Vie spirituelle
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Auteur :
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Abbé V. A. Berto, Docteur en Théologie et en Philosophie, Ancien Directeur au Grand Séminaire de Vannes, Directeur des Maisons d'enfants Notre-Dame de Joie
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Source :
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Lettre sur les principes de la direction spirituelle suivi de trois probations préparatoires à la première tonsure cléricale
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Difficulté de lecture :
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♦♦♦ Difficile
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Remarque particulière :
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Pour les séminaristes
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Avant-propos
Après tant d'ouvrages excellents sur la Direction de conscience, il me semble qu'il y a encore place pour ce petit travail, qui se présente comme un essai sur les principes philosophiques et théologiques de la Direction.
Les auteurs qui ont traité cette matière paraissent s'être appliqués à décrire plus qu'à définir ; ils s'étendent sur les rapports entre le directeur et le dirigé, sur les bienfaits de la Direction, davantage encore sur les conditions de son efficacité. J'ai cherché autre chose : comme une justification métaphysique des règles du gouvernement des âmes.
Je n'ai pas procédé a-priori. J'ai reçu par hypothèse les principes du thomisme d'une part, d'autre part l'idée commune de la Direction spirituelle, telle qu'elle ressort de la pratique de l'Eglise ; mon effort a été seulement de relier cette idée et ces principes. Si on dit qu'un tel travail manque de pittoresque, j'y consens ; je concéderais moins volontiers qu'il fût artificiel. Toute pratique doit pouvoir se résoudre en principes, et toute pratique ecclésiastique en principes thomistes, de la façon la plus aisée, la plus spontanée, la plus vraiment naturelle.
C'est pourquoi je ne crois pas non plus que cette recherche soit sans utilité. Il est toujours utile d'y voir clair. On est toujours plus sûr de l'action qu'on pose, quand on l'a d'abord contemplée dans son essence intelligible, et comme à l'état naissant, lorsqu'elle jaillit des maximes suprêmes qui gouvernent la conduite humaine.
J'ai écrit pour les séminaristes, parce que les années que j'ai passées à leur service m'ont laissé le désir de continuer à travailler pour eux. Il me semble qu'il ne sera pas difficile d'appliquer les considérations qui suivent à d'autres catégories de fidèles : on lit, et selon le conseil de saint Paul, on retient ce qu'on trouve bon pour soi.
19 septembre 1932.
Je réédite ce petit livre, sans y faire autre changement que de l'augmenter d'un chapitre (chap. XI) et de corriger quelques phrases boiteuses. Ce n'est pas qu'il ne me semble très imparfait, c'est seulement que le temps me manque pour l'améliorer page à page. Tel qu'il est, il a paru assez utile pour que la première édition se soit trouvée épuisée en moins de deux ans ; tel qu'il est, je le livre à la réimpression.
Je dois déclarer néanmoins que sur une idée qui se fait jour à plusieurs reprises dans mon texte, et qui se développe dans l'Appendice II, je serais aujourd'hui plus réservé : c'est l'idée que le sacerdoce requiert chez celui qui en est revêtu la pratique des conseils évangéliques, quoique non nécessairement sanctionnés par les vœux. Je suivais, ou je croyais suivre, car j'ai pu me méprendre, une autorité très vénérable, celle du Cardinal Mercier. Pour ce grand et admirable évêque, les prêtres du second rang ne sont pas dans un état propre et distinct de perfection, ni de perfection « à acquérir », ce qui est le propre des religieux, ni de perfection « acquise », ce qui est le propre de l'épiscopat ; mais il pensait que le presbytérat, comme il emporte participation au pouvoir épiscopal, emporte aussi, au moins de convenance, participation à la perfection épiscopale, par rapport à laquelle les conseils ne peuvent plus évidemment avoir valeur de moyens, mais de surabondance et de manifestation.
Je m'étais inspiré de ces vues, que le Cardinal ne jugeait pas inconciliables avec la pensée de saint Thomas. Mais après tout elles ne sont pas indispensables à l'intelligence du présent opuscule. Tout le monde convient qu'il y a dans le sacerdoce une exigence de sainteté, et plus impérieuse encore, dit saint Thomas, que celle qui procède de la profession religieuse : voilà l'essentiel. Que l'on veuille bien prendre ce que j'ai écrit dans le sens d'une exacte conformité à l'Exhortation Apostolique Menti Nostrae, et au Discours du Souverain Pontife pour la clôture du Congrès des Religieux. Tout, me semble‑t‑il, peut être pris dans ce sens. S'il en est autrement, je rétracte et désavoue ici tout ce qui ne serait pas « iuxta sensum quem tenet Sancta Mater Ecclesia » ; à ce sentiment de l'Eglise, j'adhère entièrement et je suis entièrement soumis.
Manécanterie Pie X
Maison Notre-Dame de Joie.
4‑XI‑1951.
Au lecteur
Vous entrez, mon cher Enfant, au Grand Séminaire. Parmi tout ce qui vous y paraîtra d'abord curieux et un peu insolite, peu de choses, sans doute, vous seront plus nouvelles en apparence que la Direction spirituelle. Je dis en apparence, car il est probable que déjà vous avez été dirigé. Mais vous l'étiez sans le savoir. Désormais, on ne vous laissera pas ignorer que vous devez l'être. On vous rebattra les oreilles du verbe diriger et de ses dérivés. Dès le lendemain de votre arrivée, ou vous priera de choisir, parmi les prêtres attachés à la maison, un directeur de conscience. Sur les listes de M. le Supérieur, vous compterez au nombre des dirigés de celui que vous aurez élu. Et lorsque vous ferez à celui-ci, chaque quinzaine, une visite obligatoire, cela s'appellera, dans la langue du Séminaire, aller en direction. Bref, il vous faudra comprendre que la Direction spirituelle est une des pièces essentielles de l'institution qui vous accueille, un des moyens reconnus et déclarés indispensables à votre formation sacerdotale.
Mon désir est de vous aider à tirer promptement et pleinement profit d'une pratique dont on vous fait dorénavant un devoir, mais dont vous n'éprouverez tout le bienfait que si vous vous y prêtez avec empressement et avec joie. Lisez donc, mon cher Enfant, ces pages écrites pour vous par un prêtre qui n'a pas besoin pour vous aimer de vous connaître, mais seulement de penser à ce que vous êtes, et à ce qu'avec la grâce de l'Esprit-Saint vous voulez devenir.
Lettre sur les principes de la direction spirituelle
Énoncé de la question
Direction particulière, direction spirituelle, disons plus précisément, sinon mieux, direction de conscience. Direction et conscience, cela fait deux mots à expliquer. Et comme la nature de la direction dépend de l'objet sur lequel elle s'exerce et non inversement, c'est votre idée de la conscience qu'il faut d'abord éclaircir. Il sera plus facile, après, de voir ce que peut être une direction, quand c'est à une conscience qu'on la donne.
Définition de la conscience
La conscience dont il s'agit ici n'est pas la simple attestation de nos événements intérieurs, elle est une appréciation de leur moralité.
« Cette action que j'ai faite a été bonne cette autre a été mauvaise ; ceci, que je me sens porté à faire, est un péché, mon devoir est de m'abstenir ». Une telle appréciation est un jugement : or, tout jugement est une opération de l'esprit, un acte. A parler en rigueur, la conscience morale est donc un acte.
Néanmoins, le jugement ainsi porté sur la valeur de ce qui a été ou sera accompli ou omis n'est pas proféré aveuglément. Il suppose dans l'esprit la présence permanente d'un certain nombre de principes, naturels ou acquis, d'après lesquels il s'opère. Si vous jugez qu'en accomplissant une promesse que vous avez faite vous accomplissez une action bonne, et obligatoire, c'est évidemment que vous avez dans l'esprit une maxime générale de la forme suivante : « Il faut tenir ses promesses ». Vous comparez votre action à cette règle, vous constatez la conformité de l'une à l'autre, et vous jugez en vertu de cette constatation. La conscience comme acte ne procède donc pas de l'esprit tout seul, mais de l'esprit orné et perfectionné par des principes qui le disposent d'avance à prononcer en matière morale. A cette disposition on peut légitimement donner encore le nom de conscience. La conscience comme acte s'appelle conscience actuelle, la conscience comme disposition s'appelle conscience habituelle.
Vous trouvez, mon cher Enfant, deux adjectifs que vous connaissez d'ancienne date, et que déjà vous avez vus employés avec le sens qu'ils ont ici. Votre catéchisme de première communion parlait de la grâce actuelle et de la grâce habituelle. Ce souvenir et votre présente lecture s'éclaireront l'un par l'autre.
Quel que soit le sens qu'il convienne de donner au mot de direction, vous savez maintenant ce que désigne le mot de conscience. L'action de votre directeur, telle qu'il nous reste à la définir, aura à s'exercer et sur votre conscience habituelle, et sur votre conscience actuelle.
Il est du reste nécessaire que nous arrivions à la définir sans fausser la notion de conscience telle que nous venons de l'établir, cette notion étant reçue de tous, et appuyée sur les plus indiscutables autorités.
Définition de la direction
Vous savez, mon cher Enfant, qu'en géométrie la notion de direction est liée à la notion de mouvement. Un mobile à l'état de repos n'a pas de direction. Sans recourir aux rigoureuses définitions des mathématiques, remarquons que le langage vulgaire appelle direction la courbe idéale qui joint le point de départ au point d'arrivée d'un corps en mouvement : ce train prend la direction de Paris ; ce projectile, adroitement dirigé, atteint la cible.
Or, ce qui dans le monde des esprits, correspond analogiquement à ce qu'est dans le monde des corps le passage d'une position à une autre, c'est le passage d'un état à un autre. De l'ignorance à la science, du sommeil à la veille, du péché à la sainteté, il y a pour l'esprit un changement analogue au changement de lieu d'un mobile. Ce changement reçoit aussi le nom de mouvement, et à la ligne spirituelle qui rejoint l'état ancien à l'état nouveau, on donne aussi le nom de direction.
D'autre part, rien de créé ne se meut sans être mû ; un changement de lieu ou d'état n'a pas seulement un commencement, mais encore une cause, et le sens du mouvement ne dépend pas moins de cette cause que le mouvement même. Aussi, désignant par le même mot, comme il arrive souvent, l'effet et l'action causale, on appelle direction l'influence exercée par la force qui est au principe du changement produit, de quelque nature que soit cette force. Ainsi l'on parle de la direction donnée par le Pape à l'Eglise ; ainsi dit‑on que la pensée de l'écrivain dirige sa plume, celle de l'orateur sa parole.
Enfin, comme les êtres qui se meuvent dans l'univers sont presque toujours fort composés, et que les actions les plus diverses peuvent contrarier leur mouvement, il ne suffit presque jamais de leur assigner un but et de les lancer vers lui. Il faut modérer leur marche, surveiller leur comportement, écarter ou tourner les obstacles. Tout cela, c'est encore diriger.
