L'eau bénite

De Salve Regina

(Redirigé depuis L'eau Bénite par Mgr Gaume)
Les sacramentaux
Auteur : Mgr Jean-Joseph Gaume
Date de publication originale : 1865

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen


« Effundam super vos aquam mundam, et mundabimini. » Ezech., XXXVI, 15
« Je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés. »


AUTORISATION DE L'ORDINAIRE

Nous, Évêque de Versailles, permettons à Monseigneur GAUME, protonotaire apostolique, de faire imprimer dans notre diocèse son opuscule intitulé : l'Eau bénite au dix-neuvième siècle.
VERSAILLES, le 30 décembre 1865.
† PIERRE, Évêque de Versailles.


AVANT-PROPOS

Le jeune Allemand, à qui sont adressées nos lettres sur le Signe de la Croix, nous a demandé un travail analogue sur l'Eau Bénite. Ses motifs sont les mêmes. Dans une de ses visites, il nous raconta qu'un bénitier, aperçu à la tête de son lit, lui avait attiré de la part de ses camarades une avalanche de quolibets, plus spirituels les uns que les autres. « Grâce aux moyens de défense que vous m'avez fournis, ajoutait-il, on n'ose plus m'attaquer sur le Signe de la Croix; mais, je dois l'avouer, pour défendre l'Eau Bénite, je n'ai pas d'armes de précision, et je viens vous en demander. »
Trop juste est une semblable prière, pour n'être pas favorablement accueillie. L'opuscule qu'on va lire en est le fruit.


AVIS DES ÉDITEURS

La préface placée en tête de la troisième édition du Signe de la Croix au XIXe siècle, nous dispense d'en mettre une à cette nouvelle édition de l'Eau Bénite. Elle explique l'opportunité, le but, la raison et le succès inespéré de deux ouvrages qui, se complétant l'un par l'autre, sont inséparables. Qu'il nous suffise de faire connaître l'accueil qu'a reçu, à Rome, le traité de l'Eau Bénite.


LETTRE DE SON ÉMINENCE LE CARDINAL PRINCE ALTIERI, CAMERLINGUE DE LA SAINTE ÉGLISE ROMAINE, À MONSEIGNEUR GAUME, PROTONOTAIRE APOSTOLIQUE

« MONSEIGNEUR ILLUSTRISSIME,

« Par votre très-précieux ouvrage sur l'usage, l'antiquité et l'efficacité de l'Eau Bénite, vous avez fait beaucoup mieux connaître les nombreux et inappréciables avantages que les fidèles peuvent en retirer, surtout en y joignant le signe de la croix, soit pour se purifier de toute faute vénielle et se fortifier dans la lutte incessante contre les puissances de l'enfer, comme aussi pour attirer les bénédictions qui rendent sainte et salutaire chacune des actions de notre vie, ainsi que tout ce qui nous appartient. « C'est donc à très-juste titre que le souverain Pontife a daigné vous exprimer sa haute satisfaction pour l'envoi de l'exemplaire de votre ouvrage, que j'ai eu l'honneur de lui offrir en votre nom, en même temps que la lettre pleine de dévouement filial dont vous l'avez accompagné. Vous en aurez la preuve dans la réponse ci-jointe, que, par mon entremise Sa Sainteté vous envoie. Elle ne s'en est pas tenue là. Aquiesçant au désir que vous lui avez exprimé, le Saint-Père a accordé les indulgences qu'il a jugées convenables, en faveur de ceux qui feront dévotement usage de l'Eau Bénite, comme il est dit dans le Bref ci-joint, que je suis heureux de vous transmettre, afin que vous lui donniez toute la publicité qui lui est due.
« Je ne doute point que ces témoignages publics de la bienveillance particulière avec laquelle le souverain Pontife n'a pas cessé de vous regarder, soient pour vous la plus grande des consolations, la compensation des amertumes dont vous avez été abreuvé, et le soutien du zèle infatigable que vous mettez à enseigner et à propager les pratiques si utiles et si respectables, prescrites par la tendre mère et l'infaillible maîtresse des hommes, afin de les armer et de les défendre contre les embûches cachées et les attaques violentes de leurs implacables ennemis, les esprits mauvais.
« Recevez donc la nouvelle assurance de la vive et invariable reconnaissance que je vous dois, pour m'avoir mis en possession du bel exemplaire d'un ouvrage qui ne sera jamais assez loué, ainsi que l'expression réitérée des constants sentiments de sincère et haute estime avec lesquels je suis, Monseigneur Illustrissime, votre très-affectionné serviteur,
L. CARDINAL ALT1ERI.
« Rome, 7 avril 1866. »

PIUS PP. IX.
Dilecte Fili, salutem et Apostolicam benedictionem. Omni quidem ætati, sed huic præsertim, in qua, impietate impune grassante, potestatibus infernis habens præter morem laxatæ videntur, accommodatum se exhibet opus tuum de aqua benedicta. Licet enim et veneranda ipsius antiquitas, et mos ab Ecclesia servatus eam adhibendi in omnibus ferme benedictionibus, et virtus ejus usui adjecta fugandi spiritus immundos omnemque nequitiam et versutiam diabolica fraudis, arcendi quidquid incolumitati aut quieti hominum invideat, abstergendi leviores animæ sordes, prospiciendique sanitati spiritus et corporis ejus usum imprimis commendare debeant fidelibus ; hunc tamen dura gravior urget tanti præsidii necessitas, passim negligi, vel certe non ea, qua par est, religione ac fide a plerisque adhiberi dolendum est. Optimi itaque consilii fuisse non ambigimus aquæ istius salutaris, quæ inter sacramentalia preclarissimum tenet locum, sanctitatem, virtutem, munera fidelibus obvertere ; ut horum consideratione excitati, ad crebriorem ac religiosiorem ejus usum alliciantur. Quod sane cum fieri magnopere cupiamus, adjecto etiam indulgentiarum lucro, usum eumdem promovere ac fovere curabimus. Interim vero gratulamur; Tibi, quod ipsum, congesta sacra eruditione, demonstrataque argumentis et factis ejus utililate, fidelibus suadere studueris ; et uberrimi fructus, quem lucubrationi tuæ ominamur, auspicem, nostræque benevolentiæ pignus indubium, Apostolicam Tibi Benedictionem peramanter impertimus.

Datum Rome, apud S. Petrum, die 14 martii 1866. Pontificatus nostri anno XX.
Pius PP. IX.


LETTRE DU SAINT-PÈRE

« Cher fils, Salut et Bénédiction apostolique.
« Opportun dans tous les temps, votre ouvrage sur l'Eau Bénite l'est surtout à l'époque actuelle, où l'impiété exerçant impunément ses ravages, les rênes semblent lâchées plus que jamais aux puissances de l'enfer. En effet, bien que la vénérable antiquité de l'Eau Bénite et la coutume de l'Église de l'employer dans presque toutes les bénédictions, et la vertu dont elle jouit de chasser les esprits immondes et de rendre vaines toutes les méchancetés et toutes les ruses de la perfidie satanique, d'éloigner tout ce qui peut compromettre l'incolumité ou le repos des hommes, de purifier l'âme des fautes légères et de procurer la santé spirituelle et corporelle, doivent en recommander de la manière la plus pressante l'usage aux chrétiens ; toutefois, il est déplorable qu'au moment où la nécessité d'un si puissant secours est plus pressante, l'usage en soit presque partout négligé, ou du moins ne soit pratiqué par la plupart, ni avec la religion ni avec la foi qui conviennent. « Elle a donc été excellente, Nous n'hésitons pas à le dire, la pensée de rappeler aux fidèles la sainteté, la vertu et les avantages de cette eau salutaire, qui tient un rang si éminent parmi les Sacramentaux, afin que les ayant présents à l'esprit, ils soient excités à en faire un usage plus fréquent et plus religieux. Comme Nous désirons ardemment qu'il en soit ainsi, Nous aurons soin d'encourager et de favoriser cet usage, même en y attachant le bénéfice des Indulgences.
« En attendant, Nous vous félicitons d'avoir consacré vos études à le persuader aux fidèles, en appelant à votre aide pour leur en démontrer l'utilité, l'érudition sacrée, les raisonnements et les faits ; et comme espérance des fruits abondants que Nous souhaitons à votre ouvrage, et comme gage authentique de Notre Bienveillance, Nous vous donnons dans l'effusion de notre coeur la Bénédiction apostolique.
« Donné à Rome, chez Saint-Pierre, le 14 mars 1866. »
« De notre pontificat la vingtième année. »
« Pius PP. IX. »

BREF
PIUS PAPA IX.

AD PERPETUAM REI MEMORIAM. Vetustiores inter sacros ritus, quos vel a suis exordiis Ecclesia Christi sive in conficiendis sacramentis a.D. N. J. C. institutis, sive in sanctificandis iis rebus, quæ fidelium usui inservirent, adhibuit, aquæ et salis consecratia seu benedictio est recensenda. In benedicenda enim aqua cum sale suis precibus, suisque invocationibus id intendit Ecclesia, ut Deus cœlestem iis virtutem infundat ad fugandos dæmones morbosque pellendos, ac proinde Christianus Populos ex usu aquæ benedictæ salutares effectus consequatur. Nos igitur qui ad augendam fidelium Religionem et æternam animarum salutem procurandam paternæ charitatis flamma accendimur, ad frequentioremaquæ benedictæ usum inter fideles excitandum coelestes Ecclesiæ thesauros, quorum Nos dispensatores esse voluit Altissimus, reserandos censuimus. Quare de Omnipotentis Dei misericordia, ac BB. Petri et Pauli Apostolorum ejus auctoritate confisi, omnibus et singulis utriusque sexûs Christi fidelibus, saltem corde contritis, qui in Crucis formam, adjecta sanctissimæ Trinitatis invocatione, cum aqua benedicta se signaverint, qua vice id egerint, centum dies de injunctis eis, seu alias quomodolibet debitis pœnitentiis, in forma Ecclesiæ consueta relaxamus; quas Indulgentias etiam animabus Christi fidelium, quæ Deo in charitate conjunctæ ab hac Luce migraverint, per modum suffragii applicari posse indulgemus. Volumus autem ut præsentium Litterarum transumptis, seu exemplis, etiam impressis, manu alicujus Notarii publici subscriptis, et sigillo Persona in ecclesiastica Dignitate constitutæ munitis eadem prorsus fides adhibeatur, quæ adhiberetur ipsis Praesentibus, si forent exhibite vel ostense; utque exemplar earumdem, quod nisi fiat Prœsentes nullas esse declaramus, ad secretariam Congregationis Indulgentiis, sacrisque Reliquiis preposita deferatur, juxta Decretum ab eadem sub die XIX junuarii MDCCLVI, latum et a S. M. Benedicto PP. XIV, Prædecessore nostro, die XXVIII dicti mensis et anni adprobatum.

Datum Romæ, apud S. Petrum, sub annulo Piscatoris die XXIII martii MDCCCLXVI.
Pontificatus nostri anno vigesimo.
N. CARDINALIS PARACCIANI CLABELLI
Locus sigilli.


TRADUCTION DU BREF POUR MÉMOIRE ÉTERNELLE

Parmi les plus anciens rites sacrés que, dès son origine, l'Église de Jésus-Christ a employés soit pour administrer les sacrements institués par Notre-Seigneur Jésus-Christ, soit pour sanctifier les choses destinées à l'usage des fidèles, il faut placer la consécration ou bénédiction de l'eau et du sel. En effet, en bénissant l'eau et le sel par ses prières et par ses invocations, l'Église a l'intention que Dieu répande en eux une vertu céleste pour chasser les démons et éloigner les maladies, et par conséquent pour que le peuple chrétien obtienne par l'usage de l'eau bénite des effets salutaires.
« Nous donc qui, dans notre charité paternelle, brûlons du désir d'augmenter la religion des fidèles et de procurer le salut éternel des âmes, afin de rendre plus fréquent parmi les chrétiens l'usage de l'Eau Bénite, Nous avons jugé convenable d'ouvrir les célestes trésors de l'Église, dont le Très-Haut nous a établi le Dispensateur.
« C'est pourquoi, confiant en la miséricorde du Dieu ToutPuissant et en l'autorité de ses bienheureux apôtres Pierre et Paul, Nous accordons, dans la forme accoutumée de l'Église, à tous et à chacun des fidèles de l'un et de l'autre sexe, au moins contrits de coeur, chaque fois qu'ils feront sur eux le signe de la croix avec de l'eau bénite et en invoquant la très-sainte Trinité, cent jours d'indulgences pour les pénitences qui leur auraient été imposées ou dont ils seraient redevables à un autre titre quelconque. Nous accordons de plus que ces indulgences puissent être appliquées par manière de suffrage, aux âmes des fidèles chrétiens qui ont quitté ce monde dans la grace de Dieu.
Enfin, Nous voulons qu'aux copies manuscrites ou exemplaires imprimés des présentes Lettres, signées par un notaire public et munies du sceau d'une personne ecclésiastique constituée en dignité, on accorde absolument la même foi qu'on accorderait à ces Présentes elles-mêmes, si elles étaient exhibées ou montrées; et aussi qu'un exemplaire de ces mêmes Lettres soit porté à la Secrétairerie de la Sacrée Congrégation des Indulgences et des Saintes Reliques, sous peine de nullité, conformément au décret de la même Sacrée Congrégation, en date du 19 janvier 1756, et approuvé par notre Prédécesseur de sainte mémoire, le Pape Benoît XIV, le 28 du même mois et de la même année.
« Donné à Rome, chez Saint-Pierre, sous l'anneau du Pêcheur, le 23 mars 1866. »
« De notre pontificat la vingtième année. « N. CARDINAL PARACCIANI CLARELLI.»
Locus sigilli.
Pour copie conforme, J. GAUME,
Protonotaire apostolique, vicaire général d'Aquila.
Paris, 25 avril 1866.


PREMIÈRE LETTRE

Paris, 25 septembre 1865.

ÉTUDIER LA SCIENCE DIVINE : NOBLE ET UTILE PENSÉE. - AFFAIBLISSEMENT DE LA SCIENCE MODERNE. - POURQUOI ÉTUDIER L'EAU BÉNITE. - RÉPONSE À TROIS SORTES DE GENS. - PREMIÈRE RAISON D'ÉTUDIER L'EAU BÉNITE : S'INSTRUIRE. - L'EAU BÉNITE N'EST PAS CONNUE. - NOBLE SUJET D'ÉTUDE. - UTILITÉ ACTUELLE DE LA CONNAÎTRE. - SECONDE RAISON : L'OBLIGATION DE DÉFENDRE LA RELIGION POUR SOI ET POUR LES AUTRES. - OBLIGATION IMPOSÉE À TOUS. - HISTOIRE DE NÉHÉMIAS.


MON CHER FRÉDÉRIC,Je te remercie de la demande que tu m'adresses. Si elle me fait plaisir, elle te fait honneur. Il est beau, très beau de voir un jeune homme qui, tout en étudiant avec succès les sciences humaines, aspire vivement à connaître la science divine. Soit dit sans vouloir te flatter, c'est le signe d'une intelligence d'élite.
D'où vient qu'aujourd'hui il y a si peu de vrais savants ? De ce que les études, matérialisées comme la société elle-même, se concentrent presque toujours dans le monde des faits. Le monde des causes devient, pour elles, l'Amérique avant Colomb. On sépare ce que Dieu a intimement uni : l'ordre naturel et l'ordre surnaturel. Or, le savant matérialiste est un astronome sans télescope ; la science moderne, une femme divorcée : sa position est fausse.
Au lieu d'habiter, comme autrefois, les étages supérieurs du palais, elle descend dans la cave. Au lieu d'être aigle, elle devient taupe. Au lieu de travailler à ciel ouvert, elle se blottit sous un couvercle de plomb, qui lui ôte tout rayon de vraie lumière. Et là, que fait-elle ? Ce que fait l'araignée dans son trou. Elle file des systèmes, fragiles comme le verre ; fabrique des négations ; débite des absurdités et trop souvent profère des blasphèmes.
Mais pourquoi me demander une étude sur l'eau bénite? Afin d'exercer ton intelligence et occuper mes loisirs, ne pouvais-tu choisir, aujourd'hui surtout, un sujet en apparence plus relevé et plus nécessaire ? J'entends d'ici trois catégories de personnes qui nous adressent la même question. Je dis nous, car je vais être de moitié, ou même des trois quarts, dans le travail demandé. Ces trois catégories sont : les grands politiques, les grands philosophes, les grands guérisseurs de la société; les lettrés du journalisme, nation hostile ou indifférente à tous les cultes, excepté celui de la vaine gloire, de l'or et du plaisir; enfin, les catholiques vrais.
Puisque vous voulez écrire, pourquoi ne pas attaquer quelque question palpitante d'actualité et d'une utilité pratique? En manque-t-il aujourd'hui? Avec votre traité de l'eau bénite, quel service prétendez-vous rendre à l'ordre social en péril? Voilà ce que les premiers vont dire de toi et de moi. S'ils étaient moins polis, ils ne manqueraient pas de nous appliquer les vers de Boileau :

« Oh! le plaisant projet d'un poète ignorant, Qui de tant de héros va choisir Childebrand. »
Voici notre réponse. Il est vrai, dans un monde où tout est remis en question, il y a beaucoup de graves sujets à traiter. Mais il est vrai aussi que tous ne sont pas de force à l'entreprendre à petit mercier, petit panier. Je le sais, en traitant de l'eau bénite, nous laissons de côté les grands problèmes qui agitent le monde. Nous n'empêcherons pas la révolution de faire la guerre au Pape. Nous ne convertirons ni Mazzini, ni Garibaldi, ni leurs acolytes de l'ancien et du nouveau continent, libres penseurs, solidaires, spirites ; nous n'éteindrons dans leurs coeurs ni la haine du catholicisme ni la soif des places et de l'argent.
Nous n'empêcherons nulle part aucune tyrannie ; ni la profanation des cimetières et la pratique forcée de l'athéisme, comme en Belgique ; ni la fermeture des séminaires, ni le saccage des couvents, ni la spoliation de l'Église, comme en Italie ; ni la reconnaissance officielle des faits, ou mieux des méfaits accomplis, comme en Espagne; ni l'égorgement de tout un peuple, comme en Pologne ; ni les envahissements de la Russie, comme en Orient. Nous ne guérirons pas la fièvre de l'unité césarienne, qui travaille ton pays. En France, nous n'arrêterons ni la multiplication des théâtres et des cabarets, ni les progrès d'un luxe dévorant; surtout nous n'empêcherons pas les journaux de mentir.
Nous ne ferons rien de tout cela. Mais, quel qu'eût été le sujet de notre étude, l'aurions-nous fait? Vous qui êtes plus puissants que nous, vous l'avez tenté : avez-vous réussi? Vos beaux discours, vos savants écrits, vos protestations, vos démonstrations, vos superbes articles ont-ils retardé, même d'une heure, la marche de la révolution? Ce n'est pas avec des arguments que se conjurent les fléaux de Dieu, c'est par la prière et par la pénitence. Quant à l'utilité de notre petit travail, vous la connaîtrez bientôt ; et, si vous êtes catholiques, vous saurez, nous l'espérons, l'apprécier.
Pour les seconds, c'est-à-dire les lettrés de ton pays, du mien et de tous les pays, hommes de lumières modernes et de progrès matériel, nous devons en prendre notre parti, ils vont hausser les épaules : la plupart de tes camarades les imiteront. Que veux-tu ? ils nous mesurent à leur aune. Ah ! si nous enseignions l'art de dresser des chevaux ou d'instruire des chiens; si nous parlions tant soit peu correctement industrie, machines, tissus, bétail ou guano, ce serait autre chose. L'attention de ce monde-là nous serait acquise. Leurs journaux feraient l'éloge de notre œuvre ; on nous classerait parmi les hommes utiles, qui sait? peut-être quelque médaille d'encouragement viendrait témoigner de la haute estime dont nous jouissons.
Ainsi leur chute a fait les hommes. Telle est la réflexion d'un illustre évêque écrivant, il y a trois siècles, sur le sujet qui va nous occuper. « On loue, dit-il, on admire ceux qui consacrent leurs veilles à nous instruire sur la chevelure et sur la calvitie, sur le raifort, sur l'ortie, sur les abeilles et autres choses du même genre. Vois, je te prie, candide lecteur, ce que tu dois penser du livre que je mets entre tes mains. Là, des sujets profanes ; ici un sujet sacré. Là, un vain plaisir, tout au plus une mince utilité pour le corps ; ici, non-seulement plaisir par la variété des choses, mais encore utilité pour l'âme.(1)»

(1)M. Antonii Columnæ, bononiensis jurisconsulte, archiepiscopi salernitani, Hydragiologia, sive De Aqua benedicta. In-4°Roma, 1586. Epist. ad Lector. Ouvrage précieux que nous aurons souvent occasion de citer.

Restent les catholiques. Eux aussi nous demandent quel fruit nous attendons de notre modeste étude. Nous leur disons : Le plus sot métier est de parler à des sourds volontaires. Faisant,la part au feu, nous laissons à leur sort ceux qui veulent, bon gré, mal gré, poursuivre jusqu'au bout le chemin de l'erreur et tomber dans l'abîme qui les attend, qui ad gladium, ad gladium ; et qui ad mortem, ad mortem. Mais il en est d'autres qui ne veulent pas périr.
Ceux-là, c'est vous, catholiques suivant l'Évangile. C'est à vous que nous avons la prétention de rendre quelque service.
Nous voulons glorifier l'Église votre mère dans une de ses institutions les plus vénérables. Le précieux patrimoine de foi et de pratiques chrétiennes que nous avons reçu de nos aïeux, nous voulons vous le conserver. Entre vos mains nous voulons remettre et vous apprendre à manier l'arme puissante qui leur a, dans des millions de circonstances, assuré de glorieuses victoires. Or, une victoire, si petite qu'elle soit, remportée sur le mal, par n'importe qui, petite fille ou vieille femme, impératrice ou bergère, paysan ou philosophe, est pour la société un bienfait de premier ordre. Vingt victoires, vingt bienfaits; cent victoires, cent bienfaits. Eh bien, nous prétendons en faire remporter chaque jour des milliers.
Telle est, mon cher ami, ta pensée et la mienne. Si on a quelque reproche à nous faire, ce n'est pas, du moins, d'avoir manqué de franchise, ou de n'avoir point connu le terrain sur lequel nous marchons. Sans doute, notre correspondance aurait pu rouler sur un autre sujet religieux; mais, enfin, tu as choisi l'eau bénite. A chacun son goût, et je ne puis blâmer le tien. Le désir de t'instruire et l'obligation de te défendre justifient pleinement ta préférence.

1° Le désir de t'instruire. Rien de plus commun que l'eau bénite. On la trouve, sinon dans toutes les maisons, du moins à l'entrée de toutes les églises. Pas un chrétien qui n'en ait fait usage dès l'enfance. Toutefois, tu verras bientôt que rien n'est moins connu et n'est plus digne de l'être beaucoup. Connaître l'eau bénite, n'est pas savoir qu'elle existe. Connaître l'eau bénite, c'est connaître sa nature, ses raisons d'être, ses différentes espèces, ses éléments, son origine, son usage, ses effets. En d'autres termes, c'est savoir son histoire naturelle, dogmatique, morale et liturgique, un peu mieux que le bachelier d'aujourd'hui ne sait, après dix ans d'études, le grec et le latin. Or, voilà ce qu'on ne sait pas. Sur près de deux millions d'habitants, combien crois-tu que Paris renferme d'hommes ou de femmes, de législateurs, de magistrats ou d'académiciens, qui connaissent le premier mot de toutes ces choses? Par la capitale de la civilisation, tu peux moralement juger des provinces et du reste de l'Europe.

Cependant l'eau bénite, comme tout ce qui est de la religion, est un noble sujet d'études pour une noble intelligence. « C'est, dit le grand évêque cité plus haut, une chose sacrosainte, rem sacrosanctam; pleine de mystères, mysteriis refertam; digne de la plus profonde vénération , veneratione dignissimam (1).»

(1) M. Antonii Columnæ Hydragiologia. Ubi supra.

Comme tu vois, étudier l'eau bénite n'est pas déroger : il y a mieux, c'est s'ennoblir. En voici la preuve.
Les connaissances que tu vas acquérir contribueront à faire de toi ce que tu dois être, sous peine d e n'être rien : un homme de ton temps et de ton pays. Qu'est-ce aujourd'hui qu'un homme de son temps et de son pays? C'est un homme, jeune ou vieux, français, italien, espagnol ou allemand, qui professe hautement et qui pratique carrément la religion du respect. Respect de Dieu, respect de l'homme, respect de soi-même et des créatures : tel est le symbole de cette religion descendue du ciel. Ce qu'est le fondement à l'édifice, la religion du respect l'est à la société, à la famille , à l'humanité. Qu'elle soit ébranlée, et, comme le monde païen, le monde actuel périt, écrasé sous les ruines de sa prétendue civilisation.
Or , la religion du respect est aujourd'hui battue en brèche par une autre religion qui s'intitule la religion du mépris. Mépris de Dieu, mépris de l'homme, mépris de soi-même et des créatures : tel est le symbole de cette religion, fondée par le premier des contempteurs, Satan. La lutte de ces deux religions est toute la lutte du présent: l'avenir est l'enjeu du combat.
Pour être des hommes de votre siècle et de votre pays, voilà ce que toi et tes camarades devez comprendre. Vous devez le comprendre assez bien pour haïr d'une haine parfaite, perfecto odio, la religion du mépris, et pour estimer, dans toutes ses doctrines, comme dans toutes ses pratiques, la religion du respect, au point de répéter consciencieusement, avec une des plus lumineuses intelligences de la terre, sainte Thérèse : « Je donnerais ma vie pour la moindre cérémonie de l'Église (1). »

2° L'obligation de te défendre. Elle n'est pas pour toi seul cette obligation, mon cher ami. Le temps où nous vivons, est-il une ère de paix pour le catholicisme? Personne, aujourd'hui, n'attaque-t-il l'Église dans son chef, dans ses droits, dans son autorité, dans ses institutions, dans ses ministres? Aucun Judas ne cherche-t-il à nous ravir le trésor de la foi, le patrimoine de nos vénérables traditions? Soit ignorance, mépris ou lâcheté, un trop grand nombre de chrétiens ne laissent-ils pas tomber en désuétude nos pratiques les plus saintes?
La vérité est que la guerre pourrait à peine être plus acharnée ou plus universelle. Cela veut dire que le commandement de saint Pierre regarde spécialement les chrétiens d'aujourd'hui. « Soyez toujours en état de donner satisfaction, à quiconque vous demande raison de votre espérance (2). »


(1) Voir sa Vie écrite par elle-même, ch. XXXIII.
(2) 1 Petr., III, 15.

La vérité est encore que les preuves générales ne suffisent plus au grand nombre. Pour chacun de nos dogmes ou de nos usages, les esprits raisonneurs de notre époque demandent des autorités spéciales. Tu connais la plaisanterie qui a cours en France sur le vin de Tokay, si célèbre dans ton Allemagne. Ce vin n'est servi que sur la table de l'empereur. Aussi chaque pied de vigne est, diton, gardé nuit et jour par un grenadier. La plaisanterie doit devenir chose sérieuse. Désormais, à côté de chaque vérité, de chaque pratique de l'Église, il faut qu'un apologiste, armé de toutes pièces, se tienne en faction. Tu le comprends, et tu veux être armé pour la défense de l'eau bénite, comme tu l'es pour la défense du signe de la croix.
En la défendant par la parole et par l'action, tu contribueras puissamment à la restauration de cette institution trois fois vénérable. Ton exemple fortifiera tes frères dans la foi. Ainsi, tu rempliras une partie essentielle de la mission réservée de nos jours au jeune homme de son temps et de son pays. Laisse-moi te le dire : en face des ruines amoncelées sur le sol des nations chrétiennes, chaque chrétien doit être Néhémias. Tu te souviens de ce grand homme. Revenu de l'exil, il se mit à parcourir la terre de ses aïeux. « Et je voyais, dit-il, les murs de Jérusalem renversés et ses portes consumées par le feu : Jérusalem elle-même était déserté. (1)»
Ses yeux versent d'abondantes larmes. Mais son grand coeur forme le hardi projet de reconstruire la cité sainte et de faire cesser la honte d'Israël. Il s'adresse à ses frères; son appel est entendu : l'ouvrage commence. Cependant les peuplades infidèles, établies dans la terre de Juda, accablent de leurs railleries les intrépides travailleurs. Des railleries elles passent aux attaques ouvertes. Rien ne décourage Néhémias ni les siens. D'une main, on manie les instruments de travail ; de l'autre, le glaive. Dieu bénit, et l'ouvrage s'achève. N'est-ce pas là trait pour trait la mission, non seulement du prêtre, mais des catholiques d'aujourd'hui ?
Or, parmi les pratiques à restaurer, j'espère te convaincre que celle de l'eau bénite ne tient pas le dernier rang.
Tout à toi.

(1) Nehem., XI, 15.


DEUXIÈME LETTRE

Ce 26 septembre.

EXPLICATION DU TITRE DONNÉ À NOTRE CORRESPONDANCE. - POURQUOI DIRE L'EAU BÉNITE AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE, ET NON PAS SEULEMENT L'EAU BÉNITE. - CE QUE N'EST PAS L'EAU BÉNITE AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE. - AMOUR DES EAUX DE TOUTE NATURE. - INDIFFÉRENCE POUR LA PLUS PRÉCIEUSE. - CE QU'ELLE DOIT ÊTRE. - OBJET DE GRANDE ESTIME ET D'UN FRÉQUENT USAGE. - EXEMPLE DE L’ÉGLISE. - BESOINS PARTICULIERS DU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE. - L'ESPRIT MODERNE. - LE SPIRITISME.

MON CHER AMI, Aujourd'hui même je voulais commencer à te montrer l'excellence de l'eau bénite ; mais la question dont tu me parles m'arrête tout court. On t'a demandé pourquoi nous disons : l'Eau bénite au XIXe siècle, et non pas simplement l'Eau bénite. Je vais répondre.
Nous disons l'eau bénite au XIXe siècle, pour exprimer ce qu'elle n'est pas au XIXe siècle, et ce qu'elle doit être. Ce qu'elle n'est pas. Notre siècle semble avoir la fièvre des eaux. Tu peux voir dans un pareil symptôme, une nouvelle similitude avec les Romains aux jours de leur décadence. Les neuf cents établissements de bains renfermés dans leur capitale ne suffisaient plus à leur mollesse. Au retour du printemps, les rivages célèbres des mers d'Italie se peuplaient de ces sybarites, vainqueurs du monde par les armes, et vaincus à leur tour par la volupté. Pompeï, Herculanum, Stabia, Pouzzoles, et surtout Baïa, la voluptueuse Baïa, voyaient arriver des multitudes de Romains et de Romaines, parmi lesquels, dit Sénèque, on comptait la moitié moins de malades que de gens bien portants.
Depuis trente ou quarante ans, quel spectacle avons-nous sous les yeux ? Chaque année, ce qu'on appelle le beau monde, et que j'ai le mauvais goût de ne pas trouver tel, s'empresse, lorsque la saison est venue, de quitter les villes et leurs plaisirs, et s'en va passer aux eaux une partie de l'été. Eaux de mer, eaux de Vichy, de Barèges, de Néris, de Bourbonne, de Plombières, d'Ems, de Bade; eaux purgatives, sulfureuses, ferrugineuses : il les connaît toutes. Il les estime toutes : à toutes il court et il recourt. Seule, la plus salutaire, l'eau bénite n'est ni connue, ni recherchée, ni employée.
Aux eaux naturelles on ajoute les eaux artificielles. Pour n'en citer que quelques-unes : qui ne connaît l'eau de Cologne, l'eau de Mélisse, l'eau de Botot; et l'immense consommation qui s'en fait ? On les vend partout; donc on en fait usage partout. Afin de les contenir, l'art s'ingénie à fabriquer des vases plus riches et plus gracieux les uns que les autres. Ils figurent avec honneur sur les étagères des salons, sur les meubles coquets des boudoirs. Eh bien ! tu peux parier que dans nos villes, soi-disant catholiques, sur cent familles, à peine s'en trouve-t-il trois ou quatre qui possèdent une goutte d'eau bénite. Et encore, cette goutte, cachée au fond de quelque armoire isolée, dans je ne sais quelle fiole plus ou moins poudreuse, ne révèle sa présence que pour des cas exceptionnels.
Tu peux parier encore que sur mille individus, habillés de drap, plus de neuf cent quatre-vingts méprisent l'eau bénite et ne la connaissent qu'aux enterrements, lorsque, obligés de recevoir le goupillon, ils viennent la jeter machinalement sur le cercueil de leurs morts. Quant aux autres, la plupart ou négligent l'usage de l'eau bénite, ou ils la prennent sans respect, sans dévotion, sans confiance, sans songer à ce qu'ils font : voilà ce qu'est, en général, l'eau bénite au XIXe siècle.
Reste à dire ce qu'elle doit être. Pour le savoir, il suffit d'interroger la plus grande autorité qui soit sous le ciel, l'Église catholique. Continuation du Rédempteur, elle existe uniquement pour détruire le règne du démon, ut dissolvat opera diaboli. Combattre le prince des ténèbres non seulement dans ses mensonges dogmatiques, mais encore dans son action malfaisante sur l'homme, sur ses biens et sur toutes les créatures : telle est sa mission. L'histoire dit avec quel succès elle s'en est acquittée. Partout où elle gagne du terrain, Satan recule. Partout où elle s'établit, le règne de Satan disparaît. Les individus, les familles, les nations, viennent-ils à éconduire leur libératrice ? aussitôt ils retombent sous l'empire de l'antique usurpateur.
Or, pour chasser le démon des lieux, des choses et des personnes qu'il tyrannise, quelles sont les armes les plus anciennes, les plus universelles, les plus usuelles, les meilleures, enfin, que l'Église emploie? Toute sa conduite répond :
Depuis dix-huit siècles, on voit ces armes de précision aux mains de tous les apôtres, de tous les missionnaires, de tous les exorcistes. Sous tous les climats, chez tous les peuples, à ses nouveaux enfants, comme à ses fils aînés, l'Église apporte ses deux armes, avec recommandation d'en faire, à son exemple, le plus constant usage.
De quel droit le catholique d'Europe, le catholique du XIXe siècle, mépriserait-il la pratique séculaire de ses aïeux et les pressantes exhortations de sa Mère? A-t-il trouvé de meilleures armes pour combattre son implacable ennemi ? La vie de l'humanité a-t-elle cessé d'être une lutte ? Les tentations qui attaquent à la fois tous les sens du corps et toutes les facultés de l'âme, sont-elles moins séduisantes ou moins nombreuses ? Satan a-t-il changé ? a-t-il vieilli ? Le nier n'est pas le détruire. Cette négation même est une preuve de son empire. Le siècle qui se la permet ou qui l'entend avec indifférence, a plus besoin qu'un autre de se défier du démon et de s'armer contre lui.
Qu'est-ce, d'ailleurs, que l'esprit moderne ? Cet esprit, devenu l'admiration de notre siècle; l'oracle par lequel il jure; le principe acclamé du progrès, de la liberté, des lumières ; en un mot, de cette civilisation qui, dit-on, nous distingue si glorieusement des siècles passés ? quel est-il ?
Ce bloc enfariné ne me dit rien qui vaille.
D'abord, sa qualification me le rend suspect : j'aime ce qui est vieux. L'esprit moderne me ressemble fort au dieu moderne, deus recens, qui ne manquait jamais de s'introniser en Judée, lorsque les Juifs devenaient infidèles à Jéhova. Une autre raison de m'en défier, c'est le caractère de ceux qui le glorifient. Pas un ennemi de l'Église, pas un révolutionnaire, pas un homme animal, animalis homo, qui n'adore l'esprit moderne.
Enfin, comme à l'œuvre on connaît l'ouvrier, ma conviction achève de se former, lorsque je vois les oeuvres de l'esprit moderne. Qui pousse les nations à s'insurger contre L'Église leur mère ? Qui inspire sur une échelle jusqu'ici inconnue les crimes justement appelés sataniques; la haine de Dieu, la haine de Notre-Seigneur, la haine de la vérité, la haine de l'homme contre l'homme par des guerres fratricides, et de l'homme contre lui-même par le suicide? Qui fait descendre à vue d'oeil la société européenne des hauteurs de l'ordre surnaturel, pour la plonger dans le naturalisme; et, sous le nom de civilisation et de bien-être, l'étouffer dans le débordement de la vie sensuelle? Est-ce le SaintEsprit, ou l'esprit moderne ?
Que dire de cette autre manifestation de l'esprit moderne qui s'appelle le Spiritisme ? De l'aveu de ses partisans, le spiritisme est le culte des esprits. Et quels esprits ! L'enfant qui sait son catéchisme les connaît aussi bien que le philosophe le plus savant. D'ailleurs, eux-mêmes se révèlent par leurs doctrines et par leurs oeuvres. Leurs doctrines sont la négation radicale du Christianisme. Leurs œuvres sont un ensemble d'oracles et de prestiges, renouvelés mot pour mot de l'ancien paganisme. Or, le spiritisme s'étend comme la tache d'huile sur toutes les parties de l'ancien et du nouveau monde. Encore un peu, et il n'y aura pas en France un département qui ne compte des partisans du nouveau culte. De cela je suis certain.
C'est dans ces conditions et en présence de pareils dangers que le dix-neuvième siècle croit pouvoir jeter au rebut les armes défensives que la tradition de l'humanité chrétienne, fondée sur l'enseignement divin, lui a laissées pour vaincre ! Si, de sa part, c'est impiété, il ne reste qu'à prier, à gémir et à craindre. Si, au contraire, l'ignorance, comme j'aime à le croire, est la cause principale de l'imprudence que nous déplorons, les lettres suivantes pourront contribuer à la dissiper. Dans tous les cas, tu y trouveras la justification de ta fidélité à nos pratiques héréditaires et en particulier à l'usage de l'eau bénite.
Si imparfaite qu'elle soit, notre correspondance te montrera que cette eau, placée à la porte de nos églises, sous la main de chacun, et traitée par la plupart avec tant de familiarité, pour ne rien dire de plus, est, suivant l'expression du grand évêque cité plus haut, une chose très sainte, pleine de mystères, digne de la plus profonde vénération, remontant par son origine jusqu'aux temps dés apôtres, et sous la main des hommes de Dieu, opérant de siècle en siècle les plus éclatants miracles (1).

Tout à toi.

(1) Sanctam enim aquam ut cuique pro templorum foribus obviam, sic nimia familiaritate, ne pejus dixerim, in vulgus temere habitam, sacrosanctam rem esse ostendit, mysteriis refertam, veneratione dignissimam, origine ad apostolorum usque tempora referenda. Miracula vero quæ in ea per omne christianorum oevum divinitus viri sancti operatifuerunt, recenset. Hydragiol. , Epist. ad Lect.


TROISIÈME LETTRE

Ce 27 septembre.

L'EAU BÉNITE EST UN DES SACRAMENTAUX. - CE QUE SONT LES SACRAMENTAUX. - IGNORANCE DU MONDE ACTUEL. - DÉFINITION DES SACRAMENTAUX. - ORIGINE HISTORIQUE. - ORIGINE DE LA VERTU QU'ILS POSSÈDENT. - UTILITÉ DES SACRAMENTAUX. - LEURS EFFETS. - POSSIBILITÉ DE CES EFFETS. LES INFINIMENT PETITS PRODUISANT DE GRANDS EFFETS EXEMPLES.

MON CHER AMI, L'eau bénite est un des sacramentaux : telle est sa grande prérogative. Seule elle suffit pour révéler à tout esprit
L éclairé, l'excellence de cette eau trois fois vénérable.
Mais que sont les sacramentaux ? Je sens que, dès l'abord, nous entrons dans l'inconnu.
Si tu demandais à tes savants camarades et à tous les lettrés, qui regardent nécessairement comme puéril, le grand et beau sujet dont nous nous occupons, ce que c'est que le mastodonte, l'iodure de potassium, le bois de campêche, la gutta-percha, n'importe quelle curiosité littéraire ou scientifique, tous se feraient gloire de savoir te répondre. Mais leur demander des nouvelles des sacramentaux, quelle est leur origine, leur utilité, leur efficacité, leur nombre : c'est parler grec ou sanscrit. Essayons de parler français.
1. Qu'entend-on par les sacramentaux ? - On entend des actes extérieurs de religion, consacrés par l'Église et qui ont la vertu de produire des effets surnaturels. Ils sont appelés sacramentaux, ou voisins des sacrements, soit parce que les uns sont employés dans l'administration des sacrements, soit parce que tous participent en quelque manière à la vertu des sacrements, en nous faisant une application spéciale des mérites infinis du Rédempteur (1).

(1) Sacramentalia sunt actus externi religionis ad colendum Deum accommodati. (S. Alph., Theol. moral., lib. VI, tract. 1, n. 90.) - Sacramentalia autem sic appellantur vel ex eo quod soleant adhiberi ad sacramenta conficienda, vel ex eo quod aliquando sequantur et imitentur virtutem sacramentorum. (Ferraris, Biblioth. etc. Verb. Peccatum, n. 53.)

Cette définition pourrait être plus développée; mais je veux être court, et je passe.

2. Quelle est l'origine des sacramentaux ? - S'il s'agit de l'origine historique, les sacramentaux remontent aux temps apostoliques et même au delà. Tu le verras bientôt, lorsque le moment sera venu de les nommer. Quant à l'origine de la vertu qu'ils possèdent, il faut la chercher dans l'Église. Je viens de le dire, en appelant les sacramentaux des actes consacrés par l'Église elle-même. La preuve en est qu'ils n'ont pas été établis immédiatement par Notre-Seigneur. En effet, sur l'institution immédiatement divine des sacramentaux, l'Écriture et la tradition catholique sont muettes. Leur efficacité n'en est pas moins réelle, attendu que l'Église a reçu plein pouvoir de la leur communiquer. C'est un point de doctrine que nous établirons demain, au plus tard (1).

3. Quelle est l'utilité des sacramentaux ? - L'utilité des sacramentaux réside dans les effets qu'ils produisent. On en compte cinq : 1° la rémission du péché véniel ; 2° la rémission des peines temporelles dues au péché ; 3° l'expulsion des démons ; 4° la guérison des maladies ; 5° l'éloignement des fléaux qui menacent notre vie ou nos biens, et la liberté sous l'empire du Saint-Esprit (2). Tu sauras cependant que chacun des sacramentaux ne produit pas ces cinq effets, mais seulement ceux que l'Église a déterminés en l'instituant. Le privilège de l'eau bénite est de les produire tous. Quelle puissance dans ces moyens, en apparence si petits !

(1) Sacramentalia non fuerunt instituta immediate a Christo ; id enim neque ex sacra Scriptura, neque ex traditione colligi potest ; ergo instituta sunt ab Ecclesia, cui certum est collatam fuisse a Christo hanc potestatem. (Quarti, De Benedict., tit. I, sect. IV, dubitat. 1.)
(2) Ex sacramentalibus provenire fidelibus quinque praesertim effectus : 1° remissio peccatorum venialium; 2° collatio gratiarum excitantium seu prævenientium ; 3° remissio pœnarum ; 4° expulsio vel compressio da monum. 5° operatio sanitatum et similium donorum temporalium, ut communiter tradunt doctores.
... Non quod singula sacramentalia omnes effectus prædictos operentur, sed aliquos ex illis, plures vel pauciores, secundum Ecclesiæ institutionem; quod ex formulis singularum benedictionum et ex ritibus ac precibus, quibus constant, colligendum est. (Quarti, De Benedict. in gen., sect. V, dubitat. II, p. 98.)

Elle est telle que je vois d'ici tous les manipulateurs de la matière, tous les maîtres en équation sourire de notre crédulité, en nous entendant attribuer à des infiniment petits, des effets extraordinaires et, à leurs yeux, sans proportion avec la cause qui les produit. Il y a dix-sept siècles qu'ils disaient la même chose, car leur race est ancienne. Tertullien leur répondait : «Vous n'êtes pas heureux dans vos objections. Vous vous heurtez aux deux attributs de Dieu les plus incontestables : la simplicité et la puissance. N'est-ce pas le signe caractéristique d'une grande puissance, de produire de grands effets avec de petits moyens ? Simplicité dans la cause et fécondité dans le résultat : cachet de l'oeuvre divine (1). »
Et puis, ils ne voient pas que la matière elle-même, dont ils se flattent de tenir tous les secrets, nous fournit en abondance des armes pour les battre. Son histoire peut s'appeler : l'histoire des petites causes produisant de grands effets.
Quoi de plus petit que la poudre à canon ? Et ce peu de poussière, tantôt met en déroute les plus gros bataillons, tantôt fait voler en éclats les remparts les plus solides.
Quoi de plus petit que la boussole ? Et ce petit morceau de fer aimanté produit toutes les merveilles de la navigation moderne, et relie entre eux tous les peuples de la terre.
Quoi de plus petit que ces morceaux de verre appelés télescopes ? Et avec ces fragiles instruments l'homme parcourt l'immensité des cieux, en compte les globes, mesure leur volume et décrit leur course.


(1) Nihil adeo est quod obduret mentes hominum quam simplicitas divinorum operum quæ in acte videntur, et magnificentia que in effectu repromittitur. Proh ! misera incredulitas quæ denegas Deo proprietates suas : simplicitatem et potestatem, etc. (Lib. de Baptism., c. I )

Que dirons-nous encore ? Quoi de plus petit que la vapeur ? Et ces quelques gouttes d'eau dilatées font mouvoir des masses énormes et les emportent au loin avec la rapidité de l'oiseau.
Quoi de plus petit que l'électricité ? Et cette étincelle impalpable efface toutes les distances et donne à l'homme une sorte d'ubiquité.
Quoi de plus petit qu'une mouche ? et dans une mouche quoi de plus petit que son dard ou sa trompe ? et dans ce dard quoi de plus petit que la gouttelette de venin qu'il distille ? Et cette gouttelette imperceptible tue en quelques heures l'homme le plus vigoureux. Et vous refusez à Dieu ce que vous reconnaissez à une mouche ! Si l'infiniment petit peut tuer, pourquoi l'infiniment petit ne pourrait-il pas guérir, et cela aussi bien dans l'ordre moral que dans l'ordre physique ?
Dans les cas d'épidémie, le mystère est encore plus grand. Comment des tomes impalpables, insaisissables, peuvent-ils en quelques semaines dépeupler des villages, décimer des villes, ravager des provinces entières ?
Pour passer à un autre ordre de phénomènes : quoi de plus faible que la parole ? un peu d'air extérieur mis en mouvement par celui qui sort de mes lèvres. Et dans cet air, devenu le véhicule de la pensée de l'homme, quelle puissance terrible ! Nous voici sur les champs de bataille de Marengo, d'Austerlitz ou de la Moskowa : Des masses innombrables d'hommes sont en présence, mais immobiles. Tout à coup, un peu d'air, sorti de la bouche de Napoléon, forme ce mot : En avant ! Au mouvement de cet air qui vient frapper leurs oreilles, ces milliers d'hommes fondent les uns sur les autres, la terre tremble, le sang coule à flots, des montagnes de morts couvrent le sol, un empire est perdu ou gagné. Et Dieu ne pourrait pas communiquer aux agents qu'il pénètre de sa parole, la vertu de produire des effets encore plus surprenants !
Aux yeux de la simple raison, la possibilité des effets attribués aux sacramentaux est donc inattaquable. La réalité ne l'est pas moins ; tu le verras dans ma première lettre.

Tout à toi.


QUATRIÈME LETTRE

Ce 29 septembre.

EFFICACITÉ DES SACRAMENTAUX. - TROIS PREUVES: L'ENSEIGNEMENT DES THÉOLOGIENS. - PAROLES DE QUARTI. - LA PRATIQUE DE L'ÉGLISE. - PRATIQUE PERMANENTE ET UNIVERSELLE, PAR CONSÉQUENT BIEN FONDÉE. - LES FAITS. - EXCELLENCE DE CETTE PREUVE. - ELLE SERA DONNÉE PLUS, TARD.

Quelle est l'efficacité des Sacramentaux ? J'aurais pu, cher ami, me dispenser de proposer cette question. Catholique, tu sais, et il te suffit de savoir, que les sacramentaux produisent bien réellement leurs magnifiques effets. Cependant, comme un peu de science théologique ne saurait nuire, même à un habitué du Collège de France , je vais, en quelques lignes, satisfaire ta légitime curiosité.
Trois preuves principales établissent l'efficacité des sacramentaux : l'enseignement des théologiens, la pratique de l'Église, les faits.
L'enseignement des théologiens. Si, depuis mille ans et au delà, tous les historiens du monde étaient d'accord sur un point d'histoire, comment trouverais-tu l'ignorant, vieux ou jeune, qui viendrait nier le fait admis, ne donnant d'autre preuve de sa négation que sa négation elle-même ? Tu le trouverais digne, non de mépris, car le mépris de l'homme pour l'homme n'est pas chrétien, mais de pitié. S'il cherchait à appuyer sa négation sur des objections improvisées, tu lui dirais : Les objections improvisées sont les feux follets de la discussion. Elles n'ont pas de consistance; un peu de réflexion les fait évanouir, comme un peu de chaleur fait fondre la neige. Frottez-vous les yeux et vous verrez.
S'il recourait au Je ne puis croire, fin de non-recevoir vieille comme Hérode et honorable comme lui, tu lui dirais : Vous ne pouvez pas croire ! cela ne prouve qu'une chose, c'est que vous ne pouvez pas. Au moral comme au physique, l'impuissance est une faiblesse, une infirmité. Loin d'être un argument pour vous, c'est un argument contre vous. Dans le cas dont il s'agit, elle prouve que vous manquez de la puissance de conception des grands génies de l'Orient et de l'Occident, qui tous ont compris, admis et enseigné l'efficacité des sacramentaux, qui la comprennent encore, qui l'admettent et qui l'enseignent.
Aurait-il retenu, de quelque lecture ou de quelque conversation, certaine difficulté renouvelée des Grecs ? Tu le prierais de te la dire, et tu ne serais pas embarrassé d'y répondre. S'il en était autrement, tu lui conseillerais d'ouvrir à la première page, le premier livre du premier historien qui a élucidé le fait, certain d'y trouver l'objection réduite à néant. Tant pis pour lui s'il était arrêté par ce qui n'a pas arrêté les plus puissants esprits.
L'aigle emporte la toile d'araignée, la mouche seule s'y laisse prendre. Traiter celui qui nie l'efficacité des sacramentaux, comme le négateur impertinent d'un fait historique admis par toute la science, c'est la voix du bon sens et la loi de l'équité. En effet, l'efficacité des sacramentaux est un point de l'enseignement catholique, sur lequel tous les théologiens sont d'accord. Si je t'écrivais un traité de théologie, je rapporterais les paroles d'un grand nombre d'illustres docteurs. Je cite au moins leurs noms : c'est à dessein. D'abord, dans le monde que tu habites, toi et bien d'autres, ces grands hommes sont moins connus que les plus minces philosophes grecs, Diogène, Anaxagoras, ou même que les oies du Capitole. En outre, si jamais, ce que j'espère, tu veux faire plus ample connaissance avec eux, tu sauras comment les demander (1).

