Commentaire de l'encyclique "Pascendi"
De Salve Regina
Théologie Fondamentale | |
Auteur : | Abbé Jacques Olivier |
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Source : | Travail personnel |
Date de publication originale : | 1998 |
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Difficulté de lecture : | ♦♦ Moyen |
Sommaire
- 1 Présentation de l'encyclique "Pascendi"
- 1.1 Première partie: le modernisme dans son essence
- 1.2 Deuxième partie: les causes du modernisme
- 1.3 Troisième partie: les conséquences du modernisme
- 1.3.1 A. Les décisions de l'Eglise
- 1.3.1.1 La philosophie de saint Thomas, base des études
- 1.3.1.2 Exclusion des modernistes du sacerdoce, des chaires et des grades
- 1.3.1.3 Interdiction de publier des ouvrages modernistes
- 1.3.1.4 Nihil obstat et imprimatur
- 1.3.1.5 Congrès sacerdotaux
- 1.3.1.6 Conseils de vigilance Diocésains
- 1.3.1.7 Rapports périodiques des évêques au Saint-Siège sur l'exécution de ces mesures
- 1.3.2 B. Les réactions des catholiques à la suite de la parution de cette encyclique
- 1.3.1 A. Les décisions de l'Eglise
- 1.4 Conclusion
Présentation de l'encyclique "Pascendi"
Le huit septembre 1907, le pape saint Pie X fait éclater un coup de tonnerre dans l'Eglise en publiant l'encyclique Pascendi sur les erreurs modernistes. Cette parution répond à un besoin pressant, car l'Eglise est bien menacée par un mal nouveau, perfide et insidieux, que saint Pie X nomme lui-même le modernisme.
Le danger est grave, car les ennemis de la foi ne se présentent pas à découvert, comme dans les autres hérésies, mais de l'intérieur même de l'Eglise, de par ses membres. De plus, ce n'est pas un point précis de doctrine qui est contesté, mais bien l'essence, les racines de notre foi catholique. Il n'est besoin que d'écouter le ton du préambule du pape pour se rendre compte de la violence de l'assaut qui menace. "Le nombre s'est accru étrangement, des ennemis de la croix Jésus-Christ qui, avec un art tout nouveau et souverainement perfide, s'efforcent d'annuler les vitales énergies de l'Eglise, et même, s'ils le pouvaient de renverser de fond en comble le règne de Jésus-Christ". Le problème -et c'est cela qui est nouveau- est que les modernistes ( donnons-leur à présent le même nom que le pape ) "imprégnés jusqu'aux moelles d'un venin d'erreurs puisées chez les adversaires de la foi catholique, se posent comme rénovateurs de l'Eglise". Pour couronner le tout, ajoutons que cette doctrine passe facilement pour juste aux yeux des gens peu formés, car elle mêle du vrai à du faux sous prétexte de vérité.
Mais qu'en est il donc de ces idées modernistes ? Quel est leur vrai visage ? C'est là ce que montre avec clarté, simplicité et vigueur l'encyclique Pascendi. Examinons donc avec elle le phénomène du modernisme avant d'en rechercher les causes et les conséquences.
Première partie: le modernisme dans son essence
A. La philosophie
Pour mieux comprendre le modernisme, nous allons étudier tout d'abord les idées philosophiques, puis nous envisagerons les répercussions de celles-ci sur la foi catholique.
Son essence
En résumé, la philosophie se résume de la manière suivante. L'agnosticisme dans la connaissance aboutit à l'immanence vitale et conduit finalement au subjectivisme.
Les modernistes posent pour base de leur philosophie le principe que l'homme, enfermé dans le cercle des phénomènes, ne peut connaître la réalité. C'est là la théorie de l'agnosticisme. La raison humaine ne peut rien connaître au -delà des phénomènes. Tout ce qui touche au spirituel en général, à Dieu, a la morale naturelle, tout cela est inconnaissable. Les "idées" qui existent de toutes ces choses, relèvent du sentiment personnel et privé de l'homme, et ne peut en aucun cas faire partie de "la science". En somme, la croyance est opposée à la science.
