5ème concile de Latran 1517 : Différence entre versions
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Histoire de l'Eglise | |
Auteur : | Chanoine Adolphe-Charles Peltier |
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Source : | Dictionnaire universel et complet des conciles |
Date de publication originale : | 1847 |
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Difficulté de lecture : | ♦♦ Moyen |
Remarque particulière : | Publié dans l'Encyclopédie théologique de l'abbé Jacques-Paul Migne, tomes 13 et 14. |
Concile de Latran V - 1512 - 1517 - dix-huitième concile œcuménique
Dès que la publication du concile de Pise eut été faite par les cardinaux rebelles (voy. PISE, l'an 1511), le pape Jules II se hâta d'y opposer un concile plus nombreux. Il l'indiqua par une bulle du 18 juillet 1511, pour le 19 avril de l'année suivante, dans l'église de Saint-Jean de Latran. La bulle était en même temps une pièce contradictoire et polémique. Il y réfutait en détail les prétextes qui avaient fait naître l'entreprise des cardinaux séparés de sa cour. Jules prétendait que la conduite qu'il avait tenue avant son pontificat, était un gage de ses désirs sincères pour la célébration du concile ; que depuis son exaltation il avait toujours cherché les occasions de l'assembler ; que dans cette vue il s'était appliqué à pacifier les princes chrétiens ; que les guerres survenues contre son gré n'avaient pour but que le rétablissement de l'autorité du saint-siège dans les terres de l'Église. Il reprochait ensuite aux cardinaux rebelles l'irrégularité de leur conduite, l'indécence qu'il y avait de convoquer l'Église universelle indépendamment de celui qui en était le chef. Il leur remontrait que l'espace de trois mois, qu'ils avaient marqué à tous les évêques pour se rendre à Pise, était un temps trop court, et que cette ville n'avait aucun des avantages qui sont nécessaires pour une assemblée de cette importance. Enfin il défendait à toutes personnes de compter pour quelque chose l'acte des cardinaux, il déclarait interdits tous les lieux où ils oseraient s'assembler. La bulle était terminée par la signature de vingt et un cardinaux.
Quelques jours après, Jules II porta un autre décret, pour inviter les cardinaux fugitifs à rentrer dans le devoir. Le pardon leur était offert, s'ils obéissaient à cette monition dans le terme de cinquante jours, et ils étaient menacés de toutes les peines spirituelles et temporelles, s'ils persistaient dans leur révolte.
Les cardinaux, au lieu de se soumettre, ayant opposé un manifeste à cette bulle, le pape, dans un grand consistoire du 24 octobre, les déclara tous déchus de leurs dignités ; et la bataille de Ravenne, gagnée par les Français le 11 avril 1512, ne lui ayant pas permis d'ouvrir le concile au jour indiqué, il en fit l'ouverture le 3 mai, dans l'église de Latran, avec seize cardinaux et quatre-vingt-trois prélats portant la mitre.
Ire Session. On tint ensuite la première session le 10 mai, ou le même jour de la semaine suivante. Le pape y était en personne, avec quinze cardinaux, et soixante-dix-neuf tant archevêques qu'évêques. On y voyait aussi deux abbés et quatre chefs d'ordres, l'ambassadeur du roi et de la reine d'Espagne, et ceux des républiques de Venise et de Florence. La messe du Saint-Esprit fut célébrée par le cardinal-évêque de Porto, et le sermon prêché par Bernard, archevêque de Spalatro.
Cette première session fut employée à lire la bulle de convocation, et à déclarer les motifs qui avaient fait assembler ce concile : c'était l'extinction du schisme, la réforme à établir dans l'Église, la paix entre les princes chrétiens, et la guerre contre les Turcs. On lut aussi le canon du onzième concile de Tolède (Le P. Richard dit le onzième canon du concile de Tolède ; c'est un non-sens et une erreur tout à la fois. Le canon dont il s'agit est le premier du onzième concile ; et il n'y a point de concile de Tolède qui s'appelle simplement ou par excellence, le concile de Tolède.) sur la modestie et l'union qui doivent régner dans ces sortes d'assemblées, et l'on nomma les officiers du concile.
IIe Session, 17 mai. Le pape présida à la deuxième session, comme à la première. Il s'y trouva de plus huit archevêques ou évêques. Il n'y fut question, en quelque sorte, que du concile de Pise. Le général des dominicains, Thomas Cajétan, harangua vivement contre cette assemblée, et le pape, de l'avis des Pères, la déclara nulle et illégitime. Après ce discours, Balthasar Tuard, secrétaire du pape, monta sur l'ambon, et lut un acte de confédération entre le roi d'Angleterre et le souverain Pontife.
IIIe Session, 3 décembre. La troisième session se fit avec beaucoup d'appareil ; on y reçut l'évêque de Gurck, Matthieu Lang, qui était venu reconnaître le concile au nom de l'empereur. Alexis, évêque de Melfi, prêcha sur l'unité de l'Église, dont il montra la source en Dieu même. Le pape renouvela la bulle qui annulait tout ce qui s'était passé à Pise et ensuite à Milan de la part des cardinaux et des autres prélats rebelles, et qui mettait le royaume de France en interdit. Les députés des évêques absents de Pologne, de Hongrie, de Danemark, d'Espagne, d'Italie et d'autres nations, jurèrent sur l'âme de ceux qui les envoyaient, que ceux-ci étaient légitimement empêchés de se rendre au concile. Le pape entendit leurs raisons et admit leurs excuses.
IVe Session, 10 décembre. La quatrième session eut lieu huit jours après, le 10 décembre de la même année 1512. Avec le pape, qui présidait, il s'y trouva cinq cardinaux-évêques, dix cardinaux-prêtres, dont deux français, quatre cardinaux-diacres, quatre-vingt-dix-sept archevêques ou évêques, quatre abbés et quatre généraux d'ordres : parmi les ambassadeurs, étaient ceux de la Suisse.
Après le discours prononcé par Christophe Marcel, noble Vénitien et notaire apostolique, on lut la procuration de l'ambassadeur de Venise : puis, on attaqua vivement la pragmatique sanction de Charles VII. Ce décret, toujours si mal vu à Rome, avait été confirmé par le roi Louis XII, aussitôt après son avènement à la couronne ; et jusqu'en 1512, plusieurs arrêts du parlement en avaient maintenu l'autorité ; ce qui n'empêchait pas qu'on n'y dérogeât de temps en temps, surtout quand la cour de France était en bonne intelligence avec celle de Rome ; mais enfin la pragmatique passait toujours en loi dans le royaume. Jules II, devenu le conquérant ou le vengeur de presque toute l'Italie, crut qu'il était temps de rétablir pleinement son autorité par rapport aux bénéfices et au gouvernement ecclésiastique. Il fit lire, dans cette quatrième session du concile, les lettres données autrefois par Louis XI pour supprimer la pragmatique. Après quoi un avocat consistorial fit un long discours contre elle, et en requit la destruction totale. Un promoteur du concile demanda que les fauteurs de la pragmatique, quels qu'ils fussent, rois ou autres, fussent cités à comparaître devant le concile, dans le délai de soixante jours, pour faire entendre les raisons qu'ils auraient de soutenir ce décret, si contraire à l'autorité du saint-siège. La requête fut admise par le pape et par tous les Pères du concile, et l'on décerna que l'acte de monition serait affiché à Milan, à Asti et à Pavie, parce qu'il n'était pas sûr de le publier en France.
Les désastres de la guerre avaient cependant inspiré bien de la modestie à tous les ordres de cet État, sans en excepter le roi et toute la famille royale. Le cardinal Philippe de Luxembourg, qui s'était réconcilié avec le pape, lui écrivit d'un style très soumis, le priant de donner la paix à Louis XII, qui rejetait tous les malheurs passés sur les gens de son conseil. Le duc de Valois, l'héritier présomptif de la couronne, joignait ses sollicitations à celles du monarque, et la reine Anne de Bretagne demandait avec larmes la même grâce. Il est vrai qu'elle n'avait jamais pris part elle-même au schisme, non plus que la Bretagne, son État héréditaire.
Ces soumissions portaient la gloire de Jules II à son plus haut période, lorsqu'il fut attaqué d'une fièvre lente, qui le conduisit au tombeau. Il sentit bien que sa fin était proche, ce qui ne l'empêcha pas de pourvoir à la continuation du concile. Il nomma le cardinal d'Ostie pour présider à la cinquième session, et il recommanda d'y publier la seconde monition touchant la pragmatique, afin que cette affaire ne traînât point en longueur. Tout cela se fit à point nommé.
Ve Session. Cette session fut tenue le 16 février 1513, et l'on y décerna de la part du pape et du concile, des peines très sévères à l'effet d'empêcher la simonie dans le futur conclave. Cent trente-cinq prélats, ou cent trente-cinq mitres, comme parlent les actes, assistèrent à cette session, et ce fut la dernière du vivant de Jules II. Elle se termina par la lecture d'une lettre du pape malade, où il rappelait les deux affaires remises à des commissions spéciales, la réforme détaillée de la cour romaine, puis la discussion et le jugement à intervenir sur la pragmatique sanction de France. Et pour que cette dernière affaire se traitât avec toute la maturité convenable, il voulut qu'on citât de nouveau les fauteurs de la pragmatique à comparaître devant le pape et le concile, afin d'y produire les raisons qu'ils prétendaient avoir de la soutenir. Tous les Pères, sans exception, approuvèrent la proposition du pape.