(1) Voici la liste alphabétique d'un certain nombre de théologiens qui ont traité des sacramentaux : Azor, p. I, lib. IV, c. II, q. 4 ; Bellarmin, de Eccles. Triumph., lib. III, c. VII; de Sacrament., lib. II, c. XXXI; de Imaginib., lib. II, c. XXX; Bona, de Rebus liturgicis, passim; Collin, Traité du pain bénit et de l'eau bénite; Coninck, de Sacramentis, q. 71, art. III ; Delrio, Disquisitio magica, lib. VI, c. III; Droit canon, de Quotidianis, de Tunsione pectoris, de Sacra unctione; Durand, Rationale divin. officior. verb. Aqua bened., etc ; Duranti, de Ritibus Ecclesice, passim ; Ferraris, Bibliotheca, etc., verb. Sacrament. Peccat. Aqua Bened.; Fillucius, t. I, tract. VI, c. V, n. 129; Liguori (S. Alphonse de), Selva, t. I, p. 116, édit. in-18 ; Theolog. moral., lib. VI, tract. I, n. 90; Marsilius Columna, de Hydragiologia, sect. III, c. II ; Quarti, de Benedictionib., passim; Reifenstuel, Theolog. moral., tract. III, dist. 2, q. 3, n. 34 ad 39; Sporer, t. III, Theolog. sacrament., p. III, c. I, sect. IV, n. 45 ; Suarez. t. III, q. LXV, disput. 15; sect. I; Tobias, apud Quarti, de Benedict. p. IV, tit. XIX, p. 492, édit. in-fol. ; Thomas (S.); 3. p. q. 87, art. VIII; Thomas Valdensis, t. III, de Sacrament.; Tyræus, de Dæmoniacis, n. 615; Turrecremata. Tract. de Aqua benedict.; Valentia, t. IV, disput. VII, q. 4, punct. I ; Viguierius, Institut. theol., verb. Sacramental., etc., etc.

Toutefois, ne voulant pas être cru exclusivement sur parole, il me semble bon de laisser parler quelques-uns des maîtres de la science sacrée. Voici d'abord saint Augustin qui n'hésite pas à reconnaître au Pater la vertu d'effacer les péchés véniels. « Quant aux fautes de tous les jours, dit-il, légères et de courte durée, inévitables dans cette vie, l'Oraison dominicale les efface entièrement (1). »
Il ajoute ce gracieux conseil : Puisque nous péchons tous les jours, baptisons-nous tous les jours. Ce qu'il dit du Pater, il le dit de l'aumône (2).

(1) De quotidianis autem brevibus levibusque peccatis, sine quibus hæc vita non ducitur, quotidiana fidelium oratio satisfacit. Eorum est enim dicere : Pater noster qui es in ccelis, qu jam patri tali regenerati sunt ex aqua et Spiritu. Delet omnino hæc oratio minima et quotidiana peccata. Enchiridion, etc., c. LXXI, opp. T. VI, 382, etc.
(2) Ibid

De saint Augustin, je passe à saint Thomas, son illustre disciple ; mais, réflexion faite, je te réserve son témoignage lorsque nous parlerons de l'eau bénite.
Dès aujourd'hui tu peux le pressentir, en écoutant sa doctrine sur les exorcismes, qui rentrent aussi dans l'ordre des sacramentaux. « Saint Augustin, dit-il, s'exprime ainsi : On fait des insufflations et des exorcismes sur les enfants, afin de chasser le démon dont la puissance ennemie a trompé l'homme. Or, rien ne se fait en vain dans l'Église; donc ces insufflations et ces exorcismes opèrent ce qu'ils signifient (1). »
Il serait aisé de suivre, jusqu'à nos jours, la chaîne de l'enseignement traditionnel ; mais ce travail nous conduirait trop loin. Je termine par les paroles d'un des commentateurs les plus autorisés de la liturgie : elles résument toute la doctrine. « Il est certain, dit Quarti, que dans l'administration des sacrements, et sans toucher à leur substance, l'Église a reçu de son divin fondateur le pouvoir d'établir des cérémonies, des rites et des prières, selon qu'elle le jugerait convenable, soit au respect des sacrements, soit à l'utilité des fidèles : c'est la doctrine expresse du concile de Trente. Or, qu'elle ait attribué à ces cérémonies ou à ces sacramentaux, les effets que nous avons indiqués, la preuve en est dans les formules mêmes dont elle se sert pour les instituer. « De plus, dans ces formules, l'Église demande à son divin époux d'appliquer ces effet aux fidèles en vertu des sacramentaux. Il faut donc tenir pour certain que ces effets sont vraiment appliqués. La raison en est que les prières de l'Église sont efficaces devant Dieu ; et il serait impie de penser qu'en ce point l'Église est trompée, ou conduite par une vaine superstition. Tel est l'enseignement des docteurs (2).»

(1) Aug. dicit in Libro de Symnbolo, Parvuli exsulflantur et exorcisantur, ut pellatur ab eis diaboli potestas inimica, quæ decepit hominem. Nihil autem agitur frustra in Ecclesia. Ergo per hujusmodi exsufftationes hoc agitur ut potestas dæmonum expellatur. 3 p., q. 71, art. III.
(2) Ecclesiæ certum est collatam fuisse a Christo hanc potestatem, videlicet ut in dispensatione sacramentorum, salva eorum substantia, ea statueret quæ vel sacramentorum venerationi, vel utilitati fidelium magis expedire judicaret, sicuti expresse habetur ex concilio tridentino. De Benedict., titr. I, sect. I, dubit. 1. - Quod autem (Ecclesiæ) attribuerit (sacramentalibus) effectus explicatos, colligitur manifeste ex formulis, quibus eadem sacramentalia conficiuntur. Item in formulis prædictis Ecclesia precatur a Deo effectus prædictos suis fidelibus conferendos ex vi sacramentarum. Ergo asserendum est vere conferri, quia orationes Ecclesiæ sunt efficaces apud Deum ; et impium esset opinari in hac re ipsam Ecclesiam vel falli, vel vanitate duci. Ita doctores. Vid. S. Th., 3 p., q. 87, art. III. - Ibid., de Benedict., sect. V, dubit. 2.

La pratique de l'Église. Si l'enseignement des théologiens avait besoin d'une confirmation, il la trouverait dans l'usage que l'Église n'a cessé de faire des sacramentaux. Combien pourrais-tu nommer d'actes du culte public, dans lesquels l'Église ne fasse entrer quelques-uns des sacramentaux, le Pater, par exemple, et surtout l'eau bénite ? Ce que tu Lui vois faire aujourd'hui, elle le faisait il y a dix-huit cents ans. Elle le faisait avant les hérétiques et les impies, contempteurs de ses rites vénérables ; elle l'a fait depuis que la tombe a dévoré leurs cadavres et l'histoire livré leurs noms à l'ignominie : elle le fera toujours. Immuable, parce qu'elle est divinement inspirée, sa conduite est la même sur tous les points du globe. En Asie, en Afrique, en Océanie, en Amérique se pratique, et de la même manière, ce qui se pratique en Europe et à Rome. Non seulement l'Église fait usage des sacramentaux, mais elle exhorte tous ses enfants à y recourir. Sa voix est entendue. D'un bout du monde à l'autre, tu verras les vrais chrétiens employer, depuis l'enfance jusqu'à la vieillesse, ces puissants moyens de préservation ou d'expiation. Dans toutes leurs demeures tu trouveras de l'eau bénite ; et dans toutes les familles, l'usage journalier de l'Oraison dominicale et du Confiteor.
Si les sacramentaux étaient des signes vides, je veux dire si une bonne oeuvre accomplie sans eux ou avec eux avait le même prix et la même efficacité, quelle serait leur raison d'être ? Pourquoi, de la part de l'Église, une pratique si constante et si universelle ? Pourquoi des exhortations si vives et si souvent réitérées ? Croire que la dépositaire infaillible des enseignements divins, la mère des nations civilisées, s'amuse à pratiquer et à patronner des usages sans vertu, serait plus que de la stérilité, ce serait de la démence.
Il faut donc reconnaître qu'il en est des sacramentaux, et de l'eau bénite en particulier, comme du signe de la croix. Indépendamment des dispositions de ceux qui en font usage, ils possèdent une vertu propre, capable de produire leurs effets. Ainsi, Julien l'Apostat chasse le démon en faisant le signe de la croix, auquel il ne croit pas.
Les faits. Tu as lu que dans de grandes batailles, pour décider une victoire longtemps disputée, on fait avancer la réserve. Il en est de même dans les combats de la vérité contre l'erreur. La réserve de la vérité ce sont les faits. Accessibles au sens, ils présentent une force devant laquelle la science la plus hostile est contrainte de se rendre ou de périr dans l'absurde. Pour croire à l'efficacité des sacramentaux, il en est qui ne se contentent ni de l'enseignement de la théologie, ni de l'autorité de l'Église. Ils veulent des faits : ils en auront. Afin de ne pas anticiper, je me contente aujourd'hui de les promettre.

Tout à toi.


CINQUIÈME LETTRE

Ce 30 septembre.

COMMENT LES SACRAMENTAUX PRODUISENT LEURS EFFETS. - DIFFÉRENCE DE SENTIMENTS PARMI LES THÉOLOGIENS. - RAISON DE CETTE DIFFÉRENCE. - EXPLICATION DE CES MOTS DE LA LANGUE THÉOLOGIQUE EX OPERE OPERATO, EX OPERE OPERANTIS. - PAROLES DES CARDINAUX DE TURRECREMATA ET BELLARMIN. - CONCILIATION DES DIFFÉRENTS SENTIMENTS. - PAROLES DE FERRARIS. - NOMBRE DES SACRAMENTAUX. - SAGESSE DE L'ÉGLISE ET BONTÉ DE DIEU DANS L'INSTITUTION DES SACRAMENTAUX.

L'efficacité des sacramentaux mise hors de discussion, il reste à savoir, mon cher ami, de quelle nature est cette efficacité, en d'autres termes, comment les sacramentaux opèrent leurs effets.
Sur cette question secondaire les théologiens ne sont pas unanimes. Il n'y a rien là qui doive nous étonner. Chaque jour, depuis plusieurs années, n'apprends-tu pas que, dans le domaine de la nature, les princes de la science profane, tout en reconnaissant, à l'unanimité, la certitude d'un phénomène, ne s'accordent pas toujours, il s'en faut, sur la manière dont il se produit ? Je ne leur en fais pas de reproche. La nature a ses mystères. Nous connaissons les faits naturels, nous les voyons de nos yeux, nous les touchons de nos mains; mais presque toujours le comment nous échappe.
De là, ce mot de Montaigne : Nous ne savons le tout de rien. Par parenthèse, ce mot me plaît infiniment. J'y trouve tout un Traité de Modestie, que l'Université ferait bien d'adopter à l'usage des grands et des petits raisonneurs, dont foisonnent aujourd'hui les cabinets ministériels, les assemblées délibérantes, les bureaux du journalisme, les congrès prétendus scientifiques, les bancs des écoles, les cafés des villes et même les cabarets de village.
Ainsi, nul ne peut nier l'attraction polaire de l'aiguille aimantée. Mais le comment et le pourquoi de cette attraction ? Si tu le demandes aux astronomes et aux physiciens de l'ancien et du nouveau monde : bouche close sur toute la ligne.
La religion aussi a ses mystères. Nul doute raisonnablement possible sur la réalité de nos faits religieux, pas plus que sur les phénomènes physiques. Mais ici, comme ailleurs, le comment et le pourquoi demeurent souvent inconnus. De la, parmi les maîtres de la science sacrée, divergence de sentiments. Pour en citer un exemple : tous les théologiens reconnaissent l'efficacité des sacramentaux ; mais de savoir quelle est la nature ou l'origine de cette efficacité ; sur cette question l'accord disparaît. Les uns prétendent que les sacramentaux produisent leurs effets par euxmêmes ex opere operato ; les autres, seulement en vertu des dispositions de celui qui en fait usage, ex opere operantis. Chaque science a ses termes techniques. Expliquons d'abord ces deux mots de la reine des sciences, la théologie.
Elle enseigne qu'une chose opère son effet ex opere operato, c'est-à-dire par sa propre vertu, lorsqu'il suffit de la réaliser pour que l'effet soit infailliblement produit. Ainsi, au sacrifice de la messe, il suffit que le prêtre prononce les paroles de la consécration sur une matière valide, pour que la transsubstantiation ait lieu. Il en est de même des autres sacrements ; quel que soit le ministre, juste ou pécheur, le sacrement existe.
Elle enseigne qu'une chose opère son effet ex opere operantis, c'est-à-dire en vertu des dispositions de celui qui en fait usage, lorsque cette chose ne possède pas une vertu propre, capable de produire l'effet désiré, mais que cet effet dépend des dispositions de celui qui le recherche. Tel est le premier sens de ces mots ex opere operato, ex opere operantis.
Ils en ont un autre plus intime et plus beau. Le voici : d'où vient à une chose, à une action, la force intrinsèque de produire infailliblement son effet ? La théologie répond : elle lui vient d'une œuvre faite ou accomplie, ex opere operato. Quelle est cette œuvre ? C'est l'institution de Notre-Seigneur Jésus-Christ, son infaillible promesse, ses mérites qui ont communiqué à cet acte la vertu dont nous parlons. Or, toutes ces choses sont des œuvres déjà faites ou accomplies, faites et accomplies d'une manière irrévocable.
Si l'action ne produit son effet qu'à raison du mérite de celui qui l'accomplit actuellement, la théologie dit qu'elle le produit en vertu de l'œuvre de celui qui agit, ex opere operantis. La raison en est que la grâce est conférée seulement à cause de la dévotion de la personne qui accomplit cet acte (1).

(1) Conferre gratiam ex opere operato est conferre gratiam ex vi ipsius actionis sacramentalis exhibitæ suscipienti, consideratæ scilicet secundum dignitatem et efficaciam, quam habet ex institutione facta a Christo, sine ullo respectu vel dependentia ad merita, vel dignitatem illius, qui eam actionem exercet. Et dicitur ex opere operato, quia ob infallibilem promissionem divinam ea gratia confertur ex meritis Christi, ac virtute passionis suæ, quæ jam sunt opus operatum. E contra causare gratiam ex opere operantis est, solum ratione meriti et dispositionis illius, qui talem actionem exercet, conferre gratiam. Et dicitur ex opere operantis; quia ea gratia confertur propter propria merita, devotionem, actusque virtuosos ipsius hominis operantis. Ferraris, Biblioth., verb. Sacrant., art. XI, n. 9.

Tu vois par ce petit échantillon que les termes techniques de la vraie théologie scolastique ne sont ni aussi vides de sens, ni aussi barbares qu'on l'a prétendu.
Maintenant tu vas voir que la divergence dont nous parlons est plus apparente que réelle. S'agit-il de la vertu propre, attribuée aux sacramentaux ? voici en quel sens on doit l'entendre. Laissons parler le savant cardinal de Turrecremata : « Quand les théologiens disent que les sacramentaux opèrent leurs effets ex opere operato, ce n'est pas qu'ils reconnaissent dans les sacramentaux une vertu naturelle ou surnaturelle et résidant en eux comme dans son sujet ; mais bien une vertu divine qui leur est communiquée par un décret ou engagement de la divine miséricorde.
« Si on leur demande en quel endroit de l'Écriture, on trouve que Dieu a pris un tel engagement avec l'Église ou rendu un pareil décret, ils répondent : Là, où le Seigneur dit aux apôtres : Celui qui vous écoute m'écoute; et : je vous ai donné le pouvoir de fouler aux pieds toute la puissance de l'ennemi ; là aussi, il a donné à l'Église le pouvoir de faire, en disant ce qu'il a établi pour cela, que lui-même accomplit ce qu'elle désire, par exemple chasser les démons ou autre chose semblable (1). »
Un autre cardinal, le célèbre Bellarmin, abonde dans le même sens. Après avoir établi l'efficacité de l'eau bénite pour effacer les péchés véniels et justifié l'usage d'employer les choses consacrées par l'Église, en vue d'obtenir des effets surnaturels (2), il ajoute : « De même que le sang de Jésus-Christ est appliqué par le baptême et par le sacrement de pénitence pour effacer tous les péchés ; ainsi, il est appliqué par les sacramentaux et par l'oraison dominicale, pour effacer les péchés véniels dans celui qui est en état de grâce (3). »
En conséquence, il reconnaît à l'Église le pouvoir d'instituer de nouvelles cérémonies, comme les exorcismes, l'eau bénite, etc., non pour justifier le pécheur, mais pour opérer d'autres effets spirituels par l'application des mérites de Jésus-Christ, de telle sorte qu'elles produisent ces effets ex opere operato, comme les sacrements justifient ex opere operato.
« En effet, dit-il, il est hors de doute que Notre-Seigneur a mérité à son Église non seulement la grâce, mais encore tous les autres bienfaits qui peuvent lui être utiles. Afin de produire la grâce et la justification du pécheur, il a institué lui-même les sacrements par lesquels ses mérites sont appliqués. Dès lors, il n'est plus permis d'instituer d'autres signes pour produire cet effet principal. Quant aux bienfaits de moindre valeur, il a laissé à l'Église le pouvoir d'établir des signes capables de les produire par l'application de ses mérites (4). »

(1) Respondent quod ibi ubi Dominus inquit apostolis (Luc., X), qui vos audit me audit; et, dedi vobis potestatem calcandi supra omnem virtutem inimici, hanc Ecclesiæ sue dedit potestatem, ut, quando dicent illud quod per eum ad hoc institutum est, Deus faciat illud, ut puta arceat potestatem dœmonis vel hujusmodi. Tract. de Aqua benedict. In-18.
(2) De imaginib., lib. II, c. XXX.
(3) De Eccles. triumph., 1ib. III, c. VII.
(4)... Esse probabile posse Ecclesiam instituere novas coeremonias, ut exorcismos, aquam benedictam, etc., non quidem ad justificandum impium, sed ad alios effectus spirituales, per applicationem Christi meritorum ; ita ut ex opere operato illos effectus producant, quomodo sacramenta ex opere operato justificant. Christus enim sine dubio meruit Ecclesiæ suæ non solum gratiam, sed etiam omnia alia beneficia quæ illi utilia esse possunt. Et quidem ad gratiam et justificationem impii consequendam, instituit ipse sacramenta quibus applicantur ipsius merita; non licet jam alia signa instituere ad effectum illum principalem. Ad alia beneficia minora reliquit Ecclesiæ potestatem, ut institueret signa, quibus applicantur ipsius merita. Ibid., vid. etiam Azor, p. 1, lib. IV, c.II, q. 4.

Les théologiens qui prétendent que les sacramentaux opèrent leurs effets seulement ex opere operantis, expriment ainsi leur pensée. « Si les sacramentaux, disent-ils, ne possèdent pas une vertu intrinsèque, dans le sens qui vient d'être expliqué, ils tirent néanmoins leur efficacité principalement de la foi de l'Église, par manière de mérite, de prière et de suffrage. Je dis de toute l'Église, et non pas seulement à cause de la ferveur et de la dévotion particulière de ceux qui les emploient. Or, il ne faut pas compter pour peu de chose la foi de toute l'Église, ses mérites et ses prières (1). »

(1) Alii dicunt ex opere operantis, scilicet ex fide Ecclesiæ per modum meriti, orationis et suffragii, opere, dito, operante totius Ecclesiæ et non ex solo fervore et devotione utentium, ut dicit Petrus de Palude in 3 : non est parvipendenda fides totius Ecclesiæ, meritum ejus et preces. Turrecremata, De Aqua bened., c. VI.

De l'exposé des deux sentiments il suit que, sans avoir la prétention de décider entre les maîtres de la science, nous pouvons dire avec le théologien romain, Ferraris, et tu peux croire que les sacramentaux opèrent leurs effets partie par eux-mêmes ex opere operato, partie en vertu des dispositions de celui qui les emploie, jointes aux prières de l'Eglise, ex opere operantis. « C'est, dit-il, l'opinion d'un très-grand nombre parmi les plus graves docteurs que l'eau bénite (par conséquent les autres sacramentaux) produit ses effets par sa propre vertu ex opere operato. Mais cela seulement d'une manière éloignée et indirecte, en ce sens que par les prières de l'Église unies aux sacramentaux, lorsque nous en faisons pieusement usage, Dieu, non pas infailliblement, est excité à former en nous les salutaires mouvements, auxquels est attachée la rémission des péchés véniels (1). »

Du reste, laisse-moi te le redire : que le comment nous échappe, l'effet des sacramentaux n'est pas moins certain, et ta confiance ne doit pas être moins entière. Ai-je besoin de savoir comment l'aiguille aimantée gravite vers le nord, pour être assuré qu'elle y gravite ?
5° Quel est le nombre des sacramentaux ? - On en compte sept principaux, autant que de sacrements : Le Pater, l'Eau bénite, le Pain bénit, le Confiteor, l'Aumône, la Bénédiction de l'évêque, la Bénédiction du prêtre à la messe, surtout avec le saint Sacrement (2).
Outre les effets propres à chacun, tous ont la vertu d'effacer les péchés véniels. Si nous ajoutons qu'il existe dans l'Église beaucoup d'autres moyens, doués de la même efficacité, tu conviendras qu'il ne faudrait avoir dans le cœur ni gratitude ni confiance, pour ne pas nous sentir heureux d'être les enfants d'un père si facile à pardonner.

(1) Quod aqua benedicta ex opere operato deleat peccata venialia est plurimorom et quidem gravissimorum opinio, etc. Biblioth. verb. Aqua bened., n. 5. - Per sacramentalia remittuntur peccata venialia ex opere operato, remote tamen et mediate, quatenus nempe per preces Ecclesiæ junctas rebus sacramentalibus, dum iis pie utimur, movetur Deus, etsi non infallibiliter, ut in nobis excitet pios illos motus, quitus adnexa est remissio venialium; partim ex opere operantis, quantum homo iis sacramentalibus pie utitur in remedium ac remissionem peccatorum suorum, cum piis motibus displicentiæ peccatorum, conversionis in Deum, amoris, adorationis et hujusmodi. Id.,verb. Peccatum, n. 52.
(2) A ceux-là peuvent se rapporter tous les autres : Communiter enumerantur sex, ad quæ cætera reducuntur, et continentur sequenti versiculo : Orans, Tinctus, Edens, Confessus, Dans, Benedicens.
Le Benedicens en renferme deux : Benedictio episcopi. et quidem etiam sacerdotis in glissa, et præsertim cum venerabili Sacramento. Ferraris, ibid., v. Peccato, n. 52.
Benedictio episcopalis, dit S. Thomas, aspersio aquæ benedictæ, quælibet sacramentalis unctio, oratio in ecclesia dedicata, et si aliqua alia sunt hujusmodi, operantur ad remissionem venialium peccatorum. 3 p., q. 87, art. III, cor.

Le concile de Trente est encore plus libéral : Venialia quibus a gratia Dei non exciudimur, sed in quæ frequentius labimur, quanquam recte et utiliter citraque omnem prœsumptionem in confessione dicuntur, quod piorum hominum usus demonstrat, taccri tamen titra culpam, multisque aliis remediis expiari possunt. Conc. trid., Sess. XIV, c. XV.
Avant de quitter les sacramentaux en général, je voudrais, mon cher Frédéric, t'en faire connaître le prix. Pour cela, il me suffit de répondre à la question suivante : qu'est-ce que le monde, et surtout le monde actuel ? Le monde actuel est un champ de bataille ; un hôpital ; un dépôt de mendicité.

1° Un champ de bataille. Oui, et à tous les points de vue. Promène tes regards sur la face du globe. On tue en Europe ; on tue en Asie; on tue en Chine, en Cochinchine ; on tue aux Indes; on tue en Afrique ; on tue en Amérique, du nord au midi : on tue partout. Mais ce n'est pas du carnage des corps que je veux parler, c'est du carnage des âmes. Sous ce rapport en particulier, le monde actuel est un champ de bataille, mais de bataille générale, acharnée, incessante, et telle qu'on n'en a pas vu depuis l'établissement du christianisme.
Dans les grandes guerres on appelle sous les drapeaux tous les hommes valides, depuis l'adolescence jusqu'à la vieillesse. On tire des arsenaux les armes de tout genre, les munitions de toute qualité. Sur l'ordre des chefs, toutes les troupes se réunissent, et, au signal donné, elles tombent sur l'ennemi pour l'écraser. Puis, c'est le carnage, le pillage, la dévastation, l'incendie, la désolation.
Ai-je besoin de te le rappeler ? voilà ce que fait aujourd'hui le démon contre la Cité du bien. Écoute ce qui se dit, lis ce qui s'écrit, vois ce qui se passe, songe à ce qui se prépare, et dis-moi si Satan n'a pas appelé, sous ses étendards, le ban et l'arrière-ban de ses soldats ? s'il ne les a pas recrutés dans tous les âges et dans toutes les conditions ? s'il n'a pas vidé ses arsenaux et lancé contre l'Église ses multitudes armées de toutes pièces ? Blasphèmes inouïs, impiétés sans exemple, scandales retentissants, calomnies, dérisions, mensonges, perfidies, violences morales, et violences matérielles : toute la mitraille de l'enfer tombe sur nous, comme la grêle sur les champs dans un jour d'orage. C'est au point qu'on se demande ce qu'il reste à dire ou à faire contre l'Église, excepté de la clouer, comme son divin fondateur, à la croix qu'on lui prépare. Dans cette situation que devons-nous faire, toi, moi, et le chrétien qui veut rester chrétien ? Recourir à tontes les armes que la Providence met à notre disposition. Il y a trois ans, j'essayai de retirer de l'arsenal, où il gisait, abandonné d'un grand nombre, le signe de la croix. Il fut reconnu pour une arme excellente. C'est à tel point que le chef du combat, le souverain Pontife, a dit au monde entier de recourir immédiatement à cette arme victorieuse et d'en faire le plus fréquent usage.
Aujourd'hui, je voudrais tirer du grand arsenal catholique, les autres armes que nous y laissons dormir. Ces armes sûres et que le conscrit peut manier aussi bien que le vieux soldat, sont les sacramentaux, et l'eau bénite en particulier : première raison de t'en parler.
2° Un hôpital. Le roi de l'éloquence, saint Jean Chrysostome, nommé, malgré lui, patriarche de Constantinople, excitait son zèle en se représentant son diocèse comme un vaste hôpital, rempli de malades dont il était devenu le médecin. Au point de vue des maladies de l'âme, qu'est-ce que le monde actuel ? C'est l'HôtelDieu, c'est Bicêtre, c'est la Salpêtrière, c'est Charenton, c'est une immense maison de santé.
Et nous, mon cher ami, nous qui vivons au milieu de ce monde, atteint de maladies contagieuses; nous enfants des martyrs, et descendants des grands chrétiens des siècles de foi ; nous dont la vocation est d'être des saints, que sommes-nous ? regardons-nous de près. A la lumière de l'Évangile et des engagements du baptême, relisons les unes après les autres toutes les pages de notre vie. Examinons toutes les facultés de notre âme, tous les sens de notre corps, et voyons s'il serait inexact de dire avec le prophète : Depuis la plante des pieds, jusqu'au sommet de la tête, il n'y a rien de sain en moi. Comme ces malheureux, atteints de maladies cutanées, je me vois couvert de taches, de dartes, de pustules qui me défigurent ; car tout en moi est dissipation d'esprit, préoccupation des bagatelles du temps, inconstance, pesanteur, insensibilité pour Dieu, dégoût, tiédeur : en un mot, sans être mort, je suis malade.
Nous sommes malades ! à qui la faute ? Te souviens-tu du douloureux étonnement que Dieu manifestait, un jour, en voyant son peuple couvert des ulcères du péché ? « Je suis profondément affligé, disait-il, je suis stupéfait de te voir en cet état. N'y a-t-il donc plus de résine en Galaad ? N'y a-t-il plus de médecin ? Pourquoi tes plaies ne sont-elles pas cicatrisées ? (1)»
Et nous, vrai peuple de Dieu, nous sommes couverts de la lèpre du péché véniel, couverts peut-être de la tête aux pieds, objet repoussant pour notre Père céleste. N'y a-t-il donc plus de résine en Galaad ? Sans doute il y en a. Nous avons sous la main des remèdes souverains, gratuits et de l'application la plus facile. Ces remèdes sont les sacramentaux : seconde raison de t'en parler.
Remarque ici la bonté maternelle de la Providence. Être armé et bien armé ne suffit point au soldat. Dans une mêlée générale, il est inévitable qu'il reçoive des blessures, graves ou légères. Celui qui a fait de la vie de l'homme une guerre continuelle, aurait-il suffisamment pourvu à nos besoins, s'il n'avait mis à notre portée tous les moyens de guérison ?
Le souverain qui envoie ses armées en campagne ne les fait-il pas suivre de médecins, d'ambulances et de tout ce qui est nécessaire au pansement de leurs blessures, ou au traitement des maladies, résultat infaillible des privations et de la fatigue? Le roi du ciel n'est ni moins prévoyant ni moins bon que les princes de la terre. Sa grande armée est l'Église catholique. Partout il la fait suivre des choses nécessaires à la guérison des blessés. Si les blessures sont mortelles, le remède est le sacrement de pénitence. Sont-elles légères ? les remèdes sont les sacramentaux.
3° Un dépôt de mendicité. Laisse-moi te citer une belle parole de saint Paul. De lui et de nos premiers pères dans la foi, l'Apôtre disait avec un noble orgueil : « Nous n'avons rien et nous possédons tout : Tanquam nihil habentes et omnia possidentes.

(1) Super contritione filiæ populi mei contritus sum et contristatus. Stupor obtinuit me : numquid resina non est in Galaad ? aut medicus non est ibi ? quare igitur non est abducta cicatrix filiæ populi mei ? Jerem., VIII, 21, 22.

Intelligente et splendide pauvreté ! Nos pères méprisaient le moins, et ils avaient le plus ; la monnaie de cuivre, et ils avaient des pièces d'or; les verroteries, et ils avaient des diamants.
En retournant les paroles apostoliques, ne pourrions-nous pas dire, nous chrétiens tièdes et inintelligents : Nous nageons au sein des richesses, et nous vivons dans l'indigence ? Sous notre main sont des trésors inépuisables et toujours ouverts; si chaque jour nous contractons des dettes, chaque jour, et à chaque heure, nous pouvons les payer.
Le faisons-nous ? Quand, à la fin du jour, nous examinons nos comptes, ne trouvons-nous pas que le devoir l'emporte grandement sur l'avoir ? mais ce déficit nous touche peu. Le livre de la conscience rapidement parcouru nous nous livrons au sommeil, pour recommencer le lendemain à augmenter notre passif, sans songer, plus sérieusement que la veille, à nous acquitter. Pauvres, nous ne cessons de nous appauvrir. Indigents et débiteurs, nous faisons du monde un grand dépôt de mendicité, une maison de prisonniers pour dettes.
Comprends-tu la folie de notre siècle? Ce qu'il craint pardessus tout, c'est de souffrir. Les péchés, même véniels, sont une source de souffrances publiques et privées. Ils sont la clef du purgatoire, le geôlier qui en tient la porte fermée, l'élément qui entretient les flammes expiatrices, dont l'ardeur n'a point d'analogue dans ce que nous connaissons. Et ce monde si délicat, si sensuel, si ennemi de la douleur, néglige stupidement les moyens de s'en préserver ! Ces moyens sont les sacramentaux : troisième raison de t'en parler.
Je te laisse, cher ami, avec mes notions théologiques. C'est un A B C qui pourrait s'écrire sur l'ongle du pouce. Néanmoins, il peut n'être pas inutile. J'ai le malheur de craindre que cet A B C ne soit à la science sacrée de la plupart de tes contemporains, comme cent est à un.
Tout à toi.


SIXIÈME LETTRE

Ce ler octobre.

L'EAU BÉNITE : CE QU'ELLE EST. - SIGNIFICATION DE CES DEUX MOTS : EAU ET BÉNITE. - L'EAU, MÈRE DU MONDE ET SANG DE LA NATURE. - TOUT VIENT DE L'EAU. - PASSAGE DE SAINT PIERRE. - DE SAINT CLÉMENT. - D'ŒCUMÉNIUS. - DE SAINT AUGUSTIN. - TÉMOIGNAGE DE QUELQUES AUTEURS PAÏENS. - UN PETIT SERMON. - L'EAU, SANG DE LA NATURE. - PARALLÈLE. - L'EAU DANS L'ORDRE MORAL. - LIEN DES PEUPLES. - ÉLÉMENT ORDINAIRE DES CÉRÉMONIES, DES MYSTÈRES ET DES MIRACLES, DANS L'ANCIENNE ET DANS LA NOUVELLE ALLIANCE. - COMME LE MONDE PRIMITIF, LE MONDE RÉGÉNÉRÉ SORT DE L'EAU. - L'EAU FIÈRE DE SERVIR AU BAPTÈME. - FAITS CURIEUX EN ORIENT ET EN OCCIDENT.

Tu sais maintenant, cher Frédéric, ce qu'on entend par les sacramentaux. Tu sais de plus que l'eau bénite figure au premier rang, parmi ces sources mystérieuses de richesses spirituelles et matérielles, dont la faiblesse apparente et la fécondité réelle présentent avec tant d'éclat le double cachet des œuvres divines. Mais qu'est-ce que l'eau bénite ? Pour répondre, deux mots sont à définir : Eau et bénite. Prie Dieu qu'il m'éclaire, et tu verras que ces deux mots renferment des trésors.
EAU. - Qu'est-ce que l'eau ? Si je le demande à la science moderne, elle me fait répondre en deux mots, par le premier chimiste venu : l'eau, c'est du protoxyde d'hydrogène. Me voilà bien instruit, surtout bien édifié. Mais si j'adresse la même question à la science ancienne, c'est-à-dire à la vraie science, elle me dit : l'eau est la Mère du monde et le Sang de la nature. A la définir ainsi elle est autorisée, comme tu vas le voir, par le plus savant des géologues, saint Pierre. Ayant appris la géologie à l'école même du Créateur, nul mieux que lui ne connaît l'origine des choses.
Or, du temps du Prince des apôtres il y avait, comme aujourd'hui, des Strauss, des Proudhon, des Renan, petits mécréants qui niaient la création du monde, son gouvernement par la Providence et sa destruction finale. A ces ignorants volontaires, moqueurs imbéciles de la vérité, saint Pierre répond : que le ciel et la terre n'ont pas toujours existé, mais qu'ils ont été tirés de l'eau, qu'ils existent au milieu de l'eau et qu'ils sont affermis par le Verbe divin (1).
L'eau est donc la mère du monde, puisque le ciel et la terre, avec toutes les créatures matérielles, ont été formés de l'eau, à laquelle le Verbe créateur a imprimé, en la condensant, des formes arrêtées qu'il maintient dans un état permanent. Telle est l'interprétation invariablement donnée aux paroles du texte sacré par les Pères de l'Église. Avant tout, nous la trouvons dans saint Clément, disciple et successeur de saint Pierre, qui assure avoir reçu cette doctrine de la bouche de son auguste Maître : « L'eau primitive, dit-il, qui remplissait l'espace intermédiaire entre le ciel et la terre, s'étendit, condensée comme de la glace et solide comme du cristal, de manière à former le firmament qui sépare le ciel de la terre (2). » Ainsi, Dieu a séparé les eaux primordiales en deux parts : les eaux inférieures dans lesquelles baigne la terre, et les eaux supérieures qui forment au-dessus de nous comme une voûte immense ou plutôt comme une couronne émaillée de diamants (3).
Oecuménius tient le même langage : « Le ciel et la terre ont été faits de l'eau. Le ciel n'est que l'eau vaporisée ou à l'état aériforme, et la terre l'eau solidifiée ou à l'état concret (4). »

(1) Latet enim eos hoc volentes, quod cœli erant prius et terra de aqua et per
aquam, consistens verbo Dei. II Petr. , III, 5.
(2) Aqua quæ erat intra mundum, in medio primi illius cœli terræque spatio, quasi gelu concreta et crystallo solidata distenditur, et hujusmodi firmamento velut intercluduntur media cœli ac terræ spatia. Recognit., lib. I, c. XVII.
(3) Voir Fabricius, Théologie de l'eau, liv. II, c. I.
() 4Sicut cœlo et terra ex aqua institutis... aer ex aquarum exhalatione, terra ex earum concretione consistit. - In II Petr., III, 5.

Saint Augustin n'est pas moins explicite : « Au commencement les cieux et la terre furent faits de l'eau et par l'eau, Il n'y a donc rien d'absurde à dire que la matière primitive, c'était l'eau ; car tout ce qui naît sur la terre, les animaux, les arbres, les herbes, et les êtres semblables doivent à l'eau leur formation et leur nourriture (1). »

Si tu veux t'en donner la peine, ou plutôt le plaisir; tu trouveras le même enseignement dans les autres docteurs (2). Dès les premiers versets, l'Écriture elle-même le confirme. As-tu remarqué qu'après avoir parlé de la création primitive, qu'il appelle le ciel et la terre, le texte divin ajoute immédiatement : Et l'esprit de Dieu était porté sur les eaux ? Pourquoi ne dit-il pas : Sur le ciel et sur la terre qu'il vient de nommer et de nommer seuls ? N'est-ce pas évidemment parce qu'ils existaient à l'état d'eau et que l'eau était l'élément générateur de l'un et de l'autre.
Au reste, le souvenir de la primitive origine des êtres matériels ne s'était pas entièrement perdu chez les païens. De l'Orient, berceau de la tradition, il avait passé en Occident. La plus ancienne, je crois, ou du moins une des plus anciennes écoles philosophiques de la Grèce, celle de Thalès, posait en principe que l'eau avait donné naissance à tout ce que nous voyons (3). » Le plus savant naturaliste romain, Pline, écrivait : « Tout ce que la terre a de vigueur, elle le doit à l'eau (4).» Un autre auteur païen, Festus, donne du mot eau, aqua, une étymologie qui veut dire mère de tout ce qui existe (5).

(1) Cœli erant olim et terra de aqua et per aquam. De Civ. Dei, lib. XX, c. XVIII. - Propterea vero non absurde etiam aqua dicta est ista materia, quia omnia quæ in terra nascuntur, sive animalia, sive arbores, vel herbu, et si quæ similia, ab humore incipiunt formari et nutriri. De Gen. contr. manich., lib. VI, VII.
(2) Voir Corn. a Lap., In Eccl., XXIX, 26.
(3) Aquam principium rebus creandis dixere. Auson, ln Lud. Sapient.
(4) Omnes terræ vires aquarum beneficia. Hist. nat., lib., XXX, c.I
(5) Aqua, a qua juvamur, vel ut alii, a qua omnia ; quia ex aqua cœli, aer, cæteraque omnia creata sunt. Corn. a Lap. ln Joan., IV, 9.

La terre, les cieux et tous les êtres qu'ils renferment sont donc fils et petits-fils de l'eau. Quelle noble mère ! quelle belle et nombreuse famille ! Et nous aussi nous sommes fils de l'eau. C'est de la terre que le chef-d'oeuvre de la création matérielle, le corps humain, est sorti, comme la terre elle-même est sortie de l'eau. Si donc la terre est notre mère, l'eau est notre grand-mère (1). Avant de continuer, laisse-moi placer ici un petit sermon en deux points.

Premier point. - Le Créateur, qui a fait naître la terre de l'eau, a voulu que cette fille, quel que fût son âge, reposât comme un petit enfant sur le sein de sa mère. Il a fondé la terre sur l'eau, super maria fundavit eam. C'est l'eau qui lui sert de point d'appui, de berceau, de langes et de source intarissable de vie, de vigueur et de beauté. Comme dans les oeuvres de Dieu tout est fait pour l'instruction de l'homme, saint Ambroise traduit la leçon qui nous est donnée par cette indissoluble union de la terre et de l'eau. « Voyez, dit-il, quelle bonne mère est l'eau ! elle nourrit ce qu'elle enfante et ne s'en sépare jamais. Et toi, Ô homme, tu enseignes l'abandon des enfants par le père et la mère, les séparations, les haines, les offenses. Apprends de l'eau quels liens intime doivent unir les parents et les enfants (2). »

Second point. - Puisque l'eau est notre mère, hommes qui que nous soyons, apprenons combien grande doit être notre humilité, combien sérieux notre détachement des créatures. Qu'est-ce que notre corps ? De l'eau figée. Que sont les animaux et les plantes ? De l'eau figée. Qu'est-ce que la pierre la plus précieuse, le diamant ? De l'eau figée. Et pour un peu d'eau figée, nous aurions de l'orgueil et nous perdrions notre âme faite à l'image de Dieu !
Je te connais assez, mon bon Frédéric, pour savoir que tu profiteras de mon sermon : je n'insiste pas et je continue. L'eau n'est pas seulement la mère du monde, elle est encore le sang de la nature. Le sang est nécessaire à la vie de l'homme. L'eau n'est pas moins nécessaire à la vie de l'univers. Dans notre corps, le sang a ses réservoirs ; il en part pour alimenter toutes les parties de son domaine. Il y revient pour se rafraîchir et en repart pour continuer ses indispensables fonctions.

(1) Initium vitæ hominis aqua. Hydragiolog., sect. I, c. III. - Ibid. Sur tout ce qui concerne l'eau, ses propriétés, ses usages, etc., c., II, III, IV, V, VI.
(2) « Quam bora mater sit aqua hinc considera ; tu, o homo, docuisti abdicationes patrum in filios, separationes, odia, offensas, disce ergo ab aqua quam sit parentum et filiorum necessitudo . » Hexaem. 1 ib. V, c. IV.
Même chose dans la nature. Les mers sans fond, les vastes cavités des montagnes sont les réservoirs de son sang. Par un mouvement non interrompu de départ et de retour, l'eau purifiée, rafraîchie, remplie de toutes ses qualités natives, continue de faire épanouir la vie en mille productions variées, dont la succession régulière n'est pas le caractère le moins admirable.
C'est la Sagesse infinie qui fait sortir le sang de ses réservoirs, qui le divise, qui le dirige par mille canaux de différente grandeur, suivant les besoins de chaque organe. Dans la nature, la même Sagesse ouvre, au temps voulu, les grands réservoirs des eaux. Elle en divise la masse, lui trace les canaux par où elle doit couler, pour arroser, dans les proportions convenables, les plaines et les collines, les climats brûlants et les climats tempérés.
Parmi ces canaux, les uns, comme les fleuves, sont les artères du grand corps de la nature. Les rivières, les ruisseaux, les fontaines, les infiltrations souterraines, sont les veines et les vaisseaux capillaires par où l'eau pénètre dans les plus menues parties de la terre : comme le sang dans les extrémités les plus faibles de nos organes et les plus éloignées du centre. Il est d'expérience qu'on trouve de l'eau partout. Sur ce point, les puits artésiens sont venus, comme toutes les autres découvertes, donner raison aux enseignements de la Théologie. Que serait-ce si l'homme possédait une science plus complète, ou s'il disposait d'instruments plus parfaits ?
Telle est la précision avec laquelle Dieu mesure la quantité de sang qui doit entrer dans chaque vaisseau, la rapidité ou la lenteur avec laquelle il doit couler, qu'il n'y a jamais, à moins d'un désordre trop souvent coupable, ni engorgement ni perturbation. Avec un art non moins merveilleux, Dieu a mesuré, équilibré et divisé les eaux dans le corps de la nature, de telle sorte que chaque partie en reçoit la quantité convenable (1).
(1) Aquas appendit in mensura. Job, XXVIII, 25.

Mais si l'homme vient à mériter une punition, l'ordre est suspendu. Comme dans la famille, c'est à la mère que revient le plus souvent la tâche de corriger le jeune enfant; ainsi dans la nature l'eau venge le Père céleste outragé. Dieu lui ordonne ou de se resserrer dans ses réservoirs et de faire languir la terre et ses productions, ou de tomber en masses désastreuses qui, noyant la première et altérant les secondes, forcent l'homme coupable à crier merci. L'iniquité est-elle à son comble? L'eau devient le déluge, et tout périt.
Jusqu'ici nous n'avons envisagé l'eau que dans son rôle purement matériel. Ce rôle est souverain et souverainement bienfaisant. Tu peux donc en toute vérité répéter avec un auteur païen : « L'eau est l'élément le plus ami de l'homme ; nul autre ne nous procure autant d'avantages ; sans l'eau rien ne pourrait naître, ni se conserver, ni être accommodé à nos usages (1). »

(1) Nulla ex omnibus rebus tantas habere videtur ad usum rerum necessitates quantas aqua... Sine aqua nec corpus animalium, nec ulla cibi virtus potest nasci, nec tueri, nec parari. Vitruv.., lib. VIII, c. II.

Considérée dans l'ordre moral, l'eau est de tous les éléments celui qui remplit la mission la plus glorieuse. Elle est le lien social par excellence. C'est elle qui par les fleuves et les Océans, relie entre elles toutes les nations du globe. Élève ta pensée et rappelletoi la vie du peuple juif, de ce peuple qui ne semble marcher qu'à coups de miracles. Le passage de la mer Rouge, le rocher d'Horeb, le passage du Jourdain : n'est-ce pas l'eau qui est l'élément de ces prodiges ?
Quel rôle plus noble encore le Créateur ne lui fait-il pas accomplir dans toutes les pratiques de son culte? C'est à peine si dans l'ancienne alliance tu trouves une seule cérémonie, où l'eau ne soit employée.
La nouvelle loi ne lui ôte rien de sa dignité, au contraire. Combien de fois le Verbe régénérateur l'a fait servir à ses mystères et à ses miracles ! Rappelle-toi seulement son baptême au Jourdain, le festin de Cana, la vocation des apôtres, et la conversion de la Samaritaine près de l'eau; la guérison du paralytique près de l'eau, et de l'aveugle-né, par l'eau; son apparition à ses disciples sur l'eau; enfin, la merveille des merveilles, la régénération du monde par l'eau (1). Des eaux primitives, fécondées par le Saint-Esprit, le Créateur tira l'homme et le monde ancien. Des mêmes eaux, sanctifiées par lui-même en personne, le Verbe incarné fait sortir l'homme et le monde nouveau. Ainsi, le monde primitif et le monde régénéré sont fils del'eau.
Faut-il ajouter que, dans certaines circonstances, l'eau semble avoir conscience de sa glorieuse mission et qu'elle est fière de servir au baptême, son plus merveilleux usage ? Ecoute ce qu'on lit dans l'histoire. Sous l'année 417, Baronius rapporte la lettre de Paschase, évêque de Lilybée, au pape saint Léon le Grand. L'illustre évêque raconte en ces termes un fait qui lui était parfaitement connu.
« Dieu, ne voulant pas qu'on se trompe sur le jour où il convient de célébrer la Pâques, permet le miracle dont je vais vous entretenir. Nous avons ici un très petit hameau, appelé Mettine, situé au milieu de montagnes abruptes et entouré d'épaisses forêts. Il y a là une très pauvre petite église. La nuit de Pâques, à l'heure où il faut administrer le baptême, son baptistère se remplit d'eau sans qu'il y ait ni canal, ni fistule, ni fontaine voisine. Le baptême administré aux quelques catéchumènes du lieu, l'eau s'en va comme elle est venue, sans déversoir.
« Or une année, incertains que nous étions du vrai jour de Pâques, on chanta comme à l'ordinaire l'office de la nuit, et le prêtre demanda s'il était l'heure de baptiser. Sur la réponse affirmative, il se rendit au Baptistère, mais l'eau ne vint pas. On l'attendit vainement jusqu'au jour, et les catéchumènes furent obligés de se retirer sans avoir reçu le baptême (2). »
Voilà pour l'Orient : même miracle en Occident.
Un des plus savants hommes de son siècle, Cassiodore, secrétaire du roi Àthalaric, décrit à Sévère le fait suivant, connu de toute l'Italie. « Près de l'antique ville de Consilie, dans la Lucanie (ou Basilicate), nous avons une magnifique fontaine, dont les eaux forment une nappe d'une transparence extraordinaire. Mais il serait long de la décrire et je viens au fait miraculeux qui s'y opère chaque année. Lorsque dans la sainte veille de Pâques, le prêtre commence les prières du baptême, on voit la fontaine gonfler, et, au lieu de laisser couler ses eaux par leurs voies ordinaires, elle les pousse en haut et les élève en forme de cône.


(1) Hydragiol., p. 55.
(2) Baron., An., t. V, n. 417, n. 41

« L'élément insensible s'élève de lui-même et, par une sorte de dévotion solennelle, se prépare aux miracles qui doivent faire briller la sainte majesté des mystères : Erigitur brutum elementum sponte sua, et quadam devotione solemni prœparat se miraculis, ut sanctificatio majestatis possit ostendi. En tout temps, l'eau couvre cinq degrés; pendant la nuit de Pâques elle en couvre deux de plus, ce qui n'arrive jamais dans un autre moment. Étonnant miracle ! que l'élément liquide s'arrête aux paroles de l'homme et qu'il semble doué de la faculté de les entendre ! Bien vénérable est cette fontaine, plus vénérables encore sont les paroles qui l'animent. La Lucanie a son Jourdain. Le fleuve de la Judée donna l'exemple du baptême ; notre fontaine l'administre dévotement chaque année (1). »

(1) Habet et Lucania Jordanem suum : ille exemplum baptismatis præstitit; hic sacrum ministerium annua devotione custodit. Apud Baron., ubi supra, n. 42.

Prétendre que ces miracles étaient crus sans preuves, et qu'il ne se trouvait jamais quelque malin, capable de prendre les précautions nécessaires, afin d'écarter toute supercherie, serait une impertinence de haute école. Nos pères avaient des yeux comme nous, au moins autant de bon sens que nous, et plus de crainte que nous d'être trompés ou trompeurs.
Quoi qu'il en soit, Dieu a voulu que cette miraculeuse glorification de l'eau devînt un fait incontestable. Nous lisons dans Grégoire de Tours : « Le Portugal offre un exemple mémorable de ce miracle des eaux. Dans cette province existe dès la plus haute antiquité une piscine en forme de croix, faite de marbres de différentes couleurs et très bien sculptés. Sur cette piscine les chrétiens ont bâti une magnifique église. Or, le Jeudi Saint, tous les fidèles, l'évêque en tête, s'y réunissent. Les prières finies, l'évêque ferme les portes du temple, les scelle de son sceau et tout le monde attend la manifestation de la puissance divine.
« Le troisième jour, c'est-à-dire le samedi, arrive la foule des catéchumènes. Puis, l'évêque, accompagné de toute la ville, après avoir vérifié les sceaux, ouvre les portes. Chose admirable ! la piscine qu'il avait laissée vide, il la trouve pleine, ou plutôt comble; car ses eaux s'élèvent en forme de globe au-dessus du bassin, comme le blé au-dessus du boisseau avant qu'il ait été nivelé. On voit ces eaux osciller sans qu'il en tombe une seule goutte à droite ou à gauche.
« L'évêque fait les exorcismes; puis, de cette eau merveilleuse, il arrose tout le peuple qui s'empresse d'en prendre et d'en emporter dans ses maisons, pour se mettre à l'abri des maladies et des dangers, et pour en répandre sur ses champs et sur ses vignes, comme un préservatif assuré contre les fléaux. Malgré le nombre incalculable des vases qu'on remplit, l'eau ne diminue pas. Mais aussitôt que le premier catéchumène est baptisé, elle commence à baisser. Lorsque tous l'ont été, l'eau se retire et s'en va comme elle est venue, sans qu'on sache comment : Baptizatis omnibus, lymphis in se reversis, ut initio produntur nescio, ita et fine clauduntur ignoro.
« Or, le roi du pays, Théodégésile, ayant été témoin du fait, se dit en lui-même : C'est un artifice des habitants, et non pas un miracle. Il vint donc l'année suivante, ferma les portes de l'église, y apposa son sceau à côté de celui de l'évêque, mit des gardes autour de l'église, afin de s'assurer si personne ne venait frauduleusement porter ou envoyer de l'eau dans la piscine. Il ne put rien découvrir. L'année suivante il recommença la même expérience, sans plus de succès.
« Enfin, la troisième année, il fit arriver un grand nombre d'ouvriers, à qui il ordonna de creuser des fossés tout autour de l'église, pour voir si la piscine n'était pas alimentée par quelques canaux souterrains. Ces fossés eurent vingt-cinq pieds de profondeur et quinze de largeur. Rien ne fut découvert. La quatrième année le roi n'eut pas le bonheur de revoir le miracle ; car il mourut, éprouvant peut-être en lui-même ce que dit saint Paul : Le scrutateur téméraire des mystères de Dieu sera écrasé par sa gloire (1). »
Il resterait beaucoup à dire sur les propriétés de l'eau, sur les vertus que tous les peuples lui ont reconnues, sur les louanges qu'ils lui ont données et sur les hommages de respect vraiment filial qu'ils lui ont prodigués (2). Ce qui précède suffit à mon but, et je termine cette lettre déjà longue. A demain le mot Bénite.

