L’apparition à Marie de Magdala : Différence entre versions
De Salve Regina
(Page créée avec « {{Infobox Texte | thème = Textes de méditation | auteur = Cardinal Charles JOURNET | source = In No... ») |
(Aucune différence)
|
Version actuelle datée du 24 mars 2011 à 09:39
Textes de méditation | |
Auteur : | Cardinal Charles JOURNET |
---|---|
Source : | In Nova et Vetera, XL-2, pp 143-147. |
Date de publication originale : | Pâques 1965 |
| |
Difficulté de lecture : | ♦♦ Moyen |
A l’endroit où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin, et dans le jardin un tombeau neuf où personne encore n’avait été mis (Jean, 19, 41). C’est là que ses amis secrets, joseph d’Arimathie et Nicodème, déposèrent Jésus.
C’était le vendredi, au soir. Puis vint le sabbat, le lourd, accablant, irrespirable silence du sabbat. Toute l’ardente attente des siècles bibliques, toute la sainte espérance du monde semblait s’être effondrée avec la mort de Jésus. Il s’était fait connaître comme le Messie, les gens de Samarie avaient acclamé en lui le Sauveur du monde. Il était venu pour triompher du Mal sous toutes ses formes. Il était plus fort que le péché, la maladie, la mort. Avant de ressusciter Lazare, il avait dit : Je suis la résurrection et la vie. Puis on l’avait cloué sur une croix et bafoué : « Il est Roi d’Israël ! qu’il descende maintenant de la croix et nous croirons en lui » (Mt., 27, 42). Et il n’était pas descendu de la croix. Il avait même crié : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt., 27, 46). Tout finissait dans le sang, et apparemment dans le désespoir.
Apparemment. Car, en fait, la rédemption du monde s’était accomplie au cœur même des ténèbres de ce Vendredi saint. « Ayez confiance, j’ai vaincu le monde », avait dit Jésus (Jean, 16, 33). Oui, mais qu’elle est mystérieuse, la victoire dont il parle ! Il faudra toute la foi des fidèles de tous les temps jusqu’à la fin du monde, pour en déchiffrer la signification ; et, pour manifester que cette foi des fidèles n’est pas folie, il faudra, au matin de Pâques, le miracle de la résurrection.
Marie de Magdala se tenait seule près du sépulcre. Elle était venue très tôt, alors qu’il faisait obscur, obscur en dehors, et plus encore dans son cœur. La pierre avait été ôtée. Elle avait pensé à une profanation. Les plus aimés des disciples, Pierre et Jean, avaient trouvé le tombeau vide, les bandelettes à terre, le linge qui couvrait la tête plié à part. Et soudain, ils avaient compris. Non, le tombeau n’avait pas été violé. Le Christ était parti. Il s’était levé de la mort, ressuscité. Mais qu’est-ce que cela pouvait signifier ?
Etait-il transféré dans l’au-delà, ne le verrait-on plus jamais ? Ou bien était-il ressuscité comme Lazare, se cachant quelque part, dans un autre pays ? C’était le désarroi. Les deux disciples s’en retournèrent chez eux.
Mais Marie se tenait près du sépulcre, en dehors, pleurante. Elle n’a pas encore compris que Jésus est ressuscité. Elle pense toujours que ses ennemis l’ont arraché. Mais où aller le chercher ? Elle ne peut se détacher de ce lieu. Elle attend, sans savoir quoi, avec l’obstination de l’amour.
Et comme elle pleurait, elle se pencha vers le tombeau et elle vit deux anges vêtus de blanc, assis là où reposait le corps de Jésus, l’un à la tête, l’autre aux pieds. C’est sur la place qui est entre les deux anges, que tout de suite se porte son regard. Cette place est vide. Le Seigneur n’est plus là. Pourtant les anges ne sont pas inquiets. Ils ne s’agitent pas. Ils sont assis. Le temps de la tragédie est terminé. C’est déjà, dans ce tombeau, la paix suprême de l’éternité. L’un des anges est vers les pieds de Seigneur ; elle les avait naguère, chez Simon le Pharisien, arrosés de ses larmes, essuyés de ses cheveux, couverts de ses baisers, oints de parfum. La place de la Madeleine dans l’iconographie chrétienne restera pour toujours aux pieds de Jésus. A la tête, nimbée par les épines et les rayons de gloire qui lui traversent les mains, Fra Angelico, lui, mettra la Vierge Marie.
