Pie XII, docteur du mariage et défenseur de la morale conjugale

De Salve Regina

Questions de morale sur le mariage
Auteur : fr. Benoît Lavaud, O. P.
Source : Revue Thomiste T. LII. N°1 p 119 - 141.
Date de publication originale : 1952

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen


Le récent discours du Saint-Père au Congrès de l’Union catho­lique des sages-femmes d’Italie[1] contient de trop précieux enseigne­ments sur les fins du mariage et leur hiérarchie, sur la morale conjugale, pour n’être pas, sinon intégralement reproduit, du moins signalé, analysé, et par endroits commenté, dans une Revue qui a d’abord présenté en leur temps, avec toute la bienveillance possible, divers essais nouveaux, puis les a discutés, défendant et expliquant sur les points contestés la doctrine traditionnelle de l’Église telle que saint Thomas l’exposait.

Pie XII parle avec tant de force et de clarté de tant et de si capitales questions, que ce simple discours semble bien être, sur le sujet, l’acte le plus important du Saint-Siège depuis la mémorable et toujours actuelle encyclique Casti Connubii, publiée par Pie XI, il y a. plus de vingt ans (31 déc. 1930).

Il faut rapprocher de ce discours aux sages-femmes l’allocution prononcée, voici deux ans, par le Saint-Père devant les médecins réunis en congrès international, au sujet notamment de la féconda­tion artificielle[2].

Ainsi le Pape n’estime pas qu’il soit au-dessous de sa dignité de donner lui-même des leçons de déontologie médicale et obsté­tricale. Cela s’explique : il n’est pas de professions touchant d’aussi près l’être humain, ni qui rencontrent dans leur exercice autant de problèmes moraux urgents et graves. Parler à des médecins, à des sages-femmes, est donc une excellente occasion pour le Père commun des fidèles, pour l’Évêque de l’Église catho­lique, de s’adresser en même temps à tout le monde, d’énoncer des vérités nécessaires à tous, qu’on peut aisément isoler de tout contexte particulier, pour les considérer dans leur teneur et leur valeur universelles. Moins solennel qu’une encyclique, d’un style plus simple, le discours aux sages-femmes a attiré l’attention du public davantage peut-être qu’un document adressé à la hiérarchie et par elle à toute l’Église.

En France; la presse, même mondaine, les journaux de grande [120] information, les hebdomadaires, généralement occupés de moins graves questions, l’ont résumé ou en ont publié de larges extraits. Preuve et signe du prestige personnel de Pie XII, encore accru durant l’année sainte, ou intérêt objectif des questions ? L’un et l’autre, sans doute. Il fallait bien s’attendre à ce que certaines déclarations du Saint-Père fussent mal comprises, faussées, que des publicistes non catholiques ou hostiles à l’Église romaine s’inscrivissent en faux. En Angleterre notamment, l’acte du Pape a provoqué une véritable tempête de protestations de la part de gens qui l’ont mal lu. Et le Souverain Pontife a dû protester à son tour contre la déformation de sa pensée[3].

Dès l’introduction, le Pape souligne la beauté de l’ordre établi par Dieu dans la transmission de la vie humaine et énonce le principe : Quand l’homme a déclenché les processus de la vie, il doit en respecter le développement. C’est à faire respecter cette grande loi par les époux que doivent travailler les sages-femmes. Il est donc indispensable qu’elles en connaissent exactement les exigences. Faute de quoi, elles seraient inaptes à la mission divine incluse en leur humaine profession.

Le corps du discours distingue quatre aspects de l’apostolat des sages-femmes :

1° Apostolat de la valeur personnelle. – 2° Faire respecter la vie. – 3° Aider à remplir les devoirs de la maternité. – 4° Inculquer les fins du mariage et les exigences de la dignité des époux.

Apostolat du rayonnement personnel

De la confiance qu’on met en elles, les sages-femmes doivent être et se montrer constamment dignes. C’est une exigence profes­sionnelle pour elles que de ne pas décevoir leur clientèle par incapacité ou médiocrité technique. C’est aussi une exigence de leur apostolat : si elles s’imposent par leur valeur personnelle, elles auront beaucoup d’autorité pour combattre les erreurs courantes, rétablir la vérité, faire respecter, en les expliquant opportunément et discrètement, sans surenchère, mais sans faiblesse ni complai­sance, les saintes exigences de la morale naturelle ou révélée.

Défendre la valeur et l’inviolabilité de la vie humaine

Tout dans le monde est pour l’homme. L’homme est pour Dieu. Et, dès qu’il est conçu, l’enfant est homme. [121]

Tout être humain, même l’enfant dans le sein maternel, tient le droit à la vie immédiatement de Dieu, non des parents, ni de n’importe quelle société ou autorité humaine. Il n’y a donc aucun homme, aucune autorité humaine, aucune science, aucune indication médicale, eugénique, sociale, économique, morale, qui puisse exhiber un titre juridique valable autorisant à dis­poser directement et délibérément d’une vie humaine innocente, c’est-à-dire à viser sa destruction, soit comme but, soit comme moyen en vue d’un autre but en lui-même peut-être nullement illicite. Ainsi, par exemple, sauver la vie de la mère est une très noble fin, mais le meurtre direct de l’enfant, pris comme moyen d’atteindre une telle fin, n’est pas permis. La destruction directe de la vie soi-disant sans valeur, née ou non encore née, pratiquée en grand il y a peu d’années, ne peut en aucune façon se justifier. C’est pourquoi, quand cette pratique commença, l’Église déclara formellement qu’il était contraire au droit naturel et positif divin, donc illicite, de tuer, fût-ce même par ordre de l’autorité publique, ceux qui, tout innocents qu’ils soient, ne sont pourtant pas utiles à, la nation, mais deviennent plutôt pour elle une charge par suite de leurs tares physiques ou psychiques (Décret du Saint-Office, 2 décembre 1940, AAS, XXXII, pp. 553-554). La vie d’un innocent est intangible et toute atteinte, toute attaque directe contre elle, est la violation d’une des lois fon­damentales sans lesquelles n’est possible aucun convivium humain sûr.

Le Pape ne dit pas qu’il faut sacrifier la mère à l’enfant, mais qu’il ne faut pas tuer l’enfant pour sauver la mère[4]. Il va de soi [122] qu’il ne faut pas tuer la mère pour sauver l’enfant. C’est surtout cela qu’en Angleterre on a lu de travers et traduit : Le Pape enseigne qu’il faut sacrifier la mère à l’enfant, qu’il le faut tou­jours. D’où injures, invectives, accusations de barbarie, expres­sions de répulsion et de dégoût, effroi des femmes à la pensée d’accoucher dans des hôpitaux ou cliniques servis par des médecins ou sages-femmes catholiques, projets d’épuration des cliniques par éviction de toute personne réglant sa conduite sur l’enseigne­ment du Pape, etc. Much ado about nothing ! Le Pape ici ne fait que redire, avec son autorité de pontife suprême, ce que disent tous les moralistes catholiques. Ce clair rappel d’une doctrine cou­rante n’a rien d’une nouveauté. Tout se passe comme si les angli­cans si émus n’avaient jamais lu un traité de morale catholique.

Le Pape rappelle en somme qu’il ne faut pas sacrifier une vie à l’autre, parce qu’il faut chercher à les sauver toutes deux. S’il arrivait qu’on ne pût sauver l’un qu’en tuant l’autre, il faudrait encore s’abstenir de tuer, et si mère et enfant devaient tous deux mourir, il ne serait encore pas permis de commettre un crime pour empêcher ce double malheur. Il est permis de penser que ceux qui trouvent cela « immoral » ignorent tout de la morale. Le Pape ensuite évoque les protestations de l’Église contre l’horrible boucherie de la craniotomie qui sévit à une époque, contre la pratique des avortements sur indications et la facilité à étendre ces indications. Le Pape proteste contre les exterminations, barbares celles-là, des vies « inutiles », contre la prétention, d’où qu’elle vienne, d’octroyer au médecin un droit de vie et de mort sur l’enfant en cas de difficultés. Quiconque est au courant des progrès de l’obstétrique et de la chirurgie spéciale sait que la [123]­ fermeté de l’Église à maintenir et à proclamer la loi naturelle et le commandement divin qui défend de tuer, a provoqué recherches et progrès, et qu’aujourd’hui on sauve la mère et l’enfant en de nombreux cas où, il n’y a pas si longtemps, on tuait l’enfant pour sauver la mère. Hélas, cela se fait encore beaucoup. Que d’enfants seraient sauvés avec leur mère, qu’on immole encore au salut de celle-ci, parce qu’on ne suit pas les enseignements du Pape, témoin du droit naturel. Comme on est soulagé, quand on a lu les injures prodiguées au Saint-Père pour ce passage de son discours déclaré foncièrement immoral et barbare, et qu’on voit non seule­ment des médecins catholiques, mais des protestants plus sereins que certains Clergymen anglicans DD. DD., lui rendre hommage et le remercier d’avoir opportunément redit ces choses.