Tout à toi.

(1) Baron. , ibid., n. 43, 45.
(2) Tu peux voir là-dessus Hydragiol. , sect. I, c. là vii, et Traité du Saint-Esprit, t. II.


SEPTIÈME LETTRE

Ce 2 octobre.

SIGNIFICATION DU MOT BÉNITE. - BÉNIR SIGNIFIE D'ABORD SANCTIFIER, C'EST-À-DIRE PURIFIER LES CRÉATURES ET LES SOUSTRAIRE AUX INFLUENCES DU DÉMON. - PREUVES QUE TOUTE LA CRÉATION A BESOIN D'ÊTRE SANCTIFIÉE. - BÉNIR SIGNIFIE ENCORE RENDRE UNE CRÉATURE CAPABLE DE PRODUIRE DES EFFETS AU-DESSUS DE SES FORCES NATURELLES. - ORIGINE DE L'EAU BÉNITE. - SON HISTOIRE CHEZ LE PEUPLE JUIF. - CONTREFAITE PAR LE DÉMON. - HISTOIRE DE CETTE CONTREFAÇON CHEZ LES PEUPLES PAÏENS DE L'ANTIQUITÉ. - TRAIT DE VALENTINIEN.

L’ère du monde, sang de la nature, lien des peuples, élément de prodiges : telle est l'eau en elle-même.
Connais-tu, mon cher ami, une créature plus noble, plus bienfaisante, plus nécessaire ? En la choisissant pour l'instrument ordinaire de ses faveurs, l'Église n'a-t-elle pas eu la main heureuse? En cela, comme en toute chose, ne se montre-telle pas la fidèle héritière des révélations divines et des vénérables traditions de l'humanité ? Ne donne-t-elle pas la preuve d'une profonde connaissance du monde visible et des rapports qui l'unissent au monde invisible ? A la dignité naturelle de l'eau, la bénédiction en ajoute une plus grande encore. Nul doute à cet égard, lorsque tu auras l'explication du mot qui fait l'objet de cette lettre.
BÉNITE. Qu'est-ce que bénir ? Bénir est un mot de la langue divine, tombé dans la langue humaine : sa richesse et sa profondeur nous échappent. Pour Dieu, bénir c'est faire descendre sur la créature et faire pénétrer en son sein les divines effusions de la vie et de l'amour; c'est inonder de grâce et de puissance les êtres sur lesquels tombe la parole de bénédiction, comme une rosée de lumière; en un mot, pour Dieu, bénir c'est faire du bien, et le faire aussi promptement que la parole est prononcée. « Quand Dieu bénit, dit saint Augustin, il fait ce qu'il dit » : Deus autem cum benedicit, facit quod dicit (1).

La bénédiction de Dieu communique aux créatures le pouvoir de vivre, c'est-à-dire de se reproduire, de croître et de se multiplier. En effet, la puissance et la force du Créateur sont la cause que toute créature subsiste ; et si cette force venait à cesser, cesserait en même temps leur forme substantielle et toute la nature s'abîmerait dans le néant (2).
Si le monde de la nature ne subsiste que par la bénédiction de Dieu, il en est de même du monde surnaturel. Toutes les merveilles de la grâce, la vie divine avec toutes ses lumières, ses forces, ses prérogatives, sa perpétuité, sont autant d'effets de la bénédiction que Dieu a donnée au monde par le Verbe incarné. Calcule, si tu peux, la variété infinie et sans cesse renaissante d'oeuvres surnaturelles, de prières, de jeûnes, d'austérités, de dévouements sublimes, accomplis, depuis dix-huit siècles, sur tous les points du globe par l'Église catholique; calcule encore les gloires et les délices de l'éternité, alors, et alors seulement, tu comprendras la richesse et la profondeur du mot bénir dans la bouche de Dieu (3).
Sur les lèvres de l'homme, qui n'opère pas ce qu'il veut en parlant; bénir signifie souhaiter du bien à quelqu'un, le louer, le remercier (4).

(1) Enarrat. in ps. CVIII, n. 30
(2) Creatoris namque potentia et omnipotentis atque omnitenentis virtus, causa subsistendi est onini creaturæ ; quæ virtus ab eis quæ creata sunt regendis, si aliquando cessaret, simul et illorum cessaret species omnisquenatura conci dere t. S. Aug., De Gen. ad litt., lib. IV, n. 12. Opp, t. III, 278.
(3) Benedictus Deus et Pater Domini nostri Jesu-Christi, qui benedixit nos in omni benedictione spirituali in cœlestibus in Christo, etc. Eph., I, 3.
(4) Benedicam Dominum in omni tempore. . Ps. XXXIII. Benedicat tibi anima mea. Gen., XXVII, 25, etc.

Dans le sens ecclésiastique, et tel que nous l'entendons ici, bénir signifie consacrer et sanctifier une chose, c'est-à-dire : la tirer de la masse commune et lui communiquer certaines qualités mystérieuses, qui la rendent capable de devenir matière des sacrements ou instrument de faveurs pour les âmes et pour les corps (1).

(1) Benedicere significat consecrare et sanctificare seu conferre aliquid esse sacrum rei quæ benedicitur, ut fiat conveniens et apta materia sacramenti vel sacrificii, vel fiat instrumentum salutis sive animarum sive corporum. Quarti, De Benedict., tit. I, sect. I, dubit.1.

Tu vois que bénir l'eau, c'est lui communiquer une vertu qu'elle n'a pas d'elle-même et qui la rend propre à produire des effets au-dessus de sa nature. L'eau bénite est donc une eau sanctifiée et rendue capable d'effets surnaturels. Pour que l'eau bénite soit telle, il faut d'abord qu'elle soit sanctifiée. Ce mot nous met en face du mystère des mystères : la chute et la réhabilitation de l'homme et du monde.
En effet, sanctifier une chose, c'est la soustraire à l'influence du démon, la purifier des souillures dont il l'a salie et la rendre à sa pureté native. Que par suite de sa victoire sur le Roi de la création, le démon ait fait des créatures ses esclaves et les instruments de sa haine, aussi bien dans l'ordre physique que dans l'ordre moral, c'est le grand fait sur lequel pose toute l'histoire de l'humanité.
Fait permanent dont les preuves sont partout, au dedans de nous et autour de nous ; fait triste et consolant tout ensemble. Triste, puisqu'il nous montre toute la nature et l'homme lui-même frappés de dégradation; consolant, puisque nous savons qu'il y aura une restauration universelle. Cette suprême espérance, unique consolation de l'homme dans la vallée des larmes, Dieu s'est plu à la réveiller sans cesse dès les jours anciens.
Par la bouche du prophète Osée, il la proclame en des termes que je suis heureux de te faire connaître : « Je délivrerai, dit-il, ma laine et mon lin. »
Que signifient ces simples mais profondes paroles, sinon que le démon s'était emparé de tous les biens que Dieu avait donnés à l'homme, même des plus petits? A ces satellites le vainqueur avait partagé les dépouilles. L'eau appartenait à Neptune, le blé à Cérès, le vin à Bacchus, les forêts à Diane, les troupeaux à Pan; ainsi des autres parties de la création. Dieu annonce qu'il revendiquera son bien, et fera tout rentrer dans l'ordre (1).
Dans le Nouveau Testament, le plus savant interprète des conseils divins, saint Paul constate les souffrances et les aspirations de la création tout entière ; puis, il annonce la libération future qui doit récompenser les unes et satisfaire les autres. « Toute créature, dit-il, souffre et gémit, comme une femme dans les douleurs de l'enfantement, de se voir malgré elle soumise à la vanité. Elle soupire après la régénération de l'homme, gage de la sienne. Et elle n'est pas seule, nous aussi nous gémissons et nous attendons la rédemption de notre corps (2). »
Remarque en passant comme toute la création, inférieure à l'homme, suit la condition de l'homme. Heureuse et magnifique, tant que l'homme est innocent ; défigurée et malade, quand l'homme devient pécheur; resplendissante de jeunesse et de beauté, lorsque l'homme lui-même sera devenu beau d'une beauté inaltérable et jeune d'une jeunesse éternelle.
Sanctifier les créatures n'est pas seulement les délivrer des influences du démon, c'est encore les rendre capables d'effets surnaturels : ces deux choses sont-elles possibles et à qui ? Évidemment elles sont possibles à celui qui peut tout, et celui qui peut tout, c'est Dieu. Cela étant, Dieu seul peut faire de l'eau bénite et ceux à qui il en a donné le pouvoir. Veux-tu savoir si ce pouvoir a été donné et à qui ? Écoute le Verbe rédempteur qui a sanctifié toutes choses et posé le principe éternel de toute sanctification : « Toute puissance m'a été donnée au ciel et sur la terre. »
Puis, s'adressant à son épouse, l'Église catholique, chargée de continuer sa mission sur tous les points du globe et jusqu'à la fin du monde, il lui dit : « Comme mon Père m'a envoyé, je vous envoie. Tout ce que vous affranchirez, c'est-à-dire tout ce que vous délierez des liens du démon, tout ce que vous bénirez, tout ce que vous rendrez capable de produire des effets surnaturels , sera affranchi, béni, rendu capable des effets surnaturels que vous aurez en vue. »

(1) Tanquam enim lana et vinum invite servierint ingratis et impiis idololatris, quasi injustis possessoibus, inde ea se dicit liberaturum, etc. Corn. a Lap. In hune loc.
(2) Rom., VIII, 19 23.

Telles sont, mon cher ami, les lettres de créance de l'Église. En connais-tu de plus authentiques ou de plus étendues ? L'Église possède donc le pouvoir de bénir, et elle seule le possède. Il n'appartient ni à un chimiste, si habile qu'il soit, ni à un monarque, régnât-il sur le monde entier, de faire une goutte d'eau bénite. Ce n'est ni aux savants ni aux princes qu'il a été dit : « Tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel. » En supprimant l'eau bénite, le protestantisme s'est rendu justice. Séparé de l'Église, il a perdu le pouvoir de faire ce qui ne se peut faire que dans l'Église et par l'Église.
Être édifié sur le pouvoir de bénir ne te suffit pas. Je connais ta curiosité, et tu es pressé de savoir si Dieu et l'Église ont fait usage du pouvoir de bénir l'eau, et depuis quand ? En d'autres termes : quelle est l'origine de l'eau bénite ?
Si l'antiquité est un titre de noblesse, rien n'est plus noble que l'eau bénite : elle remonte au commencement du monde. Le premier qui ait fait de l'eau bénite, c'est le Saint-Esprit. Que faisait ce divin Esprit, alors qu'il planait sur les eaux primitives? Il les bénissait, et en les bénissant il leur communiquait la vertu de produire les merveilleuses, les innombrables créatures dont nous sommes environnés (1).

(1) Aquis quasi incubabat Spiritus sanctus, eisque vim prolificam indebat, ut reptilia, volatilia, pistes et germina, imo cœli omnes ex aquis producerentur... hic significatur Spiritus sanctus aquis baptismi quasi incubans, iisque nos parturiens et regenerans. Vid. Corn. a Lap., In Gen.,I, II.

Dépositaires du pouvoir divin, les patriarches, Moïse, la Synagogue, les prophètes n'ont cessé de faire de l'eau bénite et de l'employer à la purification et à la délivrance des hommes et des créatures. Pour abréger, arrêtons-nous au pied du Sinaï. Moïse descend de la montagne, portant le plus magnifique présent que le Seigneur eût jamais fait à son peuple : les deux tables de la Loi. Afin de recevoir cette loi sainte, le peuple choisi doit être sanctifié. Dans ce but, Moïse fait de l'eau bénite qu'il mêle au sang des victimes et il en asperge le peuple (1).
Purifier par l'eau les hommes et les choses de toutes les souillures légales, devint dans l'ancienne loi une institution permanente. Mais une créature purement matérielle ne saurait produire un effet moral. Cette eau de purification était donc une eau sanctifiée : c'était de l'eau bénite. L'usage en revient sans cesse dans les prescriptions mosaïques. A celui qui aura été atteint de la lèpre; à celui qui aura porté le cadavre de certains animaux ; à celui qui aura mangé de leur chair ; à tous ceux qui auront contracté quelque souillure légale, ordre est donné de se purifier par l'eau (2).
Quelque chose de plus remarquable. Moïse doit consacrer prêtres, Aaron et les fils d'Aaron. Afin de les rendre dignes de leur consécration, Dieu ordonne à Moïse de les purifier par l'eau. Ce n'est qu'après cette sanctification, qu'ils seront admis à recevoir les ornements sacrés et l'onction sacerdotale. Peine de mort pour eux et pour leurs successeurs, si, avant d'exercer aucune de leurs fonctions dans le temple, ils ne se lavent de leurs souillures avec l'eau de la mer d'airain (3).
Au reste, mon cher ami, voici les cérémonies prescrites à la Synagogue pour faire l'eau bénite de la loi ancienne, et les éléments dont elle devait être composée. Parlant à Moïse et à Aaron, le Seigneur leur ordonne d'immoler une génisse rouge, de la brûler, d'en mêler les cendres avec de l'eau et d'en faire une eau d'aspersion pour la défense et la purification de tous les enfants d'Israël. « Ceci, ajoute le Seigneur, sera observé religieusement et à perpétuité par les enfants d'Israël et par les étrangers qui habitent parmi eux (4). »

(1) Accipiens sanguinem... cum aqua... omnem populum aspersit. Hebr., IX, 19.
(2) Levit., XI, 28, 40; XIV, 51, etc.
(3) Exod., XXIX, 4 et suiv. ; XXX, 18 et suiv.
(4) Ut sint multitudini filiorum Israel in custodiam, et in aquam aspersionis... Habebunt hoc filii Israel et advenæ qui habitant inter eos sanctum jure perpetuo. Num., XIX, 9.

Vient ensuite le détail des cas nombreux, où il est expressément commandé de faire usage de cette eau bénite. J'en cite un seul. « Quiconque, dit le suprême législateur, aura touché le cadavre d'un homme et n'aura pas eu soin de se purifier par ce mélange, souillera le tabernacle du Seigneur et sera mis à mort. N'ayant pas été purifié par l'eau de l'aspersion, il est immonde (1). »

(1) Omnis qui tetigerit humanæ animæ morticinium et aspersus hac commixtione non fuerit, polluet tabernaculum Domini et peribit ex Israël : quia aqua aspersionis non est aspersus, immundus erit. Num., XIII.

Comme tu vois, l'eau bénite fut connue et employée dans toute l'antiquité judaïque. L'usage n'en fut pas moins universel chez les païens. Ce fait te paraîtra peut-être nouveau, à toi, trois fois docteur ès sciences ; mais à coup sûr il le sera pour tes camarades et pour les dix-neuf vingtièmes des lettrés modernes. Comme élément purificateur des souillures morales et protecteur contre les fléaux et les maladies, l'eau était si constamment employée dans la Cité du bien, que le grand singe de Dieu, Satan, ne pouvait manquer de la contrefaire à son profit. De la sorte il atteignait un double but : il profanait l'eau en la faisant servir à son culte, et il ôtait à la véritable eau bénite le respect et la confiance dont elle est digne.
Le succès dépassa ses espérances. L'usage de son eau lustrale, ou prétendue bénite, devint si commun, que le protestantisme en a pris occasion d'accuser l'Église d'idolâtrie. L'eau bénite de l'Église romaine, a-t-il dit, n'est que l'eau lustrale des païens. Le protestantisme oublie que l'eau bénite est antérieure à l'eau lustrale ; que l'Église n'a fait que continuer, en l'ennoblissant, la tradition mosaïque, et reprendre au paganisme ce qu'il lui avait volé ; enfin, que la Cité du bien ne fut jamais la plagiaire de la Cité du mal. Ce n'est pas la vérité qui emprunte à l'erreur, c'est l'erreur qui s'empare de la vérité et qui la défigure.
J'ai avancé que les païens faisaient, pour se purifier, un usage habituel de leur eau lustrale, contrefaçon de l'eau bénite. Tu me demandes mes preuves : elles sont prêtes. Dans Homère, Hector n'ose faire des libations de vin à Jupiter, parce qu'il n'est pas permis de prier avec des mains ensanglantées. Ajax, Ulysse, Achille, Priam, se lavent les mains avant de répandre du vin en l'honneur du maître des dieux et de lui adresser leurs prières. Pénélope se lave les mains avant de faire sa prière à Pallas, et Télémaque avant de prier Minerve. Si mes citations étaient de l'Écriture ou de quelque auteur chrétien, j'indiquerais le livre et la page ; mais tant d'exactitude me parait inutile avec tes camarades, bacheliers frais émoulus, qui connaissent par coeur leur Iliades et leur Odyssée, et qui seraient peut-être embarrassés de nommer les douze apôtres.
Euripide nous montre Alceste, fille de Pélias, recourant à l'eau lustrale avant d'offrir le dernier sacrifice pour ses enfants (1). Hérodote, parlant des prêtres égyptiens, témoigne de leur religieuse fidélité à cet usage. « Chaque jour, dit-il, ils se purifient dans l'eau froide, trois fois le, jour et deux fois la nuit (2). »
Des Grecs passons aux Romains. Plaute fait dire à Euclion : « Je me laverai afin d'offrir aux dieux mes prières et mes sacrifices (3). » Ovide déclare qu'Alcméon s'est purifié par la vertu et par l'eau (4). Virgile nous apprend qu'on se servait d'eau de rivière ou de fontaine, comme étant la plus pure (5). Aussi Tibulle ajoute que, pour approcher des dieux, il faut avoir purifié ses mains avec de l'eau de fontaine (6).

(1) Alceste, act. I.
(2) Lavantur quotidie frigida, interdiu ter, noctu bis. Histor., lib. II, circ. init.
(3) Nunc lavabo, ut rem divinam faciam. Aulular. act. IV, scen. II.
(4) Metamorph., lib. IX, metamorph. x.
(5) ... Corpus fluviali spargere lympha; Idem ter socios pura circumtulit unda, Spargens rore levi et ramo retentis olivæ. ..Eneid., lib. VI.
(6) Casta placent superis ;pura cum veste venite, Et manibus puris sumite fontis aquam. Lib. II, eleg. I.

Et Perse : « Afin de prier les dieux comme il convient, il faut se laver plusieurs fois la tête même dans le Tibre, et se purifier ainsi des souillures nocturnes (1). »On se lavait aussi les mains et même tout le corps, lorsqu'on voulait expier un meurtre ou se purifier du sang répandu même à la guerre (2).
Afin que la contrefaçon fût complète, on composait cette eau lustrale de sel et de cendres de génisse ou d'autres victimes, et on aspergeait le peuple, les champs et les maisons. Parlant de la lustration qui se faisait à la fête de Palès, déesse des moissons, Ovide ajoute que la plus ancienne des prêtresses brûlait des veaux, afin que la cendre servit à purifier le peuple (3). Cette aspersion, disent les auteurs païens, entre autres Cicéron et Athénée , avait la vertu d'éloigner les fléaux et de purifier les souillures (4).
Tertullien, qui connaissait à fond son paganisme puisqu'il y était né, n'est pas moins explicite. C'était bien de souillures morales, de péchés véritables, et non pas seulement de taches corporelles, que les païens avaient la prétention de se laver avec leur eau lustrale. « Par elle, dit-il, ils croient se régénérer et obtenir l'impunité de leurs parjures. Chez eux, autrefois, quiconque s'était rendu coupable d'homicide, s'en purifiait par l'eau d'expiation (5). »

(1) Hæc sancte ut poscas Tiberino in gurgite mergis, Mane caput bis terque et noctem flumine purgas.Satyr. XI.
(2) Me bello e tanto digressum et cæde recenti, Attrectare nefas donec me flumine vivo Abluero. Æneid., lib., II et Triclin., in Sophocl.
(3) Igne cremat vitulos quæ natu maxima virgo, Luce Pales, populos purget ut ille cinis. Fast., lib., IV.
(4) Aspersione aquæ corpoream talem tolli, castimoniamque præstare. De Leg. , lib. I. - Dipnosophist., lib. IX, c. XVIII. - Puro lustrate domum sulphure primum, deinde sale mixta, ut consuetum est, aspergite pura aqua, Theocrit., Idyll., XXV. Sanguis equi suffimen erit vitulique favilla. Ovid., Fast, lib. IV.
(5) Idque se in regenerationem et impunitatem perjuriorum suorum agere præsumunt. Item pene apud veteres quisquis se homicidio infecerat purgatrice aqua se expiabat. De Baptism., c. v.

II n'y a pas de fait plus connu dans l'histoire : l'homicide lavait sa personne et ses habits sept fois dans l'eau expiatrice. Ainsi on voit recourir à la méme cérémonie Thésée, meurtrier des fils de Pallante ; Apollon lui-même et Diane, après le meurtre de Python, le dieu serpent ; Adraste, après le meurtre involontaire du fils de Crésus (1). « En tout cela, ajoute Tertullien, nous voyons l'empressement du diable à singer les oeuvres de Dieu : Hic quoque studium diaboli recognoscimus res Dei œmulantis.
L'histoire abonde de pareils témoignages. Je couronne ceux que je viens de te citer par un fait demeuré célèbre. Au temps de Julien l'Apostat, les païens continuaient de faire usage de l'eau lustrale, afin de purifier ceux qui entraient dans les temples des idoles. Julien, étant dans les Gaules, se rendit à un de ces temples pour y sacrifier. Un de ses grands officiers, Valentinien, qui fut depuis empereur, l'accompagnait suivant la coutume. A la porte du temple se tenait un prêtre des idoles, avec des branches d'arbrisseaux, trempées dans l'eau lustrale, dont il arrosait, à la manière des païens, ceux qui entraient. Une goutte tomba sur l'habit de Valentinien.
Aussi courageux chrétien que brave guerrier, Valentinien lui dit tout haut en présence de l'empereur et de son cortége : Prends garde à ce que tu fais, misérable : au lieu de me purifier, tu m'as souillé. Prenant alors son épée, il coupe la partie de son habit sur laquelle cette eau est tombée, la jette par terre et la foule aux pieds. L'histoire ajoute, ce qui est d'ailleurs parfaitement croyable, que Julien en fut profondément irrité. Mais, hypocrite, il dissimula sa colère. Seulement, à quelques jours de là, sous prétexte que Valentinien avait négligé de faire exercer les soldats, il le relégua pour toujours à Mélitine en Arménie (2).
Telle est, en traits rapides, l'histoire de l'eau bénite dans l'antiquité. Ma première lettre te la montrera dans les temps évangéliques.

Tout à toi.

(1) Vid. not. Pamelii in Tertull. de Baptism., c. v, not. 35.
(2) Sozom., Hist. eccl., lib. VI, c. VI; Niceph., Hist. eccl., lib. II, c.I.


HUITIÈME LETTRE

Ce 3 octobre.

HISTOIRE DE L'EAU BÉNITE DANS LA NOUVELLE LOI. - LA PREMIÈRE EAU BÉNITE FAITE PAR NOTRE-SEIGNEUR. - L'EAU BÉNITE, INSTITUTION PERMANENTE. - TÉMOIGNAGE DU PAPE SAINT ALEXANDRE. - LA FORMULE DE L'EAU BÉNITE ATTRIBUÉE À SAINT MATTHIEU : PASSAGE DE SAINT CLÉMENT. - TROIS ESPÈCES D'EAU BÉNITE. - L'EAU BÉNITE POUR LA CONSÉCRATION DES ÉGLISES. - ELLE SE COMPOSE D'EAU, DE SEL, DE CENDRE ET DE VIN. - EXPLICATION DE CES QUATRE ÉLÉMENTS.

Tu m'annonces, mon cher ami, que l'histoire de l'eau bénite dans l'antiquité, antérieure à l'Évangile, n'a pas médiocrement étonné tes jeunes camarades. La plupart croyaient l'eau bénite d'institution moderne ; pour les plus forts c'était une superstition originaire du moyen âge. Rien de cela ne m'étonne. Après dix ans d'étude, que savent du christianisme, de son histoire, de ses institutions, de sa liturgie, les générations formées à l'école de la Renaissance ? Rien, rien, rien. Aussi quelle étendue de savoir, quelle vigueur d'intelligence, quelle élévation de pensées, quelle noblesse de sentiments ! Juste ce qu'il en faut pour courir après les places, et pour barboter dans le matérialisme. Revenons à notre histoire. Dans la plénitude des temps et sous l'action personnelle du Verbe incarné, les réalités succèdent aux figures, l'Église à la Synagogue, le peuple chrétien au peuple juif. Après comme avant ce changement radical, l'eau bénite subsiste. Seulement elle participe à l'ennoblissement général de toutes les institutions immortelles de la loi figurative. Elle devient plus sainte et plus efficace. Le premier qui fait de l'eau bénite, c'est le Rédempteur lui-même. Tel est même le premier acte de sa vie publique.
Il descend dans le Jourdain. Au contact de sa personne adorable, l'eau reçoit une bénédiction supérieure à la bénédiction primitive. Celle-ci fit sortir de l'eau le monde matériel ; celle-là en fera sortir le monde moral (1).
L'eau bénite de l'ancienne alliance effaçait les souillures légales ; l'eau bénite de la nouvelle loi efface les souillures de l'âme, les péchés véniels. La raison en est dans la supériorité de la loi de grâce sur la loi de crainte, de la réalité sur la figure. « Eh quoi ! demande saint Paul, si les cendres d'une génisse délayées dans de l'eau et répandues sur les souillés purifient leur chair, combien plus le sang de Jésus-Christ purifiera-t-il notre conscience des oeuvres mortes (2). »

(1)Hoc est quod dicere volunt S. Chrys., in Matth., III;, 13; S. Aug., Serm. XXXVI et XXXVII, De temp. S. Greg. Nazianz., Orat. in S. Nativit., et alii dum aiunt Christum suo baptismo aquas sanctificasse et contactu corporis vim regenerativam eis indidisse, non quasi aquis indiderit qualitatem physicam, sed moralem, quia scilicet tunc ipso facto, ex intentione Christi deputatæ et designatæ sunt aquæ ad sanctificandum homines, abluendos in baptismi sacramento mox a Christo instituendo. Corn. a Lap., in Matth. III, 13
(2)

De même que, dans l'ancienne loi, l'action de Moïse bénissant l'eau afin de sanctifier le peuple juif au pied du Sinaï, devint pour la Synagogue une institution permanente ; de .même, l'action de Notre-Seigneur bénissant l'eau pour sanctifier le peuple chrétien, est devenue, dans l'Église, une institution également permanente. Au second siècle, le Pape saint Alexandre, martyr et cinquième successeur de saint Pierre, parle de l'eau bénite comme d'une chose déjà établie et d'un usage général. Voici les paroles de cet illustre témoin de nos vénérables traditions.
« Nous (nous pape !) bénissons de l'eau mêlée de sel, afin que par l'aspersion de cette eau tous soient sanctifiés et purifiés : ce que nous ordonnons à tous les prêtres de faire également. En effet, si la cendre d'une génisse, mêlée de sang et répandue sur le peuple, le sanctifiait et le purifiait : à combien plus forte raison l'eau mêlée de sel, et consacrée par les divines prières, a-t-elle la vertu de sanctifier et de purifier ?
« Et si le sel répandu dans l'eau par le prophète Élisée en a guéri la stérilité : combien plus le sel consacré par les divines prières est-il plus efficace pour ôter la stérilité aux créatures humaines, sanctifier, guérir, purifier ceux qui sont souillés, multiplier les autres biens, déjouer les piéges du démon, et défendre les hommes de ces fantômes trompeurs ! En effet, si le contact du bord des vêtements du Sauveur suffisait, comme nous n'en pouvons douter, pour guérir les malades : quelle vertu bien plus grande ne tirent pas de ses divines paroles, les éléments, pour guérir le corps et l'âme de la pauvre humanité (1). »

(1) Aquam sale conspersam benedicimus, ut ea cuncti aspersi sanctificentur et purificentur, quod et omnibus sacerdotibus fieri mandamus. Nam si cinis vitulæ sanguine aspersus populum sancticabat atque mundabat, multo magis aqua sale aspersa divinisque precibus sacrata, populum sanctificat atque mundat. Et, si sale asperso per Elizæum prophetam sterilitas aquæ sanata est ; quanto magis divinis precibus sacratus sal sterilitatem rerum aufert humanarum, et coinquinatos sanctificat, atque mundat, et purgat, et cætera bona multiplicat, et insidias diaboli avertit, et a phantasmatum versutiis homines defendit, etc. Epist. I, c. v, in Corpor. jur. canon., dist. III, De consecrat., tit. XX, p. 1282, édit. in-4.

Voilà donc, au second, siècle, c'est-à-dire à une époque où, de l'aveu même des protestants, l'Église romaine était pure de toute superstition et de toute erreur, un vicaire de Jésus-Christ qui fait de l'eau bénite et qui rappelle l'ordre d'en faire, donné à tous les prêtres du monde catholique. Qu'en dis-tu ? N'est-ce pas là, pour l'eau bénite chrétienne, un assez joli quartier de noblesse ? Mais peut-être trouves-tu qu'à la chaîne de la tradition, qui va du pape saint Alexandre à Notre-Seigneur, il manque un anneau. Je vais te le découvrir.
Dans le livre des Constitutions apostoliques, saint Clément, disciple et successeur de saint Pierre, attribue à l'apôtre saint Matthieu lui-même la formule de l'eau bénite. « A l'égard de l'eau et de l'huile, j'établis, moi Matthieu, que l'évêque bénisse l'eau et l'huile. S'il est absent, que ce soit le prêtre en présence d'un diacre. Quand c'est l'évêque, qu'il soit assisté d'un prêtre et d'un diacre, et

Sans hésiter, l'Église catholique attribue au pape saint Alexandre l'institution et l'usage réguliers de l'eau bénite : elle lui en fait un titre de gloire: « Decrevit ut aqua benedicta sale admixta, sacris precibus interpositis, tam in templis quam in cubiculis ad fugandos dœmones perpetuo asservaretur. Brev., Rom., Suppl. 11 mai.
qu'il fasse cette prière : Seigneur des armées, Dieu des vertus, Créateur des eaux et donateur de l'huile, plein de miséricorde pour les hommes, qui avez donné l'eau pour boire et pour purifier, et l'huile pour répandre la joie sur le visage et dans le coeur, vousmême, en ce moment, sanctifiez par Jésus-Christ cette eau et cette huile, au profit de celui ou de celle qui les offre et donnez-leur la vertu de rendre la santé, d'éloigner les maladies, d'expulser les démons et de déjouer toutes leurs ruses : par Jésus-Christ notre espérance, avec lequel à vous gloire et honneur et au Saint-Esprit dans tous les siècles. Amen (1). »

(1) Lib. VIII, c. XXIX. Sur l'autorité des Const. apost., tu peux lire les dissertations placées en tête de l'édition Migne. Tu verras dans celle de Turrianus que ce savant critique confirme le fait en montrant combien il est convenable d'attribuer à S. Matthieu l'institution directe de l'eau bénite. Il venait d'être purifié, et sanctifié par la présence de Notre-Seigneur mangeant à sa table et disant aux pharisiens scandalisés, que les saints n'ont pas besoin de médecin, mais les malades. ldcirco valde accommodate inducta est persona Matthæi publicani, ad tradendam constitutionem sanctificationis aquæ et olei, quibus virtus sanandi morbos et fugandi dœmones, qui sæpe eorum causa sunt, tribuitur. - Le savant archev. de Salerne est du même senti ment. Hydragiol., sect. II, c. II, 175.

Sans doute, l'eau dont il vient d'être question n'est pas composée des mêmes éléments que notre eau bénite ordinaire. Il n'en reste pas moins que, dès le temps des apôtres, on bénissait de l'eau à laquelle on attribuait des vertus surnaturelles. Quant à notre eau bénite, rien ne serait plus facile que de rapporter, en faveur de son origine apostolique et divine, une foule de témoignages, échelonnés sur la route des siècles. J'aime mieux citer des faits. Ces faits sont les divers usages de l'eau bénite chez les premiers chrétiens, tant de l'Orient que de l'Occident. Je le ferai après avoir parlé des différentes espèces d'eau bénite et des éléments qui les composent. Prends patience: tu ne perdras rien pour attendre. Il y a trois espèces d'eau bénite. Comment, me dis-tu, trois espèces d'eau bénite ? Voilà qui est nouveau. Jusqu'ici je n'en ai connu qu'une, et je ne suis pas seul. Je t'avais bien dit que tu ne perdrais rien pour attendre. Oui, mon cher ignorant, nous avons dans le catholicisme trois espèces d'eau bénite : L'eau pour la consécration et la réconciliation des églises ; l'eau baptismale ; l'eau bénite ordinaire. Elles diffèrent entre elles, soit par la nature des éléments dont elles se composent, soit par la bénédiction spéciale donnée à chacune, en vue des usages auxquels cette eau mystérieuse est destinée.
1° L'eau bénite pour la consécration et la réconciliation des églises. Tu sais que la consécration des églises est une des cérémonies les plus imposantes de la religion. Cela doit être ; car elle a pour but d'affecter exclusivement un édifice non à l'habitation d'un empereur, mais au culte de Dieu1. Rien donc n'est plus respectable et ne doit être plus respecté qu'une église. L'église, c'est le ciel sur la terre. Telle est cependant la haine du démon et des hommes, ses esclaves, contre le Verbe incarné, qu'une Église est quelquefois violée. Elle l'est par certains crimes énormes qui peuvent s'y commettre. En voici quelques-uns : l'homicide volontaire, le suicide, l'effusion du sang humain, résultant de blessures graves et volontaires ; la sépulture d'un excommunié dénoncé, ou d'un infidèle ou d'un enfant mort sans baptême (2).
Or, l'eau bénite pour la consécration et la réconciliation des églises doit réunir les conditions suivantes : elle doit être bénite par l'évêque (3), et composée de quatre éléments : l'eau, le sel, la cendre et le vin (4).

(1) Consecratio ecclesiae est dedicatio ejusdem ad cultum divinum speciali ritu facta a legitimo ministro, ad hoc ut populus fidelis opera religionis in ea rite exercere possit. Ferraris, Biblioth., verb. Ecclesia, art. IV, n. 1.
(2) Ibid., n. 45. - L'église polluée, le cimetière adjacent l'est aussi, en sorte qu'on ne peut plus enterrer ni dans ce cimetière ni dans cette église ; ni dire la messe, ni célébrer les offices dans cette église, avant qu'elle ait été réconciliée.
(3) Corp. jur. canon. Decretal., lib. III, tit. XLI, p. 513.
(4) Pontifical. Rom., De Eccles. et cænaet. reconciliat.

Pourquoi ces quatre éléments ? Ici, mon cher Frédéric, j'éprouve les sentiments de l'avare qui, voyant un trésor, ne peut y puiser au gré de ses désirs. Dans le choix de ces quatre éléments, pour l'eau de la consécration, l'Église montre une connaissance si profonde des choses divines et humaines, et des rapports mystérieux qui unissent le monde visible au monde invisible, qu'on est réduit à l'admirer en silence. Cependant, si je brisais ma plume, tu ne serais pas content. Je vais donc la tailler à neuf, et essayer de t'instruire en m'instruisant moi-même.
Pourquoi l'eau ? L'eau, tu le sais, est l'élément purificateur par excellence (1). Par le rôle immense qu'elle joue dans la nature, et que tu connais, se révèle la noblesse de cette créature mystérieuse. Or, le chrétien est le temple vivant de l'auguste Trinité : c'est un de ses plus beaux titres de gloire. Le temple matériel n'est que son image. C'est par l'eau que le temple vivant est formé, purifié, consacré. Quoi de plus naturel que le temple-figure soit formé, purifié, consacré par le même élément ? Bien mal doué d'esprit et de coeur, l'homme qui ne verrait pas, qui n'admirerait pas ici une de ces belles harmonies, si fréquentes dans les œuvres de Dieu et dans les institutions de l'Église.

(1) Nullum esse elementum aliud, quo in hoc mundo purget universa ac vivificet cuncta quam aquam. Raban. Matiras, In Instit. cleric., lib. II, c. LV.

Pourquoi le sel ? Je te dirai peu de chose aujourd'hui de ce nouvel élément. L'occasion d'en parler avec détail viendra lorsque nous expliquerons l'eau bénite ordinaire. Donner de la saveur aux aliments, figure parmi les propriétés les plus incontestables du sel.
Si riche d'or et de marbre qu'elle soit, si artistement travaillée que tu la supposes, une église non consacrée n'est aux yeux de Dieu qu'un édifice comme un autre. Là, rien qui attire un regard particulier de complaisance, de la part du Très-Haut. Profanée, elle devient un tas de pierres souillées qui provoque sa colère.
Si tu avais eu à symboliser le plaisir que Dieu prend à habiter dans nos temples, plaisir analogues celui qu'on éprouve en mangeant un aliment dont le sel a corrigé la fadeur, quel élément aurais-tu choisi ? Pour moi, j'aurais choisi le sel; si tu en trouves un meilleur, tu me le diras. En attendant, je soutiens que l'Église se connaît en symbolisme, un peu mieux que notre siècle ne se connaît en civilisation et en liberté.
Pourquoi la cendre ? Chez tous les peuples, la cendre fut le symbole énergique de la douleur et de l'humilité. Job raconte ses malheurs : « Hier opulent, aujourd'hui réduit en poussière. II m'a saisi par la tête, il m'a brisé, il m'a pris pour sa cible, il m'a criblé de blessures, il a fondu sur moi, comme un géant1. » Afin de symboliser cette douleur incomparable, que fait Job ? « J'ai cousu un sac sur ma peau, et j'ai couvert ma chair de cendres (2). » Peutêtre lui est-il échappé contre Dieu quelques paroles inconsidérées. Il s'en fait un reproche et il s'humilie en se couvrant de cendre et de poussière (3).
Comme un ouragan dévastateur, Holopherne, à la tète de son armée, approche de la Palestine. Au lieu d'appeler et de courir aux armes, que font les prêtres du Seigneur ? Ils se couvrent la tète de cendre ; et sous cet emblème de l'humilité, ils offrent des holocaustes au Dieu d'Israël. Holopherne déploie ses bataillons devant Béthulie. Que font tous les habitants ? Ils se prosternent la face contre terre et répandent de la cendre sur leurs têtes. Que fait Judith elle-même, l'héroïne de Béthulie et la future libératrice de son peuple ? Elle entre dans son oratoire, se revêt d'un cilice, répand de la cendre sur sa tête et en cet état se prosterne devant Dieu (4).
Par la perfidie d'Aman, tout le peuple juif est condamné à l'extermination. A cette nouvelle, qui lui brise le coeur, Mardochée se couvre la tête de cendres et fait pénétrer ses gémissements jusque ans le palais d'Assuérus (5). Les valeureux soldats de Judas Machabée se voient tour à tour en présence des armées formidables d'Antiochus, ou en face des ruines que ces païens ont faites à Jérusalem et dans la Palestine. A ce double spectacle, ils déchirent leurs vêtements et se couvrent la tête de cendre (6).

(1) Job, XVI, 13, etc.
(2) Ibid.
(3) Ibid., XLII. 6.
(4) Judith, VI, 16 ; VII, 4 ; IX, 1
(5) Esth., IV, 1.
(6) Mach., III, 47.

Pour abréger, le roi de Ninive, menacé de périr avec tout son peuple, demande grâce. Afin de l'obtenir, il déchire ses vêtements et, au lieu de trône, s'assied dans la cendre (1) .
Tu sauras, mon cher ami, que je n'ai pas trouvé dans l'Écriture une seule circonstance, où l'homme, s'humiliant dans la cendre, ne soit exaucé. D'où vient cela ? Je vais te le dire. En se couvrant de cendre, l'homme se place dans son véritable rapport avec Dieu ; il se met dans la vérité. Avec Abraham, il se définit lui-même et s'appelle, ce qu'il est en réalité, cendre et poussière (2). Ainsi, est éloigné le plus grand répulsif de la grâce, l'orgueil. L'amour paternel de Dieu, ne trouvant plus d'obstacle, s'épanche sur l'homme en miracles de pardon, de courage, de délivrance, suivant le besoin pour lequel il est invoqué.

(1) Jon., III, 6.
(2) Omnes homine terra et cinis. Eccli., XVII, 31.

Ai-je besoin de te rappeler que l'Église, fidèle gardienne des traditions universelles, a retenu cette salutaire pratique ? Lorsqu'elle ouvre la carrière de la pénitence, en répandant de la cendre sur la tête de ses enfants, elle perpétue un usage que son antiquité, sa haute éloquence et son efficacité rendent également vénérable.
Elle le perpétue d'une manière plus éloquente encore, lorsqu'elle mêle de la cendre à l'eau de la consécration. Ici, cette cendre symbolise, non l'humilité d'un homme ordinaire ou d'un peuple, mais l'humilité de l'homme-Dieu, du représentant de l'humanité tout entière ; humilité sanctifiante et réparatrice, qu'il a poussée jusqu'à l'anéantissement de lui-même, exinanivit semetipsum. Je te demande, mon cher ami, quelle puissance doit avoir sur le coeur du Père des miséricordes, cette cendre, symbole de son Fils incarné, son égal, volontairement devenu cendre ?
Pourquoi le vin ? Si dans l'eau de la consécration la cendre représente l'humanité du Verbe, le vin, symbole de joie, de force et de vie, représente sa divinité. Il est là pour dire que, par sa divinité, le Verbe réparateur communique à l'eau, au sel, à la cendre, la vertu surnaturelle de sanctifier ce qui était profane, de purifier ce qui était souillé.
Que le vin soit le symbole de la Divinité et de son action également puissante et salutaire, la preuve en est que le vin opère sur le corps ce que Dieu même opère dans l'âme. Suivant Varron, vin vient de force : Vinum a vi dictum. Représentant de la force par excellence, « le vin, dit saint Chrysostome, donne de l'énergie à l'estomac, il répare les forces, il bannit la tristesse, il répand la joie, il entretient l'amitié. C'est pour cela qu'il a été créé, et non pour l'ivrognerie (1).» Or, qui fait tout cela dans l'ordre moral ? Dieu et Dieu seul.
« Le vin, ajoute un admirable commentateur, a été donné aux hommes pour remplacer l'arbre de vie. Il est l'image du Verbe incarné. De même que dans le bois de la vigne, bois faible et méprisé, se trouve un suc d'une puissance extrême et d'une bonté ravissante ; de même dans l'humanité de Notre-Seigneur habite la plénitude de la Divinité, principe de vie qui a enivré le monde de sa puissante vertu (2).

(1) Homil. de Castitate; et Eccli., XXXI, 35.
(2) Vinum pro ligno vitae hominibus datum est, ut cor exhilaret, spiritum reficiat, mentem excitet, vitam foveat, et sicut in vite, id est, ligno vili et despecto, ictus est succus efficacissimus et optimus : ita et in Ecclesia est gratia Christi, quæ per viles et pauperes apostolos, totum mundum inebriavit sua efficacia. Ad hæc, hoc vinum germinat virgines, scilicet purissimas et immortales : virgo enim semper virens symbolum est immortalitatis. Corn. a Lap., in Ezech., xv, 2. - Vinum ita vires hominis reficit et recreat, ut non tantum lac senum, sed lignum vitæ, imo vita hominis dici possit. Id., In Osee, x, 1.

Telles sont les raisons des quatre éléments employés dans l'eau bénite pour la consécration et la réconciliation des églises. Sans plus de détail, ces courtes explications suffisent pour te confirmer dans la pensée que l'Église, ta mère et la mienne, ne fait rien sans bons motifs ; que son culte est le plus riche symbolisme qui ait jamais existé, et que les critiques dont il peut être l'objet prouvent mathématiquement l'ignorance de ceux qui les font.
Au reste, tout ce que je viens de dire des éléments de la première espèce d'eau bénite, est nettement exprimé dans les magnifiques prières de l'Église. Richesse de fond et beauté de forme, tout se réunit dans ces chefs-d'oeuvre liturgiques, qu'une éducation absurde prend à tâche d'ensevelir dans un coupable oubli.
Là, sont rappelées les vérités fondamentales de l'histoire du genre humain: la chute et la réhabilitation ; les miracles dont l'eau a été, depuis l'origine du monde, l'instrument préféré, dans l'ordre moral comme dans l'ordre physique. Tout cela est dit dans un langage si gracieux, si poétique, si harmonieux, si transparent, qu'il fait pâlir les passages les plus vantés des littérateurs profanes. Je t'envoie le texte de cette prière (1), pour l'instruction de ceux qui osent dire que le latin de l'Église est un latin de cuisine. Les malheureux !

Tout à toi.

(1) Sanctificare per verbum Dei, unda cœlestis, sanctificare, aqua calcata Christi vestigiis; quæ montibus pressa non clauderis; quæ scopulis illisa non frangeris; quæ terris diffusa non deficis. Tu sustines aridam, tu portas montium pondera, nec demergeris ; tu cœlorum vertice contineris ; tu circumfusa per totum lavas omnia, nec lavaris.
Tu fugientibus populis Hebræorum in molem durata constricta es; tu rursum falsis resoluta vorticibus Nili accolas perdis, et hostilem globum freto sæviente persequeris : una eademque es salus fidelibus, et ultio criminosis.
Te per Moysen percussa rupes evomuit, neque abdita cautibus latere potuisti, cum majestatis imperio jussa prodires : tu gestata nubibus imbre jucundo arva fœcundas.
Per te aridis æstu corporibus, dulcis ad gratiam, salutaris ad vitam potus infunditur.
Tu intimis scaturiens venis, aut spiritum inclusa vitalem, aut succum fertilem præstas, ne siccatia exinanita visceribus solemnes neget terra proventus. Per te initium, per te finis exultat ; vel potius ex Deo est, tuum ut terminum nesciamus ; aut tuorum, omnipotens Deus, cujus virtutum non nescii, dum aquarum merita promimus, operum insignia prædicamus.
Tu benedictionis auctor, tu salutis origo : te suppliciter deprecamur ac quæsumus, ut imbrem gratiæ tuæ super hanc domum cum abundantia tuæ benedictionis infundas; bona omnia largiaris ; prospera tribuas; adversa repellas; malorum facinorum dæmonem destruas ; angelum lucis amicum, bonorum provisorem defensoremque constituas. Domum in tuo nomine cœptam, te adjutore perfectam, benedictio tua in longuet mansuram confirmet. Pontif. Rom., De Consecrat. eccl.


NEUVIÈME LETTRE

Ce 5 octobre.

SECONDE ESPÈCE D'EAU BÉNITE : L'EAU BAPTISMALE. - ÉLÉMENTS DE L'EAU BAPTISMALE : L'EAU, L'HUILE DES CATÉCHUMÈNES, LE SAINT-CHRÊME. - L'EAU : BELLE HARMONIE ENTRE LA CRÉATION DU MONDE ET LA CRÉATION DU CHRÉTIEN. - RAPPORTS DE L'EAU BAPTISMALE AVEC LA SAINTE VIERGE. - RESPECT DES SIÈCLES CHRÉTIENS POUR L'EAU BAPTISMALE. - MANIÈRE DONT ON LA BÉNIT. - CIERGE ALLUMÉ. - L'HUILE DES CATÉCHUMÈNES. - HUILE D'OLIVIER ET NON DE PIERRE. - UN MOT SUR L'HUILE DE PÉTROLE. - EXPLICATION DU MOT CATÉCHUMÈNE. - PROPRIÉTÉS DE L'HUILE.

On vient de m'apporter ta lettre, mon cher ami. « J'ai voulu, me dis-tu, lire de suite la prière Sanctificare, et vingt fois j'ai répété : Les malheureux ! Ils blasphèment ce qu'ils ignorent. Mes pauvres camarades raisonnent de la langue latine de l'Église, comme on a raisonné en Europe, pendant deux cent cinquante ans, de l'architecture chrétienne. Qui brisera la croûte de préjugés qui les aveugle ? Oh ! s'ils voulaient...»

Espérons que la vérité se fera jour. En attendant, continuons notre étude.
La seconde espèce d'eau bénite, c'est l'eau baptismale. Il y a dans le monde catholique deux jours, grands entre tous. Le premier est le jour de Pâques, immortel anniversaire de la résurrection du Verbe incarné. Le second est le jour de la Pentecôte, anniversaire non moins mémorable de la régénération du monde par le Saint-Esprit. Dès les premiers siècles, ces deux jours furent choisis pour l'administration solennelle du baptême (1).

(1) En voici les raisons dans Tertullien : Diem baptismo solemniorem Pascha præstat, cum et Passio Domini in qua tingimur, adimpleta est. Nec incongruenter ad figuram interpretabitur, quod cum ultimum pascha Dominus esset acturus, missi, discipulis ad præparandum : Inveniets, iniquit, hominem aquam bajulantem, paschæ celebranda locum de signo aquæ ostendit. Exinde Pentecoste ordinandis lavacris latissimum spatium est, quo et Domini resurrectio inter discipulos frequentata est, et gratia Sancti Spiritus dedicata, et spes adventus Domini subostensa, quod tunc in cœlos recuperato eo, angeli ad apostolos dixerunt sic venturum quemadmodum et in cœlos conscendit, utique in Pentecoste. Sed enim Jeremias cum dicit, Et congregabo illos ab extremis terræ in die festo, Paschæ diem significat et Pentecostes, qui est proprie dies festus. Cæterum omnis dies Domini est, omnis hora, omne tempus habile baptismo : si de solemnitate interest, de gratia nihil refert. De Rapt., c. XIX.

