Vies de saints
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Auteur :
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Mgr Paul Guérin, camérier de S.S. Pie IX
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Source :
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D'après les Bollandistes, le Père Giry, Surius, Ribadeneira, Godescard, les propres des diocèses et les travaux hagiographiques publiés à l'époque.
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Date de publication originale :
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1878
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Résumé :
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Tome XIV
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Difficulté de lecture :
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♦ Facile
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Remarque particulière :
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7ème édition, revue et corrigée
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XIVe JOUR DE DÉCEMBRE
MARTYROLOGE ROMAIN.
A Alexandrie, les saints martyrs Héron, Assène, Isidore, et Dioscore, enfant : les trois premiers furent déchirés par divers tourments, durant la persécution de Dèce ; et, comme les supplices n'ébranlaient nullement leur constance, ils furent jetés au feu par l'ordre du juge. Pour Dioscore, après avoir subi des flagellations multipliées, il fut mis en liberté, la Providence divine le permettant pour la consolation des fidèles. 250. — A Antioche, la naissance au ciel des saints martyrs Druse, Zosime et Théodore. — Le même jour, saint Juste et saint Abonde, qui, étant sortis sains et saufs d'un brasier où le président Olybrius les avait fait jeter, sous l'empire de Numérien, périrent enfin par le glaive. 284. — A Reims, le martyre de saint NICAISE, évèque, de sainte Eutropie, vierge, sa sœur, et de leurs compagnons, qui furent massacrés par des barbares, ennemis de l'Église. Ve s. — Dans l’île de Chypre, la naissance au ciel de saint SPIRIDION, évêque, un de ces confesseurs que l'empereur Maximien avait condamnés aux mines, après leur avoir fait arracher l'œil droit et couper le jarret gauche. Dieu le rendit éclatant par le don de prophétie et par la grâce des miracles, et, au Concile de Nicée, il confondit un philosophe païen qui insultait aux évêques et se moquait de la religion chrétienne. IVe s. — A Bergame, saint Viateur, évêque et confesseur. — A Pavie, saint Pompée, évêque. — A Naples, saint Agnel, abbé, célèbre pour ses miracles, et que l’on a vu souvent, la croix à la main, délivrer cette ville assiégée par les ennemis. 596. — A Ubeda, en Espagne, saint Jean de la Croix, confesseur, coopérateur de sainte Thérèse dans la Réforme des Carmes. Sa fête se célèbre le 24 novembre 1. 1591. — A Milan, saint Matronien, ermite.
MARTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTÉ.
Aux diocèses d'Amiens, Châlons, Paris et Reims, saint Nicaise, évêque, et ses compagnons, martyrs, cités au martyrologe romain de ce jour. Ve s. — Aux diocèses d'Arras et de Cambrai, saint FOLQUIN, évêque de l'ancien siège de Thérouanne. 855. — Au diocèse de Cahors, saint Ursicin, évêque de ce siège et confesseur 2. VIe s. — Aux diocèses de Carcassonne et de Perpignan, saint Damase, pape et confesseur, dont nous avons donné la vie au 11 décembre. 384. — Au diocèse de Poitiers, saint FORTUNAT, évêque de ce siège et confesseur. 600. — Au diocèse de Tours, fête anniversaire de la réversion (887) du corps de saint Martin, évêque de ce siège et confesseur 3. 400. — An diocèse de Vannes, saint GUIGNER on FINGAR, martyr. 455. — A Arras, le martyre de saint Diogène, évêque de ce siège. Grec d'origine, il fut envoyé dans les Gaules par le pape Sirice, vers la fin du IVe siècle. Arrivé à Reims, il fut sacré par saint Nicaise qui l'envoya prêcher la foi à Arras. Là il travailla avec zèle et succès : il fit construire une église, la première cathédrale d'Arras, celle dont saint Vaast retrouva plus tard l'autel. La persécution des Vandales mit un terme aux travaux de saint Diogène : il fut égorgé par ces barbares, dans son église d'Arras, au moment où saint Nicaise lui-même était martyrisé à Reims. Ve s. — A Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme), au diocèse de Valence, le martyre de saint Lupicin, neuvième évêque de Vienne, massacré par les officiers de l'empereur Aurélien, en haine de la religion. 270. - A Reims, saint Florent, diacre, et saint Jocond, lecteur, martyrisés avec saint Nicaise. Ve s. Au diocèse de Besançon, sainte Odile, abbesse de Hohenbourg, dont nous avons donné la vie au jour précédent. VIIIe s.
MARTYROLOGES DES ORDRES RELIGIEUX.
Martyrologe de l'Ordre de Saint-Basile. — A Naples, en Campanie, saint Agnel, abbé, de l'Ordre de Saint-Basile, célèbre pour ses miracles, et que l'on a vu souvent, la croix à la main, délivrer cette ville assiégée par ses ennemis. 596.
Martyrologe, des Chanoines Réguliers. — De même que chez les Basiliens.
Martyrologe de l’Ordre de Saint-Benoît. — En Espagne, saint Dominique, abbé de Sylos. 1073.
Martyrologe de l'Ordre des Camaldules. — De même que chez les Bénédictins.
Martyrologe de la Congrégation de Vallombreuse. — De même que chez les Bénédictins.
Martyrologe des trois Ordres de Saint-François. — Saint Grégoire Thaumaturge, évêque et confesseur, dont la naissance au ciel se célèbre le 17 novembre 4. 270.
Martyrologe de l'Ordre des Frères Mineurs. — Saint Sylvestre, abbé, instituteur de la Congrégation des moines Sylvestrins, dont la mémoire se célèbre le 26 novembre 5. 1267.
Martyrologe de l'Ordre de la bienheureuse Vierge Marie du Mont-Carmel. — Dans l’île de Chypre, la naissance au ciel du bienheureux Spiridion, évêque, de l'Ordre des Carmes, qui fut un des confesseurs que Galère-Maxime, après leur avoir fait arracher l'œil droit et couper le jarret gauche, condamna aux mines. Saint Spiridion fut célèbre par son esprit prophétique et la gloire de ses miracles ; dans le Concile de Nicée, il confondit un philosophe païen qui insultait la religion chrétienne, et le ramena à la foi. IVe s. — A Alexandrie, les saints martyrs Néron, Arsène, Isidore, et Dioscore, enfant. Les trois premiers, durant la persécution de Dèce, furent torturés de différentes manières, et, comme les supplices n'ébranlaient aucunement leur constance, le juge les fit jeter dans le feu. Dioscore, après diverses flagellations, fut mis en liberté, la divine Providence le permettant pour la consolation des fidèles. 250. — A Antioche, la naissance au ciel des saints martyrs Druse, Zosime et Théodore. — Le même jour, le martyre des saints Just et Abonde, qui, sous l'empereur Numérien et le président Olybrius, furent jetés dans le feu, et, n'en ayant souffert aucune atteinte, furent décapités. 284. — A Reims, saint Nicaise, évêque, Eutropie, vierge, sa sœur, et leurs compagnons, martyrs, qui furent mis à mort par les barbares, ennemis de l'Église. Ve S. — A Bergame, saint Viateur, évêque et confesseur. — A Pavie, saint Pompée, évêque. — A Naples, en Campanie, saint Agnel, abbé, célèbre par la gloire de ses miracles, et que l'on a vu souvent, la croix è la main, délivrer cette ville assiégée par les ennemis. 596. — A Ubeda, la naissance au ciel de saint Jean de la Croix, confesseur 6. 1591. — A Milan, saint Matronien, ermite.
Martyrologe de l'Ordre des Carmes Déchaussés. — De même que ci-dessus.
Martyrologe de l'Ordre des Servites de la bienheureuse Vierge Marie. — A Orvieto, le bienheureux BONAVENTURE BONACCORSI, confesseur, de l'Ordre des Servites de la bienheureuse Vierge Marie, dont la mort fut précieuse devant Dieu, comme le témoignent de nombreux miracles attestés par des monuments incontestables. 1315.
1. Nous avons donné la vie de saint Jean de la Croix au 24 novembre.
2. Ursicin passa sa jeunesse à la cour du roi Childebert et gagna par ses vertus l'estime de la pieuse reine Ultrogothe qui le nomma son chancelier eu référendaire ; il n'usa de cette haute dignité que pour le plus grand bien de l'Église et de l'État. Son nom devint populaire, et ses qualités éminentes attirant sur lui tous les regards, saint Maurillon, évêque de Cahors, le choisit pour son successeur, et le fit ordonner de son vivant. Dans l'épiscopat comme à la cour, Ursicin donna l'exemple de toutes les vertus. Quand il se fut endormi dans le Seigneur, son corps fut déposé dans la crypte de l'église cathédrale de Cahors : cette église souterraine ne s'appela plus dès lors que l'église de Saint-Ursicin. — Propre de Cahors.
3. Voir à ce sujet l’article Culte et reliques qui termine la vie de saint Martin de Tours que nous avons donnée au 11 novembre.
4. Nous avons donné le vie de saint Grégoire Thaumaturge au 17 novembre.
5. Voir la vie de saint Sylvestre GOZZOLINI au 26 novembre.
6. Voir sa vie au 24 novembre.
S. SPIRIDION DE CHYPRE, ÉVÊQUE ET CONFESSEUR
IVe siècle.
Sa sainte et infatigable charité cherchait à conquérir
par la prière ceux qu'elle n'avait pu convertir dans
le monde. Saint Fulgence.
La divine Providence se sert quand il lui plaît des choses les plus faibles pour opérer ses plus grandes merveilles ; elle a même quelquefois choisi des bergers pour les faire chefs et conducteurs de son peuple. Moïse et David, les deux plus grands princes qui furent jamais, faisaient paître des troupeaux lorsqu'elle les appela à la conduite des Israélites. On a vu aussi de semblables exemples dans la loi de grâce, et nous allons en voir un admirable dans saint Spiridion. Il naquit dans l'île de Chypre et fut employé par ses parents, qui étaient pauvres, à la garde des troupeaux. Comme il connaissait que le monde est le plus dangereux ennemi de l'innocence chrétienne, et qu'au contraire la solitude en est la gardienne assurée, il se plut merveilleusement à cette profession, laquelle, le retirant de la compagnie des hommes, lui donnait plus de liberté de converser avec Dieu. La sage simplicité de l'enfance de Notre-Seigneur paraissait en lui d'une façon extraordinaire. Sa douceur était incomparable, sa charité toujours prompte à rendre service à ceux qui avaient besoin de lui, sa ferveur continuelle, son affabilité charmante, sa tempérance agréable, son humilité profonde ; en un mot, il possédait les vertus à un si éminent degré, que son historien nous assure que peu de personnes étaient capables de l'imiter.