Expliquons un peu ces grandes notions. La raison humaine est enfermée dans le cercle de ses perceptions sensibles, et ces perceptions mêmes empêchent la raison de l'homme de s'élever jusqu'à un principe supérieur: son Dieu. La notion de vérité intellectuelle est niée, car la science ne peut être vérifiée que pour les perceptions matérielles. Toute notion spirituelle est sentimentale. Mais si ce n'est qu'un sentiment, alors d'où vient-il ? Cette question amène à parler de l'immanence vitale, source de nos sentiments.
Comme le dit saint Pie X, "l'agnosticisme n'est que le coté négatif dans la doctrine de connaissance des modernistes; le coté positif est constitué par ce que l'on appelle l'immanence vitale". Cette méthode a été expliquée par Maurice Blondel (lui-même en étant fort convaincu). Je cite: "la méthode d'immanence consiste à mettre en équation, dans la conscience même, ce que nous paraissons vouloir, penser et faire, avec ce que nous faisons, nous pensons et nous voulons en réalité; de telle sorte que dans les négations factices ou les fins artificiellement voulues, se retrouvent encore les affirmations profondes et les besoins incoercibles qu'elles impliquent"Lettre,p 606. Plus clairement, on peut dire que la conscience de l'homme reçoit un phénomène extérieur, qu'elle l'intègre en elle, en le transfigurant, pour l'élever au domaine de l'intellectuel. En second lieu, l'intelligence le défigure, le transforme pour le faire correspondre à ce qu'elle pense être la vérité. Ainsi, tout est centré autour du sentiment. La vérité n'est point la réalité extérieure, mais la sincérité intérieure. La vérité ne vient pas des faits, elle vient du coeur de l'homme, de son for interne, de son sentiment. Ainsi, ce que lui, en tant qu'individu, croit est toujours vérité, et nul n'a le droit de lui reprocher. C'est finalement ainsi que la doctrine aboutit à son troisième volet: le subjectivisme.
Comme tout vient de l'intérieur de l'homme, on peut admettre qu'il y ait deux croyances différentes, voire même opposées. Ainsi, il n'y a plus que subjectivité de la pensée. Toute affirmation d'une réalité surnaturelle, se heurte à ce mur du subjectif. Cela est vrai...pour vous cher monsieur X. Croyez donc ce que vous voulez, mais ne prétendez pas l'imposer aux autres. De toute manière, cela n'est que du domaine de la croyance. La science a ses raisons que la raison ne connaît pas... Et voila, la boucle est bouclée. Partant de la science et du principe que seule la connaissance matérielle est possible, on est revenu à la science et au matérialisme, seuls jugés "certains". Science et croyance ne s'opposent pas, ils sont simplement dans un ordre différent.
Ses répercussions sur la foi catholique
Pour entrevoir combien elles sont importantes, il n'est besoin que d'écouter saint Pie X: "ce n'est point aux rameaux ou aux rejetons qu'ils ont mis la cognée, mais à la racine même, c'est à dire à la foi et à ses fibres les plus profondes" et "nulle partie de la foi catholique qui reste à l'abri de leurs mains, nulle qu'ils ne fassent tout pour corrompre" (§3).
Des trois aspects vus précédemment, tirons les conclusions pratiques pour la foi.
L'agnosticisme nie toute possibilité de connaissance scientifique des phénomènes. D'où Dieu n'est ni objet direct de science, ni un personnage historique. "Qu'advient-il, après cela, de la théologie naturelle, des motifs de crédibilité, de la révélation extérieure...?". Toute vérification temporelle de la foi est niée, et la foi se transforme en fidéisme. L'intellectualisme remplace le réalisme chrétien. Cette proposition moderniste s'élève directement contre ce qu'a toujours enseigné l'Eglise, comme en témoigne cette citation du de revelatione, au canon premier: "si quelqu'un dit que la lumière naturelle de l'humaine raison est incapable de faire connaître avec certitude, par le moyen des choses crées le seul et vrai Dieu, notre Créateur et Maître, qu'il soit anathème". Somme toute, l'agnosticisme peut être réduit à ce simple mot: ignorance.
