Les devoirs de l'état catholique envers la religion

De Salve Regina

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Doctrine sociale de l'Église
Auteur : Cardinal A. Ottaviani
Date de publication originale : 1953

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen
Remarque particulière : Introduction par le centre Saint-Louis

Présentation du document par le centre saint Louis

Le 3 mars 1953, le cardinal Alfredo Ottaviani, alors pro-secrétaire de la Congrégation du Saint-Office, prononçait à Rome, à l’Athénée Pontifical du Latran, l’allocution que nous reproduisons ci-après, consacrée principalement au problème des relations entre l’Eglise et l’Etat, et qui allait connaître un grand retentissement.


Le contexte ecclésial de l’époque est en effet marqué notamment par la résurgence des erreurs du modernisme et du libéralisme catholique.


Plusieurs auteurs jouissant d’une grande notoriété, parmi lesquels le philosophe français Jacques Maritain [1], le jésuite américain John Courtnay Murray et le dominicain Yves Congar, tentent d’infléchir les principes philosophiques et les présupposés théologiques traditionnels concernant l’ordre social et politique. Ils militent, dès les années 1940, en faveur d’une « révision » de la doctrine catholique sur les relations entre l’Eglise et l’Etat[2]. Bénéficiant d’un puissant réseau de diffusion et d’appuis en haut lieu (parmi lesquels celui – déterminant – du cardinal Montini, le futur Paul VI), ils parviennent durant les années 1950 à gagner à leurs thèses de larges secteurs de l’opinion catholique. Ainsi, sous le pontificat de Pie XII déjà, comme s’en félicitera a posteriori un auteur, « le changement était (…) en cours dans les esprits. (…). Mais le Cardinal A. Ottaviani continuait imperturbablement à défendre son Droit public ecclésiastique. Et celui-ci constituait une sorte de vérité officielle en la matière »[3].


Auteur d’ouvrages de référence sur le droit public de l’Eglise, puisant aux meilleurs sources de l’enseignement du Docteur Commun et du Magistère pontifical, le cardinal Ottaviani s’oppose en effet fermement à ces novateurs. Dans les Institutiones Juris Publici Ecclesiastici, il dénonce les erreurs du libéralisme catholique renaissant, « Novissimus liberalismus catholicus », qui conduisent leurs adeptes à l’abandon des « principes catholiques sur les devoirs de l’Etat vis-à-vis de l’Eglise ». Il met en lumière le fait que les catholiques-libéraux, dont la doctrine s’oppose évidemment au Magistère de l’Eglise, tentent de justifier leurs thèses en prétendant distinguer, dans les Encycliques Pontificales, les principes ayant une valeur permanente et les principes susceptibles de changer, selon les circonstances historiques[4], et ne craint pas de désigner nommément les auteurs de ces théories : Maritain, Congar, Murray, et d’autres auteurs de moindre importance[5].


Alfredo Ottaviani était né à Rome le 20 octobre 1890, onzième des douze enfants d’une famille ouvrière du quartier populaire du Trastevere. Ordonné prêtre le 18 avril 1916, il poursuit ses études supérieures et prend ses grades en philosophie, théologie et droit canon. Il enseigne le droit canonique à l’Apollinaire. Recteur du Collegio Pontificio Nepomuceno (1926), il est appelé à travailler à la S. Congrégation de la Propagande. Il est nommé en 1928, sous-secrétaire à la Congrégation des Affaires ecclésiastiques extraordinaires, puis en 1929, substitut de la Secrétairie d’Etat et secrétaire du Chiffre, et consulteur de la Congrégation Consistoriale et du Saint-Office. Membre de la commission Pro Russia en 1930, il est nommé en 1934 consulteur de la Congrégation pour l’Eglise orientale. C’est le 19 décembre 1935 qu’il est nommé assesseur du Saint-Office, charge qui fait de lui l’un des premiers collaborateurs du Souverain Pontife. Il est créé cardinal par S.S. Pie XII le 12 janvier 1953.

Il meurt à Rome le 3 août 1979.


Nous reproduisons ci-dessous, dans son intégralité, la traduction française de ce texte qui figure dans le recueil de textes et d’allocutions du Cardinal éditée en 1963 à l’initiative de l’Office international de Jean Ousset[6].


 

LES DEVOIRS DE L’ETAT CATHOLIQUE ENVERS LA RELIGION

Que les ennemis de l’Eglise aient dans tous les temps combattu sa mission, niant quelques-unes de ses prérogatives – ou même parfois toutes – et ses pouvoirs, cela ne nous étonne pas.

La violence de l’assaut, avec ses fallacieux prétextes, éclata déjà contre le Divin Fondateur de cette institution deux fois millénaire et pourtant toujours jeune ; contre Lui on a crié – comme on crie aujourd’hui encore – Nolumus hunc regnare super nos ! (Luc., 19, 14) [7].

Avec la patience et la sérénité qui lui viennent de l’assurance des destins qui lui sont prédits et de la certitude de sa mission divine, l’Eglise chante dans les siècles : Non eripit mortalia qui regna dat coelestia ! [8].

Au contraire, en nous surgit l’étonnement qui grandit jusqu’à la stupeur et se répand en tristesse, lorsque c’est par ses fils qu’est faite la tentative d’arracher les armes spirituelles de justice et de vérité des mains de cette Mère bienfaisante qu’est l’Eglise : et même par ceux-là qui, se trouvant dans des Etats interconfessionnels et vivant en perpétuel contact avec des frères dissidents, devraient, plus que tous autres, se sentir obligés de gratitude envers cette Mère qui a toujours usé de ses droits pour défendre, garder et sauver ses propres fidèles.

 

EGLISE CHARISMATIQUE ET EGLISE DU DROIT

Aujourd’hui certains n’admettent dans l’Eglise qu’un ordre pneumatique et affirment ainsi le principe que la nature du droit de l’Eglise est en contradiction avec la nature de l’Eglise même.

Selon eux, l’élément original sacramental irait s’amenuisant toujours pour faire place à l’élément de juridiction qui est maintenant la force et la puissance de l’Eglise : et l’idée prévalut, comme le soutient le juriste protestant Sohm, que l’Eglise de Dieu est constituée comme l’Etat.

