Regard sur 40 ans de crise liturgique
De Salve Regina
La réforme de 1969 | |
Auteur : | Abbé Quentin Sauvonnet |
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Date de publication originale : | 2004 |
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Difficulté de lecture : | ♦♦ Moyen |
Sommaire
Regard sur 40 ans de crise liturgique
Ces quelques réflexions n’entendent considérer que l’aspect liturgique de la crise que traverse l’Eglise depuis maintenant quarante années. Elles ne se prétendent pas exhaustives, car elles veulent donner quelques repères à ceux qui, seulement maintenant, cherchent à mieux comprendre comment on a pu en arriver à une telle situation et surtout pourquoi certains se sont attachés au rit tridentin, au risque de passer pour des rebelles.
Notre approche sera chronologique.
I. Le mouvement liturgique jusqu’au concile
Le mouvement liturgique n’a pas à la fin des années 50 le même visage qu’à ces débuts. Alors que les aspirations initiales consistaient à faire redécouvrir les richesses de la liturgie, un certain esprit archéologisant, condamné d’ailleurs par Pie XII dans Mediator Dei, a faussé le courant et ne rêve que de réformes en vue d’épurer la liturgie de toutes les scories amassées au cours des siècles.
La constitution de Vatican II fut applaudie de tous : une avancée pour certains, une victoire dans le maintien de l’essentiel pour d’autres. Sans remettre en cause la bonne foi des pères conciliaires, il est certain que les progressistes virent là un succès indéniable, ils avaient atteint leurs objectifs. Voici ce qu’écrivait le P. A. Nocent avant l’ouverture du concile : « Il ne faudrait pas cependant s'imaginer tous les catholiques vibrant d'espoir dans l'attente d'un concile où seront étudiées les questions posées par la vie liturgique dans l'Église en notre temps. Il en est encore, et plus qu'on ne pourrait le croire, qui se demandent pourquoi il y a lieu de modifier des usages déjà anciens, bien ancrés dans leurs vieilles habitudes. Il y a chez eux une opposition farouche à ce qui pourrait troubler une religion qu'ils ont assouplie à leur propre mesure et dans laquelle ils goûtent un contentement maniaque, comme on se sent paresseusement à l'aise dans un vieux complet ou des chaussures éculées. Pourquoi troubler des pratiques dont ils se trouvent bien et dont ils croient tirer un réel profit spirituel ?
« A l'opposé de cet immobilisme, il est une autre attitude, trop impatiente, parfois insuffisamment éclairée, que réjouit à l'avance toute "iconoclastie", et tout incendie des vieilles idoles. Elle confond routine paresseuse avec tradition légitime et véritable, affectionne le changement pour lui-même, comme manifestation suprême de la vitalité. Il faut cependant parfois excuser sa violence et l'expliquer par une tenaillante angoisse pastorale...
« Parallèlement aux problèmes œcuméniques, on sait qu'à l'ordre du jour du futur concile est inscrite une révision de la liturgie et que des commissions d'études se sont déjà mises au travail. Ce serait cependant aller au devant d'une désillusion que de s'attendre à des solutions toutes faites, à un remaniement complet. Le rôle du concile sera, autant que de prendre des résolutions fermes, de donner une impulsion à telle orientation précise dans telle recherche d'adaptation, de barrer la route à telle tendance, légitime peut-être, mais reconnue inopportune ».[1]
II. Du concile au N.O.M.
A. La réforme du rit de Saint Pie V demandée par le Concile
Toutes les réformes demandées par le concile Vatican II furent réalisées dans l’édition du missel de 1965. De ce fait, se trouve introduit dans ce missel la langue vernaculaire (sauf pour l’offertoire et le canon), et se trouvent supprimés les prières au bas de l’autel et le dernier évangile.[2]
B. L’élaboration d’un nouveau rit
Cette année marque un tournant.
- les propos de Mgr Bugnigni :
Le P. Annibale Bugnini, sous-secrétaire de la Congrégation des Rites et secrétaire du « Consilium » de liturgie, avait expliqué sans ambages ce qu'on était en train de faire. « Il s'agit, disait-il, d'une restauration fondamentale, je dirais presque d'une refonte et, pour certains points, d'une véritable nouvelle création ».
