Le pouvoir pontifical d'après Cajetan

De Salve Regina

Théologie Fondamentale
Auteur : P. J. D. M. Maes, O.P.

Difficulté de lecture : ♦♦♦ Difficile

LE POUVOIR PONTIFICALD'APRÈS CAJETAN.

De tous les problèmes qu'une doctrine complète de l'Eglise pose, Cajetan n'en a envisagé que deux: celui de l'unité de l'Eglise, traité à l'occasion de la question du schisme, dans son Commentaire sur la Somme, à la question 39, a. 1, de la II-II; celui de l'autorité pontificale, traité à plusieurs reprises, d'abord dans le même Commentaire sur la Somme où, à la première question, a. 10 de la II-II, Cajetan défend l'infaillibilité personnelle du Pape, ensuite dans deux opuscules, l'un dirigé contre le Gallicanisme, l'autre contre le Luthéranisme. Le premier opuscule proclame le Pape supérieur au Concile. Il est intitulé: De Comparatione auctotitatis Papae et Concilii, et fut rédigé en 1511. Il fut suivi d'une Apologia, achevée en novembre 1512[1]. .Le second opuscule étudie l'origine divine de la papauté. Il est intitulé: De divina institutione Pontificatus Romani Pontificis, et fut composé en 1521, au retour de la légation de Cajetan en Allemagne, qui dura de mai 1518 à septembre 1519


Comme la question de l'unité de l'Eglise, ainsi que la question de la supériorité du Pape sur le concile furent l'objet de deux études[2], nous avons cru pouvoir nous en tenir à un exposé de la doctrine de Cajetan sur l'origine divine de la Papauté, telle que nous la retrouvons dans son écrit anti‑luthérien. Cet écrit, comme le remarque Lauchert[3], l'éditeur de cet opuscule, bien que dirigé contre Luther n'a nullement l'allure d'un écrit polémique. Il se présente comme un traité scolastique, d'une logique serrée[4].


Les rapports directs de Cajetan avec Luther, lui avaient appris que raisons et autorités ne touchaient guère le moine de Wittemberg. Luther se basait, ou croyait se baser sur l'Ecriture. Cajetan, pour se mesurer avec l'hérésiarque, s'attachera donc à l'Ecriture dont il s'efforcera de mettre en évidence le sens littéral. Ce sens littéral, il le demandera d'abord au texte même, qu'il essaiera d'interpréter aussi objectivement que possible, faisant remarquer toutefois qu'en cette matière on ne peut jamais arriver à une évidence mathématique, et qu'il est même anti‑scientifique de vouloir chercher cette évidence, comme s'il s'agissait d'un problème philosophique[5]. On peut du reste trouver une garantie de l'objectivité de l'interprétation d'un texte dans l'explication commune de l'Eglise. Les hérétiques et schismatiques ont toujours cherché à interpréter l'Ecriture selon leur sens privé. L'Eglise n'aurait pu triompher d'aucune hérésie si elle n'avait pu en appeler de cette interprétation toute individuelle à l'interprétation unanime donnée par ses docteurs, ses conciles, l'autorité apostolique[6]. Il ne s'agit pas toutefois d'imposer d'autorité ce sens catholique. Mais il s'agit de prouver que l'interprétation ecclésiastique et traditionnelle est conforme au sens obvie et littéral du texte.


Ainsi Cajetan dans l'opuscule que nous analysons est avant tout exégète et théologien. Il mettra toute la souplesse de son esprit, la subtilité de son argumentation, le réalisme de son interprétation au service de cette défense de la papauté. Tout en étant aussi conciliant que possible, tout en concédant ce qu'il croit pouvoir concéder, il mettra en évidence que les deux paroles du Christ, celle qui se retrouve chez Matthieu: Tu es Petrus..., et celle qui se retrouve chez Jean: Pasce oves meas..., contiennent une charte indéniable de l'institution divine de la Papauté.


Il faut d'abord déterminer le sens exact de la thèse qui est en cause, et du problème qui est posé par Luther[7]. Il ne s'agit aucunement d'une question de fait, à savoir si de fait le Pape est actuellement chef de l'Eglise; pas davantage d'une question de droit général, à savoir si l'autorité du Pape est d'origine divine, comme toute autorité qui vient de Dieu. Le droit qui est en litige, est un droit tout particulier, tout concret, à savoir le droit divin de l'autorité pontificale provenant d'une institution divine formelle, déterminée, explicite. L'Eglise fut‑elle fondée par le Christ avec un régime de gouvernement monarchique? La monarchie pontificale est‑elle voulue de Dieu ? Puisqu'il s'agit de volonté divine, il faut trouver une manifestation de cette volonté. Raisonnements et autorités humaines n'ont aucune valeur quand il s'agit d'une institution divine. Possédons‑nous une parole divine instituant l'autorité pontificale ?


C'est par la voie de l'exégèse qu'il faut arriver à résoudre le problème qui est assez complexe. Car il faut expliciter une volonté divine qui ne s'est manifestée que d'une façon implicite. Pierre fut institué chef de l'Eglise. Voilà le premier fait à mettre en évidence. Il faut ensuite montrer comment cette institution initiale exige avec une nécessité irrécusable l'autorité divine du Pape, égale à celle dont Pierre fut investi. Pour montrer la portée nécessitante des paroles du Christ proclamant Pierre chef et pasteur de l'Eglise, il faut découvrir le sens strictement littéral, pleinement objectif et réel des paroles contenant et la promissio et la commissio du pouvoir pontifical, le Tu es Petrus et le Pasce oves meas.


Afin de montrer ce sens et sa compréhension adéquate, Cajetan avait à répondre aux quatre questions suivantes:

1° Le Christ conférant le pouvoir, s'est‑il adressé à Pierre seul?

2° Le Christ, par cette allocution, a‑t‑il institué Pierre, chef de l'Eglise universelle?

3° Ces paroles du Christ ont‑elles une portée telle, qu'elles concernent non seulement Pierre, mais une suite indéfinie de successeurs?