On lut encore dans cette session les lettres d'un grand nombre d'évêques absents, qui exposaient les motifs de leur absence, et nommaient des procureurs pour tenir leurs places. La sixième session fut indiquée pour le 11 avril.
VIe Session, 27 avril. Le pape Jules II étant mort le 21 février, ou cinq jours (Le P. Richard dit six jours après cette session, et Dupin dit le 26 février, ils se trompent l'un et l'autre.) après la cinquième session, Léon X, qui lui succéda, n'eut rien de plus pressé que de citer les Français à comparaître à la session suivante, renvoyée au 27 avril. Elle se tint en effet ce jour-là ; on y compta vingt-deux cardinaux et quatre-vingt-dix prélats mitrés, avec une foule de princes, de nobles et d'ambassadeurs. Le discours fut prononcé par Simon, évêque de Modrusse en Croatie, et son discours eut pour sujet les ravages des Turcs, et la nécessité pour les chrétiens de se réunir contre ces infidèles. Puis l'ambassadeur de Florence présenta ses lettres au nom de sa république, et on les lut à haute voix. Le procureur du concile, faisant ses fonctions à la rigueur, requit ensuite que les procédures commencées contre les Français fussent terminées par l'abolition totale de la pragmatique. Mais on ne lui répondit point ; on se contenta, dans l'intervalle de la sixième et de la septième session, d'établir trois commissions, dont une était chargée d'examiner la pragmatique, une autre de rappeler la paix entre les princes chrétiens, et l'autre enfin de proposer les moyens d'une réforme générale, et jusque dans la cour romaine (C'est ce que nous lisons dans l'Hist. ecclés. du P. Alexandre. M. Rohrbacher a commis ici une inexactitude, en attribuant à la troisième commission, ce qui appartient à la réformation des mœurs, et tout à la fois, aux moyens d'abolir ta pragmatique sanction.)
VIIe Session, 17 juin. Le pape Léon X y présida ; il s'y trouva vingt-deux cardinaux, avec quatre-vingt-six archevêques et évêques, les ambassadeurs de l'empereur Maximilien, des rois d'Espagne, d'Angleterre, de Pologne, des ducs de Savoie, de Milan, de Ferrare, de Mantoue, des républiques de Venise et de Florence. Le discours fut prononcé par Balthasar del Rio, et eut pour objet, comme celui de la session précédente, la défense de la chrétienté contre les Turcs. Le secrétaire du concile lut ensuite les lettres par lesquelles Sigismond, roi de Pologne, Maximilien Sforce, duc de Milan, François, marquis de Mantoue, Stanislas et Jean, ducs de Mazovie et de Russie, accréditaient leurs ambassadeurs auprès du concile général. Puis, ce qui dut causer surtout une grande joie à tous les Pères, le même secrétaire lut les lettres de deux cardinaux du conciliabule de Pise, Bernardin de Carvajal et Frédéric de Saint-Séverin, qui renonçaient au schisme, condamnaient tous les actes de leur prétendu concile, approuvaient au contraire ceux du concile général de Latran, promettaient obéissance au pape Léon, et reconnaissaient que le pape Jules et le concile général les avaient justement retranchés du nombre des cardinaux.
Enfin, Pompée Colonne, évêque de Riéti, lut une bulle du pape, qui citait les Français à comparaître à la première session après le 1er novembre prochain, pour produire leurs défense en faveur de la pragmatique sanction : il fixait également l'époque où la commission nommée pour la réformation de la cour romaine devait présenter son travail, et proposait les moyens à prendre pour ramener la paix entre les princes chrétiens. La bulle fut approuvée de tous les Pères, si ce n'est que l'évêque de Trani trouva trop long le terme donné pour l'abolition de la pragmatique, et pour la réformation de la cour romaine. La session suivante fut indiquée au 22 novembre.
VIIIe Session, 19 décembre (M. Rohrbacher dit le 18 décembre, et le P. Richard le 17 : mais le 14 des calendes de janvier, marqué dans les actes du concile, signifie le 19, et non le 18 ou le 17 du mois, d'après notre manière de compter. Le P. Labbe, et après lui Noël Alexandre, disent que ce jour fut un lundi ; mais Pâques tombant le 24 mars cette année-là, d'après les auteurs de l'Art de vérifier les dates, ce ne pourrait être qu'un jeudi, si c'était réellement 1e 14 des calendes de janvier). La session, ayant été prorogée, ne se tint que près d'un mois plus tard. Il s'y trouva, sous la présidence du pape, cent vingt-cinq Pères, dont vingt-trois cardinaux, quatre-vingt-treize archevêques et évêques, cinq abbés et cinq généraux d'ordres, avec les ambassadeurs de l'empereur Maximilien, des rois de France, d'Espagne et de Pologne, du marquis de Brandebourg et d'autres princes.
Le discours fut prononcé par Jean-Baptiste de Garges, chevalier de Saint-Jean de Jérusalem, ou de Rhodes, qui parla sur la milice chrétienne. Ensuite les ambassadeurs de Louis XII présentèrent 1° l'acte par lequel le roi leur maître adhérait au présent concile de Latran, et renonçait au concile de Pise, qu'il traitait avec raison de conciliabule. On lut cet acte, qui portait entre autres choses que, quoique le roi eût cru avoir de bonnes raisons de convoquer et de soutenir le conciliabule de Pise, comme il avait su néanmoins que le pape Léon X ne l'approuvait pas, et comme ce pape lui avait écrit d'y renoncer lui-même, et de se soumettre à l'autre assemblée à Rome ; attendu que, le pape Jules étant mort, tout sujet de haine avait cessé, et que l'empereur et les cardinaux avaient renoncé audit conciliabule, il y renonçait lui-même, et promettait de faire cesser dans un mois cette assemblée, qui avait été transférée à Lyon.
2° Il y eut dans cette même session des plaintes contre le parlement de Provence, sur ce qu'il empêchait dans son district l'exécution des mandats apostoliques, apparemment ceux qui regardaient la provision des bénéfices. Le promoteur du concile fit des instances pour qu'on procédât contre les magistrats de cette cour par la voie des censures. Le concile ne publia encore à cet égard qu'une monition, portant ordre à ce parlement de se sister à Rome dans l'espace de trois mois ; ce qui n'arriva pourtant point au temps marqué : il se passa même près d'une année avant qu'on répondit à la citation. Le roi ne vit point non plus la fin du procès concernant la pragmatique, et ce fut François Ier qui mit la dernière main à cette importante affaire.
3° On lut un décret contre quelques philosophes qui prétendaient que l'âme raisonnable est mortelle, et qu'il n'y en a qu'une seule dans tous les hommes, contre ce que dit Jésus-Christ dans l'Évangile, qu'on ne peut tuer l'âme, et que celui qui hait son âme en ce monde, la conserve pour la vie éternelle ; et contre ce qui a été décidé par le pape Clément V, dans le concile de Vienne, que l'âme est vraiment par elle-même et essentiellement la forme du corps humain ; qu'elle est immortelle, et multipliée suivant le nombre des corps dans lesquels elle est infuse.
4° On ordonna que tous ceux qui seraient dans les ordres sacrés, après le temps qu'ils ont employé à la grammaire et à la dialectique, passassent encore cinq ans d'étude en philosophie, sans s'appliquer à la théologie et au droit canon.
5° On publia trois bulles. La première adressée aux princes chrétiens, pour les exhorter à la paix et à l'union, et à tourner leurs armes contre les infidèles. La deuxième aux Bohémiens, contenant un sauf-conduit pour les engager à venir au concile. La troisième pour la réformation des officiers de la cour de Rome, touchant les exactions qu'ils commettaient pour les provisions des bénéfices et autres expéditions, au delà de ce qui leur était dû.
IXe Session, 5 mai 1514. Outre le pape Léon X, qui présidait, on y compta cent quarante-trois prélats, dont vingt-cinq cardinaux, cent douze archevêques ou évêques, avec les ambassadeurs de l'empereur, des rois de France, d'Angleterre, de Pologne et de Portugal, du marquis de Brandebourg, des républiques de Venise et de Florence, ainsi que d'autres princes. Parmi les prélats français, nous remarquons l'évêque d'Agen, Léonard, cardinal-prêtre du titre de Sainte-Suzanne ; Claude, évêque de Marseille, ambassadeur du roi de France ; Orland, archevêque d'Avignon ; Denys, évêque de Toulon ; François, évêque de Nantes. Le discours fut prononcé par Antoine Pucci, clerc de la chambre apostolique, et roula sur la réformation. Après ce discours et les prières accoutumées, les ambassadeurs du roi de Portugal vinrent baiser les pieds du pape, et lui présentèrent la procuration de leur maître pour assister au concile en son nom.