Comme élément de l'acte mystérieux qui donne à l'homme la vie divine, l'Église consacra, elle consacre encore une eau particulière : on l'appelle l'eau baptismale. Trois choses la composent : l'eau, l'huile des catéchumènes et le saint chrême. Pourquoi ces éléments et non pas d'autres ?

1° L'eau. Ici éclate une de ces belles harmonies dont nous avons déjà parlé. Le monde primitif est sorti de l'eau ; le monde régénéré sort aussi de l'eau. Planant sur les eaux de l'abîme, le Saint-Esprit en tira toutes les créatures que nous voyons; planant de nouveau sur les eaux du baptême, il en tire les nations chrétiennes, l'élite de l'humanité. Cette glorieuse destinée de l'eau est magnifiquement rappelée dans la préface que le prêtre chante auprès des fonts baptismaux, le samedi saint et la veille de la Pentecôte.
Afin de communiquer à l'eau la vertu d'engendrer des enfants de Dieu, il s'adresse au Père éternel, principe de toute paternité. « Que par les ordres de Votre suprême Majesté, lui dit-il, cette eau reçoive la grâce régénératrice du Verbe, sous l'influence du SaintEsprit. » A ces mots, il plonge la main dans l'eau et la divise en forme de croix. Ouvert par la toute-puissance de l'arbre Rédempteur, le sein de l'eau reçoit le Saint-Esprit qui la sanctifie et la féconde.
« Loin donc de cette eau, s'écrie le ministre de Celui qui peut tout, bien loin toute espèce d'esprit immonde ; loin toute fraude diabolique. Qu'aucune puissance ennemie n'essaye de corrompre cette eau, soit en voltigeant autour d'elle, soit en l'attaquant secrètement, soit en répandant contre elle son souffle empesté. »
Avant de continuer, remarque avec moi les rapports de l'eau baptismale avec la sainte Vierge. Comme Marie, il faut que l'eau baptismale soit vierge, c'est-à-dire sans aucun mélange artificiel d'éléments étrangers. Comme Marie, il faut qu'elle soit sanctifiée par la sainte Trinité, c'est-à-dire soustraite à toutes les influences du démon et dotée de propriétés supérieures à sa nature. Comme Marie, il faut qu'elle soit fécondée par le Saint-Esprit. Ces conditions remplies, l'eau baptismale enfantera les frères du Verbe incarné, comme Marie enfanta le Verbe lui-même.
Aussi, de quel aspect les siècles chrétiens ont entouré l'eau baptismale ! C'est pour conserver dignement cette eau divinement maternelle, que furent construits les superbes baptistères de Pise, de Florence, de Rome, et tant d'autres : chefs-d'oeuvre d'art dont les chrétiens justifiaient la magnificence, par l'inscription en grandes lettres d'or, gravée au frontispice de ces monuments : Hic renascimur ad immortalitatem : ICI NOUS RENAISSONS À L'IMMORTALITÉ.
Cependant le prêtre prend possession de l'eau. Au nom de la sainte Trinité il la bénit, la divise et la répand aux quatre points du ciel. Puis, lui rappelant les grandes merveilles dont elle fut l'instrument, il lui prouve qu'elle peut et qu'elle va l'être d'une plus grande encore.
« Je te bénis, dit-il, créature d'eau, au nom du Dieu vivant qui, de la source du Paradis, te fit couler en quatre grands fleuves pour arroser toute la terre. Qui, dans le désert, d'amère te rendit miraculeusement douce, et qui te fit jaillir d'un rocher pour étancher la soif du peuple. Je te bénis par Jésus-Christ son Fils unique, qui, à Cana de Galilée, par un miracle de sa puissance, te changea en vin; qui marcha sur toi et qui, par les mains de Jean-Baptiste, fut baptisé par toi dans le Jourdain ; qui avec son sang te laissa sortir de son côté et ordonna à ses apôtres de baptiser par toi ceux qui croiront en lui.»
Afin qu'elle soit capable de produire ce dernier miracle, le plus grand de tous, le prêtre souffle trois fois sur l'eau, en formant le signe de la croix et en disant à Dieu: « Bénissez de votre bouche ces eaux élémentaires, afin qu'à la propriété naturelle de laver les corps, elles ajoutent la vertu de purifier les âmes. »

D'où lui viendra cette vertu surnaturelle ? Du Saint-Esprit. Le prêtre le proclame par une éloquente cérémonie. Un cierge vient d'être allumé d'un feu nouveau. Il est l'emblème du Saint-Esprit qui, après être descendu sur la Vierge mère, descendit sur NotreSeigneur en forme de colombe et sur les apôtres en forme de langues de feu.
Le prêtre le plonge trois fois dans l'eau baptismale en chantant : « Que la vertu du Saint-Esprit descende dans la
plénitude de cette fontaine et féconde toute la substance de cette eau pour la régénération. Qu'ici disparaissent toutes les tâches du péché; qu'ici la nature créée à votre image et reformée à la ressemblance de son auteur, soit purifiée de toutes les antiques souillures, et que tout homme recevant ce sacrement de régénération, renaisse à une nouvelle enfance, ornée de toutes les grâces de la vertu. (1) »

(1) Pour toutes ces citations, voir Missale Rom., Sabb

De cette eau sainte on remplit les fonts baptismaux, après quoi on y ajoute de l'huile des catéchumènes et du saint chrême.
2° L'huile des catéchumènes. Voici le second élément de l'eau baptismale. Qu'est-ce que l'huile des catéchumènes, d'où lui vient ce nom et pourquoi est-elle employée dans l'eau du baptême ? Si tous les lettrés, fonctionnaires et journalistes qui prétendent diriger le monde, étaient obligés, sous peine de destitution, de répondre immédiatement à ces trois questions, vingt sur mille resteraient-ils en place ? on peut en douter. C'est une gageure que tu peux soutenir.
Tu peux soutenir encore qu'à leurs yeux une pareille ignorance n'est pas une honte. En effet, il ne s'agit que des éléments mystérieux qui concourent à la plus grande des merveilles, comme au plus grand des bienfaits, la régénération de l'homme déchu. Ah ! s'il était question de procédés chimiques pour fabriquer de l'engrais artificiel !

Quoi qu'il en soit, l'huile des catéchumènes est de l'huile d'olive, bénite par l'évêque, le jeudi saint. Il est de rigueur qu'elle provienne de l'olivier, et non d'un végétal quelconque ou d'une pierre. Oui, d'une pierre ; car la pierre donne de l'huile. A ce propos, laisse-moi placer ici un mot sur l'huile de pierre, appelée Pétrole, et dont l'usage commence à se répandre dans l'ancien et le nouveau monde.
Si tu avais vécu au dix-huitième siècle, qui déjà s'intitulait le siècle des lumières, tu aurais entendu les éclats de rire universels, provoqués par le savant M. de Voltaire, aux dépens de la Bible. Ne dit-elle pas que dans la terre promise les juifs feraient usage d'huile de pierre et même de pierre très-dure, oleum saxo de durissimo (1) ? Là-dessus, mille quolibets de meilleur goût les uns que les autres. Que penser d'un livre qui contient de pareilles absurdités ? que dire d'un peuple qui les croit ? Les récits bibliques sont au moins des contes des Mille et une Nuits. Les juifs et les chrétiens qui les acceptent sont une race voisine du crétinisme. Voilà ce que tu aurais entendu.

(1) Deuter., XXIII,13.

Or, tu connais l'adage : rira bien qui rira le dernier. Où sont aujourd'hui les crétins ? L'huile de pétrole est là pour éclairer le visage grimaçant de Voltaire ; comme la licorne , dont il s'est tant moqué, est là pour lui donner, avec son arme redoutable, la preuve sensible qu'il n'était, comme tous les incrédules, qu'un orgueilleux ignorant.
L'huile employée dans l'eau baptismale est l'huile des catéchumènes. Le mot catéchumènes veut dire Catéchisés, et le mot "catéchisés" veut dire personnes enseignées de vive voix et non par écrit.
Dans ce mot est une des belles pages de notre antiquité catholique. Tu sais que les patriarches enseignaient de vive voix à leurs enfants les vérités qu'ils avaient apprises de leurs pères. Te figures-tu Noé, Abraham, Jacob, assis sous un chêne séculaire, ou dans leur tente, environnés de leurs nombreuses familles et racontant avec la double autorité de l'âge et de la paternité, les grands faits de la création, de la chute de l'homme, de la rédemption promise ; les miracles éclatants opérés en faveur du peuple choisi ; les magnifiques promesses faites à sa fidélité ? c'était le catéchuménat de l'ancienne loi.
Plus solennel et plus touchant est le spectacle que présentait, aux premiers siècles de l'Église, l'instruction des catéchumènes. La plupart étaient des païens qui, touchés de la grâce, demandaient à devenir chrétiens. La prudence ne permettait pas de leur remettre nos dogmes par écrit. On se contentait de leur enseigner de vive voix, ce qu'ils devaient savoir pour être admis au baptême. De là leur nom de catéchumènes.
Vois-tu dans une grotte des catacombes, faiblement éclairée par de pauvres lampes en terre cuite, un évêque ou un prêtre aux cheveux blancs, souvent couvert des glorieux stigmates du martyre, entouré de futurs chrétiens, avides de connaître une doctrine, dont la profession publique devait presque toujours entraîner le perte de leurs biens, la rupture de leurs relations de famille et finir par les conduire à la mort ? Comprends-tu maintenant pourquoi le mélange de l'huile des catéchumènes dans l'eau baptismale ?
Guérir, éclairer, adoucir et fortifier, sont des propriétés de l'huile. Si l'Église la mêle à l'eau du baptême, si elle en fait des onctions sur la poitrine et les épaules du catéchumène et de l'enfant, elle leur dit : la grâce, dont cette huile est le symbole, va guérir votre âme de la maladie du péché; elle va éclairer votre entendement, adoucir, avec votre caractère, la croix que vous aurez à porter et fortifier votre courage. Athlètes de la vertu, candidats du ciel, je fais pour vous ce que les combattants aux Jeux Olympiques avaient soin de faire pour se préparer à la lutte.
Frères du Verbe incarné, appelé tour à tour agneau de Dieu et lion de la tribu de Juda, vous devez perpétuer ce double caractère. Où trouver des leçons plus éloquentes et plus utiles (1) ? Il me reste à parler du saint chrême, mais j'ai tant de choses à dire de ce troisième élément de l'eau baptismale, que mes explications formeront le sujet d'une nouvelle lettre. Si la petite poste, qui fait son service en poste, est fidèle à son poste, tu la recevras demain.

Tout à toi.

(1) Voir Durand, Rational., lib. VI, c. XLIV, et Pontifical, rom., in feria quinta, etc.


DIXIÈME LETTRE

Ce 6 octobre.

REMARQUABLE CONDUITE DE L'ÉGLISE DANS LE CHOIX DES ÉLÉMENTS DE SES BÉNÉDICTIONS. - LE SAINT CHRÊME, TROISIÈME ÉLÉMENT DE L'EAU BAPTISMALE. - L'HUILE, PREMIER ÉLÉMENT DU SAINT CHRÊME. - SES PROPRIÉTÉS NATURELLES ET FIGURATIVES. - CE QU'EST LE SAINT CHRÊME. - SA SAINTETÉ, SON ANTIQUITÉ. - LE BAUME, ROI DES PARFUMS. - PASSAGES DE PLINE ET DE MARTIAL. - LE BAUME, PRODUIT EXCLUSIF DE LA JUDÉE. - TRANSPORTÉ EN ÉGYPTE PAR CLÉOPÂTRE. - JARDIN OÙ IL ÉTAIT CULTIVÉ. - TÉMOIGNAGES DE PLUSIEURS TÉMOINS OCULAIRES. - BAUME DE DIFFÉRENTS PAYS.

As-tu remarqué, mon cher Frédéric, la conduite de l'Église dans le choix des éléments de ses bénédictions ? Pour moi, j'en suis frappé. Elle ne prend pas les premiers venus. Sa préférence se fixe invariablement sur les plus énergiques, comme la cendre ; sur les plus connus, les plus utiles et les plus nobles, comme l'eau, le sel, le vin et l'huile. Cela seul suffirait pour me révéler l'esprit supérieur qui la dirige. D'une part, je vois la dignité avec laquelle l'Église agit en toutes choses ; d'autre part, j'admire sa profonde connaissance de la destinée du monde physique.
Qu'est-ce que le monde physique ? Un vaste miroir, dans lequel se réfléchissent les réalités du monde invisible. De ce miroir, l'Église détache quelques-unes des portions les plus translucides : je veux dire qu'elle prend pour ses divines opérations, les éléments dont les qualités natives nous aident le mieux à comprendre les propriétés surnaturelles que la bénédiction leur confère. Tu l'as vu dans les éléments expliqués jusqu'ici; tu le verras plus clairement encore dans le saint Chrême, dont je vais te parler.
3° Le saint Chrême : tel est le troisième élément de l'eau baptismale. Qu'est-ce que le saint Chrême en lui-même et comme symbole ? Le saint Chrême est un composé d'huile d'olive et de baume bénit par l'évêque le Jeudi Saint. Il est bénit ce jour-là, deux jours avant Pâques, en mémoire de l'action de la Madeleine. Ainsi, l'ont réglé les apôtres eux-mêmes (1).
Pourquoi de l'huile et qu'a-t-elle à faire dans la composition du saint Chrême ? Dès l'origine des temps, on trouve l'huile employée dans les choses religieuses. Ainsi, Jacob, après sa célèbre vision, va chercher de l'huile à la prochaine ville de Luza et la verse, en signe de consécration, sur la pierre où il avait dormi (2). Constamment Moïse se sert et ordonne de se servir de ce noble élément, dans les cérémonies de la loi figurative. Fidèle à cette tradition, qui suppose évidemment une révélation primitive, l'Église a toujours fait usage de l'huile dans ses rites vénérables. Elle s'en sert pour consacrer ses temples, ses autels, ses pontifes, ses prêtres et ses enfants.

(1) Fabianus enim papa statuit hac die singulis annis debere confici chrisma... Hæc enim ab apostolis et eorum successoribus accepit, a cunctisque tenenda mandavit. Durand., in V fer. consecrat. olei, etc.
(2) Gen., XXVIII, 18.

Pourquoi cela ? Parce que l'huile est un symbole éloquent des choses invisibles. Entre toutes celles que l'huile représente au baptême, c'est la grâce. Tu sais que la grâce est ce principe, ou cet élément divin qui transforme l'homme en Dieu. Dans le baptême s'accomplit ce mystère. Or, l'huile éclaire : ainsi de la grâce. Elle est le flambeau de l'humanité, témoin l'histoire ancienne, témoin la mappemonde moderne.
L'huile assaisonne les aliments et les rend agréables au goût : ainsi de la grâce. Sans elle, le monde surnaturel avec tous ses biens devient pour l'homme, quel qu'il soit, comme la manne pour le Juif stupide, un objet d'indifférence et de dégoût, dont la seule pensée lui fait pousser le cri honteux : Donnez-nous des oignons.
Quel que soit le liquide avec lequel on la met en contact, l'huile surnage : ainsi de la grâce. Ce merveilleux élément fait surnager le chrétien au-dessus de toutes les choses terrestres. Soutenu par les trois nobles filles de la grâce, la Foi, l'Espérance et la Charité, il use de ce bas monde comme n'en usant pas, et s'avance à tire-d'aile vers le monde supérieur de l'éternité. Dans cette huile que sa légèreté tient sur l'eau, vois encore l'auteur même de la grâce, le Saint-Esprit planant sur les eaux, pour les féconder : la Divinité supérieure à l'humanité, unie à elle et non mêlée.
L'huile guérit les plaies, adoucit les douleurs : ainsi de la grâce. Qui a guéri les ulcères du grand Lazare qu'on appelle le genre humain ? qui adoucit les douleurs de l'exil, allége le fardeau de la vie, et au désespoir substitue la confiance filiale; au blasphème la douce résignation (1) ?

(1) Omni oleo, dit Pline, mollitur corpus, vigorem et robur accipit. Venena omnia hebetat et lassitudinum perfectionumque refectio est : tormina calidum potum pellit, item ventris animalia ; vulnerariis emplastris utile ; faciem purgat… lethargicis auxilia, capitis doloribus remedium , item ardoribus in febri, Hist., lib. XXIII, c. IV.

L'huile dilate et réjouit : ainsi de la grâce. C'est elle qui dilate le cœur des vrais chrétiens, au point de leur faire épouser toutes les misères humaines en allant, s'il le faut, les chercher jusqu'au bout du monde. C'est elle qui leur fait éprouver ce bien-être intérieur, supérieur à toutes les joies humaines, légitimes ou coupables : pax Dei quæ exsuperat omnem sensum.
L'huile fortifie : ainsi de la grâce. Allez aux combats de la vertu sans la grâce; et vous en reviendrez, si vous en revenez, blessés, mutilés, honteusement déformés.
L'huile rend glissants les corps qui en sont frottés : ainsi de la grâce à l'égard des âmes. Elle les rend douces, miséricordieuses et disposées à laisser couler, sur les autres, les bonnes paroles et les bienfaits.
L'huile apaise les eaux agitées ; et depuis Noé jusqu'à nous, l'olivier n'a pas cessé d'être, chez tous les peuples, le symbole de la paix, demandée ou obtenue : ainsi de la grâce. Qui a réconcilié l'homme avec Dieu ? qui réconcilie l'homme avec lui-même et avec ses semblables ? La grâce et la charité, fille de la grâce.

Demande, cher ami, à tes savants camarades et même à tes savants professeurs, si, ayant à symboliser la grâce, ils connaîtraient quelque chose de mieux que l'huile des catéchumènes ?

De ces propriétés figuratives, connues par la tradition, était venu chez les païens le respect religieux de l'huile et de l'olivier, et l'usage que le démon en faisait faire dans ses rites coupables, afin de se donner pour l'auteur de la grâce. « Une loi très ancienne, dit Pline, défendait de blesser ou même de frapper l'olivier (1). » Il ajoute : « La majesté romaine rend un grand honneur à l'olivier, en s'en servant pour couronner, aux ides de juillet, les corps de cavalerie, ainsi que les généraux qui jouissent de l'ovation. C'était aussi d'olivier qu'Athènes couronnait les vainqueurs. (2) »
De son côté, le grand singe de Dieu, Satan, ne pouvait manquer de s'emparer de l'huile et d'en contrefaire l'usage à son profit. C'est lui-même qui, abusant du fait de Jacob consacrant avec de l'huile la pierre du désert, persuada aux peuples païens de consacrer avec le même élément les pierres ou dieux Termes.
C'est lui qui leur enseigna à exécuter leurs danses sacrées, la tête couronnée d'olivier. C'est lui qui leur inspira de consacrer l'olivier à un de ses démons nommé Minerve, prétendue divinité pudique et protectrice de la pudeur. C'est lui qui, poussant la parodie jusqu'au bout, voulut que l'olivier fût planté et son fruit recueilli par des enfants purs et des vierges sans tache (3).

(1) Olivantibus lex antiquissima fuit oleum ne stringito neve verberato. Lib. XV, c. II.
(2) Oleæ honorem Romana majestas magnum prærbuit, turmas equitum, idibus Juliis, ex ea coronando ; ita minoribus triumphis ovantes ; Athenæ quoque victores olea coronabant. Hist., lib., XV, c. IV.
(3) Unde et dæmon, quasi Dei simia, hanc unctionem in suis sacris imitatus est, quando suis persuasit lapides Terminos inungere et consecrare, etc. S. Aug., De Civ. Dei, lib. XVI, c. XXXVI, n. 2. Græci enim jubent olivam, cum plantatur et legitur, a mundis pueris atque virginibus operandam. Rutil. Taurus, apud Pierium, Hieroglyph., lib. LIII, c. XVI.

Le premier élément du saint Chrême, l'huile, t'est connu. Quant au mot chrême, il veut dire onction, parfum avec lequel on fait des onctions. Le chrême est appelé saint à cause de la bénédiction qui le consacre au culte de Dieu : rien n'est plus vénérable. Il représente le Christ lui-même, le Verbe incarné, venant en personne sanctifier l'eau baptismale, comme il sanctifia l'eau du Jourdain (1). Tu verras bientôt avec quelle perfection inimitable les éléments dont il se compose expriment cette haute signification.
En attendant, je vais te faire dire, par un Père de l'Église, quelle idée nous devons avoir de la sainteté et de la vertu du saint Chrême. « Ne vous imaginez pas, écrit saint Cyrille de Jérusalem, que ce parfum soit une chose commune. De même que le pain de l'Eucharistie, après l'invocation du Saint-Esprit, n'est plus un pain ordinaire, mais le corps de Jésus-Christ ; de même, le saint parfum n'est plus quelque chose de simple, ou, si vous voulez, de profane, mais un don de Jésus-Christ et du Saint-Esprit, devenu efficace par la présence de la Divinité. (2) »
Un autre titre du saint Chrême à la vénération de tout homme qui ne fait pas profession de la religion du mépris à outrance, c'est son antiquité. Le saint Chrême ne remonte pas seulement aux apôtres (3) : son origine se perd dans la nuit des temps, et son usage religieux vient d'une révélation divine.
Lorsqu'il voulut avoir parmi les hommes un tabernacle permanent et un sacerdoce régulier, Dieu appela Moïse et lui dit : «Tu prendras les aromates les plus précieux que tu mêleras avec de l'huile d'olive, et tu en feras un parfum exquis et qui sera saint. Tu en oindras le tabernacle du témoignage, et l'arche d'alliance, Aaron et ses fils, et tu les sanctifieras, afin qu'ils puissent exercer les fonctions de mon sacerdoce (4). »

(1) Chrisma est Christus. Durand., Rational., lib. VI, c. LXXXII, in Sabb. S. - Ampulla Christus est, vel ampulla cum chrismate corpus Domini ex Virgine assumptum cum divinitate. Ibid., In Feria quinta ; et S. Optat., lib. VII, de Schism., etc.
(2) Catech., myst. de Confirm.
(3) S. Cyp., Epist. LXX ; S. Basile, De Spirit., c. XVII. Durand., Rationat. in feria V, Consecrat. chrismat.
(4) Exod., XXX, 25, 30.

Le second élément du saint Chrême, c'est le baume. En voici la nature, les propriétés et l'intéressante histoire. Le baume est le roi des parfums. Païen, juif ou chrétien, depuis qu'il voyage sur la terre, le genre humain en a fait le plus grand cas. A cet égard tu connais la conduite des Juifs et des chrétiens : reste celle des
païens.
Écoute d'abord leurs éloges. « Entre tous les parfums, dit Pline le Naturaliste , le préféré, c'est le baume, produit exclusif de la Judée et même autrefois de deux jardins, l'un et l'autre royal. L'arbuste qui le donne ressemble plus à la vigne qu'au myrte. La feuille approche de celle de la rue : le feuillage est perpétuel. On l'incise avec du verre, une pierre ou de petits couteaux en os. De la plaie sort le suc qu'on appelle baume, d'une odeur exquise, mais en petites gouttes (1). »
« Le baume fait mes délices, ajoute un autre païen, c'est le parfum des hommes; » et aussi des femmes, comme nous allons voir. (2)
Avides comme ils étaient de tout ce qui pouvait flatter les sens, tu peux juger quel prix les païens et les païennes attachaient à ce parfum, doublement ambitionné à cause de ses qualités merveilleuses et à cause de sa rareté. Cette disposition explique sans peine le fait suivant, rapporté par les plus graves historiens. Les deux jardins, uniques au monde, qui produisaient le baume étaient situés sur la colline d'Engaddi, voisine de Jéricho (3). Au moment de la naissance de Notre-Seigneur, ils appartenaient au roi Hérode. Tu sais qu'à cette époque les Romains, et Antoine en particulier, étaient tout-puissants dans la Judée. Tu sais de plus l'influence de Cléopâtre sur Antoine. Cette femme voluptueuse envia le bonheur d'Hérode : à tout prix il lui fallut ces deux jardins.

(1)Omnibus odoribus præfertur balsamum, uni terræ judææ concessum, quondam in duobus tantum hortis, utroque regio... Viti similior est quam myrto; folium proximum rutæ, perpetua coma. Inciditur vitro, lapide, osseisve cultellis, succus e plaga manat, quem opobalsamum vocant, eximiæ suavitatis; sed tenui gutta. Hist. nat., lib. XII, c. XXV.
(2) Balsama me capiunt, hæc sont unguenta virorum. Martial., lib. XIV, épigram. 54.
(3) La petite ville d'Engaddi s'appelait aussi Asasonthamar, c'est-à-dire ville des palmiers et des balsamiers.

Elle fit tant qu'Antoine les lui promit (1). On les enleva tout entiers et des vaisseaux les transportèrent en Égypte, où depuis lors on cultiva le balsamier. C'est ainsi que trois siècles plus tard, l'impératrice sainte Hélène, animée d'intentions bien différentes, fit transporter à Rome le champ, c'est-à-dire la terre du champ de l'Haceldama.
« Ces jardins, dit un ancien auteur (2) qui les avait vus de ses yeux, furent rétablis en Égypte non loin d'Héliopolis, ils n'en forment qu'un. Sa longueur est d'environ deux jets d'arc, sa largeur d'un jet de pierre. La terre est presque blanche. Lorsque nous y étions, au mois de septembre, l'humble balsamier s'élevait à la hauteur d'une palme et demie. Ses feuilles étaient petites comme celles de la rue, mais un peu plus blanches. Ce jardin n'est cultivé que par des chrétiens. Ils l'arrosent avec l'eau d'une petite fontaine, dans laquelle la tradition rapporte que la sainte Vierge baigna souvent l'enfant Jésus, alors que la sainte famille demeurait en Égypte (3). »

(1) Parlant de ce fait, l'historien Josèphe, Antiq. Jud., lib. XV, c. IV, dit : Possessionem habuit (Cleopatra), hiericuntis agri. Regio enim alla balsamum fert, rem ejus loci pretiosissimam, nec usquam alibi proveniens.
(2) Hunc hortum seu vineas balsami tempore Herodis magni, Cleopatra, Ægypti regina, concedente Antonio, vel amatore vel marito, invidens tantam felicitatem Herodis transtulit in Ægyptum. Adrichom.; Theatr. Terr. s., in-fol. 1589. Tribu Juda, p. 47, verb. Engaddi. L'histoire de la translation est encore rapportée par Burchard, Veridica terræ s. descriptio, 1519, par Barthélemy de Saligny, prélat du Saint-Siège, docteur en théologie, voyageur célèbre, dans son ouvrage : Itinerarium terræ, etc. In-12, c. VI, fol. l. IV, 1525; par Breid, par Fretellus Vitriacus, cités par Saligny et d'autres encore.
(3) Est autem hic hortus in Ægypto inter Heliopolim et Babylonem habens in longitudine duos jactas arcus, in latitudine jactum lapidis, terræ fere albæ. Nos cum ibidem essemus, in mense septembris, balsami lignum humile erat palmi scilicet et dimidii in altitudine; folia habens parvula ut ruta, paulo tamen albiora, etc. Bartholomæus Saligniac., ubi suprà.

Un autre témoin oculaire ajoute les détails suivants : « J'ai vu en Egypte le jardin du baume, qui ne produit rien à moins qu'il ne soit arrosé par la fontaine voisine, dont l'eau servit à l'usage de l'enfant Jésus et de la sainte famille. Les Sarrasins affirment avoir reconnu par expérience qu'il était inutile de l'arroser avec d'autres eaux. C'est pourquoi ils ont creusé un puits et établi des canaux pour amener à la fontaine des eaux étrangères. Celles-ci en reçoivent une propriété divine qui les rend propres à l'irrigation. Quatre bœufs sont employés à tirer l'eau du puits, au moyen d'une roue. Aussi cette fontaine est en vénération dans tout le pays, et les infidèles ont soin d'y baigner leurs enfants (1). »
Ces faits ont été vus, depuis le treizième jusqu'au seizième siècle, vus et bien vus par des témoins de différentes nations, inconnus les uns des autres, recommandables par leur caractère, par leur position sociale, par leur science et qui n'avaient nul intérêt à se faire passer pour faussaires, en affirmant, dans des
écrits publics, des faits matériels, dont il était facile de constater la non-existence. Dire que ces faits n'existent plus, afin d'en conclure qu'ils n'ont jamais existé, est une logique nouvelle qui peut aller de pair avec le droit nouveau. Si l'un est faux, l'autre est absurde.
Voici comment ces mêmes témoins décrivent la récolte du baume. La conformité de leur récit avec celui de Pline est une preuve nouvelle de leur véracité. « On arrache une feuille de l'arbuste, du côté du soleil levant. Bientôt de la déchirure découle une gouttelette transparente et d'une odeur admirable. Cette liqueur, la plus précieuse de toutes, est reçue dans des vases de verre. Soit à cause du défaut de chaleur, soit pour toute autre raison, si la déchirure ne se fait pas du côté du soleil levant, l'écoulement n'a pas lieu. En sortant, le baume est blanc et liquide ; plus tard, il se colore d'une légère teinte de rouge, devient rosé et un peu compacte. (2) »

(1) Se vidisse in Ægypto hortum balsami, qui ex se non dabat fructum, nisi irrigaretur fonte vicino, in quo B. Virgo sæpius puerum Jesum lavit ; atque Sarracenos expertos testari frustra ilium aliis aquis irrigari; quamobrem duxisse in ilium fontem aliunde aquam, ut virtutem divinam inde hauriens, abunde sufficeret ad irrigationem... Quo facto largiter et salubriter ex aquis mixtis rigatur balsami hortus, etc. Burchard., Veridica descrip., etc., ubi suprà; id. Adrichom., ubi suprà ; id. , Bosius, De signis Eccles., lib. II, c. VII; vide etiam. Corn. a Lap., in Apocal., XXII, 1 ; in Matth., XI, 14 ; in Eccli., XXIV, 20, etc.
(2) Messis balsami talis est : decerpitur folium ex stipite contra solem, moxque gutta lucide et mire fragrans scaturit ex ruptura ; et hic balsam pretiosissimus liquor vitreis oasis colligitur, minime fluxurus, nisi ad ortum solis flat ruptura, ete. Adrichom., ubi supra, verb. Engaddi.

Pour des raisons mystérieuses, que tu pressens et que j'expliquerai bientôt, le roi des parfums n'était, avant la naissance de Notre-Seigneur, connu qu'en Judée. A partir de cette époque de régénération universelle, il s'est acclimaté d'abord en Égypte, terre païenne seule visitée par l'enfant Jésus ; puis, dans les différentes parties de l'ancien et même du nouveau monde. Ainsi, aujourd'hui, nous avons le baume de Judée ou de la Mecque ; le baume du Brésil ou de Copahu; le baume de Carthagène ou de Tolu; le baume du Pérou. Ces baumes se distinguent par la couleur, par l'odeur et par les propriétés médicales; mais tous sont de véritables baumes.
Le baume du Pérou est blanc jaunâtre, assez épais et odorant, d'une saveur âcre et un peu amère. Le baume de Carthagène est d'un jaune verdâtre, un peu épais, d'une odeur et d'un goût fort agréables. Le baume du Brésil est d'a-bord liquide, mais, en vieillissant, il devient épais comme du miel. Il est d'une couleur jaune pâle, d'un goût un peu amer et d'une odeur très douce. Le baume du Canada est jaunâtre, demi-transparent, plus ou moins liquide, approchant un peu de la térébenthine par son odeur et par sa saveur. Enfin, le baume de Judée, de la Mecque, de Syrie, de Galaad, ce qui est tout un, est blanc, d'une odeur excellente et trèspénétrante, d'un goût amer et d'une telle légèreté qu'il ne va pas au fond de l'eau : de tous il est le plus précieux.

Tout à toi (1).

(1) Bien que l'Église n'ait pas déterminé l'espèce de baume qui doit entrer dans la composition du saint Chrême, il est évident que le baume de Judée méritera toujours la préférence. Tu liras avec un vrai plaisir la dissertation intitulée : De opobalsami specie, ad sacrum chrisma conficiendum requisita, par Michel d'Amato. Naples, 1722, in-80.


ONZIÈME LETTRE

Ce 7 octobre.

HISTOIRE RELIGIEUSE DU BAUME. - IL EST LE SYMBOLE DE NOTRE-SEIGNEUR. - SIX RAPPORTS PRINCIPAUX DU BAUME AVEC NOTRE-SEIGNEUR. - LE BAUME EST UN PARFUM QUI N'EST PLUS LA PROPRIÉTÉ DE LA JUDÉE. -PARFUM QUI S'OBTIENT PAR LES INCISIONS FAITES À L'ARBRE. - PARFUM SUPÉRIEUR À TOUS LES AUTRES. - PARFUM TRÈS-ÉNERGIQUE. - PARFUM QUI PRÉSERVE DE LA CORRUPTION. - PARFUM QUI ÔTE LEUR VENIN AUX VIPÈRES.

L'histoire naturelle du baume je dois, mon cher ami,
ajouter l'histoire surnaturelle ou religieuse : le symbolisme du baume en est l'objet. Le baume est l'emblème de Notre - Seigneur : chrisma Christus est. Nous allons voir avec quelle perfection il exprime Celui qu'il représente. Avant tout, souviens-toi que les rapprochements suivants ne sont nullement arbitraires. Notre-Seigneur lui-même, sous le nom de la Sagesse éternelle, déclare que le baume est son symbole, et il n'hésite pas à se comparer à ce précieux parfum (1).

(1) Sicut... balsamum aromatisans odorem dedi. Eccli., xxiv, 20.

Donc, 1° dans l'origine le baume ne se trouvait qu'en Judée, il n'en est plus de même aujourd'hui ; 2° le baume ne s'obtient que par les incisions faites à l'écorce de l'arbre; 3° le baume est un parfum d'une odeur exquise, bien supérieure à toutes les autres ; 4° le baume est un parfum très-énergique ; 5° le baume est un parfum qui préserve de la corruption ; 6° le baume est un parfum qui ôte leur venin aux vipères. Toutes ces qualités sont réunies dans le Verbe incarné.
1° Jusqu'à la naissance du fils de Marie, le baume ne se trouvait qu'en Judée. C'était, comme Pline te l'a dit, le produit exclusif de cette terre privilégiée : uni terræ Judceæ concessum. Avant l'Incarnation, le Verbe réparateur n'était connu et adoré, comme il doit l'être, que dans la seule terre de Judée : notas in Judæa Deus. C'est à la Judée seule qu'avait été confiée, comme un dépôt sacré, la grande promesse du Messie. A elle et à elle seule il appartenait, comme le fils appartient à son père, le fruit à l'arbre ; puisque c'est au sein de la Judée, de son sang, de sa terre qu'il devait sortir.
Il n'en est plus de même aujourd'hui, gràce à la Providence qui fait servir même les passions des hommes à l'accomplissement de ses desseins. Pour elle, la vanité d'Auguste devient le moyen de réaliser les prophéties qui plaçaient à Bethléem le berceau de Notre-Seigneur. De même, elle se sert de la sensualité de Cléopâtre pour transporter, en Égypte, le baume, figure du Désiré des nations.
Ainsi se vérifiaient les oracles qui annonçaient aux Juifs la perte de leur privilège de peuple de Dieu, et la vocation des Gentils à la foi. La Judée conservera quelques balsamiers rabougris ; mais ils ne produiront plus de baume et ne payeront pas les frais de la culture. Pouvait-on mieux caractériser les traditions stériles, conservées ou plutôt altérées par les Juifs : traditions qui les laissent croupir dans l'engourdissement de l'erreur et dans la haine de Notre-Seigneur, le véritable balsamier (1) ?
2° Le baume ne s'obtient que par les incisions faites à l'écorce de l'arbre, ou s'il sort naturellement par gouttelettes, il ne produit qu'en partie ses effets merveilleux. Ainsi de Notre-Seigneur. Jusqu'à sa Passion, il n'opère que sur une étendue restreinte ses œuvres miraculeuses (2) : c'est à peine si ses disciples croient fermement en lui.


(1) Sunt tamen adhuc surculi quidam balsamorum in monte Engaddi, sed nullius cultus, nullius proventus videlicet, hoc est justitiæ Dei justissimum judicium, qui sese ulciscitur de peccatoribus et persequentibus nomen suum : ut, quoniam Herodes olim balsami possessor, puerum Jesum persequebatur, Jesus, fugiens in Ægyptum, post se traxit balsami hortum. Adrichom., ubi suprà. - Balsamum proprium fuit Judæa, sed inde delatum et celebratum per totum orbem... Puer Jesus ex Judæa fugiens Herodem, balsamum secum traxit in Ægyptum : ita et veram Dei cognitionem cultumque, puta Christianismum, a perfidis Judæis transtulit ad Ægyptios coeterasque gentes. Corn. a Lap., in Eccli., XXIV, 20.
(2)Corn. a Lap., in Cant., XI-XII, S. Ambr., in ps. CXVIII, Ser. CXI.

Mais viennent les incisions du Calvaire ; incisions de ses pieds, de ses mains et surtout de son côté adorable; incisions faites à son humanité, précieuse écorce qui recouvre sa divinité : aussitôt le baume découle avec abondance et produit le plus grand des miracles, la conversion du monde. Le divin Balsamier en avait luimême marqué l'époque et donné la raison : «Lorsque j'aurai été élevé de terre, j'attirerai tout à moi. »
3° Le baume est un parfum d'une odeur exquise et supérieure à toutes les autres : omnibus odoribus prœfertur balsamum. Chose remarquable, et à laquelle tes jeunes camarades n'ont peut-être jamais réfléchi ! toutes les espèces de créatures ont une odeur spécifique. Dans l'immense variété d'êtres, dont se composent les
trois règnes de la nature, on ne trouve ni deux espèces de minéraux, ni deux espèces de végétaux, ni deux espèces d'animaux qui dégagent la même odeur : dans l'espèce humaine, chaque race a son odeur spécifique. Le nègre ne répand pas la même odeur que le blanc, ni le blanc la même que le rouge, le
cuivré ou le basané.
Chose plus remarquable encore ! dans chaque race, chaque individu dégage une odeur à lui. Au premier coup d'oeil, ce fait paraît incroyable, cependant rien n'est plus certain. Dis-moi, comment le chien suit-il son maître, qu'il ne voit pas, qu'il n'entend pas ; et cela quelque-fois à-plusieurs lieues de distance ? Comment le retrouve-t-il sur un champ de foire, au milieu de plusieurs milliers de personnes et d'animaux qui piétinent le sol en tous sens ? A l'odeur qu'il a laissée dans les vestiges de ses pas.
Est-il étonnant qu'en se faisant homme, le Verbe divin ait eu son parfum spécifique ? ne serait-il pas même étonnant qu'il ne l'ait pas eu ? quel parfum a dû choisir pour lui le Verbe incarné, sinon le plus parfait, le plus exquis de tous les parfums, le parfum du baume ? Lui-même le dit : je répands le parfum du baume : sicut balsamum aromatizans odorem dedi.
Je sais bien qu'on peut prendre ces paroles dans le sens figuré, mais est-ce une raison pour nier leur sens naturel ? Puis-que tout homme a son odeur spécifique , pourquoi l'Homme-Dieu n'aurait-il pas eu la sienne? Vois-tu la raison pour laquelle il aurait dérogé à une loi générale, par lui-même établie? En se faisant homme, ne s'est-il pas fait semblable à l'homme, en tout, excepté dans le péché ?
N'admettons cependant que le sens figuré. Même dans cette supposition, vois encore avec quelle perfection le baume symbolise le Verbe incarné, qui devait attirer tout à lui. Depuis qu'il a exhalé son parfum dans le monde, l'Orient et l'Occident ne cessent de voir des milliers d'âmes, renonçant à tous les autres parfums, à tous les autres attraits, pour courir vers le divin Balsamier et respirer son parfum.
Elles en sont si complétement, si heureusement enivrées que toutes les autres jouissances leur sont à dégoût, et qu'elles répètent avec les divins oracles : Nous courrons partout où vous voudrez, jus-qu'au bout du monde s'il le faut, à l'odeur de vos parfums : curremus in odorem unguentorum tuorum. Votre nom seul est un parfum répandu. C'est pourquoi les jeunes filles, toutes les âmes en qui le démon n'a point altéré la virginité de l'odorat, vous aimeront d'un amour irrésistible : oleum effusum nomen tuum, ideo adolescentulæ dilexerunt te nimis.
4° Le baume est un parfum très-énergique, c'est le parfum des hommes : Balsama unguenta virorum. Tu viens de voir la douceur exquise et toute-puissante du baume en voici la force. Douceur et force, ces deux qualités réunies traduisent à merveille le double caractère du Messie symbolisé par le baume. Agneau de Dieu, lion de la tribu de Juda, tout ce qu'il y a de plus doux, tout ce qu'il y a de plus fort, sont les deux emblèmes sous lesquels le désigne l'infaillible oracle du Saint-Esprit.
Telle était la force de ce divin parfum, qu'au rapport de saint Jérôme, il suffisait d'approcher du Sauveur, pour se sentir attirer à lui avec une force comparable à celle de l'aimant à l'égard du fer. Répondant à Julien l'Apostat, qui accusait les apôtres de légèreté, pour avoir, sur une simple parole et même sur un regard de NotreSeigneur, tout quitté afin de se mettre à sa suite : « Certes, dit le grand docteur, le rayon seul de la Majesté divine qui brillait sur son visage à travers les voiles de l'humanité, était bien capable d'attirer, à première vue, ceux qui le regardaient. Si l'ambre et l'aimant possèdent la propriété d'attirer le fer et la paille, comment refuser au maître de toutes les créatures la vertu d'attirer à lui ceux qu'il appelait (1) ? »
Cette puissance d'attraction n'a pas cessé. Il faut même reconnaître qu'elle est d'une énergie incompréhensible : vois plutôt. Depuis dix-huit siècles, le divin Balsamier attire à lui des millions de martyrs. Spoliations, exils, prisons, ongles de fer, bûchers, amphithéâtres, rien ne les arréte. Il disait donc plus vrai qu'il ne pensait, le païen qui appelait le baume le parfum des héros : Balsama unguenta virorum. Et quand ils ont respiré à leur aise ce merveilleux aromate, ils sont tellement attachés à l'arbre divin qui l'exhale, qu'on les entend défier la terre et l'enfer, toutes les créatures et toutes les puissances réunies de les en séparer (2).
5° Le baume est un parfum qui préserve de la corruption. Cette propriété du baume est si connue, qu'elle a donné naissance au verbe embaumer : c'est-à-dire employer des aromates et des sels, pour préserver les corps de la corruption du tombeau. Ici encore, n'est-il pas un symbole bien choisi de celui qui est la résurrection et la vie ? De celui qui préserve l'âme de ses élus de la corruption du siècle, quelquefois même leur corps de la corruption du tombeau, qui en tout cas leur procure la résurrection, l'immortalité, le bonheur et la gloire éternelle ?
6° Le baume est un parfum qui ôte leur venin aux serpents. « Les vipères en grand nombre, écrit un historien païen, se cachent sous les balsamiers. Un séjour prolongé sous cet arbuste, joint à
l'habitude d'en manger, paralyse leur venin, en sorte que leurs morsures cessent d'être dangereuses (3). »

(1) Com. in Matth., c. IX.
(2) Quis nos separabit a caritate Christi, etc.? Rom., VIII, 35.
(3) Corn. a Lap., in Cant., I, 13. Quod si quem morsu appetierint , plaga es quasi a ferri vulnere, sed veneni omnino expers. Pausanias, Bœtica, lib. IX, p. 28, t. IV, p. 428, in-8. Lipsiæ, 1700.

Si le fait est vrai, et jusqu'à preuve contraire, j'ai la faiblesse de le tenir pour tel, nous avons un rapport de plus entre le baume et Notre-Seigneur.
Que sont les millions de créatures humaines qui par le baptême viennent s'unir au Verbe divin, sinon des fils de vipères, genimina viperarum,ou si tu veux, des êtres infectés du venin de l'antique serpent ? Mais une fois à l'ombre du divin Balsamier, respirant ses parfums, se nourissant de lui, de sa parole, de ses exemples, de sa chair et de son sang, ces vipères humaines perdent leur venin. Rien désormais, dans leur conversation ni dans leur conduite, qui empoisonne. Tout, au contraire, donne la santé et la vie. C'est l'histoire de tout enfant d'Adam qui devient et qui demeure fils de Dieu.
Réunis toutes ces propriétés du baume, tous les détails de son histoire, rapproche-les des qualités et de l'histoire du Verbe Rédempteur du monde, et dis-moi s'il est possible de trouver un symbole plus parfait de la réalité ?
En attendant, je m'aperçois, mon bon Frédéric, que cette lettre est déjà trop longue. Cependant, je n'ai pas tout dit sur le baume. Tu me permettras d'y revenir dans ma prochaine correspondance.

Tout à toi.


DOUZIÈME LETTRE

Ce 8 octobre.

ÊTRE LE PARFUM OU LA BONNE ODEUR DU VERBE INCARNÉ : OBLIGATION DE CHAQUE CHRÉTIEN. - AU MORAL COMME AU PHYSIQUE CHAQUE HOMME A SON ODEUR SPÉCIFIQUE. - PREUVES : SAINTE CATHERINE DE SIENNE, SAINT PHILIPPE DE NÉRI. - LE CURÉ D'ARS. - PARFUM SORTANT DU CORPS DES SAINTS DANS LES DIFFÉRENTS SIÈCLES. - CE QU'EST LA BONNE ODEUR DE NOTRE-SEIGNEUR. - PASSAGE DE SAINT BERNARD. - POURQUOI AVOIR EXPLIQUÉ AVEC TANT DE DÉTAILS L'EAU BAPTISMALE. - BELLE PAROLE DE TERTULLIEN. MON CHER AMI,
Les rapports si frappants que nous avons trouvés entre le baume et le Verbe incarné, servent de base à une des plus pressantes recommandations de saint Paul. Le grand apôtre veut que chaque chrétien, toi comme moi, soit le parfum, le baume, la bonne odeur de Jésus-Christ : Christi bonus odor. Qu'est-ce que cela ? Je n'hésite pas à le dire : nous touchons ici à un des plus profonds, des plus redoutables et en même temps des plus incontestables mystères de l'ordre moral. Le maître des nations ne veut pas que nous perdions de vue qu'au moral, comme au physique, chaque homme a son odeur spécifique et que cette odeur forme autour de nous une atmosphère qui donne la vie ou la mort.
Pour employer un mot récemment introduit dans le langage, cela veut dire que tout homme est un médium. Transmettant ce qu'il reçoit, aussi inévitablement que la plante transmet son arome, ce médium met les êtres dont il est entouré, en communication avec le principe bon, ou avec le principe mauvais qui domine en lui. Ceci est un fait d'expérience, bien traduit par notre langue française. Elle a son proverbe : Dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu es. Elle a cette phrase plus explicite encore : un tel sent l'orgueil, sent l'avarice, sent la mollesse, etc.
Il en est ainsi, même au sens physique. Partout et toujours le vice exhale une odeur de mort : Car vice est corruption. Bien que tous ne la distinguent pas, elle n'est pas moins réelle. N'a-t-on pas vu des saints, entre autres sainte Catherine de Sienne et saint Philippe de Néri, connaître, rien qu'à l'odeur, les esclaves du vice
impur ?
Ce qui est vrai du vice, est vrai de la vertu. De la personne et des amis de Dieu s'exhale je ne sais quel parfum qui fait du bien à l'âme, qui l'élève, qui la purifie, qui la place comme dans une atmosphère inexplicable de paix, d'amour et de confiance. Qui réfléchit à ce double phénomène ? Et cependant, corrompre ou
sanctifier nos proches et nos amis, par la seule influence de l'émanation mystérieuse qui s'échappe, même à notre insu, de nos vices ou de nos vertus : redoutable alternative ! grande responsabilité ! Veux-tu des preuves de la réalité de ce parfum sanctificateur ? En voici deux. La première est l'attrait puissant qui conduisit toujours et qui conduit encore auprès des saints, tant de personnes, heureuses de respirer quelques instants l'air embaumé de leurs vertus. Je n'irai pas chercher mes exemples bien loin. Il n'est pas que tu n'aies entendu parler de notre saint curé d'Ars. Écoute l'auteur de sa vie, témoin oculaire de ce qu'il raconte.
« Nous ne savons pas, dit-il, si un homme a joui, dans notre siècle, d'une ronommée aussi populaire et aussi universelle que le curé d'Ars. Il est permis d'en douter. Et quand on songe que cet homme n'a eu d'autre titre à l'admiration de ses contemporains que son éminente piété; que, chez lui, aucune auréole d'aucune sorte
ne s'ajoutait à celle de la vertu... Quand on a connu ce prodige renouvelé des âges les plus beaux du Christianisme, on se prend à croire que le sens moral des peuples n'est pas aussi profondément
affaibli qu'il le paraît, et qu'il suffirait peut-être de la présence de quelques saints dans cette société décrépite, pour y renouveler la foi qui sauve le monde.
« Tout le monde sait qu'Ars a été, pendant trente ans, un centre si couru de visites, de demandes, de prières et de consultations, que la gloire des plus anciens pèlerinages en a été un instant éclipsée. La liste des hommes éminents, magistrats, militaires, littérateurs, religieux, prêtres, évêques qui s'y sont rencontrés est infinie. Nous avons eu la curiosité de parcourir un jour quelques pages d'un registre d'hôtel ; nous y avons vu figurer des noms les plus illustres de France, de Belgique, et d'Angleterre : des notabilités de Londres, de Dublin, d'Édimbourg, de Bruxelles, de Cologne, de Munich, des voyageurs venus des rives du Mississipi, de l'Ohio et de la Plata.
« Il y avait là comme une source intarissable où chacun venait puiser des rafraichissements pour son âme ; le jeune homme, la force contre ses penchants ; la jeune fille, le dernier mot de sa vocation.; la mère de famille, le secret du dévouement, le conseil des situations difficiles et la consolation des jours mauvais ; l'homme mûr, le pardon des erreurs de sa jeunesse ; le vieillard, la grâce de bien mourir.
L'inquiétude y laissait ses agitations, le vice ses souillures et ses hontes, la faiblesse ses tentations de découragement, et le désespoir ses projets de suicide. Tous emportaient de leurs visites des pensées plus sereines, une attente plus douce et plus paisible de l'avenir, plus de courage à supporter les tristesses présentes.
« Quelques jours après la mort du serviteur de Dieu une dame écrivait : « Je prie Notre-Seigneur de me permettre de retourner encore à Ars. J'ai besoin de respirer cet air si pur... Pendant la vie du cher saint, rien ne m'effrayait j'étais assurée de trouver auprès de lui conseil et force. Trois ou quatre fois chaque année, je revenais me retremper à cette source vive et y puiser le courage de cheminer dans la vie, en surmontant mieux les peines qui s'y rencontrent à chaque pas. Car on ne le quittait jamais que le coeur rempli de force et d'espoir (1).»

(1) Vie du curé d'Ars, t. II, c. XI et VI, édit. in-12.