4° Ces successeurs désignés sont‑ils nécessairement les évêques de Rome?


Nous sommes habitués à cette suite logique de propositions devenues classiques. Au temps où Cajetan écrivait elles ne l'étaient pas, Et s'il n'a pas seul le mérite d'avoir mis en évidence par cette série de questions le sens et la portée des paroles du Christ, citées depuis des siècles pour montrer le bien fondé de la papauté, il a au moins ce mérite d'en avoir montré, dans une argumentation serrée, toute la logique réaliste.


Ces quatre questions posent en fait deux problèmes: le problème de l'autorité conférée à Pierre, et le problème de la succession de Pierre. Le problème de la succession doit être considéré comme une conclusion qui fait suite au premier problème, celui‑ci ayant par le fait même valeur de prémisse. Cajetan essaiera donc d'abord de prouver par les textes de Matthieu et de jean pris isolément l'élévation de Pierre au suprême pontificat. La question de la succession pourra se résoudre d'une façon plus directe et succincte.


PIERRE, CHEF SUPREME DE L'EGLISE.

Le texte de Matthieu: Tu es Petrus (Math., XVI, 13‑19).

En lisant ce texte dans l'Evangile il ne semble pas qu'on puisse douter du fait que le Christ adresse ces paroles à Pierre et à personne d'autre. Et pourtant voilà une première question à résoudre: le Christ en prononçant ces paroles a‑t‑il en l'intention de s'adresser à Pierre seul ?


A Pierre seul ? Cette question même doit être précisée davantage: car on peut se demander quel Pierre est désigné par le Christ. Pierre simpliciter, comme individu, ou Pierre formellement qualifié, doué de telle ou telle qualité et vertu. Dans ce dernier cas, la qualité étant la raison d'être de cette collation du pouvoir, la perte de la qualité, entraîne la destitution du pouvoir. Non desunt, remarque Cajetan, dogmatizantes pontificiam potestatem homini non immediate collatam, sed dono virtutis mediante, ita quod perdito virtutis dono perire simul pontificiam potestatem necesse sit[8].


Notre auteur n'oppose pas une négation simpliste à cette affirmation. Il a soin de remarquer que c'est ressusciter une ancienne hérésie que de vouloir faire dépendre la validité de l'exercice du pouvoir de la sainteté du ministre. Mais il va surtout montrer en quoi ces « dogmitizantes » ont raison et en quoi ils ont tort.


L'examen du texte nous montre que le Christ confère un triple pouvoir ou une triple prérogative à Pierre. Il sera le fondement sur lequel le Christ édifiera son Eglise; il recevra les clefs du royaume des cieux; il pourra lier et délier avec une efficacité telle que le ciel lui‑même ratifiera la sentence que lui, Pierre, prononce sur terre,


Le Christ, il est vrai, ne s'adresse pas à Pierre dans des circonstances toutes ordinaires pour lui conférer ces pouvoirs. Pierre a bénéficié d'une révélation divine, il a été proclamé bienheureux, il a été surnaturellement affermi dans sa foi; et c'est grâce à tout cela qu'il a été rendu solide comme le roc et que le Christ l'a choisi comme chef de son Eglise. Le Christ ne dit pas qu'il édifiera son Eglise sur Pierre: super Te, mais super hanc petram, donc sur Pierre divinement qualifié. D'où nous devons conclure, disent quelques‑uns, que la défaillance de Pierre, et par conséquent la perte de cette qualité entraîne nécessairement la capacité d'être fondement, et donc le droit d'être considéré comme chef: tamquam virtus, dit Cajetan,, glutinum quoddam sit jungens homini pontificatum[9].


Ce raisonnement est en partie vrai, en partie faux. Le texte de Matthieu en d'une richesse si variée qu’il faut en analyser chaque incise.


Le récit évangélique commence par la confession de Pierre, en raison de laquelle le Christ le félicite, pour lui promettre ensuite l'autorité sur son Eglise. Dans sa félicitation, le Christ manifeste Fauteur propre de cette confession de sa divinité: Caro et sanguis ma revelavit tibi. Il récompense Pierre, ou plutôt il le déclare récompensé en raison de sa fidélité. Car Pierre est proclamé bienheureux, et cette béatitude, déclare Cajetan, est selon la notion philosophique de la félicité rien d'autre que la connaissance des plus hauts mystères. Il désigne la personne qui fut le sujet de cette révélation et l'objet de cette récompense: Simon, Barjona. Ce Barjona explique Cajetan, peut s'entendre soit dans le sens littéral, donc comme fils de Jona; ainsi le Christ nomme le père de Simon en opposition avec le Père céleste; soit dans un sens mystique, donc comme fils de la colombe, par laquelle est figurée la simplicité de Pierre, qui l'a rendu capable de recevoir cette révélation[10]. Comme la confession de la divinité de Pierre fut faite par Pierre seul, ainsi la réplique du Christ s'adresse à Pierre seul.


Après cette confession et cette première réponse, vient la promesse: Ego dico tibi. Selon le sens obvie, le Christ s'adresse à Pierre, non rendu heureux par la révélation, non considéré comme fils de la colombe, non considéré comme fils de la révélation, mais à Pierre simpliciter: tibi[11] . Toutefois en conférant la triple prérogative signalée plus haut: être le fondement, recevoir le pouvoir des clefs, lier et délier, le Christ marque une différence essentielle entre le premier pouvoir promis et les deux autres.


Pour le premier pouvoir, le Christ qualifie Pierre, il le suppose rendu ferme, solide, inébranlable. Simon, devenu pierre, roc, servira de fondement sur lequel le Christ lui‑même bâtira son église. Personae qualificatae promissum est fore Christi Ecclesiae fundamentum, remarque Cajetan. Soulignons que le Christ ne dit pas que Pierre bâtira, ni que le Christ bâtira sur Pierre. Le Christ lui‑même construira son église sur Simon rendu indestructible. L'acte d'édifier est posé par le Christ, et le Christ qui garantit la construction, garantit aussi la solidité de celui qu'il a choisi pour être le fondement de son Eglise. Ainsi donc quant à cette prérogative les hérétiques ont remarqué juste que le Christ n'a pas dit: super Te.


