Ve JOUR DE DÉCEMBRE : Différence entre versions
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===MARTYROLOGE ROMAIN.=== | ===MARTYROLOGE ROMAIN.=== |
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Vies de saints | |
Auteur : | Mgr Paul Guérin, camérier de S.S. Pie IX |
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Source : | D'après les Bollandistes, le Père Giry, Surius, Ribadeneira, Godescard, les propres des diocèses et les travaux hagiographiques publiés à l'époque. |
Date de publication originale : | 1878 |
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Résumé : | Tome XIV |
Difficulté de lecture : | ♦ Facile |
Remarque particulière : | 7ème édition, revue et corrigée |
Sommaire
MARTYROLOGE ROMAIN.
A Mutalasque, bourg de Cappadoce, le décès de saint SABAS, abbé, qui a donné dans la Palestine des exemples admirables de sainteté, et a agi vigoureusement pour la défense de la foi catholique contre ceux qui rejetaient le concile de Chalcédoine. 531. — A Thébeste, en Afrique, sainte Crispine de Thagare, dame de très-haute qualité, qui, pour avoir refusé d'offrir des sacrifices aux idoles, eut la tête tranchée au temps de Dioclétien et de Maximien, par sentence d'Anulinus, proconsul. Saint Augustin a fait son éloge en plusieurs endroits de ses ouvrages. 304. — A Thagare, aussi en Afrique, les saints martyrs Jules, Potamie, Crispin, Félix, Gratus et sept autres. — A Nice, sur le Var, saint Basse, évêque, qui, pendant la persécution de Dèce et de Valérien, fut, pour la foi de Jésus-Christ, tourmenté sur le chevalet par le président Pérennius, brûlé avec des lames ardentes, meurtri de coups de bâton, déchiré avec des fouets garnis de pointes de fer, d'où étant sorti sain et sauf, il fut percé de deux grands clous, et consomma ainsi son glorieux martyre. IIIe s. ». — A Pavie, saint Dalmace, évêque, martyrisé durant la persécution de Maximien. 304. — A Pentino, dans l'Abruzze, saint Pelin, évêque de Brindes, qui, ayant fait tomber, par ses prières, un temple de Mars, sous Julien l'Apostat, fut cruellement battu par les pontifes idolâtres, et, percé de quatre-vingt-cinq plaies, parvint à la couronne du martyre. Vers 362. — De plus, saint Anastase, martyr, qui, par le désir qu'il avait de souffrir pour Jésus-Christ, se présenta de lui-même aux persécuteurs. — A Trèves, saint Nicet, évêque, homme d'une sainteté admirable 1. Vers 566. — A Polybote, en Asie, saint Jean, évêque, surnommé le Thaumaturge.
MARTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTÉ.
Au diocèse d'Alger, sainte Crispine, martyre à Thébeste, en Afrique, citée au martyrologe romain de ce jour. 304. — Aux diocèses d'Angers, Beauvais, Chartres, Cologne, Meaux, Reims et Saint-Claude, sainte Bibiane, vierge et martyre, dont nous avons esquissé la notice au 2 décembre. 363. — Au diocèse de Bayeux, saint Gerbold, évêque de ce siège et confesseur 2. 691. — Au diocèse de Carcassonne, saint Didace, confesseur, dont nous avons donné la vie au 13 novembre. 1463. — Aux diocèses de Laval et de Rennes, saint Tugdual, évêque de Tréguier, dont nous avons esquissé la notice au 30 novembre. 564. — Au diocèse de Mayence, saint Lucius ou Lever-Maur, roi des Bretons, cité au martyrologe romain du 3 décembre, où nous avons donné quelques détails sur lui. Fin du IIe s. — Au diocèse de Nîmes, saint Léonce, évêque de Fréjus, cité au martyrologe de France du 1er décembre. Vers 432. — Aux diocèses de Perpignan et de Tarbes, saint Pierre Chrysologue, archevêque de Ravenne, dont nous avons donné la vie au 2 décembre. 450. — Au diocèse de Rodez, saint Dalmas, évêque de ce siège et confesseur, dont nous avons esquissé la notice au 13 novembre. 581. — Au diocèse de Tours, saint Eloi, évêque de Noyon et confesseur, dont nous avons donné la vie au 1er décembre. 665. — Au diocèse de Vannes, sainte Barbe, vierge et martyre à Nicomédie, dont nous avons donné la vie au 4 décembre. 235. — Au diocèse de Verdun, saint Firmin, évêque de ce siège et confesseur, dont nous avons esquissé la notice au 4 mai. 486. — A Trèves, sainte Basilisse, vierge, abbesse du monastère de Horre. IXe s. — En Berry, saint CYRAN, patron de la Brenne, fondateur des abbayes de Meobecq et de Lonrey. Vers 657. — A Autun, translation des reliques de saint Ragnobert (Rachon, Racho, Rach), évêque de ce siège et confesseur, dont nous avons esquissé la notice au 14 février. 658. — Dans l'ancienne abbaye bénédictine de Luxeuil, au diocèse de Besançon, saint Lua d'Irlande (Luanus), moine, disciple favori de saint Colomban ; il l'accompagna dans les Gaules, assista à toutes ses fondations, partagea ses travaux, ses joies et ses tribulations. On croit qu'il mourut à Bobbio, en Italie. VIIe s.
