Les relations entre l'Eglise et l'Etat et la tolérance religieuse

De Salve Regina

Révision datée du 3 mai 2017 à 18:02 par Abbé Olivier (discussion | contributions)
(diff) ← Version précédente | Voir la version actuelle (diff) | Version suivante → (diff)

L'Eglise
Auteur : sous la présidence du Cal Ottaviani
Date de publication originale : 1958

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen
Remarque particulière : Le texte qui suit fait partie des archives publiques de Vatican II et de sa préparation. Il s’agit du chapitre 9 du De Ecclesia dans son état ultime, c’est à dire tel qu’il a été remis au Père conciliaires avant l’ouverture de l’assemblée. Il fut rédigé par la commission théologique présidée alors par le card. Ottaviani et ne fut jamais adopté par le concile. Il semble que dans ses grandes lignes le texte ne soit qu’une reprise d’un document que le Saint Office avait déjà préparé en 1958 afin de condamner les idées de Maritain et de Murray. Seule la mort de Pie XII avait empêché de le publier. Cela aurait été la dernière condamnation magistérielle de la liberté religieuse avant Vatican II

Les relations entre l'Eglise et l'Etat et la tolérance religieuse

1. Le principe de distinction entre l'Eglise et la société civile et de subordination de la fin de l'Etat à la fin de l'Eglise

L'homme, destiné par Dieu à une fin surnaturelle, a besoin tant de l'Eglise que de la société civile pour parvenir à la perfection. C'est le propre de la société civile, à laquelle l'homme appartient en raison de sa nature sociale, d'atteindre, en tant qu'elle est dirigée vers les biens terrestres, cette fin grâce à laquelle les citoyens peuvent mener sur la terre " une vie calme et paisible " (1 Tm 2, 2). Quant à l'Eglise, à laquelle l'homme doit s'incorporer en vertu de sa vocation surnaturelle, elle a été fondée par Dieu pour que, croissant toujours davantage, elle conduise les fidèles à leur fin éternelle par sa doctrine, par ses sacrements, par sa prière et par ses lois. Chacune de ces sociétés est dotée des moyens nécessaires au bon accomplissement de sa mission : aussi bien, l'une et l'autre sont parfaites, ce qui veut dire que chacune d'elles, dans son ordre respectif, est souveraine, et par conséquent non soumise à une autre, pourvue du pouvoir législatif, du pouvoir judiciaire et du pouvoir exécutif. La distinction entre ces deux

Cités repose, comme le veut une tradition constante, sur les paroles du Seigneur : " Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu " (Mt 22, 2 1).

Mais lorsque ces deux sociétés exercent leurs pouvoirs sur les mêmes personnes, voire à l'égard du même objet, il ne leur est pas permis de s'ignorer, et il convient même au plus haut point qu'elles agissent de concert, pour leur plus grand profit et pour le plus grand profit de leurs membres.

Le Saint Concile, voulant donc enseigner quelles relations doivent exister entre les deux pouvoirs en raison de leur nature, déclare tout d'abord que l'on doit tenir fermement que tant l'Eglise que la société civile ont été établies au bénéfice de l'homme, encore qu'il ne lui serve à rien de jouir de la félicité temporelle, que le pouvoir civil doit assurer, s'il vient à perdre son âme (Mt 16, 26 ; Mc 8, 36 ; Lc 9, 25). C'est pourquoi la fin de la société civile ne doit jamais être recherchée à l'exclusion ou au détriment de la fin dernière, à savoir du salut éternel.

