Le nominalisme et les systèmes adverses

De Salve Regina

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Par le R. P. Garrigou-Lagrange

(tiré du ''Sens Commun'')


Pour compléter cette étude sur le nominalisme, il n’est pas inutile de dire quelques mots des systèmes adverses moins en faveur aujourd’hui, qui, à certains égards, font comme lui violence au sens commun. Nous sommes ainsi conduits à parler brièvement du conceptualisme subjectiviste à la manière de Kant et de ses disciples, et aussi d’une doctrine qui est vraiment l’extrême opposé du nominalisme, le réalisme absolu des platoniciens et des ontologistes.


Nominalisme et conceptualisme subjectiviste.

Le conceptualisme subjectiviste de Kant diffère du nominalisme, autrement dit de l’empirisme ou positivisme, parce qu’il prétend conserver une certaine nécessité aux premiers principes rationnels, nécessité que l’empirisme rejette. En particulier Kant ne pouvait mettre en doute la nécessité de la loi morale, ni même celle des premiers principes de la physique de Newton.

Par ailleurs, il concédait à l’empirisme que notre intelligence n’a aucune intuition de l’être intelligible, qu’elle ne peut s’élever par suite scientifiquement à l’existence des causes et des substances, qu’elle s’engage même de fait, lorsqu’elle veut poser ces problèmes, dans des antinomies. Dès lors pour lui, comme pour le nominalisme empirique, la métaphysique est impossible, et seule la science de l’ordre phénoménal existe ; la physique newtonienne s’impose, croyait-il, comme nécessaire.

Comment expliquer cette nécessité de la connaissance scientifique ? L’expérience manifeste bien les rapports qui existent entre les faits (ex. : la chaleur dilate le fer), mais elle ne nous montre pas la nécessité de ces rapports. Kant en conclut : c’est donc l’esprit qui établit entre les phénomènes ces liaisons nécessaires, par l’application de ses catégories de substance, de causalité, d’action réciproque, etc.… Ces catégories sont des formes a priori de notre entendement, des nécessités subjectives de penser, sans lesquelles notre intelligence ne peut fonctionner, et qui permettent de former des liaisons a priori entre phénomènes ou de faire des jugements synthétiques a priori. Ainsi s’explique la nécessité de la science, de la physique et aussi de la loi morale ; mais ce n’est plus là qu’une nécessité subjective, qui tient seulement à la nature de notre esprit, et non point à la nature des choses en soi ; celles-ci sont des noumènes inconnaissables ; on conçoit leur existence sans pouvoir dire ce qu’elles sont. Nous ne saurons jamais si les lois nécessaires de notre esprit sont les lois même du réel ou de l’être.

A cela Fichte a répondu avec raison : s’il en est ainsi, l’application des catégories subjectives aux phénomènes extérieurs reste arbitraire. Pourquoi en effet tels phénomènes viennent-ils se ranger sous la catégorie substance, tels autres sous celle de la causalité ? Pourquoi toute succession phénoménale, celle du jour et de la nuit par exemple, n’apparaît-elle pas comme un cas de causalité ? Si pour éviter l’arbitraire, l’on admet la reconnaissance des rapports d’accident à substance, d’effet à cause, dans les objets extérieurs eux-mêmes, alors on revient à l’appréhension intellectuelle de l’intelligible dans le sensible, telle que la conçoit la philosophie traditionnelle.

De plus, comme le disent les empiristes, et à un point de vue opposé Fichte, rien ne prouve que les phénomènes, s’ils viennent du dehors, se rangeront toujours docilement sous les catégories subjectives. Qu’est-ce qui garantit que le monde des sensations sera toujours susceptible de devenir objet de pensée, et ne présentera pas quelque jour l’image du chaos et du hasard.