Mais ils ont tort d'étendre leur remarque à tous les pouvoirs que Pierre a reçus. Personae nudae promissae sunt claves regni coelorum. Si le Christ dit: Super hanc petram aedificabo Ecclesiam meam, il dit: Tibi dabo claves; quodcumque solveris. Soyons logiques. Nos adversaires concèdent que si le Christ avait dit: Super Te, il ne saurait être question d'une personne qualifiée; et nous leur concédons que, puisqu'il dit: super hanc petram, il s'agit d'une personne qualifiée. Mais il faut qu'on nous concède de même que, puisque le Christ, passant de la prérogative d'être fondement, à cette autre: de posséder les clefs du royaume, s'adresse à Pierre, en lui disant: Tibi dabo, que Pierre comme individu, simpliciter, est désigné par ces paroles. On comprend du reste fort bien que la fonction de fondement exige la promesse d'infaillibilité inhérente à cette fonction, inhérente aussi à la personne qui exerce cette fonction. Si le fondement cède, tout l'édifice est menacé. Mais l'officium clavium n'a pas la même importance. Si celui qui détient les clefs du royaume se trompe dans l'une ou l'autre circonstance, l'Eglise n'en est nullement menacée dans son existence même. Non plus si par sa conduite individuelle il se ferme àlui‑même le royaume des cieux[12].


Cajetan ne marque pas plus concrètement la distinction qu'il établit entre: être fondement et tenir les clefs du royaume. Il signifie que le pontificat dont nous défendons l'origine divine et qui est exercice actif d'autorité est con tenu dans cette double prérogative du pouvoir des clefs et du pouvoir de lier et de délier. Comme ces pouvoirs sont concédés à Pierre simpiliciter, il s'ensuit que l'autorité ecclésiastique fut conférée à Pierre simpliciter. Et donc les hérétiques ont tort de vouloir attribuer le pouvoir ecclésiastique à une personne qualifiée. C'est à Pierre, fils de Jona, et non à Simon devenu roc, que l'autorité ecclésiastique fut donnée par le Christ.


Nous avons dit plus haut que la question: « Le Christ en prononçant le Tu es Petrus s'adresse‑t‑il à Pierre seul », avait besoin d'être précisée. Une première précision porte sur « Pierre », dont nous reconnaissons le droit personnel et individuel au pouvoir ecclésiastique.


Une seconde précision est nécessaire. Pierre n'est‑il pas le représentant de l'Eglise, comme un symbole de l'Eglise? le pouvoir ne fut il pas donné par le Christ à l'Eglise, représentée, symbolisée par Pierre? Ainsi ce n'est pas Pierre mais l'Eglise qui détient le pouvoir[13].


Si Pierre est ici un symbole, répond Cajetan, alors toute la narration évangélique où est racontée la promesse de l'autorité doit être considérée comme une simple parabole semblable à la parabole de Lazare et de l'enfant prodigue. Mais dès lors ne faut‑il pas considérer tout le récit évangélique comme une parabole? Quelle valeur historique attacher au récit des résurrections opérées par le Christ, au récit de la résurrection du Christ lui-­même? Ces récits ne sont rien autre que la figure d'une triple résurrection spirituelle, et la résurrection du Christ le symbole de notre renouvellement spirituel? Tout l'Ancien et le Nouveau Testament cessent d'avoir une valeur réaliste et doivent être interprétés dans un sens mystique. Nous ne nions pas, dit Cajetan, qu'un récit historique puisse avoir en surplus un sens figuratif. Ainsi la narration du séjour du Christ chez Lazare où Marthe sert la table, tandis que Marie écoute aux pieds de jésus. On peut interpréter ce fait comme une figure des deux vies: la vie active et la vie contemplative. Mais cette interprétation ne détruit nullement l'historicité du fait. Elle la suppose. Du reste cette interprétation se fait post factum. L'évangéliste a l'intention de raconter le fait. Rien de plus.


De même dans le cas de Pierre. Si quelqu'un veut voir en Pierre une figure de l'Eglise, libre à lui. Mais cette explication symbolique purement subjective ne peut détruire ou faire nier l'objectivité du fait: que Pierre a confessé la divinité du Christ, et que le Christ a chargé Pierre de la fonction d'autorité dans l’Eglise. Admettons donc que l’Eglise a reçu le pouvoir des clefs quand Pierre l'a reçu; mais admettons de même que l'Eglise n'a reçu ce pouvoir qu'en la personne de Pierre.


Du reste ces deux propositions: Seul Pierre a reçu le pouvoir des clefs, et l'Eglise a reçu ce même pouvoir, ne s'excluent nullement[14]. Elles se concilient au contraire parfaitement. Car il est faux d'affirmer que si Pierre seul a été 'qualifié de ces prérogatives, l'Eglise en est frustrée, comme il est faux de prétendre que si le pouvoir a été donné à l'Eglise, Pierre seul ne peut pas prétendre à ces pouvoirs. L'Eglise se réfère nécessairement à Pierre, soit que l'Eglise fut représentée par Pierre, soit qu'elle fut commencée en la personne de Pierre.


Quand une chose signifie ou représente une autre, on ne peut pas dire que cette autre dépend de la première réellement; elle en dépend comme une chose signifiée. Or supposons l'Eglise représentée, signifiée par Pierre, et le Christ donnant en Pierre à l'Eglise le pouvoir des clefs.

Pierre seul reçoit le pouvoir des clefs. Car comment le­ Christ peut‑il donner le pouvoir à l'Eglise à travers Pierre, signifiée par Pierre, s' il ne le donne à Pierre seul? Mais ce n'est pas là l'expli­cation littérale et obvie du texte[15].