Défendre la vie menacée n’est qu’un aspect du devoir. Il faut positivement répandre l’estime et le respect de la vie, montrer que l’enfant est un don de Dieu, une bénédiction divine, lutter contre l’idée qu’il est un poids, défendre contre toute injure l’épouse qui a le courage de donner la vie. En cas de nécessité, il appartient aux sages-femmes de pourvoir au salut de l’enfant en le baptisant.

Si ce que nous avons dit jusqu’ici regarde la protection et le soin de la vie naturelle, à bien plus forte raison cela doit valoir de la vie surnaturelle que le nouveau-né reçoit par le baptême. Dans l’économie présente, il n’est pas d’autre moyen pour communiquer cette vie au petit enfant qui n’a pas encore l’usage de la raison. Et pourtant, l’état de grâce au moment de la mort est absolument nécessaire au salut; sans lui, il n’est pas possible de parvenir à la félicité surnaturelle, à la vision béatifique de Dieu. Un acte d’amour peut suffire à l’adulte pour obtenir la grâce sanctifiante et suppléer au défaut du baptême. A l’enfant non encore né ou nouveau-né, cette voie n’est pas ouverte[5]. Si donc on considère que la charité envers le prochain impose de l’assister en cas de nécessité, que cette obligation est d’autant plus grave et urgente qu’est plus grand le bien à procurer ou le mal à éviter et que le nécessiteux est moins capable de s’aider lui-même, il est facile de comprendre la grande importance qu’il y a à procurer le baptême à, un enfant privé de tout usage de la raison et qui se trouve en grand péril ou devant une mort certaine.  [124] Sans doute ce devoir lie en premier lieu les parents, mais, en cas d’urgence, quand il n’y a pas de temps à perdre ou -qu’il est impossible d’appeler un prêtre, c’est à vous que revient le sublime devoir de conférer le baptême. Ne manquez donc pas de rendre ce service charitable et d’exercer cet actif apostolat de votre profession...

Assistance à la mère dans l’accomplissement Prompt et généreux de sa fonction maternelle

C’est pour le Pape l’occasion de rappeler la loi des rapports conjugaux, la malice intrinsèque des fraudes conjugales, celle de la stérilisation, les conditions de licéité de l’usage systématique et exclusif des temps agénésiques.

Loi des rapports conjugaux. – « C’est une des exigences fonda­mentales du droit moral qu’à l’usage des droits conjugaux cor­responde la sincère acceptation intérieure de l’office et des devoirs de la maternité. »

Les sages-femmes doivent refuser toute coopération immorale quand on requiert leur aide « pour empêcher la procréation ou la conservation de la vie ». « Cela exige un calme et catégorique non. »

Notre prédécesseur d’heureuse mémoire Pie XI, dans son encyclique Casti connubii du 31 déc. 1930, a proclamé de nouveau solennellement la loi fondamentale de l’acte et des rapports conjugaux :

Toute tentative des époux dans l’accomplissement de l’acte conjugal ou dans le développement de ses conséquences natu­relles, ayant pour but de le priver de l’énergie à lui inhérente et d’empêcher la procréation d’une nouvelle vie est immoral, et aucune «indication» ou nécessité ne peut changer une action intrinsèquement immorale en un acte moral et licite (AAS, XXII, pp. 559 et suivantes).

Cette prescription est en pleine vigueur aujourd’hui comme hier, et elle sera telle encore demain et toujours, parce que ce n’est pas un simple précepte de droit humain, mais l’expression d’une loi naturelle et divine.

Malice de la stérilisation. - « Il y aurait bien plus qu’un simple manque d’empressement au service de la vie si l’intervention de l’homme ne concernait pas seulement un acte particulier, mais touchait à l’organisme même pour le priver, au moyen de la stérilisation, de la faculté de Procréer une nouvelle vie. »

La stérilisation directe, c’est-à-dire celle qui vise, comme moyen ou comme but, à rendre impossible la procréation, est une violation grave de la loi morale et donc illicite. [125]

Même l’autorité publique n’a aucun droit, sous prétexte de quelque indication que ce soit, de la permettre, et moins encore de la prescrire ou de la faire exécuter au dam d’innocents.

Ce principe se trouve déjà énoncé dans l’encyclique susdite de Pie XI sur le mariage (Loc. cit., pp. 564-565). C’est pourquoi, il y a dix ans, quand la stérilisation en vint à être plus largement appliquée, le Saint-Siège se vit dans la nécessité de déclarer expressément et publiquement que la stérilisation directe, soit perpétuelle, soit temporaire, soit de l’homme, soit de la femme, est illicite de par la loi naturelle, dont l’Église elle-même n’a pas pouvoir de dispenser. (Décret du Saint-Office, 22 fév. 1940, AAS, XXXII, p. 73.)

Sur tous ces points Pie XII parle comme Pie XI, en se référant à lui et en complétant ses enseignements. Il n’y a aucun danger qu’un Pape parle jamais autrement ou dise le contraire. Cette morale est immuable. Les conditions économiques, l’état des civili­sations n’y changeront rien. Les problèmes angoissants qui se posent dans le vaste monde doivent se résoudre, et peuvent être résolus sans porter atteinte à cette morale. Si des masses énormes de populations sont sous-alimentées, par suite d’une mauvaise répartition des richesses surabondantes du monde, d’un état économique et social arriéré et d’un régime immoral de la pro­priété, le remède n’est pas celui que préconisent des économistes et des politiques étrangers à toute religion et à toute morale : la propagande systématique de l’anticonception, la législation de l’avortement, l’extension de la stérilisation. Ces hommes ne sau­raient évidemment souscrire aux condamnations, renouvelées par Pie XII, des fraudes conjugales et de l’avortement direct. Ici encore, c’est l’Église qui défend l’homme contre l’homme, la vie humaine contre les planifications rationalistes et les projets génocides.

Limitation systématique des rapports conjugaux aux époques agénésiques. - Voici en quels termes le problème est posé :

En outre aujourd’hui se présente la grave question de savoir si l’obligation de prompte disposition au service de la maternité est conciliable avec le recours de plus en plus répandu aux périodes de stérilité naturelle, à ce qu’on appelle les périodes agénésiques de la femme, recours qui semble exprimer clairement un vouloir contraire à cette disposition.

Pie XII remarque, avant de répondre à la question ainsi posée, que ce n’est pas l’office du prêtre, mais celui de la sage-femme ou du médecin, d’apprendre aux époux, oralement ou en leur indiquant des lectures appropriées, des textes sérieux, non des à-peu-près populaires, le calcul de ces périodes. Personne ne doit [126] d’ailleurs se livrer à ce sujet à une propagande indiscrète et mal­séante. Et voici comme le Pape résout le problème moral qu’il vient d’énoncer :

Il faut avant tout considérer deux hypothèses. Si la mise en pratique de cette théorie veut signifier seulement que les époux peuvent faire usage de leur droit matrimonial, même les jours de stérilité naturelle, il n’y a rien à opposer : par là ils n’empêchent ni ne compromettent en rien la consommation de l’acte naturel et de ses conséquences naturelles ultérieures. C’est proprement en cela que l’application de la théorie dont nous parlons se distingue essentiellement de l’abus déjà signalé, qui consiste en la perversion de l’acte lui-même.

Mais si l’on va plus outre, à savoir si l’on se permet l’acte conjugal exclusivement ces jours-là, alors la conduite des époux doit être examinée plus attentivement.

Et de nouveau, deux hypothèses se présentent à notre réflexion: si déjà lors de la conclusion du mariage au moins l’un des con­joints avait eu l’intention de restreindre au temps de stérilité le droit matrimonial même et non seulement son usage, de façon que, les autres jours, le conjoint n’aurait même pas le droit de demander l’acte, cela impliquerait un défaut essentiel du consentement matrimonial, emportant avec soi l’invalidité du mariage même, parce que le droit dérivant du contrat ma­trimonial est un droit permanent, ininterrompu et non inter­mittent, de chacun des époux à l’égard de l’autre.

Il y a longtemps que le point ici déclaré par le Saint-Père est notre ferme conviction malgré les résistances rencontrées quand nous nous sommes permis de le dire. Mais, à notre connaissance du moins, la chose n’avait jamais été précisée avec cette netteté, ni ne pouvait l’être avec cette autorité par aucun théologien.

Si au contraire cette limitation de l’acte aux jours de stérilité naturelle se réfère, non au droit même, mais seulement à l’usage du droit, la validité du mariage reste hors de discussion. Toute­fois la licéité morale d’une telle conduite des époux serait à affirmer ou à nier selon que l’intention d’observer constamment ces temps repose ou non sur des motifs suffisants et sûrs. Le seul fait que les époux n’offensent pas la nature de l’acte et sont encore prêts à accepter et à éduquer l’enfant qui, malgré leurs précautions, viendrait au monde, ne suffirait pas par soi seul à garantir la rectitude de l’intention et la moralité incon­testable des motifs mêmes.

