La charité et les béatitudes : Différence entre versions
De Salve Regina
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− | La perfection chrétienne, selon le témoignage de l’Évangile et des Épîtres, consiste spécialement dans la charité qui nous unit à Dieu | + | == Introduction == |
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+ | La perfection chrétienne, selon le témoignage de l’Évangile et des Épîtres, consiste spécialement dans la charité qui nous unit à Dieu<ref>Cf. S. Thomas, IIa IIae, q. 184, a. 1.</ref>. Cette vertu correspond au précepte suprême, celui de l’amour de Dieu ; il est dit aussi : « Celui qui demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu en lui<ref>I Joan., IV, 16.</ref>. » « Surtout revêtez-vous de la charité, qui est le lien de la perfection<ref>Col., III, 14.</ref>. » | ||
Des théologiens se sont demandé si pour la perfection proprement dite, non pas celle des commençants ou des progressants, mais celle qui caractérise la voie unitive, il faut une grande charité, ou si elle peut être obtenue sans un degré élevé de cette vertu. | Des théologiens se sont demandé si pour la perfection proprement dite, non pas celle des commençants ou des progressants, mais celle qui caractérise la voie unitive, il faut une grande charité, ou si elle peut être obtenue sans un degré élevé de cette vertu. | ||
− | Quelques auteurs | + | Quelques auteurs<ref>Parmi eux il faut citer Suarez, de Statu perfectionis, 1. 1, c. 4, n° 11, 12, 20. |
− | La majorité des théologiens répond au contraire que la perfection proprement dite ne s’obtient qu’après un long exercice des vertus acquises et infuses, exercice par lequel leur intensité s’accroît | + | Cette opinion a été invoquée par quelques-uns de ceux qui ne veulent point admettre que la perfection chrétienne requiert une grande charité et les dons du Saint-Esprit à un degré proportionné, en d’autres termes que la contemplation infuse, qui procède de la foi vive éclairée par les dons, est dans la voie normale de la sainteté et comme le prélude normal de la vision béatifique.</ref> ont prétendu qu’un haut degré de charité n’est pas nécessaire à la perfection proprement dite, parce que, selon le témoignage de saint Thomas, « la charité même à un degré inférieur peut vaincre toutes lés tentations<ref>Cf. III Sent., d. 31, q. 1, a. 3, et IIIa, q. 62, a. 6, ad 3.</ref> ». |
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+ | La majorité des théologiens répond au contraire que la perfection proprement dite ne s’obtient qu’après un long exercice des vertus acquises et infuses, exercice par lequel leur intensité s’accroît<ref>Cf. S. Thomas, IIa IIae, q. 24, a. 9.</ref>. Le parfait, avant d’arriver à l’état où il se trouve, a dû être un commençant, puis un progressant. Et chez lui, non seulement la charité peut vaincre bien des tentations, mais elle a triomphé de fait de beaucoup, et par là elle a notablement augmenté. On ne conçoit donc pas la perfection chrétienne proprement dite, celle de la voie unitive, sans une haute charité<ref>IIa IIae, q. 184, a. 3.</ref>. | ||
Si on lisait le contraire dans les œuvres d’un saint Jean de la Croix, par exemple, on croirait rêver, et l’on penserait qu’il y a eu là une erreur d’impression. Il parait tout à fait certain que de même que pour l’âge adulte il faut une force physique supérieure à celle de l’enfance (bien que, accidentellement, certains adolescents particulièrement vigoureux soient plus forts que certains adultes), il faut aussi pour l’état des parfaits une charité plus haute que pour celui des commençants (bien que, accidentellement, certains saints à leurs débuts aient une charité plus grande que certains parfaits déjà avancés en âge). | Si on lisait le contraire dans les œuvres d’un saint Jean de la Croix, par exemple, on croirait rêver, et l’on penserait qu’il y a eu là une erreur d’impression. Il parait tout à fait certain que de même que pour l’âge adulte il faut une force physique supérieure à celle de l’enfance (bien que, accidentellement, certains adolescents particulièrement vigoureux soient plus forts que certains adultes), il faut aussi pour l’état des parfaits une charité plus haute que pour celui des commençants (bien que, accidentellement, certains saints à leurs débuts aient une charité plus grande que certains parfaits déjà avancés en âge). | ||