Il est clair, en effet, que Pierre reçoit le pouvoir non pas comme représentant, mais comme chef, comme principe initial, comme pasteur. De même que le corps a comme principe la tête, et commence dans un certain sens dans l'a tête, ainsi l'Eglise commence en Pierre; de là qu'elle dépend de lui réellement; de là aussi que le pouvoir reçu par l'Eglise en lui, dépend de Pierre, supposant en même temps que lui seul l'a reçu. Si donc l'Eglise a un pouvoir, elle ne l'a que parce que Pierre l'a reçu, elle ne l'a que dépendamment de lui. Du fait donc que nous disons: « Pierre a reçu le pouvoir », nous n'excluons pas l'Eglise. Et du fait que nous disons: « l'Eglise l'a reçu », nous n'excluons pas que Pierre seul l'a reçu. L'Eglise le possède en Pierre, et Pierre le possède pour l'Eglise.


Voilà un premier problème résolu. Le pouvoir proprement dit dans l'Eglise n'appartient pas à Pierre en raison de ses qualités, mais simpliciter. Ce pouvoir est donné à Pierre, non à l'Eglise.


Mais voici un autre problème. N'insistons plus sur Pierre, mais, sur Pierre seul. Est‑il bien vrai que Pierre seul, et non les autres, apôtres tout autant que lui, a été constitué en pouvoir par le Christ?[16]


Quand Pierre confesse que le Christ est le Messie, il répond à une question non pas posée à lui personnellement mais au groupe des, apôtres: Vos autem quem ille esse dicitis ? Pierre répond donc au nom de tous. Et il est donc logique de conclure que les félicitations du Christ ainsi que la promesse du pouvoir ne s'adressent pas à Pierre seul, mais à Pierre et aux autres, au nom desquels il a parlé.


Quel notaire, dit Cajetan, pourrait désigner plus clairement un héritier ou légataire que le Christ le fait en s'adressant à Pierre pour lui promettre le pouvoir? Le Christ nomme, loue, désigne Pierre. Il le montre pour ainsi dire du doigt. Si toutes ces indications ne suffisent pas, on ne sait ce qu'il faudrait dire de plus explicite pour distinguer Pierre des autres apôtres et pour s'adresser à lui nommément, personnellement, individuellement.[17]


Il est vrai que Pierre a répondu à une question posée par le Christ à tous. De là on ne peut conclure que Pierre a parlé au nom de tous. On parle au nom de tous quand on est chef de groupe. A ce moment Pierre n'était pas encore constitué pasteur. On parle encore au nom de tous quand les autres vous chargent de répondre en leur nom. Or le Christ a déclaré que ni la chair ni le sang n'ont suggéré à Pierre la confession qu'il a faite. Ce n'est donc nullement après suggestion de la part des autres, que Pierre a parlé. On peut tout au plus dire que Pierre a parlé au nom de tous en tant que les autres ont ratifié la réponse de Pierre post factum. Mais il est évident qu'on ne peut conclure de cette approbation que le Christ s'est adressé à tous quand il a institué Pierre chef de l'Eglise.


On ne peut néanmoins nier, répliquent les adversaires, que si le Christ dans ce texte de Matthieu n'a en vue que Pierre seul, il s'est adressé dans une autre circonstance à tous les apôtres pour leur donner un pouvoir égal à celui dont Pierre seul avait d'abord été l'objet. Le texte de Matth., XVIII, 18 s'oppose à la concession exclusive du pouvoir à Pierre.[18]


Examinons les deux textes: Matth., XVI, 19 et Matth., XVIII, 18. A quel apôtre, en dehors de Pierre, fut‑il dit par le Christ: Tibi dabo claves regni coelorum? Ce qu'il a promis d'abord à Pierre, puis aux autres apôtres, c'est le pouvoir de lier et de délier: Quodcumque ligaveris. Le pouvoir des clefs et le pouvoir de lier sont deux pouvoirs distincts. Le premier est supérieur au second. Il est un pouvoir complet, le pouvoir sans restriction. Le second est un pouvoir partiel, restreint à certains actes judiciaires in foro interno et externo, qui sont compris sous le pouvoir des clefs sans épuiser par là ce pouvoir. Pierre seul admet au royaume ou exclut du royaume. Les autres comme lui, et lui comme les autres peuvent porter certaines sentences que le ciel ratifie. Mais qui peut prétendre que gouvernement se restreint à porter certaines sentences? Gouverner c'est conduire au but. Porter certaines sentences c'est déterminer la valeur de certains actes. L'officium clavium englobe tout le pouvoir du gouvernement. L'officium ligandi se limite à des sentences judiciaires.[19]


Si on m’objecte, dit Cajetan, que je parle ici d'une distinction de pouvoir que le Christ n'a pas connue, que cette distinction entre pouvoir intégral et pouvoir partiel ne se trouve pas dans l'Evangile, je réponds que nulle part non plus, le Christ parle de pouvoir de juridiction ou de pouvoir d'ordre. C'est nous qui traduisons le quodcumque solveris par pouvoir de juridiction, et le quorum remiseritis par pouvoir d'ordre. Pourquoi ne pourrions nous pas traduire le Tibi dabo claves par pouvoir des clefs, et considérer ce dernier comme supérieur et plus universel que le pouvoir de juridiction et d'ordre, puisqu'il est évident qu'admettre ou exclure sans aucune restriction, ouvrir et fermer sans aucune détermination est plus parfait que prononcer certaines sentences. Il est vrai que celui qui délie quelqu'un, lui ouvre le royaume, mais il n'est pas nécessaire pour ouvrir à quelqu'un le royaume qu'on le délie d'abord. Parce qu'il se peut qu'il n'est lié par rien, empêché par aucun obstacle d'entrer dans le royaume. De même lier quelqu'un, c'est lui fermer le royaume, mais il ne suit pas que quand on ferme, on lie. Ainsi ouvrir et fermer ont un sens plus large que lier et délier; ils désignent par conséquent un pouvoir plus large, plus compréhensif, supérieur. Et ce pouvoir est donné à Pierre seul, à l'exclusion de tout autre apôtre.