2. Le pouvoir de l'Eglise, ses limites et les fonctions que l'Eglise remplit vis-à-vis du pouvoir civil

Alors que le pouvoir de l'Eglise s'étend à tout ce par quoi les hommes atteignent le salut éternel, ce qui ressortit seulement à la félicité temporelle relève comme tel de l'autorité civile. Il s'ensuit que l'Eglise ne s'occupe pas des réalités temporelles, sauf en tant qu'elles seraient ordonnées à la fin surnaturelle. Mais dans ce qui est ordonné tant à la fin de l'Eglise qu'à celle de l'Etat, comme par exemple le mariage et l'éducation des enfants, les droits du pouvoir civil ont à s'exercer de telle sorte que les biens supérieurs de l'ordre surnaturel ne souffrent aucun dommage, ce dont l'Eglise est juge. Mais pour autant l'Eglise ne s'immisce d'aucune manière dans les autres affaires temporelles, qui, étant sauve la loi divine, peuvent légitimement s'organiser de diverses manières. Gardienne de son propre droit, très respectueuse de celui d'autrui, l'Eglise estime spécialement qu'il ne lui appartient pas de déterminer quelle forme constitutionnelle convient le mieux au gouvernement des nations chrétiennes : elle ne donne sa préférence à aucune sorte d'organisation de l'Etat parmi celles qui existent, dès l'instant que la religion et la morale sont sauves'. Elle empêche d'autant moins le pouvoir civil d'user librement de ses droits et de ses lois, qu'elle revendique pour elle la liberté.

Les gouvernants ne doivent pas ignorer combien nombreux sont les bienfaits que l'Eglise procure à la société civile en accomplissant sa mission. C'est l'Eglise même qui contribue à faire que les citoyens soient de bons citoyens en leur inculquant la vertu et la piété chrétiennes, de sorte que le salut de l'Etat sera solidement assuré, comme le remarque S. Augustin, dans la mesure où ils sont tels que le leur prescrit la doctrine chrétienne. Elle exige également des citoyens qu'ils obéissent aux prescriptions légitimes qui leur sont faites " non seulement par crainte du châtiment, mais en conscience " (Rm 13, 5). Elle enjoint par ailleurs à ceux auxquels est confié le gouvernement de l'Etat, de ne pas exercer leur charge pour assouvir un appétit de pouvoir, mais pour le bien des citoyens, et comme devant rendre des comptes à Dieu (He 13, 17) au sujet de ce pouvoir qu'ils ont reçu de sa main. Elle inculque le respect religieux de la loi naturelle et de la loi surnaturelle, par lesquelles doit être organisé dans la paix et la justice l'ensemble de l'ordre social aussi bien entre les citoyens qu'entre les nations.

3. Les devoirs religieux du pouvoir civil

Le pouvoir civil ne peut se montrer indifférent vis-à-vis de la religion. Puisqu'il est institué par Dieu pour aider les hommes à acquérir une perfection qui soit vraiment humaine, il doit non seulement offrir aux citoyens la faculté de se procurer les biens temporels tant matériels que culturels, mais il doit faire en sorte qu'ils puissent avoir aisément et en abondance les biens spirituels qui leur sont nécessaires pour mener religieusement leur existence humaine. Parmi ces biens, aucun n'est plus important que celui de connaître Dieu, de le reconnaître comme tel, et de remplir les devoirs qui lui sont dus : tel est, en effet, le fondement de toute vertu privée et plus encore de toute vertu publique

Ces hommages dus à la majesté divine doivent être rendus non seulement par les citoyens pris individuellement, mais également par les pouvoirs publics qui représentent la société civile dans les actes publics. Dieu, en effet, est l'auteur de la société civile et la source de tous les biens qui sont répandus par elle sur ses membres. La société civile doit donc honorer et vénérer Dieu. Quant à la manière selon laquelle Dieu doit être honoré, dans l'économie présente, elle ne peut être que celle-là même dont Dieu a déterminé d'user dans la véritable Eglise du Christ. Par conséquent, l'Etat doit s'associer au culte public célébré par l'Eglise, non seulement par l'intermédiaire des citoyens, mais aussi par celui des hommes qui, préposés à l'exercice du pouvoir, représentent la société civile.

Il ressort des signes manifestes dont l'Eglise a été dotée par son divin fondateur en ce qui concerne son institution divine et sa mission, que le pouvoir civil a la possibilité de connaître la véritable Eglise du Christ". De sorte que le devoir de recevoir la révélation proposée par l'Eglise n'incombe pas seulement aux citoyens en particulier, mais au pouvoir civil. Ainsi, dans les lois qu'il lui revient d'édicter, il doit se conformer aux préceptes de la loi naturelle et tenir compte comme il se doit des lois positives, tant divines qu'ecclésiastiques, par lesquelles les hommes sont guidés vers la béatitude éternelle.