Pour éviter cette dernière difficulté, en restant subjectiviste, il faut soutenir avec Fichte que les phénomènes eux-mêmes, comme les catégories, procèdent du moi, et que notre science, comme celle de Dieu, est la mesure de toutes choses ; mais alors elle ne pourrait rien ignorer, il n’y aurait plus de mystères pour nous, ce qui est contredit par les faits les plus certains.

Le conceptualisme subjectiviste se heurte à bien d’autres difficultés. Il est obligé d’admettre sous le nom de jugements synthétiques a priori, des jugements aveugles, sans motif objectif, dans lesquels on affirme sans voir ni a priori ni a posteriori ce qu’on affirme, des jugements qui ne sont motivés par aucune évidence, en d’autres termes des actes intellectuels sans raison suffisante ; ce qui est poser l’irrationnel au sein même du rationnel.

Enfin le conceptualisme subjectiviste, presque autant que le nominalisme empirique, fait violence au sens commun, au lieu de l’expliquer. Il cherche sans doute à maintenir l’universalité et la nécessité des premiers principes rationnels, mais en sacrifiant leur objectivité, leur valeur réelle ou ontologique de lois de l’être. Or cette objectivité est affirmée naturellement par l’intelligence de tous les hommes avec non moins de certitude que les deux caractères précédents d’universalité et de nécessité. La réflexion philosophique doit en l’expliquant rejoindre la nature et non pas la contredire. Si l’on parvenait à montrer qu’il y a « illusion naturelle » que notre nature intellectuelle nous trompe ( et comment y parviendrait-on, sans se contredire à l’instant même ), il resterait au moins à expliquer cette illusion.

Or non seulement Kant ne l’explique pas, mais, en faisant violence à l’affirmation fondamentale du sens commun ou de l’intelligence naturelle, il rend absurde tous les éléments de la connaissance. Dans son système, il n’y a plus à vrai dire d’objet connu, on ne connaît plus que des idées, on ne connaît pas la causalité réelle, mais seulement l’idée de cause, comme si l’idée ou représentation était, dans la connaissance directe, terme et non pas moyen essentiellement relatif au représenté. Une idée qui ne serait pas essentiellement relative à un être actuel ou au moins possible, ne serait l’idée de rien ; elle serait idée et non idée, ce qui est absurde. Pour la même raison, il est également absurde de douter de la valeur réelle du principe de non-contradiction, autrement dit de supposer qu’une chose inconcevable et contradictoire, comme un cercle-carré, est peut-être pourtant réalisable ou possible[1].

En d’autres termes, l’intelligence, privée de sa relation essentielle à l’être, ne se conçoit plus ; elle-même devient absolument inintelligible et absurde. Ce n’est donc pas sans d’immenses inconvénients que l’on fait violence à la nature et surtout à la nature même de l’intellect ; autant vaudrait construire la mathématique en partant de la négation des premières définitions et des axiomes fondamentaux.

Faudra-t-il donc, pour éviter toutes ces difficultés insolubles et ces contradictions, revenir au réalisme absolu, tel qu’il fut conçu dans l’antiquité par Platon, et dans les temps modernes par les ontologistes ? C’est ce qui nous reste à examiner, en comparant ce système avec les précédents.


Nominalisme et réalisme absolu.

A l’antipode des nominalistes ou empiristes, Platon dans sa défense de la valeur de l’intelligence, soutint le réalisme le plus absolu, qui a été appelé aussi, par opposition à l’empirisme matérialiste, idéalisme, idéalisme objectif cela va sans dire, radicalement contraire à l’idéalisme subjectif de Kant et de ses disciples.

L’universel, conçu par l’intelligence, existe, selon Platon, tel qu’il est conçu, c’est-à-dire formellement comme universel ( universale existit formaliter a parte rei, seu extra animam ). Au-dessus des individus des différentes espèces, il y a dans un ordre intelligible, séparé de la matière, l’or en soi, le blé en soi, l’homme en soi, l’être en soi, le bien en soi.