Ainsi Pierre, et Pierre seul est choisi par le Christ pour être le fondement sur lequel il bâtira son Eglise. Pierre et Pierre seul reçoit les clefs du royaume. Nous pouvons en conclure qu'à Pierre, et à Pierre seul est promis le suprême Pontificat: suprême, parce que l'Eglise entière est soumise à la juridiction de Pierre, suprême parce que cette juridiction est une plénitude de pouvoir.


L'Eglise entière est soumise à Pierre[20]. Ie Christ en promettant de bâtir son Eglise sur Pierre ne fait aucune restriction. Il ne parle pas d'églises, au pluriel, mais d'une seule. Il ne parle pas d'une église quelconque, qui serait la sienne, mais de toute l'église, donc d'une société universelle. Il ne parle pas de toutes les églises qui seraient siennes, comme si plusieurs églises séparées pouvaient prétendre être l'Eglise du Christ. Cette multiplicité et cette distinction d'églises supposeraient de la part du Christ un signe autorisant cette distinction. Ce signe manque. Le Christ confiant son église à Pierre exclut toute division, toute multiplication. Car pas d'Eglise du Christ en dehors de celle construite sur Pierre.


Cette juridiction de Pierre sur l'église universelle est elle‑même une juridiction universelle[21]. Car comme nous l'avons déjà remarqué le pouvoir des clefs indique une autorité absolue. Cette autorité comporte un quadruple pouvoir. D'abord le pouvoir judiciaire, in foro interno et externo; le pouvoir d'ouvrir ou de fermer le royaume en prononçant des sentences de pardon ou de condamnation Ensuite, le pouvoir de gouverner l'Eglise. Gouverner c'est conduire vers la fin. La fin est pour l'Eglise le royaume des cieux. Tout acte de « provision », de gouvernement, d'institution, toute disposition a pour but de conduire au royaume des cieux, au royaume de Dieu. Tous ces actes tombent par conséquent sous l'autorité de celui qui détient les clefs du royaume. Ainsi donc le gouvernement universel, sans aucune restriction est confié à Pierre. En troisième lieu, le pouvoir sur le. purgatoire. Cajetan avait de bonnes raisons pour nommer d'une façon explicite ce pouvoir contesté par Luther dans la question des indulgences. Cajetan concède que le Christ n'a pas donné pouvoir sur le purgatoire d'une façon explicite. Mais ayant donné le pouvoir des clefs sans restriction, il a soumis à ce pouvoir tous ceux qui ne, sont pas encore arrivés au royaume. Ie pouvoir de juridiction, dit Cajetan, est restreint àcette terre, puisque le Christ dit: Quodcumque ligaveris super terram. Par contre le pouvoir des clefs ne connaîtpas cette limitation puisqu'il ne s'arrête que devant la porte, non de l'éternité, mais du ciel. Ainsi ce pouvoir sur le purgatoire est promis à Pierre seul, et à aucun apôtre. En quatrième lieu, le pouvoir de, commandement s'étendant non seulement aux choses de l'Eglise mais à tout ce qui peut conduire au royaume ou en détourner. Cajetan, ne nomme pas ce pouvoir du terme malheureux, cause de tant de confusion: le pouvoir indirect. Il remarque simplement qu'il est logique que le pouvoir duquel ressort la direction des hommes vers la fin ultime, englobe tout ce qui peut conduire vers cette fin ou en détourner. En effet, tout partisan, tout recteur, tout chef, tout prince qui a la responsabilité d'une fin supérieure, commande à tous ceux qui peuvent promouvoir ou empêcher l'obtention de cette fin. De même tout acte, toute autorité, pour autant qu'ils ont un rapport avec la fin dernière sont soumis à l'autorité spirituelle supérieure. Ainsi Pierre peut commander aux royaumes et aux princes.


Voilà le suprême pontificat promis à Pierre par les paroles: Tu es Petrus.


Le Texte de Jean: Pasce oves meas (XXI, 15‑17).

Après la promissio la commissio. Cajetan se contente d'une brève exégèse du texte de jean, où nous retrouvons les mêmes indices du pontificat conféré à Pierre et à Pierre Seul[22]. Ici aussi il est clair que Pierre seul est constitué pasteur et pasteur de l'Eglise universelle puisque non telles ou telles brebis, non des brebis désignées d'une façon vague mais toutes les brebis du Christ sont soumises à sa juridiction. Inutile d'insister.


Une seule difficulté se présente ici. Pierre constitué chef et pasteur, n'est‑ce pas Pierre formellement qualifié comme aimant le Christ ? Le Christ a exigé de Pierre une protestation d'amour avant de lui confier son troupeau. C'est donc à Pierre ayant la charité, et ‑non à Pierre tout court, qu'est confiée la charge du suprême pontificat.


Distinguons quatre choses, dit Cajetan: la personne, la qualité, J'exercice du pouvoir, et la rectitude de l'exercice de ce pouvoir. Les hérétiques confondent l'exercice et l'exercice correct du pouvoir. Selon eux un ministre pervers ne peut exercer le pouvoir parce qu'il n'est pas en état de grâce, comme si faire et bien faire s'identifiaient.


Le bon sens catholique tout en concédant qu'il faut constituer chef ,celui que sa vertu désigne et dispose à l'exercice de l'autorité, admet pourtant qu'en perdant la vertu, on ne perd pas l'autorité. Le pouvoir n'est pas donné à une personne en tant que vertueuse, mais à une personne vertueuse. On serait exposé au pire subjectivisme, à une hésitation de tout instant si, du fait qu'un ministre pèche, il déchoit ,de son pouvoir. Qui peut porter ce jugement? Et que de cas où le péché du ministre reste occulte.


Aussi le Christ tout en exigeant de Pierre cette confession d'amour, ,ne lui donne pas Ie pouvoir en tant qu'il l'aime, ou parce qu'il l'aime, Il dit simplement: Pasce oves meas. Par là Pierre est revêtu du pouvoir suprême dans l'Eglise.