Ces réflexions nous conduisent à concevoir la direction comme une influence de soi efficace et prépondérante, qui détermine le mouvement d'un objet en vue d'un but, et qui gouverne l'objet pendant son mouvement.
Définition de la direction de conscience
Il ne reste plus, mon cher Enfant, qu'à appliquer ce que nous venons de dire au cas particulier où la direction s'exerce sur une conscience. Arrêtons-nous à ceci : la direction de conscience est une influence habituelle, prépondérante, et de soi efficace, exercée sur autrui pour produire en lui, soit la disposition permanente d'où procède le dernier jugement pratique concernant la valeur morale des actions particulières (direction de la conscience habituelle), soit immédiatement le dernier jugement pratique (direction de la conscience actuelle).
Il va de soi qu'une telle influence n'est pas d'ordre physique ; rien ici qui ressemble au « fluide » des magnétiseurs. Elle s'exerce par voie de causalité morale. Cela ne signifie pas qu'elle se borne à énoncer des préceptes auxquels il suffirait que répondît de votre part l'obéissance passive. Cela signifie, mon cher Enfant, qu'un conseil, un ordre, une indécision même de votre directeur valent pour stimuler, lier ou tenir en suspens votre conscience, antérieurement à tout examen fait par vous de leurs raisons. Ils valent pour vous, comme ligne de conduite pratique, par cela seul que vous avez décidé de leur donner la préférence sur tous autres avis émanés d'autres personnes.
Non que ce soit vous qui confériez à votre Directeur son pouvoir sur vous. Il lui est conféré par Dieu et par l'Eglise, mais vous ne commencez à lui être soumis que par votre volonté. Car s'il est possible d'être dirigé sans le savoir, il n'est pas possible d'être dirigé sans le vouloir, au moins par une acceptation tacite et implicite. Et, au Séminaire, on vous demande plus qu'une acceptation : une désignation délibérée et expresse.
Il y a donc, à l'origine de ce que nous pourrions appeler le pacte de direction, un acte de confiance. Votre Directeur vous prend en charge, et, dans une mesure que nous essaierons de déterminer, vous donne décharge de vous-même. Notez que cette confiance s'adresse et se termine à la personne – pourvu qu'elle ait mission – nullement à la science, ni à l'expérience, ni même à la vertu. Quoique tout cela soit indispensablement présupposé, ce n'est point à vous de le peser ; rien de tout cela n'est la raison propre et directe, le motif formel, comme vous apprendrez à dire, de votre assentiment.
Et votre choix, quoi qu'il ne soit pas irrévocable – il faut prévoir le cas où votre Directeur refuserait de garder le soin de votre conduite, le cas où les circonstances vous sépareraient – votre choix doit être inconditionnel, c'est‑à‑dire que vous ne devez pas vous réserver, ni réserver à aucun autre, la critique des avis que vous recevrez. Une telle attitude serait la négation même de toute direction. La docilité que je vous recommande n'a rien du reste que de très raisonnable et de très légitime, comme vous le verrez plus clairement bientôt.
Direction unique et pluralité d'influences
Ce que vous comprenez dès à présent, c'est que seule une influence de soi efficace mérite vraiment dans les choses de la vie morale, d'être appelée une direction. Ce n'est pas là une pure question de mots. Si l'influence de votre directeur a besoin d'un appoint extrinsèque, s'il faut, pour ainsi dire, votre « Nihil obstat » ou celui d'un autre pour que ses avis deviennent exécutoires, cette influence n'est plus efficace. Celle qui détermine le changement d'état, c'est la vôtre, ou celle de cet autre. Vous êtes donc votre propre dirigé, ou le dirigé de cet autre ; vous n'êtes plus le dirigé de votre Directeur. Il faut donc nécessairement, pour que vous soyez le dirigé de votre Directeur, que son influence soit valable par elle‑même, et par elle‑même déterminante.
Il faut bien en outre que cette influence soit uniquement et exclusivement efficace. Vouloir qu'une autre puisse l'être aussi, c'est vouloir qu'aucune des deux ne le soit ; car chacune aura besoin de l'abstention ou de la convergence de l'autre, puisque si elles se contrarient, rien ne se fait.
Vous ne pouvez donc avoir qu'un Directeur.
Cette nécessaire unité de la Direction n'exclut pas que vous puissiez admettre d'autres influences. Car si la Direction est une influence, toute influence n'est pas une Direction. Que vous ayez, avec l'un ou l'autre de vos confrères, avec votre premier maître, avec un prêtre dont vous aimez la conversation, des entretiens dont il subsiste des traces dans votre esprit, cela en soi n'est pas mauvais, et du reste c'est inévitable, à moins qu'on ne veuille aboutir à une odieuse séquestration spirituelle.
Il faut seulement deux choses :
- que votre Directeur connaisse très bien l'existence et la force de ces influences, afin qu'il puisse les employer, les mesurer, les contrôler, au besoin les neutraliser ;
- que leur effet demeure suspendu, tant qu'il n'a pas donné son approbation.
Vous voyez assez que la première condition ne peut être remplie que si votre sincérité est sans ombre ; et que la seconde ne peut manquer sans ruiner ce caractère pratiquement exclusif qui distingue l'influence du Directeur, et dont celui‑ci a le devoir d'être jaloux.
La direction en vue du sacerdoce
Théoriquement, rien ne s'oppose à ce qu'une direction s'exerce en vue du mal. On peut concevoir une discipline du vice ou du crime, aussi bien qu'une préparation à la vertu. Ce qui serait absurde, c'est une direction qui ne tendrait à rien. Saint Thomas dit de l'enseignement qu'il est nécessairement relatif à un double objet : la chose qui est enseignée, la personne à qui on enseigne. Il ajoute (j'ignore si les linguistes l'approuveraient) que c'est pour cela qu'en latin les verbes qui signifient enseigner ou instruire gouvernent le double accusatif : Doceo pueros grammaticam. Ainsi la direction de conscience : il faut qu'elle s'applique à quelqu'un ; il faut qu'elle vise à quelque chose.
Telle qu'elle est comprise dans l'Eglise, elle tend toujours à procurer le bien surnaturel, la sainteté de l'âme qui la reçoit. C'est pourquoi elle porte le nom de Direction spirituelle, car ce qu'il y a en nous de plus spirituel, et en comparaison de quoi tout le reste, et notre intelligence même, n'est que chair, c'est la grâce surnaturelle qui nous fait saints.
Mais cette perfection chrétienne, quoique substantiellement elle soit la même pour tous, puisqu'elle se résume toute dans la charité – « in hoc verbo instauratur : diliges, » Rom. XIII, 9 – se diversifie néanmoins selon les états. C'est pourquoi des conditions et des devoirs différents spécifient des directions différentes : on ne dirige pas une Carmélite comme une Ursuline, ni un religieux comme un laïque. Ou si vous voulez, tout est pareil et tout est autre ; c'est un cas d'analogie ; on vous apprendra ce que c'est quand vous étudierez la Métaphysique.
Pour vous, mon cher Enfant, votre qualité de séminariste, sans vous établir, à proprement parler, dans un état de vie particulier, assigne cependant à votre activité, à toute votre activité, un but et des devoirs très précis. Vous devez, dès le début, commencer d'acquérir les dispositions convenables à la réception et à l'exercice de la puissance sacerdotale ; vous devez d'avance, et dès le début, imiter ce que vous accomplirez, imiter votre messe future ; vous devez, dès le début, tenir les yeux attachés sur l'autel de votre premier sacrifice. C'est pourquoi la direction qui s'exercera sur vous aura pour objet dès le début, et dès le début pour objet unique, de faire croître en vous la justice et la sainteté du sacerdoce.
Il n'y a pas ici à distinguer des étapes successives ; il ne s'agit pas de vous orner de trois couches superposées de peinture : première couche, l'homme ; deuxième couche, le chrétien ; troisième couche, le prêtre. Car un prêtre n'est pas un chrétien comme les autres hommes, qu'on aurait seulement pourvu d'un bagage supplémentaire. En lui, c'est tout l'humain, tout le baptismal, tout le chrismal, qui doivent être atteints et modifiés par la grâce de sa vocation ; rien en lui qui ne doive être tourné et tendu pour correspondre à cette grâce. Et comme toutes les vertus du chrétien sont des vertus chrétiennes, ainsi toutes les vertus du prêtre sont des vertus sacerdotales. « Bienheureux curé d'Ars, disait un séminariste que j'ai connu, daignez sacerdotaliser mon cœur. »
Dès le début, dis‑je, car vous n'avez pas même à supposer que votre Directeur doive attendre d'avoir résolu la question de votre persévérance au Séminaire. A moins que le premier examen ne lui révèle quelque inaptitude déjà formelle et irrémédiable – auquel cas il n'y aurait pas pour lui matière à direction – il entreprendra sans délai de vous préparer à recevoir et à exercer les Ordres. Et c'est justement par le résultat de ses premiers efforts qu'il discernera si vous devez poursuivre.
Vous m'entendez assez, mon cher Enfant. Je ne veux pas dire que votre Directeur s'appliquera premièrement à établir en vous les habitudes d'intelligence, de volonté, de cœur qui conviennent à peu près exclusivement au prêtre. Mais il s'appliquera tout de suite à donner en vous, – non certes, mécaniquement et du dehors, ou par contrainte, mais avec votre active et volontaire coopération, – à donner, dis‑je, en vous, aux habitudes d'esprit, de volonté, de cœur qui conviennent à tout chrétien signé du Baptême et de la Confirmation, la nuance qu'elles doivent prendre dans un chrétien désigné pour la Cléricature et pour l'Ordre.
Cette nuance n'est nullement imaginaire. Elle distingue très réellement la sainteté du prêtre séculier (je m'autorise des Saints Canons pour conserver cette expression qui paraît déplaisante à plusieurs), elle distingue, dis‑je, et très réellement, la sainteté du prêtre séculier, non seulement de la sainteté du séculier laïc, mais de la sainteté du religieux, même du religieux prêtre. Certes, il est ridicule d'opposer, comme des personnages réputés graves l'ont fait si légèrement, à l'Ordre de saint Benoît ou de saint Dominique, ce qu'on se plaît à nommer « l'Ordre de saint Pierre » ; moines et clercs réguliers peuvent au moins autant que le clergé séculier, se réclamer des Apôtres et du Prince des Apôtres, et ils ne sont pas moins directement ni moins légitimement rattachés au siège de Pierre.