Sans doute, des théologiens privés ont-ils dit à peu près cela bien des fois, depuis que la pratique de cette méthode s’est répan­due. Mais la raison n’avait encore jamais été présentée aussi claire ment qu’elle l’est ici. Pie XII explique : [127]

La raison en est que le mariage lie à un état de vie, qui, de même qu’il confère certains droits, impose aussi la réalisation d’une oeuvre positive concernant cet état même. En un tel cas, on peut appliquer le principe général qu’une prestation positive peut être omise si, indépendamment de la bonne volonté de ceux qui y sont obligés, de graves motifs montrent que cette prestation est inopportune, ou prouvent qu’elle ne peut être équitablement revendiquée par l’ayant droit, en l’espèce, le genre humain.

Le contrat matrimonial qui confère aux époux le droit de satisfaire l’inclination de la nature, les constitue dans un état de vie, l’état conjugal. Or aux époux qui en font usage par l’acte spécifique de leur état, la nature et le Créateur imposent la charge de pourvoir à la conservation du genre humain. C’est là la prestation caractéristique qui fait la valeur propre de leur état, le bonum prolis. L’individu et la société, le peuple et l’État, l’Église même, dépendent pour leur existence de l’ordre établi par Dieu du mariage fécond. Donc embrasser l’état conjugal, user continuellement de la faculté propre à cet état et licite en lui seul, et d’autre part se soustraire toujours délibérément sans un motif grave à son devoir premier serait pécher contre le sens même de la vie conjugale. De cette prestation positive obligatoire peuvent exempter, même pour un temps notable, même pour la durée entière du mariage, des motifs sérieux, comme ceux qui se rencontrent souvent dans ce qu’on appelle indication médicale, eugénique, économique et sociale. De là suit que la limitation des rapports aux temps inféconds peut être licite sous l’aspect moral et, dans les conditions mentionnées, elle l’est réellement. Mais s’il n’y a pas, selon un jugement raisonnable et équitable, de semblables graves raisons person­nelles ou découlant des circonstances extérieures, la volonté d’éviter habituellement la fécondité, tout en continuant à satisfaire pleinement leur sensualité, ne peut découler que d’une fausse appréciation de la vie et de motifs étrangers aux droites normes morales.

Il y a donc un devoir certain d’accepter la paternité et la mater­nité. Pour l’éviter légitimement en usant du mariage, sans vicier l’acte, dans les seuls temps inféconds, il faut une raison excusante.

L’abstinence est possible quand elle est nécessaire. - Le Pape, après avoir établi nettement ce point, aborde le problème de l’abstinence complète des rapports conjugaux, quand il faut abso­lument éviter la maternité et que la restriction des rapports aux temps inféconds ne suffit pas pour en écarter le risque.

La tentation est de vicier l’acte, au lieu de s’en abstenir, et de s’excuser en disant que l’abstinence, étant impossible, ne saurait être obligatoire. Au contraire, va-t-il expliquer, si elle est obligatoire, elle est possible, moyennant la grâce. [128]

Même en ces cas extrêmes, toute manoeuvre préventive et tout attentat direct contre la vie et le développement du germe sont en conscience défendus et exclus, et une seule voie reste ouverte, celle de l’abstinence.

On objectera qu’une semblable abstinence est impossible, un tel héroïsme impraticable... Et pour le prouver on recourt à cet argument : Personne n’est obligé à l’impossible, et aucun législateur raisonnable n’est présumé vouloir obliger par sa loi même à l’impossible. Mais, pour les époux une abstinence de longue durée est impossible. Ils ne sont donc pas obligés à l’ab­stinence. La loi divine ne peut avoir ce sens !

C’est ainsi que, de prémisses partiellement vraies, on tire une conclusion fausse. Pour s’en convaincre, il suffit d’inter­vertir les termes de l’argument : Dieu n’oblige pas à l’impossible. Mais Dieu oblige les époux à l’abstinence si leur union ne peut s’effectuer selon les normes de la nature. Donc en ces cas, l’absti­nence est possible.

Et le Saint-Père de citer la sentence de saint Augustin, que le concile de Trente fait sienne : «Dieu ne commande pas l’impossible, mais en commandant il exhorte à la fois à faire ce que tu peux et à demander ce que tu ne peux pas, et il aide pour que tu puisses.»

On ne doit pas s’en laisser imposer par le grand mot d’impossi­bilité... C’est faire tort aux hommes et aux femmes d’aujourd’hui, de les estimer incapables d’héroïsme continu. Ils s’y élèvent sou­vent de nos jours « sous les dures contraintes de la nécessité », « parfois même au service de l’injustice ».

Ils peuvent, avec l’aide de Dieu, humblement implorée et cher­chée où elle se trouve, discipliner l’instinct et résister à ses pous­sées. L’affirmer n’est pas inhumaine dureté. Le vicaire du Christ ne peut pas parler autrement. Il ne méconnaît pas les difficultés de certaines situations concrètes, les faiblesses qui peuvent échapper à des époux, parents de beaucoup d’enfants et pour qui une nouvelle naissance aggraverait un fardeau déjà bien lourd. Les confesseurs les plus fermes à maintenir les prin­cipes savent qu’ils sont, au tribunal de la pénitence, les ministres de la miséricorde. Ils sont donc, de la part de Dieu même, indul­gents aux fautes de fragilité d’époux qui, dans l’ensemble, veulent être fidèles à Dieu et font effort, et prient. Et ils trouvent aussi des pénitents dont les confidences sont d’admirables témoignages de la puissance de la grâce et de l’efficacité de la communion eucharistique, pour rendre capables d’héroïsme les époux qui y recourent avec foi et persévérance.

Les fins du mariage, leur hiérarchie. Dignité humaine chrétienne dans la vie conjugale

On sait combien la question des fins du mariage, de leur ordre [129] et de leur hiérarchie, a été ventilée dans la décade qui précéda la guerre ; les efforts accomplis, même par des catholiques soumis de coeur et de fait à l’Église, pour « rajeunir n la doctrine classique des fins première (ou primaire) et seconde (ou secondaire), pour la réformer ou du moins l’adapter au progrès des sciences, de la psychologie, à la mentalité moderne. Tout un ensemble de causes ont provoqué ces efforts et l’ont orienté, ou, en partie du moins, désorienté et dévié. Il serait long d’analyser ces causes et d’assi­gner à chacune sa part. Long, et un peu vain, car la page est tournée, l’engoûment s’est calmé, le bilan a été établi des apports recevables dont l’intégration est faite, et des déchets à négliger.

Nommons pourtant, un peu pêle-mêle : l’influence plus ou moins directe ou indirecte, exercée sur des plumes catholiques par des ouvrages et des auteurs qui ne l’étaient pas ; l’incroyable proliféra­tion d’ouvrages dits d’initiation sexuelle, d’inspiration variable, depuis celle de l’athéisme communiste, de l’irréligion militante (acharnée contre la famille et la morale familiale considérée comme rempart de la religion) jusqu’à l’amoralisme bourgeois faisandé ou moins audacieux, mais sans nobles principes et vul­gairement hédoniste ; l’énorme diffusion d’ouvrages, de tout volume, de tout format et de tout prix, dont le leitmotiv est que la perfection du mariage est en raison directe de la quantité de jouissances qu’il procure ; les progrès envahissants et tumul­tueux de la psychanalyse d’observance freudienne, l’orientation de la psychologie vers les problèmes de la sexualité, un certain goût de la nouveauté, la difficulté de répondre à diverses objec­tions soulevées contre la doctrine classique ; l’attention aux valeurs personnelles, par réaction contre les diverses formes d’Etatisme et de totalitarisme oppresseurs de la personne ; cer­taine ambition de réformer la théologie dans le domaine pratique de la moral, comme dans le domaine spéculatif ; une hostilité plus vu moins consciente envers saint Thomas, docteur par excellence des fins du mariage, mais « mort et enterré » ; les difficultés réelles de la fidélité aux lois saintes du mariage, accrues pour un grand nombre par les conditions de la vie actuelle. Tout cela, et beaucoup d’autres causes encore, ont déterminé divers auteurs catholiques à « repenser », disaient-ils, les problèmes conjugaux, et pro­voqué l’éclosion d’une abondante littérature, qui déplaçait plus moins audacieusement le centre de gravité de la doctrine traditionnelle représentée surtout par le Docteur angélique.

