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XIe JOUR DE DÉCEMBRE
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==MARTYROLOGE ROMAIN.==
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A Rome, saint DAMASE, pape et confesseur, qui condamna l'hérésiarque Apollinaire et rétablit sur son siège Pierre, évêque d'Alexandrie, qui en avait été chassé. Il trouva les corps de beaucoup de saints Martyrs et orna leurs tombeaux d'épitaphes en vers. 384. — Encore à Rome, saint Thrason, qui, parce qu'il sustentait de ses biens les chrétiens condamnés au travail des bains et des autres ouvrages publics, ou renfermés dans les prisons, fut arrêté par l'ordre de Maximien et couronné du martyre, avec deux autres, savoir, Pontien et Prétextat. Vers 293. — A Amiens, les saints martyrs VICTORIC et FUSCIEN, exécutés sous le même empereur. Le président Rictiovare leur fit entrer des broches de fer dans le nez et dans les oreilles, trouer les tempes avec des clous rougis au feu, arracher les yeux et percer tout le corps avec des flèches : enfin, après tant de supplices, ils furent décapités avec GENTIEN, leur hôte, et passèrent ainsi à la gloire immortelle. 303. — En Perse, saint Barsabas, martyr 1. 342. — En Espagne, saint Eutyche, martyr. — A Plaisance, saint Savin, évêque, célèbre par ses miracles. — A Constantinople, saint DANIEL STYLITE. Vers 489.
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==MARTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTÉ.==
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Aux diocèses d'Amiens, Paris et Soissons, les saints martyrs Victoric, Fuscien et Gentien, cités au martyrologe romain de ce jour. 303. — Aux diocèses d'Autun, Châlons, Pamiers et Paris, Saint Damase, pape et confesseur, cité aujourd'hui à la même source. 384. — Au diocèse de Carcassonne, saint Paul-Serge, premier évêque de Narbonne, dont nous avons donné la vie au 22 mars. 1er s. — Au diocèse de Perpignan, fête de la translation de la maison de la sainte Vierge, de Nazareth en Dalmatie et de Dalmatie à Lorette. Nous avons fait l'historique de cette translation au jour précédent. 1294. — En Maurienne, saint Avre ou Aupre de Sens (Aper), prêtre et ermite. Après que l'évêque de Sens lui eut conféré le sacerdoce, Avre sollicita près de lui la permission de distribuer aux pauvres tout ce qu'il possédait et de se retirer en Maurienne pour y exercer le ministère sacré. Dieu permit qu'il prit sa route par le diocèse de Grenoble. Quand il fut arrivé dans cette ville, Clarus, qui en était évêque, l'accueillit avec bonté, et, appréciant bientôt la sainteté de l'hôte que la Providence lui envoyait, il l'adjoignit au clergé de sa ville épiscopale, puis lui confia la paroisse de la Terrasse (Isère, arrondissement de Grenoble). Avre y déploya pendant plusieurs années toute la vigilance et tout le zèle d'un apôtre ; mais ayant été victime des calomnies de plusieurs de ses paroissiens, il regarda cette épreuve comme un avertissement du ciel, et partit définitivement pour la Maurienne. Ayant obtenu de l'évêque Léporius la cession du territoire où s'élève maintenant le village de Saint-Avre, prés du bourg de la Chambre (Savoie, arrondissement de Saint-Jean de Maurienne), il y bâtit une cellule, un hospice et une chapelle, en l'honneur de saint Nazaire et de ses compagnons, et y passa ses jours au milieu des exercices de la plus tendre charité 2. VIIe s. — A Auxerre, saint Vilfer (Vilfère, Gonfier ; Velferus, Vulferus), moine de Moutier-Saint-Jean (Reomus, Ordre de Saint-Benoît), au diocèse de Dijon. 1017. — A Redon (Ille-et-Vilaine), au diocèse de Rennes, saint Fivetein ou Fivetin (Fidivetenus), moine de Saint-Sauveur de Redon (Ordre de Saint-Benoît). Vers 888. — En Belgique, le bienheureux Jean Agnus de Gand, confesseur, de l'Ordre de Saint-Dominique. Il est surtout connu dans l'histoire par un célébre miracle d'obéissance. Le prieur de son couvent l'avait envoyé prêcher dans une île de la Zélande (Hollande). Lorsqu'il fut sur les bords de l'eau, aucun batelier ne voulut se charger de le transporter à destination, à cause du mauvais état du fleuve (l'Escaut) grossi par les orages. Plein de confiance, le saint religieux fait le signe de la croix avec son bâton, marche sur les eaux et parvient au but de son voyage. Toute la population, avertie par les cloches qui sonnèrent miraculeusement sans aucune impulsion humaine, était sur la rive, et elle accompagna processionnellement le prédicateur à l'Église. 1296.
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1. Barsabas (ou Barsabias) était abbé en Perse, et il avait sous sa conduite dix moines qu'il conduisait avec soin dans les voies de le perfection. Arrêté au commencement de la grande persécution de Sapor II (310-380), il fut cité devant le gouverneur de la province et accusé de vouloir abolir en Perso la religion des Mages. On arrêta en même temps ses dix moines : ils furent chargés de chaînes et conduits dans la ville d'Astrahara, près des ruines de Persépolis, où le gouverneur faisait sa résidence. Le juge leur fit écraser les genoux, casser les jambes, couper les bras, les côtés et les oreilles ; on les frappa ensuite rudement sur les yeux et le visage. Enfin le gouverneur, furieux de se voir vaincu par leur courage, les condamna à être décapités. — Godescard, au 20 octobre.
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2. On croyait à Grenoble, au XVe et au XVIe siècles, que le corps de saint Avre avait été transporté dans la collégiale de Saint-André de cette ville. Ce diocèse a fait l'Office du Saint jusqu'en 1782. A cette époque, il fut supprimé dans le nouveau bréviaire viennois, uniquement parce que la commission de rédaction avait admis en principe que chaque diocèse ne pourrait imposer au bréviaire commun plus de quatre offices propres. La Révolution ne permit pas de s'occuper du supplément dans lequel on aurait pu le placer. Néanmoins les paroisses de la Terrasse et de Saint-Aupre (Isère, arrondissement de Grenoble, Canton de Voiron), dont notre Saint est le patron, continuent à célébrer sa fête tous les ans.
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En Maurienne, on ne voit indiqué nulle part l'office de saint Avre jusqu’à l'année 1760, où on le trouve imprimé avec l'approbation de Pierre-François Arthaud, vicaire général, et fixé au 4 décembre. Un décret de la Sacrée Congrégation des Rites vient tout récemment de restituer cette fête au diocèse de Maurienne ; elle se célébrera désormais le 25 octobre.
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Il y a quelques années, les habitants de Saint-Avre ont fait reconstruire leur église et y ont placé un tableau représentant saint Avre catéchisant les pauvres. Quant à la cellule, à l'hospice et à la chapelle du Saint, il n'en reste plus aucun vestige. — M. l'abbé Truchet, Histoire Hagiologique Du diocèse de Maurienne.
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==MARTYROLOGES DES ORDRES RELIGIEUX.==
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Martyrologe de l'Ordre de Saint-Basile. — A Constantinople, saint Daniel Stylite, de l'Ordre de Saint-Basile. Vers 489.
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Martyrologe de la Congrégation de Vallombreuse. — L'Octave de saint Bernard, évêque et confesseur de notre Ordre. 1133.
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Martyrologe de l'Ordre de la bienheureuse Vierge Marie du Mont-Carmel. — A Sienne, en Toscane, le bienheureux Franc, confesseur, de l'Ordre des Carmes, illustre par l'austérité de sa vie, par les apparitions fréquentes de la Mère de Dieu, par son esprit prophétique et la gloire de ses miracles. Il rendit l'esprit au milieu des concerts et de la splendeur magnifique des anges. Sa fête se célébre le 17 décembre. 1291.
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Martyrologe de l'Ordre des Carmes Déchaussés. — De même que ci-dessus.
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==ADDITIONS FAITES D'APRÈS DIVERS HAGIOGRAPHES.==
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Chez les Grecs, le patriarche JOSEPH, gouverneur de l'Égypte. 1635 av. J.-C. — En Westphalie, le bienheureux Thierry de Munster, récollet. Il entra d'abord chez les Pères Augustins de Munster et y prononça des vœux ; plus tard il fit profession au couvent des Récollets de la province de Basse-Allemagne. Véritable apôtre de la foi et zélé précepteur de la jeunesse dans la doctrine chrétienne, il éclaira presque tous les Pays-Bas par ses prédications. En 1489 et 1490, lorsque la ville de Bruxelles était ravagée par la peste, Thierry soignait les malades et leur administrait les sacrements : son zèle pour le salut des âmes le rendait inaccessible à toute crainte de la mort. Quand la peste eut cessé ses ravages, il reprit ses prédications et produisit encore de nombreux fruits de salut. Quand il se fut endormi dans le Seigneur, il fût enseveli dans le chœur de l'ancienne église des Récollets de Louvain ; plus tard, ses ossements furent recueillis dans une châsse que l'on plaça à côté de l'autel de l'infirmerie. 1515.
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==LE PATRIARCHE JOSEPH,GOUVERNEUR DE L'ÉGYPTE==
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1635 avant Jeans-Christ. — Roi d'Égypte : Pharaon.
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Castum animum nec ætas adolescentiæ permovet nec
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diligentius auctoritas.
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Un coeur chaste ne se laisse troubler ni par le jeune
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âge, ni par l’ascendant de l'autorité.
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Saint Jérôme.
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De tous les enfants de Jacob, Joseph (né à Haran, en Mésopotamie) était le plus vertueux et le plus aimable. Aussi, devint-il l'objet des tendresses particulières de son père. Quoique légitime en soi, la prédilection du vieux patriarche n'était pas sans inconvénients. Il ne pouvait guère dissimuler ses préférences, et les frères de Joseph pouvaient encore moins ne pas les apercevoir ; car, d'un côté, les affections des vieillards sont volontiers indiscrètes, et de l'autre, la mutuelle jalousie des frères est soupçonneuse et intraitable. Outre plusieurs marques de bienveillance exclusive, Jacob donna à son bien-aimé une tunique de lin de diverses couleurs ; dès lors Joseph ne trouva plus en ses frères que des sentiments haineux et des paroles d'amertume : il ne faut qu'un si léger souffle pour soulever dans le cœur de l'homme l'orage des plus violentes passions ! Vertueux et simple, Joseph augmenta encore cette haine sans le vouloir : il leur fit part de songes glorieux qu'il avait eus : « Je croyais », dit-il, « lier avec vous des gerbes dans la campagne, et je voyais ma gerbe se lever et se tenir debout, et les vôtres se ranger autour pour l'adorer ». Et encore : « J'ai vu, dans un autre songe, le soleil, la lune et onze étoiles qui m'adoraient ». Ses frères s'écrièrent : « Est-ce que tu seras notre roi, et plierons-nous sous ta puissance ? » Son père lui-même le réprimanda, peut-être pour calmer l'irritation de ses autres enfants ; car, dans sa pensée, il pesait les mystérieuses paroles de Joseph et cherchait à en pénétrer le sens.
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Or, un jour que les frères de Joseph avaient conduit leurs troupeaux jusque vers Sichem, Jacob l'envoya près d'eux. Joseph partit et trouva ses frères dans les champs de Dothaïn. Ils l'aperçurent de loin et ils se dirent : « Voici notre songeur qui vient ; allons, tuons-le et jetons-le dans cette vieille citerne ; nous dirons qu'une bête féroce l'a dévoré, et on verra de la sorte à quoi lui servent ses songes ». Ruben, l’aîné d'entre eux, eut horreur d'un tel crime ; il proposa de descendre Joseph dans la citerne : son intention secrète était de lui sauver ainsi la vie et de le rendre à son père. Dès que Joseph fut arrivé, on le dépouilla de sa robe, fatal objet d'envie, et on le jeta dans la citerne, qui était sans eau. Peu de temps après, des Ismaélites et des Madianites vinrent à passer ; ils allaient de Galaad en Égypte, conduisant des chameaux chargés de parfums, de résine et de myrrhe. Alors Juda, l'un des complices, prit la parole : « Que nous servira de tuer notre frère et de cacher sa mort ? Il vaut mieux le vendre à ces Ismaélites et ne point souiller nos mains ; car c'est notre frère et notre sang ». Cet avis prévalut ; Joseph fut tiré de la citerne et vendu pour vingt pièces d'argent.
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Les coupables trempèrent la robe de Joseph dans le sang d'un chevreau, et l'envoyèrent à Jacob avec ces paroles : « Voici une robe que nous avons trouvée ; voyez si c'est celle de votre fils ». Jacob l'ayant reconnue, dit : « C'est la tunique de mon fils ; une bête cruelle l'a dévoré ; une bête a dévoré Joseph ». Il déchira ses vêtements, se couvrit d'un cilice et pleura longtemps son fils. Ses enfants s'assemblèrent pour essayer d'adoucir sa douleur ; mais il resta inconsolable et leur dit : « Je pleurerai jusqu'à ce que je rejoigne mon fils dans la mort ». Et il continua de répandre des larmes ; car Joseph venait de lui être ravi, et Benjamin était désormais le seul gage qui lui restât de l'affection de Rachel.
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Cependant Joseph fut emmené en Égypte et vendu par les Madianites à Putiphar, l'un des premiers officiers du roi. Le jeune esclave avait trouvé grâce devant Dieu, qui n'envoie aux hommes l'épreuve d'une courte tribulation que pour leur fournir une occasion de vertu et une source de gloire ; ses belles qualités le rendirent aussi agréable à son maître, qui lui confia l'intendance de sa maison et se reposa sur lui du soin de ses affaires. L'Égyptien ne fut pas trompé, et Dieu le bénit à cause de Joseph : ses biens croissaient d'une manière sensible et le succès couronnait toutes ses entreprises.
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Il y avait quelques années déjà que Joseph faisait éclater dans l'obscurité d'un service ingrat une intelligence et une vertu supérieures, lorsque la femme du maître jeta sur lui de coupables regards et le sollicita au crime. Le noble captif demeura fidèle à Dieu et à l'honneur, et répondit avec autant de modération que de fermeté. « Voilà que mon maître m'a confié toutes choses », dit-il, « au point qu'il ignore même ce qu'il possède ; il n'a rien qui ne soit en mon pouvoir et qu'il ne m'ait remis entre les mains, ne se réservant que vous qui êtes sa femme. Et je pourrais commettre une telle iniquité et pécher contre mon Dieu ! » Cette réponse, au lieu de décourager la passion, parut l'animer et lui donner une âpreté croissante. Un jour, Joseph se trouvant seul dans un appartement, la femme de son maître tenta un dernier effort, et le saisit par son manteau. Quand une femme a perdu tout respect d'elle-même et mérité de perdre l'estime d'autrui, elle ne sait plus qu'étouffer sous les jouissances sensuelles la mémoire de sa dignité abolie, et elle ose tout pour abaisser dans la complicité d'un même crime celui qui, du haut de sa vertu, menace de rester toujours son accusateur et son juge.
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Joseph avait l'intelligence autant que le courage du devoir ; il laissa son manteau entre les mains de l'impudente femme et s'enfuit, seule manière de vaincre en pareil danger ; effectivement, si l'esprit a ses convictions et sa promptitude, les sens ont leur chancellement et leur défaillance. On conçoit les transports de la tentatrice méprisée. Sa passion déçue, son empire méconnu, la femme de Putiphar avait à craindre, mais elle avait surtout à se venger : il fallait prévenir les plaintes possibles de Joseph, surtout il fallait faire porter à un esclave la peine de sa vertu. Elle appela ses gens comme pour lui prêter secours et elle se plaignit avec des airs de fierté pudique que cet étranger eût osé porter jusqu'à elle ses témérités coupables ; elle ne devait son salut qu'à ses cris, et elle avait pu arracher ce vêtement comme pièce de conviction contre Joseph. Puis, quand son mari fut de retour, elle fit remonter jusqu'à lui l'origine de tout ce malheur, et l'enveloppa frauduleusement dans l'acte d'accusation, afin qu'ayant à se justifier du soupçon d'imprudence, il songeât d'autant moins à l'accuser elle-même d'infidélité. « Cet esclave que tu as amené », dit-elle, « est venu pour me faire insulte, et, lorsqu'il m'eut entendue crier, il m'a laissé ce manteau entre les mains et s'est enfui ».
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La calomnie réussit très bien ; Putiphar ne fut pas assez habile pour échapper aux artifices de sa femme et surprendre la vérité sous les dehors étudiés dont se couvrait l'imposture. Sans réfléchir qu'un homme ne se prépare guère aux grands crimes par dix ans de vertu et de services dévoués, et que la violence pouvait venir autant de celle qui avait arraché le manteau que de celui qui l'avait laissé prendre, il entra dans une extrême colère contre son intendant, et le fit jeter en prison. Mais le Seigneur fut avec Joseph ; car, en imposant le travail, Dieu donne la force de le soutenir, et, par sa grâce, il n'y a pas de si rudes épreuves, qu'un généreux courage ne les surmonte.
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Le Seigneur, en outre, permit que Joseph se conciliât les bonnes grâces du gouverneur da la prison. Celui-ci, prenant en pitié le jeune captif et ne voyant rien en lui qui trahît une âme abjecte et criminelle, l'investit de sa confiance et lui abandonna en partie le soin des autres prisonniers. Or, un matin, Joseph vit deux de ses compagnons plus abattus que de coutume : des songes les avaient jetés dans cette tristesse. Il écouta le récit de ces songes, en donna l'explication, et prédit à un des condamnés qu'il serait crucifié dans trois jours, et à l'autre que dans trois jours aussi il serait rendu à la liberté et rétabli dans son ancienne charge ; puis il conjura ce dernier de ne point l'oublier au temps de sa bonne fortune. L'événement justifia cette interprétation : au bout de trois jours, l'un des proscrits fut crucifié, l'autre rendu à la liberté et rétabli dans son ancienne charge ; seulement, il oublia Joseph, car le bonheur enlève la mémoire des services reçus. Dieu le permettait ainsi en cette rencontre, afin que son élu comptât sur le secours du ciel, et non point sur celui de la terre, et que, destiné à commander aux hommes, il apprit à les connaître.
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Deux ans à peu près s'étant écoulés, le roi d'Égypte eut deux songes dont il s'effraya. C'était une des superstitions du paganisme antique de chercher toujours du mystère dans les songes, et Dieu, qui gouverne les hommes en tenant miséricordieusement compte de leurs erreurs mêmes et de leurs faiblesses, donnait parfois une signification profonde à ce qui n'était communément qu'un jeu de l'organisme ou bien un caprice de l'imagination. Ces songes du roi d'Égypte entraient dans le plan de la sagesse céleste, c'est pourquoi ils étaient une véritable figure de l'avenir ; ils devaient préparer le triomphe de Joseph, c'est pourquoi l'explication lui en fut réservée. Vainement on appela tous les interprètes vulgaires ; le roi était découragé de l'ignorance de ses devins. Alors la tristesse du maître ramena le nom de Joseph sur les lèvres du courtisan, qui l'avait appris dans le malheur, et qui ne s'en était plus souvenu dans la fortune. Joseph fut tiré de prison : il parut devant le roi ; le roi raconta ses deux songes, et Joseph, les expliquant tous deux dans le même sens, annonça que sept années d'abondance seraient suivies de sept années de stérilité. Il proposa donc d'établir sur toute l'Égypte un homme sage et habile qui, durant les temps de fertilité, mettrait en réserve une partie des grains, afin que, la disette venue, le peuple ne fût pas sans ressources.
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Le roi crut avec raison que personne ne saurait mieux remédier aux maux de l'avenir que l'homme à qui Dieu les dévoilait ainsi par avance. Il soumit donc toute l'Égypte à Joseph, ne se réservant au-dessus du jeune favori que la grandeur du trône. Il le revêtit d'une robe de fin lin, lui donna un collier d'or, marque de sa nouvelle dignité, et lui mit au doigt l'anneau royal. Il le fit monter sur un char de triomphe, ordonnant à un héraut de crier que tout le peuple reconnut l'autorité de Joseph, et fléchit le genou sur son passage. Puis, changeant son nom de Joseph, il l'appela d'un mot égyptien qui signifie sauveur du monde. Enfin, pour couronner toutes ces distinctions flatteuses, il lui fit épouser la fille d'un prêtre d'Héliopolis, l'alliant ainsi à la classe la plus noble et la plus puissante de ses États. Ainsi finirent les malheurs de Joseph ; ils furent comme le germe fécond des prospérités et de la gloire qui emplirent le reste de sa vie.
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Ses prophétiques paroles eurent leur accomplissement : sept années d'abondance furent suivies de sept années de stérilité. Le fléau avait aussi frappé les pays voisins. Jacob, pressé par la disette, envoya ses fils vers 1'Égypte, dont il avait appris les ressources ; Benjamin seul resta près de lui. Le blé ne se vendait que sur l'ordre de Joseph ; ses frères lui furent donc présentés et l'adorèrent, se prosternant devant lui à la manière des Orientaux. Il les reconnut sans peine, mais il ne fut pas reconnu d'eux, parce que l'âge viril et peut-être le malheur avaient changé les traits de son adolescence.
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A la vue de ses frères courbés devant lui, Joseph se rappela ses songes d'autrefois. Il prit un langage sévère et sembla croire que ces étrangers étaient venus en ennemis. Il les garda trois jours en prison ; puis, apprenant qu'ils avaient encore un frère, il les renvoya avec ordre de le ramener et retint l'un d'eux comme otage. Eux, croyant n'être pas compris du ministre égyptien, qui leur avait parlé jusque-là par interprète, se reprochèrent mutuellement leur ancien fratricide. Alors Joseph, vaincu par la tendresse, se retira un moment pour pleurer, puis il revint, exprimant la volonté de garder en otage Siméon, l'un des étrangers. Les autres s'en retournèrent tristes au pays de Chanaan. Leur père tomba dans une affliction profonde lorsqu'on lui apprit la captivité de Siméon et l'ordre formel de mener Benjamin en Égypte ; il fut longtemps avant de consentir à exposer encore ce fils, cher et dernier fruit de sa vieillesse.
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Toutefois, la famine continuant à sévir, Jacob fut contraint de céder à l'empire des circonstances, et il envoya ses fils en Égypte, leur confiant à regret Benjamin, dont Juda répondit sur sa tête. Joseph, les voyant arriver avec son jeune frère, commanda de les introduire dans son palais et de leur préparer un festin. Ils attendaient dans la salle du repas, lorsqu'enfin Joseph parut. Tous s'inclinèrent devant lui. Il les accueillit avec bonté et les questionna sur leur vieux père. Puis, levant les yeux, il aperçut Benjamin et dit : « Est-ce là votre jeune frère dont vous m'aviez parlé? Mon fils », ajouta-t-il, « que Dieu te soit propice ! » Et il se hâta de sortir ; car, à la vue de son frère, ses entrailles s'étaient émues, et il ne pouvait retenir ses larmes. Quand il eut pleuré librement, il revint, et, faisant effort pour dominer son émotion, il prit le repas en la société de ses frères, mais à une autre table, les Égyptiens regardant les étrangers comme des profanes. Il les servit lui-même ; Benjamin fut traité plus honorablement que les autres, ce qui les étonna. Du reste, le festin se passa dans la joie.