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Les moyens sont à l’encontre de ce que nous disent les maximes de la sagesse du monde, qui propose un tout autre but. | Les moyens sont à l’encontre de ce que nous disent les maximes de la sagesse du monde, qui propose un tout autre but. | ||
− | L’ordre de ces huit béatitudes est admirablement expliqué par saint Augustin et saint Thomas, c’est un ordre ascendant, inverse de celui du Pater qui descend de la considération de la gloire de Dieu à celle de nos besoins personnels et de notre pain quotidien. – Les trois premières béatitudes disent le bonheur qui se trouve dans la fuite et la délivrance du péché, dans la pauvreté acceptée par amour de Dieu, dans la douceur et dans les larmes de la contrition. – Les deux béatitudes suivantes sont celles de la vie active du chrétien : elles répondent à la soif de la justice et à la miséricorde exercée à l’égard du prochain. – Viennent ensuite celles de la contemplation des mystères de Dieu : la pureté du cœur qui dispose à voir Dieu, et la paix qui dérive de la vraie sagesse. – Enfin la dernière et la plus parfaite des béatitudes est celle qui réunit les précédentes au milieu même de la persécution subie pour la justice, ce sont les dernières épreuves, condition de la sainteté | + | L’ordre de ces huit béatitudes est admirablement expliqué par saint Augustin et saint Thomas, c’est un ordre ascendant, inverse de celui du Pater qui descend de la considération de la gloire de Dieu à celle de nos besoins personnels et de notre pain quotidien. – Les trois premières béatitudes disent le bonheur qui se trouve dans la fuite et la délivrance du péché, dans la pauvreté acceptée par amour de Dieu, dans la douceur et dans les larmes de la contrition. – Les deux béatitudes suivantes sont celles de la vie active du chrétien : elles répondent à la soif de la justice et à la miséricorde exercée à l’égard du prochain. – Viennent ensuite celles de la contemplation des mystères de Dieu : la pureté du cœur qui dispose à voir Dieu, et la paix qui dérive de la vraie sagesse. – Enfin la dernière et la plus parfaite des béatitudes est celle qui réunit les précédentes au milieu même de la persécution subie pour la justice, ce sont les dernières épreuves, condition de la sainteté<ref>En saint Luc, VI, 20-22, sont mentionnées seulement quatre béatitudes ; mais parmi elles se trouve la plus élevée, celle de ceux qui souffrent la persécution pour la justice ; elle vient après celle des pauvres, celle de ceux qui ont faim de justice et celle de ceux qui pleurent.</ref>. |
Suivons cet ordre ascendant, pour nous faire une juste idée de la perfection chrétienne, en évitant de l’amoindrir. Nous allons voir qu’elle dépasse les limites de l’ascèse, ou de l’exercice des vertus selon notre propre activité ou industrie, et qu’elle comporte l’exercice éminent des dons du Saint-Esprit, dont le mode supra-humain, lorsqu’il devient fréquent et manifeste, caractérise la vie mystique, ou de docilité à l’Esprit-Saint. | Suivons cet ordre ascendant, pour nous faire une juste idée de la perfection chrétienne, en évitant de l’amoindrir. Nous allons voir qu’elle dépasse les limites de l’ascèse, ou de l’exercice des vertus selon notre propre activité ou industrie, et qu’elle comporte l’exercice éminent des dons du Saint-Esprit, dont le mode supra-humain, lorsqu’il devient fréquent et manifeste, caractérise la vie mystique, ou de docilité à l’Esprit-Saint. | ||
− | Saint Thomas, après saint Augustin, enseigne que les béatitudes sont des actes qui procèdent des dons du Saint-Esprit ou des vertus perfectionnées par les dons | + | Saint Thomas, après saint Augustin, enseigne que les béatitudes sont des actes qui procèdent des dons du Saint-Esprit ou des vertus perfectionnées par les dons<ref>Ia IIaa, q. 69, a. 1. Item Commentum in Mattheum, c. V, 3 : « Ista merita (beatitudinum) vel sunt actus donorum, vel actus virtutum secundum quod perficiuntur a donis. » A la suite de saint Augustin, saint Thomas indique dans ce Commentaire sur saint Matthieu (ch. V) quel don correspond à chaque béatitude. Il le fait aussi dans la Somme Théologique, là où il parle de chacun des sept dons en particulier. Nous résumerons ici cet enseignement.</ref>. |