Mais de même qu'aucun homme ne peut honorer Dieu de la façon établie par le Christ s'il ne reconnaît qu'il nous a parlé en Jésus Christ, la société civile ne le peut que dans la mesure où les citoyens, et la puissance civile en tant qu'elle représente le peuple, sont assurés du fait de la révélation.

La puissance civile doit spécialement garantir à l'Eglise une liberté pleine et complète, et ne l'empêcher en aucune manière de pouvoir remplir son entière mission : exercer son magistère sacré, régler et célébrer le culte divin, administrer les sacrements et prendre soin des fidèles. La liberté de l'Eglise doit être reconnue par le pouvoir civil dans tout ce qui se rapporte à sa mission, qu'il s'agisse particulièrement du recrutement et de la formation des séminaristes, de la nomination des évêques, de la libre et mutuelle communication entre le Pontife Romain, les évêques et les fidèles, qu'il s'agisse de l'institution et du gouvernement de la vie religieuse, de la publication et la diffusion d'écrits, de la possession et de l'administration de biens matériels, et d'une manière générale de toutes ces activités que l'Eglise, en tenant compte des droits civils, estime bien adaptées pour conduire les hommes vers leur salut éternel, sans oublier l'enseignement profane, les œuvres sociales, et quantité d'autres moyens.

Enfin incombe au pouvoir civil le grave devoir d'exclure de la législation, du gouvernement et de l'activité publique, tout ce par quoi l'Eglise estimerait que la poursuite de la fin ultime est entravée ; par dessus tout, il doit faire en sorte que soit facilitée la vie reposant sur les principes chrétiens, existence la plus conforme à cette fin ultime pour laquelle Dieu a créé les hommes.

4. Principe général d'application de la doctrine exposée

L'Eglise a toujours reconnu que le pouvoir ecclésiastique et le pouvoir civil ont des rapports mutuels différents selon que la puissance civile, agissant au nom du peuple, connaît ou non le Christ, et par lui l'Eglise qu'il a fondée.

5. Application pour l'Etat catholique

La doctrine exposée plus haut par le Saint Concile ne peut être appliquée dans son intégrité que dans la Cité au sein de laquelle les citoyens, non seulement sont baptisés, mais font profession de foi catholique. Dans cette situation, ce sont les citoyens eux-mêmes qui décident librement que la vie sociale sera informée par les principes catholiques, de telle sorte que, comme le disait S. Grégoire le Grand, "la voie du ciel s'ouvre plus largement ".

Mais, même dans ces conditions favorables, aucun motif n'autorise le pouvoir civil à contraindre les consciences d'accepter la foi divinement révélée. En effet, la foi est libre par essence, et elle ne peut faire l'objet d'aucune contrainte, comme l'enseigne l'Eglise en disant : " Personne ne peut être contraint, malgré lui, à embrasser la foi catholique "

Mais cela n'empêche en rien que le pouvoir civil se doive de procurer les conditions intellectuelles, sociales et morales, grâce auxquelles les fidèles, y compris ceux qui n'ont pas de grandes connaissances, puissent facilement persévérer dans la foi qu'ils ont reçue. C'est pourquoi, de même que le pouvoir civil estime qu'il lui revient de prendre soin de la moralité publique, de même, afin de garder les citoyens des séductions de l'erreur et pour que l'Etat soit conservé dans l'unité de la foi, ce qui est le bien suprême et la source d'une multitude de bienfaits y compris dans l'ordre temporel, le pouvoir civil peut de lui-même régler les manifestations publiques des autres cultes, et défendre ses citoyens contre la diffusion des fausses doctrines par lesquelles, au jugement de l'Eglise, leur salut éternel est mis en péril.