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Le lendemain, les frères devaient partir. Joseph fit cacher sa coupe d'argent parmi les provisions de Benjamin, et à peine avaient-ils repris leur route, qu'il envoya ses gens à leur poursuite. On les atteignit, on les accusa d'avoir commis un vol ; ils s'en défendirent, mais la coupe fut trouvée parmi les provisions de Benjamin. Joseph menaça de le conserver comme esclave. Alors Juda fit connaître toutes les répugnances qu'avait éprouvées Jacob à laisser partir Benjamin, et le coup terrible que la captivité de ce fils tendrement aimé allait porter à son grand âge. Au nom de son père, Joseph ne put se comprimer plus longtemps : il renvoya les Égyptiens qui l'entouraient, et s'écria en versant des larmes : « Je suis Joseph. Est-ce que mon père vit encore ? » Mais ses frères ne purent lui répondre, tant ils étaient saisis de frayeur. « Approchez de moi », leur dit-il avec douceur, « je suis Joseph, votre frère, que vous avez vendu ». Il les rassura, disant que Dieu avait permis toutes choses pour un plus grand bien ; il leur prescrivit d'informer son père de tout ce qu'ils voyaient et de le ramener avec eux en Égypte, où ils seraient tous nourris durant les cinq années que la famine devait durer encore. Et se jetant au cou de Benjamin son frère pour l'embrasser, il pleura, et Benjamin pleura aussi en le recevant dans ses bras. Joseph donna ensuite à tous ses frères les mêmes marques de tendresse, et, revenant peu à peu de leur muette terreur, ils osèrent lui parler.
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A cette heureuse nouvelle qui lui fut rapportée par ses fils, Jacob sembla s'éveiller d'un profond sommeil et refusa quelque temps de croire à leur parole. Enfin, reprenant ses sens, il dit : « Si mon fils Joseph est encore en vie, c'en est assez ; j'irai et je le verrai avant de mourir ». En effet, il partit pour d’Égypte avec tous ses gens et ses biens. Joseph vint à sa rencontre, et, l'apercevant, courut à lui et l'embrassa étroitement avec beaucoup de larmes. « Je mourrai avec joie maintenant », lui dit son père, « puisque j'ai vu ton visage et que je te laisse après moi ». Jacob fut aussi présenté au roi, et obtint de se fixer avec ses fils dans la contrée de Gessen, la plus fertile de d’Égypte et la plus convenable à un peuple pasteur. Dix-sept ans après, il mourut, en prophétisant les magnifiques destinées de sa race. Il adopta au nombre de ses enfants Manassé et Éphraïm, fils de Joseph, et demanda que ses cendres fussent réunies un jour aux cendres de ses pères.
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Joseph vit les fils de ses petits-fils. Près de mourir, il demanda que ses ossements fussent transportés dans la Terre promise ; puis il expira, à l'âge de cent dix ans. Son corps fut embaumé et mis dans un cercueil que les Israélites, à leur sortie d'Égypte, emportèrent au pays de Chanaan.
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Tel fut Joseph, exemple célèbre des difficultés qui attendent la vertu, du courage qu'elle doit employer et du triomphe qu'elle peut obtenir. Les temps anciens ne virent pas une plus parfaite image de ce Juste, qui, trahi par ses frères et méconnu dans ses œuvres, fut condamné comme un criminel, et sortit de la captivité du tombeau pour nourrir la terre entière du pain de la vérité évangélique, et conquérir, par tous les dons de sa charité divine, le glorieux titre de Sauveur du monde.
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On représente Joseph le patriarche : 1° au moment où il est vendu par ses frères ; ceux-ci reçoivent alors des marchands Madianites le prix de la vente, pendant que l'enfant est livré à la caravane des acheteurs pour être conduit en Égypte ; 2° avec l'indication palpable du songe où lui fut montré sa grandeur future, sous la forme d'une gerbe dressée au milieu de onze autres qui se courbent devant elle ; 3° descendu dans un puits ou citerne par ses frères, puis retiré de ce puits pour être vendu ; 4° expliquant les songes de Pharaon. — Ajoutons que sa résistance pudique à la femme de Putiphar, son entrevue avec ses frères et son père, peuvent fournir aux artistes de beaux sujets de composition.
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Les Femmes de la Bible par feu Mgr. Darboy ; Caractéristiques des Saints, par le Révérend Père Cahier.
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==SAINT FUSCIEN, SAINT VICTORIC ET SAINT GENTIEN==
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MARTYRS A AMIENS
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303. — Pape : Saint Marcellin. — Empereur romain : Dioclétien.
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Les âmes des justes sont dans la main de Dieu, et
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le supplice de la mort ne les atteint pas.
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Sagesse, III, 1.
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Saint Fuscien 1 et saint Victoric 2 naquirent tous deux à Rome, dans le cours du IIIe siècle. Grâce à leurs courageux efforts, ils résistèrent aux séductions de tout genre que présentait alors la reine des cités. Animés du désir de propager au loin les lumières de l'Évangile, ils distribuèrent tous leurs biens aux pauvres et vinrent dans les Gaules avec saint Quentin, saint Lucien, saint Crépin, saint Crépinien, saint Piat, saint Rieul, saint Marcel, saint Eugène, saint Rufin et saint Valère. Arrivés à Lutèce, ils choisirent chacun, sous l'inspiration de la grâce, les pays qu'ils devaient évangéliser, et se séparèrent, tout en restant unis par les liens d'une même charité. Dieu leur communiqua ce pouvoir des miracles, qui donne à la parole des Apôtres une invincible autorité. Par un simple signe de croix, ils guérissaient les sourds, les aveugles, les muets et les paralytiques. Leur vie tout entière, consacrée au jeûne, aux veilles, à la prière, à la prédication, paraissait aux yeux des peuples comme un miracle permanent, qui devait procurer à la foi nouvelle de nombreuses conquêtes.
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Tandis que saint Quentin, le chef de cette mission, se rendait à Amiens, Crépin et Crépinien à Soissons, Piat à Tournai, etc., Fuscien et Victoric se dirigèrent vers la Morinie, cette contrée que Virgile considérait comme placée à l'extrémité du monde 3. Folquin, abbé de Lobbes, dépeignait dans les termes suivants, au Xe siècle, le pays évangélisé par nos deux apôtres : « C'était une nation qui ne gardait aucune règle dans ses mœurs, plus portée à recourir aux armes qu'à recevoir des conseils, et qui, comme l'a dit un ancien, mettait plus d'abondance que de sagesse dans ses discours. Son indomptable barbarie et sa violente inclination au mal ne pouvaient être réprimées et vaincues que par la prudence et la perspicacité d'hommes d'une éminente sainteté ».
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Les deux apôtres opérèrent à Thérouanne de nombreuses conversions ; malgré l'hostilité des Romains et des Gaulois. Toutefois ils n'osèrent ; dans la cité où les autorités romaines protégeaient le culte du dieu Mars 4, élever un temple au vrai Dieu. Ce fut hors des murs de la cité, là où se trouve aujourd'hui le village d'Helfaut 5, que saint Fuscien érigea une chapelle sous le vocable de la sainte Vierge ; près de ce sanctuaire, le zélé missionnaire annonçait en plein air la parole de Dieu à ceux des habitants de Thérouanne et des pays voisins qui venaient solliciter la grâce du baptême. « Tandis que j'explorais avec soin », dit Malbrancq, « le territoire d'Helfaut, le seigneur du lieu me fit voir un arpent de terre qui est situé à un quart de lieue de l'église, à droite de la route de Thérouanne ; il me dit que ce champ n'avait jamais été livré à la culture, parce que, suivant la tradition, il avait appartenu aux deux saints apôtres. J'ai supposé qu'à cause de l'exiguïté de son église, l'apôtre rassemblait la multitude dans ce champ, qu'il y recevait les étrangers et qu'il y avait fondé des établissements d'hospitalité. En effet, d'anciens documents nous apprennent qu'après s'être livré à la prédication, il s'occupait de la guérison des malades, particulièrement des paralytiques 6».
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1. Fuscianus, Fussianus, Fucianus, Fulcianus ; Fussien, Fussen, Fusien, Fuxian, Fuscian. — Fuscianus est sans doute un dérivé de Fuscus, brun, noirâtre.
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2. Victoricus, Victorius ; Victorix, Victorice, Victorisse, Victoris, Victorique, Victory.
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3. Extremique hominum Morint. Æneid., lib. VIII, vers 727.
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4. Le temple qui lui était consacré se trouvait à l'occident de la ville. — Dom Grenier, Introd. à l'hist. de Pic., p. 196.
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5. La tradition rapporte que saint Fuscien avait établi sa demeure à peu de distance du cimetière, à l'endroit où l'on a construit depuis une ferme. — Parenty, Légendaire de la Morinie.
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6. On reconnaît encore à Helfaut le champ sacré, dit M. l'abbé Parenty. C'est une enclave de terrain, bornée par plusieurs routes. Au milieu de ce sol inculte, se trouve un tilleul séculaire, vulgairement nommé l'arbre Maran. On remarquait là une image de la sainte Vierge, qui a disparu depuis quelques années. — Légendaire de la Morinie.
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Victoric s'était séparé de Fuscien pour évangéliser le Boulonnais, dont l'importance avait singulièrement grandi, depuis que la domination romaine y avait établi quatre ports, Portus ulterior, Portus Itius, Portus citerior et Gessoriacum. Rencontrant une vive résistance de la part des autorités, il ne put qu'ériger une petite chapelle à l'occident de la ville, vers l'embouchure de la rivière de Liane. C'est là que se rendaient les nouveaux chrétiens du Boulonnais et même du Ponthieu.
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Les généreux efforts de nos deux Saints ne devaient pas laisser de traces durables en Morinie, où la foi chrétienne avait presque entièrement disparu, quand, un siècle plus tard, saint Victrice évangélisa ces mêmes contrées. Les Morins, entraînés par la légèreté de leur caractère, devaient même retomber une seconde fois dans l'idolâtrie, après la mission de l'évêque de Rouen, et ne s'attacher définitivement au christianisme qu'au VIe siècle, sous le long et glorieux épiscopat de saint Omer.
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Fuscien et Victoric quittèrent Thérouanne pour aller à la recherche de leur compagnon Quentin et lui rendre compte du succès de leur mission. Informés de la route qu'avait prise cet apôtre, nos deux Saints se dirigèrent du côté de Paris. Arrivés à Amiens, et y voyant régner la persécution, ils se hâtèrent d'en sortir et suivirent la voie romaine de Lutèce. Le 11 décembre, en approchant de Sama, qui devait un jour, en l'honneur de leur martyre, porter le nom de Sains, ils rencontrèrent un vieillard, habitant de cette localité, qui venait au-devant d'eux. C'était Gentien, un des plus riches personnages du pays, selon la meilleure tradition ; simple cabaretier, d'après la croyance populaire. Travaillé secrètement par la grâce, il avait entendu parler des miracles de nos deux Saints, et peut-être avait-il écouté à Amiens les prédications de saint Quentin ; mais il n'en était pas moins resté dans les liens du paganisme. « Seigneurs », leur dit-il, « votre accent et votre costume me font supposer que vous êtes étrangers à ces contrées. Veuillez me dire dans quel pays vous êtes nés, d'on vous venez, où vous allez, et quel est le but de votre voyage ? » — « Nés à Rome, nous y avons été élevés et nous y avons sucé le lait de la doctrine catholique. Nous sommes venus dans vos parages pour vous enseigner la vérité et vous montrer le chemin du salut éternel. Séduits par les ruses du démon, vous adorez de vains simulacres, insensibles à vos prières, tandis que vous ignorez le Dieu suprême qui, après vous avoir donné la vie périssable d'ici-bas, vous destine une vie éternelle de gloire et de bonheur. Considérez les astres qui brillent dans le firmament, les productions qui sortent du sein de la terre, et dites-moi si tous ces chefs-d’œuvre peuvent devoir leur existence à vos fragiles simulacres. Non, le Dieu suprême est l'auteur de cette ordonnance de la nature ; c'est lui qui a suspendu les cieux dans l'espace, qui a affermi la terre sur ses bases et enchaîné les flots de l'océan dans leur lit de sable. D'un seul mot, il a tout créé, et, par le souffle de son esprit, il a assuré la durée de son œuvre. C'est son Fils, c'est Jésus-Christ, auteur de toutes choses, que nous venons vous annoncer, pour que vous ne soyez pas victimes de vos erreurs pendant toute l'éternité. En ce moment », continua Fuscien, « nous sommes à la recherche de notre vénérable compagnon, le très noble Quentin qui, comme nous, et dans le même but, a quitté sa ville natale ».
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Gentien, frappé de ce langage et poussant un profond soupir, répondit : « Depuis trois jours, j'éprouve un mystérieux penchant à croire à ce Dieu dont vous m'exposez la puissance. Quant à son serviteur Quentin, qui évangélisait les habitants d'Amiens, il a été incarcéré, torturé par les ordres du Préfet et enfin chassé de la ville. Déjà quarante-deux jours se sont écoulés depuis qu'il a eu la tête tranchée à Auguste-de-Vermandois (Saint-Quentin). Les mêmes supplices vous menacent, vous que l'on considère comme les ennemis des dieux et de la chose publique. Des soldats ont reçu l'ordre de vous arrêter. Mais, je vous en prie, mes seigneurs et pères, venez sous mon toit pour y prendre une bouchée de pain et vous reposer un peu ».
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A cette époque, Rictiovare venait d'arriver à Amiens. Maximien-Hercule, associé à l'empire par Dioclétien, ayant trouvé dans Rictiovare un digne émule de ses fureurs contre le christianisme, l'avait nommé préfet, terme un peu vague que l'on interprète généralement par préfet du prétoire ; et c'est en cette qualité qu'il avait ensanglanté de ses persécutions les diocèses de Reims, de Soissons et de Noyon. A Trèves, il avait fait un tel massacre de chrétiens, que les eaux de la Moselle s'étaient rougies du sang des martyrs. Ses émissaires parcouraient les villes et les campagnes, en publiant les édits qui ordonnaient d'arrêter les chrétiens et de les livrer aux tribunaux romains.
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Rictiovare, ayant appris que Fuscien et Victoric avaient traversé la ville d'Amiens, se mit à leur recherche et arriva à Sains, avec une troupe de soldats, en face même de la maison où Gentien avait offert à nos deux Saints les services empressés de l'hospitalité 1.
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1. On montre encore à Sains l'emplacement de cette maison ; c'est la première à droite sur l'ancienne route de Paris. La maison dite de Saint-Gentien, détruite à la fin du XVIIIe siècle, servait de pied à terre eux religieux de Saint Fuscien qui venaient dire la messe, les jours de fête. Les pèlerins s'y rendaient pour baiser, dans le cellier, les anneaux où, d'après la tradition, les martyrs auraient die attachés.
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Le farouche préfet donna ordre de les arrêter et de les enchaîner ensemble. Gentien, ému d'une subite indignation, s'élança, l'épée à la main, sur l'inique persécuteur, en lui interdisant l'entrée de sa maison. « Ce n'est point », dit le biographe de nos Saints, qu'il eût l'intention de frapper le persécuteur, « il voulait seulement faire naître pour lui l'occasion du martyre ». — « D'où te vient cette fureur ? », s'écrie Rictiovare « Pourquoi veux-tu me percer de ton glaive? » — « Tu ne mérites pas un autre sort, puisque tu persécutes les serviteurs de ce Christ, par qui tout a été créé, et dont la volonté toute-puissante régit les lois du monde. Pour lui rendre hommage, je n'hésite pas à sacrifier ma vie ; car je proclame que, moi aussi, je suis son serviteur ». Rictiovare, encore plus irrité par une pareille profession de foi, ordonna que Gentien fût décapité immédiatement en présence de ses deux hôtes.
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Rictiovare, s'étant assis sur son siège de pestilence, ordonna aux juges de l'assister, et, entouré de la foule populaire, il procéda à l'interrogatoire des deux chrétiens : « Je ne doute pas que vous soyez romains ; je le vois à votre physionomie ; mais faites-moi connaître quels sont les dieux que vous faites profession d'adorer ». — « Nous n'adorons point les dieux des païens, que nous considérons comme de vains simulacres ou comma des incarnations du démon. Nous sommes les adorateurs de Dieu le Père, qui seul est éternel, qui seul est immuable dans ses desseins. Sans jamais varier, il gouverne tout ce qui est variable ; sans perdre son unité, il préside à la diversité des êtres il est partout et pénètre toutes les créatures en les enveloppant de son omnipotence. Bien différent des hommes, il n'a point eu de commencement et n'aura point de fin ; aucune limite ne saurait borner l'extension de sa puissance. Avant l'origine des temps, il a engendré un fils coéternel, égal à lui en toutes choses. Mystère insondable ! Un Dieu enfante un Dieu ; la lumière sort de la lumière, l'immensité produit l'immensité, l'incompréhensible engendre l'incompréhensible ! Ce Fils, né du Père avant l'origine du temps, a voulu naître d'une mère mortelle ; semblable à l'ambre 1, un en deux natures et composé d'une double nature, il est resté Dieu avec le Père, et, pour notre salut, il s'est fait homme dans le sein de Marie, que l'Esprit-Saint a couvert de son ombre mystérieuse, pour qu'elle conservât sa virginité ». — « Vous êtes fous », interrompit Rictiovare. « Renoncez à ces aberrations et sacrifiez aux dieux, sans quoi je vous livre aux supplices ». — « Nous ne les redoutons pas », répondirent les Saints ; « nous serons même heureux de souffrir et de mourir pour le nom du Christ. Nous échangerons volontiers cette demeure terrestre pour la cité éternelle, dont Dieu est l'architecte. Écoute nos conseils ; abandonne tes vaines superstitions ; convertis-toi au Dieu véritable qui te pardonnera tes péchés et te donnera le bonheur sans fin, au lieu que les statues de métal que tu adores, sont impuissantes par elles-mêmes et seront cause que le démon t'entraînera dans les flammes éternelles ».
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Rictiovare, emporté par une folle fureur, ordonna que les deux chrétiens fussent chargés de fers pour être conduits à Amiens et enfermés dans un sombre cachot. Les Saints se mirent en route, pleins d'une joie céleste. « Deux fois en chemin », dit M. Salmon, « Rictiovare les fit arrêter et torturer, selon la tradition, sans pouvoir abattre leur constance, et les deux endroits où il leur fit subir ces supplices sont encore marqués par des croix de pierre, mutilées par le temps, dont on voit l'une près de Sains, et l'autre en face de la grille de l'ancienne abbatiale de Saint-Fuscien ».
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Arrivés à environ un mille de l'endroit où ils avaient été arrêtés, les deux martyrs s'agenouillèrent et, versant des larmes, adressèrent à Dieu cette fervente prière : « Seigneur Jésus-Christ, essence de toute lumière, vous qui êtes et qui étiez avant la création du monde ; qui de vos doigts mesurez les cieux, qui pouvez renfermer l'univers dans le creux de votre main, qui avez les chérubins pour trône, qui sondez jusqu'au fond des abîmes, qui déchaînez les tempêtes, qui donnez aux bons et aux méchants les bienfaits du soleil et de la pluie ; ô Seigneur, en qui nous croyons, nous espérons et nous vivons, daignez recevoir notre dernier soupir, et ne nous oubliez pas dans l'éternité ! »
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1. Les anciens croyaient que l'ambre se composait de cire et de miel, modifiés et réduits à cet état par l'action combinée des rayons solaires et du sel marin.
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Après avoir achevé cette prière, ils dirent à Rictiovare : « Quelle joie pour nous si tu embrassais notre foi ! Mais, hélas ! Ton âme obstinée court à sa perte. Ah ! Malheureux, cesse d'accroire tes iniquités, pour trouver grâce auprès du Seigneur ». — « Vous me menacez toujours de supplices éternels », dit Rictiovare : « eh bien ! C’est vous qui allez maintenant subir des tortures, si, sur-le-champ, vous ne sacrifiez pas aux dieux ». Les Saints répondirent : « Cruel envers toi-même, comment pourrais-tu être bon pour autrui ? Ne redoutant pas pour toi-même la mort éternelle, qu'y a-t-il d'étonnant que tu nous condamnes à la mort temporelle. Nous sommes prêts à subir tes tortures ».
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Rictiovare leur fit enfoncer, dans les narines et les oreilles, des broches de fer, et, dans la tête, des poinçons rougis au feu ; il ordonna ensuite qu'on leur arrachât les yeux et qu'on les perçât de flèches ; lui-même, saisissant un javelot, le lança contre eux. Enfin, comme les patients n'avaient point entièrement succombé à ces horribles tourments, il leur fit trancher la tête.
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Ce martyre s'accomplit le 11 décembre, vers l'an 303, à l'endroit même où s'éleva plus tard le chœur de l'église abbatiale de Saint-Fuscien, espace aujourd'hui enclos dans le jardin du pensionnat des frères de Saint-Joseph !
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Vers la chute du jour, des chrétiens profitèrent de l'obscurité pour se rendre à Sains, là où gisaient les corps réunis des trois martyrs. Ils les inhumèrent en chantant des hymnes à l'endroit où s'élève aujourd’hui l’église de Sains.
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Au-dessus de l'ancienne crypte de l'église de Sains, s'élève un remarquable tombeau qui date de la fin du XIIe siècle ou du commencement du XIIIe. II mesure deux mètres trente-six centimètres de long, sur un mètre onze centimètres de large, et a, pour supports, six petits piliers, hauts de quarante-trois centimètres. Les trois Saints, de grandeur naturelle, sont couchés sur le dos ; ils portent une barbe longue et l'auréole. Le personnage du milieu a les mains jointes. A leurs pieds, un bas-relief, divisé en deux scènes, représente, en face de Rictiovare à cheval, la décapitation de saint Victoric et de saint Fuscien. Plus loin, ces deux mêmes Saints, portant leur tête dans leurs mains, vont rejoindre le corps inanimé de saint Gentien. Il y a, sous le tombeau, un trou dans lequel les pèlerins ont coutume de prendre de la terre qui a été jadis en contact avec les corps de ceux que les habitants du pays appellent nos trois saints Martyrs.
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Au portail Saint-Firmin de Notre-Dame d'Amiens, on voit saint Fuscien et saint Victoric, tenant leur tête dans leurs mains, et saint Gentien, vieillard à longue barbe, armé du glaive qu'il tira contre Rictiovare. Le support de sa statue, personnage imberbe tenant un coutelas, pourrait bien être le préfet Rictiovare.
