilie – 17 juillet 1940 –

De Salve Regina

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Magistère pontifical sur la famille - Discours aux jeunes époux
Auteur : Pie XII
Date de publication originale : 17 juillet 1940

Difficulté de lecture : ♦ Facile

Il existe en certains pays la coutume de célébrer tous les ans une « semaine de la bonté » ou de « la charité ». Si cet usage devait s'étendre à toute la grande famille chrétienne, il se trouverait, semble-t-il, peu de dates plus favorables que la mi-juillet : les trois saints que fête alors la liturgie, Camille de Lellis, Vincent de Paul et Jérôme Emilien, sont des merveilles de bonté. Ils ont tous les trois pratiqué d'une manière admirable la loi d'or de la charité ; mais la splendeur de cet or brille en chacun d'eux d'un éclat tout spécial. Camille se consacra surtout aux infirmes, aux incurables, aux moribonds. Vincent, le grand organisateur de la bienfaisance, se voua aux misérables, aux délaissés de toute sorte, et fonda diverses associations charitables d'hommes et de femmes, parmi lesquelles les Filles de la Charité, dont chacun connaît les ailes blanches comme l'innocence, amples comme l'amour, palpitantes comme le zèle. Jérôme s'apitoya de préférence sur la misère des enfants du peuple, sur les orphelins privés d'affection, abandonnés dans les rues, dénués de tout. Tous les trois ont souffert avec ceux qui souffraient et pris part, oublieux de leurs propres douleurs, aux peines d'autrui pour en alléger le poids.

Nous ne vous parlerons aujourd'hui que du premier de ces trois saints et Nous voulons vous exhorter, chers fils et filles, à suivre son lumineux exemple, à vous occuper, tant chez vous qu'au-dehors, des infirmes et des malades. Le mot infirme — du latin in-firmus, non ferme, non stable — désigne un être sans force, sans fermeté.

Or, dans toute famille, il y a généralement deux catégories d'êtres faibles qui réclament plus de soins et d'affection : les enfants et les vieillards.

Même aux animaux privés de raison l'instinct inspire de la tendresse envers leurs petits ; comment donc serait-il nécessaire, jeunes époux, futurs parents, de vous inculquer cette vertu ? Il peut cependant arriver qu'un excès de rigueur ou un manque de compréhension élève comme une barrière entre le cœur des enfants et celui des parents. Saint Paul disait : « Je me suis fait faible avec les faibles... Je me suis fait tout à tous pour les sauver tous » (I Co 9, 22). C'est une grande qualité que de savoir se faire petit avec les petits, enfant avec les enfants, sans compromettre l'autorité paternelle ou maternelle. Au sein de la famille, il convient, en outre, d'assurer aux vieillards le respect, la tranquillité et les égards délicats dont ils ont besoin.

Les vieillards ! On est parfois dur, peut-être inconsciemment, à l'égard de leurs petites exigences, de leurs innocentes manies, que le temps a gravées dans leur âme, comme les rides sillonnent leur visage et devraient le rendre plus vénérable aux yeux d'autrui. On a facilement tendance à leur reprocher ce qu'ils ne font plus, au lieu de leur rappeler, comme ils le méritent, ce qu'ils ont fait. On sourit peut-être des défaillances de leur mémoire et on ne reconnaît pas toujours la sagesse de leur jugement. Dans leurs yeux voilés de larmes, on recherche en vain la flamme de l'enthousiasme ; mais on ne sait pas remarquer la lumière de la résignation où s'allume le désir des splendeurs éternelles. Heureusement que ces vieillards, dont le pas mal affermi hésite dans l'escalier, ou dont la blanche main tremblante se déplace avec lenteur dans un coin de la chambre, heureusement que ces vieillards sont souvent le grand-père ou la grand-mère, le père ou la mère auxquels nous devons tout. Envers eux, quel que soit notre âge, nous sommes tenus d'observer le précepte du Décalogue : « Honore ton père et ta mère » (Ex 20, 12). Vous ne serez donc pas du nombre de ces fils ingrats qui négligent leurs vieux parents et qui, bien souvent, se trouvent plus tard eux aussi abandonnés dans leurs propres besoins.

Toutefois, lorsqu'on parle de compassion envers les infirmes, on pense pour l'ordinaire aux personnes de tout âge affligées d'un mal physique, passager ou chronique. C'est surtout à soulager de telles souffrances que nous porte l'exemple de saint Camille. Sortant des hôpitaux, la flamme de son zèle s'étendit au loin ; sans attendre les malades, Camille allait lui-même à eux, les soigner et les réconforter chez eux. C'est qu'alors, et depuis des siècles, nombre de foyers avaient des infirmes — aveugles, estropiés, paralytiques — et des malades de la fièvre, de la tuberculose, du cancer. N'y en a-t-il plus aujourd'hui ? Si Dieu préserve votre famille des maladies — ce que Nous souhaitons de tout cœur — souvenez-vous d'autant plus des misères du prochain et vouez-vous, autant que vous le pouvez et que vous le permettent vos devoirs, aux œuvres d'assistance et de bienfaisance.