Quand il fut en âge de se marier, il prit une femme de laquelle il eut deux enfants, savoir : une fille, nommée Irène, et un fils dont on ne sait pas le nom. Sa maison était ouverte aux pauvres et aux pèlerins ; il les recevait cordialement, leur donnait à manger, les servait à table, leur lavait les pieds et leur rendait les services les plus humiliants avec plus d'affection que les valets ne les rendent à ceux dont ils attendent une récompense. On rapporte de lui cet admirable exemple de douceur : des voleurs étant venus la nuit à sa bergerie pour enlever quelque animal, s'y trouvèrent miraculeusement attachés et comme cloués, ayant les mains liées derrière le dos et les pieds tellement immobiles qu'ils ne pouvaient changer de place. Spiridion les trouvant le matin en cet état, vit bien quelle en était la cause. Il les reprit de leur mauvaise volonté et les menaça des jugements de Dieu s'ils continuaient leurs brigandages ; mais il les mit en liberté et leur donna même un mouton, leur disant en souriant que c'était pour la peine qu'ils avaient eue de veiller toute la nuit autour de son bercail.
Trémithonte, aujourd'hui Nicosie, ou Leucosie, l'une des principales villes de l'île de Chypre, ayant perdu son évêque, jeta les yeux sur notre Saint dont le mérite se faisait connaître de toutes parts, pour l'élever sur ce siège épiscopal. Il ne se déroba qu'avec beaucoup de peine à sa chère solitude où il goûtait les douceurs d'une vie privée, pour s'exposer aux dangers de la prélature ; mais il ne put résister aux ordres de la divine Providence, et il fut obligé de se soumettre à l'élection du peuple, parce que Dieu le voulait et le lui commandait. Quoiqu'il n'apportât pas à cette charge un esprit cultivé par les sciences profanes, il ne laissa pas d'en remplir parfaitement toutes les fonctions ; car Dieu, qui ne manque jamais de donner à ceux qu'il élève aux dignités, les talents qui leur sont nécessaires pour s'en bien acquitter, le remplit de la science des Saints. Personne ne pouvait résister à l'esprit qui parlait en lui, parce qu’il n'ordonnait rien dont il ne donnât des exemples vivants dans ses actions. Sa vie était une prédication efficace, qui portait les plus débauchés à l'amour de la mortification ; et le pouvoir qu'il semblait avoir sur la nature par la grâce des miracles, lui en donna un merveilleux sur le cœur des hommes. Tous les affligés avaient en lui un refuge prompt et assuré. Ayant appris qu'un homme fort vertueux et de ses amis avait été injustement condamné à mort, il partit aussitôt pour lui sauver la vie ; mais, ayant trouvé sur son chemin une rivière qu'il lui fallait passer et qui était débordée, il lui commanda de se fendre et de lui laisser le passage libre. A sa parole, les vagues se séparèrent, et cette merveille fit tant de bruit dans la ville avant qu'il y arrivât, que le juge, en étant épouvanté, mit en liberté celui qu'il avait résolu de perdre injustement. Ceux qui l'accompagnaient passèrent avec lui au milieu des flots, lesquels, pour obéir à l'homme de Dieu, demeurèrent suspendus comme de fortes murailles à leurs côtés. Une autre fois il ouvrit les sources du ciel pour en faire tomber une pluie abondante, dont la terre avait besoin après une longue sécheresse ; ainsi nous pouvons dire qu'il fut le Josué et l'Élie de son temps, puisqu'en effet il commanda avec un empire surprenant aux eaux qui sont sur les cieux et à celles qui sont sur la terre. Mais, s'il fut un Élie, il trouva son Achab en la personne de Maximin, lequel, après lui lui avoir fait crever l'œil droit et couper le jarret gauche, le condamna à travailler aux mines avec quantité d'autres serviteurs de Jésus-Christ, sur qui il avait exercé la même cruauté.
La persécution ayant cessé, et l'Église jouissant d'une entière paix sous le règne de Constantin le Grand, le pape saint Sylvestre assembla le Concile général de Nicée contre les erreurs d'Arius. Notre Saint s'y trouva et fut du nombre des trois cent dix-huit évêques qui le composèrent, et auxquels ce pieux empereur fournit la somme nécessaire pour faire ce voyage. Plusieurs personnes de qualité non seulement des fidèles, mais aussi des idolâtres, et même quelques philosophes s'y rendirent par curiosité pour voir une assemblée si célèbre. Les philosophes y discutèrent sur leur religion, et il y en eut un entre autres qui attaqua nos saints mystères avec tant de subtilité et d'éloquence, qu'il embarrassait tous les évêques par ses sophismes. Spiridion, voyant que la vérité avait de la peine à se défendre du mensonge contre un adversaire si rusé, s'offrit pour discuter avec lui. D'abord, on craignit que la bonne cause ne courût la fortune de se perdre, n'étant défendue que par un avocat si peu habile. Mais la connaissance qu'on avait de son éminente piété l'emporta sur cette défiance. Les Pères crurent que ce nouveau David, avec l'épée que Dieu mettait en sa bouche, c'est-à-dire avec sa parole, pourrait aisément vaincre ce fier Goliath, qui ne se confiait qu'en la force de ses sophismes et en son éloquence captieuse. Ils savaient que c'était un homme apostolique, et ils ne doutaient point qu'il ne pût confondre, comme avaient fait les Apôtres, la science humaine par la folie de la croix. On lui permit donc d'entrer en discussion avec ce philosophe. Il s'adressa à lui et lui commanda au nom de Jésus-Christ de l'écouter. Le ton de sa voix eut quelque chose de surnaturel, et il sortit de ses yeux une lumière céleste qui étonna cet orgueilleux sophiste et le remplit d'autant de respect pour ce vénérable vieillard qu'il avait eu de mépris pour les autres évêques. Il lui récita simplement la confession de foi de l'Église, telle qu'il l'eût apprise à un petit enfant ; et, après l'avoir achevée, il ajouta : « Ne vous semble-t-il pas, ô philosophe, que tout ce que je viens de vous dire est véritable ? » Le sophiste demeura quelque temps interdit et sans pouvoir répondre ; mais, incontinent après, par une merveille de la grâce qui avait opéré dans son âme, à mesure que Spiridion lui parlait, il s'écria qu'à l'avenir il n'aurait plus d'autre croyance que celle-là ; et, se tournant vers ses disciples et tous ses auditeurs qui l'avaient admiré auparavant, il leur dit : « Quand on a employé contre moi la force du raisonnement, je me suis défendu par les règles de mon art ; mais, depuis qu'au lieu des raisons humaines on a opposé à mes subtilités une vertu toute céleste, et qu'on s'est servi de la simplicité de la parole de Dieu pour me découvrir les mystères ineffables de la vraie religion, je n'ai point de honte d'avouer que je suis vaincu, et je conseille à tous ceux qui m'ont ouï, de ne point résister à la vérité, mais de croire en Jésus-Christ et de suivre la doctrine de ce vieillard qui a parlé comme les autres hommes, et qui, cependant, n'a proféré que des paroles divines ». Grégoire de Cyzique, homme très savant et très éloquent, mais infecté de l'hérésie d'Arius, fut tellement épouvanté de cette merveille, qu'il renonça à son erreur et reprit la croyance orthodoxe qu'il avait abandonnée. Ainsi, les païens perdirent la victoire, lorsqu'ils croyaient être sur le point de triompher. Et la vanité de leur avocat, si glorieusement confondue, confondit aussi leur insolence et fit taire leur impiété. Tous les prélats du Concile révérèrent Spiridion comme un homme céleste. Constantin, qui était présent, lui fit de grands honneurs, baisa mille fois la plaie de l'œil qu'il avait perdu dans la persécution, et se recommanda instamment à ses prières. Mais, parmi ces applaudissements, il demeura toujours vil à ses propres yeux, et n'attribua qu'à Dieu tout l'avantage et toute la gloire de son triomphe.
Pendant son voyage à Nicée, sa fille mourut sans avoir rendu un riche joyau qu'une femme lui avait donné en dépôt. Quelque temps après son retour en Chypre, cette femme le lui vint demander. Le Saint le chercha par toute la maison ; mais, ne pouvant le trouver, il alla, suivi de plusieurs personnes, au tombeau de sa fille ; et, lui parlant comme si elle eût été pleine de vie, il lui dit : « Irène, où avez-vous mis le dépôt qu'on vous avait confié ? » Comme si la défunte n'avait été qu'endormie, elle lui répondit distinctement : « Mon père, je l'ai mis en tel endroit de la maison, et vous l'y trouverez ». On y alla, et on le trouva effectivement. Ce miracle fut incontinent suivi d'un autre : car, comme si Spiridion eût été le maître de la vie et de la mort, il dit alors à sa fille : « Dormez donc, Irène, jusqu'à la résurrection universelle », et aussitôt elle se reposa de nouveau dans le Seigneur.
Tandis qu'il gouvernait en paix son église, il fut obligé de la quitter pour venir voir l'empereur Constance, qui avait succédé à Constantin, son père. Ce prince, étant tombé dans une maladie que les médecins jugèrent incurable selon leur art, eut recours à Dieu par la prière ; et, après l'avoir invoqué avec beaucoup de ferveur, il eut une vision durant la nuit, où un ange lui montrait plusieurs évêques, et, entre autres, il lui en marquait deux dont il pouvait espérer sa guérison ; mais ni les noms de ces prélats ni leurs diocèses ne lui ayant été dits, tout ce qu'il put faire, ce fut d'appeler à la cour les évêques les plus renommés en sainteté. Spiridion, comme un des plus célèbres, fut mandé avec les autres. Il ne fut pas surpris de cet ordre, parce que Dieu lui avait révélé la vision de l'empereur. Il se rendit donc à Antioche de Célésyrie, où était Constance ; mais il se présenta à la porte du palais en si pauvre équipage, que les gardes lui en refusèrent l'entrée. L'un d'eux alla même plus loin, et lui déchargea un grand soufflet sur la joue. Cette injure ne troubla point Spiridion ; il se souvint alors du conseil de l'Évangile, et aussitôt il présenta la joue gauche à celui qui l'avait frappé sur la droite. Cette pratique si peu ordinaire toucha d'admiration ce malheureux ; il crut que ce pauvre habillement cachait sans doute un homme céleste, puisqu'il n'avait témoigné aucun ressentiment humain du plus grand affront que l'on puisse faire à un homme. Il s'informa donc qui il était, et, ayant appris que c'était un évêque, il se jeta à ses pieds et lui demanda pardon. La facilité avec laquelle il l'obtint fut, en quelque façon, une sévère punition de sa faute ; car il eut tant de honte d'avoir offensé un homme si digne de respect, qu'un châtiment rigoureux lui aurait été plus supportable. Dès que l'empereur aperçut Spiridion, il reconnut que c'était celui que l'ange lui avait montré dans le même équipage où il le voyait. Il se leva de sa chaise, et, nonobstant la splendeur de sa pourpre, il alla au-devant de lui avec une profonde humilité, montrant par là quelle est la différence d'un roi qui ne tient cette dignité que pour un temps, d'avec un Saint, qui est pour jamais le favori du Roi des rois. Il pleura à ses pieds, le conjura d'avoir pitié de lui et pencha la tête, afin que l'évêque la touchât de sa main ; Spiridion le fit, et en même temps l'empereur recouvra une parfaite santé. Ce miracle lui attira les applaudissements de toute la cour. On ne parlait que de Spiridion ; c'était à qui louerait sa vertu et à qui jouirait de sa conversation.