Mais enfin il est vrai que des différences subsistent, qui exigent des différences dans la méthode de formation. On peut souhaiter que nos Séminaires ressemblent plus qu'ils ne font à des monastères ; il ne serait pas bon qu'ils devinssent des monastères. Qu'on y introduise ou qu'on y restaure – comme cela s'est fait en plusieurs diocèses, comme cela se fera peu à peu partout – l'observance canoniale et une part de l'observance claustrale, avec un grand nombre des pratiques des noviciats, certes cela est bien désirable. Sans rien forcer, et avec profit, on peut regarder comme une sorte de postulat les quelques jours ou les quelques semaines qui précèdent généralement dans nos séminaires la prise de soutane ; comme un noviciat le temps qui s'écoule de là jusqu'à la première tonsure ; l'initiation cléricale répond à la profession temporaire, et la réception du sous-diaconat, avec le vœu qu'elle impose, à la profession perpétuelle.
Cependant tout cela aura toujours besoin d'une adaptation. Un Séminaire aura toujours son caractère propre, qui est d'être un lieu de préparation sacerdotale ; le couvent au contraire est le séjour normal et définitif où s'exerce et d'où rayonne l'activité sacerdotale. Il ne serait que presque juste de dire que la grande sécurité au sortir du Séminaire, c'est d'y avoir vécu comme si on n'en devait jamais sortir.
Direction de la conscience habituelle
Bien plutôt, mon cher Enfant, devez‑vous penser que vous en sortirez un jour pour n'y plus revenir qu'en passant. Votre Directeur vous apprendra à dépouiller cette vue d'avenir de toute impatience humaine, de toute fringale de liberté. L'idée qu'il vous donnera de la véritable action sacerdotale, toute surnaturelle dans sa fin et dans son mode, toute tournée à l'accroissement de la charité dans les âmes par les moyens les plus simples et les plus purs de toute contamination mondaine, cette idée peu à peu se fera dominante en votre esprit, en même temps que Jésus Prêtre se formera en vous. Et la volonté d'être un vrai prêtre vous aidera à recevoir sans réserve l'influence de votre directeur dans ce que nous avons appelé la formation de votre conscience habituelle. Dites‑vous bien que les bonnes habitudes que vous prenez au Séminaire, vous les garderez aisément ; mais que, pour celles que vous n'y auriez pas prises, vous ne les prendrez pas ensuite. Habitude de la prière recueillie et prolongée, de la prière continuelle ; habitude du travail de l'esprit ; habitude de la pénitence ; habitude de l'affabilité et du sourire ; habitude de la règle et de l'obéissance ; habitude de la réserve et de la retraite ; saintes coutumes, combien vous êtes douces au cœur du prêtre qui les retrouve en soi comme un souvenir de celui dont il se sent le fils !
Mon cher Enfant, toutes ces habitudes sont nécessaires ; on n'est pas un prêtre sans elles ; on n'est pas un apôtre sans elles ; on n'est pas un saint sans elles ; or elles se prennent au Séminaire, exclusivement au Séminaire. Et quant à les acquérir seul, même au Séminaire, c'est pure illusion ; il y faut un contact, une méthode, un contrôle ; tout cela vous sera donné dans votre Directeur.
Quelle que soit d'ailleurs l'efficacité de vos désirs d'apostolat, pour vous rendre docile, il se peut que l'on vous demande de vous tenir provisoirement à la maxime que je rappelais plus haut : « Vivez au Séminaire comme si vous y deviez demeurer toujours. » Je n'approuvais pas tout à fait ; mais il suffit de s'entendre. Il est sûr que des désirs d'apostolat trop vifs et prématurés demeurent rarement purs ; i1 s'y mêle presque toujours un besoin quasi‑physiologique de se dépenser en œuvres extérieures ; il est sûr aussi que ces désirs risquent d'envahir l'esprit, de faire prendre en dégoût certaines, matières d'étude et même certains exercices de règle, de concentrer l'intérêt sur des sciences accessoires ou même sur de simples techniques. Il est sûr principalement que la vie intérieure est une fin en soi, qu'il n'est pas normal de la subordonner à une autre fin, fût‑ce la fin très noble de l'apostolat, que cette vie se suffit à elle-même, et ne requiert aucune justification ultérieure. Ces principes incontestables, si vous les acceptez cordialement, transfigureront à vos yeux les moindres prescriptions de la règle du Séminaire. Garder le silence dans les couloirs, marcher sans fracas, être exact aux exercices, tout cela est indispensable à la vie intérieure dans une communauté. Faut‑il, parce que vous ne serez pas toujours en communauté, que vous renonciez à la vie intérieure pour le temps que vous y serez ? Ajoutez la beauté propre de ce calme, de cette gravité de maintien, de ce sérieux foncier dans une âme juvénile ; ajoutez que pour acquérir celles mêmes de vos habitudes de séminariste qui se trouveront plus tard sans emploi par la force des circonstances, vous aurez dû accumuler de l'énergie et tremper votre caractère ; et dites si votre Directeur, secondant ici les influences de for externe, aura tort de s'appliquer sévèrement à former votre conscience habituelle, au moins dans les premiers temps, comme si vous deviez rester toujours cloîtré dans les murs du Séminaire ; dites s'il aura tort de penser que pour faire de vous un vrai prêtre, il doit faire de vous d'abord un bon séminariste. Son premier ouvrage sera de vous aider à trouver votre assiette spirituelle, d'adapter à votre usage et de compléter ce que vous trouverez dans votre règle, dans vos livres de piété, ce qui vous sera dit dans les conférences quotidiennes, de vous adapter vous-même aux institutions et aux coutumes du Séminaire, d'obtenir de vous, quant aux études obligatoires ou facultatives, un plein rendement. Pour cet ouvrage, vraiment fondamental, mettez‑vous, livrez‑vous entre ses mains.
A mesure du reste, que les années passeront, que vos habitudes de piété, de discipline intérieure, iront s'affermissant, votre Directeur ouvrira devant vous les horizons illimités de l'apostolat. Faites‑lui crédit. Vous entendrez souvent adresser au Séminaire le reproche de « sentir le renfermé ». Reproche très injuste, à le prendre dans la force des termes ; et ceux qui énoncent – le plus souvent des séminaristes, parfois, c'est triste à dire, des prêtres du ministère – sont très incompétents. L'expérience a montré quels ravages surviennent dans un séminaire envahi par toutes les contingences des mouvements politiques, sociaux, ou « artistiques », par les idées du jour en matière d'œuvres, etc. Un séminaire est précisément une maison où l'on s'accoutume à voir les choses sous l'angle du nécessaire et de l'éternel. Il y a une mesure à garder, je n'en disconviens pas. Mais ces questions si disputées peuvent difficilement faire l'objet d'une formation collective. Au contraire, dans l'intimité de vos entretiens avec votre Directeur, qui vous connaît, qui sait à chaque instant ce que vous pouvez porter sans dommage et ce qui vous agiterait sans profit, c'est là que vous vous initierez aux conditions présentes de l'Eglise et de votre diocèse ; là que vous puiserez les principes qui vous permettront de vous conduire prudemment dans le poste, quel qu'il doive être, pour lequel vous aurez reçu votre obédience. Je le répète, mon cher Enfant, faites crédit à votre Directeur, et vous aurez tôt fait d'éprouver que sa cellule ne sent pas le renfermé.
Ces conversations sans doute n'auront rien de systématique. Rien ne ressemble moins qu'une « direction » à un cours de spiritualité ou de théologie pastorale. Mais vous n'avez pas besoin seulement de ce qui se trouve dans les cours et dans les livres. Ce dont vous avez besoin en outre, c'est d'une application vivante des règles générales à votre cas particulier ; c'est de savoir jusqu'à quel point vous, avec votre caractère, votre passé, vos goûts, vos forces et vos faiblesses, vous devez recevoir ou tempérer telle maxime rencontrée dans un livre ou entendue dans un cours, jusqu'à quel point vous devez vous regarder, vous, comme plus menacé par tel danger, comme plus capable de réussir dans votre ministère par tel procédé. Cela, ce n'est écrit dans aucun livre ni expliqué dans aucun cours. Vous l'apprendre, c'est la fonction propre et inaliénable de votre Directeur.
Direction de la conscience actuelle
Il me semble, mon cher Enfant, que les pages qui précèdent vous donnent, quoique brièvement, l'idée de ce que sera pour vous la direction, quant à la formation de votre conscience habituelle ; mais il y a, dès le Séminaire, dès les premiers temps du Séminaire, des décisions à prendre. Demeurerez-vous, ou vous retirerez-vous ? Accepterez-vous telle charge que l'autorité de for externe vous propose, en vous laissant libre de la décliner ? Quelle conduite tiendrez‑vous à l'égard de ce confrère, avec lequel vous avez eu des difficultés ? Occuperez‑vous vos rares loisirs à lire un traité de saint Augustin ou à reprendre l'étude métaphysique de quelque problème de théologie ? Je donne ces exemples, que je ne choisis pas tout à fait au hasard : j'en pourrais citer cent autres. Ici il ne s'agit plus de contracter des habitudes ; il s'agit de s'arrêter à un parti. Ce choix doit être fait raisonnablement, c'est‑à‑dire prudemment, puisque la Prudence surnaturelle doit diriger tous nos actes proprement humains pour qu'ils soient licites.
Or l'acte prudentiel se décompose en trois actes élémentaires : la délibération, le choix, et ce que j'appellerai l'intimation (le praeceptum de saint Thomas). Il faut réfléchir, découvrir et estimer les raisons pour ou contre : c'est la délibération. Il faut mettre un terme à cette délibération en se fixant ce qui, vu les circonstances, est concrètement obligatoire ou permis : c'est le choix. Il faut enfin attribuer l'exécution de ce jugement aux facultés ou puissances intéressées, les appliquer à leur tâche ; c'est l'intimation, praeceptum.
Il est clair que la prudence, même la prudence surnaturelle, d'un Séminariste encore aux rudiments de la vie de foi, est fort exposée à défaillir dans l'un ou l'autre de ces trois actes. La délibération risque de manquer de maturité, le choix de justesse, l'intimation de fermeté. Le grand remède à ces défaillances possibles, c'est assurément le gouvernement habituel de l'âme par les Dons du Saint-Esprit. Mais ce gouvernement requiert lui-même une souplesse et une docilité qui supposent un état de purification assez avancée, et du reste il n'exclut pas un perfectionnement de la vertu dans sa propre ligne. Ce perfectionnement sera pour une part le résultat de la formation de la conscience habituelle. Mais en attendant ? En attendant, mon cher Enfant, le seul procédé concevable est celui-ci : c'est que votre Prudence encore infirme, et pour ainsi dire encore dans les langes, soit soutenue, complétée, couronnée, pénétrée par une autre prudence, une prudence adulte, ample dans ses délibérations, juste dans ses choix, impérative dans ses intimations, par la prudence de votre Directeur ; c'est que, de votre prudence et de la sienne, il se fasse comme une seule prudence, de votre conscience et de la sienne une seule conscience. Délibérer en commun, choisir en commun, ordonner en commun, de façon que le dernier jugement pratique qui définit la conduite à tenir hic et nunc soit l'ouvrage indivis, dans l'ordre intentionnel, cela va sans dire, non dans l'ordre psychologique, de votre Directeur et de vous, c'est cela même qui constitue la Direction de la conscience actuelle.