1. Les fruits extraordinaires que produisirent ses prédications, la sainteté de sa vie à laquelle le don des miracles ajoutait un nouvel éclat, son assiduité à la pratique de toutes les bonnes œuvres, le faisaient universellement admirer et respecter. Il assista au Concile de Clermont (535), au cinquième d'Orléans (549), et au second de Paris (551). Quatre ans après, il assembla lui-même un Concile à Toul, Quoique protégé par le roi Sigebert, il essuya bien des contradictions : il n'en diminua rien de son zèle à soutenir la cause de Dieu et a procurer le salut des âmes. L'abolition des mariages incestueux lui coûta des peines infinies, qui furent à la fin couronnées de succès. Il défendit aussi la doctrine de l'Église contre les erreurs des Ariens et des Eutychiens. Nous avons encore deux lettres qu'il écrivit à ce sujet. On a découvert deux autres ouvrages de notre Saint : le premier est un Traité de la veille dans la prière. L'auteur en fait l'éloge d'après Isaïe, les psaumes, l'exemple de Jésus-Christ, ceux de saint Pierre et de saint Paul, etc. Le second ouvrage est intitulé : De l'Utilité de la Psalmodie. Il y est traité des avantages de la prière publique qui se fait en commun. — Godescard, Dom Rivet, saint Grégoire de Tours, Fortunat, d'Achéry. 2. Un ancien manuscrit de l'Église de Bayeux indique le village de Livey (Calvados, arrondissement de Bayeux, canton de Caumont) comme lieu de naissance de ce pontife. Sa légende raconte que, ayant refusé de condescendre aux désirs adultères d'une femme puissante, il fut accusé par elle d'avoir voulu attenter à son honneur, et condamné être jeté à la mer avec une grosse pierre attachée au cou. Dieu l'ayant miraculeusement sauvé de ce supplice et lui ayant fait prouver son innocence par de nombreux prodiges, Gerbold fut d'un consentement unanime promu à la dignité épiscopale. Saint Gerbold fut inhumé dans l'église de Saint-Exupère, contre le mur septentrional, entre l'autel et la sacristie. Les nombreux miracles qui ont illustré son tombeau ont rendu sa mémoire en grande vénération dans le diocèse de Bayeux. On en fait l'office double-mineur le 4 décembre et plusieurs églises ont été élevées sous son invocation. Il fonda un prieuré au village de Livey, où le martyrologe d'Usuard prétend qu'il fut inhumé, et réforma le monastère des Deux-Jumeaux, fondé dans le diocèse par saint Martin de Vertou. — Gallia Christiana nova. La chapelle de Saint-Gerbold, à Ver (Calvados), était située au lieu même où aborda le saint évêque après avoir été miraculeusement sauvé des flots ; les Protestants la ravagèrent en 1562 ; plus tard elle fut ruinée par un incendie. Il existait aussi à Englesqueville un pèlerinage en l'honneur de saint Gerbold. Histoire du diocèse de Bayeux, par M. l'abbé Laffetay.
MARTYROLOGES DES ORDRES RELIGIEUX.