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Jadis, il y avait ; dans les entre-colonnements du chevet du chœur de l'église de Saint-Quentin, six groupes de sculptures consacrés à l'histoire de nos saints Martyrs, et formant suite aux bas-reliefs de saint Firmin et de saint Jean-Baptiste. On y voyait saint Gentien donnant l'hospitalité aux deux Apôtres de la Morinie ; les divers supplices des deux missionnaires, leur décapitation, leur retour à Sains en portant leur tête dans leurs mains ; enfin, la découverte et la translation de leurs reliques. Ces groupes, exécutés en 1514 et 1551, aux frais de deux chanoines, ont été détruits pour faire place aux travaux de décoration, imaginés par M. de La Motte. On voit la statue de saint Victoric au portail amoureux de la Collégiale de Saint-Quentin.
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M. l'abbé Haigneré, dans sa notice sur Notre-Dame de Saint-Sang, mentionne la tradition qui attribue l'origine de ce sanctuaire à un oratoire bâti par saint Victoric, et cite le passage suivant d'un manuscrit de Dubuisson (XVIIIe siècle), conservé à la bibliothèque de Boulogne-sur-Mer : « Sur l'un des tableaux dont cette chapelle était décorée et qui en faisait le lambris, paraissait un vieillard, assis au pied d'un arbre, l'Évangile à la main, et environné d'une foule de peuples, auxquels il annonçait la parole de Dieu. La ville haute était d'un côté, avec la tour d'Ordre ; un ange, descendu du ciel, venait couronner de fleurs celui qui prêchait les merveilles de Jésus-Christ, et au pied du tableau était écrit : Sanctus Victoricus Christi fidem prædicasse Bononiensibus et ædiculam Deo hic erexisse traditur ; martyrio coronatus est Ambiani, anno CCCIII.
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Dans un Lectionnaire du XIIe siècle, provenant de l'abbaye de Corbie, une miniature, d'assez bon caractère, nous montre saint Gentien, vieillard à longue barbe, appuyé sur un bâton et sortant de sa maison pour offrir l'hospitalité à saint Fuscien et à saint Victoric. Les deux Apôtres sont nu-pieds et munis de longs hâtons de voyage.
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Un autre manuscrit de la même provenance, Collectaire du XVe siècle, figure saint Gentien à genoux, près de recevoir le coup d'épée du bourreau, tandis que saint Fuscien et saint Victoric, témoins de ce martyre, sont attachés chacun à un arbre. — Un exemplaire manuscrit de la Légende dorée représente les deux saints Martyrs, tenant leur tête dans leurs mains, et arrivant à la maison de Gentien, étendu mort sur le seuil de sa porte.
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===CULTE ET RELIQUES.===
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Le culte des saints Fuscien, Victoric et Gentien, est commun aux diocèses d'Amiens, de Soissons, d'Arras, d'Orléans et de Paris. Il était fort répandu dans les anciens diocèses de Thérouanne, de Boulogne et de Saint-Omer. La fête des trois Saints est inscrite dans presque tous les anciens bréviaires qui suivaient la liturgie parisienne. Ce ne fut qu'en 1776 que leur culte fut introduit dans le diocèse d'Ypres par l'évêque de Wavrans. Les trois martyrs sont honorés tout spécialement à Sains, à Saint-Fuscien et à Beaugency.
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L'évêque Robert de Fouilloy, en août 1318, à la suite d'une délibération capitulaire, érigea en double de première classe la fête des trois martyrs, et ordonna que, le 11 décembre, leur châsse serait portée processionnellement. En 1666, Fr. Faure supprima cette fête, chômée jusqu'alors avec vigile et jeûne, et la transféra au troisième dimanche de l'Avent. Pendant la terrible peste de 1665, qui fit vingt mille victimes à Amiens, on porta processionnellement les reliques des trois Saints avec les autres châsses de la cathédrale.
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L'église de Sains était jadis très fréquentée. Les pèlerins, qui s'y rendaient d'Amiens, avaient coutume de s'arrêter sur la colline qu'on appelle le Montjoie. Ils y formaient des monceaux de pierre, où ils plantaient de petites croix de bois, en réjouissance de ce que, du haut de cette éminence, ils apercevaient trois sanctuaires privilégiés, l'église de Sains, Saint-Pierre de Corbie et la cathédrale d'Amiens.
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L'introduction de la liturgie romaine a fait étendre à tout le diocèse, pour la fête de saint Fuscien, le rite double de deuxième classe, auparavant réservé au chapitre de la cathédrale.
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Outre la fête principale, qu'on désignait vulgairement sous le nom des Saints engelés, parce qu'on la célébrait en hiver, on faisait jadis, au 27 juin, la Saint-Fuscien d'été, c'est-a-dire la fête de l'Invention des reliques par saint Lupicin. Ou la trouve, sous le rite double, dans les anciens Bréviaires d'Amiens et de Corbie ; sous le rite semi-double, dans les Propres de Corbie et de Saint-Quentin. Dans la liturgie actuelle d'Amiens, on ne fait plus aucune mémoire de cette invention.
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En 1547, un autel fut dédié à saint Victorice (c'est le nom encore usité en Vermandois), dans l'église collégiale de Saint-Quentin. Saint Victoric avait cinq fêtes spéciales dans l'ancienne liturgie de Saint-Quentin : 12 janvier, Tumulation de saint Quentin, saint Victorice et saint Cassien, anniversaire du jour où ces trois corps saints furent réintégrés dis la crypte, en l'an 900, par Rambert, évêque de Noyon ; — 2 mai, Élévation des mêmes Saints, anniversaire du jour où ils furent tirés de la crypte, l'an 1228, pour être mis dans la nef ; — 19 mai, Avènement des reliques de saint Firmin, saint Fuscien, saint Victoric, saint Gentien, saint Honoré, etc., données en 893 par Otger ; — 2 septembre, seconde Élévation de saint Quentin, saint Victorice et saint Cassien, commémoration du 2 septembre 1257, époque où on plaça les châsses de ces Saints sur le grand autel ; — 30 octobre, fête de la Translation de saint Victorice d'Amiens, à Saint-Quentin, en 895.
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Les noms de Fuscien, Victoric et Gentien sont inscrits dans les anciennes litanies d'Amiens et de Corbie, et dans les plus vieux martyrologes. Contrairement à l'usage moderne, qui donne une sorte de primauté à saint Fuscien, le nom de saint Victoric est indiqué le premier dans les martyrologes de saint Jérôme, de Florus, d'Usuard, d'Adon et de Raban-Maur.
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Saint Fuscien est le patron de Berny-sur-Noye, Grand-Lavier, Saigneville et Wanel (Somme) ; de Lottinghem (Pas-de-Calais).
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Saint Gentien est le patron de Deniécourt (Somme), et de Pluherlin, dans l'arrondissement de Vannes (Morbihan).
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Saint Fuscien et saint Gentien sont les patrons de Morcourt.
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Saint Fuscien, saint Victoric et saint Gentien, réunis, sont les patrons de le Mesge, Pissy, Sains, Saleux-Salouel, Saint-Fuscien-aux-Bois (Somme) ; de Fléchel et de Frocourt (Oise). Ce n'est que depuis l'époque du Concordat qu'ils ne sont plus patrons secondaires de Beaugency. Une rue d'Amiens, ainsi qu'un village du canton de Sains, porte le nom de Saint-Fuscien.
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Nous allons grouper tout ce qui concerne les reliques de saint Fuscien, depuis leur invention jusqu'à nos jours : nous mentionnerons aussi celles de saint Victoric et de saint Gentien, quand il s'agira de faits corrélatifs aux trois martyrs ; mais nous parlerons ensuite séparément de ce qui regarde exclusivement saint Victoric ou saint Gentien depuis le IXe siècle.
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Le lieu de sépulture des trois martyrs resta longtemps ignoré, et ne fut révélé qu'en 555 par un prodige. Lupicin, prêtre de la ville d'Amiens, venait, après avoir récité l'office de nuit, de s'endormir dans un champ près d'Amiens, quand un ange lui apparut et lui dit : « Lève-toi et dirige-toi vers une crypte ombragée d'arbres que je te désignerai : c'est là que tu trouveras les corps de Gentien, de Fuscien et de Victoric ». Le vénérable prêtre, s'étant réveillé, s'arma d'un sarcloir, se rendit à l'endroit indiqué, creusa profondément la terre et découvrit les corps des trois martyrs. Aussitôt, il rendit grâces à Dieu et laissa éclater sa joie en hymnes d'allégresse. Le bruit de ses chants parvint miraculeusement aux oreilles de saint Honoré, évêque d'Amiens, qui célébrait alors le saint sacrifice de la messe, dans sa cathédrale, à cinq milles de Sains. Le fervent évêque était à la recherche de Lupicin, quand celui-ci vint le trouver et lui raconta l'heureuse découverte qu'il avait faite. Saint Honoré, suivi d'une foule de fidèles, se rendit processionnellement à l'endroit où gisaient les corps des saints martyrs, et d'où s'exhalait une suave odeur. Il offrit à ces reliques le tribut de vénération qui leur était dû, en remerciant le Seigneur d'avoir glorifié son épiscopat par un tel bienfait.
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La nouvelle de cette découverte étant parvenue rapidement aux oreilles de Childebert 1er, roi de France, il commanda à ses chapelains d’aller à Sains chercher ce précieux trésor ; mais ce fut en vain que ceux-ci voulurent exécuter cet ordre ; car lorsqu'en essaya d'enlever les corps saints, ils devinrent si pesants, qu'il fut impossible de les mouvoir. Childebert, instruit de ce fait, ordonna de réensevelir les corps saints à l'endroit même où on les avait découverts, et d'ériger une église sur leurs tombeaux. Ce fut à cette occasion que le roi fit don à l'église d'Amiens de la terre du Mesge, située dans l'Amiénois. De nombreux miracles s'accomplirent sur ce triple tombeau qui vit guérir des aveugles, des sourds, des muets, des paralytiques, des infirmes et des possédés.
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A l'époque où les Normands ravagèrent les environs d'Amiens, probablement vers l'an 859, en transporta les reliques des trois Saints, pour les mettre en sûreté, dans la cathédrale d'Amiens. Il est certain qu'elles y étaient en 865, puisqu'à cette époque, l'évêque Hilmerade donna une relique de saint Fuscien à l'abbaye de Saint-Riquier, sur la demande que lui en avait faite Odulphe, trésorier de ce monastère.
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En 1096, l'évêque Cervin adressa à Lambert de Guines, évêque d'Arras, la lettre suivante : « Dans la sainte église d'Amiens, confiée à notre faiblesse, on prépare, par les soins d'un de nos prêtres, une châsse d'or, d'argent et de pierreries, pour y mettre les reliques de saint Fuscien ; cette cérémonie aura lieu le jour de la Saint-Michel. Sachant que vous êtes agréable à Dieu et aux hommes par vos œuvres et vos doctrines, nous n'hésitons pas à venir vous demander votre aide et votre concours. Nous sommes persuadés que, laissant là toute affaire, vous accéderez à notre désir, et qu'ainsi vous réjouirez l'Église d'Amiens, en même temps que vous vous ménagerez la protection de notre glorieux martyr devant le trône de Dieu ». Il est à croire que Lambert se rendit à cette cérémonie, qui se fit le 29 septembre. Une seconde translation, dans une châsse en vermeil, eut lieu en 1175, sous l'épiscopat de Thibaut. Guillaume de Mâcon fit l'ouverture de cette châsse eu 1285.
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Eu 1628, alors qu'on répara le clocher doré de la cathédrale d'Amiens, le Chapitre fit mettre dans la boule qui est au-dessous de la croix, quelques reliques de nos trois Saints, contenues dans un cœur de bronze doré. Cet usage de déposer des reliques au sommet des clochers, pour les préserver de la foudre, remonte au moins au commencement du XIVe siècle : car, en 1302, on en mettait dans la boule du clocher de Saint-Pierre de Limoges, qui avait été frappé par la foudre.
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Le 12 juillet 1651, 1'évêque, Lefebvre de Caumartin donna la clavicule gauche de saint Fuscien à l'abbaye de Saint-Fuscien, sur la demande que lui en avait faite l'abbé de ce monastère, Charles d'Ailly.
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Le 12 mars 1363, Antoine Rogeau, curé de Sains, découvrit contre le pignon du sarcophage, mais en dehors, des reliques des trois Martyrs, renfermées dans trois boîtes, qui sans doute avaient été laissées là, à dessein, quand, au IXe siècle, on transféra les corps à la cathédrale d'Amiens.
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Mgr Faure fit la translation, dans une châsse provisoire, de ce précieux dépôt, le 27 juin 1664. Il vint tant de monde à Sains, de la Picardie, de l'Artois et de la Flandre, que les portes de l'église restaient ouvertes tout le long du jour, pour satisfaire la piété des pèlerins. Le 17 août de l'année suivante, ces reliques furent déposées dans une châsse d'argent, donnée par Pierre Le Billon, conseiller du roi en la cour d'Amiens. Ce fut l'origine d'une confrérie de Saint-Fuscien qui s'établit à Sains, dont les statuts furent imprimés en 1665 et à laquelle le pape Alexandre VII accorda des indulgences. En 1667, la châsse romane de la cathédrale fut restaurée, aux frais d'un paroissien de Saint-Firmin le Confesseur.
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Une relique de saint Fuscien, qui se trouvait à Paris, dans l'église Sainte-Aubierge, prés de l'Observatoire, fut portée, en 1700, à la cathédrale de Pamiers. Divers anciens inventaires mentionnent des reliques de nos trois Saints dans les abbayes de Saint-Vaast à Arras, de Saint-Bertin à Saint-Omer, aux Chartreux d'Abbeville, à la collégiale de Saint-Nicolas d'Amiens, etc.
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Les importantes reliques de saint Fuscien, jadis conservées à la cathédrale d'Amiens, ont été dispersées pendant la Révolution : on ignore ce qu'elles sont devenues. On en conserve de plus ou moins considérables à l'Hôtel-Dieu, à Saint-Jacques et au couvent des Clarisses d'Amiens ; à Berny (Ailly-sur-Noye), au Mesge (partie du bras), à Saleux et à Saint-Fuscien. Voici la liste des ossements vénérés dans l'église de Sains : trois fémurs, trois vertèbres cervicales, un cubitus, deux petites côtes, un côté du maxillaire, un radius, une apophyse, quelques fragments, et un tibia de saint Gentien, donné, en 1868, par M. Douillet, curé-doyen de Corbie. La majeure partie de ces reliques, qui avaient disparu à la Révolution, a été retrouvée, en 1868, par M. Messio, sous le marchepied du maître-autel. Les authentiques de 1664 et 1665 y étaient jointes.
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L'abbaye de Notre-Dame de Beaugency (Loiret) prétendait posséder les chefs de nos trois Saints dans trois bustes d'argent. Une translation en fut faite, en 1259, par Philippe Berruyer, archevêque de Bourges, et Robert de Courtenay, évêque d'Orléans. Échappées en partie aux déprédations des Calvinistes, ces reliques, dit-on, furent sauvées, en 1793, par un habitant de Beaugency, et réintégrées plus tard dans l'église de Notre-Dame, devenue paroissiale, où elles sont, aujourd'hui encore, l'objet d'une grande vénération.
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Il y a évidemment erreur dans l'attribution de ces reliques, en ce qui concerné saint Gentien, dont le chef fut conservé jusqu'à la Révolution à l'abbaye de Corbie, et aussi en ce qui concerne saint Victoric, dont le chef est encore aujourd'hui vénéré à l'église de Saint-Quentin.
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L'évêque Otger, en mémoire de ce qu'il avait été chanoine de la collégiale de Saint-Quentin, donna à cette église le corps de saint Victoric, dont il conserva toutefois plusieurs ossements. Cette translation eut lieu le 30 octobre 895. Trois niches furent creusées dans la crypte de la collégiale ; on mit le corps de l'apôtre du Vermandois dans celle du milieu, saint Victoric à sa droite et saint Cassien à sa gauche. Hébert, comte de Vermandois, donna à cette occasion sa terre de Sinceny, avec toutes ses dépendances, pour augmenter le luminaire de l'autel.
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Quelques années plus tard, la crainte des Normands fit transporter à Laon ces trois corps saints. Vers l'an 900, ils furent réintégrés dans la crypte par Rambert, évêque de Noyon. C'est ce souvenir qu'en célébrait à Saint-Quentin, le 12 janvier, par la fête de la Tumulation des corps de saint Quentin, saint Cassien et saint Victoric.
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Le 2 mai 1228, avant de travailler au chœur de l'église de Saint-Quentin, on tira de la crypte les corps de saint Quentin, de saint Victoric et de saint Cassien, et on les déposa provisoirement dans la nef.
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Le 2 septembre 1257, alors que l'église fut terminée, ces reliques furent mises dans des châsses par Thomas 1er de Beaumetz, archevêque de Reims, assisté de Gérard de Conchy et des autres évêques de la province, en présence de saint Louis et de ses fils.
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Au moyen âge, les habitants de Saint-Quentin désignaient les reliques de notre Saint sous le nom de char de saint Victoric, parce que le corps est, pour ainsi dire, la voiture de l'âme.
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A la Révolution, les reliques de saint Victorie furent heureusement soustraites à la profanation. Au mois de novembre 1793, elles furent enterrées, ainsi qu'un grand nombre d’autres reliques de l'église de Saint-Quentin, par deux serviteurs dévoués de la collégiale qui n'eurent que ce moyen de les sauver de la destruction dont elles étaient menacées. En août 1795, elles furent exhumées et reconnues en même temps que celles de saint Cassien, avec lesquelles elles avaient fié confondues. Actuellement, elles sont conservées dans deux belles châsses de bois doré qui se trouvent au-dessus de l'autel de la chapelle de la sainte Vierge. La majeure partie du crâne du saint Martyr est conservée à part dans une petite châsse de bois doré, de forme quadrangulaire, dont les vitres permettent d'apercevoir la relique. On y lit cette inscription : Restes du chef de saint Victoric, martyr. Deux parcelles de ce crâne ont été données à l'église de Saint-Fuscien.
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En 1651, les religieux de Corbie accordèrent quelques reliques de saint Victoric à l'abbaye de Saint-Fuscien. Des reliques de ce saint Martyr sont vénérées ». Sains, à Saint-Fuscien, à Braine et à Soissons.
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Francon, abbé de Corbie et frère d'Hermenfroi, comte d'Amiens, désirait vivement enrichir son monastère des reliques de saint Gentien, conservées à la cathédrale d'Amiens. Pour arriver à cette fin, il sut profiter de l'amitié que lui portait l'évêque Otger, et sollicita le corps de saint Gentien, comme un gage de leur affection mutuelle. Le prélat trouva que cette translation n'était point sans difficultés ; mais, quelque temps après, il engagea sa parole et la fit ratifier par les gardiens du trésor. Ce furent ces dociles approbateurs, gagnés déjà par Francon, que l'évêque chargea d'exécuter sa promesse, pendant qu'il s'absenterait de la ville. Au jour convenu, le 7 mai 893, vers le soir, Francon arriva à Amiens accompagné des religieux qui devaient transporter la châsse. Par mesure de précaution, il avait laissé sur la route un certain nombre d'habitants de Corbie, lesquels, au besoin, pouvaient lui prêter main-forte. Les moines s'introduisent furtivement dans l'église, grâce à la connivence des gardiens, s'emparent du trésor si ardemment convoité et rejoignent la troupe des Corbiois. Cependant l'aurore venait de paraître et les Amiénois avaient appris le rapt qu'on avait effectué. Animés d'une sainte colère, ils s'arment à la hâte et courent à la poursuite des ravisseurs. Les deux troupes se rencontrent et le sang allait couler, quand Dieu, dit un chroniqueur anonyme, enveloppa les deux partis d'un brouillard si épais que toute bataille devenait impossible. Les Amiénois se résignèrent alors à la volonté du très Haut, tandis que les Corbiois continuaient leur marche triomphale, en voyant grossir sans cesse autour d'eux le cortège d'honneur qui suivait les insignes reliques. Arrivés à Corbie, ils se rendirent processionnellement, avec toute la population, dans l'église de Saint-Pierre, où la châsse fut honorablement placée.
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Le chef de saint Gentien fut mis à part dans un reliquaire de vermeil en forme de ciboire. Chaque année, le curé et les marguilliers de Saint-Albin lui offraient un chapeau de roses. Les moines de Corbie, par reconnaissance, célébraient l'anniversaire de la mort d'Otger, le 1er août.
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En 1651, les religieux de Corbie accordèrent à l'abbaye de Saint-Fuscien un fragment du radius de saint Gentien. L'abbaye de Corbie, en 1658, donna une côte de saint Gentien et une partie de son chef au Chapitre de Saint-Florent de Roye, en échange d'une portion du chef de saint Florent.
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Le corps de saint Gentien est aujourd'hui conservé à l'église Saint-Pierre de Corbie. Quelques-unes de ses reliques sont vénérées à Saint-Vulfran d'Abbeville, à Sains (tibia), à Saint-Fuscien, au couvent des Frères de Saint-Joseph de cette localité, à l'église de Saint-Quentin et à Pluherlin (Morbihan).
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Entrait de l'Hagiographie du diocèse d'Amiens, par M. l’abbé Corblet.
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==SAINT DAMASE D'ESPAGNE, PAPE==
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384. — Empereur d'Orient : Théodose le Grand.
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Damasus vir egregius et eruditus in Scripturis.
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Damase est un personnage éminent,
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fort versé dans la connaissance des saintes Écritures.
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Saint Jérôme, Épître à Eustochium.
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Si saint Jérôme a été heureux de trouver à Rome saint Damase, qui a su reconnaître son mérite et lui donner en cette ville des emplois convenables à sa piété et à son érudition, nous pouvons dire aussi que ce n'a pas été un petit avantage à saint Damase d'y recevoir ce grand docteur, qui a été l'admirateur de ses vertus et le grand héraut de ses louanges. On convient qu'il était espagnol, quoiqu'on ne sache pas précisément en quelle ville ni en quelle province il est né. Son père s'appelait Antoine ; il eut une sœur parfaitement belle et vertueuse, nommée Irène. Étant venu à Rome avec sa famille, il y entra dans les ordres sacrés, et, s'étant rendu par ses mérites un des plus considérables membres du clergé, il fut premièrement nonce apostolique auprès des empereurs Valens et Valentinien ; puis il exerça dans la ville même l'office de vicaire du souverain Pontife. Après la mort de Libérius, il fut élu en sa place à l'âge de soixante-deux ans.