La seconde, plus frappante encore, est le parfum qu'exhalent, après la mort, les corps d'une multitude de saints. En vertu de la loi rapportée plus haut, ce parfum était en eux pendant la vie. La transformation glorieuse de la tombe n'a fait que le rendre plus sensible, en attendant que la résurrection le laisse échapper dans toute son énergie. Le mystérieux phénomène dont je parle se reproduit dans tous les siècles et dans tous les pays catholiques : ailleurs il est inconnu. Tu peux t'en convaincre en feuilletant un ouvrage capital, mais très peu étudié au Collége de France. Je veux parler des Acta Sanctorum des Bollandistes : cinquante-six volumes in-folio.
Voici quelques exemples entre mille. Le premier est celui du protomartyr, saint Étienne. Lorsque, après quatre cents ans de sépulture, on le retira du sépulcre où il avait été enseveli, son corps et ceux des saints Gamaliel, Nicodème et Abibon, répandirent un parfum d'une douceur admirable : suavissimus odor. Tu liras la même chose de bien des martyrs et en particulier de saint Firmin. Plus tard, saint Félix, saint Nicolas, saint Isidore, saint Édouard, roi d'Angleterre, saint Étienne de Hongrie, sainte Rose de Viterbe, sainte Catherine, sainte Walburge, continuent la même tradition.
Mais j'ai hâte d'arriver aux temps modernes. Au treizième siècle meurt l'illustre pénitente, sainte Marguerite de Cortone. Elle est à peine expirée, qu'une odeur délicieuse s'exhale de son corps, remplit la chambre mortuaire et montre clairement aux nombreux témoins de son heureux trépas, qu'elle était un vase de sainteté infiniment agréable à Dieu.
En 1515, plus de deux cents ans après sa mort, son corps fut trouvé intact, sans corruption et exhalant un parfum d'une odeur exquise. Le Pape Léon X, accompagné d'un grand nombre de cardinaux, d'évêques et de personnages distingués, fut témoin du fait, consigné dans la bulle de canonisation.
En 1580, lorsqu'on plaça le saint corps dans une châsse de grand prix, le miracle du parfum se trouva constaté de nouveau. Il dura je ne saurais te dire combien d'années, dans un monastère de Cortone, où la sainte avait occupé quelque temps un petit réduit. Les religieuses du tiers ordre de Saint-François qui habitaient ce couvent, attirées par la suave odeur dont la petite cellule était embaumée, s'y rendaient souvent pour réciter le chapelet. Là, elles sentaient se former dans leur coeur des désirs plus ardents de servir Dieu avec perfection. Lorsque quelques-unes voulaient s'exciter à la dévotion, aussitôt elles allaient dans ce lieu, afin d'être attirées par les célestes parfums qui s'en exhalaient et de courir avec plus d'ardeur aux embrassements de leur divin Époux (1).
Le quatorzième siècle nous montre saint Jean Népomucène avec sainte Élisabeth, reine de Portugal, dont le corps, retrouvé intact trois cents ans après sa mort, répandait une odeur exquise.
Au quinzième siècle, voici d'abord saint Antonin, archevêque de Florence, dont le corps demeura huit jours exposé à la vénération des fidèles, exhalant une très agréable odeur ; puis saint Laurent Justinien, patriarche de Venise, qui offre le même prodige.
Au seizième siècle nous apparaît la vierge du Carmel. A peine le cœur de sainte Térèse fut séparé du corps virginal auquel il avait appartenu, qu'il commença de répandre cette céleste odeur qu'il n'a jamais cessé d'exhaler jusqu'à ce jour. « Ce parfum, dit l'historien moderne de la sainte, est d'une suavité à laquelle on ne peut comparer aucun parfum d'ici-bas. On essayerait en vain de décrire cette odeur surnaturelle ; et les actes de la canonisation ont tout dit par ce seul mot : C'est une odeur céleste. En l'année 1849, après la fête de l'Assomption, nous avons eu le bonheur de tenir dans nos mains et de vénérer ce coeur qui, dès l'exil, brûla de la flamme des séraphins. Et nous pouvons attester, nous aussi, qu'il s'en exhale une odeur céleste (2). »

(1) Vie de la sainte, liv. III, c. V et VI.
(2) M. Bouix, Vie de sainte Térèse, t. I, 617.

Voici qui n'est pas moins remarquable. Sainte Térèse mourut le 4 octobre 1583. « La fondatrice du couvent d'Albe, Térèse de Laiz, craignant qu'on ne voulût un jour enlever ce saint corps, lui avait fait faire une fosse très-profonde, et elle le fit couvrir de chaux, de pierres et de briques, en aussi grande quantité que si on avait voulu faire en cet endroit les fondements d'un bâtiment solide. Il y avait près de neuf mois que le saint corps était enterré, et il continuait d'exhaler la même odeur miraculeuse, malgré la fosse profonde dans laquelle il avait été mis.
« Quand on voulut l'exhumer, il fallut quatre jours pour déblayer ce monceau de terre, de pierres et de briques ; et plus la fouille devenait profonde, plus l'odeur miraculeuse se faisait sentir aux assistants. Le corps fut trouvé tel, qu'on eût dit qu'on venait de l'enterrer. Il. en sortait une odeur très-douce et qu'on ne pouvait sentir sans être porté à la dévotion. L'odeur miraculeuse ne s'exhalait pas seulement du saint corps, mais encore des choses dont il avait été couvert ; quelques-unes même la conservèrent plusieurs années, et Dieu permit que par leur moyen il se fit plusieurs miracles. (1) » A la dernière translation des reliques de sainte Térèse qui eut lieu en 1760, le corps virginal fut trouvé toujours flexible et exhalant un suave parfum. Sainte Madeleine de Pazzi , morte en 1607, ouvre le dix-septième siècle. Deux ans après sa mort, son corps fut trouvé sans corruption et exhalant une odeur admirable, quoiqu'il eût été enterré sans cercueil et sans avoir été embaumé.

(1) Ibid., Livre des Fond., p. 509.

Vient ensuite la vénérable mère Anne de Saint-Augustin, Carmélite. Quatre ans après sa mort, en 1628, on fit l'ouverture juridique de son cercueil, et l'on trouva le corps non-seulement sans corruption, mais exhalant un parfum surnaturel.
Cette liste, que tu peux grossir à volonté, suffit pour établir la certitude du phénomène dont nous nous occupons. Mais pourquoi, me demandes-tu, saint Paul nous appelle-t-il la bonne odeur de Jésus-Christ ? Tu devines la réponse. Notre-Seigneur est un parfum ; en nous unissant à lui par le baptême, il nous fait parfums comme lui; ou, pour continuer notre comparaison, il nous fait balsamiers. La bonne odeur de Jésus-Christ est donc le parfum qui s'exhale de nos paroles, de nos exemples, de notre être tout entier : parfum analogue à celui que répandait Jésus-Christ luimême.
Au nom de tous, écoute un des professeurs de cette divine physiologie, qu'on appelle les Pères de l'Église. « Qu'était Paul ? s'écrie saint Bernard ; un vase choisi, un vase aromatique, un vase odoriférant, rempli des parfums les plus exquis ; car partout où il pasait, il répandait la bonne odeur de Jésus-Christ. Quels suaves parfums répandait, au loin et au large, ce coeur que consumait la sollicitude de toutes les Églises ! Voyez quelle variété et quelle quantité de parfums il s'était amassés ! Chaque jour, disait-il, je meurs pour votre gloire. Qui est infirme, sans que je sois infirme avec lui ? qui est victime du scandale, sans que je brûle (1) ?»

(1) Mihi Paulus vas electionis, revers vas aromati cum,vas odoriferum et refertum omni pulvere pigmentario: Christi enim erat bonus odor Deo in omni loco. Et multis talibus, quæ vobis bene nota sunt, abundabat dives iste in componendis unguentis optimis. S. Bern., in Cant., Ser. XII, n. 2.

Ainsi, balsamiers, cassolettes, encensoirs : voilà ce que furent les apôtres et les saints. Voilà ce que doit être toute âme baptisée. Remarque, en passant, que les parfums répandent leur odeur avec d'autant plus de force et d'abondance qu'ils sont pilés ou brûlés. Il en fut ainsi de Notre-Seigneur : qu'il en soit ainsi de toi, de moi, de tous les chrétiens. Quel délicieux parfum exhalent la douceur, la modestie, la patience, l'affabilité, au milieu des épreuves les plus propres à exciter en nous des mouvements de colère et d'antipathie ?
Voilà, cher ami, ce que j'avais à te dire de l'eau baptismale. Pourquoi l'ai-je expliquée avec tant de détails ? Tu l'as compris, et plût à Dieu que tous le comprissent comme toi ! T'inspirer un profond respect pour l'Église et pour ton baptême : tel a été mon but.
Respect pour l'Église. Aujourd'hui, l'impie, imberbe ou barbon, ne respecte plus rien. Il attaque tout, il dénigre tout, il nie tout, il se moque de tout. Afin de t'armer contre des ennemis, forts seulement de notre ignorance, j'ai voulu te donner la raison de quelques unes de nos mystérieuses pratiques. Si, dans des cérémonies, secondaires en apparence, tu as vu briller la profonde sagesse de l'Église, sa science irréprochable du monde de la nature et du monde de la grâce, je te laisse à penser ce qu'elle est dans les autres parties de son culte. Si tu veux le savoir, souviens-toi que l'Église ta mère est comme Dieu, dont saint Augustin a dit : Magnus in magnis, non parvus in minimis.
Respect pour ton baptême. Si rien n'est plus noblement mystérieux, rien aussi n'est plus digne de notre amour filial, que l'eau dans laquelle nous naissons à la vie divine. « Heureux mystère de notre eau baptismale, s'écrie Tertullien ! petits poissons, selon notre poisson Jésus-Christ, nous naissons dans l'eau, et nous ne pouvons ètre sauvés qu'en demeurant dans l'eau. (1) »
C'est la vérité fondamentale que, depuis dix-huit siècles, sur les différents points du globe, le prêtre catholique rappelle à tout baptisé, comme la boussole de sa vie. En le revêtant du vétement
blanc, image de la grâce incompréhensible qu'il viént de recevoir, il lui dit : Recevez cette robe blanche, et portez-la sans souillure jusqu'au tribunal de Dieu. Connais-tu quelque chose de plus solennel ?

Tout à toi.

(1) Nos pisciculi secundum ίχθΰv nostrum Jesum-Christum, in aqua nascimur ; nec aliter quam in aqua permanendo salvi sumus. De Baptism., c. I.


TREIZIÈME LETTRE

Ce 9 octobre.

TROISIÈME ESPÈCE D'EAU BÉNITE : L'EAU BÉNITE ORDINAIRE. - SA MISSION. - PURIFIER ET PRÉSERVER. - PURIFIER L'HOMME ET LES CRÉATURES. - DE QUOI LES PURIFIER. - PRÉSERVER L'HOMME ET LES CRÉATURES. - DE QUOI LES PRÉSERVER. - DOUBLE DESTINATION DE L'EAU BÉNITE, EX-PRIMÉE DANS LES PRIÈRES DE L'ÉGLISE. - ÉCHANTILLON DE CES PRIÈRES. - NOBLESSE DES ÉLÉMENTS DE L'EAU BÉNITE ORDINAIRE. - RESPECT UNIVERSEL DE L'EAU. - RAISON DE CE RESPECT.

MON CHER AMI,
Pour achever la tâche, d'ailleurs bien douce, que tu m'as imposée, il me reste à parler de la troisième espèce d'eau bénite, l'eau bénite ordinaire : elle sera le sujet de mes dernières lettres.
L'eau bénite pour la consécration des Églises ainsi que l'eau baptismale, se composent d'éléments différents, suivant les effets particuliers qu'elles doivent obtenir. II en est de même de l'eau bénite ordinaire. Purifier et préserver : telle est sa double mission. S'il n'en est pas de plus noble, il n'en est pas de plus nécessaire,
parce qu'il n'en est pas de plus étendue ni d'un exercice plus fréquent.
Mieux que personne, l'Église l'a compris, et dès l'abord nous voyons briller sa profonde sagesse. Tandis que l'évêque seul peut faire l'eau de la consécration et bénir les éléments de l'eau baptismale, tout prêtre peut faire de l'eau bénite ordinaire. Tandis que les éléments des deux premières espèces d'eau bénite sont
plus ou moins difficiles à trouver, ceux de l'eau bénite se rencontrent partout, sans peine et sans dépense. Ces élements, tu ne l'ignores pas, sont l'eau et le sel admirables créatures qui expriment, on ne peut mieux, la double destination de l'eau bénite ordinaire. Le propre de l'eau est de purifier, le propre du sel est de
préserver de la corruption.
Mais quelles sont les choses que l'eau bénite ordinaire purifie ? L'homme et le monde, ni plus ni moins. De quoi les purifie-t-elle ? L'homme, des souillures, trop souvent contractées, du péché véniel ; les créatures, des qualités mauvaises et malfaisantes, provenant des influences malignes du démon. Quelles sont les choses qu'elle préserve ? Encore l'homme et le monde, ni plus ni moins. De quoi les préserve-t-elle ? L'homme des tentations du démon, source trop ordinaire de péché et de corruption. L'homme et les créatures, de tout ce qui, par la malice du grand homicide, menace leur vie, leur santé, leurs biens, et tend à les rendre malheureux, en les détournant de leur fin providentielle.
Cette double destination de l'eau bénite est clairement exprimée dans les magnifiques prières qui la sanctifient. Ces prières sont de deux sortes : les exorcismes et les bénédictions. Tu sais que exorciser est un mot tiré du grec, qui signifie conjurer et commander. Il ne convient qu'à ceux qui parlent d'autorité. Peut-il être mieux placé que sur les lèvres de l'Église, dépositaire de la puissance de son divin Époux, et chargée de continuer sa mission, ut dissolvat opera diaboli? Aussi, elle s'en est toujours servie, et servie avec succès, pour conjurer le démon et l'éloigner des créatures dont il abuse ou qu'il rend malheureuses. Laisse-moi te rappeler que dès son berceau elle en faisait usage et en proclamait l'efficacité merveilleuse. Le grand légiste de l'empire, ardent ennemi de nos pères, Ulpien, établit le fait en le niant : « Ni le charme, dit-il, ni l'imprécation, et pour me servir du mot vulgaire des imposteurs, ni l'exorcisme, ne sont des moyens de guérir, bien qu'il y en ait qui affirment hautement en avoir éprouvé les heureux effets1. » Inutile de te faire remarquer qu'il appelle imposteurs les chrétiens, comme Suétone dans la vie de Néron les appelait une race d'hommes adonnés à une superstition nouvelle et malfaisante.

(1) Non tamen si incantavit, si imprecatus est, si, ut vulgari verbo impostorum utar, exorcisavit, non sunt ista medicinæ genera ; tametsi sint qui hæc sibi profuisse cum prædicatione affirment. Ulpian. , lib. I, § medicos ff. De varia et extraordinaria cognitione.

Après avoir chassé l'usurpateur, l'Église confère aux créatures les propriétés sanctifiantes qui les rappellent à leur destination primitive. Veux-tu voir tout cela en action ? Viens avec moi à la grand'messe, un jour de dimanche.
Le prêtre est debout au coin de l'autel, revêtu d'un surplis et de l'étole violette, en signe d'humilité et de supplication. Si, comme homme, il a le sentiment de sa faiblesse personnelle, il a aussi, comme ministre du Très-Haut, celui de sa puissance. C'est ce dernier sentiment qu'il commence par exprimer, il le fait en termes
qui ne se trouvent dans aucune langue païenne. « Notre force, ditil, est dans le nom du Seigneur. » Le peuple répond : « Elle ne peut être mieux placée, puisque le Seigneur a fait le ciel et la terre. »
Fort de la force même du Dieu des miracles, il se tourne vers le sel, élément nécessaire de l'eau bénite, et il dit : « Je t'exorcise, créature du sel, par le Dieu vivant, par le Dieu vrai, par le Dieu saint ; » et il accompagne ces mots de trois signes de croix. Que signifient ces paroles magistrales?
Par le Dieu vivant, per Deum vivum : ce n'est point en mon nom, ni au nom d'une vaine idole que je chasse de toi le démon et que je te délivre de sa tyrannie, c'est au nom du Dieu qui, étant la vie et la puissance même opère ce qu'il veut en parlant; per Deum verum, au nom du Dieu qui est la vérité même dans ses oracles et dans ses promesses ; Per Deum sanctum, au nom du Dieu de toute sainteté, dont la seule invocation met en fuite l'esprit impur et dissipe ses malignes influences ; c'est au nom de Celui qui, par sa croix a vaincu les légions infernales, racheté et purifié toutes choses au ciel et sur la terre.
Le prétre fonde son succès non seulement sur la puissance créatrice et rédemptrice du Très-Haut, mais sur l'action spéciale et souveraine qu'il a exercée sur le sel, dont il fit le docile instrument d'étonnants miracles. « Je t'exorcise, continue-t-il, au nom du Dieu qui ordonna à Élisée, le prophète, de te jeter dans l'eau pour la guérir de sa stérilité, afin que tu sois fait sel exorcisé, instrument de salut pour les croyants, et de santé pour ceux qui te prendront ; que par toi soient mis en fuite et chassés des lieux où tu seras répandu, tout fantôme, toute méchanceté, toute fraude diabolique, et que tout esprit immonde soit conjuré et empêché de nuire : au nom de Celui qui doit venir juger les vivants et les morts et le monde, parle feu.
Je ne sais, mon cher Frédéric, quelle impression produira sur toi une pareille formule; pour moi, je ne connais rien de plus majestueux ni de plus philosophique. Tu as vu que l'exorcisme a pour but principal de chasser le tyran et de rendre le sel à sa liberté primitive. Il faut, maintenant, lui communiquer des qualités nouvelles qui en fassent un principe de sanctification : c'est à la bénédiction qu'il les devra.
Le prêtre le bénit en disant : « Dieu tout-puissant et éternel, nous implorons humblement votre clémence, afin que vous daigniez par votre bonté bénir et sanctifier cette créature de sel, que vous avez faite pour l'usage du genre humain, de manière qu'elle soit, pour tous ceux qui en prendront, le salut de l'âme et du corps, et que tout ce qui en aura été touché ou aspergé soit délivré de toute souillure et préservé de toute attaque des esprits de malice (1). »

(1) Le sel est bénit avant l'eau. Durand en donne la raison : Per sal intelligitur amaritudo pœnitentiæ, per aquam Baptismum. Quia ergo cordis contritio debet prœcedere absolutionem, et pænitentia Baptismum, ideo priùs benedicitur sel quàm aqua. Ration. div. offic., lib.IV, c. IV.

Le premier élément de l'eau bénite ordinaire est désormais propre à sa glorieuse destination. Reste le second. Le même exorcisme qu'il a fait sur le sel, la même bénédiction par laquelle il l'a transformé en instrument de bienfaits naturels et surnaturels, le prêtre les fait sur l'eau, au nom de la même autorité souveraine, par conséquent, avec la même infaillible certitude de succès.
Pourquoi n'en serait-il pas ainsi ? Est-ce que les eaux de Vichy, de Bourbonne, de Plombières, de Luxeuil, n'ont pas des propriétés dont ne jouissent pas les eaux ordinaires ? Qui les leur a données ? Je sais que ce n'est pas moi. Est-ce toi, est-ce un homme quelconque ? Si c'est Dieu, pourquoi ne pourrait-il pas communiquer a l'eau qu'on bénit par ses ordres, les propriétés qu'il lui plaît ? Tu ne le sais pas, mon cher ami, ni moi non plus, ni personne au monde. Ce que nous savons, c'est qu'il faudrait être fou et fou patenté pour douter des promesses de Dieu ou limiter sa puissance.
Or, les propriétés communiquées à l'eau par la bénédiction se trouvent marquées dans la prière qui suit l'exorcisme : « 0 Dieu, dit le prêtre, qui, pour sauver le genre humain, avez établi vos plus grands sacrements dans la substance des eaux, répandez la vertu de votre bénédiction sur cet élément qui est préparé par diverses purifications, afin que votre créature, servant à vos mystères, reçoive l'effet de votre grâce divine pour chasser les démons et les maladies, et que tout ce qui sera aspergé de cette eau dans les maisons et dans les autres lieux des fidèles, soit préservé de toute impureté et de tous maux; que cette eau en éloigne tout souffle pestilentiel, tout air corrupteur ; qu'elle écarte les piéges de l'ennemi caché et tout ce qu'il pourrait y avoir de nuisible à la santé et au repos de ceux qui les habitent, et qu'enfin la salubrité que nous demandons par l'invocation de votre saint nom nous soit garantie contre toutes sortes d'attaques.»
Toutefois, l'eau et le sel sont encore séparés : ils ne forment pas plus l'eau bénite que l'âme et le corps séparés ne forment l'homme ou la nature humaine. Le prêtre les mêle ensemble, et au nom du Dieu créateur et rédempteur, trois fois invoqué, il constitue une créature nouvelle, l'eau de bénédiction. Le langage qu'il emploie pour lui donner l'être, étincelle de beautés, quant au fond et quant à la forme. Si les contrastes sont un des éléments de la poésie, mieux qu'ailleurs, on les trouve ici entre la toutepuissance du Dieu qu'on invoque et l'extrême faiblesse de l'homme qui l'implore.
Le prêtre dit : « 0 Dieu, principe d'une puissance invincible, roi d'un empire inébranlable, et toujours triomphateur magnifique, qui brisez les forces des dominations ennemies, qui vous jouez de la fureur de l'ennemi rugissant, qui déjouez puissamment ses noirs complots : vous, Seigneur, nous vous prions, tremblants et suppliants, et vous demandons de daigner abaisser vos regards sur cette créature de sel et d'eau, de la glorifier dans votre bonté et de la sanctifier par la rosée de votre miséricorde, afin que partout où elle sera répandue par l'invocation de votre saint nom, soit éloignée toute infestation de l'esprit impur, et bannie toute crainte du serpent venimeux, et que par sa présence le Saint-Esprit nous soit partout en aide, à nous, qui implorons votre miséricorde par Jésus-Christ Notre-Seigneur (1).
Purification et préservation universelle : voilà, comme nous l'avons dit, la glorieuse mission de l'eau bénite et sa raison d'être. Elle ressort avec éclat des prières qui la constituent. Des faits nombreux, accomplis, depuis les apôtres, dans tous les pays et dans tous les siècles, montreront bientôt aux plus incrédules cette double efficacité de l'eau bénite. En attendant, laisse-moi, suivant mon usage, t'expliquer la noblesse des éléments qui la composent.
Gêné par les limites de notre correspondance, je ne puis, à mon grand regret, ajouter aucun détail à ceux que je t'ai donnés, dans mes précédentes lettres sur l'eau, ses propriétés, son rôle immense dans l'ordre moral aussi bien que dans l'ordre physique. Quelques faits seulement en preuve de la haute idée que tous les peuples, même païens, ont eue de l'eau et du respect dont ils l'ont environnée.
« L'eau est la mère du monde, dit Homère (2). » Et Pline : « L'eau est le roi des éléments. Elle dévore la terre, tue le feu, monte dans les airs et s'empare du ciel.

(1) Deus, invictæ virtutis Auctor, et insuperabilis imperii Rex, ac semper magnificus Triumphator, qui adversæ dominationis vires reprimis, qui inimici rugientis sœvitiam superas, qui hostiles nequitias potenter expugnas, te, Domine, trementes et supplices deprecamur, ac petimus ut hanc creaturam salis et aquæ dignanter aspicias, benignus illustres, pietatis tuæ rore sanctifices, ut ubicumque fuerit aspersa, per invocationem sancti nominis tui, omnis infestatio immundi Spiritus abigatur, terrorque venenosi serpentis procul pellatur, et præsentia Sancti Spiritus nobis misericordiam suam poscentibus ubique adesse dignetur.
(2) Oceanus, de quo primum sunt omnia nata. Apud Marsil. Colum., sect. I, c. III.

Quoi de plus admirable que l'eau demeurant dans le ciel (1) !» « De toutes les créatures, ajoutent les poëtes et les historiens, l'eau est la plus sacrée. C'est par elle que jurent les dieux, lorsqu'ils veulent faire le plus inviolable de leurs serments (2). »
Tel était le respect des Romains pour l'eau, que si, pendant leurs sacrifices, elle venait à tomber à terre, ou même si les vases qui la contenaient étaient déposés par terre, ils le regardaient comme un sacrilége et un funeste augure. C'est pourquoi ils imaginèrent un vase de terre appelé Futile, très-large d'orifice et très-étroit de fond, si bien qu'il ne pouvait tenir debout, mais qu'on était obligé de le porter entre les mains. C'était l'office de jeunes filles et de jeunes garçons, appelés camilli, ornés de couronnes, serviteurs et servantes des Flammes et des Vestales (3).
« La vénération profonde dont l'eau fut l'objet chez tous les peuples, dit Marsilius Columna, s'explique par plusieurs raisons. Une des plus mystérieuses et, par conséquent, une des plus fortes, est le privilége d'avoir échappé à la malédiction générale qui frappa le globe après la révolte d'Adam. De préférence aux autres éléments, l'eau fut, de la part de Dieu, l'objet d'une glorification singulière, puisqu'elle ne fut jamais maudite. En effet, il est dit seulement : Maudite soit la terre. Par cette malédiction furent atteints les animaux terrestres qui mangent les fruits de 1a terre, et non les animaux aquatiques. Aussi, l'Évangile ne dit nulle part que Notre-Seigneur, après sa résurrection, ait mangé d'aucun animal, excepté du poisson.

(1) Hoc elementum cœteris omnibus imperat, terras devorant aquæ, flammas necant, scandunt in sublime, et coelum quoque sibi vindicant. Quid mirabilius esse potest aquis in cœlestibus ? Lib. XXXI, c. I.
(2) Deos, cum se quid sanctius promittebant servaturos, per Stygiam paludem jurare. Hydragiol., sect. 1, c. III.
(3) In tanta apud antiquos veneratione aqua erat ut si forte ea, cum sacra fierent, decidisset, aut humi deposita, sacrilegium putaretur malupique portendere videbatur. Ideo quamdam fictilis formam excogilaverunt, quod Futile appellabant, ut refert Donatus dicens Futile vas erat lato ore, fundo angusto, quo utebantur in sacris Deæ Vestæ, quia aqua ad sacra in terra non ponebatur. Quod si factum est, piaculum erat. Unde excogitatum est vas, quod stare non potest ; sed si positum esset, statim aqua funderetur, illud quoque manibus tenere oportebat. Tenebant autem vas ipsum, in manibus Flaminum, Vestalium famulæ, interdumque Flaminum servi, quos Camillos, Patrimosque et Matrimos dixerunt, et coronis redimiti, aquam ipsam sacrificulis exhibebant. Apud M. A. Columnam, etc., sect. I, c. VI.

« C'est la belle remarque de saint Augustin, dont voici les paroles : « Les êtres aquatiques ne succombent point à la malédiction de la colère divine, parce qu'ils ne sont pas compris dans la malédiction même. C'est pour cela que le Seigneur s'étant affranchi, par sa résurrection, de la malédiction qui condamne l'homme à la mort, ne goûta plus de la chair des animaux terrestres, mais des animaux aquatiques, lorsqu'en preuve de sa résurrection il mangea devant ses disciples d'un poisson frit et d'un rayon de miel (1). »

Assez sur l'eau, à demain le sel.
Tout à toi.

(1) Pulchre notat S. Aug., lib. I, De mirab. sacræ Script., c. IV, cujus verba sunt hac : Aquatilia maledicto vindicte non succumbunt, quia in maledictionis participatione non sunt. Ac per hoc et Dominus, cum mortis humane maledictum resurgendo deposuerat, non terrestrium, sed aquatilium carnem animatium comedebat, cum ad confirmationem resurrectionis coram discipulis suis piscis assi partem et favum mellis accipiens manducavit. Hydragiol., sect. 1, c. III.


QUATORZIÈME LETTRE

Ce 10 octobre.

DANS LES TROIS ESPÈCES D'EAU BÉNITE, IL Y A UN ÉLÉMENT SUPÉRIEUR AUX AUTRES : POURQUOI. - LE SEL, PRINCIPAL ÉLÉMENT DE L'EAU BÉNITE ORDINAIRE. - QUALITÉ DU SEL. - II FÉCONDE. IL CONSERVE. HISTOIRE. - IL RÉJOUIT. - IL PRÉSERVE DE LA CORRUPTION. - ÉLOGES DU SEL. - IL REMPLIT LES FONCTIONS DE L'ÂME. - USAGE DU SEL DANS LES RELATIONS SOCIALES. - LE PACTE DU SEL. - CHOSE SACRÉE. - LE SEL DONNÉ AUX ÉPOUX. - AUX HÔTES. - LA SALIÈRE RENVERSÉE. - TÉNACITÉ DES TRADITIONS. - FAIT HISTORIQUE.

MON CHER FRÉDÉRIC,
Parmi les éléments qui composent les trois espèces d'eau bénite, il en est toujours un qui par sa nature est
supérieur aux autres. Ainsi, le vin dans l'eau de la consécration, et le saint Chrême dans l'eau baptismale. Tu l'as sans doute remarqué et ta remarque est juste. Quel est ce mystère ? Dans les bénédictions de l'Église, le monde supérieur et le monde inférieur se donnent rendez-vous... Dieu intervient pour purifier sa créature, pour l'ennoblir; et, en lui communiquant une vie plus abondante, la rendre capable d'effets dont elle est naturellement incapable. Il se fait comme une création nouvelle. Afin de la rendre sensible, il devient nécessaire que l'a-gent divin qui l'opère ait pour symbole un élément distingué par le nombre et la noblesse de ses qualités. Nous allons retrouver l'application de cette loi, dans l'eau bénite ordinaire.
Le sel en est l'élément principal, ou, si tu veux, le principe générateur. Aussi, il est bénit le premier. Ma tâche est de te montrer qu'il est bien choisi. Je vais l'entreprendre en te disant les qualités du sel, ses prérogatives, le respect dont l'environna la religion de tous les peuples, ses rapports avec le Verbe créateur, conservateur, rédempteur et glorificateur du ciel et de la terre. Dans cette étude nous trouverons, une fois de plus, l'occasion d'admirer la profonde philosophie de nos rites sacrés. Ce n'est pas, surtout aujourd'hui, un mince avantage.
« Le sel, dit un savant auteur, est tellement nécessaire au monde, qu'il semble évidemment né pour la fécondité des êtres animés, pour la conservation de leur santé et pour la joie de leur vie... Il faut ajouter : et leur incorruption après la mort (1).

FÉCONDITÉ. C'est un fait que le sel contribue puissamment à la santé, par la force qu'il communique. Les anciens ne l’ignoraient pas. Ainsi, les Juifs avaient soin de laver avec de l'eau salée les enfants nouveau-nés (2). Un des plus célèbres médecins de l'antiquité, Galien, recommande fortement cette pratique, qu'il regrette de voir tomber en désuétude par la mollesse des mœurs (3). Or, une partie de la santé, c'est la fécondité. De là vient que les animaux auxquels on a soin de donner du sel dans une certaine quantité deviennent plus vigoureux et se reproduisent plus facilement que les autres.
A la même cause les naturalistes attribuent en grande partie la rapide rnultiplication des peuples du Nord. Bien plus que les peuples méridionaux, ils font un usage habituel d'aliments salés, de viande salée. Le poisson salé, le beurre salé, le frornage, composent presque toute leur nourriture. De là, malgré le froid du climat, une chaleur de sang et une vigueur de tempérament, dont l'influence sur le développement des races ne saurait être douteux (4).

(1) Nature ac conservationi rerum adeo utilis et necessarius, ut ad animantium tum fœcunditatem, tum salutem, atque vitæ jucunditatem, divinitus procreatus omnino esse videatur. Bernardine Gomesii Miedis, archid. Sagunt., Comment. de sale, n. 4. 1ib. I, 58, Valentiæ, 1579.
(2) Ezech., xvi, 4.
(3) Sanitati conducit ut primum, sale modico insperso, cutis ejus (infantis) densior solidiorque iis qua intus sunt partibus reddatur. (Ita veteres), at jam molles obstetrices sale, ut pote mordaci, abstinent. De Sanitat. tuendâ, c. vii.
(4) Gal., De sanitate tuenda, lib. I, 108.

CONSERVATION. Ce n'est pas ce qu'on mange qui nourrit, c'est ce qu'on digère. Or, il n'y a pas de bonne digestion sans sel. « Les pigeons ou colombes, dit Pline, sont les animaux qui digèrent le mieux et qui sont les plus féconds. Ils le doivent au sel qu'ils mangent en plus grande quantité et qu'ils sécrètent avec plus d'abondance (1). » Leur fiente même en est tout imprégnée. De là, ses propriétés fécondantes, et celles du guano, si connues aujourd'hui.
De là encore, cher ami, un fait très curieux et généralement incompris du livre des Rois. On lit dans l'Écriture que la capitale du royaume d'Israël, Samarie étant assiégée par les Assyriens, la famine devint telle, qu'on ne trouvait plus aucun des aliments dont l'homme fait sa nourriture ordinaire. Il fallut recourir à des viandes crues et inusitées. Même celles-ci devinrent d'une rareté extrême. C'est au point qu'une tête d'âne se payait quatre-vingts pièces d'argent, et le quart d'une mesure de fiente de colombes, cinq pièces d'argent (2).
Les fils de Voltaire, qui ne doutent de rien, parce qu'ils ne se doutent de rien, ne manqueront pas d'affirmer, comme leur aïeul, que les Juifs mangeaient du guano ; que c'était même pour eux un mets assez friand, puisqu'ils le payaient si cher. L'historien Josèphe va les ramener à la raison. « L'extrême cherté de la fiente de pigeons provenait, dit-il, de l'extrême disette de sel (3).» Cette fiente en étant toute saturée, les assiégés en extrayaient la partie saline dont ils se servaient pour assaisonner leurs aliments. Et ces aliments si étranges, si désagréables qu'ils fussent au goût, ils parvenaient à s'en nourrir et à les digérer.

(1) Non solum salsiorem terram, sed etiam grana salis gutture colligentes pullis suis in ora inspuunt, ut eis tam fœcunditatem, ac propagandi vim, quam cibi etiam appetentiam ingerant. Apud Gomes, lib. 1, 101.
(2) Factaque est fames magna in Samaria : et tam diu obsessa est, donec venumdaretur caput asini octoginta argenteis (environ 40 francs) ; et quarta pars cabi (environ une livre) stercoris columbarum quinque argentais. IV Reg., vi, 25.
(3)Tanta autem ciborum penuria premebatur, ut propter caritatem immodicam intra Samariam caput asini octoginta quidem nummis argenteis venierit, quinque vero nummis argenteis sextarium stercoris columbini emerint Hebræi pro sale. Joseph. Antiq. jud., lib. IX, c. IV, 480, edit. in-fol. 1726.

On sait, en effet, que l'extrême faim blase tellement le goût et le palais, qu'ils ne peuvent plus faire leurs fonctions, à moins d'être excités par le sel (1). »
JOIE DE LA VIE. En assaisonnant les aliments, le sel excite l'appétit, affecte agréablement le palais, donne à l'estomac la force de recevoir la nourriture en plus grande quantité et de la digérer plus facilement. De cette action bienfaisante le premier résultat nécessaire, c'est la santé; le second, le plaisir, et le troisième, le bonheur de la vie (2).
INCORRUPTION. « Non-seulement, dit l'auteur espagnol déjà cité, le sel communique la fécondité à tous les êtres; mais encore, semblable à une tendre mère, il prend soin de leurs petits, il les nourrit et les conserve. Telle est sa mission providentielle et son amour pour nous, qu'il ne nous abandonne même pas après la mort. Avec une affection plusque maternelle, il s'enferme avec nous dans le tombeau, et y demeure, afin de préserver nos corps de la corruption, aussi longtemps qu'il se peut, de manière à leur procurer une sorte d'immortalité (3). »
Comme tu vois, l'auteur fait allusion à l'emploi du sel dans l'embaumement des corps, et à la propriété exceptionnelle dont il jouit de les conserver : il a raison. « Le sel, dit Pline, est le plus puissant conservateur des corps. Pendant des siècles, il les préserve de la corruption (4). » Bien que le baume soit le prince des aromates, et qu'il soit généralement employé dans l'embaumement, toutefois l'expérience apprend qu'il ne peut pas faire, sans le sel, ce que le sel peut faire sans lui. Les corps embaumés sans sel se conservent, il est vrai, sans corruption, mais ils ne résistent pas aux secousses qu'on leur imprime : un choc tant soit peu violent les fait tomber en poussière.


(1)Tanta fimi caritas neque aliunde inducta fuit quam ex eo quod summa salis inopia laborarent, ideoque ex hujusmodi fimo salem elicerent quo uterentur ad occurrentia quæcumque esculenta, quantumvis licet humano gustui dissentanea, cum palato simul et ventriculo concilianda nutritionique aptanda, quin etiam ad conservanda illa diutius et a fœtore quovis asserenda, etc. Gemes, ubi supra
(2) Gomes., ubi suprà, lib. II, 181.
(3) Ex quibus suprema illa tria naturæ bona, et quod simus,et quod bene simus : et quod perpetuo fere simus, cur non magna ex parte sali accepta referamus ? Gomes, ubi suprà.
(4) Salis natura est per se ignea... omnia erodens, corpora vero astringens, siccans, alligans, defuncta etiam a putrescendo vindicans, ita ut durent per sæcula. Hist. nat., lib. XXXI.

Il en est autrement des corps embaumés avec le sel. Aussi, les Égyptiens, ces maîtres embaumeurs, conservaient les corps, non avec du baume, mais avec du sel, du nitre et du bitume liquéfié (1). Leur manière d'embaumer nous a été conservée par Diodore de Sicile et par Hérodote. Ce dernier rapporte le fait suivant.
Amasis, roi d'Égypte, étant mort, fut embaumé avec du sel et placé dans le tombeau qu'il s'était fait. Puis, afin de montrer quelle est la puissance du sel, non-seulement pour conserver les corps et les empécher de tomber en dissolution, mais encore pour résister aux coups et aux chocs, il décrit la barbarie dont Cambyse, roi de Perse, usa à l'égard du. corps d'Amasis.
« Cambyse, dit l'historien grec, partit de Memphis pour la ville de Saïn, avec l'intention de faire ce qu'il fit. A peine entré dans le palais d'Amasis, il ordonna d'apporter son cadavre. Retiré du cercueil, il le fit frapper à grands coups, déchirer, piquer avec des fers aigus, et outrager de toute manière. Le corps résista à toutes ces violences et fatigua les hommes, parce qu'il avait été embaumé avec du sel. Ce que voyant, Cambyse ordonna de le brûler. (2) »
Au reste, la merveilleuse propriété du sel, dont je parle en ce moment, était incontestée parmi les anciens. Dans leurs langues les embaumeurs s'appelaient salinateurs, salinatores.
Si tu réfléchis à toutes les qualités du sel et au rôle immense qu'il joue dans la nature, rien ne te paraîtra moins étonnant que les éloges dont il a été l'objet de la part de tous les peuples et l'usage social et religieux qu'ils en ont fait.

(1) ... Non balsamo cum myrrha et aloe, sed sale cura nitro, cedria, asphalto hoc est bitumine liquido usi surit. Gomes, lib. I, 88.
(2) Quod facientes postquam defatigati erant, nam cadaver utpote salitum resistebat nec quicquam omnino elidebatur, jussit cremari. Hist., lib. III.

« Par Hercule ! s'écrie Pline, sans le sel la vie humaine est impossible (1).» - Dans l'ordre de la nature, le sel est le plus beau présent que les dieux aient fait à l'homme. - Le sel est un élément divin; il est divin parce qu'il joue le rôle de l'âme. Pendant la vie, il maintient l'homme dans les bornes de la raison. Par son âcreté, il préserve de l'excès dans le manger; par sa douceur, il excite à manger et facilite la digestion. Après la mort, des corps privés de la vie il éloigne la corruption : il ne permet pas qu'ils périssent entièrement. En leur faveur, longtemps il lutte contre la décomposition du tombeau, et, autant qu'il peut, il remplit les fonctions de l'âme. Or, rien n'est plus divin que l'âme. Le sel est le baume de la nature. La Providence l'a mêlé à tous les corps composés, afin de leur donner la saveur, la force et une sorte d'immortalité. » Tu viens d'entendre Pythagore, Hésiode, Homère, Platon, Plutarque, saint Anselme (2).

(1) Ergo, herculè, vita humana sine sale nequit degere. Lib. XVI, c. VII.
(2) Apud Corn. a Lap., In Ezech., XVI, 2; et Gomes, lib. 1, 87; et lib. V, 545.

Quant à l'usage du sel dans les relations sociales, en voici quelques exemples. J'espère que tu ne les liras pas sans intérêt ; car ils sont peu connus, même au Collége de France.
La plupart des peuples anciens comprenaient beaucoup mieux que nous le symbolisme des créatures : ils le devaient à des traditions primitives. Ainsi, le sel jouait le plus grand rôle dans leurs contrats et les usages de leur vie. Le pacte du sel, pactum salis, était chez les Juifs tout ce qu'il y avait de plus sacré. Dieu. lui-même leur en avait donné l'idée. Parmi les promesses qu'il fait à son peuple, il en est deux importantes entre toutes : la première, de perpétuer le sacerdoce avec tous ses priviléges dans la famille d'Aaron ; la seconde, de faire naître le Messie de la famille de David.
Or, ces deux promesses, le Seigneur les confirme par le pacte du sel, en d'autres termes, il jure par le sel de les accomplir. « Toutes les prémices offertes à mon sanctuaire, dit-il à Aaron, je te les ai données à toi, et à tes fils, et à tes filles à perpétuité. C'est le pacte du sel, éternel devant le Seigneur, fait en ta faveur à toi et à tes fils. » Et plus loin, par la bouche d'Abia : « Vous n'ignorez pas que le Seigneur Dieu d'Israël a donné à David le royaume d'Israël à perpétuité, à lui et à ses fils, par le pacte du sel (1). »
Sacré pour Dieu lui-même, le pacte du sel ne l'était pas moins pour les hommes. Si éloignés qu'ils fussent les uns des autres, si grande que fût l'inégalité des conditions, ils le donnaient comme une preuve de leur constante amitié et de leur inviolable fidélité. As-tu lu dans Esdras ce fait singulier ? Les peuples hostiles aux Juifs veulent les empêcher de rebâtir Jérusalem. En conséquence, ils les dénoncent au roi d'Assyrie comme des rebelles. Pour prouver la vérité de leur accusation, ces hypocrites rappellent à Artaxerxès le sel qu'ils ont mangé dans son palais. Comme s'ils disaient : Nous sommes incapables de vous tromper, puisque nous avons fait avec vous le pacte du sel, pacte d'amitié, sacré, inviolable, éternel (2).
De là même origine était venu l'usage, religieusement observé chez certains peuples de l'Orient, de faire goûter du sel aux époux, au moment de leur alliance. C'était le serment d'union perpétuelle, le plus sacré qu'ils pussent faire. Origène ne manque pas de le rappeler à un voltairien de son temps, le philosophe Celse. « Autrefois, dit-il, c'était la coutume de jurer par le sel, et c'était un serment redoutable (3). » Avant lui un ancien poëte avait dit : « Le serment par le sel est un grand serment; car le sel est le condiment de toutes choses : Jusjurandum salis ingens est, sale quippe omnia condiuntur. »

(1) Omnes primitias sanctuarii... dedi tibi et filiis ac filiabus tuis, jure perpetuo. Pactum salis est sempiternum coram Domino tibi ac filiis tuis. Num., XVIII, 19. - Non ignoratis quod Dominus Deus Israel dederit regnum David super Israel in sempiternum, ipsi et filiis ejus in pactum salis. II Paralip., XIII, 5.
(2) Nos autem memores salis quod in palatio comedimus, et quia lusiones regis
videre nefas ducimus, idcirco misimus et nuntiavimus regi. I Esdr., c. IV, 14.
(3) Olim solitum fuisse jurare per salem, esseque ejus juramentum ingens. Contr. Cels., apud Gomes, lib. V, 560.
De là, cet autre usage, connu de toute l'antiquité, de commencer par servir du sel aux personnes à qui on donnait l'hospitalité. Apportez le sel, salem apponite, disait le maître de la maison. C'était le symbole d'une solide et durable amitié. Si par hasard le sel venait à se répandre sur la table, cet accident était un mauvais augure. On y voyait un signe que l'amitié ne serait pas de longue durée. Savais-tu, mon cher docteur, que là est l'origine de la superstition, encore existante, de la salière renversée1? Naguère encore chez les Turcs et chez les Perses, manger ou avoir mangé ensemble du sel était le plus fort serment d'amitié.
Voilà une preuve assez frappante de la ténacité des traditions populaires. En voici une autre : « Un jour, écrit le savant archidiacre de Sagonte, me promenant dans la campagne, je trouvai deux, bonnes vieilles femmes, qui, en réunissant, leurs âges, pouvaient compter cent quatre-vingts ans. Elles se querellaient vivement. Le sujet de leur dispute était cette question : quand le soleil est caché derrière les nuages, est-ce, ou n'est-ce pas le jour ? Des gros mots elles en vinrent aux menaces, et les batons se levèrent. Je parvins à les calmer. Alors elles se mirent à crier toutes deux : Donnez-nous du sel, donnez-nous du sel. Je leur en donnai ; et elles ne furent réconciliées qu'après en avoir goûté l'une et l'autre.
« Je pris cela pour une superstition de bonne femme, mais elles m'affirmèrent de la manière la plus positive que cet usage venait de leurs ancêtres : elles avaient raison. En me reportant aux livres de l'Ancien Testament, je découvris que ce n'était pas une invention humaine, mais une institution divine. C'est Dieu luimême qui avait enseigné au peuple juif, type du peuple chrétien, que le sel est le symbole de l'union des choses divines et humaines et de la perpétuité de cette union. Et cela par la raison fondamentale que tous les sacrifices, divinement institués, avaient pour but d'apaiser Dieu et de rétablir entre lui et l'homme l'union rompue par le péché (2). »


(1) Vid. Pierium in hieroglyph. salis.
(2) Lib, V, 548.

Ajoutons que Notre-Seigneur lui-même nous recommande de faire usage du sel dans les relations sociales et de le regarder comme le symbole de la concorde et de la paix (1).
Ceci nous conduit à l'emploi du sel dans les choses religieuses. Ma première lettre en contiendra l'histoire et la rai-son.

Tout à toi.

(1) Habete in vobis sal, et pacem habete inter vos. Marc., ix, 49.


QUINZIÈME LETTRE

Ce 12 octobre.

USAGE DU SEL DANS TOUS LES SACRIFICES DE L'ANCIENNE LOI. -LE SEL DANS LE NOUVEAU TESTAMENT. - LE SEL AU BAPTÊME. - ORIGINE DU QUOLIBET : BOURGUIGNON SALÉ. - L'EMPLOI DU SEL CONTREFAIT PAR LE DEMON. - LE SEL DANS TOUS LES SACRIFICES PAÏENS. - RAISON DE L'USAGE UNIVERSEL ET PERMANENT DU SEL DANS LES CHOSES DIVINES ET HUMAINES. - CE QUE SIGNIFIE LE SEL DANS LES SACRIFICES. - LE SERMENT PAR LE SEL. - LE SEL DONNÉ AUX HÔTES. - LE SEL DANS LE BAPTÊME ET DANS L'EAU BÉNITE ORDINAIRE. - SAGESSE DE L'ÉGLISE.

Ouvrons, mon cher ami, le plus ancien livre du monde, le livre où tout est vérité : vérité historique, religieuse, scientifique, philosophique. Dès les premières pages, l'auteur de ce livre, le Saint-Esprit lui-même donne au peuple hébreu le précepte suivant : « Tout ce que tu offriras en sacrifice, tu l'assaisonneras avec du sel et tu n'ôteras pas de ton sacrifice le sel de l'alliance de ton Dieu. Pans toute oblation tu offriras du sel (1). »
Si jamais ordre ne fut plus absolu, il faut dire aussi que jamais ordre ne fut mieux observé. Parcours l'Ancien Testa-ment, tu verras le sel entrer dans tous les sacrifices. Invariablement les prêtres le répandent sur la tête des victimes, sans cela regardées comme impropres au sacrifice. On allait jusqu'a le mêler aux pains de Proposition (2).
Dans le Nouveau Testament, le Fils de Dieu rappelle ce commandement lors-qu'il dit : que, comme toute victime est salée avec du sel, tout réprouvé sera salé avec du feu de manière à devenir incorruptible (3).

(1) Quidquid obtuleris sacrificii, sale condies, nec auferes sal fœderis Dei tui de sacrificio tuo. In omni oblatione tua offeres sal. Levit., II, 13.
(2) Corn. a Lap., Ad Hebr., IX, 2.
(3) Marc., IX, 48.

Il veut que ses apôtres, grands médecins et grandes victimes du monde, ne soient pas seulement salés, mais qu'ils soient sel (1). A son tour, saint Paul, rappelant aux chrétiens qu'eux aussi sont des guérisseurs, des conservateurs et des victimes, leur recommande d'être sel, afin d'assaisonner de sel tous leurs discours (2).
Enfin, depuis dix-huit siècles, sur les différents points du globe, l'Église catholique, héritière de toutes les traditions sacrées, conserve religieusement ce profond mystère. Debout au seuil de la vie, elle l'enseigne au nouveau-né en lui met-tant du sel dans la bouche.
De cet usage est venu l'honorable sobriquet dont je trouve ici l'occasion de te parler. De temps immémorial, on appelle les habitants de mon pays : Bourguignons salés, en latin Burgundi saliti. Ce qu'on croit une moquerie est un titre de gloire : je tiens à te le montrer. Entre les peuples du Nord, les Burgondes ou Bourguignons furent les premiers à faire baptiser leurs enfants. Témoins de la cérérnonie du sel mis dans la bouche, les païens des provinces voisines les appelèrent par dérision les Salés ou les Bourguignons salés. Le mot est resté, mais la signification s'est perdue. Je parle sur l'autorité d'un des plus illustres enfants de la Bourgogne ; le cardinal Pernot de Granvelle, ministre de Charles - Quint. Étant à Rome vers le milieu du seizième siècle, lui-même donnait cette explication au savant archidiacre de Sagonte (3). Qu'en penses-tu, mon cher Frédéric ? quand, pour justifier l'emploi du sel dans les sacrifices, dans les sacrements, dans les relations sociales, on s'appuie sur toutes les traditions divines et humaines, n'est-on pas en droit de se présenter sans crainte aux ennemis comme aux amis ?


(1) Matth., V, 13.
(2) Ad Coloss., IV, 6.
(3) Non a copioso eorum sale, ut nonnulli autumant, sed ab hac sacra salitura, in eorum continibus ortum fuit proverbium in ipsos vulgo gallice jactatum, quod est latine redditum : Burgundus salitus. Quam dans interpretationem, atque proverbii etymon, illustrissimus ac facundissimus cardinalis Antonius Gravellanus idem quoque Burgundus, nuper Romae mihi inter proverbia salis summo loco enumerandum obtulit. Gomes, etc., lib. V, 560; id., M. A. Columna, Hydragiol., sect. II, c. IV, 218.