Cela fait, le promoteur du concile, Marius de Peruschi, représenta que tous les délais accordés à la nation française et à tous les partisans de la pragmatique sanction étaient expirés, sans que personne de leur part se fût mis en devoir de comparaître pour défendre cette pragmatique ; qu'ainsi il était temps de déclarer la contumace et de porter le décret d'abolition. Sur quoi l'ambassadeur de France, Claude de Seyssel, évêque de Marseille, montra par un acte en bonne forme que les évêques de Châlons-sur-Saône, de Lisieux, d'Angoulême, d'Amiens et de Laon, accompagnés de quatre docteurs et munis de pleins pouvoirs au nom des prélats qui avaient formé l'assemblée de Pise, s'étaient mis en chemin pour venir à Rome ; mais que, arrivés au passage des Alpes, ils n'avaient pu obtenir de sauf-conduits de Maximilien Sforce, qui se disait duc de Milan, ni d'Octavien Frégose, qui prenait la qualité de doge de Gênes. Ne pouvant donc continuer leur voyage, ils avaient pris acte de refus, et l'avaient envoyé à Rome, en informant en même temps le pape qu'ils renonçaient à l'assemblée de Pise, et se soumettaient au concile de Latran ; qu'ils priaient Sa Sainteté de leur pardonner tout le passé, et de recevoir comme une partie de leur pénitence le séjour forcé qu'ils faisaient dans l'abbaye d'Outches, près du Pas de Suze, jusqu'à ce qu'ils pussent obtenir leurs passeports.
L'ambassadeur de Maximilien Sforce, présent au concile, protesta que son maître n'avait point voulu empêcher les évêques français de se rendre à Rome, mais seulement prendre le temps de délibérer à leur sujet. Cependant, comme il était indubitable que la liberté leur avait été ôtée, le pape leva les censures qu'ils pouvaient avoir encourues, avec la clause toutefois qu'ils y retomberaient, s'ils ne se rendaient pas pour la prochaine session. Il y fit publier en même temps une bulle contenant des ordres très précis pour laisser passer tous ceux qui voudraient prendre part au concile.
En attendant que les cinq évêques dont on vient de parler pussent arriver à Rome, d'autres prélats de l'Église gallicane se réconcilièrent en particulier avec le pape Léon X, et demandèrent aussi l'absolution des censures. Tels furent Jean Ferrier, archevêque d'Arles, et François de Rohan, évêque d'Angers et archevêque de Lyon. Le cardinal Briconnet fit de même sa paix, et mourut peu de temps après à Narbonne, après avoir été rétabli par le pape dans toutes ses dignités. Enfin, pour consommer toutes les réconciliations de la France avec le saint-siège, Louis de Forbin, ambassadeur du roi, chargé de la procuration du parlement d'Aix, mit aux pieds du pape la rétractation de cette cour, pour tout ce qu'elle avait pu faire d'opposé aux décrets du saint-siège.
A la fin de cette neuvième session, l'archevêque de Naples lut un ample décret touchant la réformation de la cour romaine, qui contient beaucoup de règlements de discipline.
1° On ne choisira, conformément au décret d'Alexandre III, porté au 3e concile de Latran, que des personnes d'un âge mûr, de mœurs graves et d'une science éprouvée pour occuper les prélatures dans les églises et les monastères. On n'en admettra à titre de commendataires et d'administrateurs, que dans des cas très rares, pour satisfaire au besoin d'une église ou pour récompenser un mérite éminent. Aucun ne sera nommé évêque avant l'âge de vingt-sept ans, ni abbé avant l'âge de vingt-deux : il serait même à désirer que les uns et les autres n'en eussent pas moins de trente. Le cardinal chargé de faire le rapport de l'élection, de la demande ou de la provision de l'église ou du monastère, commencera par en donner connaissance au plus ancien cardinal de chacun des trois ordres ; ceux-ci à leur tour notifieront le même avis aux autres cardinaux de leurs ordres respectifs, et s'il y a des opposants, on entendra leurs raisons avec le rapport des témoins, ou d'autres personnes nommées d'office, en plein consistoire, sans qu'il soit nécessaire au sujet qu'il s'agira de promouvoir, qu'il ait auparavant fait visite à la plus grande partie des cardinaux. Celui-ci cependant, s'il vient à être promu, sera obligé de s'acquitter au plus tôt de cette visite, pour se conformer à un usage ancien et à une coutume louable, qui doit être conservée inviolablement.
2° Aucun évêque ou abbé ne pourra être privé de sa dignité, quelque notoire que puisse être le crime dont il est accusé, et quelque considérable que puisse être aussi la personne qui l'accuse, sans qu'il ait eu auparavant la liberté et les moyens de se défendre, et sans que les parties aient été soigneusement entendues, et la cause pleinement informée. Aucun prélat ne pourra non plus être transféré malgré soi, si ce n'est pour des causes justes et nécessaires, suivant la forme et le décret du concile de Constance.
3° Les commendes étant très préjudiciables aux monastères, tant pour le temporel que pour le spirituel, les abbayes ne pourront, après la mort de leurs abbés, être données en commende que pour la conservation de l'autorité du siège apostolique ; et celles qui sont présentement en commende cesseront d'y être après la mort des commendataires, ou n'y seront mises de nouveau que pour des cardinaux ou d'autres personnes de qualité et de mérite. Les commendataires qui ont une mense séparée de celle des moines céderont le quart de leur mense pour le soutien de la fabrique, l'achat des ornements et le soulagement des pauvres, selon les besoins occurrents ; et ceux dont la mense est commune, abandonneront au monastère le tiers de tous les fruits, déduction faite de toutes autres charges, pour faire face aux mêmes besoins, ou pour aider à la subsistance des moines.
4° Les cures et les dignités dont le revenu ne s'élève pas à deux cents ducats d'or de la chambre apostolique, les hôpitaux, les léproseries et autres maisons de refuge destinées aux pauvres, quelle qu'en soit la valeur, ne seront point données en commende à des cardinaux, à moins qu'elles ne soient pas autrement vacantes que par la mort de leurs familiers : dans ce dernier cas, elles pourront leur être données en commende, mais à condition que, dans un délai de six mois, ils devront les céder à de semblables personnes de leur choix.
5° Il ne sera fait aucun démembrement, ni aucune union, d'églises ou de monastères, ou d'ordres militaires quelconques, que pour des causes raisonnables ou dans des cas permis par le droit. Aucune dispense ne sera accordée pour posséder à la fois plus de deux bénéfices incompatibles, si ce n'est à des personnes qualifiées, d'après le droit commun, ou par des motifs pressants. Ceux qui possèdent à vie plus de quatre cures, ou vicaireries perpétuelles, ou principales dignités, même en commende ou à titre d'union, seront tenus de se réduire avant deux ans au nombre de quatre, et de remettre le reste entre les mains de l'ordinaire, afin qu'il y pourvoie par des nominations de son propre choix, malgré toutes réserves quelconques. Ceux qui laisseront passer ce terme de deux ans sans faire les résignations auxquelles ils sont obligés, seront censés renoncer à tous leurs bénéfices, et de plus, passibles des peines portées par le pape Jean XXII dans l'extrav. Exsecrabilis.
Le pape trace ensuite le règlement des cardinaux, dont voici l'abrégé, donné par M. Audin : " Il veut que la demeure du cardinal soit comme un port, un hospice ouvert à tous les gens de bien, à tous les hommes doctes, à tous les nobles indigents, à toute personne de bonne vie.
" La table du prélat doit être simple, frugale, modeste ; dans sa maison ne régneront ni le luxe ni l'avarice ; ses domestiques seront peu nombreux ; il aura toujours l'œil levé sur eux ; il punira leurs dérèglements, il récompensera leur bonne conduite.
" S'il a des prêtres à son service, ces prêtres seront traités comme des hôtes honorables.
" Vient-on frapper à sa porte, il regardera le client, et refusera, s'il vient solliciter des places et des honneurs, d'être son avocat à la cour : s'il demande justice, au contraire, il intercédera pour lui. Il faut qu'il soit toujours prêt à plaider la cause du pauvre et de l'orphelin.
" S'il a des parents dans le besoin, la justice exige qu'il vienne à leur secours, mais jamais aux dépens de l'Église.
" L'évêque doit résider dans son diocèse, et, s'il en a commis l'administration temporaire à des hommes d'une conduite éprouvée, le visiter au moins une fois chaque année, afin d'étudier les besoins de son Église et les mœurs de son clergé.
" En mourant il n'oubliera jamais que sa fille bien-aimée, l'Église qu'il administrait, a droit aux témoignages de sa reconnaissance.
" Pas de vaine pompe à son enterrement. Le bien qu'il laisse appartient aux pauvres ; ses héritiers (Le texte du décret porte expressément, Les héritiers du cardinal.) ne pourront dépenser au delà de quinze cents florins pour la cérémonie funèbre. "
Il faut lire chaque ligne de ce décret pontifical sur le cardinalat, pour voir avec quel soin Léon X descend jusqu'aux moindres détails qui touchent à la vie intime des prélats dans leurs palais, avec leurs domestiques, avec leurs parents, avec leurs clients, à l'église, dans leur diocèse, à table même.
" Ainsi donc ce n'était pas une réforme qui n'atteignît que le pauvre prêtre dans son église que demandait le concile, mais une réforme qui s'étendît jusqu'au prêtre en robe rouge ou violette : " Le champ du Seigneur, disait-il en 1514, a besoin d'être remué de fond en comble, pour porter de nouveaux fruits. "
" Il faut l'entendre joignant sa voix à celle de l'Allemagne et de la France, et confessant que chaque jour des plaintes arrivent de toutes les parties du monde chrétien sur les extorsions de la chancellerie romaine : Hutten est plus amer, mais non pas plus explicite. Ce que le pape demande en ce jour, ce qu'il demande bien haut, afin qu'on l'entende au delà des Alpes, des Pyrénées, par delà les mers, c'est que désormais le fisc s'amende, qu'il cesse de pressurer ceux qui ont recours à lui, qu'il redevienne ce qu'il était dans les premiers temps de l'Église.