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Ursin, ou Ursicin, diacre, homme turbulent et qui ambitionnait cette haute dignité, ne put souffrir eût été préféré. Aussi, ayant assemblé quelques clercs factieux, il se fit élire antipape et tâcha de se conserver par la violence un rang que le droit d'une élection canonique ne lui donnait pas. Dans ce tumulte, beaucoup de personnes furent tuées, et on trouva en un seul jour jusqu'à cent trente-sept corps étendus sur la place, sans néanmoins que saint Damase y eût contribué en aucune manière, parce qu'il était d'un esprit fort doux et qu'il aurait plutôt renoncé au souverain Pontificat que de se le conserver par les armes. L'empereur Valentinien, persuadé de son bon droit, envoya Prétextat à Rome pour en chasser Ursicin et ses adhérents, et le maintenir dans la paisible possession de son siège. Cette paix ne dura pas longtemps ; Ursicin eut permission de retourner à la ville, et, sa malice ne diminuant point par le temps, il eut l’âme assez noire pour faire accuser le saint Pontife d'adultère. Concordius et Calliste, diacres, furent les instruments de sa calomnie. Ils ouvrirent la bouche contre l'oint du Seigneur et ils lui imputèrent ce crime pour le faire juger indigne de la souveraine prélature qu'il occupait. Damase ne se troubla point de cette imposture ; il assembla à Rome un synode de quarante-quatre évêques, où il se justifia si parfaitement, que ses accusateurs furent excommuniés et chassés de la ville, et qu'on décréta que, dans la suite, ceux qui accuseraient injustement quelqu'un seraient sujets à la peine du talion.
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Les schismatiques ne laissèrent pas de le persécuter pendant tout le reste de son Pontificat ; mais leurs traverses ne l'empêchèrent point de s'acquitter dignement de sa charge et de combattre perpétuellement les hérétiques. Il convoqua pour cela divers conciles dans la même ville : l'un en 369, où il fit condamner les décrets du faux concile de Rimini et déposer Auxence, évêque de Milan, grand fauteur de l'Arianisme, lequel, néanmoins, se maintint toujours dans son siège par la faveur de l'empereur Valentinien l'aîné, dont il avait su gagner l'esprit par flatterie ; l'autre, en 373, contre un grand nombre d'hérésies qui infectaient l'Orient ; surtout contre celle d'Apollinaire, qui renfermait une infinité d'extravagances, entre autres, que Jésus-Christ n'avait point d'âme ou du moins d'entendement, mais que le Verbe, uni à ce corps, lui tenait lieu de ces parties essentielles de l'homme ; que sa chair venait du ciel et n'avait fait que passer, par le sein de Marie comme par un canal ; le troisième, en 332, pour remédier au schisme qui affligeait depuis longtemps l'Église d'Antioche.
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De plus, il en fit tenir un à Aquilée, en 381, où, en une seule session, qui dura depuis une heure après midi jusqu'à sept heures du soir, Pallade et Secondien, évêques d'Illyrie, furent convaincus d'hérésie, confondus dans la discussion et condamnés comme coupables des blasphèmes d'Arius. Il envoya aussi à Constantinople le célèbre saint Zénobe, depuis évêque de Florence, pour consoler les fidèles cruellement persécutés par l'empereur Valens, qui s'était déclaré pour l'Arianisme. Enfin, ce fût par son autorité qu'en la même année 381 et en la même ville, se tint le second concile général de l'Église, composé de cent cinquante évêques d'Orient, où Arius et Macédonius furent condamnés, et où la foi orthodoxe, que la cruauté de ce prince semblait avoir éteinte et réduite au tombeau, fut heureusement ressuscitée. Damase le confirma et le reçut, en ce qui touchait la doctrine, comme une des règles de la foi : ce qui lui a donné le nom et la force de concile œcuménique, quoiqu'en effet les évêques d'Occident n'y fussent pas, et qu'il ne s'y fût trouvé qu'un assez petit nombre de ceux de l'Église grecque.
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Outre le soin et la diligence qu'apporta ce généreux Pontife à bannir les hérésies de toute la terre, il s'étudia aussi à retrancher les abus qui s'étaient glissés dans l'Église. Entre les épîtres qui lui sont attribuées dans la collection des conciles, il y en a une aux évêques d'Afrique, où, après avoir établi la primauté du Saint-Siège, il fait de très sages constitutions, principalement touchant les accusations des clercs et des évêques, dont quelques-unes ont été insérées dans le corps du droit canon. Il y en a une autre aux évêques de Numidie, où il condamne l'usurpation des chorévèques, lesquels, n'étant que simples prêtres, et n'ayant pas reçu la consécration épiscopale, ne laissaient pas de s'attribuer le droit d'ordonner des prêtres et des ministres, de bénir les religieuses, de consacrer les églises, de faire le saint Chrême, de conférer la confirmation et de réconcilier publiquement les pénitents : ce qui n'appartient qu'aux véritables évêques 1.
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D’ailleurs, il régla la psalmodie et fit chanter en Occident les psaumes de David, selon la correction des Septante, que saint Jérôme avait faite par son ordre. Il introduisit aussi la coutume de dire Alléluia dans l'église hors le temps de Pâques, au lieu qu'auparavant on ne le disait à Rome qu'en ce temps de réjouissance extraordinaire. Il bâtit deux églises dans la ville : l'une de Saint-Laurent, auprès du théâtre de Pompée, l'autre sur la voie Ardéatine. Il orna le lieu où les bienheureux apôtres saint Pierre et saint Paul avaient longtemps reposé, et que l'on appelait la Platonie. Il trouva plusieurs corps saints et les fit mettre dans des tombeaux honorables, autour desquels il fit graver des vers qui faisaient mention de leurs triomphes. Il fit aussi construire un baptistère magnifique, dont le poète Prudence fait une riche description dans la huitième de ses hymnes.
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En cinq ordinations qu'il célébra, selon la coutume, au mois de décembre, il créa trente et un prêtres, deux diacres et soixante-deux évêques. Enfin, après avoir gouverné saintement l'Église au milieu de tant de tribulations, dix-huit ans, deux mois et dix jours, il fut, appelé au ciel pour recevoir la récompense de ses travaux, le 11 décembre 381. Dieu le rendit illustre par plusieurs miracles ; car à son invocation des malades furent guéris et des énergumènes délivrés des démons qui les possédaient. Il avait aussi, pendant sa vie, rendu la vue à un aveugle qui l'avait perdue depuis treize ans.
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1. Il y avait dans la bibliothèque de Sorbonne à Paris, un beau manuscrit intitulé Collectio Canonum, lequel fut copié on 1009, par l'ordre de Heimon, évêque de Verdun. On y trouve le catalogue des livres de l’Écriture sainte, publié par le pape Damase Voici ce qu'on y lit :
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CONCILLIUM URBIS ROMÆ SUB DAMASO
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Nunc vero de Scripturis divinis agendum, est quid unisersalis Ecclesia catholica recipiat,
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vel quid Vitare debeat.
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Genesis I, I, etc. Esdræ I, II.
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Salomonis I, III. Esther I, I.
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Proverbiorum I. I. Judith I, I.
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Ecclesiastes I, I.   Machabæorum 1, II.
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Cantica Canticorum I, I. Item ordo scripturarum Novi Testamenti quas
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Item Sapientiæ I, I.  sancta catholica suscipit et veneratur Ecclesia.
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Ecclesiastieus I. I. S. Pauli epistolæ XIV.
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Prophetarum, etc. Jacobi apostoli ep. I.
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Htstoriarum.   Alterins Joannis presbyteri ep, ».
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Job, I, I.   Judæ Zelotis epistola I, etc.
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Tobiæ I, I.
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On voit, par ce décret de Damase, que les livres deutérocanoniques étaient reçus de l'Église romaine et de l'Église Universelle, quoique des églises particulières eussent encore des doutes sur quelques-uns de ces livres.
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Dans le même manuscrit est 1° le canon d'Innocent III, qui donne le même catalogue des livres canoniques, lequel a été copié par le concile de Trente ; 2° le canon du concile de Carthage qui met au nombre des livres de l'Écriture sainte, Daniel, Tobie, Esther, deux livres d'Esdras, deux épîtres de saint Pierre, trois épîtres de saint Jean.
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Les Pères de l'Église lui ont donné de grands éloges. Saint Ambroise dit qu'il fut élu par un coup du ciel. Saint Jérôme témoigne qu'il était demeuré vierge ; ce qui montre encore plus la malice des schismatiques, qui ne craignirent point de l'accuser d'adultère. Théodoret assure qu'il avait mérité le nom d'homme admirable. Enfin, le même saint Jérôme, qui lui avait servi de secrétaire, le met au nombre des écrivains ecclésiastiques.
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Son corps fut d'abord déposé près du tombeau de sa mère et de sa sœur, dans la basilique élevée par lui sur la voie Ardéatine. Plus tard, vers l'époque d'Adrien 1er (772-795), ses reliques furent transférées dans celle de Saint-Laurent in Damaso, à l'intérieur de la ville. Elles y reposent encore aujourd'hui sous le maître-autel, à l'exception du chef du bienheureux Pape, qui est conservé à Saint-Pierre de Rome.
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On représente saint Damase : 1° tenant un écrit sur lequel se lisent ces paroles : Gloria Patri et Filio, etc., parce qu'il a établi dans l'Église l'usage de terminer tous les psaumes par cette doxologie ; 2° ayant, près de lui un portail d'église, qu'il montre comme pour en prendre possession, ou pour indiquer qu'il en est le fondateur.
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===LE PAPE SAINT DAMASE ET LES CATACOMBES.===
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Jusqu'à nos temps, on ne connaissait, de la sollicitude et de la dévotion de saint Damase pour les reliques des martyrs, que les Carmina ou Inscriptiones attribués à ce Pape et recueillis, au nombre de trente-sept, probablement par les pèlerins du Ve ou du VIe siècle, qui les transcrivirent pour la satisfaction de leur piété personnelle sur les monuments catacombaires. Encore devons-nous ajouter que la critique se montrait assez difficile sur leur authenticité. Mais, de nos jours, l'étude des catacombes a singulièrement modifié la question. Les travaux de saint Damase dans nos hypogées chrétiens, dit M. de Rossi, ne furent pas seulement partiels, et ne se localisèrent pas sur un point déterminé, ils s'étendirent à toute la Rome souterraine. Son nom se retrouve dans chacune des catacombes, sur le tombeau de tous les martyrs illustres. Les constructions pour l'ornement ou pour la solidité, les escaliers de marbre ménagés dans chaque crypte insigne, portent tous l'empreinte de sa pieuse main. C'est à sa haute intelligence que nous devons la conservation des hypogées chrétiens, parce que c'est lui qui fit abandonner le système vicieux adopté pour la construction des basiliques Constantiniennes. Ce système consistait à raser les étages superposés d'une catacombe jusqu'à ce qu'on fût arrivé au niveau de la crypte inférieure, où d'ordinaire se trouvait la sépulture des martyrs les plus illustres. On dégageait ainsi une tombe principale, sur laquelle s'élevait un édifiée somptueux ; mais il avait fallu sacrifier un nombre immense d'autres loculi pour arriver à ce résultat. Damase comprit que, si les reliques des martyres ont droit à notre culte, la tombe des simples fidèles doit être aussi l'objet d'un respect inviolable. Les lors, il étendit sa sollicitude pontificale à tout l'ensemble des monuments chrétiens de l'âge héroïque. Les trésors que la piété des matrones mettait à sa disposition, et que lui reprochait la jalousie païenne d'Ammien Marcellin, il les consacrait non pas à la satisfaction de son luxe personnel, mais à la décoration des lieux sanctifiés par la présence des martyrs. Le luxe de saint Damase nous est aujourd'hui connu. Il éclate à nos regards dans la magnificence des caractères paléographiques qui portent son nom. Damase, dit encore M. de Rossi, ne se borna point à composer les éloges et les inscriptions tumulaires des catacombes. Il voulut qu'à la pompe du langage répondit la beauté de la calligraphie. Les archéologues ont déjà remarqué depuis longtemps que les poèmes de ce Pape sont gravés sur le marbre en caractères admirables, connus aujourd'hui sous la désignation spéciale de Damasiens. M. de Rossi a retrouvé le nom du calligraphe lapidaire qui exécutait ces chefs-d’œuvre, sous les ordres du saint Pape. L'humble et habile sculpteur nous a révélé sa personnalité maintenant glorieuse, par une souscription en menus caractères disposés, ou plutôt dissimulés, à la marge d'une inscription monumentale. Elle est ainsi conçue :
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SCRIBSIT FVRIVS DIONYSIVS FILOCALVS DAMASI
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SVI PAPÆ CVLTOR ATQUE AMATOR.
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Le nom de Furius Dionysius Philocalus, ainsi restitué à l'histoire, demeurera désormais inséparable de celui de Damase que le pieux artiste appelle son Pape, et pour lequel il proclame une si haute vénération. A un autre titre, le calligraphe du IVe siècle nous intéresse encore. M. de Rossi a, en effet, acquis la preuve que Philocalus rédigea le catalogue des souverains Pontifes, connu jusqu'ici sons le titre de Libérien, parce qu'il s'arrête à la mention du pape Libérius. Cette importante découverte confirme, d'une part, l'authenticité des notices du Liber Pontificalis ; de l'autre, elle corrobore la tradition qui attribuait à saint Damase une vie aujourd'hui perdue des Papes ses prédécesseurs. C'est donc à juste titre, ajoute M. de Rossi, que le nom de Damase domine toute l'histoire monumentale de l'Église romaine, pendant le premier âge de la paix. Son pontificat clôt réellement l'ère des catacombes. On sait que, par un sentiment d'admirable humilité, ce grand Pontife ne voulut point choisir sa sépulture au milieu des tombes des martyrs dont il avait si religieusement fait décorer les monuments. « Je l'avoue », dit-il, « j'aurais ardemment souhaité ce bonheur ; mais j'ai craint de profaner le lieu auguste où reposent les Saints ». Après un tel scrupule, si modestement exprimé par un grand Pape, par un thaumaturge et un Saint, on comprend que les sépultures dans les catacombes devinrent fort rares. Elles ne furent plus autorisées que dans des circonstances exceptionnelles.
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Nous avons revu et complété le récit du Père Giry avec l'Histoire de l’Église, par l'abbé Darras.
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==SAINT DANIEL DE MARATHA,==
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STYLITE A CONSTANTINOPLE
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489. — Pape : Saint Félix III. — Empereur d'Orient : Zénon.
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Si nosmetipsos propria severitate distringimus,
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sententiam futuri judicii prævenimus.
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Si nous nous châtions nous-mêmes par des austérités
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volontaires, nous prévenons la sentence du jugement à venir.
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Saint Césaire d'Arles, Homélies.
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Non loin de Constantinople et de la cour où, vers la fin du Ve siècle, les Grecs et les Barbares se trahissaient et s'égorgeaient pour monter sur le trône ou y rester, s'élevait sur une colonne un nouveau Siméon, un nouveau prodige de l'abnégation et de la pénitence chrétienne, comme pour condamner de plus haut et de plus près les désordres de la cour et de la ville. C'était saint Daniel Stylite. Il était natif du bourg de Maratha, près de Samosate. A l’âge de douze ans, il se retira dans un monastère voisin. Longtemps après, son abbé, allant à Antioche pour les affaires de l'Église, lui dit de l'accompagner. Ils passèrent par le bourg de Télanisse, et allèrent voir saint Siméon sur sa colonne. Ce Saint permit à Daniel de monter auprès de lui, lui donna sa bénédiction, et lui prédit qu'il souffrirait beaucoup pour Jésus-Christ. L'abbé étant mort, les moines voulurent mettre Daniel à sa place ; mais il prit la fuite et retourna auprès de Siméon. Quand il eut demeuré quatorze jours dans le monastère près de la colonne, il entreprit le pèlerinage de la Terre Sainte. Mais Siméon lui apparut en chemin, et lui ordonna d'aller à Constantinople. Il obéit, et passa sept ,jours dans l'église de Saint-Michel, hors des murs de la ville. De là, il alla s'établir dans un vieux temple d'idoles, infesté par les démons ; il les en chassa par le signe de la croix et la prière, et y demeura neuf ans. Quelques clercs de l'église de Constantinople voulurent l'inquiéter ; mais il fut protégé par l'évêque Anatolius: et l'évêque étant tombé dangereusement malade, Daniel le guérit, et lui demanda pour toute récompense, le pardon de ceux qui l'avaient calomnié.
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Saint Siméon Stylite avait envoyé son disciple Sergius porter à l'empereur son habillement de fête. N'ayant pu avoir accès auprès du prince, il alla trouver Daniel, dont, il avait ouï dire de grandes choses, et lui remit le présent qu'il portait à l'empereur. Cette circonstance jointe à une révélation qu'eut Sergius à cet égard, lui fit prendre la résolution de monter lui-même sur une colonne.
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A sa demande, Sergius lui choisit pour le lieu de sa retraite une montagne solitaire peu éloignée, vers l'embouchure du Pont-Euxin : elle était à quatre milles de la mer, et à sept de Constantinople, du côté du Nord. Un des amis de Daniel y fit construire deux colonnes unies ensemble par des barres de fer, qui n'en formaient qu'une. On mit au-dessus une autre colonne plus petite, au haut de laquelle était une espèce de tonneau, environné d'une balustrade. C'était là qu'il demeurait. La situation du pays, sujet à de grands vents et à des froids très rudes, rendait sa pénitence encore plus étonnante que celle de saint Siméon. Il y eut un hiver où les vents pensèrent l'emporter ; ils le dépouillèrent de tous ses habits, et il demeura immobile et transi de froid. Ses disciples montèrent à la colonne, et, avec des éponges, lui appliquèrent de l'eau chaude pour le dégeler. Il ne quitta pas pour cela sa colonne, et ne laissa pas d'y vivre jusqu'à l'âge de quatre-vingts ans.
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Sans en descendre, il fut ordonné prêtre, à la prière de l'empereur, par Gennade, évêque de Constantinople, qui, ayant fait en bas les prières, monta sur la colonne pour achever la cérémonie et lui donna la communion. Depuis cette époque il célébrait les saints mystères sur sa colonne même. Il obtint, par ses prières, un fils à l'empereur Léon, qui le visitait souvent et lui portait un grand respect. Le Saint en profitait pour lui donner des instructions salutaires, pour l'exhorter surtout à pardonner avec facilité, et à combattre la dureté qui lui était naturelle. Ce prince fit bâtir près de la colonne de Daniel un petit monastère pour ses disciples, et un hospice pour ceux qui venaient le voir, avec un oratoire pour mettre les reliques de saint Siméon, que Daniel avait fait venir d'Antioche.
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L'an 465, il y eut à Constantinople un incendie terrible, qui consuma huit de ses quartiers. Daniel l'avait prédit, et avait conseillé au patriarche et à l'empereur de le prévenir en faisant deux fois la semaine des prières publiques ; mais on ne l'avait pas cru. L'événement en fit souvenir, et le peuple courut en grande hâte vers sa colonne. L'un se plaignait d'avoir perdu sa maison, l'autre ses biens, ses amis, sa femme, ses enfants. Le Saint, touché de leurs afflictions, fondait en larmes, et leur conseillait de s'appliquer à la prière et au jeûne. Il étendit les mains vers le ciel, et pria pour eux ; puis il les renvoya, disant que l'incendie finirait au bout de sept jours : ce qui arriva. Alors l'empereur vint avec l'impératrice le prier de demander à Dieu de leur pardonner le passé, et de les mettre en sûreté pour l'avenir.
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Gobazès, roi des Lazes dans la Colchide, étant venu renouveler son alliance avec les Romains, l'empereur le mena voir Daniel, comme le miracle de son empire. Le roi barbare se prosterna avec larmes devant la colonne, et le Saint fut l'arbitre du traité entre ces deux princes. Gobazès étant de retour chez lui, y racontait cette merveille, et n'envoyait jamais à Constantinople, qu'il n'écrivît à Daniel pour se recommander à ses prières. Il lui fit même bâtir une troisième colonne plus haute, à côté des deux autres, pour le mettre un peu à l'abri dans les temps orageux. Daniel consentit enfin aux instances que lui fit l'empereur Léon, de laisser couvrir d'un toit le haut de sa colonne.
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Ce prince avait à son service un seigneur barbare nommé Edrane, toujours nourri dans la guerre et le carnage, et qui commandait quelques troupes de sa nation. Le voyant très brave, il lui avait donné la charge de connétable avec la titre de Comte. Comme l'empereur envoyait toutes les personnes considérables voir Daniel et recevoir sa bénédiction, il y envoya aussi Edrane. Ce barbare fut si touché des instructions que lui donna le Saint et de l'exemple de sa vie, qu'il résolut à l'heure même de quitter tout et d'embrasser l'état monastique. Il fit assembler tous les siens, leur représenta la vanité de toutes les choses de la terre, et combien il était indigne de voir des hommes répandre le sang des hommes ; que, pour lui, il était résolu de ne plus servir que Jésus-Christ, et de ne plus travailler que pour le salut de son âme ; qu'il les exhortait tous à le suivre, mais que ceux qui ne le voudraient pas, pouvaient se retirer où il leur plairait. Ce discours toucha deux barbares, qui n'avaient jamais entendu parler de Jésus-Christ. Les autres se contentèrent de l'argent qu'il leur donna et se retirèrent. Edrane, ainsi libre de tout, reçut l'habit monastique des mains de Daniel, avec les deux barbares qui l'avaient suivi, et changea son ancien nom en celui de Tite. L'empereur fut fâché de sa résolution, et lui en fit faire des reproches ; mais rien ne put l'ébranler. Bientôt même l’empereur finit par estimer ce qu'il avait condamné d'abord, et, quand il visitait Daniel, il allait aussi voir Tite, et recevait avec joie ses instructions. Daniel, sur sa colonne, était ainsi une prédication continuelle et pour les Grecs et pour les Barbares.
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Saint Daniel Stylite mourut sur sa colonne, le 11 décembre vers l'an 489, après avoir fait plusieurs miracles, et prédit plusieurs révolutions politiques qui s'accomplirent de son temps.
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Comme pour saint Siméon et saint Walfroy, la colonne est l'attribut caractéristique de saint Daniel Stylite.
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Rohrbacher, Vie des Saints ; Père Cahier, Caractéristiques des Saints.