Martyrologe de l'Ordre de Saint-Basile.— A Mutalasque, en Cappadoce, saint Sabas, abbé, de l'Ordre de Saint-Basile, qui donna dans la Palestine d'admirables exemples de sainteté, et qui défendit vigoureusement la foi catholique contre ceux qui combattaient le concile de Chalcédoine. 531. Martyrologe de l'Ordre des Camaldules. — Saint Didace, confesseur, dont il est fait mention le 13 novembre 1. 1463. Martyrologe de la Congrégation de Vallombreuse. — Saint Pierre Chrysologue, évêque et confesseur, dont il est fait mention le 4 de ce mois 2. 450. Martyrologe de l'Ordre des Cisterciens. — De même que ci-dessus. Martyrologe de la Congrégation de Saint-Sylvestre. — Saint François-Xavier, confesseur, dont la mémoire se célèbre le 3 décembre. 1552. Martyrologe de l'Ordre des Déchaussés de la très-sainte Trinité. — De même que chez les Cisterciens. Martyrologe des trois Ordres de Saint-François. — A Waldsech, dans le diocèse de Constance, la bienheureuse ÉLISABETH, vierge, du Tiers Ordre de Saint-François, surnommée Bonne, qui, enrichie des grâces et des faveurs célestes, émigra vers son Époux le 25 novembre. Clément XIII approuva le culte qu'on lui rendait de temps immémorial. 1420. Martyrologe de l'Ordre des Frères Mineurs. — De même que ci-dessus. Martyrologe de /'Ordre de la bienheureuse Vierge Marie du Mont-Carmel. — De même que chez les Cisterciens. Martyrologe de l'Ordre des Servites de la bienheureuse Vierge Marie. — De même que chez les Cisterciens. Martyrologe des Mineurs Capucins de Saint-François. — De même que chez les Cisterciens. Martyrologe de l'Ordre des Carmes Déchaussés. — De même que chez les Cisterciens.
ADDITIONS FAITES D'APRÈS DIVERS HAGIOGRAPHES.
Chez les Frères Prêcheurs, le bienheureux Monéta de Crémone, confesseur, de l'Ordre de Saint-Dominique. C'était un professeur célèbre de l'Université de Bologne, qui n'aimait pas les Frères Prêcheurs, et empêchait ses disciples d'aller entendre leurs discours. Il avait surtout en aversion le bienheureux Reginald, qui faisait d'excellentes recrues parmi les élèves de l'Université, et si, par hasard, il le voyait de loin dans les rues, il évitait sa rencontre. Un jour pourtant, cédant aux pressantes sollicitations de ses amis, il alla entendre le fervent dominicain. O merveille ! il fut subjugué par cette parole céleste, et le jour même il demandait l'habit de l'Ordre à saint Dominique, alors présent à Bologne. Dès lors son humilité et sa simplicité devinrent admirables, et saint Dominique l'affectionnait tellement, qu'il voulut mourir dans sa cellule et entre ses bras. Notre Bienheureux le rejoignit quatorze ans après, riche en vertus et en mérites. A force de pleurer les péchés de sa jeunesse, il avait perdu la vue. Il nous a laissé, contre les erreurs des Albigeois, un ]ivre qui a été imprimé dans le dernier siècle. Son tombeau est devenu célèbre par les nombreux miracles qui s'y sont opérés. 1235. — Dans l'ancienne abbaye d'Alne, près de Thuin, en Belgique (Hainaut), les bienheureux Werric et Gautier, prieurs de ce monastère. 1217.
1. Nous avons donné la vie de saint Didace au la novembre. — 2. Voir la vie de saint Pierre Chrysologue au 2 décembre.
SAINT SABAS DE MUTALASQUE,
ABBÉ EN PALESTINE. 531. — Pape : Boniface II. — Empereur d'Orient : Justinien 1er
Discite a me quia mitis sum et humilis corde. Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. Math., XI, 29.