== Les béatitudes de la délivrance du péché == | == Les béatitudes de la délivrance du péché == | ||
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Chaque béatitude a bien des degrés : heureux ceux qui sont dans la pauvreté sans murmure, sans impatience, sans jalousie, même si le pain vient à manquer, et qui travaillent en mettant leur confiance en Dieu. Bienheureux ceux qui, plus fortunés, n’ont pourtant pas l’esprit des richesses, le faste, l’orgueil ; mais sont détachés des biens de la terre. Plus heureux encore ceux qui quitteront tout pour suivre Jésus, se feront pauvres volontaires, et vivront vraiment selon l’esprit de cette vocation ; ils recevront le centuple sur la terre et la vie éternelle. | Chaque béatitude a bien des degrés : heureux ceux qui sont dans la pauvreté sans murmure, sans impatience, sans jalousie, même si le pain vient à manquer, et qui travaillent en mettant leur confiance en Dieu. Bienheureux ceux qui, plus fortunés, n’ont pourtant pas l’esprit des richesses, le faste, l’orgueil ; mais sont détachés des biens de la terre. Plus heureux encore ceux qui quitteront tout pour suivre Jésus, se feront pauvres volontaires, et vivront vraiment selon l’esprit de cette vocation ; ils recevront le centuple sur la terre et la vie éternelle. | ||
− | Ces pauvres sont ceux qui, sous l’inspiration du don de crainte, suivent la voie d’abord étroite, qui devient la voie royale du ciel, où l’âme se dilate de plus en plus, tandis que la voie large du monde conduit à la géhenne et à la perdition. Notre-Seigneur dit ailleurs : « Malheur à vous qui êtes rassasiés des biens de la terre, car vous aurez faim ! | + | Ces pauvres sont ceux qui, sous l’inspiration du don de crainte, suivent la voie d’abord étroite, qui devient la voie royale du ciel, où l’âme se dilate de plus en plus, tandis que la voie large du monde conduit à la géhenne et à la perdition. Notre-Seigneur dit ailleurs : « Malheur à vous qui êtes rassasiés des biens de la terre, car vous aurez faim !<ref>Luc, VI, 25.</ref> » Par contre, bienheureuse pauvreté, qui, comme le montre la vie de saint François d’Assise, ouvre le royaume de Dieu, infiniment supérieur à toutes les richesses, aux misérables richesses où le monde cherche le bonheur. |
Bienheureux les pauvres, ou humbles de cœur, qui ne retiennent à eux ni les biens du corps, ni ceux de l’esprit, ni réputation, ni honneur, et qui ne cherchent que le royaume de Dieu. | Bienheureux les pauvres, ou humbles de cœur, qui ne retiennent à eux ni les biens du corps, ni ceux de l’esprit, ni réputation, ni honneur, et qui ne cherchent que le royaume de Dieu. | ||
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Tandis que le monde dit : le bonheur est dans les plaisirs, Jésus dit encore : « Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés. » Il est dit de même au mauvais riche : « Tu as reçu tes biens en ce monde, et Lazare le mendiant a reçu ses maux ; c’est pourquoi il est consolé, et tu es dans les tourments. » (Luc, XVI, 25). | Tandis que le monde dit : le bonheur est dans les plaisirs, Jésus dit encore : « Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés. » Il est dit de même au mauvais riche : « Tu as reçu tes biens en ce monde, et Lazare le mendiant a reçu ses maux ; c’est pourquoi il est consolé, et tu es dans les tourments. » (Luc, XVI, 25). | ||