Version du 10 décembre 2011 à 15:23

XIe JOUR DE DÉCEMBRE

MARTYROLOGE ROMAIN.

A Rome, saint DAMASE, pape et confesseur, qui condamna l'hérésiarque Apollinaire et rétablit sur son siège Pierre, évêque d'Alexandrie, qui en avait été chassé. Il trouva les corps de beaucoup de saints Martyrs et orna leurs tombeaux d'épitaphes en vers. 384. — Encore à Rome, saint Thrason, qui, parce qu'il sustentait de ses biens les chrétiens condamnés au travail des bains et des autres ouvrages publics, ou renfermés dans les prisons, fut arrêté par l'ordre de Maximien et couronné du martyre, avec deux autres, savoir, Pontien et Prétextat. Vers 293. — A Amiens, les saints martyrs VICTORIC et FUSCIEN, exécutés sous le même empereur. Le président Rictiovare leur fit entrer des broches de fer dans le nez et dans les oreilles, trouer les tempes avec des clous rougis au feu, arracher les yeux et percer tout le corps avec des flèches : enfin, après tant de supplices, ils furent décapités avec GENTIEN, leur hôte, et passèrent ainsi à la gloire immortelle. 303. — En Perse, saint Barsabas, martyr 1. 342. — En Espagne, saint Eutyche, martyr. — A Plaisance, saint Savin, évêque, célèbre par ses miracles. — A Constantinople, saint DANIEL STYLITE. Vers 489.

MARTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTÉ.

Aux diocèses d'Amiens, Paris et Soissons, les saints martyrs Victoric, Fuscien et Gentien, cités au martyrologe romain de ce jour. 303. — Aux diocèses d'Autun, Châlons, Pamiers et Paris, Saint Damase, pape et confesseur, cité aujourd'hui à la même source. 384. — Au diocèse de Carcassonne, saint Paul-Serge, premier évêque de Narbonne, dont nous avons donné la vie au 22 mars. 1er s. — Au diocèse de Perpignan, fête de la translation de la maison de la sainte Vierge, de Nazareth en Dalmatie et de Dalmatie à Lorette. Nous avons fait l'historique de cette translation au jour précédent. 1294. — En Maurienne, saint Avre ou Aupre de Sens (Aper), prêtre et ermite. Après que l'évêque de Sens lui eut conféré le sacerdoce, Avre sollicita près de lui la permission de distribuer aux pauvres tout ce qu'il possédait et de se retirer en Maurienne pour y exercer le ministère sacré. Dieu permit qu'il prit sa route par le diocèse de Grenoble. Quand il fut arrivé dans cette ville, Clarus, qui en était évêque, l'accueillit avec bonté, et, appréciant bientôt la sainteté de l'hôte que la Providence lui envoyait, il l'adjoignit au clergé de sa ville épiscopale, puis lui confia la paroisse de la Terrasse (Isère, arrondissement de Grenoble). Avre y déploya pendant plusieurs années toute la vigilance et tout le zèle d'un apôtre ; mais ayant été victime des calomnies de plusieurs de ses paroissiens, il regarda cette épreuve comme un avertissement du ciel, et partit définitivement pour la Maurienne. Ayant obtenu de l'évêque Léporius la cession du territoire où s'élève maintenant le village de Saint-Avre, prés du bourg de la Chambre (Savoie, arrondissement de Saint-Jean de Maurienne), il y bâtit une cellule, un hospice et une chapelle, en l'honneur de saint Nazaire et de ses compagnons, et y passa ses jours au milieu des exercices de la plus tendre charité 2. VIIe s. — A Auxerre, saint Vilfer (Vilfère, Gonfier ; Velferus, Vulferus), moine de Moutier-Saint-Jean (Reomus, Ordre de Saint-Benoît), au diocèse de Dijon. 1017. — A Redon (Ille-et-Vilaine), au diocèse de Rennes, saint Fivetein ou Fivetin (Fidivetenus), moine de Saint-Sauveur de Redon (Ordre de Saint-Benoît). Vers 888. — En Belgique, le bienheureux Jean Agnus de Gand, confesseur, de l'Ordre de Saint-Dominique. Il est surtout connu dans l'histoire par un célébre miracle d'obéissance. Le prieur de son couvent l'avait envoyé prêcher dans une île de la Zélande (Hollande). Lorsqu'il fut sur les bords de l'eau, aucun batelier ne voulut se charger de le transporter à destination, à cause du mauvais état du fleuve (l'Escaut) grossi par les orages. Plein de confiance, le saint religieux fait le signe de la croix avec son bâton, marche sur les eaux et parvient au but de son voyage. Toute la population, avertie par les cloches qui sonnèrent miraculeusement sans aucune impulsion humaine, était sur la rive, et elle accompagna processionnellement le prédicateur à l'Église. 1296.

1. Barsabas (ou Barsabias) était abbé en Perse, et il avait sous sa conduite dix moines qu'il conduisait avec soin dans les voies de le perfection. Arrêté au commencement de la grande persécution de Sapor II (310-380), il fut cité devant le gouverneur de la province et accusé de vouloir abolir en Perso la religion des Mages. On arrêta en même temps ses dix moines : ils furent chargés de chaînes et conduits dans la ville d'Astrahara, près des ruines de Persépolis, où le gouverneur faisait sa résidence. Le juge leur fit écraser les genoux, casser les jambes, couper les bras, les côtés et les oreilles ; on les frappa ensuite rudement sur les yeux et le visage. Enfin le gouverneur, furieux de se voir vaincu par leur courage, les condamna à être décapités. — Godescard, au 20 octobre. 2. On croyait à Grenoble, au XVe et au XVIe siècles, que le corps de saint Avre avait été transporté dans la collégiale de Saint-André de cette ville. Ce diocèse a fait l'Office du Saint jusqu'en 1782. A cette époque, il fut supprimé dans le nouveau bréviaire viennois, uniquement parce que la commission de rédaction avait admis en principe que chaque diocèse ne pourrait imposer au bréviaire commun plus de quatre offices propres. La Révolution ne permit pas de s'occuper du supplément dans lequel on aurait pu le placer. Néanmoins les paroisses de la Terrasse et de Saint-Aupre (Isère, arrondissement de Grenoble, Canton de Voiron), dont notre Saint est le patron, continuent à célébrer sa fête tous les ans. En Maurienne, on ne voit indiqué nulle part l'office de saint Avre jusqu’à l'année 1760, où on le trouve imprimé avec l'approbation de Pierre-François Arthaud, vicaire général, et fixé au 4 décembre. Un décret de la Sacrée Congrégation des Rites vient tout récemment de restituer cette fête au diocèse de Maurienne ; elle se célébrera désormais le 25 octobre. Il y a quelques années, les habitants de Saint-Avre ont fait reconstruire leur église et y ont placé un tableau représentant saint Avre catéchisant les pauvres. Quant à la cellule, à l'hospice et à la chapelle du Saint, il n'en reste plus aucun vestige. — M. l'abbé Truchet, Histoire Hagiologique Du diocèse de Maurienne.

MARTYROLOGES DES ORDRES RELIGIEUX.

Martyrologe de l'Ordre de Saint-Basile. — A Constantinople, saint Daniel Stylite, de l'Ordre de Saint-Basile. Vers 489. Martyrologe de la Congrégation de Vallombreuse. — L'Octave de saint Bernard, évêque et confesseur de notre Ordre. 1133. Martyrologe de l'Ordre de la bienheureuse Vierge Marie du Mont-Carmel. — A Sienne, en Toscane, le bienheureux Franc, confesseur, de l'Ordre des Carmes, illustre par l'austérité de sa vie, par les apparitions fréquentes de la Mère de Dieu, par son esprit prophétique et la gloire de ses miracles. Il rendit l'esprit au milieu des concerts et de la splendeur magnifique des anges. Sa fête se célébre le 17 décembre. 1291. Martyrologe de l'Ordre des Carmes Déchaussés. — De même que ci-dessus.

ADDITIONS FAITES D'APRÈS DIVERS HAGIOGRAPHES.

Chez les Grecs, le patriarche JOSEPH, gouverneur de l'Égypte. 1635 av. J.-C. — En Westphalie, le bienheureux Thierry de Munster, récollet. Il entra d'abord chez les Pères Augustins de Munster et y prononça des vœux ; plus tard il fit profession au couvent des Récollets de la province de Basse-Allemagne. Véritable apôtre de la foi et zélé précepteur de la jeunesse dans la doctrine chrétienne, il éclaira presque tous les Pays-Bas par ses prédications. En 1489 et 1490, lorsque la ville de Bruxelles était ravagée par la peste, Thierry soignait les malades et leur administrait les sacrements : son zèle pour le salut des âmes le rendait inaccessible à toute crainte de la mort. Quand la peste eut cessé ses ravages, il reprit ses prédications et produisit encore de nombreux fruits de salut. Quand il se fut endormi dans le Seigneur, il fût enseveli dans le chœur de l'ancienne église des Récollets de Louvain ; plus tard, ses ossements furent recueillis dans une châsse que l'on plaça à côté de l'autel de l'infirmerie. 1515.

LE PATRIARCHE JOSEPH,GOUVERNEUR DE L'ÉGYPTE

1635 avant Jeans-Christ. — Roi d'Égypte : Pharaon.

Castum animum nec ætas adolescentiæ permovet nec diligentius auctoritas. Un coeur chaste ne se laisse troubler ni par le jeune âge, ni par l’ascendant de l'autorité. Saint Jérôme.

De tous les enfants de Jacob, Joseph (né à Haran, en Mésopotamie) était le plus vertueux et le plus aimable. Aussi, devint-il l'objet des tendresses particulières de son père. Quoique légitime en soi, la prédilection du vieux patriarche n'était pas sans inconvénients. Il ne pouvait guère dissimuler ses préférences, et les frères de Joseph pouvaient encore moins ne pas les apercevoir ; car, d'un côté, les affections des vieillards sont volontiers indiscrètes, et de l'autre, la mutuelle jalousie des frères est soupçonneuse et intraitable. Outre plusieurs marques de bienveillance exclusive, Jacob donna à son bien-aimé une tunique de lin de diverses couleurs ; dès lors Joseph ne trouva plus en ses frères que des sentiments haineux et des paroles d'amertume : il ne faut qu'un si léger souffle pour soulever dans le cœur de l'homme l'orage des plus violentes passions ! Vertueux et simple, Joseph augmenta encore cette haine sans le vouloir : il leur fit part de songes glorieux qu'il avait eus : « Je croyais », dit-il, « lier avec vous des gerbes dans la campagne, et je voyais ma gerbe se lever et se tenir debout, et les vôtres se ranger autour pour l'adorer ». Et encore : « J'ai vu, dans un autre songe, le soleil, la lune et onze étoiles qui m'adoraient ». Ses frères s'écrièrent : « Est-ce que tu seras notre roi, et plierons-nous sous ta puissance ? » Son père lui-même le réprimanda, peut-être pour calmer l'irritation de ses autres enfants ; car, dans sa pensée, il pesait les mystérieuses paroles de Joseph et cherchait à en pénétrer le sens. Or, un jour que les frères de Joseph avaient conduit leurs troupeaux jusque vers Sichem, Jacob l'envoya près d'eux. Joseph partit et trouva ses frères dans les champs de Dothaïn. Ils l'aperçurent de loin et ils se dirent : « Voici notre songeur qui vient ; allons, tuons-le et jetons-le dans cette vieille citerne ; nous dirons qu'une bête féroce l'a dévoré, et on verra de la sorte à quoi lui servent ses songes ». Ruben, l’aîné d'entre eux, eut horreur d'un tel crime ; il proposa de descendre Joseph dans la citerne : son intention secrète était de lui sauver ainsi la vie et de le rendre à son père. Dès que Joseph fut arrivé, on le dépouilla de sa robe, fatal objet d'envie, et on le jeta dans la citerne, qui était sans eau. Peu de temps après, des Ismaélites et des Madianites vinrent à passer ; ils allaient de Galaad en Égypte, conduisant des chameaux chargés de parfums, de résine et de myrrhe. Alors Juda, l'un des complices, prit la parole : « Que nous servira de tuer notre frère et de cacher sa mort ? Il vaut mieux le vendre à ces Ismaélites et ne point souiller nos mains ; car c'est notre frère et notre sang ». Cet avis prévalut ; Joseph fut tiré de la citerne et vendu pour vingt pièces d'argent. Les coupables trempèrent la robe de Joseph dans le sang d'un chevreau, et l'envoyèrent à Jacob avec ces paroles : « Voici une robe que nous avons trouvée ; voyez si c'est celle de votre fils ». Jacob l'ayant reconnue, dit : « C'est la tunique de mon fils ; une bête cruelle l'a dévoré ; une bête a dévoré Joseph ». Il déchira ses vêtements, se couvrit d'un cilice et pleura longtemps son fils. Ses enfants s'assemblèrent pour essayer d'adoucir sa douleur ; mais il resta inconsolable et leur dit : « Je pleurerai jusqu'à ce que je rejoigne mon fils dans la mort ». Et il continua de répandre des larmes ; car Joseph venait de lui être ravi, et Benjamin était désormais le seul gage qui lui restât de l'affection de Rachel. Cependant Joseph fut emmené en Égypte et vendu par les Madianites à Putiphar, l'un des premiers officiers du roi. Le jeune esclave avait trouvé grâce devant Dieu, qui n'envoie aux hommes l'épreuve d'une courte tribulation que pour leur fournir une occasion de vertu et une source de gloire ; ses belles qualités le rendirent aussi agréable à son maître, qui lui confia l'intendance de sa maison et se reposa sur lui du soin de ses affaires. L'Égyptien ne fut pas trompé, et Dieu le bénit à cause de Joseph : ses biens croissaient d'une manière sensible et le succès couronnait toutes ses entreprises. Il y avait quelques années déjà que Joseph faisait éclater dans l'obscurité d'un service ingrat une intelligence et une vertu supérieures, lorsque la femme du maître jeta sur lui de coupables regards et le sollicita au crime. Le noble captif demeura fidèle à Dieu et à l'honneur, et répondit avec autant de modération que de fermeté. « Voilà que mon maître m'a confié toutes choses », dit-il, « au point qu'il ignore même ce qu'il possède ; il n'a rien qui ne soit en mon pouvoir et qu'il ne m'ait remis entre les mains, ne se réservant que vous qui êtes sa femme. Et je pourrais commettre une telle iniquité et pécher contre mon Dieu ! » Cette réponse, au lieu de décourager la passion, parut l'animer et lui donner une âpreté croissante. Un jour, Joseph se trouvant seul dans un appartement, la femme de son maître tenta un dernier effort, et le saisit par son manteau. Quand une femme a perdu tout respect d'elle-même et mérité de perdre l'estime d'autrui, elle ne sait plus qu'étouffer sous les jouissances sensuelles la mémoire de sa dignité abolie, et elle ose tout pour abaisser dans la complicité d'un même crime celui qui, du haut de sa vertu, menace de rester toujours son accusateur et son juge. Joseph avait l'intelligence autant que le courage du devoir ; il laissa son manteau entre les mains de l'impudente femme et s'enfuit, seule manière de vaincre en pareil danger ; effectivement, si l'esprit a ses convictions et sa promptitude, les sens ont leur chancellement et leur défaillance. On conçoit les transports de la tentatrice méprisée. Sa passion déçue, son empire méconnu, la femme de Putiphar avait à craindre, mais elle avait surtout à se venger : il fallait prévenir les plaintes possibles de Joseph, surtout il fallait faire porter à un esclave la peine de sa vertu. Elle appela ses gens comme pour lui prêter secours et elle se plaignit avec des airs de fierté pudique que cet étranger eût osé porter jusqu'à elle ses témérités coupables ; elle ne devait son salut qu'à ses cris, et elle avait pu arracher ce vêtement comme pièce de conviction contre Joseph. Puis, quand son mari fut de retour, elle fit remonter jusqu'à lui l'origine de tout ce malheur, et l'enveloppa frauduleusement dans l'acte d'accusation, afin qu'ayant à se justifier du soupçon d'imprudence, il songeât d'autant moins à l'accuser elle-même d'infidélité. « Cet esclave que tu as amené », dit-elle, « est venu pour me faire insulte, et, lorsqu'il m'eut entendue crier, il m'a laissé ce manteau entre les mains et s'est enfui ». La calomnie réussit très bien ; Putiphar ne fut pas assez habile pour échapper aux artifices de sa femme et surprendre la vérité sous les dehors étudiés dont se couvrait l'imposture. Sans réfléchir qu'un homme ne se prépare guère aux grands crimes par dix ans de vertu et de services dévoués, et que la violence pouvait venir autant de celle qui avait arraché le manteau que de celui qui l'avait laissé prendre, il entra dans une extrême colère contre son intendant, et le fit jeter en prison. Mais le Seigneur fut avec Joseph ; car, en imposant le travail, Dieu donne la force de le soutenir, et, par sa grâce, il n'y a pas de si rudes épreuves, qu'un généreux courage ne les surmonte. Le Seigneur, en outre, permit que Joseph se conciliât les bonnes grâces du gouverneur da la prison. Celui-ci, prenant en pitié le jeune captif et ne voyant rien en lui qui trahît une âme abjecte et criminelle, l'investit de sa confiance et lui abandonna en partie le soin des autres prisonniers. Or, un matin, Joseph vit deux de ses compagnons plus abattus que de coutume : des songes les avaient jetés dans cette tristesse. Il écouta le récit de ces songes, en donna l'explication, et prédit à un des condamnés qu'il serait crucifié dans trois jours, et à l'autre que dans trois jours aussi il serait rendu à la liberté et rétabli dans son ancienne charge ; puis il conjura ce dernier de ne point l'oublier au temps de sa bonne fortune. L'événement justifia cette interprétation : au bout de trois jours, l'un des proscrits fut crucifié, l'autre rendu à la liberté et rétabli dans son ancienne charge ; seulement, il oublia Joseph, car le bonheur enlève la mémoire des services reçus. Dieu le permettait ainsi en cette rencontre, afin que son élu comptât sur le secours du ciel, et non point sur celui de la terre, et que, destiné à commander aux hommes, il apprit à les connaître. Deux ans à peu près s'étant écoulés, le roi d'Égypte eut deux songes dont il s'effraya. C'était une des superstitions du paganisme antique de chercher toujours du mystère dans les songes, et Dieu, qui gouverne les hommes en tenant miséricordieusement compte de leurs erreurs mêmes et de leurs faiblesses, donnait parfois une signification profonde à ce qui n'était communément qu'un jeu de l'organisme ou bien un caprice de l'imagination. Ces songes du roi d'Égypte entraient dans le plan de la sagesse céleste, c'est pourquoi ils étaient une véritable figure de l'avenir ; ils devaient préparer le triomphe de Joseph, c'est pourquoi l'explication lui en fut réservée. Vainement on appela tous les interprètes vulgaires ; le roi était découragé de l'ignorance de ses devins. Alors la tristesse du maître ramena le nom de Joseph sur les lèvres du courtisan, qui l'avait appris dans le malheur, et qui ne s'en était plus souvenu dans la fortune. Joseph fut tiré de prison : il parut devant le roi ; le roi raconta ses deux songes, et Joseph, les expliquant tous deux dans le même sens, annonça que sept années d'abondance seraient suivies de sept années de stérilité. Il proposa donc d'établir sur toute l'Égypte un homme sage et habile qui, durant les temps de fertilité, mettrait en réserve une partie des grains, afin que, la disette venue, le peuple ne fût pas sans ressources. Le roi crut avec raison que personne ne saurait mieux remédier aux maux de l'avenir que l'homme à qui Dieu les dévoilait ainsi par avance. Il soumit donc toute l'Égypte à Joseph, ne se réservant au-dessus du jeune favori que la grandeur du trône. Il le revêtit d'une robe de fin lin, lui donna un collier d'or, marque de sa nouvelle dignité, et lui mit au doigt l'anneau royal. Il le fit monter sur un char de triomphe, ordonnant à un héraut de crier que tout le peuple reconnut l'autorité de Joseph, et fléchit le genou sur son passage. Puis, changeant son nom de Joseph, il l'appela d'un mot égyptien qui signifie sauveur du monde. Enfin, pour couronner toutes ces distinctions flatteuses, il lui fit épouser la fille d'un prêtre d'Héliopolis, l'alliant ainsi à la classe la plus noble et la plus puissante de ses États. Ainsi finirent les malheurs de Joseph ; ils furent comme le germe fécond des prospérités et de la gloire qui emplirent le reste de sa vie. Ses prophétiques paroles eurent leur accomplissement : sept années d'abondance furent suivies de sept années de stérilité. Le fléau avait aussi frappé les pays voisins. Jacob, pressé par la disette, envoya ses fils vers 1'Égypte, dont il avait appris les ressources ; Benjamin seul resta près de lui. Le blé ne se vendait que sur l'ordre de Joseph ; ses frères lui furent donc présentés et l'adorèrent, se prosternant devant lui à la manière des Orientaux. Il les reconnut sans peine, mais il ne fut pas reconnu d'eux, parce que l'âge viril et peut-être le malheur avaient changé les traits de son adolescence. A la vue de ses frères courbés devant lui, Joseph se rappela ses songes d'autrefois. Il prit un langage sévère et sembla croire que ces étrangers étaient venus en ennemis. Il les garda trois jours en prison ; puis, apprenant qu'ils avaient encore un frère, il les renvoya avec ordre de le ramener et retint l'un d'eux comme otage. Eux, croyant n'être pas compris du ministre égyptien, qui leur avait parlé jusque-là par interprète, se reprochèrent mutuellement leur ancien fratricide. Alors Joseph, vaincu par la tendresse, se retira un moment pour pleurer, puis il revint, exprimant la volonté de garder en otage Siméon, l'un des étrangers. Les autres s'en retournèrent tristes au pays de Chanaan. Leur père tomba dans une affliction profonde lorsqu'on lui apprit la captivité de Siméon et l'ordre formel de mener Benjamin en Égypte ; il fut longtemps avant de consentir à exposer encore ce fils, cher et dernier fruit de sa vieillesse. Toutefois, la famine continuant à sévir, Jacob fut contraint de céder à l'empire des circonstances, et il envoya ses fils en Égypte, leur confiant à regret Benjamin, dont Juda répondit sur sa tête. Joseph, les voyant arriver avec son jeune frère, commanda de les introduire dans son palais et de leur préparer un festin. Ils attendaient dans la salle du repas, lorsqu'enfin Joseph parut. Tous s'inclinèrent devant lui. Il les accueillit avec bonté et les questionna sur leur vieux père. Puis, levant les yeux, il aperçut Benjamin et dit : « Est-ce là votre jeune frère dont vous m'aviez parlé? Mon fils », ajouta-t-il, « que Dieu te soit propice ! » Et il se hâta de sortir ; car, à la vue de son frère, ses entrailles s'étaient émues, et il ne pouvait retenir ses larmes. Quand il eut pleuré librement, il revint, et, faisant effort pour dominer son émotion, il prit le repas en la société de ses frères, mais à une autre table, les Égyptiens regardant les étrangers comme des profanes. Il les servit lui-même ; Benjamin fut traité plus honorablement que les autres, ce qui les étonna. Du reste, le festin se passa dans la joie. Le lendemain, les frères devaient partir. Joseph fit cacher sa coupe d'argent parmi les provisions de Benjamin, et à peine avaient-ils repris leur route, qu'il envoya ses gens à leur poursuite. On les atteignit, on les accusa d'avoir commis un vol ; ils s'en défendirent, mais la coupe fut trouvée parmi les provisions de Benjamin. Joseph menaça de le conserver comme esclave. Alors Juda fit connaître toutes les répugnances qu'avait éprouvées Jacob à laisser partir Benjamin, et le coup terrible que la captivité de ce fils tendrement aimé allait porter à son grand âge. Au nom de son père, Joseph ne put se comprimer plus longtemps : il renvoya les Égyptiens qui l'entouraient, et s'écria en versant des larmes : « Je suis Joseph. Est-ce que mon père vit encore ? » Mais ses frères ne purent lui répondre, tant ils étaient saisis de frayeur. « Approchez de moi », leur dit-il avec douceur, « je suis Joseph, votre frère, que vous avez vendu ». Il les rassura, disant que Dieu avait permis toutes choses pour un plus grand bien ; il leur prescrivit d'informer son père de tout ce qu'ils voyaient et de le ramener avec eux en Égypte, où ils seraient tous nourris durant les cinq années que la famine devait durer encore. Et se jetant au cou de Benjamin son frère pour l'embrasser, il pleura, et Benjamin pleura aussi en le recevant dans ses bras. Joseph donna ensuite à tous ses frères les mêmes marques de tendresse, et, revenant peu à peu de leur muette terreur, ils osèrent lui parler. A cette heureuse nouvelle qui lui fut rapportée par ses fils, Jacob sembla s'éveiller d'un profond sommeil et refusa quelque temps de croire à leur parole. Enfin, reprenant ses sens, il dit : « Si mon fils Joseph est encore en vie, c'en est assez ; j'irai et je le verrai avant de mourir ». En effet, il partit pour d’Égypte avec tous ses gens et ses biens. Joseph vint à sa rencontre, et, l'apercevant, courut à lui et l'embrassa étroitement avec beaucoup de larmes. « Je mourrai avec joie maintenant », lui dit son père, « puisque j'ai vu ton visage et que je te laisse après moi ». Jacob fut aussi présenté au roi, et obtint de se fixer avec ses fils dans la contrée de Gessen, la plus fertile de d’Égypte et la plus convenable à un peuple pasteur. Dix-sept ans après, il mourut, en prophétisant les magnifiques destinées de sa race. Il adopta au nombre de ses enfants Manassé et Éphraïm, fils de Joseph, et demanda que ses cendres fussent réunies un jour aux cendres de ses pères. Joseph vit les fils de ses petits-fils. Près de mourir, il demanda que ses ossements fussent transportés dans la Terre promise ; puis il expira, à l'âge de cent dix ans. Son corps fut embaumé et mis dans un cercueil que les Israélites, à leur sortie d'Égypte, emportèrent au pays de Chanaan. Tel fut Joseph, exemple célèbre des difficultés qui attendent la vertu, du courage qu'elle doit employer et du triomphe qu'elle peut obtenir. Les temps anciens ne virent pas une plus parfaite image de ce Juste, qui, trahi par ses frères et méconnu dans ses œuvres, fut condamné comme un criminel, et sortit de la captivité du tombeau pour nourrir la terre entière du pain de la vérité évangélique, et conquérir, par tous les dons de sa charité divine, le glorieux titre de Sauveur du monde. On représente Joseph le patriarche : 1° au moment où il est vendu par ses frères ; ceux-ci reçoivent alors des marchands Madianites le prix de la vente, pendant que l'enfant est livré à la caravane des acheteurs pour être conduit en Égypte ; 2° avec l'indication palpable du songe où lui fut montré sa grandeur future, sous la forme d'une gerbe dressée au milieu de onze autres qui se courbent devant elle ; 3° descendu dans un puits ou citerne par ses frères, puis retiré de ce puits pour être vendu ; 4° expliquant les songes de Pharaon. — Ajoutons que sa résistance pudique à la femme de Putiphar, son entrevue avec ses frères et son père, peuvent fournir aux artistes de beaux sujets de composition.