" Mais, pour arriver à cette pureté des temps anciens, il faut que le néophyte qu'on destine aux autels reçoive une éducation chrétienne, chaste et religieuse.
" A Florence, à Rome et dans toute l'Italie, on croyait, à la renaissance, avoir assez fait pour la culture de l'intelligence, quand on avait appris à un écolier à lire Virgile ou Théocrite, à connaître les dieux d'Ovide, à traduire les songes de Platon. Léon X ne veut pas que l'âme se contente désormais de cette nourriture toute sensuelle. Il faut qu'elle sache qu'elle a été créée de Dieu pour l'aimer et le servir ; qu'elle pratique la loi du Christ, qu'elle chante à l'église nos saints hymnes, qu'elle psalmodie à vêpres nos psaumes du prophète-roi, que chaque soir elle lise les faits et gestes de ces héros chrétiens que l'Église inscrivit parmi ses docteurs, ses martyrs et ses anachorètes. Il veut que l'enfant sache par cœur le décalogue, les articles du symbole, son catéchisme enfin ; et que, sous la conduite de leurs maîtres, les élèves, laïques ou clercs, entendent la messe, les vêpres, le sermon, et emploient le dimanche et les jours de fête à célébrer le Seigneur (Hist. de Léon X, par M. Audin, 2e édition). "
Dans le décret qui vient à la suite, et qui a pour titre, Reformationes curiæ et aliorum, les blasphémateurs, les concubinaires et les simoniaques sont condamnés à différentes peines. Un clerc ou un prêtre qui blasphème contre J.-C. ou contre la sainte Vierge, sera privé du revenu de son bénéfice pendant un an, si c'est la première fois ; pour la seconde, il perdra son bénéfice même, ou, s'il en possède plusieurs, celui que l'ordinaire aimera le mieux lui ôter ; pour la troisième, il sera dépouillé de toutes ses dignités comme de tous ses bénéfices, et rendu inhabile à y rentrer jamais. Un laïque blasphémateur, s'il est noble, est condamné à vingt-cinq ducats d'amende pour une première fois, au double en cas qu'il retombe, et à la perte de sa noblesse s'il récidive encore. Mais s'il est roturier, il sera jeté en prison, attaché au pilori à la deuxième récidive, et envoyé aux galères ou retenu en prison à perpétuité s'il commet plus de trois fois le même crime. Le blasphème contre les autres saints sera traité avec un peu plus d'indulgence, à la discrétion du juge qui aura égard à l'état des personnes.
Les juges séculiers qui négligeront de punir les gens convaincus de blasphème, seront soumis aux mêmes peines, comme complices des mêmes crimes.
Tout bénéficier qui, six mois depuis qu'il a obtenu son bénéfice, et sans empêchement légitime, n'a pas récité l'office divin, sera privé des fruits de son bénéfice à proportion du temps qu'il aura été sans le dire, et ces fruits seront employés à l'entretien de la fabrique du bénéfice ou au soulagement des pauvres.
Le même décret défend aux princes séculiers, fussent-ils empereurs, rois ou reines, républiques ou potentats, de séquestrer ou de saisir, ou de détenir, sous quelque prétexte que ce soit, les biens ecclésiastiques sans la permission du pape. Il renouvelle les lois touchant l'exemption des personnes et des biens ecclésiastiques, et la défense d'imposer les clercs. Enfin il ordonne de procéder (Contra eos diligenti inquisitione ubique et indicta curia (Romana) maxime procedatur per judices per nos deputandos. M. Rohrbacher a traduit : Il (le décret) ordonne qu'il sera procédé par les inquisitions contre les hérétiques, etc. " Il n'est pas du tout fait mention dans le décret, comme on peut le voir ici, de ce qui s'appelle proprement l'inquisition.) contre les hérétiques, les Juifs et les relaps, refusant tout espoir de pardon à ces derniers.
L'archevêque de Naples lut ensuite la bulle d'indiction pour la prochaine session, qui fut fixée au premier décembre. Puis il demanda à Sa Sainteté et aux Pères assemblés si les choses contenues dans la cédule, ou dans les bulles qu'il venait de lire, plaisaient à leurs Paternités. Sept seulement firent de légères observations sur certains détails ; et le pape, pour les satisfaire, leur dit qu'on y changerait quelques mots, mais qu'on en laisserait subsister le sens.
Xe Session. La dixième session, marquée d'abord pour le 1er décembre, et puis renvoyée au 23 mars, ne se tint effectivement que le 4 mai 1515. Il s'y trouva, avec le pape, vingt-trois cardinaux et un grand nombre d'archevêques, d'évêques, d'abbés et de docteurs. L'archevêque de Patras en Achaïe, excellent latiniste, fit un discours sur l'importance d'une expédition contre les Turcs, et la négligence impardonnable des princes chrétiens à cet égard. Son invocation à la sainte Vierge était en vers. Après les prières et le chant de l'Évangile, les ambassadeurs du duc de Savoie présentèrent leurs lettres de créance pour assister au concile à la place de leur maître, et baisèrent les pieds du pape. On lut ensuite quatre décrets, dont le premier concerne les monts-de-piété.
" Au moyen âge, dit encore ici M. Audin, l'Italie était en proie à la rapacité des Juifs, qui prêtaient à d'énormes intérêts, et en plein soleil faisaient le métier que certains hommes d'armes en Allemagne pratiquaient à l'entrée d'une forêt, lorsque la nuit était venue.
" Un pauvre moine récollet, nommé Barnabé, sentit son cœur ému à la vue de ces populations pressurées par les Israélites, et il résolut de venir au secours de ses frères. Il monte donc en chaire, à Pérouse, vers le milieu du quinzième siècle, et... propose de faire dans la ville une quête générale dont le produit serait employé à fonder une banque qui viendrait en aide aux indigents. Sans doute que Dieu mit ce jour-là dans la voix du moine quelque chose d'entraînant ; car il était à peine descendu de chaire, que la ville répondait à l'appel de l'orateur... On donna à cette banque le nom de mont-de-piété, c'est-à-dire de masse, parce que les fonds de la banque ne consistaient pas toujours en argent, mais souvent en grains, en épices, en denrées de diverses sortes.
" La chaire chrétienne ne cessait d'exciter le zèle des populations en faveur des monts... Un récollet, du nom de Bernardin Thomitano, né à Feltre, en 1433, se distingua surtout par ses succès. Le peuple le suivait en foule, et écoutait dans le ravissement ses imprécations contre des hommes qu'il appelait des vendeurs de larmes... Il est vrai que ces usuriers étaient sans pitié pour les chrétiens. A Parme, ils tenaient vingt-deux bureaux où ils prêtaient à 20 pour cent ; le succès de la parole du moine s'explique donc facilement. En passant à Padoue, Bernardin de Feltre renversa toutes ces maisons de prêt, entretenues à l'aide des larmes du peuple, et la ville vit bientôt s'élever, grâce à la pitié de quelques hommes riches, une banque où le pauvre put venir emprunter, sur nantissement, au taux de 2 pour cent.
" Un moine se présenta pour renverser l'œuvre de Bernardin...; il appartenait à cet ordre des dominicains qui, suivant l'expression de Mélanchthon, s'était volontairement emprisonné dans la discipline de la primitive Église. Cajetan... ne cherchait pas, comme on le pense bien, à venir en aide aux usuriers ; c'est l'usure au contraire qu'il poursuivait dans l'institution des monts-de-piété. Rigide thomiste, il désapprouvait le prêt à intérêt, quelque forme qu'il revêtît, et accusait formellement les fondateurs de ces banques de désobéissance aux commandements de Dieu et de l'Église. Au fond, les deux moines plaidaient la même cause, celle du pauvre : l'un en attaquant comme usuraire, l'autre en défendant comme charitable la banque populaire. La querelle dura longtemps. Les ordres s'en mêlèrent : celui de Saint-Dominique se distingua par sa polémique toute théologique ; celui des capucins ou des frères-mineurs, par une notion plus profonde des besoins de la société...
" La papauté résolut de terminer des disputes qui troublaient la paix des consciences... Léon X voulait la paix ; le concile de Latran s'occupa donc, à la demande du pape, des monts-de-piété. Les Pères, auxquels la question avait été déférée, étaient connus par leur savoir et leur charité, L'examen fut lent, patient et profond : les livres nombreux des adversaires et des apologistes de ces maisons de prêt furent étudiés et comparés, et quand il ne resta plus aucune objection sérieuse à résoudre, l'autorité parla.