II. LE PAPE DE ROME, SUCCESSEUR DE PIERRE.

La question de la succession doit être considérée comme une conclusion qui découle nécessairement de la première question résolue plus haut, celle notamment de l'institution de Pierre comme chef suprême de l'Eglise. Car il est manifeste que si Pierre a été institué chef de l'Eglise, il faut qu'il ait des successeurs. Le pasteur n'est‑il pas chef ordinaire du troupeau ? Ne doit‑il pas garder le troupeau, ‑aussi longtemps que le troupeau existe ? Non seulement Pierre fut ,constitué pontife suprême de l'Eglise, mais le suprême pontificat fut institué en Pierre, et doit durer même après la disparition de ce premier chef.


Cajetan se rend compte qu'ici une exégèse littérale ne suffit plus pour prouver sa théorie. Il en appelle à l'interprétation universelle et concordante de l'Eglise qui a toujours appliqué les textes de Matthieu et de jean aux successeurs de Pierre. C'est la tradition interprétant l'Ecriture qui est ici invoquée[23].


Cette même tradition aidera à résoudre cet autre problème, celui non pas de la succession, mais du successeur. De quel droit le successeur de Pierre est‑il l'évêque de Rome? Peut‑on se faire valoir comme chef de l'Eglise, du fait qu'on a succédé à Pierre sur le siège épiscopal de Rome?


Tous les apôtres étaient évêques. Quelques‑uns ont choisi un siège fixe, tel que l'apôtre Jacques, qui fut évêque de Jérusalem. A‑t‑on jamais entendu dire que l'évêque de Jérusalem succéda à la dignité d'apôtre parce qu'il succéda en la dignité d'évêque? Pourquoi donc l'évêque de Rome, successeur comme évêque de Rome, successeur comme évêque, serait‑il le successeur comme chef, simplement parce qu'il est successeur comme évêque?


Remarquons, dit Cajetan, la différence entre l'apostolat et l'épiscopat. L'apostolat est une légation. Une légation est une fonction transitoire, qui cesse avec la personne du légat. L'épiscopat au contraire, ou l'office de pasteur est un office permanent, supposant des successeurs. On ne succède pas comme apôtre, on succède uniquement comme évêque.


Pierre n'a pas de successeurs comme apôtre, au moins pour autant que son apostolat est identique à celui des autres apôtres. Car pour lui, une fonction spéciale de son apostolat était de gouverner l'Eglise comme chef, En tant que tel Pierre doit avoir des successeurs. Aussi son siège, le siège de Rome, à l'exclusion de tout autre, est nommé siège apostolique, et lion seulement siège épiscopal, parce que sur le, siège de Rome est assis un évêque qui continue une fonction apostolique, la fonction de pasteur universel[24].


Mais de quel droit l'évêque de Rome est‑il le successeur de Pierre? De droit divin?


De droit divin il faut un successeur. Car la succession est une institution évangélique, une volonté explicite du Christ. Mais que le Pape de Rome soit successeur n'est pas déterminé par le droit divin. Ce n'est nullement une institution évangélique. C'est plutôt un droit acquis du fait que Pierre s'est attaché le siège de Rome. Le Christ n'a confié à Pierre aucune église particulière. Si Pierre n'avait fixé nulle part son siège, on aurait dû après sa mort pourvoir librement à son successeur. Ou encore s'il était resté évêque d'Antioche, l'évêque d'Antioche aurait pu être son successeur légitime. Mais puisqu'il s'est fixé à Rome, cette église lui fut appropriée, et ses successeurs sur ce siège sont héritiers de son pontificat suprême. Du reste cette appropriation fut confirmée par le Christ lui même qui vint à la rencontre de Pierre, lorsqu'il voulu fuir et lui dit: Venio Romam iterum crucifigi![25]. Le droit de succession est par conséquent un droit divin. Ie droit du successeur est un droit historique.


Mais, fait remarquer Cajetan, un droit historique ne nous est pas connu par voie historique seulement[26]. Nous croyons en effet que le Souverain Pontife de Rome est chef de l'Eglise universelle. Or ce que nous croyons ne dépend pas d'une preuve historique, mais d'une révélation divine. Puisque l'Eglise le croit, raisonne Cajetan, c'est qu'il y a une révélation faite à l'Eglise universelle, à ses docteurs sans nombre, aux sacrés conciles. Il faut que notre foi s'origine à la révélation. Cette foi constante des chrétiens d'autrefois et de maintenant confessant que le siège romain est, fut, sera siège apostolique doit nécessairement avoir pour base la révélation même. Tout apôtre avait dans un certain sens le droit de gouverner toute l'Eglise, en tant qu'il pouvait de sa propre autorité instituer partout évêques, églises, etc. Seul le siège de Rome a gardé le privilège d'être nommé siège apostolique. Cette confession de foi à laquelle l'Eglise universelle s'attache doit avoir comme raison ultime une institution ‑divine. Par conséquent l'autorité apostolique du siège de Rome doit être considérée comme institution divine; c'est en vertu d'un droit divin que le Pontife romain est pontife suprême de l'Eglise.


Ainsi donc le droit de succession est un droit divin; il faut un. successeur, Le droit de successeur, c. à. d. le droit à la succession ‑est un droit historique: l'évêque de Rome est, en droit, successeur. Mais ce droit historique devient un droit divin parce que l'Eglise universelle croit non seulement que Pierre doit avoir des successeurs, mais que l'évêque de Rome est ce successeur. Le droit de l'évêque de Rome à la succession est un droit divin par conséquence. L'origine doit être cherchée dans un fait historique. Mais puisque nous croyons à l'apostolicité du siège de Rome, nous devons croire que Dieu a voulu ce fait historique, et par conséquent que le droit du Pontife romain à la suprématie dans l'Eglise est un droit divin. Nous croyons en fait à une disposition providentielle, d'où nous déduisons un droit divin[27].