Les Femmes de la Bible par feu Mgr. Darboy ; Caractéristiques des Saints, par le Révérend Père Cahier.

SAINT FUSCIEN, SAINT VICTORIC ET SAINT GENTIEN

MARTYRS A AMIENS 303. — Pape : Saint Marcellin. — Empereur romain : Dioclétien.

Les âmes des justes sont dans la main de Dieu, et le supplice de la mort ne les atteint pas. Sagesse, III, 1.

Saint Fuscien 1 et saint Victoric 2 naquirent tous deux à Rome, dans le cours du IIIe siècle. Grâce à leurs courageux efforts, ils résistèrent aux séductions de tout genre que présentait alors la reine des cités. Animés du désir de propager au loin les lumières de l'Évangile, ils distribuèrent tous leurs biens aux pauvres et vinrent dans les Gaules avec saint Quentin, saint Lucien, saint Crépin, saint Crépinien, saint Piat, saint Rieul, saint Marcel, saint Eugène, saint Rufin et saint Valère. Arrivés à Lutèce, ils choisirent chacun, sous l'inspiration de la grâce, les pays qu'ils devaient évangéliser, et se séparèrent, tout en restant unis par les liens d'une même charité. Dieu leur communiqua ce pouvoir des miracles, qui donne à la parole des Apôtres une invincible autorité. Par un simple signe de croix, ils guérissaient les sourds, les aveugles, les muets et les paralytiques. Leur vie tout entière, consacrée au jeûne, aux veilles, à la prière, à la prédication, paraissait aux yeux des peuples comme un miracle permanent, qui devait procurer à la foi nouvelle de nombreuses conquêtes. Tandis que saint Quentin, le chef de cette mission, se rendait à Amiens, Crépin et Crépinien à Soissons, Piat à Tournai, etc., Fuscien et Victoric se dirigèrent vers la Morinie, cette contrée que Virgile considérait comme placée à l'extrémité du monde 3. Folquin, abbé de Lobbes, dépeignait dans les termes suivants, au Xe siècle, le pays évangélisé par nos deux apôtres : « C'était une nation qui ne gardait aucune règle dans ses mœurs, plus portée à recourir aux armes qu'à recevoir des conseils, et qui, comme l'a dit un ancien, mettait plus d'abondance que de sagesse dans ses discours. Son indomptable barbarie et sa violente inclination au mal ne pouvaient être réprimées et vaincues que par la prudence et la perspicacité d'hommes d'une éminente sainteté ». Les deux apôtres opérèrent à Thérouanne de nombreuses conversions ; malgré l'hostilité des Romains et des Gaulois. Toutefois ils n'osèrent ; dans la cité où les autorités romaines protégeaient le culte du dieu Mars 4, élever un temple au vrai Dieu. Ce fut hors des murs de la cité, là où se trouve aujourd'hui le village d'Helfaut 5, que saint Fuscien érigea une chapelle sous le vocable de la sainte Vierge ; près de ce sanctuaire, le zélé missionnaire annonçait en plein air la parole de Dieu à ceux des habitants de Thérouanne et des pays voisins qui venaient solliciter la grâce du baptême. « Tandis que j'explorais avec soin », dit Malbrancq, « le territoire d'Helfaut, le seigneur du lieu me fit voir un arpent de terre qui est situé à un quart de lieue de l'église, à droite de la route de Thérouanne ; il me dit que ce champ n'avait jamais été livré à la culture, parce que, suivant la tradition, il avait appartenu aux deux saints apôtres. J'ai supposé qu'à cause de l'exiguïté de son église, l'apôtre rassemblait la multitude dans ce champ, qu'il y recevait les étrangers et qu'il y avait fondé des établissements d'hospitalité. En effet, d'anciens documents nous apprennent qu'après s'être livré à la prédication, il s'occupait de la guérison des malades, particulièrement des paralytiques 6».

1. Fuscianus, Fussianus, Fucianus, Fulcianus ; Fussien, Fussen, Fusien, Fuxian, Fuscian. — Fuscianus est sans doute un dérivé de Fuscus, brun, noirâtre. 2. Victoricus, Victorius ; Victorix, Victorice, Victorisse, Victoris, Victorique, Victory. 3. Extremique hominum Morint. Æneid., lib. VIII, vers 727. 4. Le temple qui lui était consacré se trouvait à l'occident de la ville. — Dom Grenier, Introd. à l'hist. de Pic., p. 196. 5. La tradition rapporte que saint Fuscien avait établi sa demeure à peu de distance du cimetière, à l'endroit où l'on a construit depuis une ferme. — Parenty, Légendaire de la Morinie. 6. On reconnaît encore à Helfaut le champ sacré, dit M. l'abbé Parenty. C'est une enclave de terrain, bornée par plusieurs routes. Au milieu de ce sol inculte, se trouve un tilleul séculaire, vulgairement nommé l'arbre Maran. On remarquait là une image de la sainte Vierge, qui a disparu depuis quelques années. — Légendaire de la Morinie.

Victoric s'était séparé de Fuscien pour évangéliser le Boulonnais, dont l'importance avait singulièrement grandi, depuis que la domination romaine y avait établi quatre ports, Portus ulterior, Portus Itius, Portus citerior et Gessoriacum. Rencontrant une vive résistance de la part des autorités, il ne put qu'ériger une petite chapelle à l'occident de la ville, vers l'embouchure de la rivière de Liane. C'est là que se rendaient les nouveaux chrétiens du Boulonnais et même du Ponthieu. Les généreux efforts de nos deux Saints ne devaient pas laisser de traces durables en Morinie, où la foi chrétienne avait presque entièrement disparu, quand, un siècle plus tard, saint Victrice évangélisa ces mêmes contrées. Les Morins, entraînés par la légèreté de leur caractère, devaient même retomber une seconde fois dans l'idolâtrie, après la mission de l'évêque de Rouen, et ne s'attacher définitivement au christianisme qu'au VIe siècle, sous le long et glorieux épiscopat de saint Omer. Fuscien et Victoric quittèrent Thérouanne pour aller à la recherche de leur compagnon Quentin et lui rendre compte du succès de leur mission. Informés de la route qu'avait prise cet apôtre, nos deux Saints se dirigèrent du côté de Paris. Arrivés à Amiens, et y voyant régner la persécution, ils se hâtèrent d'en sortir et suivirent la voie romaine de Lutèce. Le 11 décembre, en approchant de Sama, qui devait un jour, en l'honneur de leur martyre, porter le nom de Sains, ils rencontrèrent un vieillard, habitant de cette localité, qui venait au-devant d'eux. C'était Gentien, un des plus riches personnages du pays, selon la meilleure tradition ; simple cabaretier, d'après la croyance populaire. Travaillé secrètement par la grâce, il avait entendu parler des miracles de nos deux Saints, et peut-être avait-il écouté à Amiens les prédications de saint Quentin ; mais il n'en était pas moins resté dans les liens du paganisme. « Seigneurs », leur dit-il, « votre accent et votre costume me font supposer que vous êtes étrangers à ces contrées. Veuillez me dire dans quel pays vous êtes nés, d'on vous venez, où vous allez, et quel est le but de votre voyage ? » — « Nés à Rome, nous y avons été élevés et nous y avons sucé le lait de la doctrine catholique. Nous sommes venus dans vos parages pour vous enseigner la vérité et vous montrer le chemin du salut éternel. Séduits par les ruses du démon, vous adorez de vains simulacres, insensibles à vos prières, tandis que vous ignorez le Dieu suprême qui, après vous avoir donné la vie périssable d'ici-bas, vous destine une vie éternelle de gloire et de bonheur. Considérez les astres qui brillent dans le firmament, les productions qui sortent du sein de la terre, et dites-moi si tous ces chefs-d’œuvre peuvent devoir leur existence à vos fragiles simulacres. Non, le Dieu suprême est l'auteur de cette ordonnance de la nature ; c'est lui qui a suspendu les cieux dans l'espace, qui a affermi la terre sur ses bases et enchaîné les flots de l'océan dans leur lit de sable. D'un seul mot, il a tout créé, et, par le souffle de son esprit, il a assuré la durée de son œuvre. C'est son Fils, c'est Jésus-Christ, auteur de toutes choses, que nous venons vous annoncer, pour que vous ne soyez pas victimes de vos erreurs pendant toute l'éternité. En ce moment », continua Fuscien, « nous sommes à la recherche de notre vénérable compagnon, le très noble Quentin qui, comme nous, et dans le même but, a quitté sa ville natale ». Gentien, frappé de ce langage et poussant un profond soupir, répondit : « Depuis trois jours, j'éprouve un mystérieux penchant à croire à ce Dieu dont vous m'exposez la puissance. Quant à son serviteur Quentin, qui évangélisait les habitants d'Amiens, il a été incarcéré, torturé par les ordres du Préfet et enfin chassé de la ville. Déjà quarante-deux jours se sont écoulés depuis qu'il a eu la tête tranchée à Auguste-de-Vermandois (Saint-Quentin). Les mêmes supplices vous menacent, vous que l'on considère comme les ennemis des dieux et de la chose publique. Des soldats ont reçu l'ordre de vous arrêter. Mais, je vous en prie, mes seigneurs et pères, venez sous mon toit pour y prendre une bouchée de pain et vous reposer un peu ». A cette époque, Rictiovare venait d'arriver à Amiens. Maximien-Hercule, associé à l'empire par Dioclétien, ayant trouvé dans Rictiovare un digne émule de ses fureurs contre le christianisme, l'avait nommé préfet, terme un peu vague que l'on interprète généralement par préfet du prétoire ; et c'est en cette qualité qu'il avait ensanglanté de ses persécutions les diocèses de Reims, de Soissons et de Noyon. A Trèves, il avait fait un tel massacre de chrétiens, que les eaux de la Moselle s'étaient rougies du sang des martyrs. Ses émissaires parcouraient les villes et les campagnes, en publiant les édits qui ordonnaient d'arrêter les chrétiens et de les livrer aux tribunaux romains. Rictiovare, ayant appris que Fuscien et Victoric avaient traversé la ville d'Amiens, se mit à leur recherche et arriva à Sains, avec une troupe de soldats, en face même de la maison où Gentien avait offert à nos deux Saints les services empressés de l'hospitalité 1.

1. On montre encore à Sains l'emplacement de cette maison ; c'est la première à droite sur l'ancienne route de Paris. La maison dite de Saint-Gentien, détruite à la fin du XVIIIe siècle, servait de pied à terre eux religieux de Saint Fuscien qui venaient dire la messe, les jours de fête. Les pèlerins s'y rendaient pour baiser, dans le cellier, les anneaux où, d'après la tradition, les martyrs auraient die attachés.

Le farouche préfet donna ordre de les arrêter et de les enchaîner ensemble. Gentien, ému d'une subite indignation, s'élança, l'épée à la main, sur l'inique persécuteur, en lui interdisant l'entrée de sa maison. « Ce n'est point », dit le biographe de nos Saints, qu'il eût l'intention de frapper le persécuteur, « il voulait seulement faire naître pour lui l'occasion du martyre ». — « D'où te vient cette fureur ? », s'écrie Rictiovare « Pourquoi veux-tu me percer de ton glaive? » — « Tu ne mérites pas un autre sort, puisque tu persécutes les serviteurs de ce Christ, par qui tout a été créé, et dont la volonté toute-puissante régit les lois du monde. Pour lui rendre hommage, je n'hésite pas à sacrifier ma vie ; car je proclame que, moi aussi, je suis son serviteur ». Rictiovare, encore plus irrité par une pareille profession de foi, ordonna que Gentien fût décapité immédiatement en présence de ses deux hôtes. Rictiovare, s'étant assis sur son siège de pestilence, ordonna aux juges de l'assister, et, entouré de la foule populaire, il procéda à l'interrogatoire des deux chrétiens : « Je ne doute pas que vous soyez romains ; je le vois à votre physionomie ; mais faites-moi connaître quels sont les dieux que vous faites profession d'adorer ». — « Nous n'adorons point les dieux des païens, que nous considérons comme de vains simulacres ou comma des incarnations du démon. Nous sommes les adorateurs de Dieu le Père, qui seul est éternel, qui seul est immuable dans ses desseins. Sans jamais varier, il gouverne tout ce qui est variable ; sans perdre son unité, il préside à la diversité des êtres il est partout et pénètre toutes les créatures en les enveloppant de son omnipotence. Bien différent des hommes, il n'a point eu de commencement et n'aura point de fin ; aucune limite ne saurait borner l'extension de sa puissance. Avant l'origine des temps, il a engendré un fils coéternel, égal à lui en toutes choses. Mystère insondable ! Un Dieu enfante un Dieu ; la lumière sort de la lumière, l'immensité produit l'immensité, l'incompréhensible engendre l'incompréhensible ! Ce Fils, né du Père avant l'origine du temps, a voulu naître d'une mère mortelle ; semblable à l'ambre 1, un en deux natures et composé d'une double nature, il est resté Dieu avec le Père, et, pour notre salut, il s'est fait homme dans le sein de Marie, que l'Esprit-Saint a couvert de son ombre mystérieuse, pour qu'elle conservât sa virginité ». — « Vous êtes fous », interrompit Rictiovare. « Renoncez à ces aberrations et sacrifiez aux dieux, sans quoi je vous livre aux supplices ». — « Nous ne les redoutons pas », répondirent les Saints ; « nous serons même heureux de souffrir et de mourir pour le nom du Christ. Nous échangerons volontiers cette demeure terrestre pour la cité éternelle, dont Dieu est l'architecte. Écoute nos conseils ; abandonne tes vaines superstitions ; convertis-toi au Dieu véritable qui te pardonnera tes péchés et te donnera le bonheur sans fin, au lieu que les statues de métal que tu adores, sont impuissantes par elles-mêmes et seront cause que le démon t'entraînera dans les flammes éternelles ». Rictiovare, emporté par une folle fureur, ordonna que les deux chrétiens fussent chargés de fers pour être conduits à Amiens et enfermés dans un sombre cachot. Les Saints se mirent en route, pleins d'une joie céleste. « Deux fois en chemin », dit M. Salmon, « Rictiovare les fit arrêter et torturer, selon la tradition, sans pouvoir abattre leur constance, et les deux endroits où il leur fit subir ces supplices sont encore marqués par des croix de pierre, mutilées par le temps, dont on voit l'une près de Sains, et l'autre en face de la grille de l'ancienne abbatiale de Saint-Fuscien ». Arrivés à environ un mille de l'endroit où ils avaient été arrêtés, les deux martyrs s'agenouillèrent et, versant des larmes, adressèrent à Dieu cette fervente prière : « Seigneur Jésus-Christ, essence de toute lumière, vous qui êtes et qui étiez avant la création du monde ; qui de vos doigts mesurez les cieux, qui pouvez renfermer l'univers dans le creux de votre main, qui avez les chérubins pour trône, qui sondez jusqu'au fond des abîmes, qui déchaînez les tempêtes, qui donnez aux bons et aux méchants les bienfaits du soleil et de la pluie ; ô Seigneur, en qui nous croyons, nous espérons et nous vivons, daignez recevoir notre dernier soupir, et ne nous oubliez pas dans l'éternité ! »

1. Les anciens croyaient que l'ambre se composait de cire et de miel, modifiés et réduits à cet état par l'action combinée des rayons solaires et du sel marin.