- la missa normativa :
Un nouveau formulaire de messe a été expérimentée à la chapelle Sixtine, le 24 octobre, et soumise à l’approbation des évêques présents : cette expérience fut repoussé par 74 voix pour, et un total de 105 voix contre. Hors c’est cette messe qui a été promulgué 2 ans plus tard.
Pour montrer à quel point nous sommes loin des réformes voulues par le concile, voici un texte de Thierry Maertens, un bénédictin, dans Tres abhinc annos et Eucharisticum mysterium : « ... ces deux documents révèlent l'important chemin parcouru depuis le Concile, tant sur, le plan de la réforme matérielle que sur celui de la doctrine. » (P. 12).
« ... Rien, dans la Constitution sur la liturgie, ne laissait supposer qu'un document permettrait, quatre ou cinq ans plus tard, la proclamation du canon en langue vivante... » (P. 12-13).
(En note) : « La brochure collective la Liturgie dans les documents de Vatican II (...) soulignait également le danger pour les liturgistes et les réformateurs de s'en tenir trop strictement à la Constitution... » (P. 14).
« ... Aujourd'hui, parce qu'il a reçu un sacerdoce qui l'envoie en mission et le met davantage en contact avec les problèmes des hommes, le célébrant est davantage soucieux de se présenter, dans la liturgie, comme l'hôte de la maison de famille qui prête attention à chacun des convives et a pour chacun d'eux une parole ou un regard chaleureux... » (P. 20).
« ... Ainsi donc, en dehors de ce qui est propre à sa fonction, le célébrant ne jouit plus d'aucun privilège dans la fonction liturgique... » (P. 21).
Constitution Apostolique Missale romanum de Paul VI approuvant une nouvelle messe (sans la promulguer encore).
Note du conseil permanent de l’épiscopat introduisant en France la communion dans la main.
Lettre des cardinaux Ottaviani et Bacci présentant à Paul VI un Bref examen critique de la nouvelle messe et demandant l’abrogation de cette messe nouvelle[3].
Circulaire du Saint-Siège sur l’application progressive de la constitution apostolique Missale romanum.
Ordonnance de l’Episcopat français rendant obligatoire, à partir du 1er janvier 1970, la célébration de la nouvelle messe et l’utilisation de la traduction française établie par la commission épiscopale.
Cette ordonnance soulève quelques difficulté d’un point de vue juridique : en effet l’épiscopat français y prétendait décider lui-même, en ne se référant qu’à son propre pouvoir, le changement de rite en France. Il n’invoquait ni la constitution apostolique Missale romanum, ni la circulaire romaine du 20 octobre 1969.
Par cette ordonnance, l’épiscopat français interdisait, en fait, à partir du 1er janvier 1970, le rite traditionnel de la messe et, quel que soit son rite, le latin à la messe.
Le 19 novembre, il constate que le « changement » opéré par l'introduction du nouveau rite « a quelque chose de surprenant, d'extraordinaire, la messe étant considérée comme l'expression traditionnelle et intangible de notre culte religieux, de l'authenticité de notre foi ». Mais il demande « que soit bien entendu que rien n'est changé dans la substance de notre messe traditionnelle ».
« Ne parlons pas de nouvelle messe, dit-il pour conclure, mais de nouvelle époque de la vie de l'Eglise. » Le 26 novembre, il redit la valeur de la réforme effectuée. Le changement devra amener les fidèles « à sortir de leurs petites dévotions personnelles ou de leur assoupissement habituel ». Il fait remarquer que « ce seront les personnes pieuses qui seront les plus dérangées. Elles avaient leur façon respectable de suivre la messe ; elles se sentiront maintenant privées de leurs pensées habituelles et obligées d'en suivre d'autres ». Les fidèles seront associés de manière plus intime « aux rites officiels de la messe, tant ceux de la Parole de Dieu que ceux du sacrifice eucharistique. Les fidèles, en effet, sont, eux aussi, revêtus du « sacerdoce royal », ce qui veut dire qu'ils sont habilités à cet entretien surnaturel avec Dieu ».