Aristote objecte, avec le sens commun : mais l’homme en soi ne peut exister séparément de la matière, puisqu’il implique dans sa définition, sinon cette chair et ces os, du moins de la chair et des os, une matière commune qui peut se concevoir mais non pas exister séparément des conditions individuantes[2].

Les platoniciens répondent : l’homme en soi existe au moins comme idée divine, et c’est cette idée divine qui est confusément connue par notre intelligence, lorsque nous pensons non pas à tel ou tel homme, mais à l’homme en général ; cette idée divine est l’objet immédiat de notre intellect, qui émerge au-dessus des sens et de l’imagination. De plus, ajoutent-ils, si l’homme en soi ne peut exister sans matière, dépourvu de chair et d’os, il n’en est pas de même de l’Etre en soi, du Bien, du Vrai, de la Sagesse, et de l’Amour, car il n’y a dans leur définition aucune matière. L’Etre en soi, subsistant de toute éternité ou le Bien en soi, plénitude de l’être, c’est Dieu même, et tel est l’objet de notre connaissance intellectuelle lorsque nous pensons non pas à tel être en particulier, ou à tel bien particulier, mais à l’être en général ou au bien en général.

Cette conception paraît conduire nécessairement à la confusion de l’être divin avec l’être des choses, qui est finalement absorbé en Dieu. Si en effet l’essence de l’homme n’est pas dans les individus humains, mais en dehors d’eux, dans un monde intelligible supérieur, que sont-ils donc en eux-mêmes, ces individus sans essence ? Il n’y a en eux ni différence spécifique, ni genre prochain, ni genre suprême. Ils n’ont en eux-mêmes, ni l’humanité, ni la vie, ni la substance, ni l’être[3] ; finalement ils ne sont rien, et Dieu seul, Premier Etre et souverain Bien existe, mais privé de la toute-puissance, puisqu’il ne peut rien produire en dehors de Lui.

On est ainsi conduit, à l’antipode de l’athéisme, la négation du monde ou à l’acosmisme. Ce sont les deux extrêmes entre lesquels le panthéisme est toujours ballotté : ne pouvant, sans contradiction manifeste, identifier Dieu et la créature, l’Infini et le fini, il doit, soit absorber Dieu dans le monde, soit absorber le monde en Dieu. Dans le second cas, presque autant que dans le premier, on fait violence au sens commun. C’est à cela que doit aboutir, comme le montrait Aristote ( Métaph., l.VII ), une doctrine qui confond l’être en général et l’être divin.


  • * *


Ce réalisme absolu de l’intelligence reparut parmi les modernes, chez Spinoza, au moins pour les notions dites simples, claires, distinctes et adéquates, notions de substance, de pensée, d’étendue. La substance, selon Spinoza, existe avec son universalité, telle qu’elle est conçue ; elle ne peut être que Dieu même ; la pensée universelle et l’étendue sont ses attributs infinis ( Ethica, II, pr. 44 )[4] . Les pensées individuelles et les formes particulières de l’étendue ne sont que des phénomènes qui se succèdent, et la série de ces phénomènes n’a pas commencé ; elle évolue de toute éternité, selon des lois absolument nécessaires. C’est la négation radicale de la liberté créatrice et de la liberté humaine, affirmée par le sens commun.

En d’autres termes, selon ce système, le premier objet connu par notre intelligence est l’Etre premier, ou l’Etre divin, comme l’objet premier de la vue est la couleur, et toute notre connaissance intellectuelle dépend de cette première intuition du premier Etre intelligible. D’où le nom d’ontologisme ( to on, l’être ) ou doctrine selon laquelle le premier Etre est le premier connu. Et il s’agit manifestement ici de l’ontologisme panthéistique, qui, contrairement au sens commun, identifie l’être substantiel des choses, des pierres, des plantes, des animaux, des hommes avec l’être de Dieu, ou qui nie l’existence des substances individuelles[5].