Sans entrer dans les nuances propres aux divers auteurs (qui n’étaient pas parfaitement d’accord entre eux), on peut dire, à vue de pays, qu’ils avaient en commun la tendance à tellement considérer les valeurs du mariage et de l’acte des époux pour les époux eux-mêmes, qu’ils risquaient de méconnaître le caractère primordial essentiel de l’ordination de la vie sexuelle à la procréation [130] création-éducation de l’enfant. Ils proposèrent donc diverses modifications de vocabulaire, divers déplacements des éléments de la synthèse. La fin première (ou du moins le sens premier du mariage) n’était plus l’enfant à mettre au monde et à promouvoir vers l’humaine perfection, mais, par exemple, l’unité à deux (Zweieinigkeit), la communauté de vie (Lebensgemeinschaft. l’union de vie(Lebensvereinigung), etc., d’où résultait normalement la production de nouveaux êtres, qu’il ne fallait assurément pas empêcher.

Les auteurs catholiques entendaient généralement sauvegardai (se faisant même parfois forts de les fonder plus solidement lit irréfutablement, en coupant court à toute objection tirée de la stérilité, accidentelle ou venant de l’âge) les saintes rigueurs des lois du mariage, barrer efficacement la route à tout essai de justification du néomalthusianisme. Ils se défendaient unanimement toute complaisance pour le relâchement moral.

Ils n’entendaient pas non plus, par leur insistance sur la vie sexuelle, sa valeur d’épanouissement pour les conjoints, compromettre la doctrine catholique de l’éminence de la virginité religieuse - propter regnum caelorum - ou du célibat ecclésiastique sur le mariage ; néanmoins, et quoi qu’ils en eussent, leur exaltation de la vie conjugale et de ses enrichissements risquait d’obnubiler dans les esprits l’excellence de la sainte virginité, en suggérant que l’homme et la femme, à défaut du mariage et de sa plénitude humaine, étaient exposés à une sorte de diminutio capitis ou de moindre achèvement. C’est la conclusion que tiraient certainslecteurs. Nous avons entendu de pieux époux plaindre prêtres et religieux de manquer des grâces du sacrement du mariage.

Certains essais d’après-guerre ont été plus osés. L’atmosphère qu’on y respire est nettement trouble et malsaine. Je pense notamment à telles apologies enthousiastes de « l’étreinte réservée »  présentée comme solution providentielle des principaux problèmes conjugaux[6], comme d’ailleurs facile à pratiquer sauf aux « racleurs de corde ». Ah, qu’en termes galants... !

Aux diverses publications dont nous parlons, la critique théologique, un moment surprise en quelques-uns de ses représentants ne tarda pas à s’opposer plus ou moins résolument. Parmi les meilleures productions sur ce terrain, je me plais à signaler l’excellent livre de Dom Boissard, moine de Solesmes, Questions théologiques sur le mariage[7]'C’est de beaucoup le meilleur livre, le plus instructif, le plus au point, qu’il m’ait été donné de lire depuis six ans sur ce sujet. [131]

Officiellement, l’Église fit un accueil froid, réservé, réticent, aux essais dont nous parlons. Elle discerna des erreurs ou des dangers où auteurs et certains lecteurs n’en voyaient pas.

Plusieurs livres non seulement ne furent pas approuvés, mais furent plus ou moins nettement désavoués, et condamnés en ce sens que leurs auteurs - à qui fut épargnée une mise à l’index – reçurent discrètement l’ordre formel de les retirer du commerce, en original et en traduction.

Le Saint-Office intervint en 1944 pour maintenir, en dénonçant le danger de l’abandonner, l’enseignement de la doctrine traditionnelle des fins, que Pie XII va nous rappeler[8]. Pour bien lire le texte où il explique son intervention, il faut ne pas perdre de vue qu’un Pape qui décrit un mouvement d’idées sans en nommer les auteurs n’est pas tenu à suivre les nuances propres à chacun. Nul ne serait bien venu à se plaindre que sa pensée personnelle n’ait pas été rendue avec toute l’exactitude désirable. Le Pape n’est pas un historien écrivant un bulletin bibliographique dans une revue savante. Voyant les choses de haut, discernant le sens généra d’un courant, ses effets parfois différents des intentions et des buts visés, saisissant en pasteur universel les dangers pour l’ensemble du troupeau fidèle, de doctrines dont l’équilibre subtil est compromis, le danger aggravé, par la vulgarisation, il peint à grands traits le tableau de la situation.

Les valeurs de la personne et la nécessité de les respecter, c’est un thème qui, depuis deux décades, occupe toujours davantage les écrivains. En beaucoup de leurs théories, l’acte spécifiquement sexuel a sa place assignée au service de la per­sonne des conjoints. Le sens propre et le plus profond de l’exercice de ce droit conjugal devrait consister en ceci que l’union [132]des corps est l’expression et l’actuation de l’union personnelle et affective.

Articles, chapitres, livres entiers, conférences, portant aussi sur la « technique de l’amour »  sont consacrés à la défense de ces idées, à les illustrer par des instructions aux jeunes époux présentées comme guides du mariage pour qu’ils ne négligent pas, par sottise, pudeur mal placée, vain scrupule, ce que Dieu, qui a créé aussi les inclinations naturelles, leur offre. Si, de ce don complet des époux, jaillit une nouvelle vie, c’est là un résultat qui reste en dehors ou tout au plus à la surface des valeurs de la personne. Ce résultat, on ne le refuse pas, mais on ne veut pas qu’il soit au centre des rapports conjugaux.

Et voici la critique :

Si cette appréciation relative ne faisait que mettre l’accent sur la valeur de la personne des époux, plutôt que sur celle de l’enfant, on pourrait à, la rigueur laisser de côté un tel pro­blème. Mais il s’agit ici au contraire d’un grave renversement de l’ordre des valeurs et des fins proposées par le Créateur même.

Nous nous trouvons devant la propagation d’un complexe d’idées et de sentiments directement opposés à la clarté, à la profondeur et au sérieux de la vie chrétienne.

Les chrétiens, et spécialement les femmes dont c’est la profes­sion de servir les mères, doivent rectifier les idées, s’opposer à ce complexe et travailler à faire connaître la profondeur et le sérieux de cette pensée chrétienne. Il faut avoir le courage de soutenir, à. l’encontre de toute déviation, la vérité.

Or la vérité est que le mariage, comme institution naturelle, en vertu de la volonté du Créateur, n’a pas comme fin première et intime le perfectionnement mutuel des époux, mais la pro­création et l’éducation de la nouvelle vie. Les autres fins, pour visées qu’elles soient aussi par la nature, ne se situent pas nu même plan que la première et lui sont encore moins supérieures ; elles lui sont essentiellement subordonnées. Cela vaut pour tout mariage même infécond, comme de tout œil on peut dire qu’il est destiné à et formé pour voir, même si, dans des cas anormaux, par suite de conditions spéciales intérieures niextérieures, il ne doit jamais être en état d’aboutir à des perceptions visuelles.

Précisément pour couper court à, toutes les incertitudes et déviations qui menacent de répandre des erreurs sur la hiérarchie des fins du mariage et leurs rapports réciproques, nous avons Nous-même rédigé, il y a quelques années (10 Mars 1944), une déclaration sur l’ordre de ces fins en indiquant ce que révèle la structure interne elle-même de la disposition naturulle, ce qui est la patrimoine de la tradition chrétienne, ce que les [133] Souverains Pontifes ont enseigné à plusieurs reprises, ce qui a été ensuite fixé dans lés formes dues par le Code de droit ca­nonique (can. 1013, § 1). Peu après, pour redresser les opinions opposées, le Saint-Siège, par un décret public prononça qu’on ne pouvait admettre la position de quelques auteurs récents niant que la fin primaire du mariage soit la procréation et l’éducation de l’enfant, ou enseignant que les fins secondaires ne sont pas essentiellement subordonnées à la fin primaire, mais lui sont équivalentes et en sont indépendantes.

Veut-on peut-être par là nier ou diminuer ce qu’il y a de bon et de juste dans les valeurs personnelles résultant du mariage et de son acte? Certes non, puisque, à la procréation d’une nouvelle vie, le Créateur a destiné dans le mariage des êtres humains, faits de chair et de sang, doués d’esprit et de coeur, et qu’ils sont appelés en tant qu’êtres humains, non comme des animaux sans raison, à être les auteurs de leur descendance.

A cette fin le Seigneur veut l’union des époux. L’Écriture en effet dit de Dieu qu’il créa l’homme à son image et qu’il le créa homme et femme (Gen. I, 27), et qu’il a voulu, comme il est maintes fois affirmé dans les livres saints, que l’homme quitte père et mère et s’unisse à sa femme, et qu’ils forment une chair (Cf. Gen. II, 24; Matt. XIX, 5 ; Eph. V, 31).