" Léon X, après une brève exposition de la dispute, reconnaît qu'un vif amour de la justice, un zèle éclairé pour la vérité, une charité ardente envers le prochain, ont animé ceux qui soutenaient ou combattaient les monts-de-piété ; mais il déclare qu'il est temps, dans l'intérêt de la religion, de mettre fin à des débats qui compromettent la paix du monde chrétien. " Il définit en conséquence, avec l'approbation du saint concile, que les monts-de-piété, établis en diverses villes, et confirmés par l'autorité du saint-siège, et où l'on reçoit à titre d'indemnité une somme modérée avec le capital, sans que les monts eux-mêmes en profitent, ne présentent point d'apparence de mal, ni d'amorce au péché, ni rien qui les fasse improuver, mais qu'un tel prêt est au contraire méritoire et digne de louange, qu'il n'est nullement usuraire, et qu'il est permis de les faire valoir devant le peuple comme charitables et enrichis d'indulgences concédées par le saint-siège ; qu'on pourra dans la suite en ériger d'autres semblables avec l'approbation du siège apostolique ; que ce serait cependant, ajoute le décret, une œuvre beaucoup plus parfaite et beaucoup plus sainte, si l'on établissait des monts-de-piété purement gratuits, c'est-à-dire si leurs fondateurs y attachaient en même temps des revenus, pour payer en tout ou en partie les gages des gens de service qu'on y emploie. Il finit en déclarant excommuniés par le fait même, tous ceux qui oseraient à l'avenir disputer de vive voix ou par écrit contre les termes de cette définition.
Dans le second décret, qui concerne les exemptions ecclésiastiques et l'affermissement de l'autorité épiscopale, le pape décide que les chapitres exempts ne pourront se prévaloir de leur exemption pour vivre d'une manière peu régulière et éviter la correction des supérieurs. Ceux à qui le saint-siège en a commis le soin puniront les coupables ; s'ils négligent de le faire, ils seront avertis de leur devoir par les ordinaires ; et si, après avoir été avertis, ils refusent de punir ceux qui sont en faute, les ordinaires pourront, dans ce cas, instruire le procès et l'envoyer au saint-siège. On permet aux évêques diocésains de visiter une fois l'année les monastères de filles soumis immédiatement au saint-siège, suivant la constitution publiée au concile de Vienne. On déclare nulles à l'avenir les exemptions qui seront données sans juste cause et sans l'appel préalable des personnes intéressées ; on accorde cependant le droit d'exemption aux protonotaires et aux commensaux des cardinaux. On ordonne que les causes concernant les bénéfices qui ne seront pas réservés et dont le revenu n'excède pas vingt-quatre ducats, soient jugées par les ordinaires en première instance, et qu'on ne puisse appeler de leur jugement avant qu'il y ait une sentence définitive, si ce n'est que l'interlocutoire contienne un grief que cette sentence ne puisse réparer. Que si l'un des plaideurs redoute le crédit de son adversaire, ou s'il a quelque raison particulière dont il puisse faire une demi-preuve autre que le serment, les causes seront portées, même en première instance, à la cour de Rome. On fait défense aux princes de molester les ecclésiastiques, de s'emparer des biens d'église, d'obliger les bénéficiers à les leur vendre ou à les leur céder à bail emphytéotique. Enfin on enjoint aux métropolitains de tenir tous les trois ans des conciles provinciaux, et aux évêques d'assembler leurs synodes, sous les peines portées par les canons.
Le troisième décret a pour objet l'impression des livres ; nous allons le rapporter en entier, en empruntant encore ici la plume de M. Audin.
" Parmi les sollicitudes qui nous pressent, une des plus vives et des plus constantes est de pouvoir ramener dans la voie de la vérité ceux qui en sont éloignés, et de les gagner à Dieu, avec le secours de sa grâce. C'est là, sans contredit, l'objet de nos plus sincères désirs, de nos affections les plus tendres, de notre vigilance la plus empressée.
" Or nous avons appris, par des plaintes élevées de toutes parts, que l'art de l'imprimerie, dont l'invention s'est perfectionnée de nos jours, grâce à la faveur divine, quoique très propre, par le grand nombre de livres qu'il met, sans beaucoup de frais, à la disposition de tout le monde, à exercer les esprits dans les lettres et les sciences, et à former des érudits dans toutes sortes de langues, dont nous aimons à voir la sainte Église romaine abonder, parce qu'ils sont capables de convertir les infidèles, de les instruire et de les réunir par la doctrine chrétienne à l'assemblée des fidèles, devenait pourtant une source d'abus par la téméraire entreprise des maîtres de cet art ; que, dans toutes les parties du monde, ces maîtres ne craignent pas d'imprimer traduits en latin, du grec, de l'hébreu, de l'arabe, du chaldéen, ou nouvellement composés en latin et en langue vulgaire, des livres contenant des erreurs même dans la foi, des dogmes pernicieux et contraires à la religion chrétienne, des attaques contre la réputation des personnes même les plus élevées en dignité, et que la lecture de tels livres, loin d'édifier, enfantait les plus grands égarements dans la foi et les mœurs, faisait naître une foule de scandales et menaçait le monde de plus grands encore.
" C'est pourquoi, afin qu'un art si heureusement inventé pour la gloire de Dieu, l'accroissement de la foi et la propagation des sciences utiles, ne soit pas perverti en un usage contraire et ne devienne pas un obstacle au salut pour les fidèles du Christ, nous avons jugé qu'il fallait tourner notre sollicitude du côté de l'impression des livres, pour qu'à l'avenir les épines ne croissent pas avec le bon grain, et que le poison ne vienne pas se mêler au remède. Voulant donc pourvoir aux moyens les plus propres, avec l'approbation de ce saint concile, pour que l'art de l'imprimerie prospère avec d'autant plus de bonheur qu'on apportera dans la suite plus de vigilance et qu'on prendra plus de précautions ; nous statuons et ordonnons que, dans la suite et dans les temps futurs, personne n'ose imprimer ou faire imprimer un livre quelconque dans notre ville, dans quelque cité ou diocèse que ce soit, qu'il n'ait été examiné avec soin, approuvé et signé à Rome, par notre vicaire et le maître du sacré palais, et dans les diocèses par l'évêque ou tout autre délégué par lui, et ayant la science compétente des matières traitées dans l'ouvrage, sous peine d'excommunication. "
Enfin il y eut un quatrième décret, touchant le dernier terme donné aux Français pour qu'ils produisissent les raisons qu'ils avaient de s'opposer à l'abolition de la pragmatique sanction. On décerna contre eux une citation péremptoire et finale, pour que tous les évêques, abbés et ecclésiastiques que cela regardait eussent, à comparaître avant le 1er octobre : passé ce terme, il serait procédé à un jugement définitif, et les personnes en défaut condamnées par contumace dans la session la plus prochaine. Ce décret ayant été lu, le seigneur de Forbin, un des ambassadeurs de France, représenta humblement au pape que les prélats du royaume avaient été empêchés de se rendre au concile par les ennemis de leur patrie, à qui les censures portées dans la bulle In cœna Domini n'avaient pas fait peur. Le pape répondit à l'ambassadeur qu'ils pouvaient venir par Gênes, qu'il leur avait ménagé pour ce trajet des sauf-conduits, et qu'il leur en procurerait d'autres, s'il le fallait, plus sûrs encore, et qu'ainsi sa décision demeurerait invariable.
XIe Session. La onzième session ne se tint que le 19 décembre 1516. Le pape Léon X y présida. Comme il y avait beaucoup d'affaires à traiter, on ne dit qu'une messe basse, sans discours. Les députés de Pierre, patriarche des Maronites du mont Liban, furent ensuite admis à prêter en son nom obéissance au souverain pontife. La lettre du patriarche fut lue à haute voix, en arabe par l'un des députés, et en latin par André, secrétaire du concile. Elle contenait une profession de foi, où il reconnaissait avec sa nation que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils comme d'un unique principe et par une spiration aussi unique ; qu'il y a un purgatoire ; qu'il faut se confesser de ses péchés au moins une fois l'an à son propre pasteur, et recevoir l'eucharistie au temps de Pâques. Le patriarche remercie le Saint-Père de ce qu'il a bien voulu lui envoyer Jean François de Potenza, frère-mineur, pour lui enseigner certains points de la foi catholique et l'instruire des cérémonies que les Maronites omettaient d'observer. Il témoigne que ce religieux s'est dignement acquitté de sa commission, et qu'il le renvoie avec ses propres députés pour jurer obéissance et fidélité au saint-siège, tant en son nom, qu'en celui de son clergé et du peuple maronite, et pour témoigner de l'oppression dans laquelle ils gémissent sous le pouvoir des infidèles. Cette lettre était datée du 14 février 1515, et du monastère de Sainte-Marie de Canobin au mont Liban.
Ensuite Jean, évêque de Reval, ambassadeur du marquis de Brandebourg, lut un décret du pape concernant les règles que doivent suivre les prédicateurs en annonçant la parole de Dieu. " Chargé par le Seigneur lui-même d'avoir les yeux ouverts sur tout le troupeau, nous devons veiller à ce que l'office important de la prédication soit exercé selon le modèle que notre Rédempteur nous a présenté le premier, et que les douze apôtres, dont nous sommes les successeurs, ont suivi après lui. Quelques prédicateurs cependant, ne faisant pas attention qu'ils remplissent la fonction de Jésus-Christ même, celle des apôtres et des saints docteurs, et qu'ils ne doivent rien dire aux peuples que d'utile pour l'extirpation des vices, l'acquisition des vertus et le salut des âmes, flattent les oreilles par des paroles vaines, corrompent le sens des saintes Écritures, en donnent des interprétations téméraires, représentent de grands malheurs comme prochains, sans avoir pour l'assurer aucune raison solide, et ce qui est plus intolérable encore, donnent leurs pronostics pour des inspirations de l'Esprit-Saint, leurs visions pour des clartés célestes. En conséquence avec l'approbation du saint concile, nous statuons et ordonnons qu'à l'avenir aucun clerc séculier ou régulier ne soit admis aux fonctions de prédicateur, quelque privilège qu'il prétende avoir, qu'il n'ait été auparavant examiné sur ses mœurs, son âge, sa doctrine, sa prudence et sa probité ; qu'on ne prouve qu'il mène une vie exemplaire, et qu'il n'ait l'approbation de ses supérieurs en bonne forme et par écrit.