Mais le canon 108, § 3, où il est parlé de l’existence dans l’Eglise du pouvoir d’ordre et du pouvoir de juridiction, se réfère au droit divin. Que cette référence soit légitime, les textes évangéliques le montrent, ainsi que les allégations des Actes des Apôtres et les citations de leurs Epîtres souvent adoptées par les auteurs de Droit public ecclésiastique pour prouver l’origine divine des pouvoirs et des droits énoncés de l’Eglise.

Dans l’encyclique Mystici Corporis, l’Auguste Pontife, heureusement régnant, s’exprimait à ce sujet dans les termes suivants : « Nous réprouvons l’erreur funeste de ceux qui rêvent d’une église idéale, d’une certaine société alimentée et formée d’amour à laquelle ils opposent, non sans la mépriser, l’autre église qu’ils disent juridique. C’est à tort qu’ils suggèrent une pareille distinction, puisqu’ils ne remarquent pas que le divin Rédempteur a voulu que l’assemblée des hommes qu’Il fonda fût une société parfaite dans son genre, et munie de tous les éléments juridiques et sociaux pour perpétuer sur la terre l’œuvre salutaire de la Rédemption ; voilà pourquoi Il l’a voulue enrichie par l’Esprit-Saint de dons célestes et de grâces » (A.A.S., vol. XXXV, p. 224).

L’Eglise ne veut donc pas être un Etat ; mais son divin Fondateur l’a constituée en société parfaite avec tous les pouvoirs inhérents à cette condition juridique pour qu’elle développe sa mission dans tous les Etats, sans opposition entre les deux Sociétés dont Il est Lui-même, de diverse façon, l’auteur et le soutien.

 

ADHESION AU MAGISTERE ORDINAIRE

Ici apparaît le problème de la coexistence de l’Eglise et de l’Etat laïque. Il y a des catholiques qui, sur ce point, répandent des idées qui ne sont pas justes du tout.

A beaucoup d’entre eux on ne peut refuser leur amour pour l’Eglise ni une droite intention de trouver un moyen d’adaptation possible aux circonstances des temps. Mais il n’est pas moins vrai que leur attitude reflète celle du delicatus miles [9] qui veut vaincre sans combattre ou celle du naïf qui accepte une main insidieusement tendue sans se rendre compte que cette main l’entraînera ensuite à passer le Rubicon en direction de l’erreur et de l’injustice.

Leur premier tort est fort précisément de ne pas accepter pleinement les arma veritatis [10] et les enseignements que les Pontifes Romains en ce dernier siècle, et particulièrement le Pontife régnant Pie XII, ont donnés à ce sujet aux catholiques dans les encycliques, les allocutions et les instructions de toutes sortes.

Pour se justifier, ces catholiques affirment que, dans la complexité des enseignements donnés dans l’Eglise, il y a lieu de distinguer une partie permanente et une partie caduque, celle-ci étant due à l’influence des conditions particulières du moment.

Il est trop vrai qu’ils appliquent ces maximes aux principes affirmés dans les documents pontificaux, principes sur lesquels s’est maintenu constamment l’enseignement des Papes, car ils font partie du patrimoine de la doctrine catholique.

En cette matière, la théorie du pendule ne peut pas être appliquée, que quelques écrivains ont introduite pour critiquer la portée des Encycliques dans des époques variées.

« L’Eglise – a-t-il été écrit – scande l’histoire du monde à la manière d’un pendule oscillant qui, soucieux de garder la mesure, maintient son mouvement en le renversant lorsqu’il juge le maximum d’amplitude atteint… Il y aurait toute une histoire des Encycliques à faire sous cet angle : Divino Afflante Spiritu, succède à Spiritus Paraclitus Providentissimus Deus. En matière de théologie ou politique : Summi Pontificatus, Non abbiamo bisogno, Ubi arcano Dei succèdent à Immortale Dei » (Cf. Témoignage chrétien, 1er sept. 1950 rapporté dans Documentation Catholique du 8 octobre 1950).

Si cela était compris en ce sens que les principes généraux et fondamentaux du droit public ecclésiastique, solennellement affirmés dans Immortale Dei, reflètent simplement des monuments historiques du passé, tandis que, dans la suite, le pendule des enseignements pontificaux de Pie XI et de Pie XII serait passé dans son « renversement » à d’autres positions, il faudrait tenir cette thèse comme tout-à-fait erronée, non seulement parce qu’elle ne correspond pas au contenu des encycliques mêmes, mais aussi parce qu’elle est inadmissible théoriquement.

Le Pontife régnant nous enseigne, dans Humani generis, que nous devons accepter dans les encycliques le magistère ordinaire de l’Eglise : « On ne doit pas penser que ce qui est proposé dans les Lettres Encycliques n’exige pas de soi l’assentiment, sous prétexte que les Pontifes n’y exerceraient pas le pouvoir suprême de leur Magistère. C’est bien du Magistère ordinaire que relève cet enseignement et pour ce Magistère vaut toujours la parole : Qui vos audit, me audit [11] ; le plus souvent ce qui est proposé et imposé dans les Lettres Encycliques appartient d’ailleurs depuis longtemps à la doctrine catholique » (A.A.S., vol. XLIII, p. 568).

Par peur d’être accusés de vouloir revenir au Moyen-Age, certains de nos écrivains ne consentent pas à tenir les positions doctrinales qui sont constamment affirmées dans les encycliques, comme appartenant à la vie et au droit de l’Eglise de tous les temps. Il est pour eux, cet avertissement de Léon XIII qui, après avoir recommandé la concorde et l’unité pour combattre l’erreur, ajoute : «  A ce point de vue, il faut se garder qu’on ne se fasse le complice des opinions fausses en quelque manière que ce soit, ou qu’on leur résiste plus mollement que le souffre la vérité (Immortale Dei, Act. Léon XIII, vol. V, p. 148).

 

DEVOIRS DE L’ETAT CATHOLIQUE

Ayant touché cette question préliminaire de l’assentiment obligatoire aux enseignements de l’Eglise, même dans son Magistère ordinaire, venons-en maintenant à une question pratique, qu’en langage du jour nous pourrions dire « brûlante » : à savoir celle d’un Etat catholique et des conséquences qui s’ensuivent vis-à-vis des cultes non catholiques.