  • * *


Il y a quelque chose de semblable dans l’ontologisme de Malebranche et dans celui de Rosmini.

Malebranche estimait que les vérités universelles et nécessaires, comme les premiers principes rationnels ou lois fondamentales de l’être, sont vues intuitivement par nous en Dieu lui-même, Premier Etre. Nous aurions ainsi une pure intuition intellectuelle de l’intelligible en Dieu, naturellement présent en nous comme en toutes choses. Sans voir l’essence divine, telle qu’elle est en elle-même, nous verrions les idées divines, archétypes ou exemplaires des choses, les idées de substance, d’esprit, d’étendue. Selon Malebranche en effet, l’universel ou l’intelligible ne saurait être abstrait par notre intelligence des choses singulières, autant dire qu’il n’y est pas et qu’il n’existe qu’en Dieu. C’est une forme atténuée du réalisme absolu de Platon.

Mais le système ainsi modifié se heurte à peu près aux mêmes difficultés et n’est guère plus conforme au sens commun.

Malebranche ne prouve nullement que notre intelligence ne peut découvrir dans les choses singulières de même espèce leurs caractères communs, qu’elle ne peut abstraire l’intelligible du sensible. Comme la lumière du soleil actualise les couleurs des corps qu’elle éclaire, pourquoi la lumière de notre intelligence ne pourrait-elle pas faire apparaître l’intelligibilité qui est dans les choses, comme le disaient Aristote et saint Thomas[6] ?

Tout porte à penser que la premier objet connu par notre intelligence naturellement unie à des sens est, comme le montre saint Thomas[7], non pas Dieu, pur esprit, mais l’être intelligible des choses sensibles. C’est là non pas notre objet adéquat, car nous pourrons connaître Dieu lui-même, mais c’est l’objet premièrement connu et proportionné à la faiblesse de notre intellect, tandis que l’essence de l’esprit pur créé est l’objet proportionné à l’intellect angélique, et l’essence divine l’objet proportionné à l’intellect divin[8]. C’est Dieu seul qui voit naturellement toutes choses en lui-même, comme dans la cause, dont tout dépend. Pour nous la vision de l’essence divine et de toutes choses en Dieu ne peut être que surnaturelle.

Du reste, s’il en était autrement, si notre intelligence connaissait immédiatement en Dieu toute vérité, pourquoi aurions-nous des sens, à quoi nous serviraient-ils ? Ils ne seraient nullement un secours pour notre intelligence, mais bien plutôt un obstacle. Si nous percevions tout intelligible en Dieu, pourquoi nos idées seraient-elles toujours accompagnées d’une image sensible ? Pourquoi l’aveugle-né n’aurait-il pas la science des couleurs ? Pourquoi notre intelligence ne verrait-elle pas aussi les substances angéliques ?

Autant de questions insolubles dans l’ontologisme de Malebranche.

De plus de ce que Dieu est intimement présent en nous et en toutes choses, comme cause conservatrice, il ne s’ensuit pas qu’il y soit présent comme objet[9]. Pour le voir, il faudrait avoir reçu, comme les bienheureux, la lumière de gloire, qui surnaturalise l’intellect humain pour lui donner la force de percevoir l’infinie splendeur de la Lumière même. Sans cette élévation surnaturelle, notre intelligence serait devant Dieu, comme l’œil de l’oiseau de nuit, devant le soleil, elle n’en pourrait supporter l’éclat[10].

Enfin dire que l’être des choses n’est intelligible qu’en Dieu, c’est dire que l’être intelligible n’est pas dans les choses ; et alors que sont-elles, sinon un pur néant ? C’est à cette conclusion que conduisent trois propositions ontologistes condamnées par le Saint Office[11]. C’est à la même conclusion que conduit l’occasionnalisme de Malebranche ; si en effet Dieu seul opère en toutes choses, si les choses ne peuvent agir elles-mêmes sous la motion divine, Dieu seul existe, car l’action suit l’être, et le mode d’action le mode d’être[12]. Par où l’on voit que le réalisme absolu conduit à identifier, contrairement au sens commun, Dieu et le monde ; mais au lieu d’absorber Dieu dans le monde, comme le fait l’évolutionnisme athée et généralement le nominalisme empirique, il tend à absorber le monde en Dieu.