Il ne se contenta point d'avoir rendu à ce prince la santé du corps, il n'épargna rien pour lui procurer aussi celle de l'âme. Il savait qu'il favorisait les Eusébiens, défenseurs des erreurs d'Arius. Il lui remontra que, pour reconnaître la grâce que Dieu lui avait accordée par son entremise, il devait montrer beaucoup de zèle pour la pureté de la foi et ne jamais permettre que l'on fit la moindre chose contre l'honneur de l'Église. Il l'exhorta aussi à la clémence, à la miséricorde, à la douceur et à la charité envers ses sujets, dont il devait se considérer comme le père et le tuteur. Constance lui offrit de fortes sommes d'or ; mais le Saint lui fit là-dessus cette sage remontrance : « Ge n'est pas ainsi, seigneur, que Votre Majesté doit me récompenser ; elle me permettra de lui dire qu'elle veut me mal payer du zèle que j'ai témoigné pour lui rendre service. J'ai quitté ma maison et j'ai traversé la mer, sur laquelle j'ai enduré la rigueur de l'hiver et la violence des vents ; et, pour me récompenser des peines que j'ai prises volontiers pour vous, vous voulez que je reçoive de l'or, qui est la source de tous les maux et un métal capable de perdre les plus justes. Je me condamnerais moi-même si j'avais commis cette faute ». Cependant le prince le pressa si fort, que Spiridion, voyant bien qu'il le mécontenterait extrêmement s'il persistait à refuser son présent, l'accepta, mais il ne sortit point du palais sans avoir distribué cette grande somme, faisant voir par cette conduite qu'un évêque, pour conserver sa liberté, ne doit point recevoir de présents ni posséder de richesses. Quand l'empereur sut cela, il s'écria : « Je ne m'étonne pas que cet homme, qui méprise ainsi les biens de la terre, fasse de si grands miracles ». Au reste, les paroles du Saint firent tant d'impression sur son esprit, qu'il fit de grandes aumônes aux pauvres et se rendit le protecteur des veuves et des orphelins. Toutefois, il ne persévéra point dans ces bons sentiments ; car, s'étant enfin laissé corrompre par les Ariens, il devint le persécuteur de l'Église et de tous les évêques orthodoxes.
Sozomène, au livre 1er, chap. XI, de son histoire ecclésiastique, rapporte encore un autre exemple du zèle admirable de notre Saint et de sa fidélité inviolable à conserver le texte de l'Écriture dans sa pureté. Triphylle, évêque de Lèdre, dans l'île de Chypre, que saint Jérôme, dans son Traité des Écrivains ecclésiastiques, avoue avoir été l'homme de son siècle le plus éloquent, haranguant dans une assemblée de prélats et expliquant ce passage du chapitre II de saint Marc, où Notre-Seigneur dit au paralytique : « Prenez votre lit et marchez », au lieu de , comme il y avait dans le texte grec, et que l'on traduirait à la lettre, en notre langue, lit de repos, dit , qui signifie lit bas, ce qui est presque la même chose. Saint Spiridion ne put souffrir ce changement, quoique léger en apparence ; et, après lui avoir reproché qu'il n'était pas plus éclairé que l'Évangéliste, pour changer ainsi la parole de Dieu, il sortit de l'assemblée ; apprenant par là le respect que l'on doit avoir pour le Texte sacré, et qu'il faut le citer avec modestie et non pas selon les délicatesses de l'éloquence humaine. Triphylle avait longtemps enseigné le droit civil dans la ville de Béryte ; mais, ayant appris les miracles et la vie innocente de ce grand Saint, qui n'était qu'un berger et un homme sans lettres, il n'avait point rougi de se faire son disciple, qualité qu'il préférait même à celle de docteur en droit. Baronius n'a pas omis de rapporter ce fait dans ses Annales sur l'an 325.
Outre les miracles que nous avons rapportés de ce saint homme, il s'en trouve encore un si grand nombre dans l'histoire de sa vie, qu'il nous est impossible de les raconter ici. Il ressuscitait les morts, découvrait les secrets des consciences, prévoyait les choses futures et connaissait les absentes. Un jour, étant entré dans l'église d'un bourg appelé Erithré, peu éloigné de Constance, en Chypre, pour y faire sa prière, il ordonna à son diacre de faire une lecture publique. Celui-ci lisait lentement et avec emphase, parce que, croyant avoir une belle voix, il prenait de la vanité à se faire entendre. Le Saint, pénétrant le fond de son coeur, lui dit de se taire, et aussitôt il devint muet. Les habitants le prièrent avec instance de le guérir ; il le fit, mais de telle sorte que dans la suite ce diacre n'eût plus qu'une voix faible, rauque et bégayante, et ne se laissât jamais aller à la témérité de se glorifier d'un talent qu'il n'avait reçu que de la seule bienveillance de Dieu.
Le patriarche d'Alexandrie avait assemblé un synode des évêques de sa juridiction, où l'on décida de faire des prières continuelles pour la destruction des idoles qui étaient encore en grand nombre dans la ville. Les prélats se mirent en oraison et obtinrent de Dieu ce qu'ils demandaient, excepté le renversement d'une statue que la Providence réservait à saint Spiridion. En effet, le patriarche, priant une nuit dans l'église, eut une vision où on lui fit connaître que cette idole ne serait renversée que par l'évêque de Trémithonte. Il lui en écrivit et le pria de se rendre à Alexandrie pour opérer cette merveille. Le Saint, qui ne perdait aucune occasion de travailler à la gloire de l'Église, s'embarqua aussitôt pour y aller ; et, dès qu'il fut arrivé, il se mit en prières, et à l'heure même la statue et plusieurs temples tombèrent par terre et furent réduits en poudre.
Quand il se vit près de mourir, il assembla le plus qu'il put de ses diocésains et leur prédit plusieurs choses qui devaient arriver après sa mort ; puis il leur donna de belles instructions sur les devoirs des véritables chrétiens et les vertus qu'ils doivent pratiquer. Enfin, après leur avoir recommandé singulièrement la charité, il rendit son âme en faisant l'éloge de cette reine des vertus qu'il avait si bien pratiquée durant toute sa vie. Ce fut le 14 décembre, vers le milieu du IVe siècle. Sa mémoire est marquée dans tous les martyrologes latins, et les Grecs en parlent avec beaucoup d'honneur.
On le représente : 1° assis, bénissant ; 2° debout, tenant un livre fermé. — On peut aussi le représenter : 1° faisant tomber la pluie sur la terre desséchée ; 2° interrogeant une femme morte pour savoir dans quel endroit elle avait caché un riche dépôt qu'on lui avait confié et que l'on cherchait en vain.
Ce récit est du Père Giry. Cf. Métaphraste, Surius, Dom Ceillier.
SAINT NICAISE, ARCHEVÊQUE DE REIMS, MARTYR,
Ve siècle.
Un pasteur véritable doit travailler jusqu’à l'effusion
de son sang plutôt que d'abandonner le troupeau
de Jésus-Christ. Saint Athanase.
La prudence consommée de Nicaise, son érudition, sa vertu et ses autres qualités éminentes qui le rendaient digne d'être le pasteur du troupeau du Seigneur, le firent monter sur le siège archiépiscopal de Reims ; il remplit parfaitement tous les devoirs de cette charge, par le soin très exact qu'il prit du temporel et du spirituel de son diocèse.
Il fut la lumière de son peuple, non seulement par ses prédications, remplies d'une force et d'une onction vraiment célestes, mais aussi par ses exemples. Chacun voyait en sa vie tout ce qu'il devait faire. Sa justice enseignait à rendre à chacun ce qui lui appartient, et à ne faire tort à personne, comme nous ne voulons pas qu'on nous en fasse. Sa modération apprenait à être humble, sobre, tempérant, ennemi des plaisirs de cette vie et détaché de tout ce qui flatte les sens et la nature. Sa charité, en secourant les malheureux, invitait aussi à les secourir, et faisait voir que la gloire d'un véritable pasteur n'est pas de se couvrir des dépouilles de ses ouailles, mais de se dépouiller lui-même pour les revêtir. Enfin, sa dévotion attirait ses diocésains à la fréquentation des églises et des sacrements et aux autres exercices de la piété chrétienne. D'ailleurs, il prit un soin particulier de l'ornement et de l'embellissement des églises ; il en augmenta même le nombre : car il fit bâtir la célèbre basilique de Notre-Dame, qui est devenue la cathédrale, au lieu qu'auparavant c'était la basilique des Apôtres, maintenant de Saint-Symphorien, martyr, qui jouissait de cet honneur.