" Cependant, comme l'Apôtre nous recommande de ne pas éteindre l'esprit, on observera désormais la règle suivante. Les révélations et les inspirations particulières, avant d'être rendues publiques, ou prêchées au peuple, sont réservées à l'examen du siège apostolique. Si la chose ne peut attendre si longtemps, on les déférera à l'ordinaire du lieu, qui, après les avoir examinées avec le conseil de trois ou quatre personnages graves, pourra sous sa responsabilité en permettre la publication. Les contrevenants, outre les autres peines, encourront l'excommunication, dont ils ne pourront être relevés que par le pontife romain. " Ce décret, ayant été lu dans le concile, fut approuvé de tous les Pères.
Cela fait, Maxime, évêque d'Iserni, monta sur l'ambon, et lut le concordat de Léon X avec François Ier. Dans une cédule préliminaire, le pape rappelle que ce concordat ayant été passé et réglé par lui, avec le conseil de ses cardinaux, avait par cela seul une pleine et entière validité ; et que s'il y revient encore pour l'approuver de nouveau et y joindre l'approbation du saint concile, c'est afin de lui donner plus de stabilité, et pour que les rois et leurs sujets puissent jouir avec plus de sécurité des privilèges qui y sont contenus. Le but de cet acte, substitué à la pragmatique sanction, est de resserrer l'unité catholique, et de faire que l'Église ne se serve que des canons publiés par le pontife romain et les conciles généraux. Pour le concordat lui-même, en voici le préambule.
" La primitive Église fondée par Jésus-Christ sur la pierre angulaire, élevée par la force de la parole apostolique, consacrée et cimentée par le sang des martyrs, n'a pas plutôt commencé avec l'aide du Seigneur à s'étendre dans l'univers, que considérant avec attention quel fardeau elle avait à soutenir, quel immense troupeau elle avait à sa charge, elle a par une inspiration divine institué les paroisses, divisé les diocèses, créé des évêques, préposé des métropolitains, afin que tous obéissent dans le Seigneur à la même volonté, comme des membres à leur chef, et que, comme des ruisseaux découlant d'une source intarissable, qui est l'Église romaine, ils portassent la fertilité dans tous les coins du champ du Seigneur. De même donc que les autres pontifes romains, nos prédécesseurs, ont apporté de leur temps tous leurs soins pour que cette Église fût unie et conservée sans ride et sans tache dans cette sainte union ; nous aussi, au temps où nous sommes et durant ce concile, nous devons faire et procurer ce qui pourra servir à l'union et à la conservation de cette même Église. C'est pourquoi nous cherchons à ôter et à faire disparaître toutes les épines qui empêchent cette union, ou qui nuisent à la multiplication de la divine semence. "
Ici la bulle rappelle tout ce qui a été fait par les papes Pie II, Sixte IV, Innocent VIII, Alexandre VI et Jules II enfin, pour l'abrogation de la pragmatique sanction ; puis elle donne le détail des dispositions du concordat qui doit en prendre la place.
Le 1er article est entièrement contraire à la pragmatique : celle-ci avait rétabli le droit des élections ; au lieu que le concordat porte que les chapitres des églises cathédrales de France ne feront plus à l'avenir l'élection de leurs prélats, lorsque le siège sera vacant ; mais que le roi nommera au pape, dans l'espace de six mois, à compter du jour de la vacance du siège, un docteur ou licencié en théologie âgé au moins de vingt-sept ans, et que le pape le pourvoira de l'église vacante. Que si le roi ne nomme pas une personne capable, il en nommera une autre trois mois après avoir été averti, à compter du jour de son refus ; à défaut de quoi le pape y pourvoira.
2° Par ce traité le pape se réserve la nomination des évêchés vacants in curia (c'est-à-dire des bénéficiers qui meurent en cour de Rome) sans attendre la nomination du roi.
Le 2e article porte l'abrogation de toutes les grâces expectatives, et les réserve pour les bénéfices qui vaqueront.
Le 3e établit le droit des gradués, et porte que les collateurs seront tenus de donner la troisième partie de leurs bénéfices aux gradués, ou plutôt, qu'ils nommeront des gradués aux bénéfices qui viendront à vaquer dans quatre mois de l'année : c'est-à-dire, en janvier et juillet, à ceux qui auront insinué leurs lettres de grade et le temps de leurs études, ce qu'on appelle les mois de rigueur ; en avril et octobre, aux gradués seulement nommés, c'est-à-dire, qui n'auront pas fait insinuer leurs grades, ce qu'on appelle mois de faveur. Le temps d'études nécessaire est fixé à dix ans pour les docteurs, licenciés ou bacheliers en théologie ; à sept ans pour les docteurs et licenciés en droit canonique ou civil, et en médecine, et à cinq ans pour les maîtres et licenciés ès-arts ; à six ans pour les bacheliers simples en théologie, à cinq ans pour les bacheliers en droit canonique ou civil, et, s'ils sont nobles, à trois ans seulement.
Il est dit qu'ils seront tenus de notifier leurs lettres de grade et de nomination une fois avant la vacance du bénéfice, par des lettres de l'université où ils auront étudié, et les nobles tenus de justifier de leur noblesse, et tous les gradués de donner, tous les ans en carême, copie de leurs lettres de grade, de nomination, d'attestation d'études, aux collateurs ou patrons ecclésiastiques, et d'insinuer leurs noms et leurs surnoms, et en cas qu'ils aient omis de le faire une année, ils ne pourront requérir dans cette année-là, en vertu de leurs grades, le bénéfice vacant. Que si aucun gradué n'a insinué, la collation sera libre au collateur, pourvu que le bénéfice ne vaque pas entre la première insinuation et le carême.
Les collateurs, dans les mois de faveur, pourront choisir ceux qu'ils voudront entre les gradués nommés, mais dans les deux mois de rigueur ils seront obligés de le donner au plus ancien nommé, et en cas de concurrence les docteurs seront préférés aux licenciés, les licenciés aux bacheliers, à l'exception des bacheliers formés en théologie, qui seront préférés aux licenciés en droit ou en médecine, et les bacheliers en droit aux maîtres ès-arts.
On appelait bacheliers formés ceux qui n'avaient point pris leurs degrés avant le temps, mais selon la forme des statuts, et après dix ans d'étude.
Dans la concurrence de plusieurs docteurs ou licenciés, la théologie passera la première ; ensuite le droit canonique, le droit civil et la médecine, et en cas de concurrence égale l'ordinaire pourra gratifier celui qu'il voudra. Il faut encore que les gradués expriment, dans leurs lettres de nomination, les bénéfices qu'ils possèdent déjà et leur valeur ; que, s'ils en ont de la valeur de deux cents florins de revenu, ou qui demandent résidence, ils ne pourront obtenir d'autres bénéfices en vertu de leurs grades. Au reste, les bénéfices réguliers seront toujours donnés aux réguliers, et les séculiers aux séculiers, sans que le pape en puisse dispenser. Les résignations et permutations seront libres dans les mois des gradués. Les cures des villes seront données à des gradués. Enfin, on défend aux universités de donner des lettres de nomination à d'autres qu'à ceux qui auront fait le temps prescrit des études.
La différence du concordat et de la pragmatique sanction, dit le P. Richard, est que celle-ci obligeait tous les collateurs et patrons ecclésiastiques à tenir des rôles exacts de tous les bénéfices qui étaient à leur disposition, afin d'en conférer de trois l'un aux gradués, à tour de rôle ; au lieu que le concordat, en conservant ce droit, a seulement ôté ce tour de rôle, et a affecté aux gradués les bénéfices qui vaqueraient pendant les quatre mois de l'année marqués ci-dessus, et ce droit a subsisté jusqu'à l'époque de la révolution.
Le 4e article déclare que le pape pourra pourvoir à un bénéfice, quand le collateur en aura dix à conférer, et à deux quand il en aura cinquante, pourvu que ce ne soit pas deux prébendes de la même église, et que dans cette collation le pape aura le droit de prévenir les collateurs ordinaires. La juste valeur du bénéfice doit être exprimée dans les provisions ; autrement la grâce serait nulle.
Le 5e concerne les causes et les appellations : il est conforme à la pragmatique. Il y est dit que les causes doivent être terminées sur les lieux par les juges à qui il appartient de droit, par coutume ou par privilège, de connaître, à l'exception des causes majeures qui sont exprimées dans le droit, avec défense d'appeler au dernier juge, omisso medio, ni d'interjeter appel avant la sentence définitive, si ce n'est que le grief de la sentence interlocutoire ne se pût réparer au définitif.