Tout le monde sait que dans certains pays dont la population est catholique en majorité absolue, la religion catholique, dans leurs Constitutions respectives, a été proclamée religion d’Etat. Je citerai, à titre d’exemple, le cas le plus typique, celui de l’Espagne.

Dans le Fuero de los Españoles, la charte fondamentale des droits et des devoirs du citoyen espagnol, à l’article 6, il est établi ce qui suit :

« La profession et la pratique de la religion catholique, qui est la religion de l’Etat espagnol, jouiront de la protection officielle.

Personne ne sera inquiété ni pour ses croyances religieuses, ni dans l’exercice privé de son culte.

Ne seront permises ni cérémonies ni manifestations extérieures autres que celles de la religion de l’Etat ».

Ces positions ont soulevé les protestations de nombreux non-catholiques et incroyants ; mais, ce qui est déplaisant, c’est qu’elles aient été considérées comme anachroniques même par certains catholiques qui veulent penser que l’Eglise peut trouver un mode de vie pacifique avec la pleine possession de ses droits dans un Etat laïque ne comprenant pourtant que des catholiques.

On sait la controverse engagée récemment dans un pays d’outre-océan entre deux auteurs de tendances opposées, dans laquelle le tenant de la thèse indiquée affirme :

  • 1. L’Etat, à proprement parler, ne peut pas accomplir un acte de religion (l’Etat étant un pur symbole ou un ensemble d’institutions) ;
  • 2. « Une inférence immédiate de l’ordre de la vérité éthique et théologique à l’ordre de la loi constitutionnelle est, en principe, dialectiquement impossible ». Ce qui veut dire que l’obligation pour l’Etat de rendre un culte à Dieu ne pourrait jamais rentrer dans la sphère constitutionnelle.
  • 3. Enfin, même pour un Etat composé de catholiques, il n’y a pas d’obligation de professer la religion catholique ; quant à celle de la protéger, elle ne devient efficace que dans des circonstances déterminées, et fort précisément quand la liberté de l’Eglise ne peut pas être garantie autrement.

De là ces attaques portées contre la doctrine exposée dans les manuels de droit public ecclésiastique par des auteurs qui oublient que cette doctrine est fondée, en très grande partie, sur la doctrine exposée dans les documents pontificaux.

Or s’il est une vérité certaine et indiscutable parmi les principes généraux du droit public ecclésiastique, c’est celle du devoir des gouvernants d’un Etat composé en quasi totalité de catholiques et, par conséquence logique, dirigé par des catholiques, d’imprimer un sens catholique à la législation.

Ce qui comporte trois conséquences immédiates :

  • 1. La profession sociale et non pas seulement privée de la religion du peuple ;
  • 2. L’inspiration chrétienne de la législation ;
  • 3. La défense du patrimoine religieux du peuple contre toute attaque de ceux qui voudraient lui arracher le trésor de sa foi et de la paix religieuse.

J’ai dit en premier lieu que l’Etat a le devoir de professer même socialement sa religion.

Les hommes socialement unis, ne sont pas moins soumis à la sujétion de Dieu qu’ils ne le sont comme individus, et la société civile, non pas moins que les individus, est débitrice envers Dieu, « à la puissance de qui elle doit la vie, par la providence de qui elle se conserve, par le bienfait de qui elle doit l’abondance, sans mesure, des biens dont elle est comblée » (Immortale Dei, Act. Léon XIII, vol. V, p. 122).

Donc, de même qu’il n’est permis à personne de négliger ses devoirs envers Dieu et envers la Religion, suivant laquelle Dieu veut être honoré, de même « les Etats ne peuvent pas, sans commettre de crime, se comporter comme si Dieu n’existait pas et rejeter le souci de la religion comme hors de propos et sans utilité » (Immortale Dei, Act. Léon XIII, vol. V, p. 123).

Pie XII renforce cet enseignement lorsqu’il condamne « l’erreur que contiennent ces opinions qui n’hésitent pas à priver l’autorité civile de toute dépendance envers l’Etre suprême, Cause première et Maître absolu autant de l’homme que de la société, et de tout lien d’une loi transcendante qui dérive de Dieu comme de la première Source, et qui accordent à cette société civile la faculté illimitée d’action abandonnée aux eaux changeantes de l’arbitraire ou aux seules suggestions d’exigences historiques contingentes et d’intérêts relatifs ».

Et plus loin, l’Auguste Pontife met en évidence quelles désastreuses conséquences découlent de cette erreur même pour la liberté et pour les droits de l’homme : « Une fois refusées l’autorité de Dieu et la puissance de sa loi, le pouvoir civil, par une conséquence inéluctable, tend à s’attribuer cette autonomie absolue qui appartient seulement à l’Auteur Suprême et à se substituer au Tout-Puissant, élevant l’Etat ou la collectivité au rang de l’ultime fin de la vie, et faisant de lui le critère souverain de l’ordre moral et juridique » (Summi Pontificatus, A.A.S., vol. XXXI, p. 446).

J’ai dit en second lieu que c’est le devoir des gouvernants d’informer l’activité sociale et la législation des principes moraux de la religion.

C’est là une conséquence du devoir religieux et du devoir de soumission envers Dieu non seulement individuellement mais encore socialement, et cela pour l’avantage certain du véritable bien-être du peuple.

Contre l’agnosticisme moral et religieux de l’Etat et de ses lois, Pie XII confirmait le concept de l’Etat chrétien dans son auguste Lettre du 19 octobre 1945 pour la XIXe Semaine Sociale des catholiques italiens, dont le sujet d’étude était précisément le problème de la nouvelle Constitution.

« A bien réfléchir sur les conséquences funestes qu’apporterait au sein même de la société et dans son histoire mouvante une Constitution qui, abandonnant la « pierre angulaire » de la conception chrétienne de la vie, tenterait de se fonder sur l’agnosticisme moral et religieux, tout catholique comprendra facilement que, maintenant, la question qui, plus que toute autre, doit attirer son attention et aiguillonner son activité, consiste à assurer à la génération présente et aux générations futures le bienfait d’une loi fondamentale de l’Etat qui ne s’oppose pas aux sains principes religieux et moraux, mais qui y puise plutôt une vigoureuse inspiration, et qui en proclame et en poursuive savamment les hautes finalités » (A.A.S., vol. XXXVII, p. 274).