Après quelques années d'une si sage administration, un ange lui apparut et lui fit connaître que Dieu voulait châtier la ville de Reims pour les crimes qui s'y commettaient, et qu'il se servirait pour cela des Vandales, peuple cruel et barbare, qui l'assiégeraient, la prendraient, la saccageraient et la rempliraient de meurtres et de sang. Il ne manqua pas d'en avertir son peuple, afin qu'il s'efforçât, par une sérieuse pénitence, de détourner de dessus sa tête un fléau si épouvantable, de même que les Ninivites détournèrent celui dont le prophète Jonas les avait menacés ; mais, soit que les péchés de ces mauvais chrétiens fussent arrivés à leur comble, soit que, ne regardant ces avertissements de leur saint Pasteur que comme des contes faits à plaisir pour les effrayer, ils ne se missent point en peine d'apaiser la colère de Dieu par une sincère conversion, ils éprouvèrent enfin que ses prédictions n'étaient que trop véritables. En effet, l'an 407, sous l'empire d'Arcadius et d'Honorius, fils de Théodose le Grand et sous le consulat du même Arcadius et d'Anicius, les Vandales, mêlés avec les Alains, se jetèrent dans les Gaules ; et, après avoir désolé quelques autres provinces, remplissant tous les lieux où ils passaient de meurtres, d'incendies, de viols et de mille autres maux, ils entrèrent enfin dans la Champagne et mirent le siège devant Reims, qui en était alors la capitale. Les habitants se défendirent avec beaucoup de courage et soutinrent assez longtemps les assauts des ennemis ; mais, se voyant à la veille d'être pris, ils eurent alors recours à leur saint prélat et lui demandèrent ce qu'il serait plus à propos qu'ils fissent, ou de se rendre aux Barbares par composition, en se fiant à la fidélité de leur promesse, ou de tenir bon jusqu'à la mort. Ce bon pasteur, à qui Dieu avait révélé la prise de la ville, leur fit cette généreuse réponse : « Vous n'ignorez pas, mes chers enfants, que nous nous sommes attiré nous-mêmes ce grand fléau par nos iniquités et nos offenses. Dieu a jugé équitablement, et il ne nous traite que comme nous l'avons mérité ; entrons donc dans des sentiments de componction à la vue des maux qui nous environnent et recevons le coup de la mort, non pas par crainte et par désespoir, mais avec soumission, avec patience et avec une ferme confiance qu'elle nous servira de remède et nous procurera la grâce et la miséricorde de notre souverain Juge. S'il ne fallait, pour vous sauver la vie, que donner la mienne en sacrifice, je le ferais dès ce moment très volontiers ; mais, puisque la sentence est universelle et qu'elle enferme le troupeau avec le pasteur, faisons tous en sorte que notre exécution soit un martyre et un sacrifice de bonne odeur devant Jésus-Christ. Aimons même nos persécuteurs et offrons à Dieu notre sang et notre vie pour leur conversion ».
294 14 DÉCEMBRE.
Pendant qu'il parlait ainsi, une sœur qu'il avait, nommée Eutropie, vierge d'une innocence et d'une vertu consommées, employait de son côté tout ce qu'elle avait d'éloquence et de courage pour animer les chrétiens au martyre. Cependant les Vandales, qui continuaient toujours leurs assauts, rompirent les portes, renversèrent les murs et entrèrent en foule dans la ville, sans que personne pût les arrêter. Dès que saint Nicaise les aperçut, il marcha au-devant d'eux avec une constance et une fermeté merveilleuses, ayant sa sœur à ses côtés et chantant avec elle des hymnes et des cantiques spirituels. Il s'arrêta sur le seuil de son église de Notre-Dame ; et, ayant demandé un moment d'audience aux chefs de ces barbares victorieux, il leur fit un discours puissant et pathétique pour tâcher d'amollir leur cœur et d'empêcher les dernières violences ; mais, voyant qu'il n'y avait rien à attendre de leur dureté, il les pria de commencer leur boucherie par sa propre personne, espérant que son sang offert en sacrifice pourrait attirer la miséricorde de Dieu sur ce peuple. Il se mit donc à genoux et se prosterna contre le pavé, prononçant ces paroles du psaume CXVIIIe : « Mon âme a été comme attachée à la terre ; Seigneur, vivifiez-moi, selon votre parole » ; et au même temps un des soldats lui déchargea un grand coup de hache qui lui abattit la tête. Tous ceux qui étaient en sa compagnie furent aussi passés par le fil de l'épée, excepté Eutropie, sa sœur, que les soldats, charmés de sa beauté, voulurent épargner pour insulter ensuite à sa pudicité ; mais la généreuse vierge, voyant bien le dessein sacrilège de ces impies, se jeta courageusement sur le bourreau qui avait fait mourir son frère, et, lui reprochant sa cruauté, elle le frappa au visage. Le Hun farouche en fut irrité, la perça de coups et l'étendit sans vie sur le cadavre de l'évêque.
Parmi ceux qui furent immolés avec le saint évêque, on remarqua particulièrement un diacre nommé Florent, et un lecteur nommé Jocond ; ils firent paraître un zèle et une ardeur admirables pour le martyre. Leur massacre fut suivi de beaucoup d'autres dans la ville ; mais enfin, ma bruit inconnu, soudain, terrible, se fit entendre dans l'église de Notre-Dame, et les barbares effrayés prirent au plus tôt la fuite sans se donner le temps de dépouiller les morts, de piller les maisons, de brûler la ville ni même d'emporter le butin qu'ils avaient déjà amassé et qui était entre leurs mains.
On représente saint Nicaise : 1° au moment où il est arrêté par les barbares et où sa sœur, sainte Eutropie, frappe au visage un soldat ; 2° tué avec sa sœur : dans le ciel, trois anges menacent ses meurtriers.
CULTE ET RELIQUES.
Les corps des Martyrs demeurèrent quelque temps sans sépulture, sous la garde des anges, qui les conservèrent sans corruption et les préservèrent de la dent des animaux carnassiers ; mais, comme quelques-uns des habitants avaient eu l'adresse de se sauver du carnage et de se retirer sur les montagnes voisines, voyant de loin des flammes célestes au-dessus du lieu de leur supplice, et entendant même un concert angélique qui semblait venir du même côté, ils jugèrent qu'il n'y avait plus rien à craindre dans Reims et que Dieu, qui leur avait sauvé la vie, demandait d'eux qu'ils prissent le soin d'inhumer ces illustres victimes de la piété chrétienne. Ils descendirent donc au plus tôt dans la ville et s'acquittèrent dévotement de ce pieux devoir ; entre autres, ils enterrèrent saint Nicaise, leur évêque, et sainte Eutropie, sa sœur ; il s'est fait un très grand nombre de miracles à leur tombeau.
Les reliques que possédait Notre-Dame de Reims ont presque toutes disparu, à dater surtout du jour où les objets précieux et châsses du trésor de Reims furent enlevés et envoyés à La Monnaie (14 novembre 1792).
Saint Nicaise et sainte Eutropie, sa sœur, ayant été martyrisés à Reims, furent ensemble déposés dans un tombeau, dans l'église Saint-Agricole, fondée par Jovin, rémois, préfet des Gaules, chef des armées, consul romain dans le Ve siècle. Sur la tombe on lisait ces mots : « Cy est le lieu et la place, où que monsieur saint Nicaise, jadis archevêque de Reims, et madame sainte Eutropie, sa sœur, furent inhumés en terre, après que furent martyrs pour la Foy chrestienne ». Le tombeau-coffre était posé sur quatre colonnes et enrichi de bas-reliefs. Près de ce tombeau, saint Remi s'était disposé une cellule, et c'est même là qu'il était en prières quand on vint lui annoncer que le feu venait d'éclater dans la ville.
Au VIIe siècle, on fit une solennelle translation des reliques de saint Nicaise et de sainte Eutropie, et, comme l'évêque de Tournai y assistait en qualité de prélat de la province, il obtint une notable partie du corps de saint Nicaise... L'autre partie demeura dans l'église Joviane (de Saint-Agricole), jusqu'au temps où l'archevêque Foulques la fit transporter avec le corps de sainte Eutropie dans l'église cathédrale, où leur mémoire est en grande vénération. Leur châsse fut souvent enrichie et couverte d'or et de pierreries.
Sous le pontificat de Gervais, la partie du corps de saint Nicaise, que conservait précieusement l'église de Tournai, fut enlevée par un clerc et rapportée à Reims : l'archevêque fit aussitôt venir les deux parties et ajuster les ossements l'un à l'autre ; il trouva que tout se rapportait fidèlement ; alors, ne doutant pas de l'authenticité de ces reliques, il donna la partie du corps rapportée de Tournai à l'église de Saint-Nicaise, qu'il bâtissait, et dont il fit la dédicace le 5 des calendes d'octobre.
Les reliques de saint Nicaise et de sainte Eutropie furent plusieurs fois visitées à Notre-Dame et à Saint-Nicaise, en 1307 et 1310, par Robert de Courtenay ; en 1359, par Jean de Craon ; en 1377, par l'empereur Charles IV, oncle du roi, qui obtint quelque peu des reliques pour emporter en Allemagne ; es 1584, par Louis, cardinal de Guise ; en 1752, époque où le révérend Père carme Spiridion obtint une relique de sainte Eutropie.
Le chef de saint Nicaise fut partagé en trois parties : Notre-Dame possédait le crâne, Saint Vaast d'Arras le derrière de la tête, et l'abbaye de Reims la mandibule inférieure.
La cathédrale possédait également les reliques de saint Florent et de saint Jocond, compagnons de saint Nicaise, comme le prouvent plusieurs procès-verbaux, et surtout la translation qui fut faite, en 1680, par Ch. Maurice le Tellier.
De ces reliques, il ne reste actuellement à Notre-Dame que quelques portions bien petites ; la mandibule inférieure et une partie de l'épine dorsale de saint Nicaise et quelques fragments des ossements de saint Nicaise, de sainte Eutropie, de saint Jocond et de saint Florent : le tout renfermé dans une châsse en bois doré, où se trouvent plusieurs actes authentiques du XIVe siècle, après l'un desquels pend un magnifique sceau en cire rouge de Richard Pique, archevêque de Reims en 1377.
Il y a, au milieu de la nef de la cathédrale de Reims, une pierre en marbre qui indique l'endroit où saint Nicaise fut décapité : Hoc in loco sanctus Nicasius Remensis archipræsul, truncalo capite, martyr occubuit, anno Domini 406. A la place de cette pierre, il y avait auparavant un monument bien précieux : c'était la pierre même que saint Nicaise avait arrosée de son sang. Primitivement elle était enchâssée dans la partie du pavé qu'occupait le jubé, et entourée d'une grille en fer, ce qui lui avait valu le nom de cage de saint Nicaise. A l'époque de la construction du jubé, cette pierre fût rapportée en avant dans la nef. « Au milieu de la nef », dit un historien de la cathédrale, « près la porte du pupitre (jubé) est une pierre ronde, enchâssée d'autres et d'un châssis de bois par révérence, qui est le lieu où jadis était le portail de l'église de Reims, auquel lieu le saint évêque eut la tête tranchée, et sainte Eutropie, sa sœur, avec plusieurs Martyrs.
Ce monument, si vénérable dans sa simplicité, ne flattant que médiocrement MM. les chanoines, Jean Quinart, chapelain, obtint, en 1666, la permission d'en élever un autre à ses frais et de son goût. Voici la description qu'en donne une notice manuscrite : « La pierre de saint Nicaise est maintenant enchâssée d'un mausolée de marbre, avec quatre façons de portes en jaspe blanc ; il y a quatre ouvertures pour voir ladite pierre, auxquelles sont un chiffre de saint Nicaise, de cuivre doré... » Ce dernier mausolée ainsi que le jubé, ayant le tort de cacher la grille du chœur, élevée par un chanoine de Reims, fut démoli en 1744.
Nous avons complété le récit du Père Giry avec des Notes locales dues à l'obligeance de M. l’abbé Cerf, chanoine honoraire de Reims.
