Précisions à propos du chant du Pater

De Salve Regina

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Réforme des rites avant 1969
Auteur : Abbé Philippe-Marie
Date de publication originale : 2001

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen

Nous signalions dans notre article Quelques notes sur le rite de 1965 ou “ la première étape de la réforme liturgique ” que les rubriques du rite de 1965 exigeaient que le Pater soit récité ou chanté par tout le peuple soit en latin soit dans la langue vernaculaire. Cela constitue une rupture avec la tradition liturgique romaine, en effet le Pape saint Grégoire le Grand affirmait au 6ième siècle que “ La prière du Seigneur, chez les Grecs, est dite par tout le peuple ; chez nous par le prêtre seul ”[1]. Cette pratique est confirmée par saint Augustin : “ Dans l’église, on récite chaque jour à l’autel de Dieu cette oraison dominicale, que les fidèles écoutent ”[2]. On retrouve cette même tradition liturgique à l’office divin (aussi bien dans le bréviaire Romain que dans le bréviaire bénédictin) durant lequel on ne récite jamais le Pater en commun à voix haute : soit le célébrant l’entonne et tous continuent à le réciter en silence, soit le célébrant le récite seul à voix haute. Cette coutume nous vient tout droit de l’antiquité chrétienne[3] : la prière du Pater n’était enseignée aux catéchumènes que juste avant le baptême car seul les chrétiens devenus enfants de Dieu par adoption lors du baptême peuvent donner à Dieu le nom de Père[4].

Dans le rite Romain traditionnel, les fidèles ne prononcent que les derniers mots du Pater : “ sed libera nos a malo ” ; le célébrant seul dit ou chante à voix haute la divine prière que Notre Seigneur nous a enseigné en personne, ce qui lui confère un caractère de plus grande gravité. Il le fait, comme le précisent les rubriques, les yeux fixés sur l’Hostie. Il prête en quelque sorte sa voix à la sainte victime ; c’est Jésus lui-même qui dit en notre nom “ Pater noster ”. Le prêtre d’ailleurs ne commence le Pater qu’après une phrase d’introduction mettant bien en relief la solennité que doit revêtir la récitation d’une telle prière : “ Avertis par les ordre bienfaisants du Sauveur et instruits par son divin enseignement, nous osons dire… ”. Alors le célébrant étend de nouveau les bras comme Jésus sur la Croix pour répéter la prière qu’il nous a apprise. Tel est l’usage traditionnel.

Au fond le problème n’est pas de chanter ou non tous ensemble le Pater, c’est de fait un problème mineur en soi, mais c’est de vouloir changer un usage liturgique plus que millénaire sans raison. Ce qui est extrêmement gênant, c’est cette mentalité réformatrice qui sévit dans l’Eglise depuis plus de cinquante ans : tel liturgiste voulait changer ceci, un autre cela etc. On a d’abord abouti au rite de 1965, puis cela a continué en 1967 et finalement de grands liturgistes plein de science et de bons sentiments ont inventé le ritus modernus (de Paul VI) entré en vigueur en 1970. Il s’agissait au départ de ne changer que des détails, de restaurer “ d’antiques usages ” et de favoriser la participation extérieure des fidèles mais à l’arrivée que reste-t-il de la liturgie Romaine dans le ritus modernus ?

Certes par rapport à l’essentiel de la messe qui est le renouvellement non sanglant du sacrifice du Calvaire lors de la double consécration et le présence réelle du corps, du sang, de l’âme et de la divinité de Notre Seigneur sous les aspects du pain et du vin, chanter ou pas le Pater ensemble est un détail futile et il semble vain de se battre pour ou contre.

Mais dans cet écrin (entourant la consécration) qu’est la liturgie, on peut tout qualifier de “ détail ”[5] par rapport à l’Auguste mystère qu’elle contient.

Doit-on alors tous les mépriser et ne pas s’en préoccuper ? Il faut au contraire être très attentif à ces usages, à ces rites et à ces traditions car comme l’explique le cardinal Newman : “ Les usages et les rites de l’Eglise n’ont pas de raison d’être en eux-mêmes[6] ; ils ne se soutiennent pas d’eux-mêmes ; ils ne se suffisent pas eux-mêmes ; …ils n’ont pas la signification d’une fin en soi, mais ils défendent un fond substantiel ; ils abritent un mystère ; ils défendent un dogme ; ils représentent une idée ; ils prêchent la bonne nouvelle ; ils sont les canaux de la grâce ; ils sont la forme extérieure d’une réalité ou d’un fait intérieurs. ”

Il n’est donc pas opportun de changer quoi que ce soit en ce moment dans le rite Romain traditionnel. Le rite de 1962 en est l’ultime expression et il faut s’y tenir. En temps de crise il n’est pas bon de commencer à modifier quelque chose[7] sous peine d’être emporté par le courant ambiant. Or celui-ci est loin de favoriser une digne liturgie catholique apte à rendre un culte agréable à Dieu et à faire naître chez les fidèles et chez les prêtres des sentiments de piété et d’adoration.


  1. Lettre à Jean de Syracuse (Epist. IX, 26).
  2. Sermo 58, n°12.
  3. Le Pater, comme plusieurs articles de foi, était soumis à la discipline de l’arcane qui en faisait un “ mystère ” à tenir rigoureusement secret, à ne même pas mettre par écrit pour ne pas qu’il soit “ profané ” par les païens.
  4. “ Celui qui n’est pas encore initié, dit St Jean Chrysostome, ne peut pas appeler Dieu son Père. ” Homil. 21, in Matt.
  5. Porter des vêtements liturgiques est un “ détail ” aussi. Par exemple : le manipule à d’abord été négligé car “ ce n’est pas important ”, mais en quoi une étole est plus importante ? Ou une chasuble ? Les modernes sont conséquents : ils ont commencé par mépriser le manipule et maintenant ils disent la messe en aube Taizé car les ornements ne sont que des “ détails ”. On peut appliquer le même raisonnement aux vases sacrés etc.
  6. Ce sont les “ détails ” dont nous parlions.
  7. Si ce n’est ce qui est à l’origine même de la crise.
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