Ecoutons le pape donner les conséquences pour la religion de l'immanentisme vitale: "la foi, principe et fondement de toute religion, réside dans un certain sentiment intime engendré lui-même par le besoin du divin. Ce besoin, n'appartient pas de soi au domaine de la conscience, il gît au-dessous, dans la subconscience, où il faut ajouter que sa racine reste cachée, entièrement inaccessible à l'esprit"(§7). C'est donc un sentiment subconscient de l'homme qui détermine sa relation avec Dieu, et qui l'unit à lui. Ce sentiment comprend la foi et la révélation. Dieu se manifestant à l'âme, n'est-ce point une révélation ? Dieu est en notre conscience à la fois révélateur et révélé. "La religion est donc à la fois naturelle et surnaturelle suivant le point de vue." Naturelle, car venant du subconscient d'un être humain, surnaturelle car "révélée" par un "Dieu". Enfin, les modernistes érigent cette théorie en loi universelle, et nomment la conscience religieuse conscience universelle, seule manifestation de la réalité.
Cette notion de conscience religieuse universelle conduit fatalement, en raison de la subjectivité de l'opinion qu'elle professe à une évolution possible, et même probable de la foi. En effet, si la conscience évolue, la foi évolue de pair, puisque ce n'est qu'une seule et même chose. Ainsi un principe affirmé solennellement la veille sera nié le lendemain... Conscience (ou subconscience?) collective et religieuse oblige. Plus rien donc qui tienne. Tout ce qui a été ne sera plus un jour; ce qui a été cru sera jeté aux orties, ce qui a été interdit sera appliqué comme seule et unique vérité, jusqu'à ce que la fantaisie (pardon, la conscience) change, au gré d'un brusque vent de mars. Laissons saint Pie X conclure: " Etrange sans doute paraîtra cette façon de raisonner: telle est pourtant la critique moderniste"(§10).
La foi moderniste
Ainsi explique-t-on la naissance et la vie de la religion qui eut pour fondateur le Christ: Le Christ a été un homme qui a véritablement existé, qui était doué de qualités extraordinaires, qui possédait de grands charismes... Il était le fruit de la nature. Fruit parfait, certes, mais naturel... Plus tard la conscience des hommes a élevé cet homme au rang de Dieu, en vertu du principe de l'immanence vitale. Cet homme nommé Jésus a été idéalisé au fil des siècles. Finalement, si l'on enlève ce cocon, il en résulte pour les modernistes que notre religion n'est qu'un fruit de la nature. C'est l'intelligence des hommes qui a précisé le concept de Dieu dans notre esprit, et a fini par en donner une représentation précise. Cette représentation a elle-même été précisé finalement dans la liturgie et les dogmes. Saint Pie X le dit de cette façon: "l'intelligence interprète la formule primitive au moyen de formules dérivées, plus approfondies et plus distinctes. Celles-ci, venant à être sanctionnées par le magistère de l'Eglise, constitueront le dogme.
Le dogme ainsi posé, est pour le croyant l'instrument qui le relie à la foi, et exprime par des symboles plus ou moins adéquats la "vérité" de la foi. Que peut-on alors en conclure ? Simplement ceci: le dogme n'étant qu'une image n'est pas une vérité absolue, et est donc soumis à la loi de l'évolution. Le sentiment intérieur de l'homme changeant, il "n'assimile" plus le dogme, et il est donc nécessaire de le modifier en relation avec la nouvelle pensée qui est éclose. Aussi, plus de vérité stable à laquelle l'homme doit adhérer, mais un évolutionnisme profitable et encouragé.
Finalement, le dogme ne revêt guère d'importance pour ces hommes: "étant donné le caractère si précaire et si instable des formules dogmatiques, on comprend aisément que les modernistes les aient en si mince estime, s'ils ne les méprisent ouvertement. Le sentiment religieux, c'est ce qu'ils exaltent sans fin."
Ces "aveugles et conducteurs d'aveugles" de l'évangile, qui sont ils donc? Quels sont ces gens qui osent se poser en réformateur de l'Eglise, alors qu'ils n'ont eux-mêmes aucune formation ni aucune licence pour le faire? Après avoir examiné les théories qu'ils défendent, c'est ce que nous allons voir.
B. Les hommes
Attendu que ces hommes sont très différents les uns des autres, non par l'esprit, mais par l'action et la manière d'agir, nous allons les examiner (comme le fait d'ailleurs lui-même le pape) de manière séparée et progressive. Il est important de préciser dès maintenant, qu'aucun d'entre eux n'admet exercer une influence, ou en subir une d'aucuns de ses "confrères" en "doctrine". Chacun d'entre eux ne défend ainsi que sa "part" d'erreur... Ce qui rend évidemment d'autant plus difficile la réfutation globale du système...