Saint Thomas nomme, précisément parmi les vertus qui font partie de la Prudence, la docilité, qui est une inclination à recevoir la profitable influence d'autrui. Le jugement par lequel vous vous êtes proposé de prendre un Directeur et le choix que vous avez fait de sa personne, sont des actes de docilité, au sens thomiste du mot. Ces actes persévèrent dans votre conscience, tant qu'ils n'ont pas été rétractés, ils vous établissent d'avance dans une disposition telle que, sans vous faire aucune violence, vous faites spontanément vôtre la pensée de votre Directeur, à mesure qu'elle s'exprime devant vous, même lorsque vous n'arrivez pas à la suivre dans toute sa complexité. Si vous ne vous sentez pas à l'égard de votre Directeur dans cette disposition antécédente de docilité (je prends toujours le mot au sens thomiste), si une sorte de connaturalité avec lui ne vous incline pas du dedans à juger comme lui, attention ; je crie casse-cou.
De son côté, votre Directeur se trouve à votre égard dans une disposition corrélative, et c'est une partie de sa prudence à lui de ne vous imposer point, sauf exception, sa manière de voir, avant qu'il ne vous sente prêt à la partager. Votre jugement final dépend du sien et le sien du vôtre, quoique non de la même manière. J'ai à peine besoin de vous dire quelle intimité, quelle ouverture de cœur réciproque cela suppose entre vous deux.
Vous saisissez ici, me semble‑t‑il, ce qui distingue irréductiblement la Direction de tout autre genre d'influence. Les autres influences s'exercent dans l'ordre de la délibération : on se renseigne, on prend des avis à droite et à gauche, on réfléchit sur les conseils qu'on a ainsi reçus, mais on demeure maître du reste. Au contraire l'influence du Directeur intervient dans le choix même, elle embrasse toute la démarche prudentielle ; le jugement, ni le mandat d'exécution ne peuvent s'opérer en dehors d'elle. Théoriquement, vous ne pouvez vous dispenser du concours et de l'aide de votre Directeur, non seulement pour délibérer, mais encore pour choisir et décréter, du moins dans les cas dont l'examen requiert une prudence adulte. Et si, en pratique, quelque cas de cet ordre se présente que vous devrez résoudre seul, cela tiendra plus à des nécessités extrinsèques qu'à la nature des choses. « La direction devenant de plus en plus précise, fréquente, et enveloppant toute ma vie... », notait le P. Charles de Foucauld.
De même que l'influence de votre Directeur va au delà du stade de la délibération, de même elle ne commence pas normalement au stade du choix. Il pourra bien arriver parfois qu'il se substitue à vous pour la considération des motifs et pour la décision, et qu'il ne vous laisse que l'exécution du praeceptum ; tantôt parce qu'il jugera indispensable que vous gardiez une conduite dont il ne sera pas arrivé à vous faire comprendre le bien-fondé ; tantôt simplement parce qu'il voudra exercer votre soumission. Mais cela demeurera de l'extraordinaire.
Il arrivera aussi que votre Directeur veuille faire l'expérience inverse et refuse d'intervenir même dans la délibération. « Voyez, décidez, et rendez‑moi compte de ce que vous aurez fait » ; vous n'obtiendrez pas autre chose. Et quelle joie, lorsqu'étant venu, selon l'ordre, rendre compte, vous recevrez cette réponse : « Vous avez agi exactement comme je le désirais. » Mais cela encore demeurera de l'extraordinaire.
Le cas ordinaire, le cas normal où la Direction se réalise suivant la plénitude de son essence, c'est celui où, ne formant avec votre Directeur qu'un seul cœur et une seule conscience, vous ferez ensemble d'un bout à l'autre tout le labeur prudentiel.
De ce que nous venons de dire découlent deux conséquences de la plus haute gravité. Si votre Directeur est votre conscience extérieure, disons mieux, s'il est une partie, et la plus haute, de votre conscience, si vous avez donné en lui à votre conscience un prolongement par en haut, un sommet plus lumineux, son autorité est donc de même nature que l'autorité même de votre conscience ; c'est‑à‑dire qu'elle est souveraine, c'est‑à‑dire qu'elle est universelle.
Souveraine. Car, dans les matières qui son de soi soumises à la raison individuelle (je ne veux pas donner un argument aux « objecteurs de conscience »), c'est la conscience qui est l'interprète immédiat de la loi éternelle, qui décide en dernier ressort pour chaque cas si les lois inférieures à cette loi indispensable doivent s'appliquer ou si elles sont suspendues. Ainsi votre Directeur, sans être comme tel votre Supérieur (il est trop près de vous, trop un avec vous pour cela) possède sur vous une autorité absolument dernière et suprême dans son genre, au‑dessus de laquelle il n'y a que celle de ce Dieu qui nous est plus intime a nous‑mêmes que nous-mêmes.
Universelle. Car le jugement de la conscience s'étend à tous les actes proprement humains, à tout ce qui dépasse la vie purement machinale et animale. C'est pourquoi il est impossible a‑priori de déclarer que telle catégorie d'actions échappe à la compétence de votre Directeur. Il faudrait plutôt proclamer a‑priori sa compétence pour tout ce qui touche à votre vie morale.
Toutefois, j'ai fait plus haut une restriction dont l'importance ne vous aura pas échappé. J'ai dit que l'intervention. du Directeur est requise « pour les problèmes dont l'examen réclame une Prudence adulte ». Tels sont au premier chef ceux qui concernent votre vocation et votre formation sacerdotale. Mais enfin vous ne partez pas du zéro, et pour beaucoup de questions faciles et peu importantes il suffit d'une prudence quasi‑enfantine, telle que je suppose la vôtre au moment de votre entrée au Séminaire. Il est normal que vous résolviez ces questions vous‑même, et vous devez vous attendre, si vous n'êtes ni scrupuleux ni exceptionnellement léger, à ce que votre Directeur là‑dessus vous remette à votre propre conduite. Il a de trop graves sujets à traiter avec vous pour que vous alliez le consulter sur l'heure à laquelle il convient que vous vous laviez les dents ou sur l'opportunité d'acquérir un parapluie.
Veillez seulement à user avec discrétion de cette légitime et du reste inévitable indépendance. Ici comme dans les rapports de l'Eglise et de l'Etat, il y a des matières mixtes, des questions dont le lien avec les problèmes dont je parlais tout à l'heure, pour être tout contingent et accidentel, ne saurait être nié. Je cite, en passant, l'ordre de vos exercices privés, le choix de vos lectures, même de pur délassement, la liste de vos correspondants, vos dépenses ; tout cela (et bien d'autres choses) doit être établi en accord avec votre Directeur. Pour tout dire d'un mot, laissez‑le fixer lui‑même les bornes de sa compétence. Ce sera le plus filial et le plus sûr.
Il va de soi qu'à mesure que votre Prudence tendra vers sa perfection de vertu infuse, à mesure que votre docilité croissante à l'Esprit-Saint vous rendra plus apte à subir l'influence de ses dons, le champ de votre liberté s'étendra et la Direction se simplifiera jusqu'à ce qu'enfin, parvenu à la plénitude de votre âge spirituel, à cette vieillesse consommée qu'évoque le nom même de prêtre et que confère la vie immaculée, – aetas senectutis vita immaculata, Sap. IV, 9 – vous puissiez à votre tour soutenir et diriger d'autres âmes.
Sécurité du dirigé
Je n'ai pas besoin d'insister sur la sécurité qui sera pour vous le fruit de la Direction de conscience ainsi pratiquée, à condition, cela va sans dire, qu'il y ait de votre côté ouverture complète, et faim et soif de justice. Sans donner aucunement dans le probabilisme au sens que les modernes donnent à ce mot, nous pouvons bien constater que nos plus mûres réflexions ne nous permettent assez souvent d'aboutir en matière morale concrète qu'à un jugement probable. Ce n'est pas pour vous un médiocre avantage de pouvoir vous dire qu'en vous conformant à un jugement de ce genre, vous n'agissez pas seulement selon votre imparfaite prudence, mais selon la prudence plus lucide et plus ferme de votre Directeur. Quoique celui‑ci ne vous donne pas pleinement décharge de vous‑même – puisque la Direction, dans son mode parfait n'est pas une substitution, mais une collaboration – la sécurité est aussi grande pour vous ; elle est la plus grande à laquelle il soit possible d'atteindre en dehors du mode divin d'action qui caractérise l'usage des Dons de l'Esprit‑Saint. Proportion gardée, car il ne s'agit pas ici d'une motion physique, mais d'une causalité intentionnelle, on peut comparer l'influence de votre Directeur à la motion divine chez les âmes justes. Sans troubler leur liberté, – au contraire, en la perfectionnant, – sans gêner leur activité, – au contraire, en l'exaltant, – elle les porte infailliblement au bien. Ainsi, pourvu que vous soyez loyal et simple, deviendrez‑vous, sans échapper à l'action de votre Directeur, au contraire, dans la même mesure où vous ne lui échapperez pas, toujours plus libre, toujours plus actif, toujours meilleur.
Légitimité de la direction de conscience
« L'homme fait la vérité de ce qu'il croit, et la sainteté de ce qu'il aime ». C'est un mot de Renan, et c'est le mot d'un nominaliste. Je m'avoue incapable de fonder rationnellement la légitimité de la direction sans présumer tout le réalisme de saint Thomas. Si on admet que la vérité et la sainteté changent avec chaque intelligence et chaque volonté, il faut reconnaître que la direction de conscience est chose monstrueuse et proprement inhumaine.
Mais cette philosophie nominaliste et individualiste est fausse. Il y a une communauté foncière de structure entre toutes les intelligences et toutes les volontés. Il y a une Vérité absolue universellement commune à toutes les intelligences, un Bien absolu universellement commun à toutes les volontés. Il y a dans l'ordre présent une vocation commune à la fin surnaturelle, qui est la bienheureuse et béatifiante Trinité.
Dès lors, en ce que, pour réaliser cette vocation commune, une intelligence plus éclairée pénètre et imprègne une intelligence moins claire, en ce qu'une volonté plus ferme soutienne et confirme une volonté chancelante, ou hésitante, ou malhabile, en cela il n'y a nul désordre. S'il y a parfois quelque violence (au sens métaphysique du mot), c'est-à‑dire une maturation hâtée du jugement, une décision quasi‑hétéronome du vouloir) cette violence même est dans l'ordre ; elle n'écarte pas celui qui la subit de la ligne droite, et l'urgence du résultat – qu'on admet par hypothèse – la justifie absolument. Ainsi une mère laisse d'ordinaire marcher son enfant sur la route, mais quand il y a quelque passage difficile, ou qu'il faut aller vite, elle le prend dans ses bras.