Rosmini soutint de même que l’être, premier objet connu par notre intelligence, est quelque chose de Dieu[13].

C’était toujours confondre l’être en général et l’être divin ; ce qui conduisait Rosmini à dire : « La réalité finie n’existe pas, Dieu la fait exister en ajoutant une limite à la réalité infinie, - l’être initial ( qui est quelque chose de Dieu ) devient l’essence de tout être réel.[14] » - Oubliant qu’entre Dieu et la créature il ne peut y avoir qu’une similitude analogique, et non pas univoque, Rosmini disait : « Esse quod actuat naturas finitas, ipsis conjunctum, et recisum a Deo » [15]. On reconnaît toujours ici, comme chez Malebranche, la même tendance que dans le réalisme absolu de Platon[16].



  • * *



Où trouverons-nous la vérité ? Le nominalisme et le conceptualiste subjectiviste d’une part renoncent à la connaissance de l’être, pour s’en tenir à celle du phénomène ; le réalisme absolu d’autre part croit naïvement avoir dès ici-bas la connaissance intuitive de Dieu, l’Etre premier, avec qui il confond, à l’encontre du sens commun, l’être en général ou l’être des choses.

La vérité sera-t-elle dans un éclectisme opportuniste, qui neutralise tant bien que mal les systèmes extrêmes les uns par les autres, pour s’en tenir à une honnête médiocrité, toujours obligée à osciller à droite et à gauche, sans parvenir jamais à une affirmation vigoureuse, précise et compréhensive ? Nous allons voir que telle n’est pas la position de la philosophie traditionnelle, qui a trouvé sa formule la plus parfaite, parmi les anciens chez Aristote, au moyen-âge chez saint Thomas d’Aquin et ses successeurs. Elle s’élève au-dessus des systèmes extrêmes et d’un éclectisme sans caractère, pour mettre dans tout son relief la loi fondamentale de la pensée et de l’être, le principe d’identité ou de non-contradiction, loi réalisée dans tous les êtres, mais de la façon la plus haute et la plus pure dans l’Etre premier, en qui l’essence et l’existence sont identiques : « Je suis Celui qui suis » .

Cette doctrine qui est surtout une métaphysique peut s’appeler une philosophie de l’être, toute différente de celle du phénomène ou de celle du devenir. Elle est par là même très supérieure au nominalisme empirique et au conceptualisme subjectiviste. Quoi qu’il y paraisse au premier abord, elle est supérieure aussi au réalisme absolu et naïf de Platon et de ses disciples qui croient avoir dès ici-bas et naturellement l’intuition de Dieu. Elle peut s’appeler un conceptualisme ( parce qu’elle donne la supériorité au concept sur l’image sensible ), mais un conceptualisme réaliste, ou un réalisme mesuré. C’est elle que nous devons examiner maintenant.

[1] Nous avons longuement développé cette critique du conceptualisme subjectiviste dans un autre ouvrage : Dieu, son existence et sa nature, 1ère partie, ch. II, et particulièrement pp. 115 et suiv.

[2] Cf. ARISTOTE, Métaph., l.I ( lect. 14 et 15 du Commentaire de S. Thomas ), l. VII ( ibid., lect. 9 et 10 ) et St. THOMAS I, q.84, a. 7.

[3] Cf. ARISTOTE, Métaphysique, l.VII, la critique du réalisme absolu de Platon.