Après avoir achevé cette prière, ils dirent à Rictiovare : « Quelle joie pour nous si tu embrassais notre foi ! Mais, hélas ! Ton âme obstinée court à sa perte. Ah ! Malheureux, cesse d'accroire tes iniquités, pour trouver grâce auprès du Seigneur ». — « Vous me menacez toujours de supplices éternels », dit Rictiovare : « eh bien ! C’est vous qui allez maintenant subir des tortures, si, sur-le-champ, vous ne sacrifiez pas aux dieux ». Les Saints répondirent : « Cruel envers toi-même, comment pourrais-tu être bon pour autrui ? Ne redoutant pas pour toi-même la mort éternelle, qu'y a-t-il d'étonnant que tu nous condamnes à la mort temporelle. Nous sommes prêts à subir tes tortures ». Rictiovare leur fit enfoncer, dans les narines et les oreilles, des broches de fer, et, dans la tête, des poinçons rougis au feu ; il ordonna ensuite qu'on leur arrachât les yeux et qu'on les perçât de flèches ; lui-même, saisissant un javelot, le lança contre eux. Enfin, comme les patients n'avaient point entièrement succombé à ces horribles tourments, il leur fit trancher la tête. Ce martyre s'accomplit le 11 décembre, vers l'an 303, à l'endroit même où s'éleva plus tard le chœur de l'église abbatiale de Saint-Fuscien, espace aujourd'hui enclos dans le jardin du pensionnat des frères de Saint-Joseph ! Vers la chute du jour, des chrétiens profitèrent de l'obscurité pour se rendre à Sains, là où gisaient les corps réunis des trois martyrs. Ils les inhumèrent en chantant des hymnes à l'endroit où s'élève aujourd’hui l’église de Sains. Au-dessus de l'ancienne crypte de l'église de Sains, s'élève un remarquable tombeau qui date de la fin du XIIe siècle ou du commencement du XIIIe. II mesure deux mètres trente-six centimètres de long, sur un mètre onze centimètres de large, et a, pour supports, six petits piliers, hauts de quarante-trois centimètres. Les trois Saints, de grandeur naturelle, sont couchés sur le dos ; ils portent une barbe longue et l'auréole. Le personnage du milieu a les mains jointes. A leurs pieds, un bas-relief, divisé en deux scènes, représente, en face de Rictiovare à cheval, la décapitation de saint Victoric et de saint Fuscien. Plus loin, ces deux mêmes Saints, portant leur tête dans leurs mains, vont rejoindre le corps inanimé de saint Gentien. Il y a, sous le tombeau, un trou dans lequel les pèlerins ont coutume de prendre de la terre qui a été jadis en contact avec les corps de ceux que les habitants du pays appellent nos trois saints Martyrs. Au portail Saint-Firmin de Notre-Dame d'Amiens, on voit saint Fuscien et saint Victoric, tenant leur tête dans leurs mains, et saint Gentien, vieillard à longue barbe, armé du glaive qu'il tira contre Rictiovare. Le support de sa statue, personnage imberbe tenant un coutelas, pourrait bien être le préfet Rictiovare. Jadis, il y avait ; dans les entre-colonnements du chevet du chœur de l'église de Saint-Quentin, six groupes de sculptures consacrés à l'histoire de nos saints Martyrs, et formant suite aux bas-reliefs de saint Firmin et de saint Jean-Baptiste. On y voyait saint Gentien donnant l'hospitalité aux deux Apôtres de la Morinie ; les divers supplices des deux missionnaires, leur décapitation, leur retour à Sains en portant leur tête dans leurs mains ; enfin, la découverte et la translation de leurs reliques. Ces groupes, exécutés en 1514 et 1551, aux frais de deux chanoines, ont été détruits pour faire place aux travaux de décoration, imaginés par M. de La Motte. On voit la statue de saint Victoric au portail amoureux de la Collégiale de Saint-Quentin. M. l'abbé Haigneré, dans sa notice sur Notre-Dame de Saint-Sang, mentionne la tradition qui attribue l'origine de ce sanctuaire à un oratoire bâti par saint Victoric, et cite le passage suivant d'un manuscrit de Dubuisson (XVIIIe siècle), conservé à la bibliothèque de Boulogne-sur-Mer : « Sur l'un des tableaux dont cette chapelle était décorée et qui en faisait le lambris, paraissait un vieillard, assis au pied d'un arbre, l'Évangile à la main, et environné d'une foule de peuples, auxquels il annonçait la parole de Dieu. La ville haute était d'un côté, avec la tour d'Ordre ; un ange, descendu du ciel, venait couronner de fleurs celui qui prêchait les merveilles de Jésus-Christ, et au pied du tableau était écrit : Sanctus Victoricus Christi fidem prædicasse Bononiensibus et ædiculam Deo hic erexisse traditur ; martyrio coronatus est Ambiani, anno CCCIII. Dans un Lectionnaire du XIIe siècle, provenant de l'abbaye de Corbie, une miniature, d'assez bon caractère, nous montre saint Gentien, vieillard à longue barbe, appuyé sur un bâton et sortant de sa maison pour offrir l'hospitalité à saint Fuscien et à saint Victoric. Les deux Apôtres sont nu-pieds et munis de longs hâtons de voyage. Un autre manuscrit de la même provenance, Collectaire du XVe siècle, figure saint Gentien à genoux, près de recevoir le coup d'épée du bourreau, tandis que saint Fuscien et saint Victoric, témoins de ce martyre, sont attachés chacun à un arbre. — Un exemplaire manuscrit de la Légende dorée représente les deux saints Martyrs, tenant leur tête dans leurs mains, et arrivant à la maison de Gentien, étendu mort sur le seuil de sa porte.

CULTE ET RELIQUES.

Le culte des saints Fuscien, Victoric et Gentien, est commun aux diocèses d'Amiens, de Soissons, d'Arras, d'Orléans et de Paris. Il était fort répandu dans les anciens diocèses de Thérouanne, de Boulogne et de Saint-Omer. La fête des trois Saints est inscrite dans presque tous les anciens bréviaires qui suivaient la liturgie parisienne. Ce ne fut qu'en 1776 que leur culte fut introduit dans le diocèse d'Ypres par l'évêque de Wavrans. Les trois martyrs sont honorés tout spécialement à Sains, à Saint-Fuscien et à Beaugency. L'évêque Robert de Fouilloy, en août 1318, à la suite d'une délibération capitulaire, érigea en double de première classe la fête des trois martyrs, et ordonna que, le 11 décembre, leur châsse serait portée processionnellement. En 1666, Fr. Faure supprima cette fête, chômée jusqu'alors avec vigile et jeûne, et la transféra au troisième dimanche de l'Avent. Pendant la terrible peste de 1665, qui fit vingt mille victimes à Amiens, on porta processionnellement les reliques des trois Saints avec les autres châsses de la cathédrale. L'église de Sains était jadis très fréquentée. Les pèlerins, qui s'y rendaient d'Amiens, avaient coutume de s'arrêter sur la colline qu'on appelle le Montjoie. Ils y formaient des monceaux de pierre, où ils plantaient de petites croix de bois, en réjouissance de ce que, du haut de cette éminence, ils apercevaient trois sanctuaires privilégiés, l'église de Sains, Saint-Pierre de Corbie et la cathédrale d'Amiens. L'introduction de la liturgie romaine a fait étendre à tout le diocèse, pour la fête de saint Fuscien, le rite double de deuxième classe, auparavant réservé au chapitre de la cathédrale. Outre la fête principale, qu'on désignait vulgairement sous le nom des Saints engelés, parce qu'on la célébrait en hiver, on faisait jadis, au 27 juin, la Saint-Fuscien d'été, c'est-a-dire la fête de l'Invention des reliques par saint Lupicin. Ou la trouve, sous le rite double, dans les anciens Bréviaires d'Amiens et de Corbie ; sous le rite semi-double, dans les Propres de Corbie et de Saint-Quentin. Dans la liturgie actuelle d'Amiens, on ne fait plus aucune mémoire de cette invention. En 1547, un autel fut dédié à saint Victorice (c'est le nom encore usité en Vermandois), dans l'église collégiale de Saint-Quentin. Saint Victoric avait cinq fêtes spéciales dans l'ancienne liturgie de Saint-Quentin : 12 janvier, Tumulation de saint Quentin, saint Victorice et saint Cassien, anniversaire du jour où ces trois corps saints furent réintégrés dis la crypte, en l'an 900, par Rambert, évêque de Noyon ; — 2 mai, Élévation des mêmes Saints, anniversaire du jour où ils furent tirés de la crypte, l'an 1228, pour être mis dans la nef ; — 19 mai, Avènement des reliques de saint Firmin, saint Fuscien, saint Victoric, saint Gentien, saint Honoré, etc., données en 893 par Otger ; — 2 septembre, seconde Élévation de saint Quentin, saint Victorice et saint Cassien, commémoration du 2 septembre 1257, époque où on plaça les châsses de ces Saints sur le grand autel ; — 30 octobre, fête de la Translation de saint Victorice d'Amiens, à Saint-Quentin, en 895. Les noms de Fuscien, Victoric et Gentien sont inscrits dans les anciennes litanies d'Amiens et de Corbie, et dans les plus vieux martyrologes. Contrairement à l'usage moderne, qui donne une sorte de primauté à saint Fuscien, le nom de saint Victoric est indiqué le premier dans les martyrologes de saint Jérôme, de Florus, d'Usuard, d'Adon et de Raban-Maur. Saint Fuscien est le patron de Berny-sur-Noye, Grand-Lavier, Saigneville et Wanel (Somme) ; de Lottinghem (Pas-de-Calais). Saint Gentien est le patron de Deniécourt (Somme), et de Pluherlin, dans l'arrondissement de Vannes (Morbihan). Saint Fuscien et saint Gentien sont les patrons de Morcourt. Saint Fuscien, saint Victoric et saint Gentien, réunis, sont les patrons de le Mesge, Pissy, Sains, Saleux-Salouel, Saint-Fuscien-aux-Bois (Somme) ; de Fléchel et de Frocourt (Oise). Ce n'est que depuis l'époque du Concordat qu'ils ne sont plus patrons secondaires de Beaugency. Une rue d'Amiens, ainsi qu'un village du canton de Sains, porte le nom de Saint-Fuscien. Nous allons grouper tout ce qui concerne les reliques de saint Fuscien, depuis leur invention jusqu'à nos jours : nous mentionnerons aussi celles de saint Victoric et de saint Gentien, quand il s'agira de faits corrélatifs aux trois martyrs ; mais nous parlerons ensuite séparément de ce qui regarde exclusivement saint Victoric ou saint Gentien depuis le IXe siècle. Le lieu de sépulture des trois martyrs resta longtemps ignoré, et ne fut révélé qu'en 555 par un prodige. Lupicin, prêtre de la ville d'Amiens, venait, après avoir récité l'office de nuit, de s'endormir dans un champ près d'Amiens, quand un ange lui apparut et lui dit : « Lève-toi et dirige-toi vers une crypte ombragée d'arbres que je te désignerai : c'est là que tu trouveras les corps de Gentien, de Fuscien et de Victoric ». Le vénérable prêtre, s'étant réveillé, s'arma d'un sarcloir, se rendit à l'endroit indiqué, creusa profondément la terre et découvrit les corps des trois martyrs. Aussitôt, il rendit grâces à Dieu et laissa éclater sa joie en hymnes d'allégresse. Le bruit de ses chants parvint miraculeusement aux oreilles de saint Honoré, évêque d'Amiens, qui célébrait alors le saint sacrifice de la messe, dans sa cathédrale, à cinq milles de Sains. Le fervent évêque était à la recherche de Lupicin, quand celui-ci vint le trouver et lui raconta l'heureuse découverte qu'il avait faite. Saint Honoré, suivi d'une foule de fidèles, se rendit processionnellement à l'endroit où gisaient les corps des saints martyrs, et d'où s'exhalait une suave odeur. Il offrit à ces reliques le tribut de vénération qui leur était dû, en remerciant le Seigneur d'avoir glorifié son épiscopat par un tel bienfait. La nouvelle de cette découverte étant parvenue rapidement aux oreilles de Childebert 1er, roi de France, il commanda à ses chapelains d’aller à Sains chercher ce précieux trésor ; mais ce fut en vain que ceux-ci voulurent exécuter cet ordre ; car lorsqu'en essaya d'enlever les corps saints, ils devinrent si pesants, qu'il fut impossible de les mouvoir. Childebert, instruit de ce fait, ordonna de réensevelir les corps saints à l'endroit même où on les avait découverts, et d'ériger une église sur leurs tombeaux. Ce fut à cette occasion que le roi fit don à l'église d'Amiens de la terre du Mesge, située dans l'Amiénois. De nombreux miracles s'accomplirent sur ce triple tombeau qui vit guérir des aveugles, des sourds, des muets, des paralytiques, des infirmes et des possédés. A l'époque où les Normands ravagèrent les environs d'Amiens, probablement vers l'an 859, en transporta les reliques des trois Saints, pour les mettre en sûreté, dans la cathédrale d'Amiens. Il est certain qu'elles y étaient en 865, puisqu'à cette époque, l'évêque Hilmerade donna une relique de saint Fuscien à l'abbaye de Saint-Riquier, sur la demande que lui en avait faite Odulphe, trésorier de ce monastère. En 1096, l'évêque Cervin adressa à Lambert de Guines, évêque d'Arras, la lettre suivante : « Dans la sainte église d'Amiens, confiée à notre faiblesse, on prépare, par les soins d'un de nos prêtres, une châsse d'or, d'argent et de pierreries, pour y mettre les reliques de saint Fuscien ; cette cérémonie aura lieu le jour de la Saint-Michel. Sachant que vous êtes agréable à Dieu et aux hommes par vos œuvres et vos doctrines, nous n'hésitons pas à venir vous demander votre aide et votre concours. Nous sommes persuadés que, laissant là toute affaire, vous accéderez à notre désir, et qu'ainsi vous réjouirez l'Église d'Amiens, en même temps que vous vous ménagerez la protection de notre glorieux martyr devant le trône de Dieu ». Il est à croire que Lambert se rendit à cette cérémonie, qui se fit le 29 septembre. Une seconde translation, dans une châsse en vermeil, eut lieu en 1175, sous l'épiscopat de Thibaut. Guillaume de Mâcon fit l'ouverture de cette châsse eu 1285. Eu 1628, alors qu'on répara le clocher doré de la cathédrale d'Amiens, le Chapitre fit mettre dans la boule qui est au-dessous de la croix, quelques reliques de nos trois Saints, contenues dans un cœur de bronze doré. Cet usage de déposer des reliques au sommet des clochers, pour les préserver de la foudre, remonte au moins au commencement du XIVe siècle : car, en 1302, on en mettait dans la boule du clocher de Saint-Pierre de Limoges, qui avait été frappé par la foudre. Le 12 juillet 1651, 1'évêque, Lefebvre de Caumartin donna la clavicule gauche de saint Fuscien à l'abbaye de Saint-Fuscien, sur la demande que lui en avait faite l'abbé de ce monastère, Charles d'Ailly. Le 12 mars 1363, Antoine Rogeau, curé de Sains, découvrit contre le pignon du sarcophage, mais en dehors, des reliques des trois Martyrs, renfermées dans trois boîtes, qui sans doute avaient été laissées là, à dessein, quand, au IXe siècle, on transféra les corps à la cathédrale d'Amiens. Mgr Faure fit la translation, dans une châsse provisoire, de ce précieux dépôt, le 27 juin 1664. Il vint tant de monde à Sains, de la Picardie, de l'Artois et de la Flandre, que les portes de l'église restaient ouvertes tout le long du jour, pour satisfaire la piété des pèlerins. Le 17 août de l'année suivante, ces reliques furent déposées dans une châsse d'argent, donnée par Pierre Le Billon, conseiller du roi en la cour d'Amiens. Ce fut l'origine d'une confrérie de Saint-Fuscien qui s'établit à Sains, dont les statuts furent imprimés en 1665 et à laquelle le pape Alexandre VII accorda des indulgences. En 1667, la châsse romane de la cathédrale fut restaurée, aux frais d'un paroissien de Saint-Firmin le Confesseur. Une relique de saint Fuscien, qui se trouvait à Paris, dans l'église Sainte-Aubierge, prés de l'Observatoire, fut portée, en 1700, à la cathédrale de Pamiers. Divers anciens inventaires mentionnent des reliques de nos trois Saints dans les abbayes de Saint-Vaast à Arras, de Saint-Bertin à Saint-Omer, aux Chartreux d'Abbeville, à la collégiale de Saint-Nicolas d'Amiens, etc. Les importantes reliques de saint Fuscien, jadis conservées à la cathédrale d'Amiens, ont été dispersées pendant la Révolution : on ignore ce qu'elles sont devenues. On en conserve de plus ou moins considérables à l'Hôtel-Dieu, à Saint-Jacques et au couvent des Clarisses d'Amiens ; à Berny (Ailly-sur-Noye), au Mesge (partie du bras), à Saleux et à Saint-Fuscien. Voici la liste des ossements vénérés dans l'église de Sains : trois fémurs, trois vertèbres cervicales, un cubitus, deux petites côtes, un côté du maxillaire, un radius, une apophyse, quelques fragments, et un tibia de saint Gentien, donné, en 1868, par M. Douillet, curé-doyen de Corbie. La majeure partie de ces reliques, qui avaient disparu à la Révolution, a été retrouvée, en 1868, par M. Messio, sous le marchepied du maître-autel. Les authentiques de 1664 et 1665 y étaient jointes.

L'abbaye de Notre-Dame de Beaugency (Loiret) prétendait posséder les chefs de nos trois Saints dans trois bustes d'argent. Une translation en fut faite, en 1259, par Philippe Berruyer, archevêque de Bourges, et Robert de Courtenay, évêque d'Orléans. Échappées en partie aux déprédations des Calvinistes, ces reliques, dit-on, furent sauvées, en 1793, par un habitant de Beaugency, et réintégrées plus tard dans l'église de Notre-Dame, devenue paroissiale, où elles sont, aujourd'hui encore, l'objet d'une grande vénération.

Il y a évidemment erreur dans l'attribution de ces reliques, en ce qui concerné saint Gentien, dont le chef fut conservé jusqu'à la Révolution à l'abbaye de Corbie, et aussi en ce qui concerne saint Victoric, dont le chef est encore aujourd'hui vénéré à l'église de Saint-Quentin. L'évêque Otger, en mémoire de ce qu'il avait été chanoine de la collégiale de Saint-Quentin, donna à cette église le corps de saint Victoric, dont il conserva toutefois plusieurs ossements. Cette translation eut lieu le 30 octobre 895. Trois niches furent creusées dans la crypte de la collégiale ; on mit le corps de l'apôtre du Vermandois dans celle du milieu, saint Victoric à sa droite et saint Cassien à sa gauche. Hébert, comte de Vermandois, donna à cette occasion sa terre de Sinceny, avec toutes ses dépendances, pour augmenter le luminaire de l'autel. Quelques années plus tard, la crainte des Normands fit transporter à Laon ces trois corps saints. Vers l'an 900, ils furent réintégrés dans la crypte par Rambert, évêque de Noyon. C'est ce souvenir qu'en célébrait à Saint-Quentin, le 12 janvier, par la fête de la Tumulation des corps de saint Quentin, saint Cassien et saint Victoric. Le 2 mai 1228, avant de travailler au chœur de l'église de Saint-Quentin, on tira de la crypte les corps de saint Quentin, de saint Victoric et de saint Cassien, et on les déposa provisoirement dans la nef. Le 2 septembre 1257, alors que l'église fut terminée, ces reliques furent mises dans des châsses par Thomas 1er de Beaumetz, archevêque de Reims, assisté de Gérard de Conchy et des autres évêques de la province, en présence de saint Louis et de ses fils. Au moyen âge, les habitants de Saint-Quentin désignaient les reliques de notre Saint sous le nom de char de saint Victoric, parce que le corps est, pour ainsi dire, la voiture de l'âme. A la Révolution, les reliques de saint Victorie furent heureusement soustraites à la profanation. Au mois de novembre 1793, elles furent enterrées, ainsi qu'un grand nombre d’autres reliques de l'église de Saint-Quentin, par deux serviteurs dévoués de la collégiale qui n'eurent que ce moyen de les sauver de la destruction dont elles étaient menacées. En août 1795, elles furent exhumées et reconnues en même temps que celles de saint Cassien, avec lesquelles elles avaient fié confondues. Actuellement, elles sont conservées dans deux belles châsses de bois doré qui se trouvent au-dessus de l'autel de la chapelle de la sainte Vierge. La majeure partie du crâne du saint Martyr est conservée à part dans une petite châsse de bois doré, de forme quadrangulaire, dont les vitres permettent d'apercevoir la relique. On y lit cette inscription : Restes du chef de saint Victoric, martyr. Deux parcelles de ce crâne ont été données à l'église de Saint-Fuscien. En 1651, les religieux de Corbie accordèrent quelques reliques de saint Victoric à l'abbaye de Saint-Fuscien. Des reliques de ce saint Martyr sont vénérées ». Sains, à Saint-Fuscien, à Braine et à Soissons. Francon, abbé de Corbie et frère d'Hermenfroi, comte d'Amiens, désirait vivement enrichir son monastère des reliques de saint Gentien, conservées à la cathédrale d'Amiens. Pour arriver à cette fin, il sut profiter de l'amitié que lui portait l'évêque Otger, et sollicita le corps de saint Gentien, comme un gage de leur affection mutuelle. Le prélat trouva que cette translation n'était point sans difficultés ; mais, quelque temps après, il engagea sa parole et la fit ratifier par les gardiens du trésor. Ce furent ces dociles approbateurs, gagnés déjà par Francon, que l'évêque chargea d'exécuter sa promesse, pendant qu'il s'absenterait de la ville. Au jour convenu, le 7 mai 893, vers le soir, Francon arriva à Amiens accompagné des religieux qui devaient transporter la châsse. Par mesure de précaution, il avait laissé sur la route un certain nombre d'habitants de Corbie, lesquels, au besoin, pouvaient lui prêter main-forte. Les moines s'introduisent furtivement dans l'église, grâce à la connivence des gardiens, s'emparent du trésor si ardemment convoité et rejoignent la troupe des Corbiois. Cependant l'aurore venait de paraître et les Amiénois avaient appris le rapt qu'on avait effectué. Animés d'une sainte colère, ils s'arment à la hâte et courent à la poursuite des ravisseurs. Les deux troupes se rencontrent et le sang allait couler, quand Dieu, dit un chroniqueur anonyme, enveloppa les deux partis d'un brouillard si épais que toute bataille devenait impossible. Les Amiénois se résignèrent alors à la volonté du très Haut, tandis que les Corbiois continuaient leur marche triomphale, en voyant grossir sans cesse autour d'eux le cortège d'honneur qui suivait les insignes reliques. Arrivés à Corbie, ils se rendirent processionnellement, avec toute la population, dans l'église de Saint-Pierre, où la châsse fut honorablement placée. Le chef de saint Gentien fut mis à part dans un reliquaire de vermeil en forme de ciboire. Chaque année, le curé et les marguilliers de Saint-Albin lui offraient un chapeau de roses. Les moines de Corbie, par reconnaissance, célébraient l'anniversaire de la mort d'Otger, le 1er août. En 1651, les religieux de Corbie accordèrent à l'abbaye de Saint-Fuscien un fragment du radius de saint Gentien. L'abbaye de Corbie, en 1658, donna une côte de saint Gentien et une partie de son chef au Chapitre de Saint-Florent de Roye, en échange d'une portion du chef de saint Florent. Le corps de saint Gentien est aujourd'hui conservé à l'église Saint-Pierre de Corbie. Quelques-unes de ses reliques sont vénérées à Saint-Vulfran d'Abbeville, à Sains (tibia), à Saint-Fuscien, au couvent des Frères de Saint-Joseph de cette localité, à l'église de Saint-Quentin et à Pluherlin (Morbihan).

Entrait de l'Hagiographie du diocèse d'Amiens, par M. l’abbé Corblet.

SAINT DAMASE D'ESPAGNE, PAPE

384. — Empereur d'Orient : Théodose le Grand.

Damasus vir egregius et eruditus in Scripturis. Damase est un personnage éminent, fort versé dans la connaissance des saintes Écritures. Saint Jérôme, Épître à Eustochium.