Le croyant
Au bas de l'échelle des modernistes, se trouve le croyant. Cet homme se distingue du pur philosophe par le fait qu'il croit à la réalité divine (forcément, puisqu'elle est une élucubration de son esprit), alors que le philosophe ne l'admet que dans la mesure où elle existe dans l'esprit du croyant (et non en soi). Le croyant atteint donc Dieu au plus profond de lui-même, par son expérience. "Une certaine intuition du coeur, grâce à laquelle, et sans nul intermédiaire, l'homme atteint la réalité même de Dieu: d'où certitude de son existence."(§15)
La certitude de l'existence de Dieu venant du sentiment religieux propre d'un individu, la conséquence est la vérité de toutes les religions. "Ne rencontre-t-on pas dans toutes les religions des expériences ?" "De quel droit les modernistes dénieraient-ils la vérité aux expériences religieuses qui se font, par exemple dans la religion mahométane ?" Certes, ce ne peut être au nom de l'immanence vitale, placée comme principe de base, car comment affirmer que le mahométan n'est pas sincère ? Comme le dit saint Pie X: "ce qu'ils pourraient revendiquer en faveur de la religion catholique, c'est qu'elle est plus vraie, parce qu'elle est plus vivante et parce qu'elle est plus digne du nom de chrétienne parce qu'elle répond mieux que toute autre aux origines du christianisme." Bref, tout est subjectif, mais du moment qu'on y croit et que l'on est sincère...
Le théologien et l'apologiste
Le théologien et l'apologiste moderniste ont une place très proche, et un même but: celui de convaincre de la justesse de leur théorie en matière de foi.
Le théologien est convaincu des idées philosophiques du modernisme. Il croit dans les données "scientifiques". Son travail est de concilier la science et la foi. Le théologien comble les trous qui pourraient exister dans l'esprit des fidèles, en expliquant la foi à la lumière de la doctrine moderniste.
Le meilleur exemple du travail de ces hommes est donné par saint Pie X à propos de l'explication des doctrines principales: l'immanence et le symbolisme. Ecoutons ces "admirables" syllogismes: "Le philosophe disait: le principe de foi est immanent; le croyant ajoutait: ce principe est Dieu; le théologien conclut: Dieu est immanent dans l'homme." Et plus loin: "Le philosophe disait: les représentations de l'objet de la foi sont de purs symboles; le croyant ajoutait: l'objet de la foi est Dieu en soi; le théologien conclut: les représentations de la réalité divine sont donc purement symboliques." Pur mathématisme! Relevons au passage que le rédacteur de ces phrases était sans aucun doute un homme d'humour...Cette symétrie dans la manière d'écrire et de présenter le texte de ses adversaires tue tout l'effet de persuasion, et met les rieurs du coté de celui qui a tourné en ridicule des syllogismes aussi simplistes!
Ce que développe le théologien ayant déjà été exprimé dans les grandes lignes, je me bornerai ici à quelques remarques complémentaires. Pour eux, et ils l'expliquent, le dogme n'est qu'expression de la conscience vitale du peuple des croyants. Les sacrements sont de purs signes symboliques, n'ayant d'effet que pour autant qu'ils sont crus et considérés. Les Livres Saints sont inspirés, certes, mais par le Dieu qui est en nous. L'Eglise n'est que "le fruit de la conscience collective, autrement dit de la collection des consciences individuelles: consciences, qui dérivent d'un premier croyant, Jésus-Christ (pour les catholiques)" (§27). En conséquence, il faut admettre la nécessité du progrès, et de l'évolution. La "pénétration croissante du sentiment religieux dans les consciences" permet un progrès, de deux manières: "négatif, par élimination de tout élément étranger, tel que le sentiment familial ou national; positif, par la solidarité avec le comportement intellectuel et moral de l'homme."
Pour le théologien moderniste, il convient donc de faire évoluer l'Eglise, et ce -l'expérience l'a montré- non de l'extérieur, mais bien de l'intérieur (le moderniste n'a-t-il pas enfin trouvé la vérité ?) Ce sont ces hommes qui sont les têtes pensantes du modernisme, et donc de toutes les hérésies qui en découlent. Mais le plus grave est qu'ils sont persuadés d'avoir à réformer l'Eglise à la manière de leur appréciation propre.