Décret de la congrégation romaine du culte divin promulguant l’édition dite "typique" (c’est-à-dire officielle) de la nouvelle messe (en latin). L’épiscopat français, comme on l’a vu, n’avait pas attendu cette promulgation officielle pour en rendre obligatoire une traduction à sa façon.
III. Statut du rit tridentin : première phase : l’interdiction
Déclaration du cardinal Ottaviani (publiée dans l’hebdomadaire Carrefour par Louis Salleron qui est allé à Rome interviewer le cardinal) : "Le rite traditionnel de la messe selon l’Ordo de saint Pie V n’est pas, que je sache, aboli".
Notification de la congrégation romaine du culte divin pour la mise en place de la nouvelle messe (notification superfétatoire pour la France où les évêques ont déjà devancé et dépassé Rome).
Le cardinal Heenan, à la demande de la Latin Mass Society, "association pour le rite tridentin" (adhérente à la Fédération internationale Una voce), fait connaître l’autorisation donnée par Paul VI aux Anglais d’utiliser occasionnellement le rite traditionnel de la messe : c’est ce qu’on a appelé l’indult Agatha Christie.
"Mise au point" de Mgr Adam, évêque de Sion (Suisse), affirmant qu’"il est interdit, sauf indult, de célébrer selon le rite de saint Pie V, qui a été aboli (sic) par la constitution Missale romanum du 3 avril 1969". Mgr Adam précise : "La présente déclaration est faite sur renseignement authentique et indication formelle de l’Autorité."
-Communiqué de l’Assemblée plénière des évêques suisses : "I1 n’est plus permis de célébrer la messe selon le rite de saint Pie V."
Au nom de Mgr Badré, évêque de Bayeux et de Lisieux, le doyen d’Orbec publie un communiqué affirmant : "Le souci d’obéissance à l’Eglise interdit de célébrer la messe selon le rite de saint Pie V dans quelques circonstances que ce soit."
Communiqué de l’Épiscopat français qui, pour la première fois, cinq ans après coup, déclare explicitement interdite la messe traditionnelle (l’ordonnance du 12 novembre 1969 l’avait effectivement interdite, mais implicitement et par voie de conséquence, en rendant obligatoire la messe nouvelle en français).
Au communiqué est jointe l’ordonnance épiscopale du 14 novembre 1974, qui «confirme sa décision antérieure", celle du 12 novembre 1969, mais cette fois "en application" de la notification romaine du 14 juin 1971 et non plus de sa propre autorité.
Lettre du cardinal Villot, secrétaire d’Etat, approuvant, au nom de Paul VI, l’édition française du nouveau missel et assurant que par sa constitution apostolique Missale romanum de 1969, le pape a "prescrit que le nouveau Missel doit remplacer l’ancien".
Discours consistorial de Paul VI réclamant que la messe traditionnelle ne soit plus jamais célébrée : "L’adoption du nouvel Ordo Missae n’est certainement pas laissée à la libre décision des prêtres ou des fidèles... Le nouvel Ordo a été promulgué pour prendre la place de l’ancien".
A Jean Guitton qui lui demande d’autoriser en France la célébration de la messe traditionnelle, Paul VI répond "sévèrement" : - "Cela, jamais !"
(Cette violente répartie ne sera rendue publique qu’après la mort de Paul VI, dans le livre de Jean Guitton paru en décembre 1979 : Paul VI secret, p. 158.)
Lettre de Paul VI à Mgr Lefebvre exigeant (entre autres) l’abandon total et définitif de la messe traditionnelle.
IV. Statut du rit tridentin : Deuxième phase : ébauches de solutions
A. la voie de l’indult
La congrégation romaine du culte (dans une communication qu’elle aurait voulu garder secrète) demande à tous les évêques d’ouvrir une enquête sur la permanence éventuelle d’un attachement à la célébration de la messe en latin et selon le rite traditionnel. Jean Madiran révèle l’existence et le contenu de cette enquête dans Itinéraires, numéro 246 de septembre-octobre 1980, p. 153 et suiv.