Si saint Jérôme a été heureux de trouver à Rome saint Damase, qui a su reconnaître son mérite et lui donner en cette ville des emplois convenables à sa piété et à son érudition, nous pouvons dire aussi que ce n'a pas été un petit avantage à saint Damase d'y recevoir ce grand docteur, qui a été l'admirateur de ses vertus et le grand héraut de ses louanges. On convient qu'il était espagnol, quoiqu'on ne sache pas précisément en quelle ville ni en quelle province il est né. Son père s'appelait Antoine ; il eut une sœur parfaitement belle et vertueuse, nommée Irène. Étant venu à Rome avec sa famille, il y entra dans les ordres sacrés, et, s'étant rendu par ses mérites un des plus considérables membres du clergé, il fut premièrement nonce apostolique auprès des empereurs Valens et Valentinien ; puis il exerça dans la ville même l'office de vicaire du souverain Pontife. Après la mort de Libérius, il fut élu en sa place à l'âge de soixante-deux ans. Ursin, ou Ursicin, diacre, homme turbulent et qui ambitionnait cette haute dignité, ne put souffrir eût été préféré. Aussi, ayant assemblé quelques clercs factieux, il se fit élire antipape et tâcha de se conserver par la violence un rang que le droit d'une élection canonique ne lui donnait pas. Dans ce tumulte, beaucoup de personnes furent tuées, et on trouva en un seul jour jusqu'à cent trente-sept corps étendus sur la place, sans néanmoins que saint Damase y eût contribué en aucune manière, parce qu'il était d'un esprit fort doux et qu'il aurait plutôt renoncé au souverain Pontificat que de se le conserver par les armes. L'empereur Valentinien, persuadé de son bon droit, envoya Prétextat à Rome pour en chasser Ursicin et ses adhérents, et le maintenir dans la paisible possession de son siège. Cette paix ne dura pas longtemps ; Ursicin eut permission de retourner à la ville, et, sa malice ne diminuant point par le temps, il eut l’âme assez noire pour faire accuser le saint Pontife d'adultère. Concordius et Calliste, diacres, furent les instruments de sa calomnie. Ils ouvrirent la bouche contre l'oint du Seigneur et ils lui imputèrent ce crime pour le faire juger indigne de la souveraine prélature qu'il occupait. Damase ne se troubla point de cette imposture ; il assembla à Rome un synode de quarante-quatre évêques, où il se justifia si parfaitement, que ses accusateurs furent excommuniés et chassés de la ville, et qu'on décréta que, dans la suite, ceux qui accuseraient injustement quelqu'un seraient sujets à la peine du talion. Les schismatiques ne laissèrent pas de le persécuter pendant tout le reste de son Pontificat ; mais leurs traverses ne l'empêchèrent point de s'acquitter dignement de sa charge et de combattre perpétuellement les hérétiques. Il convoqua pour cela divers conciles dans la même ville : l'un en 369, où il fit condamner les décrets du faux concile de Rimini et déposer Auxence, évêque de Milan, grand fauteur de l'Arianisme, lequel, néanmoins, se maintint toujours dans son siège par la faveur de l'empereur Valentinien l'aîné, dont il avait su gagner l'esprit par flatterie ; l'autre, en 373, contre un grand nombre d'hérésies qui infectaient l'Orient ; surtout contre celle d'Apollinaire, qui renfermait une infinité d'extravagances, entre autres, que Jésus-Christ n'avait point d'âme ou du moins d'entendement, mais que le Verbe, uni à ce corps, lui tenait lieu de ces parties essentielles de l'homme ; que sa chair venait du ciel et n'avait fait que passer, par le sein de Marie comme par un canal ; le troisième, en 332, pour remédier au schisme qui affligeait depuis longtemps l'Église d'Antioche. De plus, il en fit tenir un à Aquilée, en 381, où, en une seule session, qui dura depuis une heure après midi jusqu'à sept heures du soir, Pallade et Secondien, évêques d'Illyrie, furent convaincus d'hérésie, confondus dans la discussion et condamnés comme coupables des blasphèmes d'Arius. Il envoya aussi à Constantinople le célèbre saint Zénobe, depuis évêque de Florence, pour consoler les fidèles cruellement persécutés par l'empereur Valens, qui s'était déclaré pour l'Arianisme. Enfin, ce fût par son autorité qu'en la même année 381 et en la même ville, se tint le second concile général de l'Église, composé de cent cinquante évêques d'Orient, où Arius et Macédonius furent condamnés, et où la foi orthodoxe, que la cruauté de ce prince semblait avoir éteinte et réduite au tombeau, fut heureusement ressuscitée. Damase le confirma et le reçut, en ce qui touchait la doctrine, comme une des règles de la foi : ce qui lui a donné le nom et la force de concile œcuménique, quoiqu'en effet les évêques d'Occident n'y fussent pas, et qu'il ne s'y fût trouvé qu'un assez petit nombre de ceux de l'Église grecque. Outre le soin et la diligence qu'apporta ce généreux Pontife à bannir les hérésies de toute la terre, il s'étudia aussi à retrancher les abus qui s'étaient glissés dans l'Église. Entre les épîtres qui lui sont attribuées dans la collection des conciles, il y en a une aux évêques d'Afrique, où, après avoir établi la primauté du Saint-Siège, il fait de très sages constitutions, principalement touchant les accusations des clercs et des évêques, dont quelques-unes ont été insérées dans le corps du droit canon. Il y en a une autre aux évêques de Numidie, où il condamne l'usurpation des chorévèques, lesquels, n'étant que simples prêtres, et n'ayant pas reçu la consécration épiscopale, ne laissaient pas de s'attribuer le droit d'ordonner des prêtres et des ministres, de bénir les religieuses, de consacrer les églises, de faire le saint Chrême, de conférer la confirmation et de réconcilier publiquement les pénitents : ce qui n'appartient qu'aux véritables évêques 1. D’ailleurs, il régla la psalmodie et fit chanter en Occident les psaumes de David, selon la correction des Septante, que saint Jérôme avait faite par son ordre. Il introduisit aussi la coutume de dire Alléluia dans l'église hors le temps de Pâques, au lieu qu'auparavant on ne le disait à Rome qu'en ce temps de réjouissance extraordinaire. Il bâtit deux églises dans la ville : l'une de Saint-Laurent, auprès du théâtre de Pompée, l'autre sur la voie Ardéatine. Il orna le lieu où les bienheureux apôtres saint Pierre et saint Paul avaient longtemps reposé, et que l'on appelait la Platonie. Il trouva plusieurs corps saints et les fit mettre dans des tombeaux honorables, autour desquels il fit graver des vers qui faisaient mention de leurs triomphes. Il fit aussi construire un baptistère magnifique, dont le poète Prudence fait une riche description dans la huitième de ses hymnes. En cinq ordinations qu'il célébra, selon la coutume, au mois de décembre, il créa trente et un prêtres, deux diacres et soixante-deux évêques. Enfin, après avoir gouverné saintement l'Église au milieu de tant de tribulations, dix-huit ans, deux mois et dix jours, il fut, appelé au ciel pour recevoir la récompense de ses travaux, le 11 décembre 381. Dieu le rendit illustre par plusieurs miracles ; car à son invocation des malades furent guéris et des énergumènes délivrés des démons qui les possédaient. Il avait aussi, pendant sa vie, rendu la vue à un aveugle qui l'avait perdue depuis treize ans.

1. Il y avait dans la bibliothèque de Sorbonne à Paris, un beau manuscrit intitulé Collectio Canonum, lequel fut copié on 1009, par l'ordre de Heimon, évêque de Verdun. On y trouve le catalogue des livres de l’Écriture sainte, publié par le pape Damase Voici ce qu'on y lit : CONCILLIUM URBIS ROMÆ SUB DAMASO Nunc vero de Scripturis divinis agendum, est quid unisersalis Ecclesia catholica recipiat, vel quid Vitare debeat. Genesis I, I, etc. Esdræ I, II. Salomonis I, III. Esther I, I. Proverbiorum I. I. Judith I, I. Ecclesiastes I, I. Machabæorum 1, II. Cantica Canticorum I, I. Item ordo scripturarum Novi Testamenti quas Item Sapientiæ I, I. sancta catholica suscipit et veneratur Ecclesia. Ecclesiastieus I. I. S. Pauli epistolæ XIV. Prophetarum, etc. Jacobi apostoli ep. I. Htstoriarum. Alterins Joannis presbyteri ep, ». Job, I, I. Judæ Zelotis epistola I, etc. Tobiæ I, I. On voit, par ce décret de Damase, que les livres deutérocanoniques étaient reçus de l'Église romaine et de l'Église Universelle, quoique des églises particulières eussent encore des doutes sur quelques-uns de ces livres. Dans le même manuscrit est 1° le canon d'Innocent III, qui donne le même catalogue des livres canoniques, lequel a été copié par le concile de Trente ; 2° le canon du concile de Carthage qui met au nombre des livres de l'Écriture sainte, Daniel, Tobie, Esther, deux livres d'Esdras, deux épîtres de saint Pierre, trois épîtres de saint Jean.

Les Pères de l'Église lui ont donné de grands éloges. Saint Ambroise dit qu'il fut élu par un coup du ciel. Saint Jérôme témoigne qu'il était demeuré vierge ; ce qui montre encore plus la malice des schismatiques, qui ne craignirent point de l'accuser d'adultère. Théodoret assure qu'il avait mérité le nom d'homme admirable. Enfin, le même saint Jérôme, qui lui avait servi de secrétaire, le met au nombre des écrivains ecclésiastiques. Son corps fut d'abord déposé près du tombeau de sa mère et de sa sœur, dans la basilique élevée par lui sur la voie Ardéatine. Plus tard, vers l'époque d'Adrien 1er (772-795), ses reliques furent transférées dans celle de Saint-Laurent in Damaso, à l'intérieur de la ville. Elles y reposent encore aujourd'hui sous le maître-autel, à l'exception du chef du bienheureux Pape, qui est conservé à Saint-Pierre de Rome. On représente saint Damase : 1° tenant un écrit sur lequel se lisent ces paroles : Gloria Patri et Filio, etc., parce qu'il a établi dans l'Église l'usage de terminer tous les psaumes par cette doxologie ; 2° ayant, près de lui un portail d'église, qu'il montre comme pour en prendre possession, ou pour indiquer qu'il en est le fondateur.

LE PAPE SAINT DAMASE ET LES CATACOMBES.

Jusqu'à nos temps, on ne connaissait, de la sollicitude et de la dévotion de saint Damase pour les reliques des martyrs, que les Carmina ou Inscriptiones attribués à ce Pape et recueillis, au nombre de trente-sept, probablement par les pèlerins du Ve ou du VIe siècle, qui les transcrivirent pour la satisfaction de leur piété personnelle sur les monuments catacombaires. Encore devons-nous ajouter que la critique se montrait assez difficile sur leur authenticité. Mais, de nos jours, l'étude des catacombes a singulièrement modifié la question. Les travaux de saint Damase dans nos hypogées chrétiens, dit M. de Rossi, ne furent pas seulement partiels, et ne se localisèrent pas sur un point déterminé, ils s'étendirent à toute la Rome souterraine. Son nom se retrouve dans chacune des catacombes, sur le tombeau de tous les martyrs illustres. Les constructions pour l'ornement ou pour la solidité, les escaliers de marbre ménagés dans chaque crypte insigne, portent tous l'empreinte de sa pieuse main. C'est à sa haute intelligence que nous devons la conservation des hypogées chrétiens, parce que c'est lui qui fit abandonner le système vicieux adopté pour la construction des basiliques Constantiniennes. Ce système consistait à raser les étages superposés d'une catacombe jusqu'à ce qu'on fût arrivé au niveau de la crypte inférieure, où d'ordinaire se trouvait la sépulture des martyrs les plus illustres. On dégageait ainsi une tombe principale, sur laquelle s'élevait un édifiée somptueux ; mais il avait fallu sacrifier un nombre immense d'autres loculi pour arriver à ce résultat. Damase comprit que, si les reliques des martyres ont droit à notre culte, la tombe des simples fidèles doit être aussi l'objet d'un respect inviolable. Les lors, il étendit sa sollicitude pontificale à tout l'ensemble des monuments chrétiens de l'âge héroïque. Les trésors que la piété des matrones mettait à sa disposition, et que lui reprochait la jalousie païenne d'Ammien Marcellin, il les consacrait non pas à la satisfaction de son luxe personnel, mais à la décoration des lieux sanctifiés par la présence des martyrs. Le luxe de saint Damase nous est aujourd'hui connu. Il éclate à nos regards dans la magnificence des caractères paléographiques qui portent son nom. Damase, dit encore M. de Rossi, ne se borna point à composer les éloges et les inscriptions tumulaires des catacombes. Il voulut qu'à la pompe du langage répondit la beauté de la calligraphie. Les archéologues ont déjà remarqué depuis longtemps que les poèmes de ce Pape sont gravés sur le marbre en caractères admirables, connus aujourd'hui sous la désignation spéciale de Damasiens. M. de Rossi a retrouvé le nom du calligraphe lapidaire qui exécutait ces chefs-d’œuvre, sous les ordres du saint Pape. L'humble et habile sculpteur nous a révélé sa personnalité maintenant glorieuse, par une souscription en menus caractères disposés, ou plutôt dissimulés, à la marge d'une inscription monumentale. Elle est ainsi conçue : SCRIBSIT FVRIVS DIONYSIVS FILOCALVS DAMASI SVI PAPÆ CVLTOR ATQUE AMATOR. Le nom de Furius Dionysius Philocalus, ainsi restitué à l'histoire, demeurera désormais inséparable de celui de Damase que le pieux artiste appelle son Pape, et pour lequel il proclame une si haute vénération. A un autre titre, le calligraphe du IVe siècle nous intéresse encore. M. de Rossi a, en effet, acquis la preuve que Philocalus rédigea le catalogue des souverains Pontifes, connu jusqu'ici sons le titre de Libérien, parce qu'il s'arrête à la mention du pape Libérius. Cette importante découverte confirme, d'une part, l'authenticité des notices du Liber Pontificalis ; de l'autre, elle corrobore la tradition qui attribuait à saint Damase une vie aujourd'hui perdue des Papes ses prédécesseurs. C'est donc à juste titre, ajoute M. de Rossi, que le nom de Damase domine toute l'histoire monumentale de l'Église romaine, pendant le premier âge de la paix. Son pontificat clôt réellement l'ère des catacombes. On sait que, par un sentiment d'admirable humilité, ce grand Pontife ne voulut point choisir sa sépulture au milieu des tombes des martyrs dont il avait si religieusement fait décorer les monuments. « Je l'avoue », dit-il, « j'aurais ardemment souhaité ce bonheur ; mais j'ai craint de profaner le lieu auguste où reposent les Saints ». Après un tel scrupule, si modestement exprimé par un grand Pape, par un thaumaturge et un Saint, on comprend que les sépultures dans les catacombes devinrent fort rares. Elles ne furent plus autorisées que dans des circonstances exceptionnelles.

Nous avons revu et complété le récit du Père Giry avec l'Histoire de l’Église, par l'abbé Darras.

SAINT DANIEL DE MARATHA,

STYLITE A CONSTANTINOPLE 489. — Pape : Saint Félix III. — Empereur d'Orient : Zénon.

Si nosmetipsos propria severitate distringimus, sententiam futuri judicii prævenimus. Si nous nous châtions nous-mêmes par des austérités volontaires, nous prévenons la sentence du jugement à venir. Saint Césaire d'Arles, Homélies.

Non loin de Constantinople et de la cour où, vers la fin du Ve siècle, les Grecs et les Barbares se trahissaient et s'égorgeaient pour monter sur le trône ou y rester, s'élevait sur une colonne un nouveau Siméon, un nouveau prodige de l'abnégation et de la pénitence chrétienne, comme pour condamner de plus haut et de plus près les désordres de la cour et de la ville. C'était saint Daniel Stylite. Il était natif du bourg de Maratha, près de Samosate. A l’âge de douze ans, il se retira dans un monastère voisin. Longtemps après, son abbé, allant à Antioche pour les affaires de l'Église, lui dit de l'accompagner. Ils passèrent par le bourg de Télanisse, et allèrent voir saint Siméon sur sa colonne. Ce Saint permit à Daniel de monter auprès de lui, lui donna sa bénédiction, et lui prédit qu'il souffrirait beaucoup pour Jésus-Christ. L'abbé étant mort, les moines voulurent mettre Daniel à sa place ; mais il prit la fuite et retourna auprès de Siméon. Quand il eut demeuré quatorze jours dans le monastère près de la colonne, il entreprit le pèlerinage de la Terre Sainte. Mais Siméon lui apparut en chemin, et lui ordonna d'aller à Constantinople. Il obéit, et passa sept ,jours dans l'église de Saint-Michel, hors des murs de la ville. De là, il alla s'établir dans un vieux temple d'idoles, infesté par les démons ; il les en chassa par le signe de la croix et la prière, et y demeura neuf ans. Quelques clercs de l'église de Constantinople voulurent l'inquiéter ; mais il fut protégé par l'évêque Anatolius: et l'évêque étant tombé dangereusement malade, Daniel le guérit, et lui demanda pour toute récompense, le pardon de ceux qui l'avaient calomnié. Saint Siméon Stylite avait envoyé son disciple Sergius porter à l'empereur son habillement de fête. N'ayant pu avoir accès auprès du prince, il alla trouver Daniel, dont, il avait ouï dire de grandes choses, et lui remit le présent qu'il portait à l'empereur. Cette circonstance jointe à une révélation qu'eut Sergius à cet égard, lui fit prendre la résolution de monter lui-même sur une colonne. A sa demande, Sergius lui choisit pour le lieu de sa retraite une montagne solitaire peu éloignée, vers l'embouchure du Pont-Euxin : elle était à quatre milles de la mer, et à sept de Constantinople, du côté du Nord. Un des amis de Daniel y fit construire deux colonnes unies ensemble par des barres de fer, qui n'en formaient qu'une. On mit au-dessus une autre colonne plus petite, au haut de laquelle était une espèce de tonneau, environné d'une balustrade. C'était là qu'il demeurait. La situation du pays, sujet à de grands vents et à des froids très rudes, rendait sa pénitence encore plus étonnante que celle de saint Siméon. Il y eut un hiver où les vents pensèrent l'emporter ; ils le dépouillèrent de tous ses habits, et il demeura immobile et transi de froid. Ses disciples montèrent à la colonne, et, avec des éponges, lui appliquèrent de l'eau chaude pour le dégeler. Il ne quitta pas pour cela sa colonne, et ne laissa pas d'y vivre jusqu'à l'âge de quatre-vingts ans. Sans en descendre, il fut ordonné prêtre, à la prière de l'empereur, par Gennade, évêque de Constantinople, qui, ayant fait en bas les prières, monta sur la colonne pour achever la cérémonie et lui donna la communion. Depuis cette époque il célébrait les saints mystères sur sa colonne même. Il obtint, par ses prières, un fils à l'empereur Léon, qui le visitait souvent et lui portait un grand respect. Le Saint en profitait pour lui donner des instructions salutaires, pour l'exhorter surtout à pardonner avec facilité, et à combattre la dureté qui lui était naturelle. Ce prince fit bâtir près de la colonne de Daniel un petit monastère pour ses disciples, et un hospice pour ceux qui venaient le voir, avec un oratoire pour mettre les reliques de saint Siméon, que Daniel avait fait venir d'Antioche. L'an 465, il y eut à Constantinople un incendie terrible, qui consuma huit de ses quartiers. Daniel l'avait prédit, et avait conseillé au patriarche et à l'empereur de le prévenir en faisant deux fois la semaine des prières publiques ; mais on ne l'avait pas cru. L'événement en fit souvenir, et le peuple courut en grande hâte vers sa colonne. L'un se plaignait d'avoir perdu sa maison, l'autre ses biens, ses amis, sa femme, ses enfants. Le Saint, touché de leurs afflictions, fondait en larmes, et leur conseillait de s'appliquer à la prière et au jeûne. Il étendit les mains vers le ciel, et pria pour eux ; puis il les renvoya, disant que l'incendie finirait au bout de sept jours : ce qui arriva. Alors l'empereur vint avec l'impératrice le prier de demander à Dieu de leur pardonner le passé, et de les mettre en sûreté pour l'avenir. Gobazès, roi des Lazes dans la Colchide, étant venu renouveler son alliance avec les Romains, l'empereur le mena voir Daniel, comme le miracle de son empire. Le roi barbare se prosterna avec larmes devant la colonne, et le Saint fut l'arbitre du traité entre ces deux princes. Gobazès étant de retour chez lui, y racontait cette merveille, et n'envoyait jamais à Constantinople, qu'il n'écrivît à Daniel pour se recommander à ses prières. Il lui fit même bâtir une troisième colonne plus haute, à côté des deux autres, pour le mettre un peu à l'abri dans les temps orageux. Daniel consentit enfin aux instances que lui fit l'empereur Léon, de laisser couvrir d'un toit le haut de sa colonne. Ce prince avait à son service un seigneur barbare nommé Edrane, toujours nourri dans la guerre et le carnage, et qui commandait quelques troupes de sa nation. Le voyant très brave, il lui avait donné la charge de connétable avec la titre de Comte. Comme l'empereur envoyait toutes les personnes considérables voir Daniel et recevoir sa bénédiction, il y envoya aussi Edrane. Ce barbare fut si touché des instructions que lui donna le Saint et de l'exemple de sa vie, qu'il résolut à l'heure même de quitter tout et d'embrasser l'état monastique. Il fit assembler tous les siens, leur représenta la vanité de toutes les choses de la terre, et combien il était indigne de voir des hommes répandre le sang des hommes ; que, pour lui, il était résolu de ne plus servir que Jésus-Christ, et de ne plus travailler que pour le salut de son âme ; qu'il les exhortait tous à le suivre, mais que ceux qui ne le voudraient pas, pouvaient se retirer où il leur plairait. Ce discours toucha deux barbares, qui n'avaient jamais entendu parler de Jésus-Christ. Les autres se contentèrent de l'argent qu'il leur donna et se retirèrent. Edrane, ainsi libre de tout, reçut l'habit monastique des mains de Daniel, avec les deux barbares qui l'avaient suivi, et changea son ancien nom en celui de Tite. L'empereur fut fâché de sa résolution, et lui en fit faire des reproches ; mais rien ne put l'ébranler. Bientôt même l’empereur finit par estimer ce qu'il avait condamné d'abord, et, quand il visitait Daniel, il allait aussi voir Tite, et recevait avec joie ses instructions. Daniel, sur sa colonne, était ainsi une prédication continuelle et pour les Grecs et pour les Barbares. Saint Daniel Stylite mourut sur sa colonne, le 11 décembre vers l'an 489, après avoir fait plusieurs miracles, et prédit plusieurs révolutions politiques qui s'accomplirent de son temps. Comme pour saint Siméon et saint Walfroy, la colonne est l'attribut caractéristique de saint Daniel Stylite.

Rohrbacher, Vie des Saints ; Père Cahier, Caractéristiques des Saints.

Vies de saints
Auteur : Mgr Paul Guérin, camérier de S.S. Pie IX
Source : D'après les Bollandistes, le Père Giry, Surius, Ribadeneira, Godescard, les propres des diocèses et les travaux hagiographiques publiés à l'époque.
Date de publication originale : 1878

Résumé : Tome XIV
Difficulté de lecture : ♦ Facile
Remarque particulière : 7ème édition, revue et corrigée
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