Le rôle du sel étant ce que nous venons de voir, tu devines bien que le démon ne pouvait manquer de s'emparer de cette noble créature, et de la faire servir aux rites sacriléges de son culte.
En Occident, c'est lui qui, sous le nom d'Égérie, apprit à Numa, son grand médium, à faire usage du sel dans tous les sacrifices, lui déclarant que sans cela ils seraient de nulle valeur (1). Par je ne sais quel organe fatidique, il avait donné la même instruction aux peuples de l'Orient. « Les Grecs, dit Homère cité par Horace, offrant leurs sacrifices devant les murs de Troie, reconnurent que les dieux étaient apaisés, lorsqu'ils eurent couvert de sel leurs victimes (2). »
Horace ajoute que le moyen de se rendre favorables les dieux pénates, je veux dire les démons du foyer, c'était de leur offrir du sel (3).
Ovide va plus loin et dit que c'était le moyen d'apaiser tous les dieux, et d'honorer Janus en particulier (4).
Virgile, Plaute, Athénée, sont les échos de la même tradition (5).

(1) Numa instituit deos fruge et molâ salsâ supplicare. Plin., lib. XII, c.II. - Maxime tamen in sacris intelligitur auctoritas, quando nulla confi ciuntur sine molâ salsâ, Id., lib. XXXI, c. VII.
(2) Jamque Deos visi placasse, ubi sacra salita Conspersere mola. Horat., III. carmra., od. 23.
(3) Mollivit aversos penates Farre pio et saliente mica. Ibid
(4) Ante Deis homines, quod conciliare valeret, Far erat et puri lucida mica salis. Unde vocor Janus, cui cum cereale sacerdos Imponit libum farraque mixta sale. Fast., lib. I. Mola, ait Festus, nihil aliud erat, uamfartostum et sale aspersum; et quo, eo molito, hostiæ aspergerentur, inde molæ nomen invenit.
(5) Sparge molam sale. Eglog., VIII. Et salsæ fruges, et circum tempora vittæ. Æneid., lib. II. Prodigiali Jovi aut molâ salsâ hodie, aut thure comprecatum oportuit. Plaut., in Amphitr. - Sacrificant etiam salsamenta apud Phasalitas. Athen., Dipnosophist.

En un mot, les païens étaient persuadés que tout sacrifice, pourvu qu'il fût aspergé de sel, était agréable aux dieux et qu'il avait une vertu particulière pour les rendre propices (1). Ainsi s'explique le respect profond des Romains en particulier pour le sel. Leurs Vestales, qui gardaient les rites religieux dans toute l'intégrité de l'institution primitive, coupaient le sel, pour les sacrifices, avec une scie en fer, de peur qu'en le cassant avec un marteau, il n'en tombât à terre quelque grain, ce qui eût été une profanation et un mauvais augure. Nous devons ces détails à un auteur païen, Fabius Pictor (2).
C'est donc un fait : depuis l'origine des temps et chez les différents peuples, le sel a joué, il joue encore un grand rôle dans les choses divines et humaines (3). Tout fait a une cause ; tout fait permanent et universel a une cause permanente et universelle; toute cause permanente et universelle est une vérité. Tu peux défier le sophiste le plus décidé, quelle que soit la puissance de sa mâchoire, de mordre à ces inductions.
Sur quelle vérité, me demandes-tu, repose la magnifique mission du sel ? On la trouve dans les propriétés mêmes de cet élément, créé, ce semble, exprès pour représenter les mystères fondamentaux de l'ordre religieux et social.
D'abord, le sel est offert dans tous les sacrifices, autrement ils sont de nulle valeur : quelle en est la raison ? Une propriété du sel est d'assaisonner les aliments, de les rendre agréables et faciles à digérer. Le sacrifice est le repas de l'homme avec Dieu ; l'autel, la table ; la victime, le mets du festin. Ce mets ne peut être agréable à Dieu ni utile à l'homme, s'il est fade ou corrompu. II est tel, si celui qui l'offre manque de pureté et de volonté ferme de se donner au Dieu avec qui il se met en rapport.

(1) Nec minus propitii dii erant molâ salsâ supplicantibus, immo vero, ut palam est, placatiores. Apud Gomes, lib. V, 556.
(2) Gomes, ubi suprà.
(3) Salem in magnâ semper veneratione fuisse apud christianos multisque mysteriis plenum, luculenter ostendit Simon de Cassia. In lib. De similitudinibus à Salvatore positis, lib. VII, c. I.

Et ce Dieu dit à l'homme : En preuve de la réalité de ces dispositions, tu ne m'offriras aucune victime qui ne soit salée : Omnis victima sale salietur. Or, nous l'avons vu, Dieu et le démon ont exigé le sel dans tous leurs sacrifices. Si, dans les sacrifices offerts au vrai Dieu, le sel était le témoignage sensible d'un dévouement sans limites, par conséquent l'hommage de la plus haute valeur : tu comprends par là même la profonde malice de Satan et son infernale parodie. En exigeant le sel dans tous ses sacrifices, sous peine de ne leur reconnaître aucune valeur, il voulait de ses adorateurs la protestation d'un dévouement absolu, par conséquent le plus haut acte d'idolâtrie (1).
Le sel figure dans les contrats. L'Auteur même de la nature, Dieu, jure par le sel : c'est un de ses plus grands serments. Pourquoi ? Le privilége du sel est de préserver de la corruption. Le serment par le sel, le pacte du sel, le sel de l'alliance signifie un serment inviolable, un pacte éternel, une alliance que rien ne pourra rompre (2).
Identique est la signification du sel présenté aux hôtes et mangé avec eux. Je vous accueille dans ma maison ; je vous admets à ma table. En preuve de la sincère affection qui m'inspire et de l'union durable que je désire contracter avec vous, goûtons ensemble de ce sel, symbole éloquent de conservation et de durée : voilà tout ce que disait le chef de famille en présentant le sel. Qu'il soit fait ainsi voilà ce que répondait l'hôte en l'acceptant.

(1) Altare vocatur mensa Dei. Malach., I, 7... Ut plenum et perfectum esset Dei convivium, sal exigebatur : nam in omni convivio requiritur caro et panis ad cibum, vinum ad potum, sal ad condimentum… sale significabatur æterna durabilitas. Sal est ergo symbolum tum æternitatis Dei, quam per salem protestabantur offerentes victimas salitas, tum integritatis et incorruptionis anima et corporis, quam Deus in offerente exigit. Nam, ut ait Philo (Lib. de victimis), primus conservator corporum est anima, secundus est sal. Sal enim corpora diutissime tuetur et æternat, redditque quadammodo immortalia. Corn. a Lap., in Lev., II, 1, 13.
(2) Sicut enim sal a putrefactione carnes conservat; ita pactum salis metaphorice significat pactum alienum a corruptione et violatione, pactum firmum et perpetuum. Sal ergo fœderis idem est quod sal firmativum fœderis, symbolum fœderis firmi et stabilis. Corn. a Lap., ubi suprà.

Arrivons à d'autres mystères. Dieu n'a jamais eu qu'une victime, son Fils unique, le Verbe incarné, l'homme par excellence. Le Verbe incarné se perpétue dans le chrétien : Christianus alter Christus. Le chrétien est donc une victime. Sa foi est un engagement au martyre, debitricem martyrii fidem, suivant le mot de l'énergique Tertullien. Or, la condition du sacrifice est toujours la même. Après comme avant l'Évangile, il faut, dans le sens que je t'ai dit, que la victime soit salée . Omis victima sale salietur (1). De là, le sel au baptême.
Le sel est encore principe de santé et de fécondité, élément de saveur et condition universelle de vie. En cela il continue d'être le symbole éloquent du Verbe et des chrétiens. Ouvre l'histoire et dis-moi quelle était la santé spirituelle et la fécondité morale des peuples antérieurs au christianisme, la qualité de leur sagesse et la nature de leur vie ? Prends ensuite une mappemonde et regarde quelles sont encore, sous ces différents rapports, les nations où ne sont connus ni le Verbe ni le chrétien, frère du Verbe.
Veux-tu quelque chose de plus convaincant et de plus facile ? fixe ton attention sur ce qui se passe autour de toi, écoute ce qui se dit, lis ce qui s'écrit et tu verras ce que deviennent les époques, les royaumes, les familles, les individus qui repoussent le sel divin, ou qui le laissent s'affadir (2) ?
Telles sont en abrégé les propriétés naturelles et figuratives du sel. La main sur la conscience, dis-moi si l'Église ta mère manque de sagesse, lorsqu'elle emploie cette créature mystérieuse dans l'eau bénite ordinaire?

Tout à toi.

(1) Marc:, IX, 48.
(2) Gomes, lib. V, 685.


SEIZIÈME LETTRE

Ce 13 octobre.

EFFETS DE L'EAU BÉNITE ORDINAIRE. - HÉRÉSIE DE NIER L'EFFICACITÉ DE L'EAU BÉNITE. - ELLE NE DÉPEND PAS DE LA SAINTETÉ DU PRÊTRE. - PREMIER ET SECOND EFFET DE L'EAU BÉNITE : RÉMISSION DU PÉCHÉ VÉNIEL, RÉMISSION .DES PEINNES TEMPORELLES DUES AU PÉCHÉ. - IMPORTANCE DE CES DEUX EFFETS. - TROISIÈME EFFET DE L'EAU BÉNITE : CONSERVATION DE LA SANTÉ. - GUÉRISON DE LA FIÈVRE : EXEMPLE. - GUÉRISON DE LA DYSSENTERIE : EXEMPLE.

MON CHER AMI,
L'Eglise est une grande reine : elle ne descend point à de vains détails. C'est à elle surtout que convient l'adage : De minimis non curat prœtor. Maîtresse de la vérité, elle ne pratique ni ne patronne des superstitions ridicules. Épouse de Celui qui est la sagesse infinie, sa sagesse domine toute sagesse; mieux que personne elle connaît le monde visible et le monde invisible, ainsi que leurs rapports. Depuis dix-huit siècles, ses ennemis n'ont pu, sur aucun point, la trouver en défaut.
Ainsi, de la noblesse incomparable des éléments choisis pour base de nos trois espèces d'eau bénite, jointe à la magnificence des prières qui les sanctifient, il est facile de conclure l'importance que l'Église y attache et la grandeur des effets qu'elle en attend.
Tu connais ceux de l'eau de la consécration et de l'eau baptismale. Restent ceux de l'eau bénite ordinaire. Les voici tels qu'ils se trouvent marqués dans les prières qui lui donnent l'existence, et tels que je les ai indiqués en parlant des sacramentaux. 1° Elle remet les péchés véniels, sanitas mentis; 2° les peines temporelles dues au péché, efficiaris in salutem credentium; 3° elle procure la santé, sanitas corporis; 4° elle chasse le démon et déjoue toutes ses ruses, effugiat omnis phantasia et nequitia vel versutia diabolicæ fraudis, omnisque spiritus immundus; 5° elle éloigne les épidémies et les fléaux, de quelque nature qu'ils soient, non illic resideat spiritus pestilens, non aura corrumpens, et si quid est, quod autincolumitati habitantium invideat, aut quieti. La conséquence de tout cela est de nous placer corps, âme et biens sous l'empire du Saint-Esprit, et præsentia Sancti Spiritus nobis ubique adesse dignetur. Une goutte d'eau faisant tout cela ! Se peut-il' concevoir quelque chose de plus précieux, de plus digne de notre reconnaissance et de nos respects ?
Je ne reproduirai pas ici les preuves doctrinales de l'efficacité de l'eau bénite : tu les as dans nos lettres sur les sacramentaux. Je te dirai seulement trois choses. La première, que ce serait une hérésie de nier la puissance de l'eau bénite à produire ses différents effets, surtout contre le démon (1). La seconde, que la sainteté plus ou moins grande du prétre qui la fait n'ôte rien à l'efficacité de l'eau bénite (2). La troisième, que les effets de l'eau bénite peuvent acquérir une plus grande énergie, par la dévotion du prêtre qui en est le ministre et des fidèles qui en font usage (3). Tu me rappelles que j'ai promis d'établir l'efficacité de l'eau bénite par des faits : je ne l'ai pas oublié. Je vais dégager ma parole, après avoir expliqué les deux premiers effets de l'eau bénite, le seuls qui ne soient pas susceptibles du genre de preuves dont nous parlons.

(1) Aquæ benedictæ mirabilem esse virtutem contra tentationes ac stimulos dæmonum, adeo quidem, ut hæc negare sit hæresis, quia est contra usum tam antiquum, tamque laudabilem Ecclesiæ catholicæ, et contra decretum Alexandri primi. Silv. Pierius, De strigimagis, lib., II, c. XII. Punct. II, apud Marsil. Colum., Hydragiol., sect. III, c. II, p. 281.
(2) Usu quidem facillime potest evenire, ut aqua a sacerdote minus probo benedicatur, quo adveniente casu, benedictioni id vitio vertendum esse, credere non debemus. Hydragiol., sect. III, c. I, 268.
(3) Omnes autem fructus prædicti possunt ex devotione sacerdotis aquam benedicentis, et eorum qui ex ea asperguntur, incrementum accipere. Ibid., 289.

Le premier effet de l'eau bénite est d'effacer les péchés véniels; le second de remettre les peines temporelles dues au péché. Voici la manière dont saint Thomas explique ce consolant mystère. Le péché est une désobéissance volontaire à la loi de Dieu. Cette désobéissance peut être plus ou moins grave. De là, deux sortes de péchés le mortel et le véniel. Par le premier, l'homme perd la vie de la grâce. Il ne peut la recouvrer que par une nouvelle infusion de la grâce. Cette infusion n'a lieu que dans le sacrement de Pénitence. Ainsi l'a voulu Celui qui est le maître de la vie surnaturelle, comme de la vie naturelle.
Le second n'bte pas la vie de la grâce, il en ralentit seulement les opérations. Pour être remis, il n'exige pas une nouvelle infusion de la grâce, il suffit d'un acte procédant de la grâce qui, relevant la volonté et la détachant de l'affection déréglée à la créature, communique à la sève divine sa première activité. Cet acte est, tour à tour, contrition, respect, amour, confiance (1).
Même en ne lui reconnaissant pas une vertu propre, l'eau bénite le produit infailliblement, lorsqu'on en fait un usage dans les dispositions convenables ; à plus forte raison, si, avec les plus graves théologiens, on lui reconnaît une efficacité intrinsèque, comme je l'ai expliqué dans nos premières lettres.
Quant aux dispositions convenables, la première est d'être en état de grâce. Tu vas comprendre que cette condition est de rigueur. La rémission du péché véniel n'a lieu que par un mouvement de la grâce sanctifiante. Mais celui qui est en péché mortel n'a pas la grâce. Il ne peut donc ressentir aucun mouvement ni opérer aucun acte qui en dérive. De plus, il serait absurde d'admettre que Dieu peut se réconcilier en une chose légère avec celui qui est l'objet de toute sa colère, comme le pécheur obstiné dans le péché mortel. La seconde condition est de ne conserver aucune affection pour les péchés véniels dont on veut obtenir la rémission (2).


(1) 3 p. q., art. 1., cor. et art. 3, cor.
(2) S. Thomas, 3 p. q. 87, art. 4., cor. Ferraris verb. Peccatum.

Le second effet de l'eau bénite est de remettre les peines temporelles dues au péché. « Les sacramentaux, dit saint Thomas, remettent les péchés véniels quant à la coulpe, mais ils ne les remettent pas toujours entièrement quant à la peine ; de telle sorte, par exemple, qu'il suffirait à celui qui est en état de grâce de prendre de l'eau bénite pour étre sûr, s'il venait à mourir, d'aller droit au ciel. Par les sacramentaux, la peine est remise suivant le degré de ferveur, plus ou moins grand, qu'ils excitent en celui qui en fait usage (1). »

(1) Per prædicta tolluntur quidem peccata venialia quantum ad culpam... Non autem per quodlibet prædictorum semper tollitur totus reatus pœnæ, quasi si quis esset omnino immunis a peccato mortali, aspersus aqua benedicta statim evolaret ; sed reatus pœnæ remittitur per prædicta secundum motum fervoris in Deum, qui per prædicta excitatur, quandoque magis, quandoque auteum minus. S. Th., 3 p. q. 87, art. 3, ad. 3.

Voilà, mon cher ami, je n'hésite pas à le dire, les deux plus précieux effets de l'eau bénite. Pour les estimer à leur juste valeur, il faudrait savoir ce qu'est le péché véniel en lui-même et quelle est l'étendue des peines temporelles réservées au péché : double mystère dont Dieu s'est gardé le secret.
Ce que nous savons, c'est que le péché est l'unique mal du monde, et la cause directe ou indirecte de tous les maux du temps et de l'éternité. C'est le péché, dit saint Paul, qui a introduit la mort dans le monde, per peccatum mors. La raison est que le mal, c'est le désordre. Le désordre est ce qui brise ou intervertit les rapports essentiels des êtres. Or, le péché seul est désordre, puisqu'il met Dieu en bas et l'homme en haut.
En lui-même le péché véniel renferme, à part la gravité, tous les caractères odieux du péché mortel ; il est révolte, ingratitude, outrage, imprudente folie. C'est un mal plus grand que la destruction du monde. La raison en est encore que la destruction du monde n'est pas un désordre, tandis que le plus petit péché véniel est un désordre. Rappeler ces vérités élémentaires à un siècle qui boit le péché mortel, comme tu bois un verre d'eau fraîche quand tu as bien soif; à un siècle qui en est venu à professer la morale indépendante, c'est, je le sais comme je sais mon Pater, s'exposer à être traité de demeurant d'un autre âge, gratifié de fins quolibets ou honoré de superbes dédains.
Mais il y a d'autres siècles que notre siècle, et d'autres professeurs que les professeurs de la morale indépendante. Que les malheureux, dont la foi et la raison se sont éteintes dans le bourbier du matérialisme, se fassent de leur stupide incrédulité une fin de non-recevoir, c'est leur affaire ; mais qu'ils renoncent à la prétention de s'ériger en docteurs et de nous donner leurs ténèbres pour la lumière.
Avant eux, au-dessus d'eux, tous les siècles chrétiens se sont faits les échos de cette parole divine : Le péché est un glaive à deux tranchants ; ses dents sont des dents de lion. Que la seule vue du péché vous fasse fuir, comme la rencontre d'un serpent.
D'une voix unanime les saints, glorieux professeurs de la morale éternelle, nous disent avec sainte Thérèse : « Plût à Dieu que nous eussions peur non du démon, mais du péché véniel qui peut nous faire plus de mal que tous les démons à la fois ! »
Qu'ils aient raison, tu vas en avoir la preuve. Elle est écrite en caractères ineffaçables dans les châtiments exemplaires, dont le distributeur infaillible des peines et des récompenses a frappé le péché véniel. Moïse et Aaron, ces deux grands serviteurs de Dieu, exclus de la terre promise; David puni de sa vanité par la mort de
soixante dix mille de ses sujets ; les Bethsamites en grand nombre subissant la même peine pour un instant de curiosité : telle est, en partie, la mesure de l'énormité du péché véniel. Je dis en partie, car je n'ai parlé ni du Purgatoire avec ses redoutables et mystérieux tourments; ni de la soustraction des grâces, ni des langueurs de l'âme, ni de la perte de ses charmes, ni du danger de tomber en enfer; tout autant d'effets et de châtiments du péché véniel.
Le péché véniel est l'aimant du péché mortel. « Celui qui méprise les petites choses déclinera peu à peu. Celui qui est fidèle dans les petites occasions sera fidèle dans les grandes; et celui qui pèche légèrement péchera gravement (1). »

(1) Eccli., XIX, 21; Luc., XVI, 10.

Le péché véniel est la petite vérole de l'âme. Tout ce qu'il y a de plus beau après les anges, c'est l'âme humaine ; eh bien ! le péché véniel la défigure. Il la couvre de taches et de pustules qui la rendent indigne des mbrassements de son Époux (1).
Le péché véniel est la nausée de Dieu, parce qu'il engendre la tiédeur. « Plût au ciel que tu fusses froid ou chaud ! mais parce que tu es tiède, je vais te vomir (2). »
Pour qui conserve de la foi, gros comme un grain de sénevé, ces effets et ces châtiments du péché véniel sont de tous les plus redoutables et les plus redoutés. Quant au monde actuel, pour qui l'âme n'est rien, le Purgatoire rien, les. biens et les maux spirituels rien, il ne les comprend ni ne les craint. Il en est d'autres dont il a grand peur, qu'il évite avec soin, et qu'il atténue par tous les moyens possibles, sans vouloir en reconnaître la cause.
Vois-tu ces foules tumultueuses qui, dans la saison, encombrent les gares des chemins de fer, et qui s'en vont tomber en avalanches sur les bords de la mer et autour des établissements d'eaux thermales ? Vois-tu ces autres foules, moins nombreuses mais aussi empressées, qui assiégent les cabinets des médecins, les boutiques des pharmaciens et même les demeures plus que suspectes des somnambules et des spirites ? Entends-tu les cris d'alarme qui retentissent à l'annonce d'une épidémie, d'une sécheresse, d'une révolution, d'une catastrophe, qui menacent, la vie, la tranquillité, le bien-être ?
Pourquoi tout cela? Pour éviter les maux temporels. Or, les maux temporels sont les effets du péché mortel ou véniel. « Te voilà guéri, disait le Sauveur au paralytique ; ne pèche plus, de peur qu'il ne t'arrive pis (3). » Et le Sage : « Celui qui pèche en présence de son Créateur tombe entre les mains du médecin (4). » Aveugles que vous êtes, si vous craignez tant les effets, pourquoi laissez-vous subsister la cause ? Pourquoi la posez-vous sans cesse ? Pourquoi vous moquer de ceux qui la signalent et mépriser les moyens infaillibles de l'atténuer et de la détruire ? un de ces moyens, c'est l'eau bénite.


(1) Peccata venialia sunt velut scabies et nostrum decus ita exterminant, ut a sponsi amplexibus separent. S. Aug., humil. 50, c. iii.
(2) Apoc., III, 15.
(3) Joann., v, 14.
(4) Qui deliquit in conspectu ejus, qui fecit eum, incidet in manus medici. Eccli., XXXVIII, 15. - Dixi sæpe : nam subinde Deus viris sanctis morbos immittit, ut eorum patientiam probet, augeat et corouet, uti immisit Job, etc.Corn. a Lap., in Joann., v, 14.

Tel est, cher ami, même au point de vue temporel, le rôle, mille fois plus important que je ne saurais le dire, de cet élément mystérieux. Tel son premier effet, son premier titre de gloire et le premier motif que nous avons d'en faire un fréquent et respectueux usage.
Le troisième effet de l'eau bénite est de conserver ou de rendre la santé. Si le temps me permettait de parcourir nos dix-huit siècles chrétiens, des faits éclatants et nombreux viendraient, à toutes les époques, montrer l'efficacité permanente de l'eau bénite, comme moyen de guérison. Je me borne à quelques-uns.
Au quatrième siècle, du temps de saint Jean Chrysostome, vivait à Antioche une illustre matrone, nommée Évélia. Elle avait un jeune fils qu'elle aimait avec d'autant plus de tendresse, qu'il était depuis longtemps tourmenté d'une fièvre ardente. Le voyant en danger de mort, elle vint faire, auprès de saint Chrysostome, ce que la Chananéenne avait fait auprès de Notre-Seigneur. Ses prières étaient d'autant plus pressantes qu'elle avait dejà perdu quatre enfants. Le saint l'écouta avec bonté et, voulant guérir l'âme de cette dame avant le corps de son fils, il lui dit que les péchés des parents sont souvent la cause de la mort et des maladies des enfants. « Cela n'est que trop vrai, répondit-elle en sanglotant : je reconnais dans la mort de mes quatre premiers fils une punition de Dieu. » Le Saint reprit : « Si vous ne faites pénitence, le cinquième aura bientôt le même sort. » A ces mots, le père et la mère promirent de mener désormais une conduite vraiment chrétienne. Le saint se fit alors apporter de l'eau bénite ; il en aspergea trois fois le petit malade en invoquant la très-sainte Trinité, et il le rendit plein de santé à sa mère (1).

(1) Vit. S. Chrys., an. 390.

A la même époque et dans la même ville fut opéré, de la même manière et par le même Saint, un miracle encore plus éclatant. L'empereur lui-même le rapporte en ces termes. « La dyssenterie régnait à Antioche. La femme du gouverneur en fut atteinte. Tous les remèdes demeurèrent sans résultat. Voulant à tout prix éviter la mort, le gouverneur et sa femme s'adressent aux hérétiques qui se mettent en prière pendant trois jours.
Vains efforts ! la malade touchait à l'extrémité, lorsqu'elle pria son mari de la conduire à Jean Chrysostome.
« Le saint, ayant été prévenu, alla les attendre à la porte de l'église dont il leur refusa l'entrée, comme s'en étant rendus indignes par leur communication avec les hérétiques. Ils s'humilient, demandent pardon et font leur profession de foi catholique. Le saint ordonne d'apporter de l'eau bénite, prie l'évêque d'en répandre trois fois sur la malade, en faisant le signe de la croix. A l'instant elle recouvre la santé, retourne à pied dans sa maison, reprend ses grâces naturelles et tient fidèlement ses promesses (1). »
Voilà un fait qui eut pour témoin une ville de plus de cent mille âmes et un empereur pour historien : en connais-tu beaucoup, dans les auteurs profanes, qui réunissent au même degré tous les caractères de certitude ? Je te laisse sur cette question et je termine en te promettant, pour demain, de nouveaux exemples.

Tout à toi.

(1) Vit. S. Chrysost., an. 390.


DIX-SEPTIÈME LETTRE

Ce 15 octobre.

TROISIÈME EFFET DE L'EAU BÉNITE PROUVÉ PAR LES FAITS (SUITE). - GUÉRISON D'UNE FRACTURE. - GUÉRISON D'UN LÉPREUX. - GUÉRISON D'UN AVEUGLE. - GUÉRISON D'UNE DAME À. L'AGONIE. - GUÉRISON D'UN ÉPILEPTIQUE. - D'UN ALIÉNÉ. GUÉRISON D'UN CANCER. - HEUREUSE DÉLIVRANCE D'UNE FEMME DANS LA PETITE VILLE DE COSNE.- RÉSURRECTION D'UN MORT. - CONVERSION D'UN PÉCHEUR.

CHER AMI,
Dans l'histoire des miracles de l'eau bénite, je t'ai laissé à la fin du cinquième siècle. Nous entrons aujourd'hui dans le sixième. Devant nous est un grand saint, un grand Pape, un grand génie. C'est plus qu'il n'en faut pour mériter notre confiance. Écoutons-le nous racontant un nouveau miracle de l'eau bénite.
Appelés par la justice divine, pour châtier le vieil empire romain, les peuples du Nord s'étaient répandus sur l'Europe méridionale, comme des torrents dévastateurs. Les Goths étaient tombés sur l'Italie. Un de leurs rois avait fait une multitude de prisonniers, parmi lesquels se trouvaient beaucoup de jeunes enfants. Le vénérable évêque Fortunat, ému de compassion, vient trouver le roi et lui redemande ces innocentes créatures. Sa prière est brutalement repoussée. « L'outrage que tu me fais, lui dit le saint vieillard, ne te portera pas bonheur. »
Le lendemain, le roi tombe de cheval et se casse la jambe. Surle-champ, il dépêche à l'évêque pour lui dire qu'il lui remet ses jeunes prisonniers et qu'il lui demande pardon. Un diacre est envoyé qui ramène la troupe enfantine. Fortunat le fait repartir aussitôt en lui disant : « Prends cette eau bénite et répands-la sur le roi. » Il va, répand l'eau bénite, et à l'instant la fracture est guérie. Le roi se lève, monte à cheval et reprend ses exercices militaires, comme s'il n'avait jamais éprouvé d'accident (1).
Le septième siècle nous offre un fait non moins mémorable. Sur le siége épis-copal d'Anastasiopolis, en Galatie, brillait un saint évêque, nommé Théodore. Tel était l'éclat de sa sainteté, que les généraux de l'empire venaient se recommander à ses prières, la famille impériale elle-même lui demander sa bénédiction et un nombre infini de malades leur guérison.
Un jour se présente un lépreux couvert de lèpre de la tète aux pieds. Le saint fait apporter de l'eau, s'approche du malade et prononce cette prière :
« Seigneur Jésus-Christ notre Dieu, qui, par le ministère du prophète Élisée, avez guéri Naaman de la lèpre, et qui, descendant vous-même en personne parmi nous, avez guéri un lépreux, regardez cette eau et, en la bénissant, communiquez-lui la vertu de guérir votre serviteur, afin qu'il s'en retourne plein de santé, pour la gloire de votre saint nom. »
La prière finie, il étend la main, bénit l'eau par le signe de la croix, et la verse sur la tête du lépreux. Au contact de l'eau bénite la lèpre disparaît ; le corps entier devient pur, et l'heureux malade se retire en proclamant les louanges de Dieu et les mérites de son serviteur (2).

(1) S. Greg., Dial., lib. I, c. x. - Rapporté par Baronius, Ann., t. VII, n. 12 et 13, an. 537.
(2) Vita, auct. Georg. Eleusio, ejus discipulo.

Dans la vie du même saint, nous trouvons un autre exemple de la puissance curative de l'eau bénite. Une pauvre mère, qui habitait près de la demeure du vénérable évêque, avait un fils âgé de quatre ans et aveugle. Désolée, elle le prend dans ses bras, le porte à l'homme de Dieu et, fondant en larmes, le dépose à ses pieds. « Ayez compassion de moi, lui dit-elle ; et rendez la vue à mon enfant. » Le bienheureux fait le signe de la croix sur les yeux du petit aveugle et bénit de l'eau qu'il donne à sa mère en lui recommandant d'en laver chaque matin les yeux de son fils. Elle le fit trois jours; et le quatrième elle rapporta au saint évêque son fils guéri (1).
Comme rien ne limite la puissance de Dieu, ni les siècles ni les climats ; et comme rien ne peut lui faire obstacle, ni les maladies de quelque nature qu'elles soient ni la mort elle-même : ainsi de l'eau bénite qui tire toute sa vertu d'en haut. Nous venons de la voir guérissant des malades en Italie et en Orient, tu ne seras donc pas étonné de lui trouver la même efficacité en Occident. Nous voici dans l'ancienne île des saints, l'Angleterre.
L'immortel historien de cette Église, Bède, raconte, au siècle où nous sommes, l'éclatant miracle opéré au moyen de l'eau bénite, par saint Cuthbert, évêque de Lindisfarne. Dans une de ses visites pastorales, il arriva au château d'un comte dont la femme était mourante. En le voyant venir, le noble châtelain se mit à genoux et bénit Dieu de son arrivée. L'hospitalité lui est offerte avec bonheur. Après s'être, suivant la coutume des hôtes, lavé les pieds et les mains, le saint évêque s'assied auprès du comte qui s'empresse de lui faire connaître l'état désespéré de son épouse.
« Je vous prie, lui dit-il, de bénir l'eau et de l'en asperger, certain qu'elle sera guérie ou que Dieu mettra fin immédiatement à ses souffrances. »
L'homme de Dieu se fait apporter de l'eau, la bénit et ordonne à un de ses prêtres d'aller en répandre sur la malade. Celui-ci entre dans la chambre de la comtesse qu'il trouve semblable à une morte, sans parole et sans connaissance. Il fait l'aspersion et donne à boire à la mourante quelques gouttes d'eau bénite. Chose merveilleuse ! à peine l'eau bénite a touché la malade, qu'elle recouvre pleinement l'usage de ses sens et la santé. Sur- le-champ elle se lève, rendant grâces à Dieu de lui avoir envoyé de pareils hôtes. En preuve du miracle, elle-même veut les servir à table et obtient l'honneur d'offrir la première coupe à son libérateur. En cela elle imitait la belle-mère de saint Pierre qui, guérie de la fièvre par Notre-Seigneur, voulut le servir lui et ses disciples (2).


(1) Vita Theodori, a G. Eleusio.
(2) Vit. S.. Cuthbert., c. XXV.

Dans la crainte d'être trop long, je franchis plusieurs siècles et je passe en France, afin de suivre partout l'eau bénite à la trace de ses merveilles. Au onzième siècle, mon pays, comme le tien, comme l'Europe entière, se couvrait non de palais, de théâtres, de casernes et de chemins de fer; mais de monastères et de magnifiques églises. Un des plus beaux monuments de la foi de ces temps de barbarie, fut l'abbaye de Cluny. A cette époque elle était gouvernée par le jeune seigneur de Mercœur, saint Odilon.
Un jour il rencontra un jeune homme, nommé Gérard, atteint du mal caduc. Ce malheureux tombait fréquemment, perdait la parole et l'usage de ses membres, à tel point qu'on l'aurait cru mort. L'homme de Dieu en eut pitié. Il fit mettre ses religieux en prières, célébra la messe et fit avaler de l'eau bénite au malade. La guérison fut instantanée.
A quelque temps de là, on lui amena un aliéné qui courait dans les campagnes, seul, sans vêtement et poussant des cris inhumains. Odilon le regarde avec une compassion vraiment paternelle. Il prend de l'eau bénite et l'en asperge ; puis, il lui persuade d'en avaler quelques gouttes. Il obéit et se retire. Quelques jours après on le voit revenir à Cluny en parfaite santé et apportant, comme témoignage de reconnaissance, un panier de poissons (1).
Entrons dans le douzième siècle et écoutons le grand Thaumaturge de ce temps nous raconter une miraculeuse guérison opérée par l'eau bénite. Saint Malachie, archevêque d'Armagh en Irlande, était venu se retirer à Clairvaux, où il eut le bonheur d'avoir saint Bernard pour ami et pour historien. Or, saint Bernard rapporte que le vénérable archevêque, voyageant en Angleterre, arriva dans un couvent dont les religieux étaient ses anciens amis. Pendant le séjour qu'il fit parmi eux, on lui amena une femme rongée par un affreux cancer. Le saint prit de l'eau bénite et en répandit sur cette femme. La douleur disparut aussitôt, et le lendemain il restait à peine quelque trace des cicatrices (2).


(1) S. Petr. Damien., in vit. S. Odilon.
(2) S. Bernard., in vit. S. Malach

Saint Bernard, qui raconte si bien les miracles du vénérable évêque, était loin d'être, en fait de prodiges, inférieur à son ami. Je n'en citerai qu'un ; mais il m'intéresse particulièrement, pour avoir été opéré dans un lieu que je connais beaucoup. Il existe, dans le diocèse actuel de Nevers, une petite ville qu'on appelle Cosne. Du temps de saint Bernard elle faisait partie de l'Auxerrois, et tu sais combien le grand abbé de Clairvaux a voyagé dans ce pays .
Or, un jour qu'il passait à Cosne, on vint lui recommander une femme dont la délivrance était tellement laborieuse, que tout faisait craindre une catastrophe. Le saint demanda de l'eau bénite qu'il envoya à la malade. A peine elle en eut avalé quelques gouttes, qu'elle fut heureusement délivrée. Le vénérable évêque de Chartres, Godefroy, qui retrouvait à Cosne, voulut baptiser l'enfant et lui donna le nom de Bernard (1).
Théodoret raconte le même miracle opéré par l'eau bénite en faveur de sa propre mère (2).
Si je m'en tenais aux miracles rapportés jusqu'ici, tu ne connaîtrais pas dans toute son étendue la puissance curative de l'eau bénite. Les deux suivants pourront t'en donner une idée. Non-seulement l'eau bénite guérit les malades, on l'a vue ressusciter les morts. Le savant archevêque de Salerne, Marsilius Columna, rapporte l'exemple que tu vas lire. Non loin du monastère du saint abbé Winvalocus, habitait une femme qui tomba tout à coup dangereusement malade. Son fils était élevé dans le monastère. Apprenant la maladie de sa mère, ce jeune homme voulut aller la voir, et, avant de sortir, il demanda de l'eau bénite au saint abbé.
Quand il arriva, sa mère était morte. Les démons mêmes s'en étaient emparés et la traînaient en enfer. Le saint, qui s'était mis en prière, avait eu révélation de ce qui se passait. Cependant la chambre était pleine de gens qui pleuraient et qui faisaient les préparatifs des funérailles. Le jeune homme va tomber à genoux devant le corps inanimé de sa mère et, plein de confiance aux mérites de son maître, il jette l'eau bénite sur la morte et prononce à haute voix cette prière : « Ma mère, que Notre-Seigneur JésusChrist vous rende la vie, lui, au nom de qui mon maître opère tant de guérisons. »

(1) Ernoldus abb. Bonæval., In vit. S. Bernard., lib. II, c. II.
(2) Vit. B. Macedon.

A ces mots, la morte sort comme d'un profond sommeil et s'assied sur son lit toute ruisselante de sueur, indice des fatigues qu'elle avait éprouvées. Tous les assistants tombent la face contre terre, et, quand l'émotion le permit, d'une voix unanime ils bénirent Dieu et proclamèrent la puissance de son serviteur.
Ensuite ils demandèrent à cette femme comment elle avait été rendue à la vie. « Une troupe de démons, répondit-elle, m'entoura, me lia les pieds et les mains et m'entraînait vers le lieu des tourments. Sur le chemin se trouva le bienheureux Winvalocus, qui dit aux démons : « De quel droit vous êtes-vous emparés de cette créature qui m'appartient ? » A ces mots, ils ont pris la fuite et m'ont laissée entre les mains du serviteur de Dieu, dont les prières m'ont rappelée à la vie (1). »
Ressusciter un mort est un grand miracle. Convertir un pécheur en est un, sinon plus grand, du moins beaucoup plus précieux. Ni l'un ni l'autre n'est impossible à l'eau bénite. L'illustre archevêque que je viens de citer rapporte un fait dont la mémoire était encore toute vivante de son temps. C'était à la fin du quinzième siècle, époque où le torrent du paganisme commençait à rouler sur l'Europe ses flots corrupteurs.

(1) Hydragiol., etc., p. 335; Surius, t. II, 3 mars.

Entraîné , comme tant d'autres, un soldat s'était distingué par son incrédulité et par sa corruption. Il tombe malade. Un prêtre va le voir et l'exhorte à recevoir les sacrements afin de mourir en catholique. Prières, menaces, tout est inutile. « Ne me parlez pas de ces billevesées, disait l'impie ; je ne m'en occupe pas. Donnezmoi seulement à boire, je brûle de soif. » Sans qu'il s'en aperçoive, le prêtre bénit de l'eau et lui en donne à boire. A l'instant s'opère un changement miraculeux. Le malade rappelle le prêtre et le conjure de le confesser. Sa confession faite, il communie, et, quelques heures après, il meurt en paix avec Dieu1.
Il serait aisé de prouver par bien d'autres exemples le troisième effet de l'eau bénite. A tout esprit de bonne foi ceux qui précèdent suffisent : ce n'est pas ainsi qu'on invente. A demain le quatrième effet de l'eau bénite.

Tout à toi.

(1) Hydragiol., p. 408.


DIX-HUITIÈME LETTRE

Ce 16 octobre.

QUATRIÈME EFFET DE L'EAU BÉNITE. - ELLE CHASSE LES DÉMONS. - PRIX DE CE BIENFAIT SURTOUT AUJOURD'HUI. - REMARQUABLE TÉMOIGNAGE DE SAINTE THÉRÈSE. - LE DÉ-MON CHASSÉ DE L'EAU. - FAIT D'ABYDOS. - CHASSÉ DU FEU. - FAIT DE TIBÉRIADE. - CHASSÉ DE L'AIR. - FAIT SUR L'OCÉAN ET EN CATALOGNE. - CHASSÉ DU CORPS DE L'HOMME. - FAIT DE SAINT MACAIRE ET DE SAINT BERNARD.

Le quatrième effet de l'eau bénite est de chasser le démon et de déjouer toutes ses ruses. Je te laisse à penser, mon cher Frédéric, quel est le prix de ce nouveau bienfait à une époque où les millions de mauvais anges qui nous environnent sont plus entreprenants que jamais ; où l'affaiblissementde la foi et la corruption des moeurs leur donnent tant de prise sur nous ; où les tentations de toute nature assiégent continuellement nos sens et nos facultés ; où enfin d'imprudentes familiarités avec le démon exposent tant de personnes à devenir victimes de sa fourberie et de sa cruelle malice. Malheur aux irnprudents qui méprisent l'arme toute-puissante que l'Église leur présente! De nombreuses, de cruelles blessures, peut-être une ruine irremédiable, viendront venger l'Église et ses sages prescriptions.
J'ai dit toute-puissante ; avant de me justifier par des faits, laisse-moi te rapporter un témoignage qui vaut mieux qu'un fait : c'est celui de sainte Thérèse. Dans sa vie écrite par elle-même, elle parle ainsi de la puissance de l'eau bénite contre le démon : « Après avoir signalé quelques troubles intérieurs et secrets qui me venaient du démon, je veux en rapporter d'autres dont j'étais assaillie presque en public, et où l'action de cet esprit de ténèbres était visible.
« Je me trouvais un jour dans un oratoire, lorsqu'il m'apparut, à mon côté gauche, sous une forme affreuse. Pendant qu'il me parlait, je remarquai particulièrement sa bouche : elle était horrible. De son corps sortait une grande flamme, claire et sans mélange d'ombre. Il me dit d'une voix effrayante que je m'étais échappée de ses mains, mais qu'il saurait bien me ressaisir. Ma crainte fut grande. Je fis, comme je pus, le signe de la croix. Il disparut, mais il revint aussitôt. Mis en fuite par un nouveau signe de croix, il ne tarde pas à reparaître. Je ne savais que faire. Enfin je jetai de l'eau bénite du côté où il était, et il ne revint plus.
« Un autre jour, il me tourmenta durant cinq heures par des douleurs si terribles et par un trouble d'esprit et de corps si affreux, que je croyais ne pas pouvoir plus longtemps y résister. Il plut au Seigneur de me faire voir qu'il venait du démon ; car j'aperçus près de moi un petit nègre d'une figure horrible, qui grinçait des dents, désespéré d'essuyer une perte où il croyait trouver un gain. Je n'osais demander de l'eau bénite de peur d'effrayer mes compagnes et de leur faire connaître d'où cela venait.
« Je l'ai éprouvé bien des fois : RIEN N’ÉGALE LE POUVOIR DE L’EAU BÉNITE POUR CHASSER LES DÉMONS ET LES EMPÊCHER DE REVENIR. Ils fuient aussi à l'aspect de la croix, mais ils reviennent (1).

(1) Un auteur de la vie de sainte Thérèse, Ribera, fait judicieusement observer que, par ces paroles, la sainte n'établit point de règle, et n'affirme point que le signe de la croix ait moins de vertu contre le démon que l'eau bénite, puisque le contraire peut arriver à d'autres, mais que seulement elle rapporte ce qui est quelquefois arrivé à elle-même. L 1V, c. IV.

« La vertu de cette eau doit donc être bien grande ! Pour moi, je goûte une consolation toute particulière et fort sensible lorsque j'en prends. D'ordinaire, elle me fait sentir comme un renouvellement de mon être que je ne saurais décrire, et un plaisir intérieur qui fortifie toute mon âme.
« Ce n'est pas une illusion : je l'ai éprouvé un très-grand nombre de fois, et j'y ai fait une attention fort sérieuse. Je compare volontiers une impression si agréable à ce rafraîchissement qu'éprouve dans toute sa personne celui qui, excédé de chaleur et de soif, boit un verre d'eau froide. Je considère à ce sujet quel caractère de grandeur l'Église imprime à tout ce qu'elle établit. Je tressaille en voyant la force mystérieuse que ses paroles communiquent à l'eau, et l'étonnante différence qui existe entre celle qui est bénite et celle qui ne l'est pas (1). »
Reprenant l'histoire de l'apparition satanique, la sainte ajoute : «Enfin, ayant demandé de l'eau bénite, j'en jetai du côté où était l'esprit de ténèbres, et à l'instant il s'en alla. Tout mon mal me quitta comme si on me l'avait enlevé avec la main. Je restai néanmoins toute brisée, comme si j'avais été rouée de coups de bâton. Une leçon bien utile venait de m'être donnée : je pouvais me former une idée de l'empire tyrannique exercé par le démon sur ceux qui sont à lui, puisqu'il peut, quand Dieu le lui permet, torturer à un tel excès une âme et un corps qui ne lui appartiennent pas.
« Il y a peu de temps, je me vis attaquée avec la même furie ; mais le tourment ne fut pas si long. J'étais seule ; je pris de l'eau bénite, et à peine en avais-je jeté, que le tentateur disparut. A l'instant même entrèrent deux religieuses très-dignes de foi, et qui n'auraient pas voulu pour rien au monde dire un mensonge. Elles sentirent une odeur très-mauvaise, comme de soufre. Pour moi, je ne la sentis point ; mais, d'après leur témoignage, elle dura assez longtemps, puis-qu'on eut tout le loisir de s'en apercevoir (2). »
Après cela, mon cher ami, tu ne seras pas surpris d'apprendre que, dans ses voyages, la sainte ne manquait jamais de porter avec elle de l'eau bénite (3). Ce qui me surprend et m'afflige, c'est de voir le peu de cas que nous en faisons !
Cependant sainte Térèse parle d'or. La puissance de l'eau bénite contre le démon et la glorification de l'Église dans ses éléments sanctificateurs, tout se trouve dans son admirable langage. Les faits que je vais citer ne sont pas moins éloquents. Dans un ouvrage que tu connais (4), tu as vu avec quel acharnement le démon s'est fait le corrupteur de l'eau, et combien de fois il s'en est servi pour nuire aux hommes, soit dans leurs personnes, soit dans leurs biens (5). Voici une preuve de plus de cette haine mystérieuse.
Vers le milieu du quatorzième siècle, le siége épiscopal de Lampsaque était occupé par saint Parthénius. C'était un homme admirable en paroles et en œuvres. La pêche du thon était la ressource d'une grande partie de ses diocésains ; car ce poisson, fort recherché, abondait sur les côtes. Or, il arriva qu'une année la saison de la pêche étant venue, les pêcheurs montèrent leurs barques et tendirent leurs filets comme à l'ordinaire. Ils voyaient les thons en grand nombre jouer sous leurs yeux, et pas un ne se prenait. La même chose eut lieu sur toute l'étendue du littoral jusqu'à Abydos.
Ces pauvres gens, voyant tous leurs efforts inutiles, eurent recours au saint évêque. Il mêla ses larmes aux leurs et se mit en prières. Dieu lui fit connaître que ce qui se passait était une machination satanique. Aussitôt il se lève, parcourt tous les lieux de pèche jusqu'à Abydos, et y répand de l'eau bénite. Puis, se mettant en prière, il ordonne de jeter les filets. La pêche a lieu en sa présence. Elle devient tellement abondante, que les pêcheurs en sont dans l'admiration, et qu'elle les dédommage avec usure de la stérilité de leurs premiers essais (6).


(1) Ch. XXXI, p. 381, édit. in-8.
(2) Ch. XXI, etc.
(3) Liv. des Fondations, c. XVIII, 229.
(4) Traité du Saint-Esprit, t. II, disponible aux éditions Saint-Remi.
(5)Relis ce passage de Tertullien : Immundi spiritus aquis incubant, adfectantes illam in primordio divini Spiritus gestationem. Sciunt opaci quique fontes, et avii quique rivi et in balneis piscinæ et euripi in domibus vel cisternæ et putei, qui rapere dicuntur, scilicet per vim spiritus nocentis. Nam et enectos et lymphatos et hydrophobos vocant, quos aquæ necarunt, aut amentia vel formidine exercuerunt. De Bapism., c. v. - Les paiens savaient tout cela. Un de leurs plus anciens mages ou poètes, Orphée : Dæmunes distinguit in cœlestes, æreos, aqueos, terrestres, subterraneos et vagos ; quorum aqueos Deos nymphas vocabant ; quartum genus facit aqueum, quod humoribus se immergit ac libenter circa lacus fluviosque habitat et multos perdit aquis. Vid. Pamel., not. ad Tertuli., not. 36. Ib., in c. 36, De Baptism.
(6) Crispin, in vit. S. Parthen.

Ce n'est pas seulement sur l'eau que le démon exerce sa pernicieuse influence. Dans les limites que lui fixe la sagesse divine, il agit sur tous les éléments. Mais, pour notre instruction, Dieu se plaît à déjouer ses ruses et à briser sa puissance par les plus faibles moyens. En voici un nouvel exemple, postérieur de quelques années au précédent.
Un juif converti, le comte Joseph, veut bâtir une église à Tibériade. Non loin de cette ville, tant de fois honorée de la présence de Notre-Seigneur, il fait construire sept fours à chaux. Ses anciens coreligionnaires le voient avec un dépit profond. Afin d'éteindre le feu, ils ont recours à des évocations et à des pratiques démoniaques. Leurs efforts ne réussissent pas complétement. Néanmoins le feu, sans s'éteindre, perd sa chaleur. C'est en vain que le comte faisait jeter avec abondance, dans ces vastes foyers, du bois et des sarments : la chaux ne cuisait pas.
Il finit par connaître le maléfice. Sans perdre un instant, il sort dela ville et va droit à ses fours. Là, en présence des Juifs et de tout le peuple, il ordonne qu'on lui apporte de l'eau, fait un grand signe de croix sur le vase qui la contient, et dit à haute voix : « Au nom de Jésus de Nazareth que mes pères ont crucifié, que cette eau reçoive la vertu de dissiper tous les charmes magiques et de rendre au feu son énergie, afin d'achever la maison du Seigneur. » A ces mots, il jette l'eau bénite sur les foyers. Les charmes sont brisés, le feu reprend toute son activité et les foules, en se retirant, confessent le Dieu des chrétiens (1).

(1) S. Epiph., t. II Hæres., 30.

Tu sais que l'atmosphère qui nous environne est remplie de démons : c'est une vérité de foi enseignée par saint Paul. Aussi il semble que le démon se plaît à exercer de préférence son terrible pouvoir sur l'élément qu'il habite. A lui, les Pères, les grands théologiens, l'Église elle-même, dans ses livres sacrés, n'hésitent pas à attribuer, le plus souvent, les tempêtes, les trombes, les ouragans, non moins redoutables que ceux où périrent les enfants de Job. Entre mille preuves authentiques, consignées dans l'histoire, en voici quelques-unes.

On était dans la première moitié du cinquième, siècle, et Satan avait infecté l'Angleterre du venin de l'hérésie. Dans sa constante prédilection pour cette terre des saints, le siége apostolique s'empressa d'envoyer de vigoureux champions pour extirper le mal. C'était saint Germain d'Auxerre, le maître des rois, et saint Loup de Troyes, le vainqueur d'Attila, Le démon prévoit sa défaite. Quand le vaisseau est au milieu de l'Océan, il suscite une tempête effroyable. Les vent déchaînés soufflent avec une violence inouïe ; les voiles se déchirent; les vagues inondent le navire ; la nuit succède au jour : on ne se reconnaît qu'à la lueur des éclairs, et chaque instant semble devoir être le dernier. Les passagers et l'équipage s'adressent à saint Germain. Malgré la tourmente et l'épuisement de ses forces, le vénérable évêque était demeuré calme et plein de confiance en Dieu. A la prière de ses compagnons, il l'invoque, prend de l'eau bénite et en jette sur les flots. Celui qui brise leur orgueil contre un grain de sable apaisa leur fureur par quelques gouttes d'eau. La mer devient calme et unie comme une glace; les vents sont favorables ; on aborde heureusement; et Satan, vaincu sur mer, le sera bientôt sur terre (1).