Le Pape jouit par conséquent de tous les pouvoirs et de toutes les prérogatives transmis par le Christ à Pierre. Et Cajetan qui ne perd aucune occasion pour souligner l'infaillibilité personnelle du Pape, profite encore de celle‑ci pour inculquer sa persuasion. Le Pape, déclare‑t‑il, ne peut errer sententialiter definiendo de fide christiana[28]. Car par cette définition, ajoute‑t‑il, se construit la foi de l'Eglise universelle, et par elle le Christ édifie son Eglise sur cette pierre. Or il est impossible que toute l'Eglise soit dans l'erreur admettant comme révélé, ce qui de fait ne l'est pas. La définition du Pape ne tend qu'à déclarer que telle ou telle vérité appartient à la révélation, que telle ou telle proposition est suffisamment explicitée pour être crue explicitement. Si tous la croient sur son affirmation, et si cette affirmation peut être fausse ou erronée, alors lui qui est institué pour être le fondement, devient cause de la ruine.


Telles sont les idées de Cajetan sur le pouvoir pontifical. Nous avons pensé qu'en cette année du centenaire, il ne manquait pas d'intérêt de les rappeler.


Louvain.
J. D. M. MAES, O. P.




  1. Nous suivons la chronologie établie par Congar la Bio‑Biblïographie de Cajetan, dans Rev. Thom., t. XVII, ne spéc. 86‑87, févr. 1935, P. 3‑49.
  2. La question de l'unité de l'Eglise selon Cajetan futl'objet d'un article de Journet l'âme créée de l'Eglise selon Cajetan, dans Rev. Thom., loc cit., p 266‑274 la question de la supériorité du Pape sur le Concile, fut traitée par Pollet La doctrine de Cajetan sur l’Eglise, dans Angelicum, t. XI, p 514‑532 t. XII. 1931 P. 223‑244
  3. Cajetanus De divina institutione Pontificatus totius Ecclesiae in persona Petri Apostoli édit. Lauchert dans Corpus Catholicorum, vol. X, Münster i.W., 1925 Nous citerons toujours d'après cette édition.
  4. « Die Schrift hat nicht die Form eines Streitschrift... sondern die eines streng logisch fortschreitenden scholastischen Traktates. » LAUCHERT, loc. cit., P. XIII
  5. De div. inst. c. XIV in fine, édit. LAUCHERT, p. 99: « Ineruditus quippe valde et indocilis est, quisquis certitudinetn mathematicam in omnibus querit, ut Philosophi tradunt »
  6. Ibid., p. 100 « Hec enim omnia nulla alia via aut auctoritate sunt christianis reddita certa et indubia fide tenenda, nisi interpretatione sacre Scripture, juxta sanctorum documenta et sacrorum conciliorum authoritate apostolica firmatorum diffinitione. »Au ch. II Cajetan avait dit, ibid., p. 5: « Ne haeretici causentur se opprimi auctoritate prelatorum et non evangelii, ex ipso evangelii textu catholicae doctrinae reddenda est ratio. ». Cette méthode d'argumentation directe ne peut être soutenue jusqu'au bout. Il faut en venir à l'argument d'autorité, c. à. d. à l'argument patristique. Et Cajetan au dernier chapitre de son ouvrage pour prouver l'autorité du Pape dira: c Reliquum est ut illis quoque fiat satis, qui nesciunt a priscis Ecclesie patribus in Asia, Aphrica et Europa veneratum esse Romanum Pontificern ut totius Ecclesiae pastorem, non humana sed divina ratione... Afferendas propterea censui Grecorum ac latinorum antiquorum Ecclesie patrum ac doctorum sententias, non omnes nec omnium, sed tot ut sufficiant ad claram noititiam. » Cf. De div. instit., c. XIV, édit. LAUCHERT, p. 88‑89. Il est bon de remarquer cet attachement de Cajetan à la tradition, pour le disculper de la fameuse accusation portée contre lui par Melchior Cano, De locis theologicis, 1. VII, c. III. Cajetan, dans la préface de son Comm. sur les livres de Moise, avait écrit: « Et si quando occurrerit novus sensus textui consonus, nec a sac‑ra Scriptura, nec ah Ecclesiae doctrina dissonus. quamvis a torrente doctorum sacrorum alienus, aequos se praebeant censores. » Sur quoi il est pris à partie par Melchior Cano défendant l'autorité du consentement des Pères. Cajetan ne s'attaque nullement à ce consentement puisqu'il admet que le sens nouveau n'est pas contraire à la doctrine de l'Eglise; il est contraire au sentiment d'un « torrent de docteurs » qui ici n'expriment pas la doctrine de L'Eglise, soit qu'il s'agisse d'une question libre, soit qu'il s'agisse d'une détermination plus explicite d'un texte. En matière de foi, le consentement des docteurs est un critère pour Cajetan, comme pour Melchior Cano. Cf. Vosté, Cardinalis Cajetanus Sacrae Scripturae Interpres, dans Angelicum, 1934, t. XI, P. 478‑482.
  7. De div. inst., c. 1, édit. Lauchert p. l L'éditeur cite les différents passages des œuvres de Luther, où celui‑ci soutient la doctrine combattue par Cajetan. Luther admet le fait de l'autorité du Pape, il admet que le Pape détient son autorité de Dieu. comme tout homme constitué en pouvoir. Mais il nie la prérogative d'une autorité divine irrévocable et extraordinaire, provenant d'une institution directement voulue par Dieu. C'est cette institution que Cajetan prouvera. ‑ Toute notre étude n'est qu'un exposé doctrinal. L'étude des sources de l'oeuvre de Cajetan a été faite par Lauchert.
  8. De div. inst., c. Il, édit. Lauchert P. 3.
  9. Ibid.
  10. Ibid., p. 8. Nous n'insistons pas sur l'interprétation que Cajetan donne de la confession de Pierre, elle revient à une confession de la Trinité; ni sur l'accord que Cajetan cherche à trouver entre les différentes explications que les Pères ont données de ces textes. Nous nous en tenons à l'analyse de l'idée principale.