SAINT FORTUNAT DE DOUPLABLE,
ÉVÊQUE DE POITIERS
600. — Pape : Saint Grégoire le Grand. — Roi de France : Thierry II.
Ingenio clarus, sensu celer, ore suavis,
Cujus dulce melos pagina multa canit.
Esprit pénétrant, intelligence primesautière, poète
enchanteur, Fortunat nous a laissé des pages
nombreuses marquées au coin du plus merveilleux
talent. Paul, diacre à Aquilée, Épitaphe de S. Fortunat.
Venantius Honorius Clementianus Fortunatus naquit en 530, à Douplable (Doplavilis, Duplavenis) en Italie, non loin de Trévise. Ses deux noms de famille étaient Honorius Clementianus, qui indiquent assez que ses proches étaient d'origine latine ou qu'ils habitaient l'Italie depuis longtemps. Il y ajouta plus tard ceux de Venantius, en mémoire d'un saint abbé de Touraine qu'il s'était proposé comme modèle, et de Fortunatus, à cause de sa confiance dans le martyr de ce nom qui avait souffert à Aquilée. C'est ce dernier qui lui est resté dans la suite, et sous lequel il est le mieux connu. Sa naissance l'attacha au christianisme. Ses études l'amenèrent de bonne heure à Aquilée, où peut-être il étudia sous la direction de Paulin, alors attaché aux écoles de cette ville, et qui plus tard en devint évêque sans cesser d'être son ami. Paulin aurait voulu l'attacher à l'Église ; mais le jeune homme n'y était pas encore appelé, et, après avoir reçu de lui les éléments de la foi chrétienne et de la science, il alla étudier à Ravenne la rhétorique et la poésie, qui devaient lui faire une si belle place parmi ses contemporains.
Pendant qu'il étudiait dans cette ville, où ses succès n'étaient pas aussi peu remarquables que son humilité s'est plu à le dire, l'assiduité de son travail fatigua tellement sa vue qu'il dut craindre bientôt d'en être privé entièrement. Inquiet de cette prévision, il priait un jour dans l'église de Saint-Jean et Saint-Paul devant un autel érigé à saint Martin de Tours, dont la renommée et les miracles étaient célèbres dans tout le monde. Tout à coup un mouvement de foi s'empara de son cœur. Une lampe brillait près de l'image du saint évêque. Il s'en approcha, se frotta les yeux avec un peu d'huile qu'il y prit, et soudain il fut guéri. Ce même miracle fut répété en même temps pour Félix, un de ses amis qui, souffrant du même mal, l'avait accompagné, et qui devint peu de temps après évêque de Trévise.
Cette faveur, on le conçoit, ne pouvait qu'augmenter dans le jeune homme le sentiment de dévotion qu'il avait eu jusque-là pour saint Martin, et dont il était si généreusement récompensé. Dès ce moment, il résolut de faire aussitôt qu'il le pourrait un voyage en France, et de remercier le glorieux thaumaturge dans sa célèbre basilique de Tours. Les troubles de l'Italie vinrent hâter bientôt l'exécution de ce dessein. Les Lombards menaçaient cette belle contrée, où ils entrèrent en 568. Leur barbarie dévastait tout, et déjà on tremblait dans la prévision d'un envahissement prochain, d'autant plus redoutable que le nom chrétien leur était plus odieux. Fortunat ne voulut point attendre ces malheurs ; il s'éloigna en 566, et après s'être arrêté quelque temps à Douplable pour y voir sa famille, il continua sa longue route tantôt à pied, tantôt à cheval, selon que le passage fréquent des montagnes, des plaines ou des rivières rendait plus commode l'un ou l'autre moyen.
Pendant ce trajet difficile, l'intéressant voyageur faisait de nombreuses haltes chez des personnages marquants, par qui son talent pour la poésie, que déjà il cultivait avec succès, le faisait remarquer et retenir. On se plaisait à lui faire raconter ce qu'il avait vu. Le charme de sa narration, la vivacité de son esprit charmaient ses hôtes. A cette admiration pour son génie se joignait une véritable estime pour la pureté de sa conduite et la douceur de son commerce. De sorte qu'à la faveur de ces relations littéraires, qui lient si aisément ceux qui les aiment, il se fit partout des amis autant que des admirateurs.
Sigebert 1er, l'un des princes les plus éclairés, sinon des plus vertueux de ce temps, régnait en Austrasie. Il reçut avec bonté Fortunat, qui eut le bonheur de le captiver et de s'en faire un ami : il eût voulu même le retenir à sa cour et lui fit des offres séduisantes. Mais le sage voyageur s'aperçut bientôt que le roi était mal inspiré par ses courtisans ; il craignit un séjour pour lequel sa vertu n'était point faite, et s'excusa sur le but principal de son voyage qui devait le mener à Tours. Sigebert voulut du moins lui donner une preuve honorable de son amitié et de ses regrets, en le faisant accompagner d'un de ses officiers, qui devait pourvoir pendant tout le reste de son voyage à ses besoins et à sa sûreté. Comme ce prince était fort attaché à sainte Radegonde, et qu'il croyait voir en Fortunat un homme qui pourrait la servir dans ses affaires, qui n'étaient pas toujours sans de graves difficultés, il voulut qu'après avoir satisfait sa piété envers saint Martin, il se rendît à Poitiers et présentât de sa part à l'humble et illustre reine une lettre de recommandation.
Fortunat arriva à Tours et s'y acquitta de ses devoirs envers son saint protecteur, probablement en 568. Saint Euphrone en était alors évêque : entre lui et Fortunat commença dès lors une étroite union de sentiments qui ne cessa plus, et qui les fit regarder mutuellement désormais comme le fils et comme le père l'un de l'autre.
Sainte Radegonde n'était qu'à trente lieues de Tours où, comme Fortunat, elle était venue dans les jours de ses épreuves témoigner de sa confiance à saint Martin et laisser dans une fondation monastique un monument de sa royale piété. Depuis plus de dix ans elle vivait dans son monastère de Sainte-Croix d'où le parfum de ses vertus, la renommée de son savoir, la délicatesse de son esprit attiraient vers elle les regards du monde. A tant de titres, le poète et le chrétien devait se sentir désireux aussi de la connaître. D'ailleurs l'Italie était en feu sous les brandons de ses sauvages conquérants. Le voyageur était devenu un exilé. Trop de loisirs lui étaient laissés loin de sa patrie. Et d'ailleurs Dieu dirigeait dans ses desseins cachés la marche de cette existence qu'il voulait fixer. Quoi qu'il en soit, résolu de retarder son retour à Trévise, il vint à Poitiers, visita, entendit et admira sainte Radegonde. De son côté, la grande Sainte découvrit dans Fortunat l'alliance si rare d'une piété éclairée qui allait à la sienne, et d'un génie élevé qui ne lui plaisait pas moins. Une douce et pieuse sympathie lia donc bientôt ces deux âmes que le ciel destinait à ne plus être séparées que par la mort. Quand Fortunat, après avoir goûté quelque temps cette aimable intimité dont l'abbesse sainte Agnès eut aussi une part méritée, voulut enfin revenir à Tours que lui faisait aimer saint Euphrone, les deux religieuses unirent leurs instances pour le déterminer à ne les point quitter. Sa haute intelligence, l'estime qu'on faisait de lui à la cour, la sainteté de sa vie, leur indiquait en effet dans Fortunat un homme dont le crédit pouvait leur être d'un grand avantage pour leurs affaires temporelles. Quant à lui, n'y avait-il pas aussi de persuasives raisons de s'attacher à cette perspective d'une position grave, respectée, utile, dans son âge déjà mûr et dans ce dégoût qu'il avait éprouvé des vanités du monde et qui n'avait pu diminuer au contact des grandes vertus de nos deux Saintes ? Il se décida, et ainsi déjà Poitevin par le cœur, il le devint par la résolution de ne plus s'éloigner.
L'abbé de Saint-Hilaire, Pascentius, était monté en 564 sur le siège de Poitiers. Il ne tarda pas à connaître et à goûter le saint homme, et quoiqu'il fût étranger, ce qui le rendait canoniquement inhabile à l'ordination, le prélat crut que cette vertu solide, qui s'appuyait en lui sur la piété des habitudes et des sentiments, devenait une suffisante garantie de l'avenir : il n'hésita donc pas à l'admettre dans son clergé, où après les épreuves et intervalles canoniques, il arriva par les degrés inférieurs de la cléricature à la dignité sacerdotale. Ce caractère devait entrer pour lui dans les désirs de sainte Radegonde. Dès lors il pouvait administrer, avec le temporal de sa communauté, les secours spirituels dont elle n'avait pas un moindre besoin. Dès lors aussi se multiplièrent ces saintes et aimables relations dans lesquelles on trouve fort souvent le poète cédant, par un innocent entraînement, au génie qui colore pour lui les plus petites circonstances de la vie intime ; et toutefois le négociateur sérieux traite en même temps, avec tout l'intérêt qu'elles méritent, les affaires de la plus haute gravité. Pendant que cet esprit distingué s'assouplit à la composition de grands poèmes ou de nombreuses compositions en prose sur la vie et les miracles de saint Hilaire, de saint Martin et d'autres illustres personnages, chers à l'Église, ou à mille petites poésies empreintes de délicatesse et de réelles beautés, il n'en traite pas moins avec les rois qui le respectent et l'écoutent, avec les plus saints évêques qu'il a pour amis, des plus importantes choses du monastère. Il entre en négociations, il entreprend des voyages en diverses cours, il défend Sainte-Croix contre les spoliations des grands, il y maintient l'esprit de la règle ; et parmi tant de détails auxquels ne suffirait pas un homme ordinaire, il n'en travaille pas moins pour lui-même à l'étude des saints Livres, il s'adonne à la théologie, lit avec fruit les Pères, et se fait dans la littérature latine, qui expirait de son temps, une réputation immortelle, ajoutant ainsi le prestige du savoir humain à la splendeur de ses vertus religieuses. Aussi, ses plus illustres contemporains n'avaient qu'une voix pour le louer : c'était une belle gloire de mériter, comme une première couronne de sa sainteté, dans l'approbation d'aussi saints prélats que Germain de Paris, Félix de Nantes, Nicet et Magnéric de Trèves, Euphrone de Tours et Avite de Clermont.
Quoique saint Fortunat n'eût pas encore reçu tous ces témoignages de l'estime universelle en 570, quand on reçut à Sainte-Croix la précieuse relique due aux instances de sainte Radegonde et à la générosité de l'empereur Justin II, il n'est pas douteux qu'il ne se mêlât déjà aux affaires du couvent, puisqu'à cette occasion il composa la belle hymne si connue dans toute l'Église : Vexilla Regis prodeunt, et qu'il adressa comme remerciement à Justin et à l'impératrice Sophie une lettre en vers au nom de sainte Radegonde et de ses sœurs.