(1) Ven. Beda, Hist., lib. I, c. XVII.

Passons maintenant en Espagne. L'eau bénite n'y est pas moins puissante qu'ailleurs; c'est le cas de dire que pour elle il n'y a pas de Pyrénées. En 1418, un des plus glorieux enfants de cette terre catholique, le thaumaturge des temps modernes, saint Vincent Ferrier, était en Catalogne. C'était le jour de la fête de saint Pierre et saint Paul. Il devait prêcher, Une foule innombrable se préparait à l'entendre, et le pêcheur d'hommes devait prendre bien des poissons engagés dans les filets de Satan. Celui-ci le savait. Pour s'épargner une défaite, il recourt à sa formidable puissance.
Le saint apôtre venait de finir la messe. Déjà il ôtait les vêtements sacrés pour monter en chaire. Tout à coup il s'élève une si affreuse tempête, qu'on eût dit que le ciel allait s'écrouler. La frayeur alors s'empare de la foule. Pas de sermon possible. En vétéran expérimenté, Vincent connaît la ruse de l'ennemi, il se fait apporter de l'eau bénite et en jette contre les nuages. A l'instant l'air s'éclaircit, le temps devient serein, le soleil resplendit de tous ses feux, et le sermon est fait au grand avantage des âmes et à la honte de Satan (1).

L'eau bénite a été donnée à l'homme comme une arme universelle contre le démon. Si elle chasse l'usurpateur des éléments, serviteurs de l'homme, à plus forte raison a-t-elle le pouvoir de délivrer l'homme lui-même de ses attaques intérieures et extérieures, de ses tentations et de ses obsessions : voici des faits.
Parmi ces géants de sainteté, envoyés de Dieu dans les déserts de la haute Égypte, pour vaincre le démon au cœur même de sa forteresse, saint Macaire n'est pas un des moins illustres. Son historien rapporte le trait suivant dont il fut témoin oculaire.
« En ma présence, dit-il, on amena, devant le vénérable Père, un enfant possédé du démon, et cruellement tourmenté. Macaire lui mit une main sur la tête, l'autre sur le cœur. Il se tint dans cette attitude et demeura en prière, jusqu'à ce que l'enfant fût soulevé de terre. Alors il enfla comme une outre et dans une proportion incroyable. Parmi des douleurs intolérables, et en poussant des cris affreux, le jeune possédé rendit par tous les membres une prodigieuse quantité d'eau. Peu à peu son corps reprit sa forme ordinaire, et le saint, l'aspergeant d'eau bénite, le rendit plein de santé à son père, avec défense de lui donner pendant quarante jours ni vin à boire ni viande à manger (2). »
Un des plus célèbres miracles de saint Bernard est celui qu'il opéra à Milan, en faveur d'un enfant possédé du démon. Le saint, qui se rendait Rome, semait les miracles sur son passage. Les villes et les campagnes allaient au-devant de lui et lui apportaient les malades , afin qu'il les guérît. Depuis quelques jours, il était à
Milan, et on peut le dire, toute la Lombardie était dans ou autour de la ville.


(1) Rauzan, Vie. S. V. Ferr., lib. III, ad fin.
(2) Pallad., in vit., B. Machar.

Parmi ces multitudes accourues de toutes parts, se trouvait un malheureux père qui apportait au saint son jeune fils, possédé du démon. Au moment où le saint bénit le peuple, l'enfant est précipité des bras de son père, et tombe par terre sans mouvement, sans pouls, sans respiration. On le crut mort. A ce spectacle, la foule ouvre un passage au père, afin qu'il puisse arriver jusqu'à l'homme de Dieu. Un grand silence s'établit, et tout le monde attend avec anxiété l'issue de l'événement.
Arrivé devant le saint, le père dépose à ses pieds l'enfant inanimé et dit : « Seigneur mon père, cet enfant, que vous voyez à vos pieds, est depuis trois ans cruellement tourmenté par le démon. Toutes les fois qu'il entre à l'église et qu'il reçoit le sel exorcisé (1), ou qu'on lui fait le signe de la croix, ou qu'il entend lire
l'Évangile, ou qu'il assiste aux divins offices, le démon, qui habite en lui, en est irrité et le tourmente d'une manière atroce. Le signe de croix que vous venez de faire sur l'assemblée a suffi pour le mettre dans l'état où vous le voyez. Je vous supplie donc, par la miséricorde de Dieu, d'avoir compassion de moi et de mon fils, dont la misère ne peut étre plus grande. » En parlant ainsi, il fondait en larmes. Tout le monde en fut ému et joignit ses prières aux siennes.

(1) Dans certaines contrées catholiques, telles que les diocèses de Trèves, de Cologne et autres, il était d'usage de placer au vestibule des églises deux vases de sel. C'était pour chasser les démons qui attendent, au seuil même du temple, les fidèles qui viennent prier, soit pour les troubler, soit pour leur ravir ou diminuer le fruit de leurs dévotions. « Idque ad exorcizandos immundos dæmones, qui christianis adoraturis in ipso templi limine occurrunt, ut eorum mundas ad Deum preces, præstigiis suis aut interpellent, aut ex invidia elevent imminuantque. » Gomes, Commentar. de Sale, lib. p. V, 734.

Le saint les exhorte tous à avoir confiance en la bonté de Dieu ; puis, de son bâton il touche légèrement le cou du possédé. Gérard, le frère de saint Bernard, voulant s'assurer de ce que le père avait dit, passe derrière l'enfant et, sans que celui-ci s'en aperçoive, il lui fait un signe de croix sur le dos. Aussitôt ce malheureux enfant qui était comme mort, ne voyant, ni ne sentant, ni n'entendant, frémit, s'agite et pousse des gémissements. Le saint ordonne de le porter sur son propre lit. Il y est à peine, qu'il se jette sur le pavé, grince des dents, mord son père, arrache les cheveux de ceux qui l'approchent et fait des efforts surhumains pour se tirer de leurs mains.
Replacez-le sur notre lit, dit saint Bernard. Tout le monde se met en prières. La paille du lit semble changée en feu, et le démon, sentant approcher la force divine, exhale ses souffrances par d'affreuses clameurs. L'homme de Dieu ordonne de verser de l'eau bénite dans la bouche de l'enfant. Celui-ci presse les lèvres et serre les dents de manière â n'en point avaler. On est obligé d'employer un coin de bois pour lui ouvrir la bouche, et bon gré, mal gré, il est contraint de recevoir l'élément libérateur. A peine l'a-t-il avalé, que le démon honteusement vaincu sort en tourbillonnant et laissant après lui une odeur infecte. Aussitôt celui qu'on croyait mort se lève doux et tranquille et embrasse son père en disant : Grâce à Dieu, je suis guéri (1).
Et nous-mêmes, cher ami, rendons grâces à Dieu qui, dans l'eau bénite, nous a donné une arme si puissante contre nos plus redoutables ennemis. Puissions-nous, et le monde entier avec nous, l'estimer à sa juste valeur !
Tout à toi.

(1) Vit., Lb. II, c, III, n. 16, 17.

DIX-NEUVIÈME LETTRE

Ce 17 octobre.

QUATRIÈME EFFET DE L'EAU BÉNITE (SUITE). - LIEUX ET MAISONS HANTÉS. - DOUBLE DÉLIVRANCE. - CINQUIÈME EFFET DE L'EAU BÉNITE. - FLÉAUX CONJURÉS. - ÉPIDÉMIE GUÉRIE. - SAUTERELLES DISSIPÉES. - VIGNES GUÉRIES. - L'EAU BÉNITE ÉLÉMENT DE DÉLIVRANCE UNIVERSELLE. - ELLE REPLACE TOUTES CHOSES SOUS L'EMPIRE BIENFAISANT DU SAINT-ESPRIT.

CHER AMI,
Dans l'énumération des effets de l'eau bénite, tu as vu qu'elle a le pouvoir d'éloigner de la demeure de l'homme, les démons qui pourraient y porter la maladie, la mort, le trouble, la frayeur : Efugiat omnis phantasia et nequitia, vel versutia diabolicæ fraudis et si quid est, quod aut incolumitati habitantium invidet et quieti. Il peut donc y avoir des lieux particulièrement infestés par les mauvais esprits ; il peut y avoir des maisons hantées. Non seulement il peut y en avoir : il y en a toujours eu. Pour le nier, il faut déchirer les uns après les autres tous les feuillets de l'histoire profane, depuis le déluge jusqu'à la venue de Notre-Seigneur; et, après le christianisme, depuis saint Antoine jusqu'au saint curé d'Ars. De ce fait et de la puissance libératrice de l'eau bénite je vais te rappeler quelques preuves.
Le saint évêque Théodore, que je t'ai déjà nommé et qui avait prédit au comte Maurice son élévation à l'empire, était un jour en voyage. Comme il approchait d'un monastère dédié à la sainte Vierge, voici venir à lui un général de l'empire qui le pria de monter à sa maison, située sur une hauteur voisine. Il ne lui cacha pas qu'elle était hantée par les mauvais esprits.
Les personnes et les animaux eux-mémes éprouvaient des molestations étranges. Ainsi, lorsque les habitants prenaient leurs repas du matin ou du soir, une grêle de pierres tombait sur les tables. Ce qui jetait tout le monde dans de grandes frayeurs. Les toiles se rompaient entre les mains des femmes. Il sortait parfois de toutes les parties de la maison une telle quantité de rats et de serpents, que la crainte l'avait rendue déserte et que personne n'osait en approcher. Le saint entre résolûment dans la maison, passe la nuit en prières et asperge d'eau bénite toutes les parties de l'édifice. A partir de ce moment, la demeure du brave et pieux général est délivrée des bruits et des fantômes. On y rentre et on y vit en paix, comme dans toute autre habitation (1).
Moins de deux siècles plus tard, un fait analogue eut lieu dans ton pays. Le thaumaturge fut saint Willibrod, archevêque de Trèves. A l'extrémité du diocèse, habitait un père de famille qui, depuis longtemps, souffrait, ainsi que toute sa famille, des infestations et des maléfices du démon. Les mets placés sur la table, les vêtements, les autres choses nécessaires disparaissaient subitement et étaient jetés clans le feu. Une nuit même, pendant le sommeil, un jeune enfant fut enlevé d'entre les bras de ses parents et précipité dans le foyer. Éveillés aux vagissements de l'enfant, le père et la mère purent à peine l'arracher à la mort. Tels étaient, et d'autres non moins atroces, les tourments que les mauvais esprits faisaient endurer à cette famille.
Cependant le père s'était adressé à plusieurs prêtres, afin d'obtenir sa délivrance. Leurs efforts étaient demeurés sans résultat. Enfin, il a recours à saint Willibrod. Le serviteur de Dieu lui envoie de l'eau bénite, avec ordre de déménager sa maison et de répandre de l'eau bénite sur tout le mobilier, Dieu lui ayant révélé que la maison serait la proie des flammes. On obéit, et la maison est consumée. Sur l'emplacement on en bâtit une autre qu'on purifie soigneusement avec l'eau bénite. Dès lors, plus de vexations, mais la plus parfaite tranquillité accompagnée des plus vives actions de grâces pour le saint archevêque, et de la plus entière confiance en l'eau bénite (2).

(1) La vie de S. Théodore a été écrite par plusieurs historiens,entre autres par George, son disciple, dont Baronius fait cet éloge : Georgius sanctissimi viri discipulus, res ab eo gestas omni fide conscriptas posteris tradidit. An., t. VII, an. 586, p. 495, n. 23.
(2) Albin. Flaccus, Vit. S. Willibrod.

Les faits du même genre se retrouvent dans tous les siècles et dans tous les pays. Ils existent encore à l'heure qu'il est : le temps me manque pour te les faire connaître. Je dois passer au cinquième effet de l'eau bénite.
Le cinquième effet de l'eau bénite est d'éloigner les épidémies et les fléaux, de quelque nature qu'ils soient : spiritus pestilens, aura corrurnpens.
Ennemi juré de l'homme parce qu'il est le frère du Verbe incarné, objet unique de la haine impérissable de Satan, le démon ne nous attaque pas seulement dans notre âme, dans notre corps, dans nos demeures, mais encore dans nos biens et dans les éléments dont l'équilibre et la salubrité sont nécessaires à notre existence. Nos pères savaient tout cela et leur science était plus avancée que la nôtre. Aussi, lorsqu'une maladie épidémique venait à se déclarer sur leurs troupeaux ou sur les productions de la terre, ils recouraient, sans doute, aux chimistes, aux vétérinaires, aux agronomes, aux naturalistes, mais, avant tout, aux saints et aux remèdes enseignés par l'Église.
Mille fois l'histoire prouve que leur confiance était bien fondée. Quelques preuves seulement.
Au commencement du septième siècle, une double épidémie se déclare dans l'Asie Mineure : elle sévit avec violence sur les hommes et sur les animaux. Même phénomène aujourd'hui, la peste des animaux et le choléra-morbus. Le municipe d'Ancyre, capitale de la province, se rend auprès du vénérable évêque d'Anastasiopolis, renommé pour ses miracles.
Il faut que tu saches qu'en ce temps-là les ministres, les préfets, les conseillers municipaux, les magistrats, pas plus que le peuple, n'étaient ni des rationalistes ni des solidaires ; ils n'étaient abonnés ni au Siècle, ni à l'Opinion nationale, ni à la Morale indépendante. Pour eux l'homme n'était ni un être indépendant ni une machine mue par la fatalité, et le monde une galère lancée sur l'Océan, sans gouvernail et sans pilote. Comme toi, comme moi et les autres bonnes femmes, passées, présentes et futures, ils savaient leur catéchisme et ils avaient la foi.
Or, la compassion est un des traits caractéristiques des saints. Sur leurs instances le vénérable vieillard consent à les suivre et à séjourner parmi eux. Arrivé à Ancyre, il se retire dans un couvent de saintes religieuses et fixe un jour de prières publiques. Toutes les campagnes voisines se rendent à la ville. Le saint bénit de l'eau : on en répand sur les troupeaux et sur les personnes malades. La guérison ne se fait pas attendre. L'allégresse succède à la consternation. Au milieu de mille bénédictions et d'un magnifique cortége, l'humble libérateur est reconduit à sa ville épiscopale (1).

(1) Métaph., In vit. S. Theodori.

Pas plus que le règne animal, le règne végétal n'est à l'abri des attaques du démon. Soit pour punir les péchés des hommes, soit pour exercer leur vertu, soit pour réveiller leur foi à la puissance des moyens curatifs dont sa providence nous a pourvus, Dieu permet souvent des fléaux dévastateurs des plantes. Tels sont les sauterelles, les chenilles, la maladie mystérieuse de la vigne, des pommes de terre et de cent végétaux actuellement malades.
Nos pères ne furent pas exempts d'épreuves analogues. Dans leur détresse, ils rentraient en eux-mêmes ; ils priaient et recouraient aux puissants amis de Dieu, les saints. A leur tour, ceux-ci employaient sans hésiter les remèdes surnaturels, le signe de la croix et l'eau bénite. Ici encore l'histoire prouve que le succès justifiait leur confiance.
Au quatrième siècle, il s'abattit, sur les plaines brûlantes de la Syrie et de la Mésopotamie, des nuées de sauterelles, comme nous en avons vu dernièrement dans notre colonie algérienne. Ce fut comme un incendie qui dévora les moissons, les prairies, les vergers, les forêts. Alors vivait dans le désert un saint anachorète, encore aujourd'hui connu de tout le monde chrétien, excepté des bacheliers de la renaissance. C'était saint Aphraate, illustre rejeton de la famille royale de Perse.
Un jour il voit arriver à sa grotte un pieux habitant du pays qui, se prosternant à ses pieds, lui dit : Vous connaissez le fléau qui désole nos régions. De grâce, venez à mon secours. Je n'ai qu'un champ. De là, je tire toute ma subsistance et celle de ma famille, et encore suis-je obligé de prélever sur le produit l'impôt impérial. Le bon vieillard, imitant la compassion de NotreSeigneur, se fait apporter une mesure d'eau. Il la bénit ; puis , posant ses mains sur la tête du laboureur, il demande à Dieu de remplir d'eau le fossé qui entourait son champ. Allez, lui dit-il, et répandez cette eau autour de votre champ.
Le paysan obéit. Le fossé se remplit et devient pour les sauterelles un rempart inexpugnable. On les voit, comme une armée innombrable, sautant et volant jusqu'au bord du fossé; puis, arrêtées par une force mystérieuse, battre en retraite et respecter la bénédiction donnée au champ du pauvre (1).
De l'Orient passons en Occident, nous y serons témoins d'un miracle semblable, plus rapproché de nous par le lieu et par le temps : l'Espagne en fut le théâtre. Saint Vincent Ferrier prêchait à Murcie. C'était au commencement de l'été. Dans moins de quinze jours, des nuées de sauterelles et de moucherons avaient dévasté les campagnes, au point qu'on s'attendait à une disette générale.
Les habitants de la ville vont implorer le secours du saint. Sur ses ordres, on lui apporte de l'eau qu'il bénit. Ensuite, accompagné du clergé, chantant des hymnes et des litanies, il se rend à toutes les portes de la ville. De là, il jette de l'eau bénite vers tous les lieux ravagés par les redoutables insectes. Le lendemain tous avaient disparu. Peu de temps après les champs et les vignes se rétablirent si bien, que le pays n'eut rien à souffrir de la disette (2).

(1) Theodoret., in vit. S. Aphraatis.
(2) Rauzan, in vit. S. Vincent. lib., III, ad fin.

Même miracle sur les vignes. Vers la fin de l'année 1402, le grand Apôtre parcourait le Piémont et le pays de Gênes. Arrivé près de Turin, à Moncalieri, il y séjourna quelque temps. Les habitants vinrent le prier de guérir leurs vignes d'une maladie rebelle, qui depuis plusieurs années rendait le raisin dur comme de la pierre et l'empêchait de mûrir. Le saint leur dit d'arroser leurs vignes avec de l'eau bénite. Après son départ, tous oublièrent ce salutaire conseil, excepté le charitable habitant qui lui avait donné l'hospitalité. Sa docilité fut merveilleusement récompensée. Le fléau ne toucha pas à ses vignes, tandis que toutes les autres en furent tellement atteintes, qu'elles n'amenèrent pas à maturité un seul raisin (1).
On pourrait citer une foule d'autres faits non moins authentiques ; mais je dois me borner. Avec toi j'ai parcouru
l'Orient et l'Occident, depuis les premiers siècles jusqu'aux temps modernes. Nous avons visité l'homme, les éléments et les différents règnes de la nature; et partout nous avons rencontré la preuve que l'eau bénite entre pleinement dans le plan divin de la libération universelle. Mère, du monde physique et du monde moral, il était bien naturel qu'elle en fût l'élément régénérateur et purificateur.
Mais l'effet de l'eau bénite n'est pas seulement négatif, en ce sens qu'elle délivre l'homme et les créatures de l'empire du démon ; il est encore positif, en ce sens qu'après avoir chassé l'usurpateur, elle replace toutes choses sous la bienfaisante domination du Maître légitime. C'est le nouveau bienfait indiqué dans l'infaillible prière de l'Église : Et præsentia Sancti Spiritus nobis ubique adesse dignetur. Veux-tu dans un clin d'oeil en connaître le prix ? Prends une mappemonde et vois ce que sont les peuples de l'Afrique, de l'Asie et de l'Océanie qui ne vivent pas sous l'empire du Saint-Esprit. Vois encore ce que deviennent autour de toi les hommes et les sociétés qui disent au SaintEsprit : Nous ne voulons plus que tu règnes sur nous.
Je m'arrête ici devant une objection que je prévois depuis longtemps : j'y répondrai dans ma première lettre.

Tout à toi.

(1) Vida de S. Vicente, por Fr. Vidal y Mico, lib. II, c. II, 165, in-fol.


VINGTIÈME LETTRE

Ce 18 octobre.

RÉPONSE À L'OBJECTION : JE N'AI PAS VU. - SOTTISE ET CONTRADICTION. - PUISSANCE DE L'EAU BÉNITE DANS LES TEMPS MODERNES. - AU JAPON. - POSSÉDÉS DÉLIVRÉS. - MALADES GUÉRIS. - EN AMÉRIQUE. - FLÉAUX DÉTOURNÉS. - DANS LES PAYS DU NORD. - CHARMES ROMPUS. - MAISON HANTÉE DÉLIVRÉE. - SPECTRES DISSIPÉS. - EN CHINE. - POSSÉDÉS DÉLIVRÉS. - EN FRANCE, FAIT ANALOGUE. - SCÈNE DE SPIRITISME.

CHER FRÉDÉRIC,
L'incrédulité n'est pas une plante de création primitive : Dieu ne l'a pas faite. C'est une vieille ivraie, fabriquée par Satan et qu'il a semée au Paradis terrestre.
Malheureusement l'homme déchu en a emporté la graine. A toutes les époques, elle germe plus ou moins dans les cerveaux mal sains. On en trouve des échantillons, même chez quelques Juifs contemporains de David. Ils disaient : « Il est possible que les prodiges dont on parle aient eu lieu du temps de nos pères ; mais nous ne les avons pas vus. Il n'y a plus aujourd'hui personne qui en fasse : Signa nostra non vidimus ; jam non est Prophæta (1). »

(1) Ps. LXXIII

Tu m'annonces que tu as lu mes dernières lettres à tes camarades. Or, je parierais cent contre un que, dans le nombre, il s'est rencontré plusieurs jeunes juifs, qui ont dit comme les vieux : « Il est possible qu'autrefois l'eau bénite ait opéré des miracles ; mais nous ne les avons pas vus. C'est une raison pour nous de douter, car elle n'en fait plus aujourd'hui. » J'ai promis de leur répondre.
1° Si tes camarades ont la prétention de ne croire que ce qu'ils ont vu, ils avoueront qu'en fait de croyances ils ne sont pas riches ; et cela ne leur fait pas honneur. Ils ne peuvent croire à leur trisaïeul ; car ils ne l'ont pas vu ; ni à leur âme, car ils ne l'ont pas vue ; ni à aucune chose située au delà des horizons que leurs regards ont embrassés, car ils ne l'ont pas vue. Donc leur prétention de ne pas croire aux miracles de l'eau bénite, sous prétexte qu'ils ne les ont pas vus, est tout simplement une sottise.
2° Tes camarades, en effet, croient, comme tout le monde, à une foule de choses qu'ils n'ont pas vues. Ils croient aux événements de l'histoire. Les soupçonner d'incrédulité à cet égard, serait leur faire injure. Pourtant, ces faits accomplis loin de nous, les uns depuis deux mille, les autres depuis trois mille ans, ils ne les ont pas vus. Ils croient, par exemple, à la victoire d'Arbelles rem-portée par Alexandre, et ils ne l'ont pas vue. Ils croient au passage du Rubicon par César, et ils ne l'ont pas vu. Ainsi de mille autres faits qu'ils sont fiers de connaître, de croire et d'admirer.
3° Peu importe que les faits appartiennent à l'ordre naturel ou à l'ordre surnaturel ; qu'ils soient des événements ordinaires ou des miracles. Les uns et les autres doivent être également crus, dès qu'ils sont prouvés. La preuve des faits, c'est le témoignage. Demande donc à tes camarades s'ils connaissent, dans les histoires profanes, anciennes et modernes, beaucoup de faits, je ne dis pas mieux prouvés, mais aussi bien prouvés, que les miracles du Christianisme et de l'eau bénite en particulier. Ne parlons que des derniers. Pour réunir au premier chef toutes les conditions de certitude, que leur manque-t-il ?
La publicité ? Mais ils ont été accomplis en présence de villes entières, d'assemblées nombreuses, en Orient, et en Occident : et cela non pas dans un seul siècle, mais dans une longue suite de siècles ; non pas une fois, mais cent fois.
La compétence des historiens ? Mais la plupart furent témoins oculaires de ce qu'ils rapportent. Les autres ont écrit sur des documents authentiques, à une époque où la mémoire des événements était encore toute vivante, où, par conséquent, rien n'était plus facile que de donner un démenti écrasant à leur récit, s'il avait été faux.
La probité ? Sous le rapport de la science, ils ne le cèdent à personne, et la sainteté de leur vie ne permet même pas de les soupçonner de mensonge.
Le nombre ? Ils sont pour le moins, à l'égard de chaque fait, aussi nombreux que les historiens profanes, sur la parole de qui jurent encore de nos jours tous les corps savants, y compris ton Collége de France.
4° Est-il bien certain que l'eau bénite ne fait plus de miracles ; ou, sans faire de miracles, qu'elle n'opère plus les effets pour lesquels l'Église l'a instituée, par exemple, qu'elle ne remet plus les péchés véniels, qu'elle n'éloigne plus les démons, qu'elle ne détourne plus ni la peste ni les fléaux ? Tout cela est-il bien certain ? Tes camarades et leurs pareils ont-ils des preuves de leur négation ?
En attendant qu'il leur plaise de les produire, s'ils le peuvent, je leur dirai : Il en est de la parole qui communique à l'eau bénite des vertus surnaturelles, comme de la parole qui communiqua aux animaux et aux plantes leurs propriétés naturelles. Venues de la même source, ces paroles sont également efficaces, également durables, et leurs effets également permanents. Puis, pour leur instruction, je détache quelques pages de l'histoire moderne, dont tu voudras bien leur donner lecture .
Lorsqu'au seizième et au dix-septième siècle nos missionnaires abordèrent au Japon, ils le trouvèrent sous l'absolue domination de Satan. Or, voici ce qu'ils virent souvent et ce qu'ils racontent. « Un jour on amena à notre église la sœur d'un de nos néophytes appelé Michel. Cette personne était depuis trente ans obsédée et possédée du démon. Néanmoins elle manifesta le désir de se faire baptiser. Au moment où on lui fait les demandes
d'usage, elle se trouve saisie d'une étrange frayeur. Le prêtre recourt aux exorcismes et l'engage à prononcer le nom de Jésus et de saint Michel.
« A la frayeur viennent s'ajouter d'horribles souffrances. La bouche solidement fermée, elle fait entendre, on ne sait comment, un chant qui disait : « Si on renonce à Xaca et à Amida, dieux et législateurs du Japon, il ne faut adorer personne : aucune violence ne pourra me détacher de leur culte. » Impossible, ce jour-là, de lui arracher autre chose .
Le lendemain, jour de la fête de la sainte Vierge, l'église était pleine de monde : elle-même s'y était rendue.
«Après la messe, le P. Balthasar lui demanda comment elle se trouvait. « Bien » dit-elle. «Prononcez le nom de saint Michel. » A ces mots les tremblements reviennent, les dents se serrent, et on entend une voix inconnue qui dit : « Je la laisserai; mais je ne quitterai pas ce lieu qui m'appartient depuis trois générations. » Le Père insiste pour lui faire prononcer le nom de saint Michel. «Tu m'embêtes, ce nom me pue, répond la possédée. » Son visage se contracte, de ses yeux coulent de grosses larmes, et elle ajoute : « Où veux-tu que j'aille?»
« Les choses en étaient là, lorsque tous les chrétiens tombent à genoux et font pour elle de ferventes prières. On lui présente de l'eau bénite, elle en boit, se sent soulagée et remise en possession de toute sa liberté. Alors le Père lui ordonne de prononcer les saints noms de Jésus et de Marie. Elle les prononce sans peine et avec tant de suavité qu'on aurait cru entendre la voix d'un ange. A partir de ce moment, elle a été entièrement délivrée; elle a reçu le baptême et est devenue une fervente chrétienne (1). »
Les mêmes témoins déposent des faits suivants. « Beaucoup de malades nous arrivent ici. Trois cents environ sont déjà chrétiens. Il faut les entendre s'entretenir des grâces qu'ils ont reçues depuis le baptême. Les uns parlent de la patience inconnue avec laquelle ils ont supporté leurs souffrances ; les autres racontent que la santé leur a été rendue. Ces malades ont coutume de nous en amener d'autres, qui dix, qui quinze, les exhortant à se faire chrétiens. Pour guérir ces pauvres gens, nous ne leur donnons d'autre remède que l'eau bénite.
Dans tout le pays sa vertu est tellement connue qu'il nous vient des malades de dix et douze lieues. Elle est surtout souveraine pour guérir ou rendre la vue ; car les maux d'yeux sont extrêmement communs au Japon (2). »


(1) De rebus Japonicis, lib. II, Epist. I, a Patre de Sylva.
(2) De rebus Japonicis, lib. II, Epist. I, a Patre de Sylva.

Si de l'extrême Orient nous passons en Amérique, nous y trouvons, à la même époque, les mêmes prodiges. « Là, écrit un savant et pieux auteur, l'eau bénite opère une foule de guérisons. Le mutisme, la paralysie, la fièvre, disparaissent devant ce remède divin. Il donne la fécondité, apaise les tempêtes et conjure les fléaux.
« Une année entre autres, des armées de rats dévastaient les campagnes. Les chrétiens ont recours à l'eau bénite. Chassés par cette arme puissante , les ennemis se portent sur les terres des tribus païennes, qu'ils ravagent en quelques semaines. Les sauvages s'en irritent ; mais ils sont forcés de reconnaître la supériorité du Dieu des chrétiens. Quant aux néophytes, à la vue des effets merveilleux de l'eau bénite tant de fois reproduits, ils ne manquent jamais, lorsqu'ils tombent gravement malades, d'envoyer chercher le missionnaire, afin qu'il en répande sur eux, et obtienne ou leur guérison ou une sainte mort (1). »

(1) Alanus Copus, in Dialog., c. III.

Tu vois, cher ami, que je te promène d'un bout du monde à l'autre, afin de te montrer que, pas plus dans les temps modernes que dans les temps anciens, la puissance de l'eau bénite ne connaît de frontières. Elle est comme le soleil, qui, depuis six mille ans, verse ses bienfaits sur toutes les parties du globe et qui ne vieillit pas. Puisque nous sommes en Amérique, traversons la mer Glaciale et faisons une visite aux peuples du Nord.
Voici ce que rapporte le célèbre P. Possevin, ambassadeur du Pape dans ces pays. « En entrant dans l'église, les chrétiens ne se contentent pas de prendre de l'eau bénite, ils s'en lavent le visage, en répandent sur leurs vêtements, en boivent et en emportent pour faire boire aux malades. De là, ce que je raconterai bientôt. Il est incroyable quelle quantité d'eau bénite ils emportent de l'église dans leurs habitations, pendant la semaine sainte. Comme, dans tout le pays qu'ils habitent, il n'y a pas de médecin, les malades viennent ou sont apportés de fort loin au prêtre, afin de demander ses prières et de recevoir de sa main de l'eau bénite, qu'ils boivent avec une admirable dévotion (1). Je dois dire que la plupart s'en retournent guéris : Quorum plerique sanitatem consequuntur. Continuant sa relation, le grand théologien ajoute : « Peu de temps avant mon arrivée, un des principaux calvinistes vint faire toutes ses doléances à un de nos prêtres, de ce que dans un district de Livonie dont il était gardien, il ne se prenait plus de loups dans ses fosses : ce qui lui causait un grand préjudice. « La cause en est, disait-il, dans les pratiques magiques des paysans. » Le prêtre lui répondit : «Nous avons de l'eau bénite qui dissipe les charmes de tous les lieux où elle est répandue. » Suivant la coutume des hérétiques de se moquer de toutes les pratiques de l'Église, le calviniste se met à rire. « Si je voyais une pareille chose, dit-il, je croirais sans hésiter à la vertu divine de l'eau bénite. »

(1) La conduite de ces chrétiens de vieille roche n'a rien d'étonnant pour qui sait que, de tout temps, les pays de l'extrême Nord furent particulière-ment infestés par les démons. Au concile de Trente, Olaus Magnus publia ce fait : les derniers procès de Mohra prouvent qu'il n'a pas cessé.

« Or, il y avait dans une partie de son district appelée Parnomoyza, une maison située sur le bord d'un lac et tellement infestée par les démons, que personne n'osait y habiter, en sorte qu'elle tombait en ruines. Le prêtre, à qui le calviniste s'était adressé, prend de l'eau bénite, et bénit les fosses à loups. Dès le lendemain matin on fit une riche capture. La messe finie, le prêtre, accompagné d'un grand nombre d'habitants, se rend à la maison hantée, il fait les exorcismes, la purifie avec l'eau bénite, ainsi que les alentours, et plante une grande croix sur le sommet élevé d'une montagne voisine. A partir de ce jour, la maison et tout le voisinage furent entièrement délivrés des infestations des mauvais esprits. On eut ainsi une preuve nouvelle et évidente de la crainte extrême qu'ils ont de l'eau bénite : Manifestius eluxit quam maxime dæmones aquam benedictam perhorrescunt. » Écoutons encore l'illustre narrateur : « Kerpès est une forteresse que le duc de Moscovie a restituée au roi de Pologne.
Là, furent égorgés par les Moscovites un grand nombre d'Allemands. Dès lors le donjon, la forteresse et les alentours ont été hantés par les démons. Pendant la nuit, à la lumière de la lune, on en voit un, monté sur un cheval au galop, qui fait le tour des murailles, jusqu'à ce que l'animal tombe de fatigue. D'autres fois, en plein midi, une foule de personnes l'ont vu, sous la forme d'un Moscovite, prendre sur sa tête une voiture de moisson et aller la jeter dans le lac voisin. Les habitants épouvantés ont eu recours au prêtre qui, au moyen des exorcismes et de l'eau bénite, a dissipé pour toujours ces fantômes. »
Ces faits sont rapportés par un des plus fermes esprits du seizième siècle, à une femme supérieure, la duchesse Christine de Mantoue.
Possevin en ajoute un autre par lequel je finis. « Il y avait en Livonie un vaste marais qui faisait partie des terres de l'évêché. Le démon s'en était tellement rendu maître, qu'il fallait chaque année lui offrir le sang de petits enfants, autrement le pays était ravagé par des tempêtes, par des ouragans, par la foudre et par d'autres fléaux. En conséquence, les habitants se volaient les uns aux autres leurs jeunes enfants et allaient les plonger dans le marais, où, en quelques minutes, le psylle infernal suçait leur sang, de manière que ces petites créatures, réduites à un souffle de vie, finissaient par mourir. Au même lieu était un homme que le démon avait rendu tellement immobile, qu'aucune force humaine ne pouvait le faire changer de place. Or, le marais et le possédé ont été délivrés par l'eau bénite (1). »

(1) Lettres, etc., 1585, citées par l'archevêque de Salerne, p. 415 et suiv.

Tes camarades trouveront peut-être que ces faits sont encore trop anciens. Ceux du dix-septième siècle leur paraîtront peut-être plus acceptables. J'ai de quoi les satisfaire.
Dans la vie de saint François de Girolamo, écrite par le cardinal Wiseman, ils peuvent lire ce qui suit. « Une pauvre femme de Naples perdit un enfant d'un an, et, n'ayant pas le moyen de le faire enterrer, elle le porta à l'église et le plaça dans le confessionnal du père François. En entrant. dans l'église, le saint homme, qui avait tout vu par une lumière surnaturelle, s'adressa à la célèbre pénitente Marie-Louise Carrier, et lui dit : « Voyez dans mon confessionnal, vous y trouverez un enfant abandonné, chargez-vous-en jusqu'à ce que je trouve à le placer convenablement. »
« Elle obéit à l'instant ; mais, levant la couverture qui l'enveloppait, elle se tourne vers le saint et lui dit : « Mon Père, il est mort. » Non, non, répond-il, il est endormi. » En même temps, il lui fait un signe de croix sur le front et lui verse de l'eau bénite sur les lèvres ; et voilà que l'enfant ouvre les yeux et commence à respirer. « Alors, ajoute le saint, appelez la mère qui est au bas de l'église. « La pauvre femme accourt et reçoit dans ses bras son fils ressuscité, avec des transports de joie qu'il est facile de comprendre. »
Le dix-huitième siècle, si honteusement appelé le siècle de Voltaire, ne fit rien perdre à l'eau bénite de sa puissance; il semble même que Dieu se plût à la manifester par des faits éclatants. Parmi beaucoup d'autres, en voici un qui fut environné de toute la publicité désirable.
C'était en 1732. La paroisse de Landes, diocèse de Bayeux, fut témoin d'une horrible possession. Parmi les possédés, on remarqua trois filles de M. de Léaupartie, seigneur du pays. Elles étaient attaquées d'accidents si fâcheux, que la médecine fut déclarée impuissante et que l'évêque, ses grands vicaires, la faculté de théologie de Paris, reconnurent authentiquement la possession : il y avait de quoi.
Ces enfants comprenaient et parlaient le latin, qu'elles n'avaient jamais appris ; elles en avaient une intelligence si parfaite, qu'elles le traduisaient exactement en français. Elles révélaient des choses cachées, connaissaient la situation des lieux et des maisons qu'elles n'avaient jamais vus ; faisaient la description des meubles d'un appartement ; savaient les noms, surnoms, la figure et l'âge des personnes inconnues qu'on citait en leur présence.
Elles s'exposaient sans crainte aux plus grands dangers, humainement inévitables. L'une d'elles, par exemple, courait très vite à reculons, sans faire un faux pas, sur un mur très élevé. Une autre, voulant se jeter d'un second étage en bas, resta suspendue en l'air sans soutien, sans tenir à rien, jusqu'au moment où on la retira. Elles marchaient le corps renversé en arc, aboyaient à s'y tromper comme de gros chiens et ne s'enrouaient pas. Deux hommes portaient difficilement une enfant de dix ans pendant l'accès.
Dans leurs agitations, quatre et même cinq personnes ne pouvaient les tenir. Le pouls cependant était calme. Leurs cabrioles, leurs culbutes s'opéraient de manière à ne jamais blesser la décence. Il semblait qu'une main invisible fixât sur elles leurs habits. Les noeuds les plus difficiles de leurs liens étaient subitement défaits, ou bien ils tombaient sans étre dénoués. Quelquefois ils se trouvaient même entièrement coupés. L'une d'elles tournait sur ses deux pieds ou sur ses genoux pendant plus d'une heure avec une rapidité extraordinaire, sans étourdissement ni fatigue. Toutes éprouvaient de fortes tentations de se suicider.
Leur aversion pour les choses saintes tenait de la rage. La prière les mettait en fureur. A la messe, et surtout à l'élévation, elles avaient des agitations affreuses, poussaient des hurlements épouvantables, proféraient des blasphèmes horribles. Des reliques apportées à leur insu, ou placées dans leurs poches, causaient les mèmes agitations. Voulaient-elles faire le signe de la croix ? leur bras devenait immobile. Lorsque durant leur longue syncope on leur jetait de l'eau bénite, les parties atteintes devenaient enflammées, et, la crise finie, leur causaient une vive cuisson. Les chutes à la renverse, les coups capables d'enfoncer le crâne étaient guéris subitement par l'eau bénite (1).

(1) Des Rapp. de l'homme avec le démon, par M. Bizouard, t. IV, 30 et suiv.,
disponibles aux Editions Saint-Remi.

Tu vois que l'action malfaisante du démon et la puissance libératrice de l'eau bénite n'ont jamais cessé. Ce double fait, reproduit avec tant d'éclat au dernier siècle, peut être regardé comme un trait de providence, qui voulut rendre inexcusables les négations de l'incrédulité voltairienne.
Mais tes camarades veulent de l'actualité : ils en auront. Toutefois, avant de les satisfaire, je veux te traduire, sur ce point, la prétention de l'incrédule. Il dit à Dieu : « Je suis prêt à croire d'une foi robuste tous les faits naturels, anciens et modernes, ainsi que toutes les calomnies contre le Christianisme; mais s'il s'agit de faits surnaturels ou favorables à la Religion, la déposition des témoins oculaires, fussent-ils des milliers et les plus grands génies du monde, est pour moi non avenue. Si je ne vois pas, je ne croirai pas, mes deux yeux y voient plus clair que les yeux de tous. Ainsi, vous serez à mes ordres. Si vous voulez de ma foi, vous ferez des miracles dans les conditions que j'aurai moi-même déterminées et en présence des témoins de mon choix : sinon, non. » Puis, comme tous les incrédules ont le même droit, c'est-à-dire la même prétention, quand le premier aura vu, son voisin voudra voir ; après celui-ci, un autre. Or, comme cette graine pullule partout et toujours, Dieu sera obligé, pour leur agrément, de renouveler les miracles à tout propos, dans les villes et dans les villages, sur tous les points du globe, jusqu'à la fin du monde, à peu près comme Robert Houdin répète d'un bout de l'année à l'autre ses expériences de physique, pour l'amusement des enfants et des bonnes.
Avec cela, l'incrédule croira-t-il ? Écoute la réponse divine venue des profondeurs de l'éternité : « Ils ont Moïse et les Prophètes ; s'ils n'y croient pas, ils ne croiront pas davantage à la résurrection d'un mort. »
Je reviens à tes jeunes camarades. Si, au lieu de se nourrir de foin et de paille avariée, en lisant des romans, des feuilletons ou des pièces de théâtre, ils daignaient parcourir un des recueils les plus intéressants de notre époque, les Annales de la Propagation de la foi,, ils verraient que l'eau bénite n'est pas moins puissante aujourd'hui qu'aux siècles passés. En preuve, je rappelle ce que je t'écrivais, il y a trois ans, dans le Signe de la croix (1).

(1) Disponible aux Editions Saint-Remi.

« Le croiriez-vous, mandait du fond de la Chine un de nos évêques missionnaires, à la date du 12 mars 1862 ? dix villages se sont convertis. Le diable est furieux et fait les cent coups. II y a eu, pendant les quinze jours que je viens de prêcher, cinq ou six possessions. Nos catéchumènes avec l'eau bénite chassent les diables, guérissent les malades. J'ai vu des choses merveilleuses. Le diable m'est d'un grand secours pour convertir les païens. Comme au temps de Notre-Seigneur, quoique père du mensonge, il ne peut s'empêcher de dire la vérité.
« Voyez ce pauvre possédé faisant mille contorsions et disant à grands cris : « Pour-quoi prêches-tu la vraie religion ? je ne puis souffrir que tu m'enlèves mes disciples. » - « Comment t'appelles-tu ? » lui demande le catéchiste. » Après quelques refus : « Je suis l'envoyé de Lucifer. » - Combien êtes-vous ? - Nous sommes vingt-deux. » L'eau bénite et le signe de la croix ont délivré ce possédé (1). »

(1) Lettre de Mgr Anouilh, évêque d'Abydos, province de Pékin.

Voici un autre fait non moins actuel, et plus rapproché de nous par le lieu où il s'est accompli. Tu sais que, sous le nom de tables tournantes, d'évocations et de consultations médianimiques, les pratiques démoniaques ont fait invasion en Europe. A Toulouse, comme à Paris et ailleurs, quelques amateurs se livraient un jour à ces manœuvres suspectes ; un des auteurs raconte ainsi la scène qui eut lieu. Je ne crains pas de le nommer : c'est M. Benezet, rédacteur en chef de la Gazette du Languedoc.
« Pendant que le guéridon était en train de courir, une des personnes présentes alla chercher de l'eau bénite et en versa dessus. Il entra aussitôt dans de terribles convulsions, frappant avec colère et se secouant vivement. Il finit par se renverser, et, dans cette situation, il donnait de la tête contre le parquet, comme pour faire tomber l'eau bénite. Il se releva enfin, et la porte du salon se trouvant entrouverte, il s'y précipita et sembla vouloir sauter par-dessus la rampe...
« Vers onze heures du soir, nos amis intimes, monsieur et madame L., étaient assis auprès de leur petit guéridon et lisaient. Madame L. avait mis de l'eau bénite à sa portée, espérant se préserver ainsi de toute frayeur nocturne. Ils étaient là depuis une demi-heure, lorsque les mêmes coups se firent entendre de nouveau, et, comme ils avaient lieu surtout sous la chaise où était assise Madame L., celle-ci trempa ses doigts dans l'eau bénite et les secoua sous la chaise. Sa main fut aussitôt saisie et mordue audessous de la dernière phalange du pouce, et elle eut de la peine à la retirer. Son mari ne comprenait pas d'abord la cause des cris qu'elle poussait ; mais il fut bien plus surpris en voyant sur la chair rouge et enflée l'empreinte d'une double rangée de dents. « Madame L. n'était pas encore remise de l'émotion causée par cette attaque inattendue, qu'elle poussa de nouveaux cris et tomba en syncope. Quand elle eut recouvré ses sens, madame L. se sentit mordre encore à l'avant-bras. J'ai vu le lendemain, seize heures après l'événement, les traces des morsures. L'avant-bras présentait comme l'empreinte de deux dents canines (1) ».

(1) Relation, etc., p. 36 et suiv. Voir aussi le solide ouvrage : Le Merveilleux dans le Jansénisme, le Spiritisme, etc., par M. Hipp. Blanc, in-8 p. 332.

Entre plusieurs faits qui se passent au moment même où je t'écris et qui sont à ma connaissance personnelle, je me contente de citer le suivant. Dans une maison que je m'abstiens de nommer, vit une dame fort respectable. Elle a momentanément pour voisine une femme spirite. Une simple cloison, arrêtée aux trois quarts de la hauteur de l'appartement, sépare leurs lits; ainsi on entend tout ce qui se dit ou se fait dans l'une ou l'autre chambre. Or, pendant la nuit, la spirite fait des évocations : « Viens, ma soeur, viens, ma petite soeur, réponds-moi, que t'ai-je fait pour que tu me fasses de la peine ? » Bientôt on entend la plume se mettre en mouvement et écrire avec rapidité. La spirite de s'écrier joyeusement : « Te voilà donc ! quel bonheur ! » Puis elle se met à chanter des chansons obscènes et à lire avidement l'écriture mystérieuse. »
Ce manége durait une bonne partie de la nuit, depuis plusieurs semaines, lorsque la pieuse dame, ne pouvant plus douter qu'elle n'eût affaire à une spirite, se dresse sur son lit et jette de l'eau bénite sur les rideaux de sa voisine. Aussitôt la plume cesse de marcher et la spirite de se plaindre et de proférer des blasphèmes et des obscénités.
Après quelques heures de silence, elle recommence ses évocations et ses propos licencieux. L'eau bénite, jetée de nouveau et à son insu, l'arrête immédiatement. « Je ne saurais dire combien de fois j'ai eu recours à ce moyen, me disait la dame elle-même ; mais ce que je puis assurer, c'est que toujours l'effet a été immanquable. Je me suis alors sou-venue de la recommandation d'un saint prêtre. Lorsque je visite des malades, j'ai soin de porter de l'eau bénite avec moi ; j'en jette sur leur lit et leurs terreurs cessent, surtout lorsque par prudence on ne peut pas leur présenter le crucifix. »
Devant les affirmations si catégoriques et si nombreuses d'une foule de témoins respectables, anciens et modernes, il y a deux partis à prendre, et il n'y en a que deux : ou croire fermement à la puissance de l'eau bénite, ou la nier sottement. Le premier sera le tien, comme il est le mien. S'il en est qui prennent le second, tant pis pour eux.

Tout à toi.


VINGT ET UNIÈME LETTRE

Ce 21 octobre.

RÉPONSE À UNE NOUVELLE OBJECTION : POURQUOI L'EAU BÉNITE NE PRODUIT PAS TOUJOURS DES EFFETS ÉCLATANTS. - USAGES DE L'EAU BÉNITE DEPUIS LES PREMIERS SIÈCLES DE L'ÉGLISE. - FONTAINES À LA PORTE DES TEMPLES. - BÉNITIERS. - DÉCRET DU PAPE SAINT ALEXANDRE PARTOUT ET TOUJOURS OBSERVÉ. - USAGE DE L'EAU BÉNITE À L'ÉGLISE. - DANS LES MAISONS. - RÉPANDUE SUR LES CAMPAGNES, LES VIGNES, LES TROUPEAUX. - USAGE LE MATIN ET LE SOIR. - EMPORTÉE DANS LES VOYAGES. - DÉCRET DE L'EMPEREUR LÉON VI. - DIFFÉRENCE ENTRE NOUS ET NOS PÈRES.

Je viens, cher ami, de lire la nouvelle objection de tes camarades. De ma part, remercie-les de l'avoir faite, comme je te remercie de me l'avoir envoyée. Ils font bien de ne rien cacher, de ne rien dissimuler, de ne garder aucun doute dans leur esprit. Entre gens loyaux, il faut jouer cartes sur table. Ils disent donc : Puisque l'eau bénite est si puissante, pourquoi ne produit-elle pas toujours les effets éclatants dont nous venons de lire le récit ?
Pourquoi ? pourquoi ? Tes amis ne font pas réflexion qu'avec un pourquoi, un enfant de sept ans peut désarçonner le philosophe le mieux à cheval sur la meilleure philosophie. La raison en est que Dieu seul peut répondre à tous les pourquoi. Si je demandais à tes camarades : Pourquoi ils sont nés en France, et toi en Allemagne ? Pourquoi aujourd'hui et non pas au moyen âge, et une foule d'autres choses ? Ils ne sauraient que répondre. Il en est de même, à plus forte raison, lorsque les pourquoi portent sur les mystères de l'ordre moral. Seulement, il faut bien remarquer que l'ignorance du pourquoi laisse intacte la certitude du fait.
Or, il est certain : 1° que la chose que Dieu bénit est réellement bénite. Cela veut dire : délivrée de la tyrannie du démon; rendue à sa pureté native ; revêtue de qualités qui la rendent capable d'effets supérieurs à ses forces naturelles.
Il est certain : 2° que Dieu peut bénir par lui-même ou par son ministre. Dans l'un et l'autre cas, la bénédiction est également efficace. Ce n'est pas le mérite, c'est l'autorité du ministre qui confère la bénédiction.
Il est certain : 3° que cette bénédiction est infaillible, lorsqu'elle tombe sur une créature qui ne peut pas y mettre obstacle, comme sont les êtres inanimés. Ainsi, l'eau reçoit infailliblement, par la bénédiction de l'Église, toutes les propriétés exprimées dans la formule de bénédiction .
Tu comprends, et tes camarades le comprendront comme toi, qu'il en est autrement s'il s'agit d'un être libre. La raison en est qu'il peut, par ses mauvaises dispositions, mettre obstacle aux effets de l'eau bénite, ou que Dieu ne juge pas toujours expédient de les lui appliquer dans toute leur étendue. Inutile de répéter que ceci ne détruit ou ne diminue en rien l'efficacité intrinsèque de l'eau bénite ou des sacramentaux (1).

(1) Diligenter considerandum est quod prædictis promissionibus Christi ad Ecclesiam, non obstat si aliquando in aspersione aquæ benedictæ hujusmodi effectus universaliter non consequantur. Hoc enim non ex defectu aquæ benedictæ, quia, quantum est in se, instituta est ad hujusmodi effectus operandum, sed provenit aliunde, ut puta ex parte suscipietis, vel aliqua causa divinæ sapientiæ cognita. Carvi. de Turrecremata, c. V.