  11. Ibid.: « Dominus... sermonem ad Symonem Petrum sub pronomine direxit, inchoans, Et Ego dico tibi... Duplex autem advertenda est inter has promissiones differentia: prima est quod esse fundamentum Ecclesiae non promittitur persone Petri absolute, sed quatenus est Petrus seu petra; claves autem regni coelorum promittuntur persone Petri absolute... Altera dif f erentia est quod in prima promissione Petro promittitur Ecclesiam sustinendi officium non se Petro sied Christo adore... In promissione vero clavium aperiendi officium et claudendi non sibi reservavit Dominus, sed se daturum clavem promisit. » Voir Lauchert p. 12‑13.
  12. De div. inst., c.II, édit LAUCHERT, P. 15: « Non est propterea mimun si aliter promissum est fundamenti officium et aliter officium clavium; illud mediante firmitate fidei, istud homini absolute. Consentanea est autem hujusmodi differentia a Christo instituta humane etiam rationi; nain usus clavium, sive rectus sive abusus fuerit, non in universalem redundat Ecclesiam, officium autem. sustinendi fidem si aberraret, Ecclesia universalis rueret, de qua tamen Dominus dicit: Et portae inferi non praevalebunt adversus eam.»
  13. De div. inst. c 111, édit. Lauchert p. 16.
  14. De div. inst., c. VI, édit. Lauchert p. 44
  15. « Unde Ecclesia dupliciter accepit claves in Petro: narn et accepit eas ut significata in Petro, et accepit eas ut inchoata in Petro. » Voir De div. inst., c. VI, édit. LAUCHERT, P. 45.
  16. De div. inst., c. IV, édit. LAUCHERT, p. 25.
  17. « Non pluribus nec majoribus circurnstantiis describuntur et nominantur a notariis persone heredes aut legatarie, quarn persona Petri in hoc textu descripta ac nominata est. » Voir De div. inst., c. IV, édit. LAUCHERT, p. 27..
  18. De div. inst., c. V, édit Lauchert P. 31.
  19. « Solvere et ligare actus sunt judiciales... aperire et claudere actus sunt superiores comprehendentes sub se et actus judiciales et actus non judiciales: utrisque enim clauditur et aperitur regnum coelorum... quo circa promittendo claves, promittitur totum: promittendo autem actus solvendi et ligandi; non promittitur totum sed promittuntur actus partiales. » Voir De div. inst., c. V. édit. LAUCHERT, P. 33‑34.
  20. De div. inst., c. VIT, édit. LAUCHERT, P. 48.
  21. Ibid., P. 51.
  22. De div. inst., c. VIII‑XI, édit. Lauchert, p. 54‑66.
  23. « Certo autem certius est ilium esse verum scripture sensum, quem concorditer tradentibus sanctis universalis synodi diffinitione accedente habemus. Fatemur igitur absque omni hesitatione quemlibet Petri successorem institutum in beato Petro esse pastorem totius Ecclesie. " Voir De Div. inst., C. XII, édit. LAUCHERT, P. 71. Cajetan fait ici allusion au Concile de Constance (1414‑1418) OÙ furent condamnées les propositions suivantes. « Ecclesia romana est synagoga satanae, nec papa est proximus et immediatus vicarius Christi et apostolorum. Non est de necessitate salutis credere, romanam ecclesiam esse suppremam inter alias ecclesias. " Cf. Denz. N° 617 et 621. Voir De div. inst., c. XIV, édit. LAUCHERT, p. e, Cajetan se réfère explicitement à ces condamnations
  24. De div. inst., c. XIII, édit. Lauchert p. 81.
  25. « Distinguendum est de ratione succedendi et ratione succedentis : nam ratio succedendi est non evangelica institutio sed subsequutum factum Petri quo Ecclesia romana appropriais est Petro appropriatione firmata Aliud est succedere Petro, et aliud est succedere Petro hunc scilicet romanum pontificent Ratio enim quod Petrus habet successorem, institutio est evangelica; ratio vero quod Petro succedit hic, hoc est, Romanus Pontifex, non est evangelica institutio. » Voir De Div. inst., c. XIII, édit. Lauchert P. 78.
  26. « Scitur autem hoc divina revelatione facta tum universali ecclesie tum sanctis doctoribus innumeris, tum sacris conciliis. Nullus siquidem christianus. dubitare permittitur ex divina prodire revelatione quicquid ad fidei christiane, rationem spectans (de quorum numero hoc constat per Decretalem unam sanctam, esse) contestatum invenitur a prefatis... Necesse est ut qui apostolicam confitentur sedem, a Jesu Christo immediate illius esse authoritatem fateantur, divinoque proinde jure institutam illam. esse profiteantur. Et hinc habes quod doctores confitentes Romani Pontificis sedem apostolicam aut apostolatum aut auctoritatem apostolicam, fatentur Romanum Pontificern esse totius Ecclesie rectorem. » Voir De Div. inst., c. XIII, édit. Lauchert P. 80‑81.
  27. Cajetan écrit d'une façon plus succincte dans l'apologie de la De Co Comparatiowe auctoritatis Papae et Concilii, 11, 22: « Ex eo enim quod Christus Dominus romanum ecclesiam. elegit in Petri ecclesiam. propriam dum ipsi ne ex Roma sicut ex Antiocha papatum transferret inhibuit (dicens: Venio Romam. iterum crucifigi) ecclesiae romanae potestatem electivam papae non positive, sed negative, hoc est oppositum non ordinando, concessisse videtur. »
  28. De div. inst., c. XIII, édit. LAUCHERT, p. 83. Cajetan continue, ibid., p. 83: « Quoniam in huiusmodi diffinitione construitur fides universalis >ecclesiae et per eam aedificatur ecclesia Christi ab ipso Christo super petram ,sedis apostolice. Impossibile autem esse constat universalem. ecclesiarn errare in fi‑de. » Cf. ibid.‑, p. 85: « Non enim alicui propterea de novo subjicitur sed quod implicite credebat, tenetur explicite credere, ex hoc quod fides suf f icienter explicata est, quoad haec quae prius explicata non erant fidei veritati subesse. » Cette question de l'infaillibilité personnelle du pape, fut traitée par Cajetan en divers endroits de ses oeuvres: II‑II, q. 1, a. 10 De Comparatione auctoritatis Papae et Concilii, c. IX, XI; Responsio super quinque Martini Lutheri rticulos, resp. 1, art. 5.
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