Mgr Antonio de Castro-Mayer, évêque de Campos, rend publique sa réponse à l’enquête liturgique en la publiant dans Itinéraires (numéro 257).
Il y déclare :
1° que conformément à la constitution conciliaire de Vatican II sur la liturgie, n° 54 et n° 36, les prêtres de son diocèse "maintiennent la coutume de célébrer la sainte messe en latin" ;
2° que conformément au n° 4 de la même constitution conciliaire, qui veut que "tous les rites légitimement reconnus soient conservés et favorisés de toutes les manières", la messe traditionnelle, dite "tridentine", est "célébrée d’une manière générale dans les paroisses du diocèse".
Publication à Rome des résultats (faussés) de l’enquête liturgique. Conclusion officielle : il n’existe plus aucun problème concernant la messe traditionnelle, presque complètement disparue et presque complètement oubliée.
Déclarant obtempérer à un désir personnel du pape ("ipse summus pontifex" ), la congrégation romaine du culte, par une lettre aux présidents des conférences épiscopales, donne aux évêques la faculté de permettre, s’ils le veulent, des célébrations de la messe traditionnelle[4].
Protocole d’accord : A la suite d'une réunion d'experts qui a eu lieu du 13 au 15 avril 1984 et qui avait abouti à un projet d'accord, Mgr Lefebvre a eu avec le cardinal Ratzinger les 3 et 4 moi, une nouvelle rencontre au terme de laquelle a été mis au point le texte de l'accord signé le 5 mai.
Suite à la consécration épiscopale, à Ecône (Suisse), des abbés Richard Williamson, Bernard Tissier de Mallerais, Alfonso de Galarreta et Bernard Fellay, le pape Jean-Paul II publie le Motu Prorio Ecclesia Dei Adflicta[5]¸dans lequel dans un premier temps il confirme solennellement la sentence d’excommunication de Mgr M. Lefebvre, et dans un second temps, demande une « application large et généreuse […] du missel romain selon l’édition typique de 1962 ».
Nous sommes encore aujourd’hui sous ce régime. Compte tenu des évènements des années 1970, c’est un progrès indéniable, une prise en compte par le droit du missel antérieur à 1969. Il reste que nous demeurons là dans la perspective d’un indult, c'est-à-dire une exception à la loi, la loi étant ici le N.O.M. …
Mentionnons en dernier lieu, quant à la prise en compte par le droit de la messe de saint Pie V, les propos du cardinal Castrillon-Hoyos en mai 2003 ; il affirme que la messe tridentine a toujours eu « droit de cité ». Nous sommes loin des propos de Paul VI de 1976…
B. la liberté de célébrer indifféremment l’un ou l’autre rit.
La limite de la solution adoptée réside en ce que l’octroi de l’indult est du ressort exclusif de l’évêque du lieu. De ce fait, la demande du Pape d’un accueil large et généreux ne s’est quasiment jamais rencontrée. On assiste alors, progressivement, à une mise en ghetto du rit tridentin.
De nombreux documents montrent que l’idée d’une équivalence entre les deux rites fait son chemin.
1. Le Cal Casaroli, secrétaire d’Etat, demandait au Cal Casoria, préfet de la congrégation pour le culte divin, par une lettre du 18 mars 1984, de préparer le texte du décret de l’indult de la même année. Dans cette lettre, le secrétaire d’Etat rappelait : « une absolue interdiction de l’usage du missel mentionné ne peut être justifiée ni d’un point de vue théologique, ni d’un point de vue juridique.
2. le Cardinal Stickler rapporte[6] la réponse de la commission de 9 cardinaux réunie par Jean-Paul II en 1986 pour statuer sur la question de l’abrogation du rite de St Pie V : « la réponse donnée par huit [des neufs cardinaux] était que, non, la messe de saint Pie V n’a jamais été supprimée. […] Il y eu une autre question, fort intéressante : « un évêque peut-il interdire de nos jours à un prêtre en situation régulière de célébrer une messe tridentine ? » Les neufs cardinaux ont été unanimes pour dire que qu’aucun évêque n’avait le droit d’interdire à un prêtre catholique de dire la messe tridentine. Il n’y a aucune interdiction officielle et je pense que le pape ne décrètera aucune interdiction officielle ».