Quelques mots seulement de l'apologiste moderniste, car son rôle n'est pas de premier plan. L'apologiste moderniste a pour but de convaincre le non croyant (et éventuellement le croyant "déformé") de la vérité de la foi catholique. L'apologiste utilise pour cela les doctrines philosophiques de l'immanence vitale, et de la permanence divine dans l'évolution de l'Eglise aux différents temps et milieux de son histoire. Ils affirment donc la vérité des thèses défendues par les philosophes et les théologiens modernistes, auprès de tous ceux qui désirent s'instruire de la foi catholique. Quel danger donc pour l'Eglise !
Comment à ce point de notre étude, ne pas nommer quelques-uns de ces penseurs auxquels le pape fait constamment allusion sans les nommer ? Nous pouvons nommer M. Blondel, comme philosophe, A. Loisy, comme théologien biblique, G. Tyrrel, comme théologien dogmatique, Renan, Sabatier, et tant d'autres qui ont encouru les foudres du Saint-Office pour leurs publications et leurs idées "avancées". Sans compter ceux qui furent assez subtils et hypocrites pour ne montrer qu'une faible partie de leurs idées au grand jour, et ainsi empoisonne lentement l'Eglise de l'intérieur... C'est ceux-là que condamne saint Pie X. Combien -malheureusement- a-t-il été bon prophète et admirable visionnaire de ce qui allait se passer par la suite. Mais n'anticipons pas, et revenons à notre encyclique.
L'historien et le critique
L'historien a pour travail de montrer que l'histoire est en conformité avec les doctrines modernistes. Il applique pour cela la philosophie agnostique, et pose comme présupposé, que l'histoire, tout comme la science ne s'appuie que sur des faits. Les interventions de Dieu dans l'histoire n'étant pas du domaine scientifique, mais du domaine de la croyance, comme il a été dit plus haut, il ne faut en tenir aucun compte, mais au contraire, les gommer de l'histoire "réelle" pour écrire enfin l'histoire scientifique. Cette histoire tend ensuite à prouver, par le travail de l'apologiste que la religion n'est qu'un épiphénomène, lié à la conscience de l'homme, mais en aucun cas à une "vérité" historique.
Le travail de l'historien est complété par celui du critique. Le critique se sert des documents que lui fournit l'historien pour déterminer quelle est l'histoire de la foi, et quelle est l'histoire scientifique. Ainsi, les documents bibliques sont attribués à l'histoire de la foi, et sans fondement "historique". Ces Livres Saints "constituent le fait même, créé par le besoin" (§41) Ainsi, sous prétexte de vérité historique et scientifique, tous les documents de la foi catholique sont mis en doute, comme étant seulement le reflet de besoins internes. Encore et toujours l'immanence vitale dont fait preuve chaque individu...
Le réformateur
Le réformateur, a pour objet d'adapter l'Eglise aux théories modernistes, et en particulier de la rendre dépendante de l'évolution du monde extérieur.
On peut facilement voir quels sont les principaux objectifs de ces hommes: les séminaires, le catéchisme et les dévotions populaires, la hiérarchie, la liturgie et le célibat sacerdotal.
Mais pourquoi donc ces domaines spécifiquement ?
Reprenons en détail cette énumération. Les séminaires sont les lieux de formation du clergé. Réformons donc la philosophie scolastique qui est enseignée dans les séminaires, disent les modernistes, et nous aurons des clercs tout acquis à notre cause. A ce sujet, il n'est que facile de voir rétrospectivement ce qui a été appliqué depuis quelque soixante ans pour se rendre compte de l'importance que revêt effectivement l'enseignement reçu au séminaire.
Le catéchisme est pour les fidèles, pour les "croyants" l'équivalent de la philosophie et de la théologie pour les clercs. Un laïc non formé est aisément manipulable, et apte à croire tout ce qui lui est dit et qui a une apparence de cohérence et de vérité. Là encore remarquons les ravages qu'a provoqué l'abandon des catéchismes "modernes". Le résultat est simple, les fidèles ne croient plus en rien !
Les dévotions populaires et la liturgie se rapportent à ce que vit le croyant. Enlevons lui ce qui est l'expression de sa foi, et il n'aura plus de repères. Il est vrai que toutes ces choses ne sont que l'expression d'une réalité immanente, et qu'il n'est donc pas bon de les extérioriser. Si le voisin ne pensait pas comme moi, il pourrait être choqué...