Tout cela est donc vrai et voulu du Créateur, mais ne doit pas être disjoint de la fonction primaire du mariage, c’est-à-dire du service pour la vie nouvelle. Non seulement l’œuvre commune de la vie extérieure, mais encore tout l’enrichissement personnel, l’enrichissement intellectuel et spirituel même, et jusqu’à ce qu’il y a de plus spirituel et profond dans l’amour conjugal comme tel, a été mis par la volonté de la nature et du Créateur au service de la descendance. Par sa nature, la vie conjugale parfaite signifie aussi dévouement total des parents au bénéfice des enfants, et l’amour conjugal comme tel, dans sa force et sa tendresse, est lui-même un postulat du soin le plus sincère de l’enfant et la garantie de sa réalisation (Cf. Sum. Theol., IIIa, q. 29, a. 2, in corp. Suppl., q. 49, a.2, ad 1um).

Réduire la cohabitation des époux et l’acte conjugal à une pure fonction organique de transmission des germes, revien­drait à convertir le foyer domestique, sanctuaire de la famille, en un simple laboratoire biologique. C’est pourquoi, dans notre allocution du 29 sept, 1949au Congrès international des médecins catholiques, nous avons formellement exclu du mariage la fécondation artificielle. L’acte conjugal, dans sa structure naturelle, est une action personnelle, une coopération simultanée et immédiate des époux, laquelle, par la structure même des agents et le caractère propre de l’acte, est l’expression du don réciproque qui, selon la parole de l’Écriture, réalise l’union en une chair.

Cela est beaucoup plus que l’union de deux germes, laquelle peut s’effectuer aussi de manière artificielle, c’est-à-dire sans l’action naturelle des époux. L’acte conjugal ordonné et voulu [135] par la nature est une coopération personnelle, à laquelle les époux en contractant mariage se donnent réciproquement droit. C’est pourquoi, quand cette prestation dans sa forme naturelle est, dès le début et d’une manière durable, impossible, l’objet du contrat matrimonial se trouve affecté d’un vice essentiel. C’est ce que Nous avons dit alors. « Qu’on ne l’oublie pas, seule la procréation d’une nouvelle vie selon la volonté de Dieu et le plan du Créateur porte avec soi à un degré étonnant de perfection la réalisation des buts poursuivis. Elle est à la fois conforme à la nature corporelle et spirituelle et à la dignité des époux, au développement normal et heureux de l’enfant » (AAS, XXXXI, 1949, P. 560).

On ne peut pas ne point remarquer l’accent de ces déclarations. Cette doctrine n’est pas donnée comme plus ou moins probable, comme une opinion qui aurait le droit de se faire entendre parmi d’autres, comme un correctif à ce que les essais d’inspiration opposée pourraient avoir d’excessif ou d’imprudent. C’est donné comme la vérité pure et simple en ce domaine. La fin primordiale ou primaire du mariage et de son acte est la venue au monde et l’éducation d’enfants. Les fins secondes existent, voulues par la nature, mais à leur rang qui est second, non premier. L’Église les reconnaît, mais ne veut pas qu’on les mette au premier rang.

Déjà, entre autres déclarations, le Pape Pie XII, il y a dix ans, dans son célèbre discours à la Rote, avait dit, parlant de la fin première et de la fin seconde (au singulier) et de leur coexistence et de leur hiérarchie :

Deux tendances sont à éviter, celle qui, dans l’examen des éléments constitutifs de l’acte de la génération, donne du poids uniquement à la fin première dumariage, comme si la fin seconde n’existait pas ou du moins n’était pas finis operis établie par l’Ordonnateur même de la nature; et celle qui considère la fin seconde comme également importante (principale), la déliant de son essentielle subordination à la fin primaire, ce qui, par nécessité logique, conduirait à de funestes consé­quences. Deux extrêmes en d’autres termes, si le vrai est au milieu, sont à fuir : d’une part, nier pratiquement ou déprécier excessivement la fin secondaire du mariage et de l’acte de la génération ; de l’autre, dégager ou séparer outre mesure l’acte conjugal de la fin première, à laquelle toute sa structure intrin­sèque est premièrement et de façon principale ordonnée[9].

Le présent discours est bien dans la même ligne. Il est d’autant plus éloigné de nier ou de négliger les valeurs personnelles du mariage et de son acte qu’il en proclame, avec une rare vigueur, [135] l’orientation par la nature et par Dieu, auteur de la nature, vers l’accomplissement plus parfait de la fin primaire, celle-ci n’étant pas, comme pour les animaux, une simple mise au monde de petits, mais l’enfantement de petits d’hommes et, indivisiblement, l’acheminement de ces enfants par l’éducation à la plénitude humaine et chrétienne.

L’acte conjugal n’est pas un simple moyen de réaliser la con­jonction des germes masculin et féminin, mais un acte profondé­ment humain engageant tout l’être, un don de personne à personne, ce que certains essais modernes ont certainement contribué à mettre en lumière, mais sans voir assez clairement ou sans dire assez nettement ce que le Pape, lui, dit, formellement et expressé­ment : à savoir que les personnes des époux, avec tous les enrichissements qu’elles se doivent l’une à l’autre, y compris celles qu’elles reçoivent de cet acte même, sont providentiellement engagées au service de la vie humaine à propager, de la nouvelle vie humaine à promouvoir humainement.

Cela est d’une importance capitale.

Sur la fécondation artificielle. - On l’a vu, le présent discours ne s’étend pas sur ce point. Il rappelle l’acte précédent qui en trai­tait plus longuement, mais il donne la raison profonde et univer­selle qui tranche définitivement la question, et qui exclut la fécondation artificielle proprement dite dans tous les cas et pratiquée de quelque façon que ce soit.

C’est l’acte conjugal dans toute son intégrité humaine et personnelle, qui est ordonné à la procréation, et lui seul. On ne peut donc viser à produire une nouvelle vie, procurer la conception hors du mariage par germes venant d’un autre que l’époux, ni même dans le mariage et par éléments fécondants venant de l’époux, hors du don naturel réciproque, du rapprochement tel que la nature l’institue.

Ici il convient de relire ce que Pie XII avait expliqué dans le discours prononcé à l’audience accordée au Congrès international des médecins. Voici le texte dans son intégrité avec de petites notes explicatives.

La morale naturelle et chrétienne enfin maintient partout ses droits imprescriptibles : c’est d’eux et non de considérations de sensibilité, de philanthropie matérialiste, naturaliste, que dérivent les principes essentiels de la déontologie médicale : dignité du corps humain, prééminence de l’âme sur le corps, fraternité de tous les hommes, domaine souverain de Dieu sur la vie et la destinée.

Nous avons déjà, eu mainte occasion de toucher un bon nombre de points particuliers concernant la science médicale. Mais voici que se pose au premier plan une question qui réclame avec non moins d’urgence que les autres, la lumière de la doctrine [136] morale catholique : celle de la fécondation artificielle. Nous ne pouvons laisser passer l’occasion présente d’indiquer briève­ment, dans les grandes lignes, le jugement moral qui s’impose en cette matière.

1. La pratique de cette fécondation artificielle, dès lors qu’il s’agit de l’homme, ne peut être considérée ni exclusivement, ni même principalement, au point de vue biologique et médical, en laissant de côté celui de la morale et du droit.

2. La fécondation artificielle hors du mariage[10] est à condamner purement et simplement comme immorale. Telle est en effet la loi naturelle et la loi divine positive, que la procréation d’une nouvelle vie ne peut être le fruit que du mariage. Le mariage seul sauvegarde la dignité des époux, leur bien personnel. De soi, seul, il pourvoit au bien ou à l’éducation de l’enfant.

Par conséquent, sur la condamnation d’une fécondation artificielle hors de l’union conjugale, aucune divergence d’opi­nions n’est possible entre catholiques. L’enfant conçu dans ces conditions serait illégitime.

3. La fécondation artificielle dans le mariage, mais produite par l’élément actif d’un tiers, est également immorale, et comme telle à réprouver sans appel. Seuls les époux ont un droit réciproque sur leur corps pour engendrer une vie nouvelle, droit exclusif, incessible, inaliénable[11].

Et cela doit être en considération aussi de l’enfant. A qui­conque donne la vie à un petit être la nature impose, en vertu même de ce lien, la charge de sa conservation et de son éducation. Mais entre l’époux légitime et l’enfant, fruit de l’élément actif d’un tiers, l’époux fût-il consentant, il n’y a aucun lien d’origine, aucun lien moral et juridique de procréation conjugale[12].

4. Quant à, la licéité de la fécondation artificielle dans le mariage, c’est-à-dire par l’élément actif du mari, qu’il nous suffise pour l’instant de rappeler ces principes de droit naturel : le simple fait que le résultat auquel on vise est atteint par cette voie ne justifie pas l’emploi du moyen lui-même, ni ne suffit à prouver la légitimité du recours à la fécondation artificielle qui réaliserait ce désir.