Les cinq articles suivants sont en tout semblables à ceux de la pragmatique ; savoir, le 6e, des possesseurs paisibles ; le 7e, des concubinaires ; le 8e, du commerce avec les excommuniés, qu'on n'est pas obligé d'éviter en certains cas ; le 9e, des interdits ; le 10e regarde le décret de sublatione Clementinæ Litteris. Quant aux deux articles de la pragmatique concernant les annates et le nombre des cardinaux, le concordat n'en fait aucune mention.
Léon X crut devoir ensuite détruire la pragmatique par une bulle expresse ; cette bulle est ainsi conçue : " Léon, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, pour la perpétuelle mémoire, avec l'approbation du saint concile.
" Le pasteur éternel, qui jamais n'abandonnera son troupeau, a tellement aimé l'obéissance, suivant le témoignage de l'Apôtre, que, pour expier la désobéissance de notre premier père, il s'est humilié, en se rendant obéissant jusqu'à la mort. Et près de quitter le monde pour retourner au Père, il a institué pour ses lieutenants Pierre et ses successeurs, auxquels, d'après le livre des Rois, il est tellement nécessaire d'obéir, que qui ne leur obéit pas doit mourir de mort. Et, comme il est dit ailleurs : Celui-là ne peut être dans l'Église, qui abandonne la chaire du pontife romain ; car, selon saint Augustin et saint Grégoire, l'obéissance seule est la mère et la gardienne de toutes les vertus : seule elle possède le mérite de la foi ; sans elle, on est convaincu d'être infidèle, parût-on fidèle au dehors.
" C'est pourquoi ce que les pontifes romains, nos prédécesseurs, ont entrepris, principalement dans les saints conciles, pour le maintien de cette obéissance, ainsi que pour la défense de l'autorité et de la liberté ecclésiastique et du saint-siège, nous devons employer tous nos soins à le continuer et à le mener à bonne fin, et à délivrer les âmes simples, dont nous aurons aussi à rendre compte à Dieu, des pièges qui leur sont tendus par le prince des ténèbres. Or, notre prédécesseur, d'heureuse mémoire, le pape Jules II, ayant assemblé pour des causes très légitimes le saint concile de Latran, du consentement de ses frères les cardinaux, au nombre desquels nous étions, et considérant avec le concile que la corruption accomplie à Bourges, au royaume de France, qu'ils appellent Pragmatique Sanction, était encore maintenue, au grand péril et scandale des âmes, au détriment et au mépris de la dignité du siège apostolique, il choisit, avec l'approbation du même concile, un certain nombre de cardinaux et de prélats pour l'examiner. Et quoiqu'elle parût notoirement nulle par beaucoup d'endroits, qu'elle entretînt un schisme manifeste dans l'Église, et qu'on pût, sans aucune citation préalable, la déclarer nulle et invalide de soi ; néanmoins, pour plus grande précaution, notre prédécesseur voulut citer auparavant les prélats français, les chapitres des églises et des monastères, les parlements et autres laïques qui en prenaient la défense ou en faisaient usage : les monitoires furent affichés le plus près qu'il fut possible de leur contrée, aux portes des églises de Milan, d'Asti et de Pavie ; mais cette affaire n'ayant pu être terminée du vivant de notre prédécesseur, qui mourut sur ces entrefaites, nous avons cru devoir la reprendre, et citer par différentes monitions les parties intéressées, et prolonger le terme en différentes sessions, aussi loin qu'il nous a été possible, sans qu'aucun ait comparu pour alléguer les raisons qui leur sont favorables.
" C'est pourquoi, considérant que cette pragmatique sanction ou plutôt cette corruption sortie de Bourges a été dressée dans un temps de schisme par des gens sans pouvoir ; qu'elle n'est nullement conforme aux autres parties de la république chrétienne et de la sainte Église de Dieu ; que déjà elle a été révoquée, cassée et abolie par le roi très-chrétien Louis XI ; qu'elle viole et diminue l'autorité, la liberté et la dignité du siège apostolique et du pontife romain, etc., nous jugeons ne pouvoir en différer davantage l'annulation totale, sans exposer notre salut éternel et celui des Pères de ce concile. Et comme notre prédécesseur Léon Ier, de qui nous suivons les traces autant que nous pouvons, fit révoquer dans le concile de Chalcédoine ce qui avait été fait témérairement à Éphèse contre la justice et la foi catholique, de même nous ne croyons pouvoir nous abstenir de révoquer une sanction aussi coupable sans blesser notre conscience et notre honneur, ainsi que celui de l'Église.
" Et nous ne devons pas nous arrêter à ce que ladite sanction a été dressée dans le concile de Bâle et acceptée dans l'assemblée de Bourges ; car c'est après la translation du concile de Bâle par Eugène IV que ces choses ont été faites par le conciliabule ou plutôt le conventicule de Bâle, qui ne méritait plus le nom de concile, et ainsi elles n'ont pu avoir aucune force.
" D'ailleurs, que le pontife romain, comme ayant autorité sur tous les conciles, ait plein droit et puissance de les indiquer, transférer et dissoudre, cela se prouve manifestement, non seulement par le témoignage de l'Écriture sainte, les paroles des saints Pères et des autres pontifes romains, nos prédécesseurs, ainsi que les décrets des saints canons, mais encore par la confession des conciles mêmes. "
A cet endroit de son histoire, dit M. Rohrbacher, le continuateur janséniste de Fleury fait cette observation bénévole : " Le pape eût été bien embarrassé de produire ces autorités : aussi n'était-ce pas ce qu'il cherchait ; il ne voulait qu'éblouir et l'emporter. " Mais le continuateur de Fleury a pu lire dans Fleury même plusieurs de ces autorités. Ainsi, livre XII, numéro 10, à l'occasion d'un concile particulier tenu à Antioche l'an 341, Socrate, historien grec, qui écrivait au Ve siècle, le taxe d'irrégularité en ce que personne n'intervint à ce concile au nom du pape Jules ; il en donne pour raison qu'il y avait un canon qui défendait aux Églises de rien ordonner sans le consentement de l'évêque de Rome. L'historien grec Sozomène, saint Théodore Studite et d'autres Grecs disent la même chose. Ce n'est pas tout. Quand le continuateur nous dit avec tant d'assurance : " Le pape eût été bien embarrassé de produire ces autorités, " c'est une escobarderie janséniste dont un honnête homme ne se douterait guère. Car ces autorités qu'il défie le pape de produire, le pape les produit dans un long alinéa, mais que le continuateur janséniste a la prudence de supprimer, pour mettre en place un perfide mensonge. Voici en quels termes le pape produit ces autorités :
" Il nous a semblé bon d'en rapporter quelques-unes, et de passer sous silence les autres, comme étant connues de tout le monde. Le concile d'Alexandrie, sous saint Athanase, d'après ce que nous lisons, écrivit au pape Félix : Que le concile de Nicée avait statué qu'on ne devait point célébrer de concile sans l'autorité du pontife romain. Nous n'ignorons pas non plus que le même saint Léon transféra le second concile d'Éphèse à Chalcédoine ; que le pape Martin V donna à ceux qui présidaient en son nom au concile de Sienne le pouvoir de le transférer, sans mentionner aucunement le consentement du concile ; que le premier concile d'Éphèse a témoigné le plus grand respect à notre prédécesseur le pape Célestin, celui de Chalcédoine à Léon, le sixième à Agathon, le septième à Adrien, le huitième à Nicolas et à Adrien II, et qu'ils ont respectueusement et humblement obéi aux institutions de ces mêmes pontifes, publiées dans leurs assemblées. C'est pourquoi le pape Damase et les autres évêques assemblés à Rome, écrivant aux évêques illyriens touchant le concile de Rimini, attestent que le nombre des évêques qui s'étaient trouvés à Rimini ne pouvait faire aucun préjudice, par la raison que le pontife romain, dont il faut avant tout considérer le décret, n'y a point donné de consentement : on voit que saint Léon, écrivant aux évêques de Sicile, était du même sentiment. Ensuite les Pères de ces anciens conciles, pour la corroboration de leurs actes, avaient coutume d'en demander humblement la souscription et l'approbation au pontife romain, comme on le voit par les actes de ceux de Nicée, d'Éphèse, de Chalcédoine, du sixième à Constantinople, du septième à Nicée, et du concile romain sous Symmaque, ainsi que dans le livre d'Aimar sur les conciles. Enfin, tout dernièrement, les Pères de Constance ont fait la même chose. Si ceux qui composaient l'assemblée de Bâle et celle de Bourges avaient voulu suivre cette louable coutume, nous serions certainement quittes de cet embarras. "
On voit maintenant si le pape était embarrassé de produire des autorités, et des autorités décisives et qui tombent d'aplomb sur les assemblées téméraires de Bâle et de Bourges.