3. Latin Mass: Le cardinal Ratzinger a récemment écrit que l’Église n’a jamais interdit aucune forme orthodoxe de liturgie. L’Église a-t-elle jamais interdit le rite de St Pie V, qui a été durant des siècles le rite officiel de l’Église?
Cardinal Medina: J’ai soigneusement étudié la question de l’abrogation du rite de St Pie V après le Concile Vatican II. Je suis un ami intime du cardinal Ratzinger, un grand théologien et homme d’Église que j’ai connu et admiré depuis 1962, et auquel je suis reconnaissant pour sa profonde pénétration liturgique. Sur la base de mes recherches, je ne puis conclure que le rite de St Pie n’ait jamais été abrogé. Certains le pensent. D’autres ont un autre point de vue. C’est pourquoi, comme le dit le dicton latin : in dubiis libertas [en cas de doute, il y a liberté].
4. Dans une lettre à Dante Pastorelli du 21 mai 2004, publiée dans Una Voce[7], le Cal Medina précise à propos de la 3e édition typique du missel romain (2002) : « Je répète mon sentiment : l’abrogation du missel de Saint Pie V n’est pas prouvée. Je peux même ajouter que dans le décret, signé par moi, lors de la promulgation de la troisième édition typique du missel romain, il n’y a aucune stipulation de l’abrogation de la forme antique du rite romain. Je dis bien « de la forme antique », parce qu’il n’y a pas deux « rites romains », mais au contraire deux « formes » de ce rite, lequel a une unité substantielle. Et je peux préciser que l’absence de cette stipulation d’abrogation n’est pas un hasard ou le fruit d’oubli, mais quelle est voulue ».
- ↑ In L’avenir de la Liturgie, Ed . Universitaires, 1961, pp 9-11
- ↑ Pour une analyse détaillée de cette réforme, consulter l’article de l’abbé Dufour sur salve-regina.com : Le rite de 1965 (étude critique). Cette étude a le mérite de montrer que ce missel ne se voulait pas définitif, mais préparait les réformes ultérieures.
- ↑ Saint Père,
Après avoir examiné et fait examiner le nouvel ORDO MISSAE préparé par les experts du " Comité pour l'application de la Constitution sur la liturgie ", après avoir longuement réfléchi et prié, nous sentons le devoir, devant Dieu et devant Votre Sainteté, d'exprimer les considérations suivantes :
1. Comme le prouve suffisamment l'examen critique ci-joint, si bref soit-il, oeuvre d'un groupe choisi de théologiens, de liturgistes et de pasteurs d'âmes, le nouvel ORDO MISSAE si l'on considère les éléments nouveaux, susceptibles d'appréciations fort diverses, qui y paraissent sous-entendus ou impliqués, s'éloigne de façon impressionnante, dans l'ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la Sainte Messe, telle qu'elle a été formulée à la XXIIe session du Concile de Trente, lequel, en fixant définitivement les " canons " du rite, éleva une barrière infranchissable contre toute hérésie qui pourrait porter atteinte à l'intégrité du Mystère.
2. Les raisons pastorales avancées pour justifier une si grave rupture, même si elles avaient le droit de subsister en face de raisons doctrinales, ne semblent pas suffisantes. Tant de nouveautés apparaissent dans le nouvel ORDO MISSAE, et en revanche tant de choses éternelles s'y trouvent reléguées à une place mineure ou à une autre place, - si même elles y trouvent encore une place, - que pourrait se trouver renforcé et changé en certitude le doute, qui malheureusement s'insinue dans de nombreux milieux, selon lequel des vérités toujours crues par le peuple chrétien pourraient changer ou être passées sous silence sans qu'il y ait infidélité au dépôt sacré de la doctrine auquel la foi catholique est liée pour l'éternité. Les récentes réformes ont suffisamment démontré que de nouveaux changements dans la liturgie ne pourront pas se faire sans conduire au désarroi le plus total des fidèles qui déjà manifestent qu'ils leur sont insupportables et diminuent incontestablement leur foi. Dans la meilleure part du clergé cela se marque par une crise de conscience torturante dont nous avons des témoignages innombrables et quotidiens.