Le Souverain Pontife, à ce propos, n’a pas manqué de décerner les éloges qui sont dus à la sagesse de ces gouvernants qui ont toujours favorisé ou qui voulurent et surent remettre à l’honneur, pour l’avantage du peuple, les valeurs de la civilisation chrétienne, dans les heureuses relations entre l’Eglise et l’Etat, dans la protection de la sainteté du mariage, dans l’éducation religieuse de la jeunesse » (Radio-Message de Noël 1941, A.A.S., vol. XXXIV, p. 13).

En troisième lieu, j’ai dit que c’est le devoir des gouvernants d’un Etat catholique de défendre contre toute atteinte l’unité religieuse d’un peuple qui se sent unanimement en possession tranquille de la vérité religieuse. Sur ce point, nombreux sont les documents dans lesquels le Saint-Père affirme les principes énoncés par ses prédécesseurs, et spécialement par Léon XIII.

Pour condamner l’indifférentisme religieux de l’Etat, si Léon XIII en appelle au droit divin dans l’Encyclique Immortale Dei, il en appelle aussi, dans l’Encyclique Libertas, aux principes de la justice et à la raison. Dans Immortale Dei, il met en évidence que les gouvernants ne peuvent pas « adopter pour plusieurs genres de cultes indifféremment ce qui leur plaît, parce que – précise-t-il – ils sont obligés en ce qui concerne le culte divin, de suivre les lois et les modes… quo coli se Deus ipse demonstravit velle [12] (Immortale Dei, Act. Léon XIII, vol. V, p. 123). Et dans l’Encyclique Libertas, il se fait pressant, en appelant à la justice et à la raison : « La justice interdit, la raison interdit que l’Etat soit athée ou, ce qui reviendrait à l’athéisme, qu’il se comporte de la même manière à l’égard des religions diverses (comme on l’a dit), et qu’à chacune d’elles de mêmes droits soient accordés » (Acta Leonis XIII, vol. VIII, p. 231).

 Le Pape se réfère à la justice et à la raison, parce qu’il n’est pas juste d’attribuer les mêmes droits au bien et au mal, à la vérité et à l’erreur. La raison se révolte à l’idée que, pour condescendre aux exigences d’une petite minorité, on lèse les droits, la foi et la conscience de la quasi totalité du peuple, et que l’on trahisse ce peuple en permettant à ceux qui tendent des pièges à sa foi de créer dans son sein une scission avec toutes les suites de la lutte religieuse.

 

FERMETE DES PRINCIPES

Ces principes sont solides et immuables ; ils ont eu pleine valeur aux temps d’Innocent III et de Boniface VIII, ils l’ont encore aux temps de Léon XIII et de Pie XII qui les a réaffirmés dans plusieurs de ses documents. C’est pourquoi il a, avec une fermeté sévère, rappelé à leurs devoirs les gouvernants, se référant à l’avertissement de l’Esprit-Saint, avertissement qui ne connaît pas de limites de temps : « Nous devons demander à  Dieu avec insistance – ainsi parle Pie XII dans l’encyclique Mystici Corporis – que tous ceux qui sont préposés au gouvernement des peuples aiment la sagesse, de telle façon que ne retombe jamais sur eux la sentence si grave de l’Esprit-Saint : « Le Très-Haut examinera vos œuvres et scrutera vos pensées ; parce que, ministres de son règne, vous n’avez pas gouverné droitement, ni observé la loi de la justice, ni marché selon le vouloir de Dieu. Terrible et rapide Il fondra sur vous, car le jugement le plus rigoureux sera fait de ceux qui occupèrent la première place. A l’égard des humbles on use de miséricorde, mais les puissants de ce monde seront puissamment punis ! En effet Il ne reculera devant personne, celui qui est le Seigneur de tous, et ne sera impressionné par la grandeur d’aucun. C’est Lui qui a créé les grands et les petits et il a de tous un égal souci » (A.A.S., vol. XXXV, p. 244).

Si maintenant je me rapporte à tout ce que j’ai dit plus haut sur l’harmonie des encycliques mises en question, je suis sûr que personne ne pourrait prouver qu’il y a une oscillation quelconque – sur ces principes – entre l’encyclique Summi Pontificatus de Pie XII, les encycliques de Pie XI Divini Redemptoris contre le communisme, Mit Brennender Sorge contre le nazisme, Non abbiamo bisogno contre le monopole étatique du fascisme et les précédentes encycliques de Léon XIII Immortale Dei, Libertas et Sapientiae christianae.

« Les règles suprêmes de la société, celles qui en sont la pierre fondamentale – proclame l’Auguste Pontife dans son Radio-message de Noël 1942 – ne peuvent pas être atteintes par l’intervention de l’esprit humain ; on pourra les nier, les ignorer, les dénigrer, les transgresser, mais on ne pourra jamais les effacer d’une manière juridiquement efficace » (A.A.S., vol. XXXV, pp. 13-14).

 

LES DROITS DE LA VERITE

Mais ici il faut résoudre une autre question ou mieux une difficulté si spécieuse qu’elle pourrait paraître à première vue insoluble.

On nous objecte : vous soutenez deux critères ou deux normes d’action différentes selon que cela vous est commode : en pays catholique, vous soutenez l’idée de l’Etat confessionnel avec le devoir de protection exclusive de la religion catholique ; inversement, là où vous êtes une minorité, vous réclamez le droit à la tolérance ou, tout simplement, à la parité des cultes : donc deux poids et deux mesures ; d’où une vraie duplicité, et embarrassante, dont les catholiques qui tiennent compte des développements actuels de la civilisation veulent être débarrassés.

Eh bien ! il faut précisément user de deux poids et de deux mesures, l’une pour la vérité, l’autre pour l’erreur.

Les hommes qui se sentent en possession tranquille de la vérité et de la justice n’en viennent pas aux transactions. Ils exigent le plein respect de leurs droits. Ceux au contraire qui ne se sentent pas sûrs de tenir la vérité, comment peuvent-ils exiger d’être seuls à tenir le terrain, sans le partager avec ceux qui réclament le respect de leurs propres droits fondés sur d’autres principes ?