" Désirant donc finir cette affaire, conclut le pape, de notre science certaine et par la plénitude de notre puissance et autorité apostolique, avec l'approbation du saint concile, nous déclarons que la pragmatique sanction, ou plutôt corruption, n'a eu ni n'a aucune force. En outre, pour plus grande sûreté et précaution, nous la révoquons, la cassons, l'abrogeons, l'annulons, la condamnons, avec tout ce qui s'est fait en sa faveur. Et comme il est nécessaire au salut que tout fidèle soit soumis au pontife romain, suivant la doctrine de l'Écriture et des saints Pères, et la constitution du pape Boniface VIII, qui commence par ces mots : Unam sanctam, nous renouvelons cette constitution avec l'approbation du présent concile, sans préjudice toutefois de celle de Clément V qui commence par Meruit ; défendant, en vertu de la sainte obéissance et sous les peines et censures marquées plus bas, à tous les fidèles, laïques et clercs, etc., d'user à l'avenir de cette pragmatique, ni même de la conserver, sous peine d'excommunication majeure et de privation de tous bénéfices et fiefs ecclésiastiques. "
Cette bulle ayant été lue, tous les Pères du concile y donnèrent leur approbation, à l'exception d'un seul, l'évêque de Tortone, qui n'agréait pas la révocation de ce qui s'était fait à Bâle et à Bourges.
On lut ensuite une autre bulle touchant les privilèges des religieux. Le pape y ordonne que les ordinaires aient droit de visiter les églises paroissiales qui appartiennent à des réguliers, et de célébrer la messe dans les églises des monastères. Les réguliers seront obligés de venir aux processions solennelles quand ils y seront mandés, pourvu que leurs maisons ne soient pas éloignées de plus d'un mille des faubourgs de la ville. Les supérieurs des religieux sont tenus de présenter aux évêques ou à leurs grands vicaires les frères qu'ils veulent employer à entendre les confessions et à la prédication ; les ordinaires ont droit de les examiner sur leur doctrine et sur la pratique des sacrements ; ceux qui se seront confessés à ces religieux approuvés de l'ordinaire, ou refusés sans raison, seront censés avoir satisfait au canon Utriusque sexus, quant à la confession seulement ; ces religieux pourront entendre les confessions des étrangers, mais ils ne pourront absoudre les laïques ou les clercs séculiers des sentences ab homine, ni administrer les sacrements de l'eucharistie et de l'extrême-onction aux malades, à moins qu'on ne les leur ait refusés sans juste cause, et que ce refus soit prouvé par témoins ou par une réquisition faite devant un notaire ; ils pourront les administrer à leurs domestiques, pourvu qu'ils soient actuellement à leur service.
Le pape entre ensuite dans un plus grand détail de ce qui regarde les mêmes religieux. Il veut, par exemple, que les traités qu'ils auront faits pour un temps avec les prélats et les curés, subsistent, s'ils n'ont été révoqués par le chapitre général ou provincial ; qu'ils ne puissent entrer avec la croix dans les églises des curés, pour y prendre le corps de ceux qui ont choisi chez eux leur sépulture, si ce n'est du consentement du curé, ou s'ils ne sont en possession actuelle de ce droit. Il ordonne que ceux qui doivent être promus aux ordres soient examinés par les évêques ou leurs grands vicaires ; qu'ils ne puissent faire consacrer leurs églises que par l'évêque diocésain, à moins que celui-ci ne l'ait refusé, après avoir été prié et requis par trois fois ; qu'ils ne puissent sonner leurs cloches le samedi saint qu'après celles des églises cathédrales ; qu'ils refusent l'absolution à ceux qui ne veulent pas payer les dîmes, et qu'ils ne puissent absoudre les excommuniés qui veulent entrer dans leur ordre, quand il s'agira de l'intérêt d'un tiers ; que les frères ou sœurs du tiers-ordre aient le droit de choisir leur sépulture dans les églises des religieux mendiants, mais qu'ils ne puissent y recevoir l'eucharistie à Pâques, ni recevoir d'eux l'extrême-onction et les autres sacrements, à l'exception de celui de la pénitence. La bulle finit par recommander aux religieux une respectueuse déférence pour les évêques, et aux évêques une paternelle bienveillance pour les religieux.
La lecture en ayant été faite, les Pères du concile y donnèrent leur approbation pure et simple, à l'exception de huit ou neuf qui y mirent quelques réserves, ou qui firent quelques observations de détail. On lut ensuite les procurations de plusieurs prélats absents, entre autres, des évêques de Grasse, de Lubeck, d'Utrecht, de la Conception dans l'île de la Petite-Espagne, de Havelberg, et des archevêques de Magdebourg, de Mayence et de Compostelle. Enfin, la session suivante et dernière, indiquée d'abord au 2 mars 1517, fut prorogée au 16 du même mois.
Dès le 13 se tint une congrégation, où assistèrent les cardinaux, archevêques, évêques et autres. Et parce que, dans une congrégation particulière, il y avait eu quelque différend entre l'évêque de Syracuse, ambassadeur du roi d'Espagne, et le patriarche d'Aquilée, au sujet de la préséance, il fut résolu que ces deux prélats n'auraient point de places marquées, et se mettraient où bon leur semblerait en entrant dans la chapelle. Ensuite on parla des matières qui devaient être agitées dans la dernière session. Sur la proposition qu'on fit de confirmer et même d'étendre la bulle Pauline contre ceux qui s'empareraient des biens de l'Église, les cardinaux furent d'avis de laisser ladite bulle dans l'état où elle était, et de n'en point parler. Sur l'imposition des décimes destinés à la guerre contre les Turcs, un évêque opina pour qu'on n'exigeât point les décimes avant que la guerre fût déclarée ; mais cet avis ne fut point goûté.
XIIe Session. Le 16 mars 1517 on tint la douzième et dernière session. Avec le pape Léon X, il s'y trouva cent dix prélats, parmi lesquels nous remarquons les archevêques de Durazzo, d'Antibari, de Spalatro, de Monembasie en Illyrie ; l'archevêque de Colocz et l'évêque de Bude en Hongrie ; l'évêque de Réval, ambassadeur du margrave de Brandebourg ; l'archevêque de Vienne, les évêques de Digne et de Grasse en France ; l'évêque de Lausanne en Suisse, les évêques de Salamanque et de Saragosse en Espagne. La messe fut chantée solennellement par le cardinal de Sainte-Croix, qui avait été un des principaux auteurs du conciliabule de Pise. L'évêque d'Iserni prêcha sur l'origine, l'autorité et la dignité des conciles, et parla aussi du zèle qui devait animer les princes pour délivrer la Grèce de l'oppression des Turcs. Le cardinal-diacre de Sainte-Marie chanta l'évangile, et après les prières accoutumées un secrétaire du concile monta dans la tribune et lut à haute voix une lettre de l'empereur Maximilien, datée de Malines en Brabant, le dernier jour de février. Ce prince y témoignait sa douleur de voir l'Église affligée par les Turcs et les progrès de leurs armes, et promettait d'entrer dans les vues du pape et des Pères du concile pour leur faire la guerre. Il y parlait aussi de la victoire de Sélim sur les Perses, et conjurait le pape d'employer ses soins pour ne pas laisser triompher davantage cet ennemi de la religion chrétienne.
On proposa ensuite la bulle qui renouvelait les défenses de piller les maisons des cardinaux quand ils sont élus papes ; et sur quelques endroits qui ne furent pas approuvés de tous, on la rectifia et on en fit lecture. Cette bulle renouvelle les constitutions d'Honorius III et de Boniface VIII sur le même sujet.
Enfin on publia une dernière bulle où le pape rappelle l'historique du cinquième concile général de Latran. Les affaires pour lesquelles il avait été assemblé se trouvaient heureusement terminées. La paix était rétablie entre les princes chrétiens, la réformation des mœurs et de la cour romaine était réglée, le schisme et le conciliabule de Pise étaient abolis, aussi bien que la pragmatique sanction de France. Pour consommer le tout, Léon X, avec l'approbation du concile général, confirme par la présente bulle tout ce qui avait été fait et arrêté dans les onze sessions précédentes, et déclare que rien n'empêchait plus de terminer le présent concile général. La même bulle ordonnait aussi une imposition des décimes, et exhortait tous les bénéficiers à permettre qu'on les levât sur leurs bénéfices, afin de les employer à la guerre contre les Turcs. Plusieurs Pères dirent qu'il y avait encore plusieurs choses à régler, et qu'il ne fallait pas finir sitôt le concile ; mais la pluralité des voix l'emporta. Le cardinal de Saint-Eustache dit à voix haute et intelligible : Messeigneurs, allez en paix ! Les chantres de la chapelle du pape répondirent sur le même ton : Rendons grâces à Dieu ! On chanta aussitôt le Te Deum, après quoi le pape monta sur sa mule et retourna au palais apostolique, accompagné des cardinaux, patriarches, archevêques, évêques, ambassadeurs et autres grands seigneurs. Ainsi finit le cinquième concile œcuménique de Latran, qui avait duré près de cinq ans.
Malgré l'opposition de quelques théologiens français, on ne peut pas, d'après les principes que nous avons exposés à l'article du concile de Florence, contester davantage au cinquième concile de Latran sa qualité d'œcuménique. Rien ne lui manque à cet égard, ni du côté de sa convocation, ni du côté de sa tenue, ni du côté de la confirmation qui en a été faite. La France elle-même, qui l'avait d'abord récusé, a fini par s'y soumettre, et le concordat de François Ier, en la réconciliant au saint-siège, a subsisté, presque jusqu'à nos jours, comme un monument authentique de sa soumission. Labb. XIV ; Berthier, Hist. de l'Egl. gall. ; M. Rohrbacher, Hist. univ. de l'Egl. cath. ; Anal. des conc.