Les anges lui dirent : « Femme, pourquoi pleures-tu ? » Elle ne s’émeut pas de leur présence. Bérulle a ici un grand mot : elle ne s’attarde pas aux anges, elle cherche le Roi des anges.
« Femme, pourquoi pleures-tu ? » Jésus va reprendre lui-même ces mots. Mais, il veut, pour que le choc ne soit pas trop violent, qu’ils lui soient d’abord portés par ses anges. Quand Dieu pense donner de très grandes grâces, ou de lumière ou de souffrance, - soit au genre humain soit à quelque âme particulière -, il les fait ordinairement pressentir obscurément, pour que nous ne soyons pas écrasés sous l’épreuve et que nous puissions la soutenir sans être brisés ni défaillir. « Femme, pourquoi pleures-tu ? » C’est un premier signal. Elle répond en disant sa douleur : Ils ont enlevé mon Seigneur et je ne sais où ils l’ont mis.
En disant cela elle se retourna. Elle venait de sentir tout à coup, derrière elle, une présence. Elle se retourna et elle vit Jésus qui se tenait là, mais elle ne savait pas que c’était Jésus. Elle avait les yeux pleins de larmes. Et puis, Jésus avait mis comme un voile entre elle et lui. Il pouvait tempérer le rayonnement et la puissance de sa présence, comme il le fera, le soir même de ce jour de Pâques, avec les disciples d’Emmaüs.
Jésus lui dit : Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? C’est bien Jésus qui parle, mais d’une voix neutre, distante, étrangère. Il reprend la question des anges ; et il ajoute : « Qui cherches-tu ? » Ah ! il sait bien qui elle cherche, mais il veut le lui faire dire, le lui faire crier, parce qu’en le criant elle attisera davantage la flamme de son désir. C’est aussi comme cela que Jésus nous traite. Il veut que nous lui criions, à certains moments, que nous l’aimons. Il nous met peut-être lui-même dans la sécheresse, l’impuissance, la ténèbre, pour que les grandes demandes du Pater que nous répétons quotidiennement se changent parfois dans nos cœurs en appels de détresse.
Et elle, pensant que c’était le jardinier, lui dit : Seigneur, si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis, et j’irai le prendre. Quelle parole ! C’est pure folie. Elle ne mesure même pas l’impossibilité de ce qu’elle dit. Mais qu’importe ! Jésus a obtenu maintenant ce qu’il voulait, qu’elle crie son amour.
Jésus lui dit, mais avec sa voix à lui, cette voix avec laquelle il lui avait dit une première et inoubliable fois : « Tes péchés sont pardonnés ». Cette voix de Jésus, on aimerait tant l’avoir entendue, au moins une fois ; la couleur de ses yeux, l’avoir vue, au moins une fois.
Jésus lui dit : Marie ! Elle se retourna, et lui dit en hébreu Rabbouni ! c’est-à-dire Maître ! Jésus lui dit : Ne me touche pas, « Noli me tangere ».
Elle a fait un mouvement. Etait-ce pour se précipiter vers lui ? A l’Arena de Padoue, on voit la Madeleine à genoux qui tend les mains avidement vers le Sauveur. Mais lui l’évite et la tient à distance. Il est penché pour s’éloigner. Sa main est sur la même verticale que les deux mains de Madeleine, c’est le seul lien qui les unit. Voilà le Noli me tangere de Giotto.