Le concept de la parité des cultes et de la tolérance est un produit du libre examen et de la multiplicité des confessions. C’est une conséquence logique des opinions de ceux qui disent qu’en matière de religion on n’est pas tenu par des dogmes et que seule la conscience individuelle donne le critère et la norme pour la profession de foi et l’exercice du culte. Alors est-il étonnant que dans les pays où de telles théories sont en vigueur l’Eglise cherche à avoir une place pour développer sa divine mission et à y faire reconnaître pour elle les droits qu’elle peut réclamer par la conséquence logique des principes adoptés par les législations de ces pays ?

L’Eglise voudrait parler et réclamer au nom de Dieu : mais chez ces peuples, l’exclusivité de sa mission n’est pas reconnue. Elle se contente alors de réclamer au nom de cette tolérance, de cette parité et de ces garanties communes dont s’inspirent les législations des pays en cause.

Quand en 1949 se tint à Amsterdam la réunion des différentes églises hétérodoxes pour le progrès du mouvement œcuménique, se trouvaient représentées près de 146 églises ou confessions diverses. Les délégués présents appartenaient à 50 nations environ : il y avait des calvinistes, des luthériens, des coptes, des vieux-catholiques, des baptistes, des vaudois, des méthodistes, des épiscopaliens, des presbytériens, des malabares, des adventistes, etc.

L’Eglise catholique qui se sait déjà en possession tranquille de la vérité et de l’unité, ne devait pas, logiquement, être présente en vue de chercher cette union que les autres n’ont pas.

Eh ! bien, après de nombreux discours, les participants ne se sont pas trouvés d’accord, pas même pour une commune célébration finale de la cène eucharistique, qui devait être le symbole de leur union, sinon dans la foi, tout au moins dans la charité, si bien que dans la session plénière du 23 août 1949, le Dr. Kraemer, calviniste hollandais, depuis directeur du nouvel Institut Œcuménique de Celigny en Suisse, faisait observer qu’il eût mieux valu omettre toute cène eucharistique que de manifester tant de division en faisant de nombreuses cènes séparées.

Dans de telles conditions des choses – dis-je – est-ce que l’une de ces confession cohabitant avec les autres, ou même prédominante dans un même Etat, pourrait prendre une attitude intransigeante et exiger ce que l’Eglise catholique attend d’un Etat en grande majorité catholique ?

On ne doit donc pas être surpris que l’Eglise en appelle au moins aux droits de l’homme, lorsque les droits de Dieu sont méconnus !

Elle l’a fait dans les premiers siècles du christianisme, en face de l’Empire et du monde païen ; elle le fait encore aujourd’hui, spécialement là où tout droit religieux est nié, ainsi que dans les pays sous domination soviétique.

Le Pontife régnant, devant les persécutions dont sont l’objet tous les chrétiens – et au premier rang les catholiques – comment pouvait-il ne pas en appeler aux droits de l’homme, à la tolérance, à la liberté des consciences, quand précisément, de ces droits est fait un si détestable massacre ?

Ce sont les droits de l’homme qu’Il a revendiqués dans tout le champ de la vie individuelle et de la vie sociale en son Message de Noël 1942, et plus récemment, en son Message de Noël 1952, à propos des souffrances de l’Eglise du silence.

On voit donc clairement combien à tort on veut faire croire que cette reconnaissance des droits de Dieu et de l’Eglise qui exista dans le passé est inconciliable avec la civilisation moderne, comme si c’était revenir en arrière que d’accepter le juste et le vrai de tous les temps.

A un retour au Moyen-Age fait allusion, par exemple, le texte suivant d’un auteur bien connu : « L’Eglise catholique insiste sur ce principe : que la vérité doit avoir le pas sur l’erreur, et que la vraie religion, quand elle est connue, doit être aidée dans sa mission spirituelle de préférence aux religions dont le message est plus ou moins défaillant et où l’erreur se mêle à la vérité. C’est là une simple conséquence de ce que l’homme doit à la Vérité. Il serait cependant très faux d’en conclure que ce principe ne peut s’appliquer qu’en réclamant pour la vraie religion les faveurs d’un pouvoir absolutiste ou l’assistance des dragonnades, ou que l’Eglise catholique revendique des sociétés modernes les privilèges dont elle jouissait dans une civilisation de type sacral, comme au Moyen-Age ».

Pour faire son devoir, un gouvernement catholique d’un Etat catholique n’a pas besoin d’être un absolutiste ni un simple policier, ni un sacristain, ni de retourner à l’ensemble de la civilisation du Moyen-Age.

Un autre auteur objecte : « Presque tous ceux qui jusqu’à maintenant cherchaient à considérer et à examiner le problème du « pluralisme religieux » se heurtaient à un axiome périlleux, à savoir que la vérité seule à ses droits, alors que l’erreur n’en a aucun. En effet, tous s’aperçoivent aujourd’hui que cet axiome est trompeur, non certes que nous voulions reconnaître des droits à l’erreur, mais simplement que nous nous apercevons de cette vérité de La Palice que ni l’erreur ni la vérité – des abstractions – ne sont objet du droit, ne sont capables d’avoir des droits, c’est-à-dire de créer des devoirs réciproques de personne à personne ».

Il me semble, au contraire, que la vérité de La Palice consiste plutôt en ceci : à savoir que les droits en question sont subjectés excellemment dans les individus qui se trouvent en possession de la vérité et que les individus, au titre de leur erreur, ne peuvent pas exiger des droits égaux.

Or dans les Encycliques que nous avons citées, il résulte que le premier sujet de ces droits est précisément Dieu lui-même ; d’où il suit que ceux-là seulement sont dans le vrai droit qui obéissent à ses commandements et sont dans sa vérité et dans sa justice.