Il serait faux de penser que la possibilité de recourir à ce moyen pourrait rendre valide le mariage entre personnes inaptes à le contracter du fait de l’empêchement d’impuissance[13]. [137]

D’autre part il est superflu d’observer que l’élément actif ne peut jamais être procuré licitement par des actes contre nature[14]. Bien que l’on ne puisse à priori exclure de nouvelles méthodes pour le seul motif de leur nouveauté, néanmoins, en ce qui concerne la fécondation artificielle, non seulement il y a lieu d’être entièrement réservé, mais il faut absolument l’écarter. En parlant ainsi, on ne proscrit pas nécessairement l’emploi de certains moyens artificiels destinés uniquement, soit à faciliter l’acte naturel, soit à faire atteindre sa fin à l’acte naturel normalement accompli[15].

Dignité des époux. Domination de l’instinct. - Nous n’avons pas épuisé le riche contenu de notre document. Le Saint-Père expose encore, avec une admirable netteté, les points suivants par où il achève de rectifier les déviations que n’ont pas toujours évitées les catholiques.

L’activité sexuelle réglée, l’exercice de la fonction génératrice, ne sont pas une fin en soi, ni une condition nécessaire, indispen­sable, de l’épanouissement de la personne humaine, même de celle des époux, et c’est une aberration pleine de conséquences graves d’exalter sans mesure une telle activité. [138]

Si légitime que soit le plaisir joint par la nature à l’accomplisse­ment - à tous égards irréprochable - de l’acte conjugal, il est faux que la perfection du mariage et la félicité des époux se mesurent à la quantité de voluptés qu’il procure. Il ne suffit pas de respecter l’intégrité de l’acte, il faut encore dominer l’instinct. Il appartient aux chrétiens, à leurs conseillers-nés, de réagir noblement contre une vague d’hédonisme qui menace de compromettre et de dégrader la dignité des époux.

Si haut et noble que soit l’office de générateurs, « il n’appartient pas à l’essence d’un être humain complet ». Il ne faut pas croire qu’en cas de non-actuation de cette puissance la personne humaine soit diminuée.

Le renoncement à l’exercice de cette fonction, spécialement s’il est inspiré par les plus hauts motifs, n’est pas une mutilation des valeurs personnelles et spirituelles. C’est d’un tel renonce­ment libre par amour du royaume de Dieu que le Seigneur a dit : « Tous ne comprennent pas cette parole, mais seulement ceux à qui cela est donné. »

Exalter outre mesure, comme on le fait souvent aujourd’hui, la fonction générative, même dans la forme juste et morale de la vie conjugale, n’est donc pas seulement une erreur et une aberration, cela porte encore avec soi le danger d’une déviation intellectuelle et affective propre à empêcher les sentiments bons et élevés, spécialement dans la jeunesse encore dépourvue d’expérience et ignorante des déceptions de la vie. Car enfin quel homme normal, sain de corps et d’âme, voudrait faire partie du nombre des déficients de caractère et d’esprit?

Il fallait que cela fût dit. Les enrichissements précieux des époux par le mariage et, dans le mariage, par la paternité et la maternité légitimes, sont essentiellement facultatifs, nullement indispensables à une vie humaine pleine et épanouie. En y renon­çant, loin de se diminuer fâcheusement, l’on peut demeurer ou se rendre plus parfaitement disponible à des activités d’ordre supérieur, source d’enrichissements surnaturels. C’est pourquoi le mariage, quelque perfection naturelle qu’il apporte, n’est de soi en principe une obligation pour personne en particulier, et ne s’impose comme un devoir à certains que pour des raisons spéciales. C’est pourquoi le célibat est légitime ; excellent même, si on le garde pour de nobles motifs humains ; méritoire, si on renonce au mariage, à la maternité et à la paternité selon la chair, en vue d’un meilleur service de Dieu et du prochain. C’est ici le point d’insertion de la doctrine chrétienne évangélique, apostolique, traditionnelle, de la virginité et du célibat ecclésiastique, du voeu de chasteté comme élément constitutif de l’état religieux.

La légitimité du plaisir normalement joint par la nature à l’exer­cice [139] des droits conjugaux ne dispense pas les époux du devoir de se maintenir dans les limites d’une juste modération. Pas plus que dans le boire et le manger, « ils ne doivent s’abandonner sans frein à l’impulsion des sens ».

Voici comment le Pape expose la prétention contraire :

On a pris l’habitude en effet, à laquelle sacrifient même des catholiques, de soutenir, par la parole et par les écrits, la néces­saire autonomie, la fin propre et la valeur propre de la sexualité et de son exercice, indépendamment du but de la procréation d’une nouvelle vie. On voudrait soumettre à un nouvel examen et à une nouvelle loi l’ordre même établi par Dieu. On ne vou­drait admettre d’autre frein dans la manière de satisfaire l’instinct que le respect de l’essence de l’acte instinctif. Ainsi, à l’obligation morale de dominer les passions, on substituerait la licence de servir aveuglément et sans frein les caprices et les poussées de la nature, ce qui ne pourrait, tôt ou tard, que tourner au détriment de la morale, de la conscience et de la dignité humaine.

Si la nature avait visé exclusivement, ou du moins en premier lieu, le don et la possession réciproque des époux dans la joie et le plaisir, et si elle avait institué cet acte seulement pour rendre heureuse, au .plus haut degré possible, leur expérience personnelle, et non pour les stimuler au service de la vie, alors le Créateur eût adopté un autre plan dans la formation et la constitution de l’acte naturel. Celui-ci, au contraire, est en somme tout subordonné à, et orienté vers cette unique grande loi de la génération et de l’éducation de l’enfant, generatio et educatio prolis, c’est-à-dire vers la réalisation de la fin primaire du mariage comme origine et source de la vie.

Hélas ! Des vagues incessantes d’hédonisme envahissent le monde et menacent de submerger sous la marée montante des pensées, des désirs et des actes, toute la vie conjugale, non sans danger sérieux ni grave préjudice pour le devoir pri­maire des conjoints.

Cet hédonisme antichrétien, trop souvent on ne rougit pas de l’ériger en doctrine, inculquant le désir ardent de rendre toujours plus intense la jouissance dans la préparation et la réalisation de l’union conjugale, comme si, dans les rapports matrimoniaux, toute la loi morale se réduisait à l’accomplisse­ment régulier de l’acte même et que tout le reste, de quelque manière qu’il soit fait, se trouvait justifié par l’effusion de l’affection réciproque, sanctifié par le sacrement du mariage, méritant louange et récompense devant Dieu et la conscience. De la dignité de l’homme et de la dignité du chrétien, qui mettent un frein aux excès de la sensualité, on n’a cure.

Eh bien, non ! La gravité et la sainteté de la loi morale chré­tienne n’admettent pas une satisfaction effrénée de l’instinct sexuel, ni une recherche exclusive du plaisir et de la jouissance ; elles ne permettent pas à l’homme raisonnable de se laisser [140] dominer à un tel point, ni quant à la substance, ni quant aux circonstances de l’acte.

Certains voudraient alléguer que la félicité dans le mariage est en raison directe de la jouissance que chacun trouve eu l’autre dans les rapports conjugaux. Non, la félicité dans le mariage est au contraire en raison directe du respect mutuel entre les époux, même dans leurs relations intimes, non certes qu’ils doivent juger immoral et refuser ce que la nature offre et que le Créateur a donné, mais parce que ce respect mutuel et la mutuelle estime sont des plus appréciables éléments d’un amour pur et, par là même, d’autant plus tendre...

Opposez-vous, autant qu’il vous est possible, à l’assaut de cet hédonisme raffiné, vide de valeurs spirituelles et indigne d’époux chrétiens.

La nature a donné, c’est vrai, le désir instinctif du plaisir et elle l’approuve dans les noces légitimes, non cependant comme fin en soi, mais bien en définitive pour le service de la vie. Bannissez de votre esprit ce culte du plaisir et faites de votre mieux pour empêcher la diffusion d’une littérature qui se croit en devoir de décrire dans tous les détails les intimités de la vie conjugale, sous prétexte d’instruire, de diriger et de rassurer. Pour tranquilliser les consciences d’époux timorés, suffisent en général le bon sens, l’instinct naturel et une brève instruction sur les maximes claires et simples de la loi chrétienne. Si dans quelque circonstance spéciale, une fiancée ou une jeune épouse avait besoin de plus amples éclaircissements sur quelque point particulier, il vous appartiendrait de lui donner délicate­ment une explication conforme à la loi naturelle et à la saine conscience chrétienne[16]. [141]

Et le Saint-Père de défendre la doctrine rappelée de toute connexion avec le manichéisme ou le jansénisme.

Ce que nous enseignons ainsi n’a rien à voir avec le manichéisme ni avec le jansénisme, comme quelques-uns veulent le faire croire pour se justifier eux-mêmes. C’est seulement une défense de l’hon­neur du mariage chrétien et de la dignité personnelle des époux.