Dans le jardin de l'humanité mûrit et mûrira toujours, depuis qu'il a perdu le nom de paradis terrestre, un des fruits amers du péché originel : la douleur. Instinctivement, l'homme l'a en horreur et la fuit ; il voudrait en perdre jusqu'au souvenir et à la vue. Mais, maintenant que le Christ incarné s'est « anéanti lui-même » en prenant la condition d'esclave (Ph 2, 7), maintenant qu'il lui a plu de choisir les faibles pour confondre les forts (I Co 1, 27), maintenant que le « Christ, qui s'était proposé la joie a porté la croix sans faire cas de l'ignominie » (He 12, 2), maintenant qu'il a révélé aux hommes le sens de la douleur et l'intime joie du don de soi-même à ceux qui souffrent, le cœur humain a découvert en lui-même des abîmes de tendresse et de pitié qu'il ne soupçonnait point. La violence, il est vrai, reste la maîtresse absolue dans les êtres dépourvus de raison et dans les âmes païennes d'aujourd'hui, pareilles à celles que saint Paul appelait en son temps sine affectione, « sans cœur », et sine misericordia, « sans pitié pour les pauvres et pour les faibles » (Rm 1, 31). Mais, pour les vrais chrétiens, la faiblesse est devenue un titre au respect et l'infirmité un titre à l'amour. Au contraire de l'intérêt et de l'égoïsme, la charité ne se recherche point elle-même (I Co 13, 5), mais se donne : plus un être est faible, misérable, suppliant, plus il lui apparaît objet de prédilection.

Au siècle de Camille de Lellis, le XVIe, l'organisation de la bienfaisance chrétienne n'avait pas encore atteint le développement que nous admirons aujourd'hui. Au cours de sa jeunesse dissipée, Camille fur accueilli à l'hôpital Saint-Jacques, à Rome, pour y être soigné. Désireux de mériter le droit d'un long séjour dans ce charitable hospice, il chercha à y être engagé comme aide-infirmier ; la passion du jeu lui fit oublier ses devoirs au point qu'on dut le congédier, d'innombrables essais ayant montré, au dire de ses biographes, qu'il était incorrigible et parfaitement inapte au service d'infirmier. Et pourtant Camille était l'homme dont la grâce divine allait faire le fondateur et le modèle des « Ministres des infirmes », c'est-à-dire d'un nouvel ordre religieux qui aurait pour mission spéciale de soigner les malades, de porter secours aux contagieux, de prêter assistance matérielle et spirituelle aux moribonds ; et cela, non pour un modeste salaire, mais pour l'amour du Christ souffrant dans les infirmes et avec le seul espoir de la récompense éternelle.

Une plaie qui, dès sa dix-septième année, apparut à son pied droit et qui dans la suite se transforma lentement en un profond ulcère purulent et incurable, s'étendit à toute la jambe ; mais elle ne l'empêcha point de se vouer quarante années durant au soulagement de toutes les douleurs, de voyager pour ses fondations ou pour secourir les sinistrés, de cheminer par les rues de Rome, de visiter les maisons des particuliers, ni de monter, le bâton à la main, les escaliers les plus raides, ayant au cœur la seule pensée de la charité.

Cette douloureuse plaie, il l'appelait la première miséricorde de Dieu ; la première, car d'autres infirmités très douloureuses devaient l'affecter dans la suite et il les reçut également comme des marques de la divine bonté. C'est une idée spécifiquement chrétienne que de voir dans la souffrance un signe de l'amour de Dieu et une source de grâces. Pour aider ses disciples à le comprendre, le Christ ne s'est point borné à leur imposer le précepte de la charité comme son commandement essentiel (Jn 13,34-35 ; Jn 12), ni à leur proposer l'exemple du bon Samaritain qui interrompt son voyage pour porter secours à un inconnu, étendu demi-mort sur le chemin : il a connu et expérimenté dans sa chair sacrée toute la gamme des douleurs humaines. Bien plus, il a voulu pour ainsi dire s'identifier avec les membres souffrants de l'humanité. Ses disciples le verront lui-même, ils verront son visage divin et ses plaies adorables dans toute chair humaine que la fièvre pâlit, que la lèpre ronge, ou que consume le cancer ; et si cette chair ensanglantée ou fétide répugne à la nature, ils y poseront longuement leurs lèvres dans un miséricordieux baiser d'amour, comme fit St Camille, comme fit Ste Elisabeth, comme firent St François-Xavier et tant d'autres saints. C'est qu'ils n'ignoraient point qu'au dernier jour le Seigneur leur dirait : L'infirme, le malade que vous avez visité ou secouru, c'était-moi-même. Infirmus eram et visitastis me « J'étais infirme et vous m'avez visité » (Mt 25, 36).

Puissiez-vous, vous aussi, chers fils et filles, par vos aumônes, votre prière, vos sacrifices et votre concours efficace, participer aux œuvres de miséricorde et vous assurer ainsi un accueil d'amour auprès du Juge suprême, qui vous ouvrira les portes du ciel et vous introduira dans les splendeurs de l'éternité.

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