Saint Sabas vint au monde, en 439, au bourg de Mutalasque, dépendant de la ville métropolitaine de Césarée, en Cappadoce. Jean, son père, et Sophie, sa mère, n'étaient pas moins recommandables par leur piété que par leur noblesse. La croix et les souffrances furent son partage dès ses plus tendres années ; car ses parents, s'étant trouvés dans la nécessité de passer à Alexandrie, en Égypte, pour y faire un long séjour, ils le laissèrent sous la conduite d'Hermias, son oncle maternel, dont la femme, qui était colère et de mauvaise humeur, le traita fort mal. L'enfant, ne pouvant plus souffrir les rigueurs insupportables de cette tante, sortit de sa maison et se retira auprès de Grégoire, frère de son père, où il espérait plus de douceur. En effet, il le reçut très humainement et n'eut pour lui que de la bienveillance et de la tendresse. Cependant, cette retraite fut cause d'un grand démêlé entre ses deux oncles : ce qui fit que Sabas, ennuyé de tant de troubles, résolut d'abandonner entièrement le monde avec tous ses plaisirs et ses richesses et de chercher enfin la paix dans un monastère. Il choisit donc celui de Flaviane, distant d'une lieue seulement de Mutalasque, où, quoiqu'il n'eût encore que huit ans, il fut admis avec une joie extrême. Ses oncles s'étant ensuite réconciliés, firent tout leur possible pour l'en retirer ; mais sachant que celui qui, après avoir mis la main à la charrue, regarde derrière lui, n'est pas propre pour le royaume de Dieu, il demeura ferme, constant et inébranlable dans le choix qu'il avait fait de l'état religieux. Il s'appliqua d'abord à vaincre ses passions et à acquérir les vertus propres aux solitaires. Un jour qu'il travaillait au jardin, il fut tenté de cueillir des pommes qui étaient parfaitement belles, et il en cueillit effectivement une ; mais, considérant aussitôt que c'était un piège que le démon lui avait tendu pour le faire tomber dans l'intempérance, il se reprocha à lui-même cette immortification, jeta la pomme à terre, la foula aux pieds et résolut de ne jamais manger de fruit durant toute sa vie: ce qu'il exécuta avec une fidélité inviolable. Depuis ce temps-là il vécut dans une austérité extrême. Il ne dormait qu'autant qu'il lui était nécessaire pour soutenir son corps accablé par le travail, et il était toujours en oraison, parce qu'il priait en travaillant, et que, hors les temps destinés aux exercices du corps, il avait toujours les mains élevées vers le ciel. Enfin, il fit de si grands progrès dans la vertu, qu'aucun des religieux, qui étaient au nombre de soixante-dix, ne l'égalait en humilité, en patience, en obéissance, en dévotion et en tous les autres devoirs de la vie évangélique. On dit que Dieu, voulant un jour faire éclater son mérite, permit qu'il entrât dans un four ardent pour en retirer les habits du boulanger, sans qu'il en ressentît aucune incommodité. Après avoir passé dix ans dans cette maison de sainteté, il sentit un grand désir de visiter les saints lieux et de passer ensuite dans les déserts pour y jouir de la douce conversation des anachorètes qui y menaient une vie angélique. La permission lui en ayant été accordée, il se rendit en Palestine ; et, après avoir baisé cette terre arrosée du sang du Sauveur, il se retira vers saint Euthyme, dont la réputation s'était répandue dans tout l'Orient. Le saint abbé le trouvant encore trop jeune pour demeurer dans sa laure, où il ne recevait que des religieux exercés dans toutes les pratiques de la vie monastique, l'envoya au monastère plus bas, qui était gouverné par le bienheureux Théoctiste. Il y donna d'excellentes preuves de sa vertu, qui l'égalait aux plus consommés d'entre les Frères ; mais il en donna une singulière, en ce que, ses parents l'ayant rencontré dans Alexandrie, et le pressant avec toutes les instances imaginables de demeurer avec eux, il leur fit cette belle réponse : « Voulez-vous que je sois un déserteur et que je quitte Dieu après m'être dévoué à son service ? Si ceux qui abandonnent la milice des rois de la terre sont punis si sévèrement, quel châtiment ne mériterais-je pas si j'abandonnais celle du Roi du ciel ? » Ils ne laissèrent pas de lui être importuns, mais il leur ferma entièrement la bouche, en leur disant que, s'ils continuaient à le presser davantage, il ne les regarderait plus comme ses parents, mais comme ses adversaires. Ils cédèrent alors à sa constance et lui présentèrent vingt pièces