A bien regarder, c'est ainsi que les choses se passent en nous. Il faut bien que notre raison commande à notre sensibilité, et parfois qu'elle lui fasse violence. Mais cette violence est salutaire et légitime ; tandis que la sensibilité ne voit que son bien particulier, la raison voit le bien supérieur de tout l'homme. Une partie de nous‑même commande à l'autre et nul homme de bon sens n'y trouve à redire. Ainsi du Directeur et de son dirigé, qui ne font qu'une seule conscience.
Réponse à une objection
Le chapitre que vous allez lire, mon cher Enfant, ne se trouvait pas dans la première édition de ce petit livre. Je l'ai écrit pour répondre à une question qui me fut posée par un théologien du premier mérite, et que très légitimement vous pourriez aussi me poser.
« Croyez‑vous, me demandait‑il, que cette idée de la direction spirituelle, que vous avez agrafée sur votre table opératoire, que vous fouillez avec tous les bistouris, toutes les pinces et toutes les sondes de la théologie la plus chirurgicale, et que du reste je ne fais pas difficulté de reconnaître pour l'idée thomiste de la direction, croyez‑vous que ce soit l'idée ecclésiastique de la direction ? L'Eglise, qui transcende toutes les écoles de théologie et de spiritualité, ne s'accommode‑t‑elle pas d'une notion plus confuse, et par conséquent d'une pratique moins exigeante ? »
Je ne peux toucher ici que brièvement à un problème que j'ai traité au long ailleurs, et qui est de savoir dans quelle mesure et de quelle manière l'Eglise possède et exerce, outre sa fonction dogmatique, une fonction théologique. Il suffit pour le moment que vous sachiez que l'Eglise ne dogmatise pas seulement ; elle théologise, et, quand elle théologise, elle thomistise. Elle théologise de son droit, et, dans le fait, quand elle use de ce droit, c'est la théologie de saint Thomas qu'elle met en œuvre, par nulle autre raison absolument sinon qu'elle la tient pour vraie ; cela est de toute évidence, il n'y a qu'à ouvrir les yeux.
Cela posé, voici ma réponse.
L'Eglise, qui recommande à tous les fidèles, qui impose à certains d'entre eux, particulièrement aux séminaristes, la pratique de la direction, n'a jamais donné une définition officielle du mot direction, comme elle l'a fait, par exemple, pour le mot transsubstantiation. C'est un signe certain qu'elle n'entend pas, quand elle se sert de ce mot, lui donner ni lui faire donner un sens plus élaboré que celui qu'il reçoit dans le langage ordinaire.
Nul théologien particulier ne peut donc, s'il croit devoir proposer de la direction une idée plus précise, plus technique, laisser penser que cette idée se confond purement et simplement avec l'idée ecclésiastique de la direction.
Cependant le théologien thomiste jouit de ce privilège, parmi tous les théologiens que, pourvu qu'il ne se soit pas trompé dans le discernement ou dans l'exploitation de la pensée de saint Thomas d'Aquin, non seulement il ne contredit jamais, mais à proprement parler il ne dépasse jamais la pensée de l'Eglise ; il ne fait que l'approfondir. Les précisions conceptuelles et les déductions qu'il amène n'ont pas sans doute, du moins quant à leurs déterminations dernières, la garantie de l'autorité de l'Eglise, elles n'ont que leur valeur intrinsèque de vérité. Mais cette valeur intrinsèque de vérité est justement celle que l'Eglise elle‑même loue saint Thomas d'avoir si ardemment et si heureusement recherchée ; cette valeur intrinsèque de vérité est justement celle que l'Eglise elle‑même reconnaît à mille énoncés thomistes qu'elle ne garantit nullement de son autorité dogmatique, qu'elle tient néanmoins pour vrais, puisqu'elle en use quotidiennement à la face du soleil, et dont le système constitue sa théologie, discernable d'avec son dogme.
Le théologien thomiste goûte donc la joie incomparable de travailler selon l'esprit et le vœu de l'Eglise, lors même qu'il ne travaille plus sous sa garantie, et, s'il se tient dans le droit fil de saint Thomas, il peut, sans crainte de déplaire a l'Eglise, souhaiter de persuader son lecteur. Assurément l'Eglise ne reprochera jamais à personne de trop aimer la théologie de saint Thomas, qui est concrètement, à ses propres yeux, la théologie vraie !
Pour revenir à la matière qui nous occupe, vous pouvez donc, mon cher Enfant, vous tenir à l'idée confuse, pré‑théologique ou infra-théologique, de la direction ; vous serez encore en règle, certainement, avec la substance du précepte que l'Eglise vous impose de vous faire diriger.
Mais enfin, vous êtes séminariste, vous étudierez par devoir d'état la théologie, et l'Eglise fait à vos maîtres une obligation étroite de vous instruire dans la doctrine de saint Thomas d'Aquin. C'est donc l'idée théologique et l'idée thomiste de la direction que j'avais à vous exposer. En la recevant et en faisant d'elle votre règle, vous n'êtes plus seulement dans le vrai confusément aperçu ; dès vos premiers pas dans le Séminaire, vous êtes comme on dit aujourd'hui, dans la théologie vécue, dans le thomisme vécu. Que pourriez-vous faire qui fût plus agréable à l'Eglise ? Je pense que votre choix est fait.
Conclusion
Si vous avez, mon cher Enfant, pesé les pages que je viens d'écrire, vous devez être frappé du pouvoir immense que reçoit sur vous votre Directeur de conscience du Séminaire. Aucune influence, je ne dis pas égale, mais comparable à la sienne ne s'est encore exercée sur vous ; il est probable que vous n'en subirez plus d'aussi profonde ni d'aussi universelle. Ce ne sera pas un malheur, si vous savez tirer de votre Directeur sa principale utilité, qui est de vous le rendre à peu près inutile. Au Séminaire, et dans les choses qui sont de son domaine, je répète que son autorité est souveraine. Et, si l'on voulait chercher dans l'ordre de la nature quelque point de comparaison, il serait conforme à la pensée de saint Paul, et à son texte, d'alléguer non la paternité, mais la maternité. L'œuvre du père dans la génération n'est que d'un instant : avant même que le nouvel être humain, par la fusion des sangs – ex sanguinibus, comme parle saint Jean, – commence d'être, elle a eu son terme, Mais le sein maternel s'est jalousement fermé sur le petit germe vivant ; il s'unit à lui par des liens si intimes que leur rupture sera horrible ; il le nourrit de sa substance, il le fait croître et le modèle, non au hasard, ni à son gré, mais selon l'invariable exemplaire de l'espèce : il ne le livre enfin au jour, comme à regret, et avec quelles douleurs ! que lorsqu'il l'a senti capable de mener sa vie indépendante. Mon cher Enfant, c'est à cette merveille, c'est à cette œuvre de durée et d'amour, et à elle seule, qu'il est possible de comparer l'œuvre de votre Directeur. « Filioli mei, quos iterum parturio »... (Gal. IV, 19). « Illum ut viscera mea suscipe »... (Philem. 12).
Œuvre d'amour. Tout revient à l'amour et il n'y a que d'aimer qui compte, nous le sentons bien. Mais ici, il vous faut monter encore. On dit souvent que le cœur des prêtres est semblable au cœur des mères, comme si l'on voulait dire que le cœur des mères est le modèle parfait, auquel ressemble le cœur des prêtres jusqu'à parfois l'égaler. C'est le contraire qui est vrai. Le modèle, le modèle parfait et supérieur à tout, c'est le cœur d'un prêtre, j'entends d'un vrai prêtre. Et l'amour qui est dans ce cœur, qui y est venu de Jésus, qui est l'amour même de Jésus se servant de ce cœur pour aimer, cet amour est si fort et si tendre, si discret et si incoercible, si violent et si doux, si humain et si divin, que l'amour même des mères n'en paraît plus qu'une imparfaite imitation.
Puissiez‑vous, après avoir été ainsi aimé, puissiez‑vous, mon cher Enfant, aimer ainsi ! Puissiez‑vous goûter les inénarrables tourments et les inénarrables délices de cet Amour éternel et infini, qui, lorsqu'il lui plaît d'envahir le cœur tout offert d'un prêtre, lui fait éprouver sur les âmes des joies au‑delà des joies des mères, et des douleurs au‑delà de leurs douleurs !
Appendice I : trois probations
L'analogie précédemment notée entre les progrès de la formation sacerdotale et les progrès de la formation religieuse conduit à concevoir la tonsure comme une sorte de profession simple, non irrévocable, mais déjà définitive dans l'intention de l'Eglise (can. 973 § 1). Il serait facile de montrer que le Dominus pars est une vraie formule de profession ; qu'à lui donner la plénitude de son sens, à le lire avec le commentaire que lui fait le Pontifical, il comporte chez celui qui le prononce cet éloignement du monde qui fait la substance des conseils évangéliques. D'après cette idée, j'ai rédigé les réflexions que vous trouverez ci-après, pour servir à des probations sur la matière des trois grands conseils. Je souhaite, mon cher Enfant, qu'elles puissent vous être utiles, lorsque l'heure approchera pour votre âme d'entendre l'appel de son Epoux :
« Veni, sponsa mea, veni, coronaberis, » (Cant. VI, 8).
Probation sur la pauvreté cléricale
Vae vobis divitibus. (Lc VI, 24).
Nature. – A parler en rigueur, la pauvreté n'est pas une vertu. Contrairement à beaucoup d'auteurs modernes, saint Thomas n'emploie pas ce langage. La pauvreté est un état de fait. Le désir et l'acceptation de cet état, qui viennent indirectement de la ferveur de la charité, relèvent de la vertu de tempérance, et pour une part de la vertu de force[1]. Ce qu'on appelle communément vertu de pauvreté, c'est le renoncement volontaire à l'usage des biens temporels et aux commodités de la vie. (Cf. St Vincent Ferrier, La vie spirituelle, 1re Partie, ch. I, trad. Bernadot, éd. du Cerf).
Nécessité. – a) La pauvreté est évoquée par la cléricature. « Dominus pars... » ; ne rendons pas mensongère notre promesse. Celui‑là ne sait pas ce que c'est que d'avoir le Seigneur en partage, qu'un tel partage ne contente pas. « Si quippiam aliud habuerit praeter Dominum, pars ejus non erit Dominus. » (S. Hier. ad Nepotianum ep. L II). b) La pauvreté est doublement précieuse pour l'apostolat :
1) comme condition de notre liberté apostolique ; la crainte de perdre ou le désir d'acquérir paralysent. « Un apôtre est un homme dont les mains ne tiennent pas à l'argent, ni les pieds à la terre, ni la tête aux épaules. » (Parole dite au sujet de l'abbé Planchat.)