3. Nous sommes assurés que ces considérations, directement inspirées de ce que nous entendons par la voix vibrante des pasteurs et du troupeau, devront trouver un écho dans le cœur paternel de Votre Sainteté, toujours si profondément soucieux des besoins spirituels des fils de l'Eglise. Toujours les sujets, pour le bien desquels est faite la loi, ont eu le droit et plus que le droit, le devoir, si la loi se révèle tout au contraire nocive, de demander au législateur, avec une confiance filiale, son abrogation.
C'est pourquoi nous supplions instamment Votre Sainteté de ne pas vouloir que - dans un moment où la pureté de la foi et l'unité de l'Eglise souffrent de si cruelles lacérations et des périls toujours plus grands, qui trouvent chaque jour un écho affligé dans les paroles du Père commun - nous soit enlevée la possibilité de continuer à recourir à l'intègre et fécond Missel romain de saint Pie V, si hautement loué par Votre Sainteté et si profondément vénéré et aimé du monde catholique tout entier.
Cardinal Ottaviani.Cardinal Bacci
- ↑ Indult pour l’utilisation du Missel Romain de 1962 au jugement de l’évêque du diocèse
Traduction de la lettre circulaire datée au Vatican du 3 Octobre 1984 et adressée par la congrégation pour le culte divin aux Présidents des conférences épiscopales.
Excellence,
Il y a quatre ans, à la demande du Souverain Pontife Jean Paul II, les évêques de toutes l’Eglise furent invités à présenter une relation :
sur la façon dont les prêtres et les fidèles de leurs diocèses avaient accueilli le Missel promulgué en 1970 par le pape Paul VI, obéissant ainsi aux décisions du concile Vatican II ;
sur le difficultés rencontrées dans la réalisation de la réforme liturgique ;
sur les éventuelles résistances qu’il a peut-être fallu vaincre.
Le résultat de cette consultation a été envoyé à tous les évêques (cf. notitiae n.185, décembre 1981). D’après leurs réponses, il semblait que le problème des prêtres et des fidèles attachés à ce que l’on appelle le " rite tridentin " était pour ainsi réglé.
Mais comme ce problème subsiste, le Souverain Pontife, désirant donner satisfaction à ces groupes, offre aux évêques diocésains la faculté d’user d’un Indult pour permettre aux prêtres et aux fidèles , énumérés explicitement dans la requête présentée à leur évêque, de célébrer la Messe en utilisant le Missel Romain édité officiellement en 1962, tout en observant les normes suivantes :
1. Qu’il soit bien clair que ces prêtres et ces fidèles n’ont rien à voir avec ceux qui mettent en doute la légitimité et la rectitude doctrinale du Missel Romain promulgué par le Pape Paul VI en 1970 et que leur position soit sans aucune ambiguïté et publiquement reconnue.
2. Que cette célébration ne soit faite que pour les groupes qui la demandent ; qu’elle ait lieu dans les églises et les chapelles que l’évêque du diocèse indiquera (et pas dans les églises paroissiales, à moins que l’évêque ne le permette pour des cas extraordinaires) ; et qu’elle se fasse aux jours et dans les conditions approuvées par l’évêque, qu’il s’agisse des célébrations habituelles ou exceptionnelles.
3. Cette célébration devra se faire en suivant le Missel Romain de 1962 et en latin.
4. On ne devra faire aucun mélange entre les textes et les rites des deux missels.
Chaque évêque informera cette Congrégation des autorisations accordées par lui et, un an après la concession de cet Indult, des résultats de son application.
Cette concession, qui montre le souci du Père commun pour tous ses enfants, devra être utilisée sans préjudice de l’observance de la réforme liturgique dans la vie des communautés ecclésiales.