d'or pour les frais de son retour ; il n'en voulait point du tout ; mais enfin, pour se défaire de leur importunité, il en prit trois, qu'il mit entre les mains de Théoctiste, son supérieur, dès qu'il fut au monastère, persuadé que le religieux ne doit rien avoir en propre. Saint Sabas vécut dans cette maison jusqu'à l'âge de trente ans, après lesquels il se trouva si touché du désir de la solitude, qu'il pria Longin, qui avait succédé Théoctiste après Martin, de lui permettre de s'y retirer. Le vénérable abbé le lui permit, du consentement de saint Euthyme ; et alors Sabas, croyant n'avoir encore rien fait, entreprit une vie si austère et si élevée au-dessus de la nature, qu'il semblait n'avoir plus de corps, mais être devenu tout spirituel. Une caverne était sa demeure ordinaire ; il y passait cinq jours de la semaine sans manger, et toujours appliqué à l'oraison, au chant des Psaumes ou au travail des mains, il en sortait le samedi pour mettre entre les mains des officiers cinquante corbeilles qu'il avait faites pendant la semaine ; et le dimanche, après avoir assisté aux saints Mystères et à la conférence spirituelle, il s'en retournait avec autant de branches de palmier qu'il en avait besoin pour continuer son travail des autres jours. Quand il eut mené ce genre de vie pendant cinq ans, saint Euthyme, qui avait coutume de l'appeler le jeune vieillard, à cause de sa sagesse extraordinaire, ne pouvant plus douter qu'il ne fût capable de soutenir les plus rudes travaux, l'approcha de lui et le fit demeurer dans sa laure. Sabas tâcha de se rendre une copie parfaite de ce grand homme ; mais, comme il mourut peu de temps après, le monastère étant tombé dans le relâchement, il en sortit et se retira proche du Jourdain, auprès de saint Gérasime. Il y fut attaqué avec fureur par les démons, qui tâchèrent de l'épouvanter par des spectres horribles ; mais il les mit toujours en fuite par le signe la croix, la prière, la récitation des Psaumes et le mépris qu'il faisait de leurs efforts. De là, l'Esprit de Dieu le conduisit comme par la main sur la montagne où saint Théodose le Cénobiarque avait demeuré et dans une caverne qui était tout au haut. Il était bien difficile d'y porter de l'eau, la fontaine étant au bas et éloignée de six ou sept milles ; mais il le faisait avec joie, s'aidant pour cela d'une corde qui pendait du haut de la caverne. Il n'avait aussi pour nourriture que les herbes qui croissaient aux environs ; mais, par la disposition de la divine Providence, des hommes barbares, charmés de son insigne piété, s'engagèrent volontairement à lui porter en de certains jours du pain, du fromage et des dattes, avec autant d'eau qu'il en avait besoin. Il était âgé de quarante-cinq ans lorsqu'il commença à s'appliquer à la conduite spirituelle des Frères. Plusieurs venaient à lui et il les instruisait de tous les devoirs de la vie religieuse. Il en reçut d'abord jusqu'à cent cinquante, et il leur donna à chacun un lieu pour y bâtir leur cellule ; de sorte qu'il fit en peu de temps la plus grande laure de la Palestine. Il y édifia aussi une chapelle avec un autel, qu'il fit bénir ; et, lorsqu'un prêtre lui rendait visite, il le priait d'y célébrer les divins mystères ; car, pour lui, son humilité, sa modestie et son profond respect pour la grandeur infinie de la majesté de Dieu l'empêchèrent longtemps de se laisser ordonner prêtre. Il ne voulait pas non plus que ceux qui étaient sous sa conduite prétendissent à cette dignité, de crainte qu'elle ne fût dans son monastère un sujet d'ambition et de partialité. D'ailleurs, il pourvoyait à ce qui était nécessaire pour leur entretien, afin de leur ôter tout prétexte d'aller dans le monde au préjudice du silence et de la retraite, qui sont si nécessaires au soutien de l'observance régulière. Mais comme l'ivraie croit ordinairement parmi le bon grain, il se trouva quelques-uns de ses disciples assez méchants pour se plaindre à Salluste, patriarche de Jérusalem, qu'il était trop simple et trop grossier pour gouverner une communauté aussi grande et aussi considérable que la leur ; surtout parce que, par cette simplicité, il ne voulait point être prêtre et ne souffrait pas qu'aucun des frères fût élevé au sacerdoce. Le patriarche les ayant écoutés, remit l'affaire au lendemain et envoya aussitôt chercher le saint abbé, qui n'était nullement informé de ce qui se passait ; les plaignants crurent que c'était pour