2) comme condition de notre autorité ; si on peut dire de nous « dicunt enim, et non faciunt », (Mt XXIII, 3), nous ne serons pas écoutés. Un prêtre pauvre peut paraître chez les riches, et sa visible pauvreté y est un enseignement ; un prêtre riche ne peut pas paraître chez les pauvres, où sa richesse serait une insulte et un scandale. (Toutefois prendre garde à l'ostentation de la pauvreté.)
Sentiment à entretenir. – « L'amour de la pauvreté fait qu'on a honte de tout ce qui paraît, brille ou bien est riche. » (P. Chevrier, Véritable disciple, p. 262.)
Critère. – « Celui qui a l'esprit de pauvreté a toujours de trop, il tend toujours à retrancher. Celui qui a l'esprit du monde n'a jamais assez ; il n'est jamais content, il lui faut toujours quelque chose de plus. » (P. Chevrier, ibid., p. 261.)
Pratique. – Tout est dans P. Chevrier, ibid, pp. 254‑260.
Il faut veiller particulièrement et jalousement :
a) à la pauvreté dans le logement ; n'avoir que les meubles indispensables, et sans rien pour l'ornement ou pour le confort. Par contre, si on est en situation de recevoir, il faut recevoir avec « magnificence » comme dit saint Thomas.
b) à la pauvreté dans les voyages. « je n'ai jamais rencontré de directeurs (d'œuvres) prenant les choses à leur aise, voyageant, prenant des vacances ou faisant de nombreux pèlerinages, qui aient fait beaucoup de bien autour d'eux. » (Timond‑David, Méthode, t. 1, p. 118‑119.)
Les dangers. – a) Sont surtout du côté des confrères. « Negotiatorem clericum, et ex inope divitem, et ex ignobili gloriosum, quasi quandam pestem fuge... Tu aurum contemnis, alius diligit ; tu calcas opes, ille sectatur... In tanta morum discordia, quae potest esse concordia » (S. Hier., ad Nepot., ep. LII.)
b) Viennent d'une étrange illusion sur la convenance pour le prêtre de ne pas heurter le sens des mondains. Si nous ne le heurtons pas, à quoi servons‑nous ? « Quod si sal evanuerit »... (Mt. V. 13) ; et si les salons nous savent gré de n'y point paraître comme un muet reproche, en même temps ils nous en mépriseront secrètement. Ce serait le cas de mettre exprès les vêtements les plus usés, pourvu qu'ils fussent propres, et de retrancher tout ornement. (Cf. pourtant Nécessité, b. 2, in fine.)
L'idéal est de mourir aussi pauvre, après des années peut‑être de ministère, qu'on l'était jeune séminariste, au jour de la tonsure : « Ne plus habeas quam quando clericus esse coepisti. » (S. Hier., ibid.)
Le grand encouragement. – C'est l'exemple de Jésus, et le désir de l'imiter. Les apôtres le transportent pour un voyage de plusieurs jours d'une rive à l'autre du lac ; il part « ut erat » (Mc. IV, 36). Quelle parole ! tel qu'Il était. Ni bagages, ni vêtements de rechange, ni provisions.
« O mon Jésus, comme il sera vite pauvre, celui qui, vous aimant de tout son cœur, ne pourra supporter d'être plus riche que son Bien‑Aimé ! » (P. de Foucauld, Ecrits spirituels, p. 105.)
« Nudum Christum nudus sequere. » (S. Hier., ad Rusticum.)
« Nudam crucem nudus sequar. » (S. Hier., ad Nepotianum.)
Probation de la chasteté cléricale
« Non omnes capiunt verbum istud, sed quibus datum est ». (Mt. XIX, 9)
A) Il faut une chasteté parfaite, qui comporte renoncement :
a) à tout plaisir d'ordre strictement charnel, imaginatif ou organique, complet ou incomplet : « Sunt ennuchi, qui seipsos castraverunt propter regnum caelorum », (Mt. XIX, 12.) (Codex Iuris canonici, cc. 124, 2.358).
b) à toute affection dont l'expression totale et le terme normal serait l'union sexuelle, et à toutes les contrefaçons et déviations d'un sentiment de ce genre ; Codex, can. 132, § 2. Les clercs spécialement doivent pouvoir dire : « Nostra conversatio, in caelis est », (Phil. III, 20) ; or, au ciel « non nubent, neque nubentur », (Mt. XXII, 30).
c) à toute amitié ou inclination sensible qui ne serait pas régie (imperata) par la charité théologale et intégrée en elle.
B) Il faut une chasteté généreuse, résolue, qui ne regarde pas en arrière, qui ne craigne pas de trop donner, qui ne calcule pas jusqu'où elle pourrait aller sans se perdre, qui ne conserve pas le regret de ce qu'elle a dédaigné ; « hilarem enim datorem diligit Deus ». (II, Cor IX, 7 et Eccli, XXXV, 11).
C) Il faut une chasteté délicate.
a) ni scrupuleuse et perpétuellement inquiète (le scrupule, en cette matière surtout, est annihilant) ;
b) ni relâchée, chercheuse de compromis avec le mal, hésitant chaque fois si elle cèdera ou si elle résistera ;
c) mais jalouse de son éclat, et prompte à repousser toute apparence suspecte : « ab omni specie mala abstinete vos ». (I Thess, V. 22).
D) Il faut donc une chasteté avertie.
a) ce n'est pas de savoir le mal qui est mauvais, mais de l'aimer, car l'objet se conforme à la nature de celui qui le connaît, au lieu que celui qui aime se conforme à la nature de l'objet (cf. thèses de philosophie sur la nature de la connaissance et de l'amour) ;
b) par conséquent, une science légitimement acquise (cours, lectures approuvées, direction…) on même acquise contre l'ordre, pourvu que le désordre initial soit détesté et rétracté, une science sereine, non obsédante, imitant la pure et libre spiritualité de la science divine, est bonne et nécessaire.
E.) Il faut, une chasteté enthousiaste, joyeuse, consciente de son prix, de son bienfait, de sa beauté, exultante chaque fois qu'elle prend conscience d'elle‑même.
L'âme vouée à la chasteté « voit qu'elle est l'épouse de Jésus, que son sort est divin, qu'elle est bienheureuse, que sa vie doit être un perpétuel Magnificat, et que son bonheur est incompréhensible ». (P. de Foucauld, Ecrits spirituels, p. 102).
F) I1 faut une chasteté communicative, rayonnante. De saint Dominique son premier biographe disait qu'il avait en lui « castitas transfusiva ». Il ne suffit pas que nous soyons purs ; il faut que notre seul aspect montre la splendeur et donne le désir de la pureté. Un adolescent écrivait à un prêtre : « Près de vous je n'ai jamais de mauvaises pensées, il me semble que je suis comme avec mon ange gardien ».
G) Il faut une chasteté humble.
a) non présomptueuse et insoucieuse du danger.
b) qui se reconnaisse dépendante, pour l'existence et la persévérance, de la grâce divine – « quibus datum est », (Mt XIX, 9.) et qui s'y appuie constamment.
c) qui avoue ses luttes. Il est plus pénible parfois d'avouer ses tentations que ses fautes ; pourtant c'est aussi nécessaire.
d) qui avoue aussi, le cas échéant, (quod Deus avertat) ses fragilités : « Surgam et ibo ad Patrem meum ». (Lc. XV, 18).
H) Il faut enfin et surtout une chasteté aimante.
a) qui trouve sa raison d'être et sa consommation dans un amour toujours vivant, toujours ardent, de Jésus‑Christ :
« Mon Jésus, mon préféré ! »
« Non, tout notre temps est pris ; nous avons entrevu le Roi des rois ; il a séduit pour jamais nos cœurs ; nous L'aimons, nous ne voulons pas d'amour terrestre, nous avons un Bien‑Aimé, il n'y a pas en nous place pour deux... Il suffit à nos cœurs ; ce sont nos cœurs qui ne suffisent pas. » (P. de Foucauld, ibid.).
b) qui s'oriente et s'adonne à la contemplation de la vérité. « Quoniam ipsi Deum videbunt », (Mt. V, 8), « Le démon est trop maître d'une âme qui n'est pas chaste pour y laisser entrer la vérité ». (P. de Foucauld, ibid.).
c) qui trouve, dans la certitude et dans la force souveraine de son amour pour Jésus, la sécurité dans ses rapports les plus intimes et les plus tendres avec les âmes que Dieu, l'heure venue, lui ordonne de chérir. (Mais ne jamais oublier A, c.).
Modèles. ‑ Notre unique Bien‑Aimé et très, doux Seigneur Jésus‑Christ ;
la Très Sainte Vierge Marie ;
saint Paul (surtout H, c) ;
saint Dominique, dont l'Ordre est appelé Ordo castitatis ;
le Docteur Angélique, saint Thomas.
Lectures. – Saint Thomas, IIa, IIae, CLXXXVI, aa. 3 et 6.
Pratiques. – 1) Réserve
a) vis‑à‑vis de soi : regards, manières, attitudes... « nec in praeterita fidas castitate » (S. Hier. (ad Nepotianum, ep. LII).
b) vis‑à‑vis des autres, « hospitiolum tuum aut raro, aut nunquam mulierum pedes terant... solus cum sola secreto ne sedeas. » (S. Hier., ibid.).
« Je ne toucherai personne, ni au visage, ni aux mains ; je ne me laisserai pas toucher non plus. » (S. Gabriele dell’Addolorata.)
2) Pénitences. – même afflictives : jeûne, discipline, bracelet, ceinture (avec permission) ; sommeil sans confort ; le lit seulement pour dormir ; pas de fauteuil ; sobriété. « Nolite inebriari vino, in quo est luxuria », Eph. VI, 8 ; et saint Jérôme ajoute (ibid.). « Quidquid inebriare potest aut statum mentis evertit, fuge similiter ut vinum. »
Veni, Sponsa Christi, accipe coronam, quam tibi Dominus praeparavit in aeternum !
Probation sur l'obéissance cléricale
Promittis mihi, et successoribus meis (Vel : Pontifici Ordinario tuo pro tempore existenti) reverentiam et obedientiam ? – Promitto. (Pont. Rom. ; in Ordin. Presb.)
La Tonsure signe l'aptitude à la puissance sacerdotale ; cette puissance se divisant en pouvoir d'ordre et pouvoir de juridiction, la tonsure confère l'aptitude à recevoir les ordres, et à recevoir la juridiction ecclésiastique. (Can. 118).
Elle est donc la marque d'une dignité et d'une prééminence (Can. 119). Aussi a‑t‑elle la forme d'une couronne.
Cependant elle est aussi la marque d'un servage ; ceux qui la portent sont asservis, mancipati sunt (Can. 108).