Je profite de cette occasion pour me dire dans le Seigneur, votre très dévoué.
+ AUGUSTIN MAYERArchevêque tit. de Satrianum
- ↑ Motu proprio " Ecclesia Dei adflicta"
1. C'est avec beaucoup de tristesse que l'Église de Dieu a appris l'ordination épiscopale illégitime conférée le 30 juin dernier par Mgr Marcel Lefebvre, qui a rendu vains tous les efforts que le Saint-Siège a déployés ces dernières années pour assurer la pleine communion avec l'Église de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X fondée par le même Mgr Lefebvre. Tous ces efforts, spécialement ceux de ces derniers mois particulièrement intenses, n'ont servi à rien alors que le Siège apostolique a fait preuve de patience et d'indulgence jusqu'à la limite du possible.
2. Cette tristesse est particulièrement ressentie par le successeur de Pierre à qui revient en premier de veiller à l'unité de l'Église, même si le nombre des personnes concernées directement par ces évènements est relativement réduit. Car chaque personne est aimée de Dieu pour elle-même et a été rachetée par le sang du Christ versé sur la Croix pour le salut de tous les hommes.
Les circonstances particulières, objectives et subjectives, qui entourent l'acte accompli par Mgr Lefebvre offrent à tous l'occasion d'une réflexion profonde et d'un engagement renouvelé de fidélité au Christ et à son Église.
La gravité du schisme
3. En lui-même, cet acte a été une désobéissance au Souverain Pontife en une matière très grave et d'une importance capitale pour l'unité de l’Église, puisqu'il s'agit de l'ordination d'évêques par laquelle se perpétue sacramentellement la succession apostolique. C'est pourquoi une telle désobéissance, qui constitue en elle-même un véritable refus de la primauté de l'évêque de Rome, constitue un acte schismatique. En accomplissant un tel acte malgré la monition formelle qui lui a été envoyée par le cardinal préfet de la
Congrégation pour les Évêques le 17 juin dernier (DC 1988, n°1966, p. 740 - NDLR), Mgr Lefebvre a encouru avec les prêtres Bernard Fellay, Bernard Tissier de Mallerais, Richard Williamson et Alfonso de Galarreta, la grave peine de l'excommunication prévue par la discipline ecclésiastique.
4. A la racine de cet acte schismatique, on trouve une notion incomplète et contradictoire de la Tradition. Incomplète parce qu'elle ne tient pas suffisamment compte du caractère vivant de la Tradition qui, comme l'a enseigné clairement le Concile Vatican II, " tire son origine des apôtres, se poursuit dans l'Église sous l'assistance de l'Esprit Saint : en effet, la perception des choses aussi bien que des paroles transmises s'accroît, soit par la contemplation et l'étude des croyants qui les méditent en leur cœur, soit par l'intelligence intérieure qu'ils éprouvent des choses spirituelles, soit par la prédication de ceux qui, avec la succession épiscopale, reçurent un charisme certain de vérité ".
Mais c'est surtout une notion de la Tradition, qui s'oppose au Magistère universel de l'Église lequel appartient à l'évêque de Rome et au corps des évêques, qui est contradictoire. Personne ne peut rester fidèle à la Tradition en rompant le lien ecclésial avec celui à qui le Christ, en la personne de l'apôtre Pierre, a confié le ministère de l'unité dans son Église.
Appel à tous les catholiques
5. Devant une telle situation, j'ai le devoir d'attirer l'attention de tous les fidèles catholiques sur quelques points que cette triste circonstance met en lumière.
· a) Le résultat auquel a abouti le mouvement promu par Mgr Lefebvre peut et doit être une occasion pour tous les fidèles catholiques de réfléchir sincèrement sur leur propre fidélité à la Tradition de l’Église, authentiquement interprétée par le Magistère ecclésiastique, ordinaire et extraordinaire, spécialement dans les Conciles œcuméniques, depuis Nicée jusqu'à Vatican Il. De cette réflexion, tous doivent retirer une conviction renouvelée et effective de la nécessité d'approfondir encore leur fidélité à cette Tradition en refusant toutes les interprétations erronées et les applications arbitraires et abusives en matière doctrinale, liturgique et disciplinaire.