Non, il n’y a pas la moindre trace de manichéisme ni de jansé­nisme dans une telle doctrine. Il n’y a pas ombre de pessimisme Manuel dans l’Église catholique. S’il y en a eu, à certaines heures, chez certains Pères et chez certains théologiens, en cela échos imparfaits de la raison et de la Révélation, ce temps est passé etne reviendra plus.

Ce qu’il y a, c’est une vue réaliste de l’homme, de sa dignité natu­relle, de la sublimité de sa destinée surnaturelle de grâce et de gloire, des conditions concrètes de la vie des fils d’Adam, déchus de la condition première, rachetés par le second Adam, mais non encore rétablis dans les dons d’intégrité qu’Adam perdit avecla grâce pour lui et pour sa descendance ; un sens exact des blessures profondes de la nature humaine, de la force élevante et médicinale de la grâce sacramentelle conjugale, de sa puissance pour faire vivre les époux d’une manière digne de la vocation à laquelle ils sont appelés.

Si la famille doit survivre aux assauts qui lui sont livrés par les fausses doctrines et les mauvaises moeurs, elle le devra aux ensei­gnements de l’Église et à la docilité avec laquelle ils seront reçus.

                                                            fr. Benoît Lavaud, O. P.


[1]

Notes et références

  1. Discours prononcé à l’audience accordée, le 29 octobre 1951, aux membres du Congrès de l’Union catholique italienne des sages-femmes. Le texte italien a paru dans l’Osservatore Romano du 29-30 Oct., une traduction française dans la Docu­mentation catholique, XLVIII, n.1109 (2 déc. 1951), col. 1473-1494. Je cité ici ma propre traduction de ce document.
  2. Cf. AAS, XLI n. 13 (21 nov. 1949), pp. 557-561.
  3. Dans le discours prononcé le 28 novembre dernier, au cours de l’audience accordée aux participants du congrès du « Front de la famille » et de la Fédération des familles nombreuses d’Italie, et publié dans l’Osservatore Romano du 29 nov. 1951.
  4. C’est ce que le Saint-Père a précisé de nouveau dans son discours du 28 nov. « au Front de la famille » : « Selon l’enseignement constant de l’Église, Nous avons défendu une thèse qui est un des fondements essentiels, non seulement de la morale conjugale, mais encore de la morale sociale en général : à savoir que l’attentat direct à la vie humaine innocente comme moyen dont la fin est, en l’occurrence, de sauver une autre vie, est illicite. La vie humaine innocente, en quelque condition qu’elle se trouve, est soustraite, dès le premier instant de son existence, à toute attaque directe volontaire. C’est là un droit fondamental de la personne humaine et un principe de base de la conception chrétienne de la vie. Il vaut aussi bien pour la vie encore cachée dans le sein de la mère que pour celle qui est déjà apparue au dehors, aussi bien contre l’avortement direct que contre le meurtre direct de l’enfant, avant, pendant et après l’accouchement. Pour fondée que puisse être la distinction entre ces divers moments du développement de la vie, née ou encore à naître, par rapport aux droits profane et ecclésiastique, et à certaines conséquences civiles et pénales, selon la loi morale, il s’agit dans tous ces cas de graves et illicites attentats à la vie humaine inviolable. Ce principe vaut pour la vie de l’enfant comme pour celle de la mère. Mais en aucun cas, l’Église n’a enseigné que la vie de l’enfant doit être préférée à celle de la mère. Il est erroné de poser la question selon cette alternative : ou la vie de l’enfant ou celle de la mère. - Non, ni la vie de la mère, ni la vie de l’enfant ne peuvent être soumises à sois acte direct de suppression. Pour l’une et l’autre partie on ne peut avancer u’une exigence : tenter tous les efforts pour sauver la vie des deux, de la mère C’est une des plus belles et des plus nobles aspirations de la médecine que de chercher toujours de nouvelles méthodes pour assurer la vie de l’un et de l’autre. Et si, malgré tous les progrès de la science, il reste encore et il doit rester dans l’avenir des cas où il faille s’attendre à la mort de la mère, quand celle-ci veut conduire à son terme la vie qu’elle porte en elle et non la détruire en violation du commandement de Dieu : Tu ne tueras pas, - alors rien d’autre ne teste à l’homme jusqu’au dernier [122] instant que de s’efforcer de secourir et de sauver les deux vies, comme aussi de s’in­cliner avec respect devant les lois de la nature et les desseins de la divine Providence. Mais, dira-t-on, la vie de la mère, surtout d’une mère de famille nombreuse, est d’un prix incomparablement supérieur à celle d’un enfant encore à naître... La réponse à cette douloureuse objection n’est pas difficile : l’inviolabilité de la vie d’un innocent ne dépend pas de sa plus ou moins grande valeur. Déjà, il y a plus de dix ans, l’Église a condamné formellement la suppression de la vie estimée « sans valeur ». Or celui qui connaît les tristes antécédents qui provoquèrent cette condam­nation et qui sait peser les conséquences funestes auxquelles on serait amené si l’on voulait mesurer l’inviolabilité de la vie innocente selon sa valeur, celui-là sait bien apprécier les motifs qui ont conduit à cette disposition. Du reste, qui peut décider avec certitude laquelle des deux vies est en réalité la plus précieuse? Qui peut savoir quel chemin suivra cet enfant et quelle éminence d’oeuvres et de perfection il pourra atteindre? On compare ici deux grandeurs alors que l’on ne connaît rien de l’une d’entre elles... Nous avons à dessein toujours employé l’expression : « attentat direct à la vie d’un innocent », «suppression directe ». En effet, si, pour sauver la vie de la future mère, indépendamment de son état de grossesse, il y avait lieu de recourir d’urgence à une intervention chirurgicale ou à toute autre application thérapeutique qui aurait pour conséquence accessoire, en aucune façon voulue ou visée mais inévitable, la mort du foetus, un tel acte ne pourrait plus être considéré comme un attentat direct à la vie innocente. Dans ces conditions, l’opération peut être licite et de même d’autres intervention, médicales semblables : étant bien entendu qu’il s’agit toujours d’un bien de haute valeur tel que la vie, et qu’il n’est pas possible de le renvoyer après la naissance de l’enfant ni de recourir a lui autre remède efficace ».
  5. L’Église n’a jamais pris à son compte aucune opinion particulière de théologien relative à quelque suppléance possible du baptême des enfants par un acte de piété des parents. Pie XII n’y fait même pas allusion. Mais il réaffirme la foi de l’Église dans l’absolue nécessité du baptême reçu réellement ou, pour l’adulte, au moins in voto, par un désir peut-être implicite, mais contenu dans l’acte de charité : Par la naissance charnelle, les hommes ne naissent pas membres du Christ, mais membres d’Adam, membres de la grande communauté pécheresse dont ils ne peuvent sortir que par une agrégation personnelle au Corps mystique du Christ. Le seul moyen de cette agrégation, depuis l’évangile, c’est le sacrement de baptême ou sa suppléance chez les adultes qui sont capables avec la grâce d’un acte personnel de charité. Nisi puis renatus fuerit ex nqua et Spirtu sancto, non potest introire in regnum Dei.
  6. Le même enthousiasme indiscret s’était manifesté à la suite de publications sur les périodes agénésiques. Mais c’était moins malsain.
  7. Éd. du Cerf, Paris, 1948. Il sera recensé ici même, dans le prochain fascicule Cf. du même auteur, Les fins du mariage dans la théologie scolastique, dans Rev. Thom. 1949, 1-2, pp. 289-309.
  8. Voici la traduction du texte de ce décret : «  En ces dernières années ont paru plusieurs publications traitant des fins du mariage, de leur rapport entre elles, de leur subordination les unes aux autres. Les auteurs prétendent, ou bien que la procréation de l’enfant ne serait pas la fin primaire du mariage, ou bien que les fins secondaires ne seraient pas subordonnées à la fin primaire, mais en seraient indépen­dantes. Dans ces publications, on assigne au mariage une fin primaire assez différente suivant les auteurs. Par exemple, pour les uns, c’est le complément et la perfection individuelle des conjoints, résultant de la parfaite communauté de vie et d’action ; pour d’autres c’est l’amour réciproque des époux et leur union à développer et à perfectionner par le don physique et spirituel de leur propre personne ; et autres choses de ce genre. Parfois, dans ces mêmes écrits, on se sert des mots employés par les documents ecclésiastiques (p. e. fin primaire, secondaire), mais en leur attri­buant un sens qui n’est pas celui que leur attribuent communément les théologiens. Cette façon de penser et de parler est de nature à favoriser les erreurs et les équivoques. Dans le dessein de les déjouer, les éminentissimes cardinaux, membres de la Sacrée Congrégation du Saint-Office, préposés à la sauvegarde de la foi et des mœurs ont examiné dans leur assemblée plénière du 29 mars 1944,la question suivante : « Peut-on admettre la doctrine de certains modernes qui, ou bien nie que la procréation et l’éducation de l’enfant soient la fin primaire du mariage, ou bien que les fins secondaires ne sont pas essentiellement subordonnées à la fin primaire mais sont également principales ? Ils ont décidé de répondre : Non, cette doctrine ne peut être admise... (AAS, XXVI, 1944, p 103 : tr. Fr. La Doc. Cath. XLI, 1940-1944, N. S. n. 3)