C'est ainsi que, devenu aussi recommandable par son éminente piété que par son érudition et son éloquence, le bon prêtre vécut, tantôt dans le soin d'une administration compliquée, tantôt dans la retraite et dans l'étude, adoucissant les difficultés du double ministère des consciences et des choses du monde par les charmes d'une amitié innocente que les grandes âmes préfèrent toujours à tous les plaisirs. Mais de profonds chagrins, de tristes inquiétudes l'éprouvèrent. Il vit mourir sainte Radegonde, puis bientôt après sainte Agnès, puis encore sainte Disciole, l'aimable et pieuse émule de leurs vertus. Il vit les troubles scandaleux apportés dans la famille de Sainte-Croix par la détestable ambition de deux princesses orgueilleuses, Chrodielde et Basine ; mais les Saints profitent des revers comme des consolations pour se sanctifier, et en arrivant à une vieillesse avancée, le nôtre pouvait rendre grâces à Dieu de ce que tant d'années, passées à son service en faveur de l'illustre monastère de Poitiers, y avaient produit au moins dans bien des âmes faites pour le ciel des fruits de bénédiction que rien ne pourrait leur ravir.
Son ministère sacerdotal se prolongea sous trois évêques qui se succédèrent depuis son arrivée dans le Poitou, jusqu'à la fin du VIe siècle ; Marovée, qui n'avait pas toujours favorisé, selon le vœu public, la belle entreprise de sainte Radegonde, avait remplacé Pascentius II et Platon Marovée. Les œuvres du poète sacré où ces noms vénérés depuis quatorze cents ans reviennent souvent avec les éloges qu'ils méritent, prouvent dans quels rapports de soumission filiale, de sainte familiarité et de services utiles Fortunat resta toujours avec eux.
En 599, il avait soixante-neuf ans, et près de la moitié de sa vie s'était écoulée dans ce continuel exercice de vertus modestes et de bonnes œuvres, qui en avaient fait aux yeux de tous un modèle de prudence administrative, de zèle charitable et de saint dévouement. Aussitôt donc que Platon, qui siégeait depuis sept ans, eut quitté cette même année une vie que Fortunat a louée dignement, on n'hésita point sur le choix de son successeur. Fortunat fut nommé tout d'une voix. Dès ce moment, il s'appliqua avec le zèle et l'activité de la jeunesse aux grands devoirs d'un pasteur accompli. Il se hâta de travailler, comme s'il avait senti que le temps lui manquerait bientôt. Il ne devait garder, en effet, qu'à peine une année entière le soin de sa charge, trop forte peut-être pour un vieillard septuagénaire Il composa alors son explication du Symbole et celle du Pater, destinées en forme d'homélies au peuple qu'il devait nourrir de la parole de Dieu. Ces ouvrages nous sont restés et témoignent, avec beaucoup d'autres, que cette belle imagination qui avait si souvent et sur tant de sujets inspiré son langage poétique, n'en était pas moins empreinte des grandes et solennelles pensées qui rendent les choses de la foi sous des traits capables de la faire aimer.
Saint Fortunat mourut en 600, probablement le 14 décembre, jour où l'on a fait sa fête de tout temps dans l'église de Poitiers. Il fut enterré dans l'abside de la basilique de Saint-Hilaire. Paul, diacre d'Aquilée, étant passé à Poitiers vers le milieu du siècle suivant, visita son tombeau, honoré par la dévotion populaire. A la demande d'Aper, alors abbé du monastère, il composa une épitaphe pour le pontife, dont il se glorifiait d'être le compatriote. Il y faisait un bel éloge de son génie et de la sainteté de sa vie.
ÉCRITS DE SAINT FORTUNAT.
Le plus considérable des ouvrages de Fortunat est un Recueil de poésies sur divers sujets ; il est divisé en onze livres, et dédié à saint Grégoire, évêque de Tours. Le premier livre commence par un poème en l'honneur de Vital, évêque de Ravenne ; il est suivi de celui que Fortunat composa à l'occasion de l'église que le même évêque avait bâtie dans la même ville sous l'invocation de saint André, et où il avait mis des reliques de saint Pierre et de saint Paul, de saint Sisinne, de saint Alexandre, de sainte Cécile et de quelques autres Martyrs. II y en a un sur la cellule bâtie à l'endroit où saint Martin avait donné une partie de son manteau à un pauvre pour l'en revêtir ; un sur la dédicace de l'église de Saint-Vincent, où un possédé du démon avait été délivré, aussitôt qu'on eut apporté dans cette église les reliques du saint Martyr. Les autres sont, ou des descriptions d'églises, de lieux et de rivières, ou des éloges de Léonce, évêque de Bordeaux.
On a mis dans le second livre l'hymne Pange lingua au nombre des poèmes de Fortunat, quoiqu'il y ait plus de raison de l'attribuer à Claudien Mamert ; les six autres premiers poèmes de ce livre sont en l'honneur de la croix ; le quatrième, le cinquième et le sixième sont acrostiches : le dernier est figuré en forme de croix, et tons les trois ont demandé beaucoup d'art et d'attention. Fortunat y dit nettement qu'il adore la croix en tout temps, qu'il la regarde comme le gage certain de son salut et qu'il la porte avec lui comme son refuge dans ses besoins. A l'égard du Vexilla Regis, personne ne doute que cette hymne ne soit de lui ; les deux dernières strophes ne sont pas les mêmes dans Fortunat que dans l'office de l'Église ; il y a aussi quelques changements dans la seconde. La plupart des autres hymnes ou poèmes du second livre sont à la louange de plusieurs saints évêques, comme de saint Saturnin de Toulouse, de saint Maurice et de ses compagnons, de saint Hilaire de Poitiers, de saint Médard de Noyon ; les autres sont sur divers sujets. Le dixième est un éloge du zèle et de la piété du clergé de Paris, et le onzième une description de l'Église de cette ville. Fortunat la compare au temple de Salomon, disant qu'elle le surpassait, en ce que les ornements de ce temple n'étaient que matériels, au lieu que l'Église de Paris était teinte du sang de Jésus-Christ. Le douzième est sur un baptistère que saint Sidoine, évêque de Mayence, avait fait construire ; le poète y reconnaît que Dieu, par les eaux médicinales du baptême, nous rachète de la mort du péché que nous avons contracté par notre origine. Fortunat fait, dans le treizième poème, l'éloge du martyr saint Georges. A la fin du troisième livre de l'édition de Luchi, réimprimée dans le tome LXXXVIIIe de la Patrologie latine, on trouve une pièce de vers de Fortunat en l'honneur de saint Martial.
Le troisième livre est composé de trente-sept lettres, partie en vers, partie en prose ; elles sont presque toutes à des évêques avec qui il était lié d'amitié. Il traite, dans la neuvième, du mystère de la résurrection ; c'est de là que l'on a tiré la première strophe du répons que l'on chante dans les processions le jour de Pâques, et qui y est répétée par manière de refrain ; elle commence par ces mots : Salve festa dies. Dans la dixième, il relève l'industrie de Félix de Nantes, qui avait su aplanir une montagne pour changer le cours d'une rivière, et donner par là aux peuples le moyen de vivre, en leur donnant des terres à cultiver. Il parle, dans la onzième, des forteresses que Nicet, évêque de Trèves, avait construites sur les bords de la Moselle. Il fait, dans la quatorzième, la description du pays messin, et des deux rivières dont il est arrosé, la Moselle et la Seille ; il représente la ville de Metz comme bien fortifiée. La vingt-neuvième est un éloge de saint Ayric, évêque de Verdun, il loue aussi, dans la trentième, son savoir et son assiduité à instruire son peuple. On voit, par la trente-deuxième, que l'abbé Paterne l'avait prié de corriger un livre que Fortunat avait écrit de sa propre main, et où il s'était glissé des fautes qu'il avoue lui être assez ordinaires. Il était du côté de Nantes, lorsqu'il écrivit à Drucon, diacre de l'Église de Paris ; cette lettre est la trente-deuxième. Les trois suivantes sont aussi à des diacres, et ne sont que des lettres d'amitié.
On trouve, dans le quatrième livre, vingt-huit épitaphes, dont les dix premières sont pour divers évêques de France, les autres pour des personnes de conditions différentes. La vingt-cinquième est pour la reine Theodechilde, femme de Caribert ; il en est parlé dans saint Grégoire, de Tours.
La première lettre du cinquième livre est adressée à Martin, évêque de Dume, en Galice. Cette lettre est en prose ; mais la seconde au même évêque est en vers. Fortunat y marque les pays où les Apôtres avaient annoncé l'Évangile ; il parle dans la même lettre du monastère de Poitiers, et de la Règle de Saint-Césaire qui y était établie. La troisième lettre est aux habitants de Tours, qu'il congratule sur le choix qu'on avait fait de saint Grégoire pour leur évêque: La cinquième regarde la conversion des Juifs, faite par le ministère d'Avit, évêque de Clermont ; elle est suivie de l'éloge de cet évêque, mais Fortunat y reconnaît qu'on ne peut louer les ministres de Jésus-Christ dans la conversion des peuples, sans louer Jésus-Christ même qui inspire la bonne volonté, qui donne le parfaire, et sans qui il ne se fait rien de bien, puisque c'est lui qui remplit de ses lumières les Prophètes et les prédicateurs, afin qu'ils engendrent la foi dans le cœur de ceux qui les écoutent. Fortunat s'étant proposé de composer un acrostiche qui fût en autant de lettres que Jésus-Christ a passé d'années sur la terre, et de renfermer dans ce poème l'histoire de la création de l'homme, de sa chute et de sa rédemption, cela ne lui fut point aisé, mais il en vint à bout. Il l'envoya à Syagrius, évêque d'Autun, à qui il écrivit une lettre en prose pour lui rendre compte de son travail, et de la manière de lire cet acrostiche. Les autres lettres n'ont rien d'intéressant, la plupart sont adressées à saint Grégoire de Tours, pour le remercier des présents qu'il en avait reçus, ou pour lui recommander des personnes qui allaient à Tours.
Les douze poèmes du sixième livre sont presque tous sur des matières profanes. Le second est l'épithalame du roi Sigebert et de Brunehaut. Le quatrième est remarquable par les louanges qu'il y donne au roi Charibert ou Caribert ; saint Grégoire de Tours n'en avait publié que les vices, surtout son incontinence, qui le fit excommunier par saint Germain, évêque de Paris. Fortunat relève ses vertus, le faisant passer pour un prince sage, modéré, équitable, zélé pour la justice et l'observation des lois, libéral, honnête, l'oracle de son conseil, amateur des lettres, et qui parlait aussi facilement le latin que le français. Le sixième est un éloge de Berthechilde, de sa modestie, de sa prudence, de son amour pour les pauvres. Le septième regarde le mariage de Galsuinde avec Chilpéric.