Il est certain : 4° que les dispositions de l'être libre étant ce qu'elles doivent être, et Dieu le voulant, l'eau bénite produira aujourd'hui, infailliblement, et toujours, les effets éclatants rapportés par les historiens, ou d'autres semblables. Que tes camarades tiennent cela pour le treizième article de leur symbole.
Je reviens à toi, mon cher Frédéric. En croyant fermement à l'efficacité surnaturelle de l'eau bénite, nous ne sommes pas seuls ; nous avons derrière nous, avec nous , autour de nous, tous les vrais catholiques de l'Orient et de l'Occident, depuis le commencement de l'Église. Si le monde doit encore vivre quelques siècles ou quelques milliers d'années, l'Église catholique vivra aussi longtemps que lui, car il ne vit que par elle et pour elle. Il y aura donc, après nous, autant de milliers d'hommes qui partagent notre confiance dans l'eau bénite, qu'il y aura de fidèles catholiques.
Cela veut dire, mon cher ami, que, sur le point en question, nous avons été, nous sommes et nous serons toujours avec l'élite de l'humanité. La preuve irréfutable de ce que j'avance est dans l'usage empressé , respectueux , universel et dix-huit fois séculaire de l'eau bénite, dans tous les pays éclairés du soleil de l'Évangile. Il est temps de te montrer cette preuve dans tout son éclat.
Tu n'as pas oublié ce que je te disais dans une de mes lettres, que, sous les parvis du temple de Jérusalem, était le vaste et magnifique bassin rempli d'eau limpide et appelé la Mer d'airain. Là, devaient, avant d'entrer dans le temple, soit pour prier, soit pour offrir les victimes, se laver les prêtres et les simples fidèles. Gardienne de toutes les grandes traditions, l'Église, ta mère, eut soin de conserver celle-là. Saint Paul le lui avait recommandé, en disant : Aveux que partout on prie les mains pures (1).
A. la raison générale de propreté se joignait le respect pour la sainte Eucharistie. Tu sais qu'aux premiers siècles, les hommes recevaient le pain consacré dans leurs mains nues, et les femmes dans leurs mains recouvertes d'un linge blanc et très-fin, appelé Dominicale. Aussi, dès l'origine, l'Église ne bâtit pas un seul temple, sans placer à l'entrée une ou deux fontaines, où ses enfants, sans exception, devaient, avant de franchir le seuil sacré, se laver les mains et le visage. C'était un souvenir et une image du baptême (2).

(1) I Tim., II, 8.
(2) Fontes ex adversa fronte templi profluenti aqua redundantes, quibus omnes, qui in sacros templi ambitus introeunt, sordes corporum abluant : qui fontes sacrosancta Baptismatis lavacra reprassentant. Euseb., Hist., lib. X, c. IV, et S. Paulin : In vestibulo (Basilicæ vaticanæ) cantharum, ministra manibus et oribus nostris fluenta ructantem, fastigiatus solido ære Tholus ornat et inumbrat, non sine mystica specie quatuor columnis salientes aquas ambiens. Decet enim ingressum ecclesiæ talis ornatus, ut quod intus mysterio salutari geritur, spectabili pro foribus opere signetur. S. Paulin. Nolan., Epist. XXXI, ad Aletium. Voir aussi Tertullien, De orat., c. xi; S. Clément, Constit. apost., lib. VIII, constit. 38; S. Chrysost., in :Joan. homil. LXXII, sub fine, etc., etc.

Souvenir et image seulement ; car l'eau de ces bassins ne possédait aucune vertu capable de purifier les âmes ; ce n'était pas de l'eau bénite. Dans sa sollicitude éclairée, l'Église laissa aux fidèles le soin de leur propreté corporelle, et, afin de leur communiquer la pureté morale, aux fontaines primitives elle substitua de bonne heure les bénitiers: tu sais, des vases d'eau bénite, placés à l'entrée de nos temples (1).
Mais les chrétiens, instruits par les apôtres et par les hommes apostoliques, ne se contentaient pas de prendre de l'eau bénite lorsqu'ils allaient à l'église, ils en emportaient dans leurs maisons et en faisaient le plus fréquent usage. De là vient que le décret du pape martyr, saint Alexandre Ier, fut toujours et partout religieusement observé. Tu te rappelles que ce décret oblige le prêtre à faire l'eau bénite, chaque dimanche, avant la messe, soit pour purifier le peuple au moment des saints mystères, soit pour donner aux fidèles la possibilité d'en emporter dans leurs demeures : ce à quoi ils ne manquaient pas.
On lit dans le Micrologue : « Le pape Alexandre, cinquième successeur de saint Pierre, établit qu'on bénirait l'eau et le sel, afin d'en asperger le peuple et les maisons . Nous l'observons au nom du Seigneur et conformément aux canons (2).»

(1) Ejusmodi lavacri loto successit, ut aqua sacere dotis precibus benedicta... in ipso ingressu ecclesiæ poneretur, qua ad leviorum peccatorum expurgationem, adeuntes Ecclesiam, aspergerentur. Baron., Ann., t. I, p. 346, n. 110, an. 57.
(2) Alexander Papa, quintus a beato Petro, constituit ut sal et aqua benediceretur ad conspergendum populum et habitacula eorum, quod et nos in nomine Domini juxta canones sequimur. Microlog.,
De ecclesiast. observat., c. XLVI.

Non seulement ils faisaient usage de l'eau bénite pour purifier leurs maisons, et les préserver, mais encore leurs troupeaux et tout ce qui leur appartenait. Un concile de Nantes, tenu vers l'an 900, s'exprime ainsi : « Chaque dimanche, avant la messe, tout prêtre bénira l'eau dans un vase propre et convenable à un si grand mystère. Il s'en servira pour faire l'aspersion sur le peuple, au moment où il entre dans l'église. Faisant le tour du parvis de l'église, précédé de la croix, il l'aspergera également et priera pour les âmes des trépassés qui y reposent. Ensuite, quiconque le voudra emportera de l'eau bénite dans des vases, pour en répandre dans les maisons, sur les champs, sur les vignes, sur les troupeaux, sur les fourrages, sur la nourriture et sur la boisson (1). »
Le quatrième concile de Mayence, tenu en 1549, renouvelle la même prescription. « Suivant l'ancienne coutume de l'Église, nous bénissons le sel, l'eau et certaines autres choses pour l'usage des fidèles. Nul ne peut blâmer cette coutume, s'il se rappelle que l'Église a reçu tous les pouvoirs nécessaires au bien des fidèles,
même de chasser les démons par les exorcismes et de conjurer les pestes et les fléaux. En faisant usage de ces pouvoirs, l'Église suit l'exemple des saints et des prophètes, qui ont employé des choses corporelles pour produire des effets surnaturels. Aussi, nous ordonnons que cette coutume soit conservée dans nos églises : quem morem in ecclesiis nostris præcipimus conservandum (2). »

(1) Et qui voluerit, in vasculis suis accipiat ex ipsa aqua, et per mansiones, et agros, et vineas, super pecora quoque sua, atque super pabula eorum, nec non super cibos et potum suum conspergat. Vid. Lib. sacerdot., pars II, c. I.
(2) C. XXXIX.

Dans les lettres citées du P.Possevin, tu as vu avec quelle religieuse fidélité les catholiques du Nord observaient encore, à la fin du seizième siècle, cet usage traditionnel. Il en fut de même chez tous les peuples chrétiens de l'Orient et de l'Occident, jusqu'au protestantisme et au paganisme moderne. Deux belles lumières, vraiment, et bien capables de dissiper les ténèbres et de mettre fin aux superstitions des temps de barbarie !
Chez nos aïeux, l'eau bénite ne se trouvait pas seulement, comme aujourd'hui, à la porte des églises et des chapelles, où un trop grand nombre même dédaignent d'en prendre ; ils en avaient dans leurs maisons et en faisaient usage le matin, pendant la journée et surtout le soir. Un des brillants anneaux de cette glorieuse tradition est un saint de ton pays. Tu peux lire ce qui suit dans la vie de saint Achard , abbé de votre célèbre abbaye de Jumiéges. « - C'était la coutume invariable de l'homme de Dieu, lorsque les frères, fatigués des travaux du jour, reposaient d'un sommeil tranquille, de rester debout, comme un berger veillant sur le troupeau du Seigneur, et de parcourir les cellules et les cloîtres du monastère, la croix d'une main et l'eau bénite de l'autre, afin de prémunir et les lieux et les personnes contre les embûches du démon (1). »
Le fait que tu viens de lire n'a d'exceptionnel que la manière dont il s'accomplissait par le saint abbé, pour le fond il était invariable dans tous les couvents. La dernière oraison de Complies, Visita, quœsumus, visitez, Seigneur, cette demeure; que vos saints anges y habitent, etc., se disait en commun, dans les dortoirs pendant qu'on faisait l'aspersion de l'eau bénite (2).
Plus éclairés que nous sur les choses de l'ordre moral, parce qu'ils avaient plus de foi, les anciens chrétiens avaient, on peut le dire, l'intuition de deux vérités fondamentales : d'une part, la condition de l'homme obligé d'accomplir son épreuve au milieu d'ennemis innombrables, acharnés et supérieurs en force ; d'autre part, la puissance de l'eau bénite pour lui assurer la victoire. Le jour ils faisaient usage de l'arme divine contre le démon du midi, a dæmonio meridiano; la nuit, contre la chose qui se promène dans les ténèbres, a negotio perambulante in tenebris.
Comme le soldat en campagne ne se sépare jamais de son armure, ils avaient soin de porter avec eux de l'eau bénite dans leurs voyages. De cette sainte coutume je me contente de te rappeler deux illustres exemples : celui de sainte Thérèse, que tu n'as pas oublié et celui d'un des meilleurs rois de notre France. « Le pieux roi Robert, dit son historien, avait très-souvent recours au signe de la croix, et durant tout le cours de sa vie jamais il ne fut volontairement sans eau bénite (3). »

(1) Fulbert, Vila S. Aichard., apud Sur., t. V
(2) Cavalieri, t. I, 210, in-fol.
(3) Habuit hoc ex more in vita, cui nunquam defuit voluntate aqua benedicta. Helgald, in Epitom. Vit. Roberti.

Un autre monarque, grand par son génie, plus grand par sa foi, l'empereur Léon VI voulait qu'on eût recours à l'eau bénite surtout dans les grandes circonstances, où pouvait se décider le sort de l'empire. Il en fit une loi pour ses armées. Au lieu de perdre le temps à écrire la vie de n'importe quel empereur païen, ce sage prince a composé un livre sur les Préparatifs de guerre. La, se trouve la recommandation, incroyable aujourd'hui, que je vais te citer textuellement. « La veille de la bataille le général en chef aura soin de faire répandre par le prêtre de l'eau bénite sur toute l'armée (1). »
Je te laisse sur ce fait. Grave-le dans ta mémoire, et qu'il te serve de point de comparaison pour juger des chrétiens d'autrefois et des chrétiens d'aujourd'hui. Demain je te fournirai de nouveaux thermomètres.

Tout à toi.

(1) Pridie ejus diei qua prœlium et certamen sit ineundum curare debet dux exercitus, per sacerdotem universum exercitum expiari aqua benedicta. De Bellico apparatu, pars XIII, apud Baron., t. X, an. 911, n. 15. - Le même empereur ordonne, dans le même ouvrage, que le matin et le soir, toute l'armée récite le Gloria Patri. - Praeterea habetur ibidem, ut quotidie mane et vespere universus exercitus dicere debeat trisagium hymnum. - Depuis longtemps la prière militaire ne se fait plus dans les quartiers. Que dis-je ? Depuis longtemps les armées du royaume très-chrétien, comme armées, sont athées ; et on soutient hardiment que notre siècle en vaut bien un autre !


VINGT-DEUXIÈME LETTRE

Ce 22 octobre.

NOUVEAUX USAGES DE L'EAU BÉNITE. - DANS LES CALAMITÉS PUBLIQUES. - A L'ÉGARD DES MALADES. - ELLE MET LE DÉMON EN FUITE. - RECOMMANDATIONS PRESSANTES D'EN FAIRE FRÉQUEMMENT USAGE. - A L'ÉGARD DES MORTS. - UTILITÉ DONT ELLE EST AUX DÉFUNTS. - CONFIANCE PERMANENTE À L'EAU BÉNITE. - LETTRES DES MISSIONNAIRES DE L'OCÉANIE.

CHER AMI,
Quand on a des yeux pour voir et qu'on lit attentivement l'histoire des siècles chrétiens, on demeure convaincu que nos aïeux ne pouvaient guère plus se passer de l'eau bénite, que nous de l'eau naturelle et des eaux thermales. Aux exemples cités jusqu'ici je vais, en finissant notre correspondance, en ajouter quelques autres. Outre l'usage journalier qu'on faisait de l'eau bénite, on s'empressait, dans les calamités, de recourir publiquement, universellement à ce puissant préservatif.
Les archives du Vatican conservent l'histoire originale du pape saint Étienne VI, écrite vers la fin du neuvième siècle. On y trouve le fait suivant. « Sous le pontificat du pape Adrien III, des nuées innombrables de sauterelles avaient ravagé l'Italie. II en résulta des pertes énormes et une calamité générale. On craignit pis encore pour l'année suivante. Successeur d'Adrien, le Pape saint Étienne, à peine élevé sur le siége apostolique, publia un édit par lequel il promettait une somme assez forte, à quiconque lui apporterait un boisseau de ces insectes. A cette nouvelle, les habitants des campagnes et même des villes se mirent à courir de tous côtés, pour prendre des sauterelles et les apporter au Père compatissant.
« Tant d'efforts ne réussirent pas à les détruire. Alors le saint Pontife eut recours à la miséricorde du Seigneur. Il se rendit à l'oratoire de saint Grégoire, où l'on conserve son lit, près de la basilique du prince des apôtres. Là, il se prosterne devant celui dont il tient la place et prie avec larmes. Après avoir longtemps prié, il se lève, bénit de l'eau de ses propres mains, et dit à ses clercs : Allez et distribuez-la à tout le peuple, en lui recommandant de parcourir, plein de foi dans le nom du Seigneur, les champs et les vignes et d'y répandre de cette eau bénite.
« Cela fait, la miséricorde du Dieu tout-puissant se manifeste avec tant d'éclat, que partout où l'eau bénite est jetée, il ne reste pas une sauterelle. Aussitôt, toutes les provinces ravagées accourent à Rome et demandent en suppliant qu'on vienne à leur secours, attendu que les sauterelles, nombreuses comme les grains de poussière, couvrent leur territoire. Le saint Pape leur répond avec bonté d'implorer le secours du ciel ; et bientôt le fléau disparaît et l'allégresse renaît dans tous les cœurs. (1) »

(1) Tout fait croire que l'eau bénite fut l'instrument du second miracle comme du premier. Malheureusement le manuscrit est incomplet et ne le dit pas. Commonuit de cœlo auxilium petere contra flagellum imminens... et mox læta... hucusque in vaticano codice res Stephani Papæ, reliqua desunt. - Voir Baron., t. X, an. 885, n. 8

Ce que sont pour les peuples les guerres et les fléaux, les maladies, et surtout Ies maladies mortelles, le sont pour les particuliers. Il y a plus : dans ce dernier cas, des intérêts bien autrement graves sont en jeu : d'une dernière victoire ou d'une dernière défaite, va dépendre une éternité de bonheur ou une éternité de malheur. Le démon ne l'ignore pas.
Profitant des courts instants de l'épreuve, il attaque le malade avec une rage nouvelle. Tentation d'indifférence, tentation d'incrédulité, tentation de désespoir, tentation de présomption, tentation d'impatience et de murmure : pas un de ses traits enflammés qu'il ne lance contre lui. Souvent même il ose, par des fantômes visibles, jeter le trouble et la frayeur dans l'âme des moribonds.
Tout au moins, le malheureux aux prises avec la douleur, est exposé à commettre quelques péchés véniels et se condamner ainsi aux rigueurs du purgatoire. Quel moyen de lui épargner les flammes expiatrices et de mettre l'ennemi en fuite ? Si tu interroges les siècles chrétiens, ainsi que les chefs expérimentés du combat, d'une voix unanime ils te nommeront l'eau bénite.
Écoute cette voix de martyr, venue des premiers âges : « Personne, dit saint Cyprien, ne doit étre étonné si nous jetons de l'eau bénite sur les malades, lorsqu'ils reçoivent la grâce du Seigneur. Le Saint-Esprit ne dit-il pas par la bouche d'Ézéchiel : Je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez lavés de toutes vos souillures (1)?»
Écoute encore la voix immortelle de l'Église ta mère. « Que le prêtre, dit-elle, jette de l'eau bénite sur le malade, sur son lit et sur les assistants, en disant : Asperges me. Cela se fait pour chasser les démons qui redoublent de ruse et de malice contre les mourants. Ainsi, on asperge le malade et le lit, afin de les éloigner ; les assistants, afin qu'ils ne les empêchent pas de prier ou ne nuisent pas aux prières qu'ils font pour le malade (2). »
Tu vois combien est vénérable par son antiquité et respectable par les motifs qui nous en font un devoir, l'aspersion de l'eau bénite, dans l'administration des derniers sacrements. Aussi, tous les siècles chrétiens l'ont religieusement observée. Souvent Dieu a permis que l'extrême utilité en fût rendue sensible. L'apparition du démon à saint Martin mourant n'est pas un fait isolé. Je ne sais combien de fois il se reproduit dans l'histoire, mais j'en connais un grand nombre d'exemples : en voici deux seulement.
Dans son Traité des miracles, Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, s'exprime en ces termes : « Nous avions, au monastère de Cluny, un malade à l'article de la mort. Il voyait toute sa chambre remplie de fantômes horribles et armés de pointes acérées. Or, il était gardé par deux frères convers, Étienne et Olive. L'un d'eux, s'étant aperçu de ce qui se passait, jeta de l'eau bénite dans la chambre. Aussitôt le malade se mit à crier : De grâce, de grâce, continuez. Les démons prennent la fuite et s'en vont rapidement les uns après les autres (3). »

(1) Nec quemquem movere debet quod aspergi vel perfundi videantur ægri, etc. Epist. lib. IV, Epist., VII, ad Magnum.
(2) Cavalieri, Opera., t. I, Decret., II, p. 155, in-fol.
(3) Ela, eia, fac quod facis, quia diaboli fugientes, contendunt alter post alterum summa velocitate discedere. De miraculis, lib. I, c. VII.

On trouve le même fait, accompli dans l'antique et célèbre monastère de Cava, au royaume de Naples. Le vénérable Pierre, abbé de ce monastère, avait reçu de Dieu une grace spéciale pour éloigner les démons des malades et des mourants. « II y avait parmi nos religieux, disent les anciennes archives du couvent, deux frères, Hugues et Maur. Tous deux étaient riches de vertus ; mais Hugues doué de facultés supérieures devint plus tard prieur de la maison. Son frère, étant mûr pour le ciel, tomba malade de la maladie qui devait le mettre en possession de la récompense éternelle.
« Le vénérable Pierre s'empressa de le visiter et de recommander son âme au Dieu tout-puissant. Tout à coup le malade lui dit : « Je vois à la fenêtre deux oiseaux, l'un d'une beauté ravissante, l'autre horrible et tout noir. » Les frères, étonnés, se mirent à regarder, mais ils ne virent rien. L'abbé, comprenant que le mourant pouvait voir autre chose que les vivants, ordonne d'apporter de l'eau bénite. Au moment où il asperge la fenêtre, le malade s'écrie : « L'oiseau noir a disparu. » Puis, rendant grâces à Dieu, il s'endort du sommeil des justes.
« Il fut alors évident pour tous, que, grâce à l'eau bénite et aux prières du vénérable abbé, le démon, sous la forme d'un affreux oiseau, avait pris la fuite, et que le bon ange, sous la forme d'une blanche colombe, était venu chercher cette âme d'élite pour la conduire aux joies éternelles. Leur croyance n'était pas vaine. A quelques jours de là, Maur apparut environné de gloire à un des frères, en sorte qu'il ne fut pas permis de douter que, conduit par son angélique gardien, il n'eût passé heureusement de l'exil à la patrie. (1)

(1) De Petro abb, caven., apud Sur., t. VII, 4 mart.

Aussi, de nos jours encore, les plus graves théologiens continuent de recommander avec instance de faire fréquemment des aspersions d'eau bénite sur les malades. Dans son opuscule de l'Assistance des moribonds, saint Alphonse écrit : « Que le prêtre assistant recoure souvent à ce préservatif, surtout s'il voit le malade en butte aux tentations du démon (1). » En cela, il ne fait que se conformer aux ordres de l'Église (2).
Pourquoi ne pas le faire ? Il n'est pas rare que les médecins prescrivent de donner à boire aux malades d'heure en heure, même de demi-heure en demi-heure. Les gardes se feraient scrupule de violer de pareilles ordonnances. Est-ce que les médecins de l'âme ne valent pas les médecins du corps ? La santé du corps serait-elle plus précieuse que la santé de l'âme ? Les remèdes prescrits pour éloigner le mal moral sont-ils moins efficaces que les médicaments destinés à soulager le mal physique ? L'Église est elle moins habile que l'académie de médecine ? Il est triste, prodigieusement triste de voir aujourd'hui tant de créatures baptisées destituées, dans leurs derniers combats, de tous les secours que la maternelle sollicitude de l'Église leur avait préparés, mourir comme des païens ou comme des bêtes, sans eau bénite, sans signes de croix, et parfois sans sacrements.
Chez nos ancêtres, l'usage de l'eau bénite ne finissait pas avec la vie : il survivait à la mort. En traversant la Suisse pour venir en France, tu as pu voir à l'entrée des religieux cimetières catholiques, deux grands bénitiers avec leurs goupillons ; tu as pu voir également tous les fidèles s'approcher de ces bénitiers et jeter de l'eau bénite sur les morts. Mais, que dis-je ? chaque jour ne vois-tu pas, à Paris, à côté du cercueil, déposé sous la porte cochère, un bénitier rempli d'eau bénite, et les passants, peut-être sans savoir pourquoi, jeter de l'eau bénite sur le défunt ? Avec le buis bénit, arboré sur les voitures et sur la tête des chevaux, c'est, il faut le reconnaître, la pratique religieuse la mieux observée par la plupart des Parisiens. Enfin, dans les enterrements, à la levée du corps, à l'église et au cimetière, le prêtre a ordre de se conformer religieusement à cet usage.

(1) Sæpius infirmum aqua benedicta aspergat, præsertim si diabolicis tentationibus exagitatur. De assistentia erga moribundos, § III.
(2) Vasculum, dit le Rituel, item adsit aquæ benedictæ, qua frequenter aspergatur. De visit. in firm.

Quelle en est la raison ? Est-ce que l'eau bénite peut être utile aux morts ? Avant tout, tu peux être certain qu'un rite commandé par l'Église, un rite universel et qui remonte à l'origine des siècles chrétiens, n'est pas une action dénuée de bons motifs. En voici trois. Le premier est de nous purifier nous-mêmes et de prévenir les distractions ou les tentations de l'ennemi, afin que nos prières pour les défunts leur soient plus profitables. Le second est d'éloigner de nos corps les démons empressés à se venger sur eux, après la mort, du mal qu'ils n'ont pu leur faire pendant la vie.
Le troisième est d'exprimer, par un signe sensible, le désir que nous avons d'adoucir aux trépassés les souffrances du purgatoire, et de leur procurer une prompte entrée dans le lieu du rafraichissement. Or, ce signe n'est pas inefficace. D'abord, ce désir est une prière ; ensuite, l'eau bénite, étant un des sacramentaux, possède une vertu propitiatoire qui, en raison de la communion des saints, se fait sentir aux trépassés. Enfin, le signe de la croix qui se joint à l'aspersion est une autre prière d'une grande valeur. Cela rappelé, tu n'auras plus de peine à comprendre de quelle utilité l'eau bénite est aux morts (1).

(1) Interdum aqua benedicta cadaver aspergere non tantum ad arcendos dæmones, qui nonnunquam desævirent in corpora mortuorum, quæ dum viverent, vexare non potuerunt ; sed etiam in symbolum desiderii nostri, quo defunctorum animas cælesti rore aspergi optamus, unde ibis purgatorii ardor mitigetur, et omnino extinguatur. Cavalieri, In agenda defunctor. Decret. IX, t. II, p. 89, et c. XV, Decret. 48, n. 4.

Ici encore, la Providence a pris soin de justifier l'Église par des faits. Le savant théologien Mendo cite le suivant extrait de la vie de saint Martin, chanoine régulier de Liége, dont le précieux manuscrit se conserve dans la bibliothèque du couvent de SaintIsidore. « Comme plusieurs saints ont été favorisés d'un saint commerce avec leurs anges gardiens, le vénérable serviteur de Dieu conversait familièrement, pendant sa vie, avec l'âme d'un prêtre détenue dans le purgatoire. Entre autres détails sur les peines de ce lieu d'expiation, cette âme lui dit : Toutes les fois que les fidèles jettent de l'eau bénite sur nos tombes, nos souffrances diminuent. Nous éprouvons ce qu'on éprouve sur la terre, lorsque dans les grandes chaleurs on fait usage d'eau fraîche pour boire ou pour se laver (1).
Le Saint-Esprit qui, sous nos yeux, appelle à la vie chrétienne les peuplades sauvages de l'Afrique et de l'Océanie, leur inspire pour l'eau bénite la méme confiance, dont nous avons vu les preuves éclatantes dans l'histoire de toutes les nations baptisées : le Seigneur se plaît à la justifier. « Nos catéchistes, écrit un missionnaire, ont grande confiance dans l'usage de l'eau bénite. Le catéchiste qui a précédé Matéo, à Satana, en avait fait usage pour purifier des champs et des maisons qui étaient, disaient les sauvages eux-mêmes, infestés par les Aitu et où personne n'osait aller. Depuis lors, les Aitu ont quitté ces lieux et l'on n'a plus peur. C'est même ce qui a décidé plusieurs protestants à se convertir (2). »

(1) Inter quæ id fuisse illi significatum, animas Purgatorii refrigerium in cruciatu ignis sentire, quoties fideles sepulcra suorum corporum aqua benedicta aspergebant, idque in se ipsis experiri, quod experitur quis in hac vita, dum nimio calore vexatur, si aspergatur aqua. Mendo, in append., ad Bull. Cruciat., disput. IV, c. II.
(2) Lettre du P. Garnier, missionn. en Océanie, 4 février 1863.

Tu vois que chez les anthropophages de l'Océanie comme chez les civilisés de l'Europe, aujourd'hui comme il y a dix-huit siècles, l'eau bénite n'a rien perdu de sa puissance. Aussi, le démon qui la redoute ne néglige rien pour la discréditer. Tu n'imaginerais pas le moyen qu'il a pris pour y parvenir.. Afin de ruiner la confiance en l'eau bénite, non pas dans l'esprit des jeunes et fervents catholiques, mais dans l'imagination des sauvages qui manifestent le désir du baptême, il fait répandre par les sorciers le bruit que l'eau bénite est un poison mortel.
« Je vais vous apprendre du nouveau, écrit un autre missionnaire, c'est une chose dont vous ne vous êtes jamais douté et que, certainement, vous ne croirez pas, mais qui est crue ici, grâce à l'Esprit de mensonge: c'est que je suis sorcier. Je fais la pluie et le beau temps. Je répands la mort partout. Je tue les âmes et les corps, et mes coups sont d'autant plus terribles qu'ils sont inévitables. Aussi, suis-je redouté. Vous me demanderez comment est-ce que je fais ? Je l'ignore moi-même : tout se fait à mon insu. Tous les dimanches, pendant l'aspersion de l'eau bénite, je tue autant d'esprits que je donne de coups de goupillon.
« Si, par hasard, il y a quelques curieux ou de nouveaux auditeurs, on les voit faire un mouvement de corps pour éviter le coup que je leur porte. Ce qu'ils craignent surtout, c'est l'eau bénite. Ils se regardent comme morts, quand une goutte tombe sur eux : cette eau pénètre dans leur intérieur, et leur ronge les poumons et le coeur. Si vous avez ignoré jusqu'ici la vertu de l'eau bénite, c'est que le démon n'ose pas enseigner si crûment dans vos pays de foi. Mais ici, il peut toujours avancer les plus grossières absurdités, il sera toujours cru sur parole (1). »
Je termine ici, mon cher Frédéric, la double histoire des admirables effets de l'eau bénite et de la confiance inébranlable de tous les siècles chrétiens à cette arme puissante. Entre les mains des apôtres est le premier anneau de la chaîne traditionnelle, le dernier entre les tiennes. Qu'ajouter à la démonstralion ? Rien. Ma dernière lettre t'indiquera les résultats pratiques de notre correspondance.

Tout à toi.

(1) Lettre du P. Thomassin, missionn. dans la Nouvelle-Calédonie, 1861.

VINGT-TROISIÈME LETTRE

Ce 23 octobre.

RÉSUMÉ. - USAGES QU'IL FAUT FAIRE DE L'EAU BÉNITE. - EN PRENDRE LORSQU'ON ENTRE À L'ÉGLISE. - ASSISTER LE DIMANCHE À L'ASPERSION. - AVOIR CHEZ SOI DE L'EAU BÉNITE. - CACHET DU BÉNITIER. - PLACE DU BÉNITIER. - PRENDRE DE L'EAU BÉNITE, EN SE LEVANT. - DANS LES TENTATIONS. - EN SE COUCHANT. - EN AVOIR EN VOYAGE. - S'EN SERVIR DANS LES FLÉAUX ET DANS LES ÉPIDÉMIES. - PRATIQUER LA BÉNÉDICTION SOLENNELLE DES MAISONS. - AVIS À CE SUJET.-PRÉTEXTES DE CEUX QUI MÉPRISENT L'EAU BÉNITE. - LEUR CARACTÈRE. - LEURS VÉRITABLES MOTIFS. - APHORISMES BONS À RETENIR.

MON CHER AMI,
Notre correspondance, tu ne l'as pas oublié, avait pour but de t'instruire et de t'armer. T'instruire, en te faisant connaître dans son origine, dans ses éléments, dans ses effets, dans sa raison d'être, une des institutions les plus vénérables, les plus universelles, les plus populaires de l'Église catholique : cette institution, c'est l'eau bénite. T'armer en te mettant entre les mains une arme de précision, contre les attaques incessantes des redoutables ennemis qui nous assiégent jour et nuit, depuis le berceau jusqu'à la tombe : cette arme, c'est l'eau bénite. Apprendre à t'en servir finira ma tâche.
Jusqu'ici tu as fait usage de l'eau bénite, je ne dis point par routine, mais par tradition : c'est-à-dire sur l'exemple de ta respectable famille. Tu as eu raison. Conserve avec soin l'héritage de tes pères. Ne sois jamais de la religion du mépris. Il n'y a là ni gloire ni chance de bonheur : Honora patrem et matrem, ut sis longævus super terram. Désormais, tu recourras à l'eau bénite avec connaissance de cause et par conviction personnelle. Délivré de la tyrannique et sotte maxime : Il faut faire comme les autres, ta pratique sera plus franche et mieux soutenue. Tu n'ignores plus qu'à l'égard de l'eau bénite, comme à l'égard du christianisme tout entier, le monde se divise en autres et en autres. Il y a les autres qui croient à l'eau bénite et qui en font usage. Ces autres-là sont tout simplement l'élite de l'humanité. Il y a les autres qui n'y croient pas et qui ne s'en servent jamais. Entre les deux camps, l'histoire a fixé ton choix. Tu sais ce que valent les contempteurs de l'eau bénite. Les craindre, serait désormais pour toi une lâcheté ; les imiter, une félonie.
Mais pour que l'eau bénite produise ses précieux effets, avec quelles dispositions et dans quelles circonstances faut-il en faire usage ?
Toutes les dispositions peuvent se réduire à une, la foi. Il est facile de l'avoir. Devant nous se présentent dans toute leur splendeur, les deux plus puissants motifs de crédibilité : l'infaillible autorité de l'Église et le témoignage des siècles. Appuyé sur cette double base, il faut donc croire sans hésiter à la puissance de l'eau bénite soit pour effacer le péché véniel et remettre les peines temporelles dues au péché; soit pour chasser le démon, déjouer ses ruses et dissiper ses tentations ; soit pour guérir les maladies, éloigner les fléaux et nous placer sous l'empire du Saint-Esprit. De la foi dé-couleront comme de leur source la confiance dans le succès, la fréquence dans le recours, le respect dans l'usage.
Quant à l'usage lui-même, il est déterminé par les règles de l'Église et par l'exemple de nos pères : telle est l'infaillible boussole qui doit nous diriger. Rien ne vieillit dans l'Église, rien, dans les conditions fondamentales de la foi humaine. Il en résulte que les raisons de recourir à l'eau bénite sont les mêmes au dixneuvième siècle qu'aux siècles passés. Je me trompe : elles sont mille fois plus pressantes. Prends une mappemonde ; et à qui pourra citer une époque, postérieure à l'Évangile, où le démon fut aussi déchaîné, ses attaques aussi gigantesques, ses piéges aussi perfides, son empire aussi étendu, son règne aussi généralement accepté qu'il l'est aujourd'hui, tu peux promettre le premier prix d'histoire dans n'importe quelle académie.
Or, si nous voulons être les dignes enfants de l'Église et de nos glorieux ancêtres, voici ce que nous avons à. faire.
1° Prendre de l'eau bénite toutes les fois que nous entrons à l'Église. La prendre la main nue et non gantée, en faisant un signe de croix qui en soit un. Par là nous éloignons le démon et nous appelons en nous l'esprit de recueillement et de prière (1).
2° Assister exactement à l'aspersion de l'eau bénite, le dimanche, au commencement de la messe paroissiale. Cette aspersion a pour but de nous rendre moins indignes de participer aux saints mystères, soit en nous purifiant de nos péchés véniels, soit en nous rappelant la sainteté du baptême et les dispositions de respect religieux, avec lesquelles il faut approcher du Dieu trois fois saint, Sancta sancts, soit en éloignant tout ce qui pourrait nous souiller ou nous .distraire. Combien de distractions évitées, combien de messes mieux entendues, combien de prières et de communions plus profitables, si on avait eu soin de recourir à ce moyen protecteur et sanctificateur (2) !

(1) Devotio enim christiana hoc habet quod aqua benedictæ aspersione, dæmonis potestate repressa et profugata, qui terrenis affectibus humanum animum in varium distrahit et dispergit : Spiritus Sancti, cujus est mentem a terrenis revocare, assistente gratis, mens ad interiora revocata, collectior fiat et devotior. Turrecremata, De Aq. bened., c. VI.
(2) Nec aspergimur ut rebaptizemur, sed ut gratiam divini nominis cum memoria baptismatis invocemus. Idcirco populus christianus Ecclesiam ingrediens divinis insistere intendens, ipsa aqua sanctificata aspergitur, quia valet ad quotidiana delenda. Durand., Rational., lib. IV, c. VI.

Sais-tu que cette purification immédiate par l'eau, avant d'entrer en communication directe et publique avec Dieu, est une loi de l'humanité ?. Nous avons vu ce qui se passait au temple de Jérusalem, temple auguste, sans doute, mais dont la sainteté n'égala jamais celle de nos églises. Même usage chez tous les peuples païens. Soit fidélité à une tradition dont ils ne comprenaient plus le vrai sens, soit plutôt malice du démon attentif à contrefaire à son profit les rites les plus vénérables de la vraie religion, les païens n'entraient jamais dans leurs temples, sans se purifier par l'eau lustrale.
« Au vestibule des édifices sacrés , disent leurs écrivains, étaient placés des vases appelés aquæ minaria, rempli d'eau lustrale avec laquelle se purifiaient ceux qui venaient adorer. En sortant, ils mettaient de cette eau dans de petits vases pour s'en servir dans leurs demeures. Il ne se faisait aucun sacrifice, qu'on ne purifiât le peuple avec cette eau lustrale (1). »
Nous trouvons la même loi religieusement observée chez les Mahométans. Aux portes de leurs mosquées sont des cuves ou fontaines dans lesquelles ils ne manquent pas de se laver, avant de faire leurs prières, le visage, les mains et les pieds. « Vaines ablutions, s'écrie Tertullien ! vos eaux sont veuves. L'Esprit sanctificateur n'y réside pas ; elles vous souillent plutôt qu'elles ne vous purifient (2). » Le rouge doit monter au front s'il est vrai que, par ignorance ou par impiété, des chrétiens dédaignent ou profanent un rite sacré, dont la simple contrefaçon attire le respect inviolable des païens et des Turcs.

(1) Voir Asconius, verb. Delubrum; Macrob., Saturn., lib. I, c. xvi; Bongus, Demyster. Numero 9, et Dict. des antiq., art. Aqua lustr., etc., etc.
(2) Sed enim nationes, extraneæ ab omni intellectu spiritualium, potestatem eadem efficacia idolis suis subministrant, sed viduis aquis sibi mentiuntur, etc. De Baptism., c. V.

3° Avoir chez soi de l'eau bénite et lui donner une place convenable. Autrefois on n'aurait peut-être pas trouvé, dans l'Europe catholique, une seule maison, riche ou pauvre , à la ville ou à la campagne, qui n'eût de l'eau bénite, comme elle avait des crucifix et de saintes images. Devant le paganisme moderne, les images chrétiennes ont quitté le foyer domestique, et, avec les emblèmes chrétiens, l'eau bénite. Elles sont innombrables les demeures de nos catholiques sincères et indépendants, où l'eau bénite est inconnue ! L'y faire rentrer, serait y faire rentrer la foi. J'ai ajouté qu'elle devait être placée d'une rnanière convenable. Le vase destiné à la contenir doit avoir un cachet religieux : le bon sens le dit. Arrière donc les bénitiers de certaines églises, à Paris et ailleurs, où la vasque de l'eau sainte est portée par des génies païens, ou par des nymphes indécentes, en guise des Vertus théologales. Arrière encore ces bénitiers domestiques, dont l'ornementation prétendue est formée de deux anges, c'est-à-dire de deux bayadères enlacées, cou, bras et jambes nus, qui semblent bien moins habituées à vous offrir de l'eau bénite qu'à danser un ballet. Arrière toutes ces profanations de l'art et des choses saintes. La seule manière d'être chrétien, c'est de l'être en tout, toujours et partout.
La place naturelle du bénitier est celle qu'occupe le tien, la chambre à coucher, à côté du lit. C'est là que le chrétien s'endort, là qu'il s'éveille, là peut-être qu'il doit mourir. C'est là aussi que veille, soit pour lui arracher sa dernière pensée, soit pour surprendre son premier soupir, soit pour le troubler par ses attaques nocturnes, l'ennemi infatigable, justement appelé le lion toujours rugissant (1).

(1) Ideo bonum est semper habere aquam benedictam prope lectum et sæpius ea se aspergere, præsertim ægrotantibus. Hydragiol., 283.

4° Faire usage de l'eau bénite. De quoi sert un remède si on ne le prend pas ? une arme, si on la laisse inactive ? Il faut donc prendre de l'eau bénite, le matin en se levant ; une nuit vient de passer, peut-être n'a-t-elle pas été exempte de quelques légères fautes. Rien de plus pressant que de les expier. Un jour commence ; des luttes nous attendent, plus d'un danger nous menace : quoi de plus sensé que de revêtir notre armure et de recourir au préservatif mis sous notre main par la sollicitude maternelle de l'Église ? Si,dans le cours de la journée ou pendant les insomnies de la nuit, la tentation survient importune et violente, sur-le-champ faisons usage de l'eau bénite.
Il faut en prendre en se couchant. Expier les fautes du jour, se prémunir contre les dangers de la nuit, sont pour tous, quels que soient leur condition, leur âge, leurs vertus, deux motifs permanents et péremptoires de cette pratique trop justifiée. La maladie en est un autre non moins puissant. Je t'ai fait connaître à cet égard la conduite de l'Église, ta mère, et des vrais catholiques, tes pères et tes modèles.
Si, à l'exemple des saints les plus éclairés, nous portions de l'eau bénite avec nous dans les voyages, où serait le mal ? Nous est-elle moins utile ? Les rencontres fâcheuses sont-elles moins nombreuses ou moins à craindre aujourd'hui qu'autrefois ? La manière actuelle de voyager offre-t-elle moins de chances d'accidents ? Dans les voyages, les uns se munissent de flacons de sel ou d'eau de senteur ; les autres d'armes : tous de provisions d'une nature variée en prévision de ce qui peut survenir. C'est une prudence louable. Votre corps ne manquera de rien : et votre âme ?
Il y a bien d'autres circonstances dans lesquelles le recours à l'eau bénite est indiqué et par la pratique des vrais chrétiens et par la nature des effets qu'elle produit. Tels sont les orages, les tempêtes, les épidémies des hommes, des animaux et des plantes. Nous savons de science certaine que l'eau bénite est un préservatif excellent contre ces différents phénomènes, dont la nature mystérieuse et le caractère particulièrement malfaisant indiquent assez qu'ils sont trop souvent l'œuvre du démon.
Quand ces fléaux nous menacent ou nous atteignent, il n'y a pas d'explications qu'on n'en donne, pas de recettes aux-quelles on n'ait recours. Vois ce qui se passe à l'heure même, dans nos villes atteintes de choléra. Afin de purifier l'air, chaque soir on allume des feux dans les rues ; on répand partout du chlorure de chaux ; on conseille à chacun de porter sur soi un sachet de camphre ; on ordonne le rhum, le thé, la camomille : que sais-je ? Voilà les moyens de la sagesse humaine, et les Sacramentaux du monde. Le succès répond-il à la science des docteurs, à la confiance des malades ?
Dieu nous a donné d'autres préservatifs. Sans négliger les premiers, pourquoi dédaigner les seconds ? Mais qui songe aux remèdes divins, aux Sacramentaux de l'Église? Qui songe à l'eau bénite pour désinfecter l'atmosphère, pour purifier les maisons ? Et cependant, à moins de cesser d'être catholiques, nous savons que l'eau bénite est le spécifique providentiel, pour détourner le vent de la peste, pour assainir l'air corrompu : Nec illic resideat spiritus pestilens, non aura corrumpens.
Nous savons, de plus, que ce remède sanctificateur est en opposition adéquate avec le mal, attendu que les miasmes délétères qui tuent les corps sont le produit de la corruption des âmes, le mal physique est né du mal moral : Terra infecta est ab habitatoribus suis. Voilà ce qu'enseigne Celui qui connaît infailliblement la cause des maladies et leurs remèdes. Et ces remèdes, nous n'y recourrons pas ! Il faut même un certain courage pour les proposer ! Qu'est devenue la foi ? si nous souffrons, si nous mourons, à qui nous en prendre ? Numquid non est resina in Galaad ? aut medicus non est ib i?
5° Chaque année pratiquer la bénédiction solennelle des maisons. Dans les pays chrétiens, tous les ans vers l'époque où les troupeaux, longtemps retenus dans les étables, vont retourner aux pâturages ; où l'homme lui-même, par de nouveaux travaux arrosés de nouvelles sueurs, va demander son pain à la terre, c'est un usage sacré d'appeler la bénédiction divine sur les habitants, sur leurs demeures, sur leurs vignes, leurs arbres, leurs prairies, leur bétail. Ces vieux chrétiens ont assez de bon sens pour savoir que la maison est mal gardée, si Dieu ne la garde ; et que la culture, l'arrosage et les soins les mieux entendus sont inutiles, si Dieu ne donne l'accroissement, en mesurant aux plantes le vent, la chaleur et la pluie.
Afin de la rendre pleinement efficace, veux-tu savoir de quelle manière et dans quelles conditions doit se faire cette bénédiction, à la maintenir soigneusement où. elle existe encore, à la rétablir où elle n'existe plus ? Écoutons le grand archevêque de Salerne, tant de fois cité dans mes lettres. Son instruction pastorale pour la bénédiction des maisons porte ce qui suit :
« Le prêtre ne bénira ni la maison ni les biens des excommuniés, des femmes publiques, des usuriers notoires, ou cures pécheurs publics.
« Chaque chef de famille se préparera sérieusement à recevoir la bénédiction de sa maison. A cette occasion, lui et les siens se réconcilieront avec leurs ennemis, répareront la réputation du prochain, restitueront, s'il y a lieu, le bien d'autrui, se confesseront ; et, par de pieux exercices, se mettront en état de recevoir et de garder la rosée salutaire qui va tomber sur eux.
« Il fera disparaïtre de sa maison tout ce qui pourrait offenser Dieu : comme les mauvais livres, les tableaux, les statues, les gravures profanes et indécentes. Il les remplacera par les images de Notre-Seigneur, de la sainte Vierge, ou de quelques saints, suivant sa dévotion particulière. A défaut de ces saintes images, qu'il ait au moins un crucifix dans sa maison.
« Que chaque personne de la maison ait près de son lit de l'eau bénite dans un bénitier, aussi élégant et aussi beau qu'il se pourra : Vasculum juxta lectum cum aqua sancta, quantum fieri possit elegans et decorum singuli habeant.
« Quand le prêtre approchera, le père de famille accompagné de ses enfants et de ses domestiques viendra au-devant de lui, lui demandera et recevra pieusement sa bénédiction , avec le désir sincère qu'elle produise ses effets spirituels et temporels.
« Pendant la bénédiction, il accompagnera le prêtre dans toutes les parties de la maison où il ira, récitant avec lui les psaumes, s'il le peut; ou du moins y répondant et se mettant à genoux ou se tenant debout, suivant qu'il conviendra. Inutile d'ajouter que pendant la bénédiction personne ne doit travailler. La prière et le silence doivent régner partout (1). »

(1) Hydragiol., p. 535 et suiv.

Si quelque chose était capable de rehausser aux yeux des chrétiens l'importance de cette bénédiction, c'est l'ernpressement avec lequel le singe de Dieu, Satan, s'en était emparé pour la tourner à son profit. Dans son impérissable désir de se faire passer pour le vrai Dieu, il se donnait pour le distributeur des biens de la terre, et comme tel se faisait rendre le culte que nous venons de décrire.
Au mois de mai, ses prêtres, suivis de ses adorateurs, faisaient une procession dans les campagnes, autour des vignes et des terres, en l'honneur de Cérès, pour lui demander la fertilité. Dans cette procession, ils ne manquaient pas de répandre l'eau lustrale, après avoir promené autour des héritages la victime réservée pour la circonstance, et qu'on immolait en l'honneur de la déesse. C'était ordinairement une brebis ou un taureau. Pendant le sacrifice on faisait la prière suivante : « Éloigne d'ici la maladie, la mort, la peste, les orages, la foudre (1). »

(1) Cœterum villas, domos, templa totasque unies aspergine circulatæ aquæ expiant passim. Tertull. De Baptism., c. v, et Dict. antiquit., V. A qua lustr.

Il est temps de finir : je le fais par une première conclusion, applicable aux opuscules que tu m'as demandés : Le Signe de la croix et l'Eau bénite. Les deux armes les plus usuelles, que l'Église ait mises aux mains de ses enfants, sont incontestablement l'eau bénite et le signe de la croix. Ces armes., immortelles comme tout ce qui est catholique, et dont l'efficacité brille à chaque page de l'histoire, ne sont aujourd'hui ni moins riches, ni moins puissantes, ni moins nécessaires, qu'au moment où elles sortirent de la fabrique du divin Armurier. Le tout est de savoir et de vouloir s'en servir. Par malheur, un grand nombre ont désappris à les manier. Plus nombreux encore ceux qui dédaignent d'en faire usage. En développant ton instruction, j'ai voulu refaire la leur. Là, j'ai vu une nécessité du temps : tu connais mes raisons.
Quant à l'eau bénite en particulier, j'ai fait, mon cher Frédéric, ce qui a dépendu de moi pour te la faire connaître. Puissé-je avoir réhabilité, non pas à tes yeux, mais aux yeux de tant de chrétiens ignorants et distraits, le plus universel, et j'ose ajouter, le plus nécessaire des sacramentaux ! Si l'antiquité, la puissance, la fécondité, jointes au témoignage de tout ce que le monde a connu de plus éclairé et de plus saint, suffit pour concilier à une institution le respect et la confiance : quelle autre en est plus digne que l'eau bénite ? Cependant elle a ses contempteurs et ses négateurs : quels sont leurs motifs ? Je n'en connais pas qui puisse soutenir un instant de discussion : eux-mêmes ne savent en produire aucun. Ils nient parce qu'il leur convient de nier : Nego quia nego. Mais nier sans raison est une niaiserie. Nier contre la raison est une lâcheté. De gaieté de coeur l'homme ne s'inflige pas un pareil stigmate. Il est poussé parle tentateur d'abord, ensuite par quelque intérêt qu'il n'ose avouer.
« La vraie cause, dit le savant cardinal de Turrecremata, pour laquelle le démon porte les hérétiques et les impies à dénigrer l'eau bénite, est de désarmer les chrétiens, afin de les vaincre sans efforts. N'ayant plus de confiance à l'arme puissante que l'Église a pris soin de mettre partout à leur portée, ils négligent d'en faire usage, et se présentent la poitrine nue aux traits enflammés de l'ennemi (1). « Le résultat d'une pareille imprudence était facile à prévoir. Regarde notre monde actuel, contempteur et négateur du signe de la croix et de l'eau bénite. Au point de vue des croyances et des moeurs, qu'est-il, sinon un champ de bataille couvert de morts, un hôpital rempli de blessés ? Si on faisait de l'eau bénite l'usage que veut l'Église, l'usage qu'en ont fait tous les vainqueurs dans les combats de la vertu, serions-nous témoins d'un pareil spectacle ? L'eau bénite n'est pas une petite chose. Quand elle en serait une, n'est-il pas écrit : Celui qui néglige les petites choses tombera peu à peu dans de lourdes fautes ?

(1) Non alia, nec magis præcipua causa adductus dæmon hujus sacramentalis aquæ fidem ac venerationem in cordibus eorum extinguit, nisi ut christianæ religionis armis, illo persuadente, contemptis, quibus humani generis hosti facillime obsisterent, magis liberum sibi eset eos invadere, eorumque corda et animas obsidere. De Aq. bened., c. XXXV, p. 283.

Le mépris de l'eau bénite a une seconde cause, conséquence de la première. Aveugler ses captifs et déchaîner leurs passions, est le premier usage que le démon fait de sa victoire. Redoutant la lumière, ils refusent de s'instruire. La vérité leur fait peur ; le surnaturel les gêne. Le coeur corrompu est comme l'œil malade qui supporte tout, excepté la lumière. De l'ignorance volontaire, ils passent au mépris. Ils méprisent l'eau bénite, par la même raison qu'ils méprisent les sacrements, qu'ils méprisent l'Église, qu'ils méprisent le Christianisme : ils veulent être libres.

Libres, c'est-à-dire indépendants. Rêveurs de l'impossible, ils sont punis par où ils pèchent. Si peu que tu les fréquentes, tu ne verras en eux que des esclaves. Être fini, l'homme n'est pas indépendant : il ne peut pas l'être. S'il est libre de se choisir un maître, il n'est pas libre de n'en point avoir. A l'instant où il secoue le joug tutélaire du maître légitime, il tombe forcément sous la tyrannie du maître illégitime. A Jésus-Christ, ou à Bélial ; à JésusChrist avec l'élite de l'humanité ; à Bélial avec la lie du genre humain : l'alternative est impitoyable.
Ne l'oublie jamais ; et pour juger les contempteurs de l'eau bénite, la sincérité de leurs paroles et le désintéressement de leurs mépris, rappelle-toi ces aphorismes de la médecine des âmes : C'est toujours par le cœur que commencent les maladies morales.
On n'est libre penseur que pour être libre faiseur.

Tout à toi.

Fin.

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