La notion d'autorité pose une question: "de quel droit ?" Si ce droit est divin, comme dans la conception catholique, aucun problème: c'est Dieu qui donne l'autorité. Mais si l'autorité ne vient pas de Dieu, c'est qu'elle vient d'hommes, qui exercent une tyrannie. Elle ne doit donc pas exister. Surtout si elle contredit et condamne les théories modernistes... Bref, adaptons-nous aux temps modernes, et soyons enfin démocrates!
La question du célibat des prêtres est la même que celle de l'autorité: qui peut imposer un sacrifice pareil à un homme ? De plus, tout cela est d'un autre temps et complètement périmé.
En somme, tout ceci se borne à dire: changeons enfin de méthodes, privilégions l'action sur les vertus contemplatives, et surtout, adaptons-nous au monde moderne. Le principe de l'immanence vitale conduit à nier toute autorité et toute tradition, et à installer à la place un nouveau système fondé sur des valeurs nouvelles, mais pouvant encore évoluer.
Le travail du réformateur est donc directement de se mettre au travail, pour faire changer les anciennes structures au profit des nouvelles, dictées par la philosophie agnostique et immanentiste.
Conclusion
De tous ces hommes qui forment la longue chaîne des tenants du modernisme, disons seulement ceci avec l'apôtre: "Ils se sont évanouis dans leurs pensées, se disant sages, ils sont tombés en démence" (Rm I, 21-22). Le pape juge de ces influences en gras dans son encyclique: "A la faveur de l'audace et de la prépotence des uns, de la légèreté et de l'imprudence des autres, il s'est formé comme une atmosphère pestilentielle qui gagne tout, pénètre tout, et propage la contagion." Tel est donc le danger très grave que font planer sur l'Eglise ces hommes, et surtout les idées qu'ils répandent, en se proclamant les seuls vrais chrétiens, et les seuls défenseurs de la foi "authentique".
Mais où est donc la cause de tout cela ?
Deuxième partie: les causes du modernisme
Les causes du modernisme peuvent se séparer en deux grands groupes: les causes intellectuelles, expliquant pourquoi certains hommes adhèrent aux thèses du modernisme, et les causes "historiques", expliquant les origines du modernisme, qui (on se l'imagine bien) ne s'est pas fait en un jour.
A. Les causes intellectuelles
La curiosité et l'orgueil
Le pape le dit très bien: "la cause prochaine et immédiate réside dans une perversion de l'esprit"(§57). Cette perversion est tout simplement la rentrée de l'esprit dans le système présenté plus haut, à savoir, le subjectivisme de la connaissance, l'agnosticisme et l'immanentisme vital.
Mais comment l'esprit arrive-t-il à rentrer dans ce système, pour sa propre perte?
La première raison est la curiosité naturelle de l'homme, qui lui fait préférer ce qui est nouveau, dans l'espoir de pouvoir en savoir plus que le voisin, et par ce moyen affirmer sa supériorité. C'est là qu'intervient également l'orgueil, qui veut la première place. Il n'est pas possible de devenir célèbre en réaffirmant ce qu'ont déjà dit et redit nombre d'autorités (pères de l'Eglise, magistère, tradition.). Il faut donc innover, trouver encore et toujours mieux, et pour cela se tenir au courant de toutes les idées nouvelles. Là se trouve l'orgueil, qui fait dire: "nous ne sommes pas comme le reste des hommes"(§57). Le pape met alors en garde en reprenant les termes de son prédécesseur Grégoire XVI: " Contrairement à l'avertissement de l'apôtre, l'on prétend à savoir plus qu'il ne faut savoir et que, se fiant trop à soi-même, l'on pense pouvoir chercher la vérité hors de l'Eglise, en qui elle se trouve sans l'ombre la plus légère d'erreur."(Singulari nos, 1834). La curiosité alimentant l'orgueil, c'est bien là une source de perversion intellectuelle; mais elle ne suffit pas: cet humanisme où l'homme se pose comme supérieur à Dieu trouve son origine dans une grande ignorance...