6. La tolérance religieuse dans l'Etat catholique

Parce qu'on doit agir dans le cadre de la préservation de la vraie foi selon les exigences de la charité chrétienne et de la prudence, il faut faire en sorte que les dissidents ne soient pas repoussés, mais bien plutôt qu'ils soient attirés vers l'Eglise, et que ni l'Etat, ni l'Eglise ne souffrent de dommage. De telle sorte qu'on doit toujours avoir présent à l'esprit le bien commun de l'Eglise et celui de l'Etat, pour la réalisation desquels le pouvoir civil, en fonction des circonstances, peut être tenu de mettre en oeuvre une juste tolérance. Celle-ci doit d'ailleurs être consacrée par la loi. Le pouvoir civil y sera tenu, soit pour éviter de plus grands maux, tels que scandale, troubles civils, obstacle à la conversion, et autres de ce type, soit pour procurer un plus grand bien, comme la collaboration sociale, une vie commune pacifique entre des concitoyens qui divergent entre eux par la religion, une plus grande liberté de l'Eglise, un accomplissement plus efficace de sa mission surnaturelle et autres bénéfices semblables. En cela, on doit tenir compte, non seulement du bien concernant l'ordre national, mais aussi du bien de l'Eglise universelle et du bien commun international. Par sa tolérance, le pouvoir civil catholique imite l'exemple de la divine Providence, qui n'empêche pas les maux dont elle peut tirer de plus grands biens. Cela doit être tout spécialement observé dans les endroits où, depuis des siècles, vivent des communautés non catholiques.

7. Application pour l'Etat non catholique

Dans les Etats, dans lesquels la majeure partie des citoyens ne professent pas la foi catholique, ou bien ne connaissent pas le fait de la Révélation, le pouvoir civil non catholique, en matière religieuse, doit au moins se conformer aux préceptes de la loi naturelles. Dans ce contexte, la liberté civile doit être concédée par ce pouvoir non catholique à tous les cultes non opposés à la religion naturelle. Mais cette liberté ne s'oppose alors pas aux principes catholiques, puisqu'elle est conforme tant au bien de l'Eglise qu'à celui de l'Etat. Dans de tels Etats, dans lesquels le pouvoir ne professe pas la foi catholique, il incombe particulièrement aux citoyens catholiques d'obtenir, grâce aux vertus et aux activités civiques par lesquelles ils promeuvent, en union avec leurs concitoyens, le bien commun de l'Etat, qu'une pleine liberté soit concédée à l'Eglise pour l'accomplissement de sa mission divine. En effet, même l'Etat non catholique ne souffre aucun dommage de la libre activité de l'Eglise, et il en retire au contraire de nombreux et remarquables avantages. De sorte que les citoyens catholiques doivent faire en sorte que l'Eglise et le pouvoir civil, bien qu'encore juridiquement séparés, se prêtent volontiers une mutuelle assistance.

Afin que les citoyens catholiques, agissant pour la défense des droits de l'Eglise, ne nuisent pas à l'Eglise, et moins encore à l'Etat, que ce soit par leur inertie, ou bien en déployant un zèle indiscret, il faut qu'ils se soumettent au jugement de l'autorité ecclésiastique, laquelle a compétence pour juger, en fonction des circonstances, de tout ce qui concerne le bien de l'Eglise et pour diriger l'action que déploient les citoyens catholiques pour la défense de l'autel.

8. Conclusion

Le Saint Concile, sachant bien que les principes concernant les relations mutuelles entre le pouvoir ecclésiastique et le pouvoir civil n'ont à être appliqués que si le gouvernement répond à ce qui a été exposé plus haut, ne peut cependant permettre qu'ils soient voilés par le biais d'un laïcisme erroné, voire même sous prétexte de sauvegarde du bien commun. Ils s'appuient en effet sur les droits inébranlables de Dieu, sur la constitution et la mission immuables de l'Eglise, aussi bien que sur la nature sociale de l'homme qui, demeurant identique en tous temps, spécifie la fin essentielle de la société civile, nonobstant les diversités des régimes politiques et la variété des situations historiques.

Outils personnels
Récemment sur Salve Regina