En conclusion, la synthèse des doctrines de l’Eglise en cette matière a été, même de nos jours, très clairement exposée dans la Lettre que la Sacrée Congrégation des Séminaires et des Universités adressa aux Evêques du Brésil, le 7 mars 1950. Cette Lettre qui se réfère continuellement aux enseignements de Pie XII, met en garde, entre autres choses, contre les erreurs du libéralisme catholique renaissant, lequel « admet et encourage la séparation des deux pouvoirs. Il refuse à l’Eglise tout pouvoir direct dans les matières mixtes ; il affirme que l’Etat doit se montrer indifférent en matière religieuse… et reconnaître la même liberté à la vérité et à l’erreur. A l’Eglise n’appartiennent pas des privilèges, des faveurs et des droits supérieurs à ceux qui sont reconnus aux autres confessions religieuses dans les autres pays catholiques », et ainsi de suite.

 

CONTRASTE ENTRE LES LEGISLATIONS

La question ayant été traitée sous l’aspect doctrinal et juridique, qu’on me permette de faire un petit « excursus » sur l’aspect pratique.

Je veux parler de la différence et de la disproportion qu’il y a entre les clameurs soulevées contre les principes exposés ci-dessus, principes appliqués dans la Constitution espagnole, et le bien faible ressentiment que, par contre, tout le monde laïciste a montré pour le système législatif soviétique qui opprime toute religion. Et pourtant, innombrables sont, du fait de ce système, les martyrs qui languissent dans les camps de concentration, dans les steppes de la Sibérie, dans les prisons, sans compter les légions de ceux qui, au prix de leur vie et de tout leur sang, en ont expérimenté l’iniquité jusqu’à l’extrême.

L’art. 124 de la Constitution stalinienne, promulguée en 1936, étroitement lié avec les lois sur les associations religieuses des années 1929 et 1931 dit textuellement : « Dans le but d’assurer aux citoyens la liberté de conscience, l’Eglise est séparée d’avec l’Etat et l’école d’avec l’Eglise. La liberté de profession religieuse et la liberté de propagande anti-religieuse sont reconnues à tous les citoyens ».

A part l’offense faite à Dieu, à toute religion et à la conscience des croyants, lorsqu’est garantie par la Constitution la pleine liberté de propagande anti-religieuse – propagande qui s’exerce de la manière la plus effrénée –, il faut mettre en lumière en quoi consiste la fameuse liberté de foi garantie par la loi bolchévique.

Les normes en vigueur qui règlent l’exercice des cultes sont rassemblées dans la loi du 18 mai 1929, laquelle donne l’interprétation de l’article correspondant de la Constitution de 1918 et dont l’esprit anime l’art. 124 de la Constitution actuelle. Est refusée toute possibilité de propagande religieuse et seule est garantie la propagande anti-religieuse. En ce qui concerne le culte, celui-ci n’est permis que dans l’intérieur des églises ; est interdite toute possibilité de formation religieuse, soit par les discours, soit par la presse : journaux, livres, opuscules, etc. ; est empêchée toute initiative sociale et charitable et les organisations qui s’inspirent de cet idéal sont privées de tout droit fondamental de se prodiguer pour le bien du prochain.

Pour preuve, il suffit de lire l’exposé synthétique qu’a fait de cet état de choses un russe soviétique, Orleanskij, dans son opuscule sur la loi des associations religieuses, dans la République Socialiste Fédérale Soviétique Russe (Moscou, 1930, p. 224).

« Liberté de profession religieuse signifie que l’action des croyants dans la profession de leurs propres dogmes religieux est limitée au milieu même des croyants et est considérée comme strictement liée au culte religieux de l’une ou de l’autre religion, tolérée dans notre Etat… Par conséquent, toute activité propagandiste et agitatrice de la part d’hommes d’église ou de religieux – a fortiori de missionnaires – ne peut être considérée comme une activité permise par la loi sur les associations religieuses, mais comme une activité outrepassant les limites de la liberté religieuse protégée par la loi et devient donc l’objet des lois pénales et civiles dans la mesure où elle leur est contraire ».

Enfin la lutte contre la religion est encore menée par l’Etat dans le domaine de toutes les activités que comporte la pratique de l’Evangile aussi bien en ce qui regarde la morale qu’en ce qui regarde les rapports sociaux entre les hommes. Les soviétiques ont bien compris, eux, que la religion est étroitement unie avec la vie des particuliers et de la collectivité : aussi, pour combattre les religions, ils en étouffent toute activité dans le domaine éducatif, moral et social. Voici, sur ce point, le témoignage d’un soviet : « Le propagandiste anti-religieux – ainsi écrit l’auteur de l’article « Constitution stalinienne et liberté de conscience » dans Spietnik Antireligiosnika, Moscou, 1939, pp. 131-133 – doit se rappeler que la législation soviétique, tout en reconnaissant à tous les citoyens la liberté d’accomplir les actes du culte, limite en même temps l’activité des organisations religieuses qui n’ont pas le droit de s’immiscer dans la vie politique et sociale de l’U.R.S.S. Les associations religieuses peuvent s’occuper uniquement et exclusivement des affaires concernant l’exercice de leur culte et de rien d’autre. Les prêtres ne peuvent pas faire paraître des publications obscurantistes, faire de la propagande dans les usines ou les ateliers, dans les Kolkhoz, les Sovkhoz, dans les Clubs, dans les écoles pour leurs idées réactionnaires et antiscientifiques. Conformément à la loi du 8 avril 1929, il est interdit aux associations religieuses de fonder des caisses de secours mutuel, des coopératives, des sociétés productives et en général de se servir des biens qui se trouvent à leur disposition pour d’autres buts qui ne rentrent pas dans le cercle des besoins religieux ».

Avant donc de lancer la pierre contre les gouvernements catholiques qui accomplissent leur propre devoir en ce qui concerne la religion des citoyens, les défenseurs des « droits de l’homme » devraient bien se préoccuper d’une situation aussi outrageante pour la dignité de l’homme, à quelque religion qu’il appartienne, faite par un pouvoir tyrannique qui pèse sur un tiers de la population de l’univers !

 

CULTES TOLERES

L’Eglise reconnaît aussi la nécessité dans laquelle peuvent se trouver quelques gouvernants de pays catholiques, de concéder, pour des raisons très graves, la tolérance aux autres cultes. « En vérité, enseigne Léon XIII, si l’Eglise juge qu’il n’est pas permis que les divers genres de culte divin jouissent du même droit que la vraie religion, pourtant elle ne condamne pas les chefs d’Etat qui, soit en vue d’un plus grand bien à obtenir ou d’un plus grand mal à éviter, supportent patiemment dans la pratique que chacun de ces cultes trouve sa place dans la Cité » (Immortale Dei, Acta Leonis XIII, vol. V, p. 141).