L'ignorance
Au-delà de la cause morale qu'est l'orgueil, se dresse la cause intellectuelle de l'ignorance. En effet, ceux qui ont embrassé avec fougue la doctrine moderniste, manquaient gravement des instruments de jugement que leur auraient donné une bonne et solide philosophie scolastique. Si les modernistes ont forgé un faux système philosophique, c'est d'abord parce que le vrai leur manquaient. Ils étaient dans l'ignorance. Ainsi, ils ont adopté une philosophie qui condamne celle-là même qui leur aurait donné le moyen de la juger.
Abusés par la nouvelle doctrine, ils ne peuvent que condamner l'ancienne, comme "ne répondant pas aux exigences de notre temps." Ainsi, la philosophie thomiste, la tradition apostolique, patristique et ecclésiale, sont dénigrées... Forcément, puisqu'ils ne connaissent ces choses qu'à la lumière faussée de leur nouvelle doctrine. Doctrine qui, disons-le au passage a été emprunté à des non-catholiques, qui l'avaient édifié pour ruiner l'Eglise...
B. Les causes historiques
Il serait difficile et probablement très long de faire un historique complet du modernisme, de l'apparition de ses premières idées à la parution de l'encyclique Pascendi. Toutefois, bien que très succinctement, nous allons essayer de poser quelques points de repères, pour mieux comprendre les causes de la parution de l'encyclique.
Les philosophes
Le premier philosophe "moderniste", est Héraclite, avec sa théorie de l'évolutionnisme radical, qui sera reprise par ses successeurs...
C'est en Allemagne, que sera reprise et complétée cette philosophie, en particulier par Hegel et Kant. Ce dernier développera toute sa philosophie sur l'agnosticisme subjectif (philosophie de l'inconnaissable), qui est, nous l'avons vu, le pilier de la théorie moderniste. Citons une phrase de ce philosophe: "la pensée ne peut sortir d'elle-même." Voilà bien une idée qui a été appliqué par les théoriciens du modernisme religieux.
La pensée de ces philosophes sera en ce qui nous concerne reprise et adaptée en France par Bergson, qui développera en particulier l'immanentisme, et "l'intuition du moi profond".
Ensuite, ces théories philosophiques seront reprises par des chrétiens en mal de nouveauté (cf. causes intellectuelles, ci-dessus). Renan, Blondel, Loisy, Le Roy, Sabatier, et bien d'autres adapteront, mêleront ces idées philosophiques à la doctrine catholique, par petites touches, jusqu'à la pervertir en entier, et appeler sur eux les foudres de l'encyclique Pascendi.
La réaction de l'Eglise
Dans l'Eglise même, la réaction fut progressive à mesure de l'amplification du danger. Ce ne fut que lorsqu'elle se sentit pleinement menacée dans son essence même, qu'elle réagit. Les premières condamnations furent personnelles, comme en témoignent les condamnations faites sur les recherches bibliques, ou la mise à l'index de la majorité des livres de Loisy. De même, nombre de condamnations furent portées localement sur des livres par des évêques diocésains entre 1900 et 1907.
La première condamnation d'envergure (pour ce siècle, car il ne faut pas oublier que la majorité de ces erreurs avaient déjà été condamnées par la bulle Auctorem fidei... au XVIIème!) a lieu le 3 juillet 1907 avec la parution du décret Lamentabili. C'est le Saint-Office qui publie ce décret, comprenant une liste d'erreur "contemporaines". Même si le modernisme n'y est pas cité nominalement, il est déjà condamné dans ses propositions.
C'est le 8 septembre 1907 que parait l'encyclique papale, dénonçant solennellement le système moderniste...
Troisième partie: les conséquences du modernisme
A. Les décisions de l'Eglise
Pour arrêter le mal qui se répand, l'Eglise, par la bouche de saint Pie X va prendre une série de graves mesures. Certains diront que le couvercle de la liberté qui s'était un peu ouvert à la fin du siècle précédent est refermé fermement. Le problème n'en sera hélas que retardé, car comme l'avenir le montrera, le couvercle finira par sauter... Pourtant on ne peut guère accuser le pape, compte tenu des mesures vigoureuse qu'il prend alors.
La philosophie de saint Thomas, base des études
Pour anéantir la cause intellectuelle du modernisme qu'est l'ignorance de la vraie et sainte doctrine, le pape ordonne l'étude dans les séminaires de la philosophie thomiste. "Nous voulons et ordonnons que la philosophie scolastique soit mise à la base des sciences sacrées"(§63). Et "sur cette base philosophique, que l'on élève solidement l'édifice théologique"(64). Solide éducation amène de solides idées...N'oublions pas que saint Pie X est fils de paysan.