Tout ce qu'il y a de plus intéressant dans le septième livre, composé de trente et un poèmes, est le parallèle qu'il fait, dans le douzième, des sages et des savants du paganisme avec les vrais chrétiens. Il n'est resté à ceux-là qu'une vaine réputation ; ceux-ci jouiront d'une félicité éternelle dans le ciel, et seront même honorés sur la terre, parce qu'il n'y a point de salut à espérer, point d'honneur solide et permanent, qu'en se rendant par la vertu agréable à Dieu, qui est un en trois personnes. On peut encore remarquer ses deux distiques sur la brièveté de la vie. Tout passe dans un moment, nous devons donc nous attacher aux biens qui ne périssent jamais ; soyons équitables envers tous, cultivons la paix, aimons Jésus-Christ : cherchons des délices dont nous puissions jouir éternellement.
Il fait, dans le premier poème du huitième livre, le détail du lieu de sa naissance et de ses différentes demeures, jusqu'au temps où il s'attacha au service de sainte Radegonde, dont il décrit la vie, telle qu'elle la menait dans le monastère de Poitiers. Il parle, dans le second, de la peine qu'il avait de quitter cette Sainte pour aller rendre visite à saint Germain de Paris. Le troisième est une hymne sur la nativité de Notre-Seigneur. Le quatrième et le cinquième sont à la louange de Jésus-Christ, de sa sainte Mère, qu'il appelle Mère de Dieu, et en l'honneur de la virginité, qui seule a été digne de mettre au monde le Tout-Puissant, et qui est si excellente en elle-même, que les expressions manquent pour en exprimer tout le mérite. Fortunat y fait une description admirable de l'assemblée des Saints dans le ciel, où il donne la première place à la sainte Vierge, puis aux Patriarches, aux Prophètes, aux Apôtres, aux Martyrs et aux vierges. Il dit, dans le sixième poème, que les récompenses promises aux vierges tiennent le premier rang après celles qui sont dues aux Apôtres, aux Prophètes et aux Martyrs. Les six suivants sont à la louange de sainte Radegonde, et les douze derniers en l'honneur de saint Grégoire de Tours. On voit, par le neuvième, que la Sainte employait les prémices des fleurs du printemps à en orner les autels ; par le onzième, qu'elle s'enfermait pendant un mois chaque année avant la fête de Pâques, pour s'y préparer. Parmi les poèmes adressés à saint Grégoire, il y a une lettre par laquelle Fortunat lui recommande la cause d'un prêtre qui avait besoin de sa protection.
L'éloge qu'il fait de Chilpéric dans le neuvième livre est si général, qu'il ne suffit pas pour détruire les mauvaises impressions que les historiens du temps ont données de ce prince, et il faut dire la même chose de celui qu'il fait de la reine Frédégonde, son épouse. Fortunat fit les épitaphes des deux fils de Chilpéric, Dagobert et Clodobert. Les sixième et septième poèmes sont une réponse à la lettre que saint Grégoire de Tours lui avait écrite en vers. Le neuvième est un éloge de Sidoine, évêque de Mayence. Dans le seizième, il fait celui du général Chrodin.
Le dixième livre commence par l'explication de l'Oraison dominicale ; le style en est beaucoup plus net, plus coulant et plus naturel que celui des autres écrits de Fortunat en prose, ce qui donne lieu de croire que c'est un des discours à son peuple, où il ne cherchait qu'à l'instruire. L'explication de la dernière demande est restée inachevée. Suivent trois lettres en prose à un seigneur de la cour, nommé Numulène, dont deux sont pour le consoler de la mort de sa fille ; puis une autre à l'Église de Tours, que saint Grégoire venait de rétablir ; ensuite le récit de plusieurs miracles opérés par saint Martin ; deux poèmes à la louange du roi Childebert et de la reine Brunehaut ; la description d'un voyage que Fortunat avait fait sur la Moselle depuis Metz jusqu'à Andernach, dans l'évêché de Cologne ; un poème en l'honneur d'une église où l'on révérait particulièrement l'archange saint Gabriel, et où il y avait des reliques de saint Georges, de saint Cosme et de saint Damien, et de quelques autres Martyrs ; un à la louange d'Armentarie, mère de saint Grégoire, qu'il compare à la mère des Macchabées, soit pour sa vertu, soit pour le nombre de ses enfants ; un au comte Sigoald, où il fait l'éloge de l'aumône, parce que ce seigneur était chargé d'en distribuer de la part du roi Childebert. On y voit aussi que Sigoald avait fait un pèlerinage au tombeau de saint Martin pour la santé de ce prince. Les autres poèmes sont sur diverses matières.
Le onzième livre contient vingt-cinq petits poèmes qui sont ou des remerciements à sainte Radegonde ou à l'abbesse de son monastère, pour des présents que Fortunat en avait reçus, on des compliments sur le jour de leur naissance. Il marque, dans le quatrième, qu'il s'était joint à Agnès pour engager la Sainte à boire un peu de vin dans ses infirmités, et qu'il l'avait pressée sur ce sujet, par la considération de l'avis que saint Paul avait donné à Timothée dans un cas semblable. Il leur adressa deux autres poèmes, où il fait la description de deux de ses voyages. Tous ces poèmes sont précédés de l'explication du Symbole, qui est dans le même goût que celle de l'Oraison dominicale.
Saint Germain gouvernait encore l'Église de Paris, lorsque Fortunat composa ses quatre livres de la Vie de saint Martin. Ils sont écrits en vers, à la réserve de l'épître dédicatoire, qui est en prose ; elle est adressée à saint Grégoire de Tours, à qui il rend compte de son travail. Ces quatre livres ne lui coûtèrent que deux mois de travail ; aussi convient-il qu'ils n'ont pas toute l'exactitude qu'il aurait pu leur donner, en mettant plus de temps à polir ses vers.
Il fit aussi un poème sur la Destruction de la Thuringe. Il y fait parler sainte Radegonde, nièce d'Hermanfroy, et la représente pleurant la perte d'un État qui lui avait donné naissance, et celle de tous ses plus proches parents enveloppés dans la ruine de leur pays.
Le poème suivant est à la louange de l'empereur Justin le Jeune et de son épouse l'impératrice Sophie. Fortunat loue ce prince sur la pureté de sa foi, sur son attachement aux décrets du Concile de Chalcédoine, et sur le rappel des évêques exilés pour avoir pris la défense de la vérité. Suit un poème à Artachis, cousin-germain de sainte Radegonde, sur la mort d'Hermanfroy, son oncle et père d'Artachis.
Ce sont là tous les écrits de Fortunat recueillis par Browère, et imprimés dans le dixième tome de la Bibliothèque des anciens Pères. On y a omis une épigramme à la louange du roi Childebert II, donnée, en 1675, par Dom Mabillon sur un manuscrit de l'abbaye de Saint-Vannes de Verdun ; elle est en quatorze vers élégiaques, qui ne sont que des jeux de mots. Fortunat s'y nomme, et recommande à ce prince un nommé Audulphe. On trouve cette épigramme dans le tome LXXXVIIIe de la Patrologie latine.
Entre les vies des Saints qu'il composa, nous connaissons celle de saint Germain, évêque de Paris, imprimée dans Surius, dans Bollandus et dans le premier tome des Actes de l'Ordre de Saint-Benoît ; celle de saint Aubin, évêque d'Angers, qui se trouve encore dans les mêmes auteurs ; celle de saint Paterne, évêque d'Avranches. La Vie de sainte Radegonde est divisée en deux livres dans le premier tome des Actes bénédictins : le premier seul est de Fortunat. Le Père Labbe a fait imprimer, dans le second tome de sa Bibliothèque des Manuscrits, une vie de saint Amand, évêque de Rodez. Surins en avait déjà donné une partie au quatrième jour de novembre, sous le nom de Fortunat : elle est assez de son style. On attribue encore à Fortunat un abrégé de la vie de saint Remi, qu'on lit dans Surius au 1er octobre, et la vie de saint Médard, évêque de Noyon. La Vie de saint Maurille, évêque d'Angers, n'est pas de Fortunat, comme l'a cru Trithème ; mais de Painon, évêque d'Angers, dans les commencements du Xe siècle. On n'a rien de bien assuré sur l'auteur de la vie de saint Marcel, évêque de Paris ; les uns l'attribuent à Fortunat de Poitiers, d'autres à un évêque du même nom, dont le siège épiscopal n'est pas connu. A l'égard des Actes de saint Denis, évêque de Paris, dont M. Bosquet fait auteur Fortunat de Poitiers, ils paraissent écrits sur la fin du VIIe siècle ou au commencement du suivant. On ne voit pas sur quel fondement on a donné à Fortunat la vie de saint Lubin, évêque de Chartres : elle n'est point de son style.
Outre la vie de saint Séverin, dont saint Grégoire de Tours fait honneur à Fortunat, nous avons perdu les hymnes qu'il avait composées pour toutes les fêtes de l'année. Paul Diacre et Sigebert en font mention, et, par la manière dont ils en parlent, on voit que ces hymnes étaient en grand nombre ; Trithème en comptait jusqu'à soixante-dix-sept. Platine le fait auteur d'un traité intitulé L'Art de régner, adressé au roi Sigebert ; nous n'avons rien sur ce sujet dans les écrits qui nous restent de Fortunat. Le Spicilège de Dom d'Achéry en cite un sous le titre de Medietas Fortunati ; mais ce n'est qu'un recueil de ses poèmes auquel l'on a donné ce titre.
Fortunat était un de ces génies heureux à qui il en coûte peu pour dire de belles choses ; outre cette facilité surprenante qui règne dans ses vers, on y trouve une simplicité facile qui ne bande point l'esprit, et surtout une grande douceur. Il fait toujours voir quelque chose de nouveau, rarement il est copiste ; il ne se copie pas lui-même ; il est presque toujours original. On ne laisse pas de distinguer aisément les vers qu'il faisait sur-le-champ, sans effort et sans méditation, d'avec ceux auxquels il apportait plus d'étude ; ceux-ci sont plus fleuris et remplis de plus d'agrément, il y a dans ceux-là quelque obscurité et moins d'harmonie. La description qu'il fait de son voyage par eau de Metz à Andernach, fait voir que son vrai talent était d'écrire en ce genre. On lui reproche avec raison plusieurs fautes contre la prosodie et contre la pureté de la langue latine, souvent il fait brève une syllabe qui est longue de sa nature, d'un verbe passif il en fait un actif ; d'un singulier il en fait un pluriel ; il défigure les mots, en retranche ou y ajoute, suivant le besoin de la mesure de ses vers. Les éditeurs ont mis à la suite de ses poèmes un grand nombre d'exemples de ces sortes de licences poétiques. Ses écrits en prose, tels que sont ses préfaces et ses lettres, sont d'un style dur et embarrassé, il est beaucoup plus clair et plus doux dans ses ouvrages dogmatiques : c'était le génie de son siècle, d'embrouiller quand on voulait écrire avec éloquence.