− | Bienheureux ceux quia comme le mendiant Lazare, souffrent avec patience, sans consolation du côté des hommes ; leurs larmes sont vues de Dieu. Plus heureux encore ceux qui pleurent leurs péchés, qui, par une inspiration du don de science, connaissent expérimentalement que le péché est le plus grand des maux, et qui, par leurs larmes, en obtiennent le pardon. Plus heureux enfin, dit sainte Catherine de Sienne | + | Bienheureux ceux quia comme le mendiant Lazare, souffrent avec patience, sans consolation du côté des hommes ; leurs larmes sont vues de Dieu. Plus heureux encore ceux qui pleurent leurs péchés, qui, par une inspiration du don de science, connaissent expérimentalement que le péché est le plus grand des maux, et qui, par leurs larmes, en obtiennent le pardon. Plus heureux enfin, dit sainte Catherine de Sienne<ref>Dialogue, ch. 89.</ref>, ceux qui pleurent d’amour à la vue de l’infinie miséricorde, de la bonté du Sauveur, de la tendresse du bon Pasteur, qui se sacrifie pour ses brebis. Ceux-là reçoivent dès ici-bas une consolation infiniment supérieure à celle que le monde peut donner. |
Telles sont les béatitudes qui se trouvent dans la fuite et la délivrance du péché. | Telles sont les béatitudes qui se trouvent dans la fuite et la délivrance du péché. | ||
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Bienheureux ceux qui désirent cette justice, jusqu’à en avoir faim et soif. Ils seront rassasiés en un sens, dès cette vie, en devenant plus justes et plus saints. | Bienheureux ceux qui désirent cette justice, jusqu’à en avoir faim et soif. Ils seront rassasiés en un sens, dès cette vie, en devenant plus justes et plus saints. | ||
− | Bienheureuse soif que celle-là : « Que celui qui a soif vienne à moi et qu’il boive, et des fleuves d’eau vive couleront de sa poitrine | + | Bienheureuse soif que celle-là : « Que celui qui a soif vienne à moi et qu’il boive, et des fleuves d’eau vive couleront de sa poitrine<ref>Jean, VII, 38.</ref>. » Mais pour garder cette soif, lorsque l’enthousiasme sensible est tombé, pour garder cette faim de la justice, au milieu des contradictions, des entraves, des désillusions, il faut recevoir docilement les inspirations du don de force qui empêche de faiblir, de se laisser abattre, et qui relève notre courage au milieu des difficultés. |
− | « Le Seigneur, dit saint Thomas, veut nous voir affamés de cette justice à n’en pouvoir être jamais rassasiés dans cette vie, comme l’avare n’est jamais rassasié d’or… » Ces âmes affamées « ne seront rassasiées que dans l’éternelle vision, dit-il encore, et sur cette terre dans les biens spirituels ». Il ajoute : « Quand les hommes sont en état de péché, ils n’éprouvent point cette faim spirituelle ; quand ils sont purs de tout péché, alors ils la sentent | + | « Le Seigneur, dit saint Thomas, veut nous voir affamés de cette justice à n’en pouvoir être jamais rassasiés dans cette vie, comme l’avare n’est jamais rassasié d’or… » Ces âmes affamées « ne seront rassasiées que dans l’éternelle vision, dit-il encore, et sur cette terre dans les biens spirituels ». Il ajoute : « Quand les hommes sont en état de péché, ils n’éprouvent point cette faim spirituelle ; quand ils sont purs de tout péché, alors ils la sentent<ref>S. Thomas, in Matth., V, 6, dit : « Vult Dominus quod ita, anhelemus ad istam justitiam, quod numquam quasi satiemur in vita ista, sicut avarus numquam satiatur… Saturabuntur in æterna visione… et in praesenti in bonis spiritualibus… – Quando homines sunt in peccato, non sentiunt famem spiritualem, sed quando dimittunt peccata, tunc sentiunt. »</ref>. » |
Cette faim et cette soif de la justice ne doivent pas s’accompagner, dans l’action du chrétien, d’un zèle amer à l’égard des coupables. Aussi Jésus ajoute : Bienheureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. En notre vie, comme en celle de Dieu, doivent s’unir la justice et la miséricorde. On ne saurait être parfait sans aller comme le bon Samaritain au secours de l’affligé, du malade. Le Seigneur rendra le centuple à ceux qui donnent un verre d’eau par amour pour lui, à ceux qui appellent à leur table les pauvres, les estropiés, les aveugles, dont il est parlé dans la parabole des invités. Le chrétien doit être heureux de donner, plus que de recevoir. Il doit pardonner, c’est-à-dire donner au-delà à ceux qui l’ont offensé ; il doit oublier les injures, et avant d’offrir son présent sur l’autel, il doit aller se réconcilier avec son frère. Le don de conseil nous incline à la miséricorde, nous rend attentif aux souffrances d’autrui, nous fait trouver le vrai remède, le mot qui console et qui relève. | Cette