[4] Spinoza est au contraire nominaliste pour les notions qu’il appelle confuses, et qui désignent selon lui des collections phénomènes, comme les notions d’animalité, d’humanité, de faculté intellectuelle. Ce nominalisme est d’ailleurs une conséquence du réalisme absolu appliqué à la notion simple de substance, puisque en vertu de ce réalisme absolu il ne peut y avoir qu’une seule substance, les autres avec leurs facultés ne sont dès lors que des entités verbales, flatus vocis. Ainsi les deux extrêmes se touchent, ou plutôt l’erreur dans ses divagations oscille toujours de l’un à l’autre ; la vérité s’élève comme un sommet au-dessus de ces divagations, et seule elle concilie ce qu’il y a de vrai en chacune de ces erreurs contraires.

[5] Reste seulement la distinction de nature naturante et de nature naturée que Spinoza explique en disant : Ethique, I, p. 29, scol. : « par nature naturante il faut entendre ce qui est en soi et se conçoit par soi-même, c’est-à-dire Dieu. Et par nature naturée, j’entends tout ce qui suit nécessairement la nature divine. » Par où l’on voit que, quoiqu’on en ait dit récemment, dans ce système le rapport de la nature naturante et de la nature naturée, n’a aucune ressemblance avec celui qui existe, selon la foi catholique, dans le Christ, entre la nature divine et la nature humaine, qui a été librement créée et librement assumée par la Verbe. Par suite le panthéisme ne serait pas du tout réalisé, si le Verbe s’était uni personnellement ( ou hypostatiquement ) à toutes les natures humaines individuelles, ou même à toutes les substances créées. Il est du reste certain qu’il n’en est pas ainsi, car la Verbe fait chair est nécessairement impeccable, non seulement dans sa nature divine, mais dans sa nature humaine ; or, c’est hélas un fait trop clair que nous péchons contre la loi de notre conscience.

Le Dictionnaire Apologétique dans son article Panthéisme établit un rapprochement qui parait vraiment bien forcé entre le rapport de la nature naturante et de la nature naturée selon Spinoza et celui de la nature divine et de la nature humaine dans le Christ. L’auteur de l’article ne voit plus alors toute la force de la réfutation traditionnelle du spinozisme selon les principes de S. Thomas, et il est entraîné dans une réfutation très compliquée, qui paraît peu convaincante. Voir ce Dict., col. 1326-1331.

[6] S. Thomas, I, q. 85, a. 1.

[7] I, q. 88, a. 3.

[8] I, q. 12, a. 1-4.

[9] Cf. S. Thomas, Ia, q. 84, a. 5.

[10] I, q. 12, a.1.

[11] Le Saint Office condamna en effet en 1861, avec la mention tuto tradi non possunt les propositions ontologistes suivantes : « Immediata Dei cognitio, habitualis saltem, intellectui humano essentialis est, ita ut sine ea nihil cognoscere possit : siquidem est ipsum lumen intellectuale - Esse illud, quod in omnibus et sine quo nihil intelligimus, est esse divinum. Universalia a parte rei considerata a Deo realiter non distinguuntur. » Cf. Denzinger, 1659-1665.

[12] Operari sequitur esse et modus operandi modum essendi.

[13] Parmi les propositions rosminiennes condamnées on lit en effet celle-ci : « Esse quod homo intuetur, necesse est, ut sit aliquid entis necessarii et aeterni, causae creantis, determinantis ac finientis omnium entium contingentium ; atque hoc est Deus. » Denz., 1895.

[14] Cf. propositions rosminiennes condamnées, Denzinger, n. 1902.

[15] Cf. Denzinger, n. 1902.

[16] Voir sur Rosmini l’appendice qui se trouve à la fin de la seconde partie de cet ouvrage : « Philosophie de l’être et ontologisme. »

  1. Nous avons longuement développé cette critique du conceptualisme subjectiviste dans un autre ouvrage : Dieu, son existence et sa nature, 1ère partie, ch. II, et particulièrement pp. 115 et suiv.
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