le priver de sa charge ; mais l'événement fit voir que c'était, au contraire, pour leur fermer la bouche. En effet, dès qu'il fut venu, le patriarche ayant fait assembler tous ces mécontents, l'ordonna prêtre en leur présence ; puis, le prenant par la main, il leur dit : « Voici votre père et le vrai supérieur de votre laure. C'est Dieu même qui l'a élu, et non pas moi ; je n'ai fait que prêter mon ministère au Saint-Esprit, et j'ai plutôt regardé votre avantage en l'élevant au sacerdoce, que le sien propre ». Il le conduisit ensuite en sa laure et il en consacra l'église, l'enrichissant de plusieurs reliques très précieuses. La réputation de cet excellent Père de congrégation s'étant répandue jusque dans l'Arménie, plusieurs Arméniens se rendirent à son désert et le prièrent de les recevoir au nombre de ses disciples. Il les logea dans sa laure et leur donna un petit oratoire pour y chanter en leur langue les louanges de Dieu, le samedi et le dimanche. Il allait tous les ans passer le Carême dans le fond de la solitude, jusqu'au dimanche des Rameaux, sans voir ni entretenir personne et même sans autre aliment que l'adorable Eucharistie, qu'il prenait deux fois la semaine. Dans l'un de ses voyages où il se fit accompagner par un de ses disciples, nommé Apapet, il découvrit dans une caverne un saint vieillard, qui, depuis trente-huit ans, n'avait parlé à personne, mais avait toujours mené une vie angélique dans une douce conversation avec Dieu. Ils s'entretinrent ensemble des choses célestes ; et le vieillard, qui avait appelé Sabas par son nom sans l'avoir jamais connu, lui donna aussi sa bénédiction. A peu de jours de là il mourut, et notre Saint, à son retour, étant entré dans sa caverne, l'y trouva à genoux en l'état et en la posture d'un homme qui prie : il s'approcha de lui pour se recommander à ses prières ; mais, reconnaissant qu'il était mort, il lui donna la sépulture avec son disciple Agapet, et chanta des psaumes, selon la coutume de l'Église, pour le repos de son âme. Pendant qu'il s'avançait à si grands pas dans le chemin de la sainteté, son père mourut à Alexandrie, et sa mère, touchée du bruit de ses vertus, vint le trouver et lui apporta une grande somme d'argent provenant de la vente de ses biens ; puis, renonçant à toutes les choses de la terre, elle se rangea sous sa direction. Elle vécut encore quelque temps dans une grande sainteté, et mourut entre les bras de son cher fils, dans l'espérance de la vie éternelle. Il ne pouvait mieux user qu'il fit de l'argent qu'elle lui avait apporté ; car il l'employa à construire deux bâtiments pour servir d'hôpitaux : l'un près de sa laure, pour les religieux étrangers, et l'autre à Jéricho, pour les passants. Il fit aussi bâtir deux nouveaux monastères : l'un, sur une colline nommée Castelle, dont saint Théodose le Cénobiarque fut supérieur ; l'autre, au septentrion de sa laure, où il établit des directeurs d'une prudence et d'une vertu consommées. Il ne mettait dans le premier que des religieux d'un âge mûr et fort exacts observateurs de la Règle. Pour les commençants, qui étaient encore pleins des idées du monde, il les mettait dans le second jusqu'à ce qu'ils sussent le psautier et qu'ils eussent passé par tous les exercices de la vie religieuse : « Car un religieux », disait-il, « doit être studieux, prudent, sobre, modéré, tempérant, capable d'enseigner les autres, au lieu d'avoir besoin d'être enseigné, et tel qu'il ne sache pas moins régler son esprit que dompter sa chair ». Lorsqu'il les voyait en cet état, et entièrement détachés des choses de la terre, il les faisait venir dans sa laure ou dans celle de saint Théodose ; et là, s'il étaient faibles de corps, il leur donnait une cellule toute bâtie ; mais, s'ils étaient forts et robustes, il les obligeait d'en bâtir une. Pour les jeunes enfants qui voulaient quitter le monde, il les logeait dans une maison séparée et située à l'Occident, dont saint Théodose avait aussi le soin, disant qu'il avait appris cette pratique des anciens Pères, et qu'elle était absolument nécessaire pour prévenir les tentations du démon. Il y avait une telle union d'esprit entre ces deux excellents abbés, Sabas et Théodose, qu'ils n'avaient qu'une même volonté et les mêmes sentiments : ce qui faisait que les habitants de Jérusalem les appelaient communément les deux apôtres, et que le patriarche Salluste leur donna enfin la conduite de tous les monastères