faim et cette soif de la justice ne doivent pas s’accompagner, dans l’action du chrétien, d’un zèle amer à l’égard des coupables. Aussi Jésus ajoute : Bienheureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. En notre vie, comme en celle de Dieu, doivent s’unir la justice et la miséricorde. On ne saurait être parfait sans aller comme le bon Samaritain au secours de l’affligé, du malade. Le Seigneur rendra le centuple à ceux qui donnent un verre d’eau par amour pour lui, à ceux qui appellent à leur table les pauvres, les estropiés, les aveugles, dont il est parlé dans la parabole des invités. Le chrétien doit être heureux de donner, plus que de recevoir. Il doit pardonner, c’est-à-dire donner au-delà à ceux qui l’ont offensé ; il doit oublier les injures, et avant d’offrir son présent sur l’autel, il doit aller se réconcilier avec son frère. Le don de conseil nous incline à la miséricorde, nous rend attentif aux souffrances d’autrui, nous fait trouver le vrai remède, le mot qui console et qui relève. | ||
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Dès ici-bas cette contemplation de Dieu doit être féconde ; elle donne la paix, et une paix rayonnante, comme le dit la septième béatitude : Bienheureux les pacifiques, car ils seront appelés les enfants de Dieu. Cette béatitude, disent saint Augustin et saint Thomas, correspond au don de sagesse qui nous fait goûter les mystères du salut, et voir en quelque sorte toutes les choses en Dieu. Les inspirations du Saint-Esprit, auxquelles ce don nous rend dociles, nous manifestent peu à peu l’ordre admirable du plan providentiel, là même et parfois là surtout où nous avons été d’abord déconcertés, dans les choses pénibles et imprévues permises par Dieu pour un bien supérieur. Or on ne saurait entrevoir ainsi les desseins de la Providence, qui dirige notre vie, sans éprouver la paix, qui est la tranquillité de l’ordre. | Dès ici-bas cette contemplation de Dieu doit être féconde ; elle donne la paix, et une paix rayonnante, comme le dit la septième béatitude : Bienheureux les pacifiques, car ils seront appelés les enfants de Dieu. Cette béatitude, disent saint Augustin et saint Thomas, correspond au don de sagesse qui nous fait goûter les mystères du salut, et voir en quelque sorte toutes les choses en Dieu. Les inspirations du Saint-Esprit, auxquelles ce don nous rend dociles, nous manifestent peu à peu l’ordre admirable du plan providentiel, là même et parfois là surtout où nous avons été d’abord déconcertés, dans les choses pénibles et imprévues permises par Dieu pour un bien supérieur. Or on ne saurait entrevoir ainsi les desseins de la Providence, qui dirige notre vie, sans éprouver la paix, qui est la tranquillité de l’ordre. | ||
− | Pour ne pas se laisser troubler par les événements pénibles et inattendus, pour tout recevoir de la main de Dieu, comme un moyen ou une occasion. d’aller à lui, il faut une grande docilité au Saint-Esprit, qui veut nous donner progressivement la contemplation des choses divines, condition de l’union à Dieu. C’est pour cela que nous avons reçu au baptême le don de sagesse, qui a grandi en nous par la confirmation et par la fréquente communion. Les inspirations du don de sagesse nous donnent une paix rayonnante, non seulement pour nous, mais pour le prochain ; elles font de nous des pacifiques ; elles nous aident à pacifier les âmes troublées, à aimer nos ennemis, à trouver les paroles de réconciliation qui font cesser les querelles. Cette paix, que le monde ne peut donner, est la marque des vrais enfants de Dieu, qui ne perdent pour ainsi dire jamais la pensée de leur Père du ciel. Saint Thomas dit même de ces béatitudes : « sunt quaedam inchoatio imperfecta futurae beatitudinis, elles sont comme le prélude de la béatitude future | + | Pour ne pas se laisser troubler par les événements pénibles et inattendus, pour tout recevoir de la main de Dieu, comme un moyen ou une occasion. d’aller à lui, il faut une grande docilité au Saint-Esprit, qui veut nous donner progressivement la contemplation des choses divines, condition de l’union à Dieu. C’est pour cela que nous avons reçu au baptême le