Exclusion des modernistes du sacerdoce, des chaires et des grades
L'enseignement ayant été réformé, il ne s'agit pas que des professeur viennent jeter le trouble dans l'esprit de leurs élèves... Ainsi, tous les professeurs modernistes doivent quitter leurs chaires d'enseignement, pour laisser la place à des personnes "sures" De même, le sacerdoce ne doit pas être donné à quelqu'un suspect d'idées modernistes, dans la mesure où il risquerait de corrompre ses confrères. Tout ceci n'est que mesure de prudence, la même qui serait prise à l'égard d'une maladie contagieuse.
Interdiction de publier des ouvrages modernistes
"Faites tout au monde pour bannir de votre diocèse tout livre pernicieux". En effet, ce n'est pas tout de préserver les fidèles du contact verbal avec les modernistes, mais il faut encore leur supprimer tout moyen d'action par voie de presse. C'est là encore mesure de prudence. Car malgré la condamnation, qui sait si des gens ne liraient pas ces ouvrages et s'imprégneraient de leurs idées perfides?
Nihil obstat et imprimatur
Cette mesure se rapporte à la précédente, en donnant un droit de regard à l'évêque sur toute publication religieuse de son diocèse.
Congrès sacerdotaux
L'interdiction quasi complête des congrès sacerdotaux a lieu en raison du danger de diffusion des idées modernistes qu'ils représentent.
Conseils de vigilance Diocésains
Ceux-ci sont chargés de faire appliquer concrètement les décisions des évêque et du Saint-Siège, car "que servirait-il que Nous intimions des ordres, si on ne devait pas les observer ponctuellement et fidèlement"(§73). Ceux-ci doivent se réunir tous les deux mois sous la présidence de l'évêque, pour examiner les problèmes liés à la propagation du modernisme.
Rapports périodiques des évêques au Saint-Siège sur l'exécution de ces mesures
Il est facile à comprendre que vu la gravité des événements, le pape veuille garder la haute main sur l'évolution de phénomène, pour éviter qu'il ne reprenne sous une autre forme.
B. Les réactions des catholiques à la suite de la parution de cette encyclique
La parution de l'encyclique et la condamnation solennelle du modernisme allait porter un grand coup au développement du modernisme. En effet, les laïcs de bonne foi qui avaient été abusés par les idées modernistes, sans vraiment les comprendre, répondirent sans tarder à l'appel du pape, et rejetèrent le poison au loin. Les organes de presse, dûment encadré par les directives du Saint-Siège, ne tardèrent pas non plus à dénoncer le modernisme. Enfin, les principaux "théologiens" se virent contraints d'affirmer haut et fort leurs positions, ce qui provoqua un effet de rejet massif. Loisy s'entêtant, finit par être excommunié, et l'hérésie interne se mua en hérésie externe. La parution du serment anti-moderniste en 1910 devait encore fortifier cet état de choses. En 1910, le modernisme était jugulé, entravé, et ne présentait plus un danger vital pour l'Eglise, car il était combattu par tous les catholiques.
Conclusion
L'encyclique Pascendi est l'une des plus importante de ce siècle, tant par son caractère de solennité, que par son contenu. Le péril majeur encouru par l'Eglise explique le ton ferme et direct du pape. L'exposé de la doctrine moderniste est long (les deux tiers de l'encyclique), mais clair et précis. Les remèdes sont aussi vigoureux qu'opportuns. Le résultat est palpable dès les années qui suivent: le péril est conjuré...
Hélas, il n'est de pire ennemi que celui que l'on croit abattu, et qui n'est que blessé. La suite des événements devait montrer que le monstre n'était pas mort. Il avait certes été dénoncé, et semblait évanoui, mais il allait réapparaître quelques années plus tard, et trouver une expression encore plus complète et plus terrible dans les bouleversements du concile Vatican II. Le malheur est qu'à cette époque, le pape n'eut pas la même poigne et le même courage que son prédécesseur... L'ennemi était dans l'Eglise, il avait réalisé ses objectifs, et... nous vivons encore au milieu de ses acquis et de ses cendres...
Mais, "les portes de l'enfer ne prévaudront pas sur Elle"...