Ces deux caractères ne sont pas juxtaposés. C'est la servitude même des clercs qui les fait princes : Deus, cui servire regnare est, (Miss. Rom.) Leur couronne étant une ressemblance de la couronne de Dieu, – « similitudinem coronae tuae. » (Pontif.) – et du diadème de l'Epouse – « in diademate quo coronavit illum mater sua », (Cant, III, 11,) – signifie qu'ils n'ont d'autorité que ministérielle, formellement en tant qu'ils sont instruments de Dieu et de l'Eglise : tamquam Deo exhortante per nos, (II Cor. V, 20.) Ainsi dit‑on que la voix ou le geste du souverain commande, quoique l'imperium réside dans son intelligence et sa volonté.
L'Eglise ne les soustrait à la juridiction séculière – de foro Ecclesiae facti estis (Pontif.) – que pour qu'ils soient et parce qu'ils sont particulièrement soumis à la sienne. Et quoique leur manière d'obéir soit de commander, ils ne peuvent commander qu'en obéissant.
C'est pourquoi les clercs, qui doivent avoir un Supérieur déterminé (Can. 111) ont une obligation spéciale de lui témoigner « reverentiam et obedientiam » (Can. 127).
La promesse sacerdotale, le jour de l'ordination à la prêtrise, n'est que l'affirmation plus solennellement renouvelée d'un sentiment qui doit exister dès la tonsure, par la volonté expresse de l'Eglise et par la nature des choses.
Nature
Ce que les modernes appellent obéissance correspond en réalité à deux vertus distinctes : l'observance et l'obéissance proprement dite (Ia IIae, CII, CIV). Aussi le Pontifical emploie‑t‑il deux termes.
A) L'observance exige que nous rendions à nos Supérieurs et par extension à ceux qui, sans être nos Supérieurs, ont autorité dans l'Eglise :
a) l'honneur, qui consiste à reconnaître leur excellence ;
b) ce que saint Thomas appelle le culte, cultus, qui consiste « dans tous les actes convenables par lesquels un inférieur s'ordonne à son supérieur », c'est‑à‑dire se met et se maintient dans la ligne de sa dépendance, veille à demeurer un instrument souple et docile entre les mains de son Prélat.
L'observance se termine à la personne du Supérieur, antérieurement à tout précepte émané de lui.
B) L'obéissance proprement dite a pour objet le précepte du Supérieur. Elle consiste dans la conformité, plus exactement dans la conformation de la volonté de l'inférieur à la volonté du Supérieur se manifestant d'une manière expresse ou interprétative, dans son précepte.
Evidemment ce précepte est supposé juste et légitimement porté. Mais
a) ce, n'est pas à l'inférieur en tant que tel à juger de la justice et de la légitimité du précepte ;
b) les supérieurs des clercs diocésains ne jouissant pas sur eux d'un pouvoir dominatif proprement dit, mais d'un pouvoir de juridiction plus ou moins parfait, les préceptes portés par eux ne peuvent jamais, dans leur domaine propre, être contraires à la conscience. Il est donc impossible et absurde de recourir à l'objection de conscience pour éluder leurs préceptes en tout ce qui regarde le gouvernement et l'administration d'un diocèse.
c) dans le cas où le précepte contient ordre ou défense d'accomplir un acte placé intrinsèquement et par son objet dans l'ordre de la moralité, la présomption est en faveur du Supérieur ; on ne peut se dispenser d'obéir que par une invincible évidence d'un devoir contraire ; ce qui ne peut arriver que très rarement, mais ce qui peut arriver, car ici on est dans un domaine où les hommes sont immédiatement soumis à Dieu, – immediate subduntur Deo – et immédiatement instruits par la loi naturelle ou positive. (IIa IIae, CIV, 5 ad 2m.)
Matière
A) Les préceptes particuliers qui nous sont personnellement intimés : assignation à tel emploi, manière de nous y comporter, conduite à tenir en telle circonstance extraordinaire, coopération à telles œuvres ; sur tous ces points, il faut que les Supérieurs puissent dire de nous : « Et dico huic : vade, et vadit ; fac hoc, et facit ». (Mt, VIII, 9).
B) Les préceptes portés par l'Eglise pour les fidèles ou pour les clercs, par un Supérieur pour ses sujets. A cette catégorie appartiennent les Statuts Synodaux, les prescriptions de la Liturgie et du Droit commun.
a) Traiter légèrement ces règles, et s'en tenir à l'à peu près, sous prétexte que ces matières n'appartiennent pas par elles‑mêmes à l'ordre de la moralité, c'est oublier qu'elles sont précisément l'objet propre et normal de l'obéissance cléricale : « haec oportuit facere, et illa non omittere, » (Mt. XXIII, 23).
b) En particulier, la juridiction du Souverain Pontife étant immédiate, violer une loi pontificale comme les lois liturgiques et les saints canons, c'est désobéir immédiatement au Souverain Pontife.
c) L'Eglise est seule dépositaire des sacrements ; elle seule fixe les conditions auxquelles on peut les recevoir. Un clerc, même un prêtre, peut être juge de la question de fait, (telle personne appartient‑elle à telle catégorie ?) jamais de la question de droit (telle catégorie de personnes peut‑elle être admise aux sacrements ?) laquelle est réservée aux Supérieurs ayant puissance législative.
Là où il n'y a pas de précepte, l'obéissance proprement dite n'intervient pas, tout revient à la vertu d'observance (incluse dans le reverentiam du Pontifical, et du Code du Droit canonique).
Sincérité
a) « Il est difficile de ne pas chercher à faire un peu sa volonté ; même en demandant ses permissions, on cherche, on fait en sorte d'obtenir, de façon qu'on vous laisse faire ce que vous désirez. » (P. Chevrier, Véritable Disciple, p. 225).
b) L'exécution purement matérielle d'un précepte n'est pas un acte de la vertu d'obéissance, elle procède de la volonté sans doute, mais non de la volonté perfectionnée par la vertu. On peut nier, du reste, qu'une telle exécution soit possible ; car le précepte, qui est supposé prescrire un acte, prescrit évidemment que cet acte soit bien fait ; or un acte accompli de mauvais gré présente toujours, même à le regarder matériellement, quelque imperfection.
Il faut donc – mais aussi il suffit – que la volonté se porte vraiment totalement et exclusivement à ce que veut le supérieur, qu'elle coïncide pleinement avec la volonté de celui‑ci. Cela est possible, même s'il subsiste des répugnances dans la sensibilité ou l'intelligence.
a) Ni il n'est contraire à l'obéissance qu'on souffre d'obéir, ni cette souffrance ne rend nécessairement l'obéissance imparfaite ou l'exécution défectueuse, car elle peut demeurer entièrement soumise à la domination purificatrice et rectificatrice de la charité.
b) « L'obéissance doit être aveugle » comme le disait souvent un saint religieux, ce sens que nous devions toujours et dans tous les cas abandonner notre jugement pour faire nôtre le jugement du Supérieur – tâche impossible et contraire à la sainteté du vrai – mais en ce sens que, notre jugement demeurant invinciblement contraire à celui du Supérieur, la règle de notre action doit être le jugement du Supérieur, et non le nôtre.
« Nous ne pouvons abdiquer les lumières de notre raison. Supposons... que notre raison nous montre avec évidence les choses sous un jour ou un angle tout autres que ceux sous lesquels les voit le Supérieur, nous pourrons alors lui exposer humblement notre manière de voir... Si le Supérieur maintient son ordre, devons‑nous, pour réaliser la perfection de l'obéissance, voir théoriquement les choses telles que l'Abbé les voit ? Non, cela n'est pas requis. Que faut‑il donc ? Nous pouvons continuer à voir spéculativement la chose sous un autre jour que ne la voit le Supérieur, à croire théoriquement meilleure ou plus raisonnable une autre action que celle qui nous est commandée. Mais nous devons obéir parfaitement dans l'exécution. Nous devons, de plus, être persuadés que dans le cas présent, in concreto, il ne résultera de notre obéissance, pour la gloire divine ou pour notre âme, aucun dommage spirituel, mais qu'il en sortira du bien. C'est cette persuasion intime qui est nécessaire à l'obéissance du jugement ». (D. Columba Marmion, le Christ Idéal du Moine, p. 361, 362).
Nota. – Il ne s'agit évidemment pas ici des matières doctrinales, dans lesquelles l'autorité est critère de vérité, où par conséquent il ne peut y avoir d'évidence contraire au précepte, et qui du reste ne regardent pas l'obéissance, mais la foi et la charité.
Nécessité
« Le prêtre est un homme crucifié » (Le P. Chevrier). Or personne ne s'attache de lui‑même à la Croix : « Nec quisquam sumit sibi honorem, » (Heb V, 4). C'est l'obéissance qui crucifie légitimement : « Factus obediens usque ad mortem, mortem autem crucis. » (Phil. II 8). Du reste, elle crucifie infailliblement ; nulle crainte qu'elle nous mène à autre chose.
Critère
« Le signe que tu possèdes l'obéissance est la patience : l'impatience par contre te fera connaître qu'elle te manque... La désobéissance a une sœur que lui a donnée l'amour-propre, et qui est l'impatience. Patience et obéissance sont inséparables. Qui n'est pas patient a, par là même, la preuve que l'obéissance n'habite pas son cœur. » (Sainte Catherine de Sienne, Dial. De l'obéissance, ch. I et II).
(La patience est la persistance de la paix intérieure et de la mansuétude devant un précepte qui déplaît ; l'impatience est le trouble et l'irritation).
Règle d'or
NE RIEN DEMANDER, NE RIEN REFUSER
A) Ne rien demander
1) ni emplois relevés
a) parce que nous sommes sujets à exagérer nos mérites : « plus sapere quam oportet sapere » (Rom. XII, 3) (sens du grec) ;
b) parce qu'en tout cas ce n'est pas à nous de les mettre en valeur. Sur Lc, XI, 33 : « Nemo accendit lucernam et in abscondito ponit, » S. Thomas, IIa, IIae, CLXXXVIII, 8 ad 4m). « Quod autem aliquis ponatur super candelabrum, non pertinet ad ipsum, sed ad eius superiores » ;
c) parce que c'est un sujet perpétuel de trouble de sentir qu'on s'est mis de soi-même dans une place où il aurait fallu être bien authentiquement établi par Dieu.
2) ni repos ou petits emplois
a) parce que nous devons accepter de ne nous reposer qu'au ciel ; il faut aller tant qu'on peut physiquement tenir ; ne céder qu'au médecin ;
b) parce que la pusillanimité n'est pas un moindre défaut que l'ambition ; souvent même elle n'est qu'un orgueil déguisé ou blessé.
B) Ne rien refuser
1) pour ne pas gêner la liberté des supérieurs (Valable aussi pour A) ;
2) parce qu'on peut et qu'on doit compter sur la grâce quand on a la mission ;
3) surtout pas les réprimandes et les punitions qui sont « des bénédictions qui entrent en cassant les vitres ». (L. Veuillot).