don de sagesse, qui a grandi en nous par la confirmation et par la fréquente communion. Les inspirations du don de sagesse nous donnent une paix rayonnante, non seulement pour nous, mais pour le prochain ; elles font de nous des pacifiques ; elles nous aident à pacifier les âmes troublées, à aimer nos ennemis, à trouver les paroles de réconciliation qui font cesser les querelles. Cette paix, que le monde ne peut donner, est la marque des vrais enfants de Dieu, qui ne perdent pour ainsi dire jamais la pensée de leur Père du ciel. Saint Thomas dit même de ces béatitudes : « sunt quaedam inchoatio imperfecta futurae beatitudinis, elles sont comme le prélude de la béatitude future<ref>Cf. Ia IIae, q. 69, a. 2.</ref> ». |
Enfin, dans la huitième béatitude, la plus parfaite de toutes, Notre-Seigneur montre que tout ce qu’il vient de dire est grandement confirmé par l’épreuve supportée avec amour : Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, car le royaume des cieux est à eux. Il s’agit surtout des dernières épreuves, conditions de la sainteté. | Enfin, dans la huitième béatitude, la plus parfaite de toutes, Notre-Seigneur montre que tout ce qu’il vient de dire est grandement confirmé par l’épreuve supportée avec amour : Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, car le royaume des cieux est à eux. Il s’agit surtout des dernières épreuves, conditions de la sainteté. | ||
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De cette parole est née dans l’âme des apôtres le désir du martyre, qui inspirait les sublimes paroles d’un saint André, d’un saint Ignace d’Antioche. C’est elle qui revit en un saint François d’Assise, en un saint Dominique, en un saint Benoît-Joseph Labre. C’est pourquoi ils ont été « le sel de la terre », « la lumière du monde », et leur maison bâtie, non pas sur le sable, mais sur le roc, a pu supporter toutes les tourmentes et n’a pas été renversée. | De cette parole est née dans l’âme des apôtres le désir du martyre, qui inspirait les sublimes paroles d’un saint André, d’un saint Ignace d’Antioche. C’est elle qui revit en un saint François d’Assise, en un saint Dominique, en un saint Benoît-Joseph Labre. C’est pourquoi ils ont été « le sel de la terre », « la lumière du monde », et leur maison bâtie, non pas sur le sable, mais sur le roc, a pu supporter toutes les tourmentes et n’a pas été renversée. | ||
− | Et ces béatitudes, qui sont, comme le dit saint Thomas | + | Et ces béatitudes, qui sont, comme le dit saint Thomas<ref>Ia IIae, q. 69, a. 2, et in Matth., V, 1 sqq.</ref>, les actes supérieurs des dons ou des vertus perfectionnées par les dons, dépassent la simple ascèse et sont d’ordre mystique. Ce qui conduit à dire que la pleine perfection de la vie chrétienne est normalement d’ordre mystique, c’est le prélude de la vie du ciel, où le chrétien sera « parfait comme le Père céleste est parfait », en le voyant comme Il se voit et en l’aimant comme Il s’aime. |
− | Sainte Thérèse écrit : « Il faut, disent certains livres, être indifférent au mal qu’on dit de nous, se réjouir même plus que si l’on en disait du bien, on doit faire peu de cas de l’honneur, être très détaché de ses proches… et quantité d’autres choses du même genre. A mon avis ce sont là de purs dons de Dieu, ces biens sont surnaturels | + | Sainte Thérèse écrit : « Il faut, disent certains livres, être indifférent au mal qu’on dit de nous, se réjouir même plus que si l’on en disait du bien, on doit faire peu de cas de l’honneur, être très détaché de ses proches… et quantité d’autres choses du même genre. A mon avis ce sont là de purs dons de Dieu, ces biens sont surnaturels<ref>Vie, ch. XXXI ; Obras, t. 1, p. 257.</ref> », c’est-à-dire ils dépassent la simple ascèse ou l’exercice des vertus selon notre propre activité ou industrie, ce sont des fruits d’une grande docilité aux inspirations du Saint-Esprit. Elle dit encore : « Si l’on a de l’amour des honneurs et des biens temporels, on aura beau avoir pratiqué pendant bien des années l’oraison, ou, pour mieux dire, la méditation, on n’avancera jamais beaucoup ; la parfaite oraison, au contraire, délivre de ces défauts<ref>Chemin de la perfection</ref>. » |