Il y a celui de Fra Angelico au couvent de Saint-Marc à Florence. Dans le petit jardin de Pâques le Christ est en blanc, la Madeleine, à genoux, en rose. Elle ne le regarde pas. Ses deux mains sont tendues, mais on voit bien qu’elle n’essaiera même pas de le prendre. A quoi bon ? Elle l’a dans le cœur. C’est une contemplative, elle n’a pas besoin d’aller quérir son Dieu au dehors. Elle ne tend les mains que pour livrer le don de son amour. Le tombeau est ouvert derrière elle ; c’est elle qui en semble sortie pour entrer dans l’éternité,
Il y a la peinture de la Sainte-Baume, où, devant la majesté impériale et rayonnante d’un grand Christ byzantin, la Madeleine lève les mains pour se protéger et détourne son visage.
Et il y a le texte de Pascal. Il pense à l’apôtre Thomas et il écrit : « Il me semble que Jésus-Christ ne laisse toucher que ses plaies après sa résurrection. Noli me tangere. Il ne faut nous unir qu’à ses souffrances. » Il se peut qu’en ce matin de Pâques, Madeleine se soit jetée aux pieds de Jésus en gloire, pour les baiser, une dernière fois, mais à l’endroit des stigmates.
Voilà ce que peut deviner la contemplation des peintres et des penseurs. En fait, que s’est-il passé ? Une rencontre inexprimable, qui ne nous livrera son secret que dans l’éternité.
Jésus lui dit : Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Il n’est pas encore monté vers le Père. Il ne faut pas le toucher. Sinon par ses plaies. C’est bien lui, le Christ ressuscité, le Seigneur de la gloire, qui maintenant descend à nous, mais toujours à travers sa croix. Il n’y a d’autre moyen de le toucher que sous les apparences disjointes du pain et du vin où il ne veut nous arriver que dans les rayons de sa Croix sanglante. Oh ! nous aurions un autre désir, dont parle saint Paul dans la seconde épître aux Corinthiens, 5, 1-4, ne pas mourir, éluder la croix du Christ, toucher sans délai la gloire du Christ, afin, dit l’apôtre, que ce qui est mortel en nous soit englouti par la vie.
« Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père », cela veut dire : Dans l’autre vie, dans l’au-delà de la mort, alors oui, je vous toucherai par ma gloire, et il n’y aura plus ni deuil ni cri ni douleur, et je ferai toutes choses nouvelles, et le toucher de ma gloire transfigurera non seulement vos âmes, mais encore vos corps ressuscités, et l’univers tout entier, qui sera le lieu d’habitation des corps ressuscités, et qui lui aussi aura part à la liberté de la gloire des enfants de Dieu (Rom. 8, 21).
Mais va trouver les frères et dis leur : - Je monte vers mon Père et votre Père, mon Dieu et votre Dieu. Un texte porte : va trouver mes frères. Quel mot de tendresse ! Saint Paul le reprendra : « L’Esprit rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Enfants, et donc héritiers, héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ. » Mais Jésus peut-il nous appeler frères ? Oui, si nous avons avec lui Dieu pour Père. Tout de suite, pourtant, se creuse la différence. Jésus est Fils unique du Père, par voie de génération éternelle, Dieu de Dieu, Lumière de Lumière, engendré et non créé, consubstantiel au Père. Nous sommes enfants de Dieu, de la Trinité tout entière, par voie d’abord de création, puis d’adoption. Entre la paternité de la génération éternelle et la paternité de la libre création et adoption, la dénivellation est infinie. Elle est marquée par Jésus : Je monte vers mon Père et votre Père, mon Dieu et votre Dieu.
Marie de Magdala alla annoncer aux disciples qu’elle avait vu le Seigneur et qu’il lui avait dit ces choses. Bérulle écrira : « Marie de Magdala, apôtre des apôtres ». Certes elle n’est pas chargée d’une mission hiérarchique comme les apôtres, qui s’en iront porter l’Evangile à toutes les nations. On est aux premières heures de l’Eglise ; tout se fait dans le silence. Dans la pénombre de la prédication évangélique où se forment les convictions les plus secrètes et les plus intimes, Marie de Magdala annonce aux apôtres que le Christ ressuscité n’abandonne pas son Eglise, au moment où, pour lui permettre de remonter dans sa gloire, elle se présente afin de le relayer ici-bas sous la croix et dans les épreuves.