Le jeûne de Jésus : Différence entre versions

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  | thème                        = Prière chrétiennes
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  | thème                        = Texte de méditation
 
  | auteur                        = fr. Pierre-Thomas DEHAU, O.P.
 
  | auteur                        = fr. Pierre-Thomas DEHAU, O.P.
 
  | source                        = In La vie Spirituelle n°305
 
  | source                        = In La vie Spirituelle n°305

Version actuelle datée du 22 mars 2011 à 09:22

Texte de méditation
Auteur : fr. Pierre-Thomas DEHAU, O.P.
Source : In La vie Spirituelle n°305
Date de publication originale : Mars 1946

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen

Comme le remarque saint Jean Chrysostome, Notre ­Seigneur n'avait aucun besoin pour lui-même de ce jeûne, de quarante jours. Ce n'est que pour nous instruire qu'il a voulu ce jeûne si long et si sévère, c'est pour nous enseigner quel bien précieux nous trou­vons dans le jeûne, quelle force et quel bouclier contre les assauts de l'ennemi. Cela nous avons besoin de l'apprendre, nous surtout, modernes, qui comprenons si peu et méconnaissons d'ordinaire si foncièrement les bienfaits de ces austérités en elles-mêmes, et surtout la sagesse maternelle de l'Eglise quand elle nous les impose par certains de ses préceptes. Les paroles de Chrysostome sont donc encore infiniment plus actuel­les en notre temps que dans le sien.

Le jeûne est d'abord un bienfait pour tout chrétien. Saint Thomas nous donne ailleurs les grandes raisons qui incitent au jeûne. Premièrement, il comprime les concupiscences de la chair. Par le jeûne, la chasteté est protégée, défendue et conservée. Deuxièmement, par lui, l'esprit est purifié, il s'élève plus librement vers les objets sublimes de la contemplation ; c'est après le jeûné, et en vertu de cette purification, que Daniel reçoit les révélations de Dieu. Troisièmement enfin, grâce à lui on satisfait pour le péché. La dette morale du péché disparaît en même temps que le péché est attaqué et vaincu dans ce qu'on peut appeler ses atta­ches et ses racines physiques ; c'est pourquoi le jeûne fait comme partie intégrante de la conversion, selon le mot du Seigneur dans le prophète Joël : Convertissez­ vous à moi de tout votre cœur, dans le jeûne et les larmes. Ces trois raisons de saint Thomas nous montrent excellemment le rôle guérisseur total du jeûne. Il pourrait dire lui-même aussi ; j'ai guéri l'homme tout entier, « a totum hominem sanum feci ». La pre­mière raison nous le montre guérissant la chair et la seconde guérissant l'esprit, donc tout le malade ; la troisième proclame son triomphe sur la maladie elle ­même qui est le péché. Saint Augustin a magnifique­ment chanté toutes les péripéties et tous les aspects de cette victoire : « le jeûne purifie l'esprit, élève les sens, soumet la chair à l'esprit, rend le cœur contrit et humilié, disperse les brumes de la concupiscence, éteint l'ardeur des passions, allume pour ainsi dire et fait briller la splendeur de la chasteté ».

Tâchons de bien saisir et de bien fixer dans sa pré­cision cette notion authentique de l'austérité, en nous garant de toutes les exagérations. L'austérité est un moyen, elle n'est pas le but. Elle est un remède pour ces malades que nous sommes et restons toujours. Elle n'est pas bonne en elle-même, elle ne peut avoir qu'une bonté utile, donc mesurée par la fin d'abord, et aussi par les circonstances. Notre appréciation et les applications que nous aurons à en faire dépen­dront nécessairement de beaucoup d'éléments, faute de quoi les imprudences seraient faciles. L'obéissance est ici le plus souvent le guide, et parfois le garde-fou. On voit combien notre concept si nuancé diffère de certaines notions brutales et grossières, que nous retrouverions dans l'ascèse de beaucoup de fausses religions et même, osons le dire, dans certaines aber­rations dont des chrétiens n'ont pas su toujours se préserver suffisamment. Il faut savoir les en excuser en partie, et c'est facile quand on est pénétré de l'ex­trême délicatesse pratique des jugements et des appli­cations en pareille matière ! Des indiscrétions de toutes sorte ont pu aboutir à d'imprévisibles déviations, surtout en Orient, à des formes plus ou moins étranges où l'austérité semble empiéter et, du domaine des moyens dont elle ne devrait jamais dépasser les fron­tières, envahir celui de la fin. Il faudrait relire dans Cassien les recommandations qu'il développe avec tant de sagesse.

D'ailleurs les exagérations sur ce point ne prouvent rien. Jésus a tout ramené d'avance à la juste mesure et fait la part de toutes choses. Il a donné à l'austé­rité les quarante jours du désert ; en ce lieu et pendant ce temps, il va jusqu'au bout de la générosité, comme toujours et en tout, comme il va jusqu'au bout de l'amour, in finem dilexit. Puis il se replonge dans la vie commune de tous et démontre, par le fait même qu'il a mené ces deux vies, que l'une et l'autre sont licites et louables, « utraque licita et laudabilis ». Saint Jean, Chrysostome fait remarquer tous les aspects du grand enseignement que Jésus nous donne par son jeûne au désert : il contient la leçon d'austérité que nous avons développée, il contient aussi une leçon non moins nécessaire pour nous, de discrétion dans les exemples qu'à notre tour nous prétendons donner aux autres ou même que nous leur donnons par devoir. Nous y regardons à tant de fois avant de nous jeter dans les eaux salutaires de la pénitence et quand nous y- sommes bien immergés, nous avons souvent toutes les peines du monde à garder la juste mesure et à nous arrêter à temps. Nous qui avons pu commencer en éton­nant et scandalisant par défaut, si l'on peut dire, finis­sons parfois en déroutant les autres par excès. Nous ressemblons à ces mécanismes défectueux qu'on a au­tant de peine à mettre en mouvement quand il le faut qu'à arrêter à temps. Ceux qui sont généreux et qui savent procurer l'édification d'un bon départ ne savent pas toujours la compléter par celle de la modération nécessaire et de la ponctualité dans l'arrêt. Notre Seigneur nous donne ici un exemple parfait et complet. Les baptisés, sous prétexte qu'ils ont été purifiés et divinisés par la grâce, ne doivent pas se targuer de leur baptême pour se dispenser du jeûne Jésus était Dieu et son jeûne vient après son baptême. Ce jeûne très dur, Jésus d'autre part ne le prolonge pas plus que ne l'avaient fait Moïse et Elie qui n'étaient que des hommes ; pour que l'exemple divin reste en même temps humain, il ne faudrait pas, en effet, que les hommes tâchent d'expliquer par un secours spécial de la divinité de Jésus, un jeûne qui serait trop au-dessus des forces humaines : ce serait encore un bon moyen d'échapper à la leçon qui nous est donnée ! L'exemple de Jésus est parfaitement adéquat, parfai­tement applicable ; il en le modèle de ceux que nous devons nous efforcer de donner aux autres, en nous tenant toujours aussi loin de 1a lâcheté que de l'indis­crétion, toutes deux si naturelles à notre pauvre huma­nité.

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