  9. AAS, XXXIII, 25 Oct. 1941, p. 423
  10. Donc d’une femme non mariée, jeune fille ou veuve.
  11. La femme n’a le droit de concevoir que de son mari. Le mari n’a droit de féconder que sa femme. La pratique en question se réduirait à l’adultère, qui ne perdrait en aucune façon son caractère immoral par le consentement du conjoint : un tel consentement, s’il était donné, s’appellerait, de son vrai nom, complicité.
  12. C’est le producteur des germes qui contracterait l’obligation d’éducation, non l’époux.
  13. On sait que l’impuissance est précisément l’impossibilité d’accomplir l’acte conjugal naturel, que la cause de cette impossibilité soit d’ordre anatomique, phy­siologique ou psychologique. Antécédente au contrat et perpétuelle, elle rend les personnes entre qui elle existe incapables de contracter mariage entre elles. Si elle existe par rapport à toute personne de l’autre sexe elle rend la personne qui en est atteinte inapte au mariage avec qui que ce soit. L’impedimentum impotentiae n’est pas un empêchement établi par l’Église, comme plusieurs autres, qui ne sont donc que de droit ecclésiastique, et dont l’Église peut dispenser, qu’elle peut modifier ou abolir, pour des raisons proportionnées. C’est un empêchement de droit naturel, que l’Église ne peut que reconnaître et déclarer, mais dont elle ne peut dispenser. Il est de la nature même du mariage de ne pouvoir être contracté par deux personnes incapables d’en jamais poser l’acte propre. Quand on constate après coup seulement que l’empêchement durable existait au moment de l’échange des consentements, on ne peut que déclarer nul et de nul effet, comme étant sans objet, cet échange : Il est absurde d’échanger un consentement â l’impossible. Pie XII précise. que la possibilité d’avoir des enfants par fécondation artificielle ne ferait pas disparaître l’empêchement pour deux personnes incapables d’exercer entre elles, le rapport conjugal. Ce n’est pas la présence, possible ou effective, d’enfants qui rend valide un mariage nul par ailleurs, non plus que la stérilité, l’impotentia generandi, n’empêche un mariage d’être valide entre personnes capables d’en poser l’acte spécifique.
  14. Sont contre nature entre autres : la pollution volontairement provoquée, le rapport interrompu ou fraudé avec émission du semen extra vas mulieris, ou même intra avec interposition d’obstacle au contact immédiat avec les muqueuses, fût-ce avec l’intention de mieux assurer ensuite artificiellement la fécondation. Aussi croyons-nous, et avons-nous depuis longtemps soutenu contre d’autres auteurs enclins à plus d’indulgence, le caractère illicite de toute fécondation artificielle, même selon ce dernier procédé. Cf. nos articles : De la fécondation artificielle, dans Le prêtre et la famille, 1939, et Fécondation artificielle, théologie morale et Magistère de l’Eglise à paraître, en allemand,dans Anima, Rev. De pastorale de Fribourg (Suisse).
  15. Il s’agit évidemment, soit des interventions préalables sur l’homme ou la femme présentant quelque anomalie à corriger afin de rendre possible la fécondation naturelle, soit de la propulsion à l’intérieur des voies génitales féminines des germes déposés par rapprochement soit l’intérieur des voies génitales féminines des germes déposés par rapprochement naturel en leur lieu naturel. Dans un cas comme dans l’autre, c’est fécondation naturelle favorisée par l’art, mais non fécondation artificielle proprement dite. Nous avons entendu dire à plusieurs médecins que le tout dernier procédé n’était d’ailleurs guère efficace ou praticable. «  Qu’on n’oublie pas, seule la procréation d’une nouvelle vie, selon la volonté et le plan du Créateur, comporte, à un degré étonnant de perfection, la réalisation des fins poursuivies. Elle est en même temps conforme à la nature corporelle et spirituelle et à la dignité des époux, au développement normal et heureux de l’enfant »
  16. C’est ce que le pape Pie XI disait, dans l’encyclique Divini illius Magistri, lie l’initiation sexuelle impudemment préconisée. II faut également rapprocher de l’avertissement ci-dessus celui que Pie XII donnait l’an dernier aux pères de famille français; en les exhortant à éclairer l’opinion publique sur une littérature et une propagande dissolvantes : « Il est un terrain sur lequel cette éducation de l’opinion publique, sa rectification, s’impose avec une urgence tragique. Elle s’est trouvée sur ce terrain pervertie par une propagande que l’on n’hésiterait pas à appeler funeste, bien qu’elle émane cette fois de source catholique et qu’elle vise à agir sur les catholiques, et même si ceux qui l’exercent ne paraissent pas se douter qu’ils sont, à leur insu, illusionnés pal l’esprit du mal. Nous voulons parler ici d’écrits, livres, articles touchant l’initiation sexuelle, qui souvent obtiennent aujourd’hui d’énormes succès de librairie et inondent le monde entier, envahissant l’enfance, submergeant la génération montante, troublant Ira fiancés et les jeunes époux. Avec tout le sérieux, l’attention, la dignité que le sujet comporte, l’Église a traité le sujet d’une instruction en cette matière, telle que le conseillent ou la réclament tant le développement physique et psychique normal de l’adolescent, que les cas particuliers dans les diverses conditions individuelles. L’Église peut se rendre cette justice que, dans le plus profond respect pour la sainteté du mariage, elle a en théorie et en pratiqué, laissé les époux libres en ce qu’autorise, sans offense du Créateur, l’impulsion d’une nature saine et honnête.­ On reste atterré en face de l’effronterie d’une telle littérature. Alors que devant le secret de l’intimité conjugale, le paganisme lui-même semblait s’arrêter respect (Enéide, ch. IV), il faut en voir violer le mystère et en donner, la vision sou sensuelle et vécue en pâture au grand public, à la jeunesse même. Vraiment, c’est à se demander si la frontière est encore suffisamment marquée entre cette initiation soi-disant catholique et la presse ou illustration érotique et obscène, qui, de propos délibéré, vise la corruption ou exploite honteusement par vil intérêt les plus bas instincts de la nature déchue. Ce n’est pas tout. Cette propagande menace encore le peuple catholique d’un double fléau, pour ne pas employer une expression plus forte. En premier lieu, elle exagère outre mesure l’importance et la portée dans la vie de l’élément sexuel. Accordons que ces auteurs, du point de vue purement théorique, maintiennent encore les limites de la morale catholique. Il n’en est pas moins vrai que leur façon d’exposer la vie sexuelle est de nature à lui donner, dans l’esprit du lecteur moyen et dans son jugement pratique le sens et la valeur d’une fin en soi. Elle fait perdre de vue la vraie fin du mariage, qui est la procréation et l’éducation des enfants, et le grave devoir des époux vis-à-vis de cette fin que les écrits dont nous parlons laissent par trop dans l’ombre. En second lieu, cette littérature, pour l’appeler ainsi, ne semble pas tenir compte de l’expérience générale d’hier, d’aujourd’hui et de toujours, parce que fondée sur la nature, qui atteste que, dans l’éducation morale, ni l’initiation, ni l’instruction ne présente en soi aucun avantage, qu’elle est au contraire gravement malsaine et préjudiciable, si elle n’est fortement liée à une constante discipline, à une vigoureuse maîtrise soi-même, à l’usage surtout des forces surnaturelles de la prière et des sacrements. Tous les éducateurs catholiques dignes de leur nom et de leur mission savent bien le rôle prépondérant des énergies surnaturelles dans la sanctification de l’homme jeune ou adulte, célibataire ou marié. De cela, dans ces écrits, à peine souffle-t-il un mot, si encore on ne le passe pas sous silence. Les principes mêmes que, dans son encyclique Divini illius Magistri, notre prédécesseur Pie XI a si sagement mis en lumière concernant l’éducation sexuelle et les questions connexes sont, triste signe des temps, écartés d’un revers de main ou d’un sourire. Pie XI, dit-on, écrivait cela il y a vingt ans pour son époque. Depuis on a fait du chemin. Mais son enseignement reste valable aujourd’hui comme alors... » Et le Pape invite les pères de famille à s’unir avec d’autres « pour briser et arrêter ces campagnes, de quelque nom et de quelque patronage qu’elles se couvrent et s’autorisent » Cf. La doc. cathol., 1951, p 1280.
Outils personnels
Récemment sur Salve Regina