Latitude
Dans l'emploi qu'on occupe, il faut savoir agir et décider de soi‑même. Il est contraire à l'obéissance de recourir à tout propos aux supérieurs, de les rabaisser dans des minuties, de les engager dans des contestations, d'appeler sans raison très grave d'une autorité moindre à une autorité plus haute. Il faut faire pour le mieux, de droite intention, en comptant que si on se trompe, on sera averti et repris.
Excès
1) Le parti‑pris de déplaire, l'arrogance, ou simplement l'affectation d'éloignement à l'égard des supérieurs.
2) La servilité, l'esprit de louange, plus contraire à l'obéissance que la raideur, en ce qu'il peut tromper les Supérieurs sur eux-mêmes.
3) Le défaut le plus dangereux de tous est la complaisance d'esprit qui tend à faire de l'autorité, dans des matières de soi soumises à la raison et à la conscience, la règle de la vérité. (IIa IIae CIV, 5, ad 2m).
Épreuves
« L'on a dit qu'il faut savoir souffrir non seulement pour l'Eglise, mais par l'Eglise. S'il y a quelque vérité dans cette parole, c'est que nous avons parfois besoin d'être traités fortement, d'être tenus dans l'ombre, le silence et toutes les apparences de la disgrâce, et peut‑être pour n'avoir pas assez saintement profité des faveurs et des avances de l'Eglise en d'autres temps.
Puis, n'en doutons pas, ce traitement fort, nous faisant efficacement concourir à l'ordre et à la sainteté de l'Eglise, nous sera l'équivalent surnaturel d'une mission. En tout cas, le signe certain que nous gardons la plénitude de l'esprit, est de ne jamais admettre que nous puissions souffrir par l'Eglise autrement que nous pouvons souffrir par Dieu ». R. P. Humbert Clérissac, O. P., Le Mystère de l'Eglise, chap. VII, in fine (tout est à méditer.).
Ainsi, à la première heure de notre cléricature : « Ecce venio, ut faciam, Deus, voluntatem tuam ». (Hebr. X. 7).
Et à la dernière heure de notre vie : « Opus consummavi, quod dedisti mihi ut faciam » (Io. XVII, 4).
« Dixit : Consummatum est, et inclinato capite, tradidit spiritum », (Io. XIX, 28).
Appendice II : sacerdoce et perfection
Nous cherchons à nous sanctifier dans notre sacerdoce et par notre sacerdoce, c'est-à‑dire en trouvant dans notre sacerdoce la raison suffisante d'efforts indéfiniment renouvelés vers la sainteté.
Nous admettons donc que le sacerdoce implique exigence illimitée de perfection.
Mais que veut dire ici ce dernier mot ?
L'Evangile semble présenter deux perfections : l'une de précepte : Estote perfecti – l'autre de conseil : Si vis perfectus esse.
La première perfection, c'est la plénitude de l'amour : ex toto corde tuo... ; in hoc verbo instauratur : diliges ; plenitudo legis est dilectio...
La seconde, c'est la pratique des conseils évangéliques, sanctionnée ou non par un vœu. Ainsi l'entend toute la tradition.
La première perfection, qui est de précepte (car il est commandé :
a) d'avoir la charité ;
b) de rester ouvert à tout accroissement de charité qu'il plairait à Dieu d'opérer en nous) est concevable à la rigueur sans la seconde. Car l'amour nous conjoint immédiatement à la fin suprême, et par conséquent aucune fin secondaire ni aucun moyen ne s'impose absolument. Mais la seconde n'est pas concevable sans la première.
Cette seconde perfection peut être considérée sous deux aspects différents :
a) comme un moyen (en soi facultatif) de tendre rapidement et sûrement à la première ; ainsi entre‑t-elle dans la notion de l'état religieux, en y ajoutant les vœux (status perfectionis acquirendae) ;
b) comme une efflorescence, non essentielle, mais néanmoins hautement louable et convenable, de la première ; à ce titre et au moins in praeparatione animi elle constitue la perfection épiscopale et par participation celle des simples prêtres, dont le sacerdoce est une participation du sacerdoce plénier des évêques (status perfectionis acquisitae). Ici le vœu n'est plus exigé ; c'est la charité qui déborde dans les œuvres de conseil, spécialement dans la pratique des trois conseils évangéliques par excellence, de pauvreté, de chasteté, d'obéissance.
A) Il est évident que le sacerdoce ne crée pas en nous la première exigence de la perfection substantielle, qui est celle de la charité. C'est le baptême qui dépose dans l'âme cette exigence. Cependant, pour autant que dans la Loi Nouvelle le sacerdoce est un sacrement imprimant caractère, comme tout vrai caractère est un perfectionnement, une ciselure complémentaire du signe baptismal, il suit qu'il perfectionne, enracine et agrandit les exigences d'ordre moral qui suivent le baptême. Res clamat Domino. Le Seigneur qui nous fait siens au baptême ravive en nous par la confirmation et par l'ordre le sceau de sa propriété. Doublement et triplement nous lui appartenons en droit ; doublement et triplement nous avons à lui appartenir en fait. Or cette appartenance se réalise substantiellement (et ne se réalise que) par la charité.
Donc par rapport à la première perfection, le sacerdoce ne crée pas le premier titre, ni à proprement parler un titre nouveau, mais il renforce le titre baptismal.
B) Si on considère le sacerdoce indépendamment de la qualité sacramentelle qu'il revêt dans la Loi Nouvelle, si on l'étudie dans sa notion ou dans sa raison formelle, qui est d'être une médiation entre Dieu et l'Humanité, alors il est vrai de dire que le sacerdoce donne un titre nouveau à la perfection de la charité (en ce sens du moins que même si par impossible le baptême ne mettait pas en nous cette exigence, le sacerdoce, ne fût‑il pas un sacrement, l'y déposerait) ; et surtout, ce qui offre plus d'intérêt pour nous, il semble que la qualité de médiateur suppose connaturellement chez celui qui en est revêtu, non seulement la perfection de conseil, non seulement la charité, mais aussi ses manifestations contingentes : pauvreté effective, chasteté parfaite, obéissance.
Pour ce qui regarde toutefois ce dernier conseil, il est à propos de remarquer que la charité avancée produisant dans l'âme une soumission intérieure à l'Esprit‑Saint, et une entière abnégation de la volonté propre, l'âme parvenue à un degré d'amour même éminent, même héroïque n'a pas le même besoin d'obéir à des supérieurs (en dehors de ceux qui sont imposés à tout chrétien) qu'elle a de vivre effectivement pauvre et parfaitement chaste. Cela explique que tant de saints papes, de saints évêques et de saints prêtres n'aient pas pratiqué l'obéissance à la manière des religieux, quoi qu'ils pratiquassent avec rigueur la pauvreté et la chasteté.
La liaison du sacerdoce et de la perfection de conseil se démontrerait sans doute par plusieurs moyens, mais il suffit de considérer l'acte principal de la médiation qui est le sacrifice.
Le raisonnement se ramène au syllogisme suivant :
Le sacerdoce est d'autant plus parfait que le prêtre dans l'acte de son sacrifice est :
a) plus uni à Dieu.
b) plus uni au peuple.
c) plus uni à la victime.
Or, une union aussi parfaite que possible à Dieu, au peuple, à la victime, comporte dans le prêtre, non seulement la perfection de précepte, mais la perfection de conseil.
Donc le sacerdoce est d'autant plus parfait que le prêtre pratique davantage les conseils.
Il est bien clair d'ailleurs que notre sacerdoce doit être aussi parfait que possible, étant le sacerdoce définitif. Nous ne sommes plus sous les figures, mais dans les choses et dans la plénitude des temps.
La majeure du syllogisme précédent est évidente. Il reste à prouver la mineure.
a) L'union aussi parfaite que possible à Dieu comporte la pratique des conseils. En effet, est un ce qui est indivis en soi, et divisé d'avec tout le reste. Or dans l'état de nature déchue, même après la réparation en Jésus, l'absence de la pauvreté effective et de la chasteté parfaite produit plus qu'un risque, une certitude morale de division (au moins vénielle) d'avec Dieu, et d'attachement au reste. Comme au fond il s'agit de se rendre déiforme, d'imiter la Perfection souveraine dans sa solitude infinie, aucun détachement n'est de trop.
b) L'union aussi parfaite que possible au peuple comporte la pratique des conseils. Car il faut être sorti de soi pour devenir les autres, à force de sympathie pour leurs misères – qui possit compati infirmitatibus – n'être plus que la voix qui porte vers Dieu leurs supplications, prendre sur soi non leurs péchés, mais le poids et la peine de leurs péchés. Pour lutter contre l'égoïsme qui s'oppose à ce don de soi à son peuple, le prêtre a besoin des conseils.
c) L'union aussi parfaite que possible à la victime comporte la pratique des conseils. En effet l'offrande et l'immolation de la victime ne font que signifier l'holocauste intérieur de ceux qui l'offrent. Dans le prêtre per prius et d'une manière éminente doivent exister des dispositions victimales. Celles‑ci n'atteignent leur degré suprême que dans les conseils.
Ce qui précède suffirait à nous convaincre que notre sacerdoce implique perfection en tout sens même s'il était principal.
Mais il est ministériel et instrumental. Nous ne sommes comme prêtres que les « humanités de surcroît » du Fils de Dieu, des organes supplémentaires qu'il assume pour perpétuer son sacerdoce uniquement réel comme principal. A l'union d'ordre ontologique, ou, si l'on préfère, intentionnel, qui s'établit entre Lui et nous, il est de toute convenance que réponde une union morale. Comme c'est son sacerdoce qui déborde en nous, ainsi devons‑nous le comprendre comme Il l'a compris. Nous ne faisons qu'un seul prêtre avec Lui, il faut que sa perfection soit la nôtre comme son sacerdoce est le nôtre. Or nous savons que Notre Seigneur a pour son compte pratiqué non seulement le mandatum de la charité, mais les conseils de Pauvreté, « cum esset dives, factus est pauper », de Chasteté, « sunt eunuchi qui seipsos castraverunt propter regnum caelorum », d'Obéissance « opus consummavi quod dedisti mihi ut faciam ». Il semble donc normal que nous vivions nous, prêtres ministériels, comme a vécu le Prêtre principal dont nous ne sommes pas les successeurs ou les remplaçants, mais les membres actuellement assumés et actuellement actionnés par Lui.
Ce qui a été dit par rapport à l'acte principal du sacerdoce pourrait être repris par rapport aux autres fonctions : prédication, confession, etc... on arriverait aux mêmes conclusions.
Notes et références
- ↑ Il convient de signaler aussi l'influence du don de Crainte : Cf. R. P. GARDEIL O. P., Vie Spirituelle, janvier 1933.