        Mais cette tolérance ne dit pas la liberté de propagande qui est source de discordes religieuses et de troubles dans la possession tranquille et unanime de la vérité et de la pratique religieuse dans des pays comme l’Italie, l’Espagne et ailleurs.

Se référant aux lois italiennes sur les « cultes admis », Pie XI écrivait : « Cultes tolérés, permis, admis » ; ce n’est pas Nous qui entrerons dans les questions de mots. La question du reste n’est pas résolue de façon inélégante, quand on fait une distinction entre le texte statutaire et le texte purement législatif : celui-là, par lui-même plus théorique et plus doctrinal et où se trouve le mot « tolérés » ; celui-ci destiné à la pratique et où peuvent se trouver simplement les mots « permis ou admis », pourvu que l’on soit loyal ; qu’il soit et qu’il reste clairement et loyalement entendu que la Religion catholique est, et elle seule, selon le Statut et les Traités, la Religion de l’Etat avec les conséquences logiques et juridiques d’une telle situation du droit constitutif, notamment au sujet de la propagande… Il n’est pas admissible que l’on entende par ces mots une liberté absolue de discussion, c’est-à-dire ces formes de discussion qui peuvent facilement tromper la bonne foi d’auditeurs peu éclairés et qui facilement deviennent des formes dissimulées d’une propagande, non moins facilement nuisible à la Religion de l’Etat et, par le fait même, à l’Etat, et précisément dans ce que la tradition du peuple italien a de plus sacré et son unité de plus essentiel » (Lettre du 30 mai 1929 au Card. Gasparri sur les Traités du Latran).

Mais les non-catholiques qui voudraient parvenir à évangéliser les pays, d’où est partie et d’où s’est répandue, par eux, la lumière de l’Evangile, ne se contentent pas de ce que la loi leur accorde ; ils voudraient encore, et contre la loi et sans même se soumettre aux modalités prescrites, avoir toute licence de briser l’unité religieuse des peuples catholiques. Et ils se plaignent si les gouvernants ferment des chapelles, ouvertes sans l’autorisation voulue, ou expulsent de soit-disant « missionnaires » entrés dans le pays pour des buts différents de ceux qu’ils avaient déclarés pour obtenir les permissions.

Enfin il est significatif que dans une telle campagne ils ont les communistes parmi leurs plus forts alliés et défenseurs : alors que, en Russie, ils interdisent toute propagande religieuse – chose bien établie dans l’article cité de la Constitution –, les communistes sont au contraire les plus zélés pour appuyer toutes les formes de propagande protestante dans les pays catholiques.

Malheureusement, dans les Etats-Unis d’Amérique où de nombreux frères dissidents ignorent certaines circonstances de fait et de droit qui intéressent nos Pays, il s’en trouve pour imiter le zèle des communistes et protester contre notre prétendue intolérance à l’égard de leurs missionnaires chargés de « nous évangéliser » !

Mais – de grâce – pourquoi devrait-on refuser aux autorités italiennes de faire chez elles ce que les autorités américaines font dans leur propre pays quand elles appliquent in virga ferrea [13] des lois faites pour interdire l’entrée sur le territoire ou même pour en expulser ceux qui sont regardés comme dangereux à cause de leurs idéologies et comme capables de nuire aux libres traditions et aux institutions de la patrie ?

D’autre part, si les croyants d’outre-océan, qui recueillent des fonds pour leurs missionnaires et pour les néophytes qu’ils ont conquis savaient que la grande majorité de ces « convertis » sont des communistes authentiques auxquels les choses de la religion importent ni peu ni prou – si ce n’est lorsqu’il s’agit d’outrager le catholicisme – tandis qu’il leur importe beaucoup plus de jouir des largesses qui d’outre-océan leur arrivent copieusement, je crois qu’ils y regarderaient à deux fois avant d’expédier tout ce qui – en dernière analyse – va aboutir à encourager le communisme !

 

DANS LE TEMPLE ET HORS DU TEMPLE

Une dernière question qui a de fréquents retours dans l’actualité. Il s’agit de la prétention de ceux qui voudraient eux-mêmes, selon leur jugement ou selon leurs systèmes, déterminer la sphère d’action et la compétence de l’Eglise pour pouvoir l’accuser de « politicisme », là où elle outrepasse cette sphère.

C’est bien la prétention de ceux qui voudraient enfermer l’Eglise dans les quatre murs du temple, séparant la religion de la vie et l’Eglise du monde.

Or, bien plus qu’aux prétentions des hommes, l’Eglise doit s’en tenir aux commandements divins. Praedicate Evangelium omni creaturae [14] (Marc. XVI, 15). Et la Bonne Nouvelle se rapporte à toute la Révélation avec toutes les conséquences qu’elle comporte pour la conduite morale de l’homme vis-à-vis de lui-même, dans la vie domestique et dans le sens du bien de la polis [15]. « Religion et morale – enseigne l’Auguste Pontife – constituent dans leur étroite union un tout indivisible : l’ordre moral, les commandements de Dieu valent également pour tous les champs de l’activité humaine, sans exception aucune : jusque-là même où ils s’étendent, s’étend aussi la mission de l’Eglise et par conséquent aussi la parole du prêtre, son enseignement, ses avertissements, ses conseils aux fidèles confiés à ses soins.

Jamais l’Eglise ne se laissera enfermer dans les quatre murs du temple.

La séparation entre la religion et la vie, entre l’Eglise et le monde est contraire à l’idée chrétienne et catholique ».

Le Saint-Père avec une fermeté apostolique poursuit en particulier :

« L’exercice du droit de vote est un acte de lourde responsabilité morale, pour le moins quand il s’agit d’élire ceux qui sont appelés à donner au Pays sa constitution et ses lois spécialement celles qui concernent par exemple la sanctification des fêtes, le mariage, la famille, l’école, la réglementation selon l’équité des multiples conditions sociales. Aussi appartient-il à l’Eglise de préciser aux fidèles les devoirs moraux qui dérivent de ce droit électoral » (Discours aux Curés, A.A.S., vol. XXXVIII, p. 187).