C'est en premier lieu aux évêques, à cause de leur mission pastorale propre, que revient le grave devoir d'exercer une vigilance clairvoyante, pleine de charité et de fermeté, afin qu'une telle fidélité soit partout sauvegardée.
Mais tous les pasteurs et les autres fidèles doivent aussi avoir une conscience nouvelle non seulement de la légitimité mais aussi de la richesse que représente pour l'Église la diversité des charismes et des traditions de spiritualité et d'apostolat. Cette diversité constitue aussi la beauté et l’unité dans la variété : telle est la symphonie que, sous l'action de l'Esprit Saint, l'Église terrestre fait monter ver le ciel.
· b) Je voudrais en outre attirer l'attention des théologiens et des autres experts en science ecclésiastique afin qu'ils se sentent interpellés eux aussi par les circonstances présentes En effet, l'ampleur et la profondeur des enseignements du Concile Vatican II requièrent un effort renouvelé d'approfondissement qui permettra de mettre en lumière la continuité du Concile avec la Tradition, spécialement sur de points de doctrine qui, peut-être à cause de leur nouveauté n'ont pas encore été bien compris dans certains secteurs de l'Église. Directives pastorales
· c) Dans les circonstances présentes, je désire avant tout lancer un appel à la fois solennel et ému, paternel et fraternel, à tous ceux qui, jusqu'à présent, ont été, de diverses manières, liés au mouvement issu de Mgr Lefebvre pour qu'ils réalisent le grave devoir qui est le leur de rester unis au Vicaire du Christ dans l'unité de l'Église catholique et de ne pas continuer à soutenir de quelque façon que ce soit ce mouvement. Nul ne doit ignorer que l'adhésion formelle au schisme constitue une grave offense à Dieu et comporte l'excommunication prévue par le droit de l'Église.
A tous ces fidèles catholiques qui se sentent attachés à certaines formes liturgiques et disciplinaires antérieures de la tradition latine, je désire aussi manifester ma volonté - à laquelle je demande que s'associent les évêques et tous ceux qui ont un ministère pastoral dans l'Église - de leur faciliter la communion ecclésiale grâce à des mesures nécessaires pour garantir le respect de leurs aspirations.
Création d'une nouvelle commission
6. Compte tenu de l'importance et de la complexité des problèmes évoqués dans ce document, je décrète:
a) Une Commission est instituée, qui aura pour mission de collaborer avec les évêques, les dicastères de la Curie romaine et les milieux intéressés, dans le but de faciliter la pleine communion ecclésiale des prêtres, des séminaristes. des communautés religieuses ou des religieux individuels ayant eu jusqu'à présent des liens avec la Fraternité fondée par Mgr Lefebvre et qui désirent rester unis au successeur de Pierre dans l'Église catholique en conservant leurs traditions spirituelles et liturgiques, à la lumière du protocole signé le 5 mai par le cardinal Ratzinger et Mgr Lefebvre.
b) Cette Commission est composée d'un cardinal président et d'autres membres de la Curie romaine dont le nombre sera fixé selon les circonstances.
c) On devra partout respecter les dispositions intérieures de tous ceux qui se sentent liés à la tradition liturgique latine, et cela par une application large et généreuse des directives données en leur temps par le Siège apostolique pour l'usage du missel romain selon l’édition typique de 1962.
7. Alors que 1’on approche de la fin de cette année tout particulièrement consacrée à la Très Sainte Vierge, je désire exhorter chacun à s'unir à la prière incessante que le Vicaire du Christ, par l'intercession de la Mère de l'Église, adresse avec les paroles mêmes du Fils : " Que tous soient un ! "
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 2 juillet 1988, dixième année de mon pontificat.
IOANNES PAULUS PP. II
- ↑ Entretien publié dans The Latin Mass, été 1995
- ↑ Una Voce, bulletin de la section de Florence, Juillet-décembre 2004