La meilleure édition des écrits de saint Fortunat est celle qu'a donnée Mich.-Ang. Luchi, bénédictin de la Congrégation du Mont-Cassin, Rome, 1786-87, en deux parties, in-4°, avec préface et prolégomènes. Elle est reproduite dans le tome LXXXVIIIe de la Patrologie latine. Un Appendice nous donne des vers inconnus aux premiers éditeurs. Il contient des vers adressés à Radegonde et à Agnès ; ils ont été trouvés dans un manuscrit de la Bibliothèque royale par M. Guérard, et publiés par lui dans le tome XIIe des Notices sur les Manuscrits. Les poèmes de Fortunat ont été édités à Cambrai dans la collection Poetæ ecclesiastici, chez M. Hurez, in-12, 1822. Quatre de ses hymnes ont été traduites en français dans les Poètes chrétiens, par M. Félix Clément.
Vie des Saints de Poitiers, par M. l’abbé Auber ; Histoire des Auteurs sacrés et ecclésiastiques, par Dom Ceillier.
SAINT GUIGNER OU FINGAR, MARTYR EN BRETAGNE (vers 455).
Fingar, autrement Guigner, était fils de Clyton, un des rois d'Hibernie, à qui saint Patrick alla prêcher l'Évangile. Le respect que le jeune prince montra, dans une assemblée générale, pour ce saint missionnaire, méprisé de tous les antres rois et seigneurs de l'île, et l'empressement avec lequel il embrassa la foi, portèrent son père à le chasser de ses États, comme ennemi de sa personne et de ses dieux. Guigner se réfugia, avec une troupe d'amis, chrétiens comme lui, dans l'Armorique. Audren, qui régnait alors dans ce pays, lui fit un accueil favorable, et lui donna des terres pour ses compagnons et pour lui ; il y vécut dans les exercices de la vie religieuse pendant quelques années, en imitant, autant qu'il lui était possible, la vie de saint Patrick, son maître. Le désir qu'il éprouvait de ne s'occuper que de Dieu seul le porta à se séparer de ses compagnons, et à se retirer dans une caverne, où il passait tout son temps à méditer les vérités éternelles, et ne se nourrissait que de glands. Étant retourné ensuite dans son pays, avec le dessein de convertir à Jésus-Christ ses compatriotes, il y refusa la couronne que la mort venait d'enlever à son père, et que ses sujets, convertis pendant son absence par saint Patrick, lui présentaient avec un empressement qui marquait bien que ceux qui professent la véritable foi ne manquent jamais de fidélité à leurs souverains légitimes. L'amour de la retraite et de la vie contemplative porta Guigner à quitter une seconde fois son pays, en compagnie de plus de sept cents personnes, du nombre desquelles étaient sept évêques, et de sa sœur Piale, aussi humble et aussi détachée du monde que lui. Le but que cette sainte troupe se proposait, était d'annoncer l'Évangile aux Saxons qui s'étaient établis dans une partie de la Grande-Bretagne, et suivaient les erreurs du paganisme. Arrivés dans la Cornouaille insulaire, saint Guigner et ses compagnons n'eurent pas plus tôt manifesté leurs intentions, que Théodoric, prince breton, rassembla ses soldats, et fondit sur eux avec tant de fureur qu'il les fit tous massacrer. Ce carnage fut, dit-on, uniquement l'effet de la haine que les Bretons avaient contre les Irlandais, sans que la religion y ait eu aucune part. Cependant, comme la mort de ces saints personnages était très injuste, on les a toujours honorés comme martyrs. Saint Guigner, qui n'avait cessé d'exhorter les siens à souffrir le trépas avec patience, eut lui-même la tête tranchée après eux. Cet événement arriva vers l'an 455.
On fait mémoire de saint Guigner dans le pays de Léon, dans la paroisse de Ploudiry (Finistère), où il est patron de l'église succursale de Loc-Eguiner, ainsi appelée de son nom. Une chapelle de l'église cathédrale de Vannes l'a aussi pour patron, et le diocèse en fait l'office double le 14 décembre. Ce Saint est encore le patron de la paroisse de Pluviguer (Morbihan), dans le diocèse de Vannes ; peut-être fut-ce dans ce lieu qu'il se retira la première fois.
La hache ou l'épée, instrument du martyre de saint Guigner, est sa caractéristique ordinaire.
Saints de Bretagne, par Dom Lobineau et l’abbé Tresvaux.
SAINT FOLQUIN, ÉVÊQUE DE THÉROUANNE (855).
Folquin eut pour mère Erkensinde, issue d'une noble famille de la nation des Goths, et pour père Jérôme, oncle de l'empereur Charlemagne. Son adolescence fut à la fois cultivée par les lettres et la piété. Entraîné parla grâce d'en haut en même temps que par son naturel enclin à la vertu, il dédaigna les honneurs du monde, et s'enrôla dans la milice du Christ, bien résolu à ne servir que Dieu seul. Il mena durant quelques années une vie douce et tranquille, tout entier aux choses de Dieu, jusqu'à ce que l'évêque de Thérouanne (Pas-de-Calais), Erkembodon, étant venu à mourir, il fût appelé à lui succéder par les suffrages du clergé et du peuple, l'an 817. Son humilité frappait d'autant plus que sa naissance et son mérite avaient plus d'éclat. Il maintenait la discipline avec une fermeté aussi éloignée de la rigueur que du relâchement. Il fréquentait peu les princes et les grands du monde, bien que sa noblesse semblât lui en faire une nécessité.
Il assista au sixième et au septième Concile de Paris, ainsi qu'à l'assemblée de Soissons. Outre des statuts concernant la discipline générale des mœurs auxquels il coopéra beaucoup, il en fit encore de particuliers pour son diocèse. Il soulagea son peuple accablé des calamités de la guerre. Il eut surtout l'occasion d'exercer sa charité, lorsque les Normands commencèrent à dévaster la Flandre et la Morinie, et à se ruer avec une sorte de fureur sur toutes les parties de la France. Il fit la translation des reliques de saint Omer, le plus célèbre de ses prédécesseurs. La crainte qu'il avait des incursions des Normands le porta à cacher le corps de saint Bertin sons l'autel de Saint-Martin, en 846. Parvenu à une extrême vieillesse, il remplissait encore tous les devoirs de sa charge. Sous prétexte qu'il était trop âgé pour continuer ses fonctions (il y avait près de quarante ans qu'il était évêque), le roi lui envoya un successeur, ce qui, était une grave violation des saints canons ; alors le vieil évêque voulut venger la liberté de l'Église, et appela la malédiction du ciel sur la tête d'un homme qui aimait mieux obéir au roi de la terre qu'au Roi du ciel : on rapporte que le châtiment ne se fit pas attendre. Saint Folquin mourut en faisant la visite de son diocèse, le 14 décembre 855, au bourg d'Esquelbecq (Nord, arrondissement de Dunkerque, canton de Wormhout). Son corps fut porté, selon qu'il l'avait désiré, dans le monastère de Saint-Bertin, et enterré auprès de celui de saint Omer. Soixante-treize ans après (928), Odwin, du consentement de l'évêque de Thérouanne, leva de terre le corps de son oncle, et érigea un autel au lieu de sa sépulture : de grands miracles se sont opérés en faveur de ceux qui ont invoqué son nom.
Le culte de saint Folquin a été de tout temps célèbre dans la Morinie et les pays voisins. Plusieurs paroisses l'invoquent comme leur patron, entre autres celles de Pitgam, Esquelbecq, Wolckerinckove, au diocèse de Cambrai. Il y a aussi dans le diocèse actuel d'Arras, et non loin de Bourbourg, un village qui porte le nom du Saint.
Propre d'Arras ; Légendaire de Morinie ; Vie des Saints des diocèses de Cambrai et d'Arras, Par M. l'abbé Destombes.
LE BIENHEUREUX BONAVENTURE BONACCORSI,
DE L'ORDRE DES SERVITES (1315).
Bonaccorsi naquit à Pistoie, ville de Toscane, à l'époque où le parti des Guelfes et des Gibelins désolait l'Italie (XIIIe siècle). Il appartenait à une famille des plus distinguées de la ville. Se livrant avec passion à la fougue de la jeunesse, il devint l'un des chefs de la faction Gibeline, et fut pour sa ville natale l'occasion de grands troubles. Il oubliait complètement, au milieu des agitations de sa vie, le soin de son âme. Saint Philippe Beniti, fuyant l'épiscopat, vint à Pistoie et travailla à éteindre les discordes civiles. Ses paroles touchèrent un grand nombre de ses auditeurs et en particulier Bonaccorsi. Il vint se jeter aux pieds du Saint, lui fit l'humble aveu de ses fautes et entra dans son Ordre. On le vit, sur la demande de saint Philippe Beniti, se réconcilier avec ses ennemis et s'occuper de réparer les maux que les discordes intestines avaient faits à la ville. Sa conduite fut un objet d'admiration pour tous. Ayant pris le nom de Bonaventure pour exprimer sa joie, le Bienheureux se rendit au Mont-Senario, où il fit en peu de temps de si rapides progrès dans la vertu, qu'il devint un modèle que les religieux s'efforçaient d'imiter. Se livrant sans relâche aux jeûnes, aux veilles et à la prière, il songeait sans cesse à la mort et s'y préparait. Élevé au sacerdoce, il établit dans Pistoie une Confrérie qui prit le nom de Pénitents de Sainte-Marie. Pour se bien pénétrer des miséricordes de Dieu, il se livra sous la conduite de saint Philippe à l'étude des saintes lettres, et y fit de tels progrès, qu'on le chargea de gouverner plusieurs monastères, et qu'il s'acquitta de cette fonction à la satisfaction complète de ses supérieurs. Non content de travailler à la direction de ses frères dans les voies de la perfection, il s'occupa de ramener les âmes à Jésus-Christ, et obtint parmi le peuple de nombreuses conversions. Ce fut lui qui reçut les vœux de sainte Agnès, et gouverna le couvent qu'elle avait fondé. On avait pour lui une telle vénération, de son vivant on l'appelait le Bienheureux. Il mourut à Orvieto en 1315, et fut enterré dans l’église de son Ordre, sons l'autel de la sainte Vierge. Pie VII approuva son culte le 23 avril 1822.