C’est dire que sans la parfaite oraison on n’arrivera pas à la pleine perfection de la vie chrétienne. | C’est dire que sans la parfaite oraison on n’arrivera pas à la pleine perfection de la vie chrétienne. | ||
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C’est ce que dit aussi l’auteur de l’Imitation, 1. III, ch. XXV, sur la véritable paix : « Si vous parvenez à un parfait mépris de vous-même, vous jouirez d’une paix aussi profonde qu’il est possible en cette vie d’exil. » Et c’est pourquoi, dans le même livre de l’Imitation, 1. III, ch. XXXI, le disciple demande la grâce supérieure de la contemplation : « J’ai besoin, Seigneur, d’une grâce plus grande, s’il me faut parvenir à cet état où nulle créature ne sera un lien pour moi… Il aspirait à cette liberté, celui qui disait : Qui me donnera des ailes comme à la colombe ? et je volerai et me reposerai (Ps. LIV, 7). Si l’on n’est entièrement dégagé de toute créature, on ne pourra librement appliquer son esprit aux choses divines. Et c’est pourquoi l’on trouve peu de contemplatifs, parce que peu savent se séparer entièrement des créatures périssables. Pour cela il faut une grâce puissante, qui soulève l’âme et la ravisse au-dessus d’elle-même. Tant que l’homme n’est pas ainsi élevé en esprit, dégagé des créatures et tout uni à Dieu, tout ce qu’il sait et tout ce qu’il a n’est pas d’un grand prix. » Ce chapitre de l’Imitation est à proprement parler d’ordre mystique, et il montre, que c’est là seulement que se trouve la vraie perfection de l’amour de Dieu. | C’est ce que dit aussi l’auteur de l’Imitation, 1. III, ch. XXV, sur la véritable paix : « Si vous parvenez à un parfait mépris de vous-même, vous jouirez d’une paix aussi profonde qu’il est possible en cette vie d’exil. » Et c’est pourquoi, dans le même livre de l’Imitation, 1. III, ch. XXXI, le disciple demande la grâce supérieure de la contemplation : « J’ai besoin, Seigneur, d’une grâce plus grande, s’il me faut parvenir à cet état où nulle créature ne sera un lien pour moi… Il aspirait à cette liberté, celui qui disait : Qui me donnera des ailes comme à la colombe ? et je volerai et me reposerai (Ps. LIV, 7). Si l’on n’est entièrement dégagé de toute créature, on ne pourra librement appliquer son esprit aux choses divines. Et c’est pourquoi l’on trouve peu de contemplatifs, parce que peu savent se séparer entièrement des créatures périssables. Pour cela il faut une grâce puissante, qui soulève l’âme et la ravisse au-dessus d’elle-même. Tant que l’homme n’est pas ainsi élevé en esprit, dégagé des créatures et tout uni à Dieu, tout ce qu’il sait et tout ce qu’il a n’est pas d’un grand prix. » Ce chapitre de l’Imitation est à proprement parler d’ordre mystique, et il montre, que c’est là seulement que se trouve la vraie perfection de l’amour de Dieu. | ||
− | Sainte Catherine de Sienne parle de même dans son Dialogue (ch. 44 à 49). Et c’est, nous l’avons vu, l’enseignement même de Notre-Seigneur lorsqu’il nous prêche les béatitudes, telles surtout que les ont comprises saint Augustin | + | Sainte Catherine de Sienne parle de même dans son Dialogue (ch. 44 à 49). Et c’est, nous l’avons vu, l’enseignement même de Notre-Seigneur lorsqu’il nous prêche les béatitudes, telles surtout que les ont comprises saint Augustin<ref>Cf. S. Augustin : In Sermonem Domini in monte (Matth., V). – Item De quantitate animae, 1. I, c. 33 ; Confessiones, IX, c. 10 ; Soliloquia, I, c. 1, 12, 13.</ref> et saint Thomas, comme les actes élevés des dons du Saint-Esprit ou des vertus perfectionnés par les dons. C’est là vraiment le plein développement normal de l’organisme spirituel ou de « la grâce des vertus et des dons ». |
== Notes et références == | == Notes et références == | ||
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Version du 10 mars 2011 à 18:16
Vie spirituelle | |
Auteur : | P. Garrigou-Lagrange, O.P. |
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Source : | In La vie spirituelle n°196 |
Date de publication originale : | 1er Janvier 1936 |
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Difficulté de lecture : | ♦♦ Moyen |