Et cela, non par ambition d’avantages terrestres, non pour arracher à la société civile un pouvoir auquel Elle ne peut ni ne doit aspirer – Non eripit mortalia qui regna dat coelestia ! [16] – mais pour le règne du Christ, mais pour qu’il y ait la « Paix du Christ » ; c’est pourquoi l’Eglise ne cesse de prêcher, d’enseigner et de lutter jusqu’à la victoire.

C’est pour ce même but qu’Elle souffre, pleure et verse son sang.

Mais la route du sacrifice est vraiment celle par laquelle l’Eglise a coutume de parvenir à son triomphe. C’est ce que rappelait Pie XII dans son Radio-Message de Noël 1941 (A.A.S., vol. XXXIV, pp. 19-20).

« Nous dirigeons aujourd’hui nos regards – ô fils bien-aimés – vers l’Homme-Dieu, né dans une crèche pour rétablir l’homme dans cette grandeur d’où il est tombé par sa faute, pour le replacer sur le trône de la liberté, de la justice et de l’honneur, que les siècles des faux dieux lui avaient refusé. Le fondement de ce trône sera le Calvaire : son ornement ne sera ni l’or ni l’argent, mais le sang du Christ, sang divin qui depuis vingt siècles coule sur le monde et empourpre les joues de son Epouse, l’Eglise, et qui, purifiant, consacrant, sanctifiant, glorifiant ses fils devient blancheur céleste.

O Rome chrétienne, ce sang est ta vie !


  1. Sur la doctrine de Maritain, on pourra consulter les ouvrages de l’abbé Julio Meinvielle, De Lamennais a Maritain, Ed. Nuestro Tiempo, Buenos Aires 1945 ; publié en français sous le titre : De Lamennais à Maritain (quelques aspects de la philosophie sociale et politique de J. Maritain), La Cité Catholique, París 1956, 312 pp. – Réédité en français par les éditions Dominique Martin Morin (320 pp. ; peut être commandé à SA DPF – B.P. 1, 86190 Chiré-en-Montreuil), et surtout Crítica de la concepción de Maritain sobre la persona humana. Respuesta a dos Cartas de Maritain al R. P. Garrigou-LaGrange, O.P., Ed. Nuestro Tiempo, Buenos Aires 1948, 385 pp.; une traduction française intitulée Critique de la conception de Maritain sur la personne humaine (s. n. éd.) est également disponible auprès de SA DPF.
  2. Cf. Emmanuel FRANCOIS, La conception conciliaire de l’Etat, in CIVITAS, n°3, déc. 2001, pp. 32 sq.
  3. G. THILS, Le statut de la communauté ecclésiale dans le droit des Etats modernes, in Nouvelle Revue Théologique, tome 115 (1993), p. 383).
  4. « Non minus periculosi sunt hodierni liberalismi catholici errores, qui sub specie obsequii erga democratiam captiose ledunt principia catholica de officiis Status erga Ecclesiam. Sane percipiunt difficultates quae suis doctrinis opponuntur ex magisterio Ecclesiae, praesertim ex Romanum Pontificum Encyclicis hoc super argmumento datis : quibus se expedire conantur asserendo in Encyclicis Litteris distinguendam esse partem essentialem ab ea parte quae mutabilis est, secundum temporum et historiae vicissitudines. Hinc asseverant doctrinam anteactis temporibus a theologis et a Romanis Pontificibus pro exactae aetatis circumstantiis historicis propositam habendam esse nunc obsoletam, prout anachronisticam et cum hodierno Status democratici conceptu inconciliabilem » (A. OTTAVIANI, Institutiones Juris Publici Ecclesiastici, Romae, 4e éd., 1958, vol. II, p. 55). Dans un ouvrage consacré à l’œuvre du P. COURTNAY MURRAY, un de ses disciples, le P. Dominique GONNET, S.J., peut écrire : « Le cardinal Ottaviani, comme les autres tenants de la « thèse », s’en tient à l’identité absolue des enseignements de l’Eglise et ne mentionnent aucune rupture d’un document du magistère à l’autre, seulement des compléments ou des précisions » (D. GONNET, La liberté religieuse à Vatican II. La contribution de John Courtnay Murray, Ed. du Cerf, collection Cogitatio fidei, n°183, Paris, 1994, p. 114).
  5. Il cite successement : MARITAIN, Du régime temporel et de la liberté, Paris, 1953 ; Humanisme intégral, Paris, 1934 ; Les droits de l’homme et la loi naturelle, Paris, 1942 ; Christianisme et démocratie, Paris, 1943 ; Man and State, 1953 ; P. CONGAR, O.P., Lettre sur la liberté religieuse à propos de la situation des protestants en Espagne, Revue Nouvelle, 1948 ; LECLERCQ, L’Eglise et la liberté en 1948, Revue Nouvelle, 1948 ; L’Etat chrétien et la liberté de l’Eglise, Vie Intellectuelle, 1949 ; P. PRIBILLA, S.J., Dogmatische Intoleranz und bürgerliche Toleranz, Stimmen der Zeit, 1949 ; P. MURRAY, S.J., Governmental Repression of Heresy, Proceedings, Catholic Theological Society of America, 1948 ; Current Theology on Religious Freedom, Theological Studies, 1949 ; On the Structure of the Church-State Problem, The Catholic Church in World Affairs, University of Notre-Dame, 1954.
  6. Card. A. OTTAVIANI, L’Eglise et la Cité, Ed. Imprimerie Polyglotte Vaticane, 1963.
  7. « Nous ne voulons pas qu’Il règne sur nous ».
  8. « Il n’arrache pas les royaumes de la terre, Celui qui donne le royaume céleste ».
  9. « Guerrier efféminé ».
  10. « Les armes de vérité ».
  11. « Qui vous écoute, m’écoute ».
  12. « Par lesquels Dieu Lui-même a déclaré qu’Il veut être honoré ».
  13. « Avec une verge de fer ».
  14. « Prêchez l’Evangile à toute créature ».
  15. La ville (en grec).
  16. « Il n’arrache pas les royaumes de la terre, Celui qui donne le royaume céleste ».
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