dépendant de son autorité, après en avoir été instamment prié par les abbés et les religieux de chaque maison. Sabas fut fait supérieur général de tous les anachorètes et de tous les solitaires, et Théodose le fut de tous les cénobites. Cependant, ces religieux libertins et jaloux, dont nous avons déjà parlé, s'aigrissant d'autant plus qu'ils voyaient que leur bienheureux Père croissait en estime et augmentait le nombre de ses cellules et de ses disciples, conspirèrent encore ensemble et résolurent de tenter toutes sortes de voies pour le décréditer et le faire sortir de sa laure. Il en fut averti ; mais, comme il avait appris de Jésus-Christ à être doux et humble de cœur, loin de s'opposer à leur dessein, il aima mieux les contenter en s'éloignant et se bannissant lui-même : « Car », disait-il, « il faut combattre les démons, mais il faut céder aux hommes ». Il abandonna donc son monastère et se retira vers Scythopolis, dans un désert, sur les bords du fleuve Gadarar. Là, étant entré dans une caverne qui servait de retraite à un lion d'une grandeur prodigieuse, il y fit sa prière, puis s'endormit. Pendant son sommeil, le lion, qui en était sorti, y rentra, et y trouvant cet hôte qu'il n'attendait pas, il le prit doucement par son habit, comme pour lui ordonner de s'en aller et de lui laisser la place libre. Le Saint s'éveilla, et, ne s'étonnant nullement de la vue de ce terrible animal, il commença à dire Matines. Le lion, par une étrange merveille, se retira à l'heure même et attendit qu'il les eût achevées, après quoi il rentra et le tira comme auparavant. Alors Sabas lui dit avec douceur : « Cette caverne est assez grande pour vous et pour moi, et nous y pouvons loger tous deux. Mais si vous voulez être seul, cherchez une autre demeure : car, puisque je suis créé à l'image de Dieu, il est plus juste que vous me cédiez, que moi à vous ». A ces paroles, le lion s'en alla et laissa la caverne entière au saint abbé. Il y mena quelque temps une vie cachée ; mais la réputation de sa sainteté s'étant répandue aux environs, plusieurs personnes vinrent le trouver et l'obligèrent de les recevoir pour ses disciples. Des voleurs, s'imaginant qu'il avait beaucoup d'argent, allèrent une nuit pour le voler ; mais, ayant trouvé que la pauvreté était tout son trésor, ils s'en retournèrent sans lui faire de mal, charmés de la grandeur de sa vertu. En chemin ils rencontrèrent des lions d'un regard terrible qui les remplirent de frayeur. Toute leur espérance fut en celui qu'ils venaient d'épargner. Ils dirent donc à ces lions : « Nous vous commandons, au nom de saint Sabas, de nous laisser le passage libre » ; et à l'heure même ces animaux prirent la fuite : ce qui fut cause que les voleurs se convertirent. Depuis, saint Sabas étant visité par une infinité de personnes qui venaient recevoir des instructions et de la consolation, ce grand concours, qui lui ôtait la liberté de la conversation avec son Dieu, le fit résoudre de quitter cette caverne. Il fut plusieurs années changeant souvent de demeure pour fuir l'honneur qui semblait le poursuivre de tous côtés ; mais après avoir par ce moyen porté la lumière des conseils évangéliques en divers endroits, il retourna enfin à sa laure, croyant qu'une si longue absence aurait adouci l'esprit de ses enfants rebelles. Il les trouva au contraire encore plus indociles et plus opiniâtres qu'auparavant ; leur cabale s'était même fortifiée par l'union de vingt autres qui ne voulaient point de joug. Il opposa sa douceur à leur colère, sa charité à leur aversion et sa bonté à leur malice ; mais, ne voyant en eux aucune espérance de correction, il les abandonna encore une fois, et s'en alla vers Nicopolis, où on lui bâtit une cellule sous un arbre, dont l'ombre le couvrait et les fruits lui servaient de nourriture. Cette cellule fut aussi changée en un monastère. Pendant qu'il y était, ses religieux rebelles semèrent le bruit dans sa laure qu'il avait été dévoré par un lion, auprès de la mer Morte, et allèrent là-dessus prier le patriarche Elie, successeur de Salluste, de leur donner un supérieur. Ce prélat, qui était extrêmement prudent, n'ajoutant point foi à ce rapport, mais se doutant de quelque imposture, leur dit qu'ils feraient beaucoup mieux de chercher Sabas, ou d'attendre encore quelque temps son retour, que de croire une nouvelle si étrange. Cette réponse les remplit de confusion et trompa toute leur espérance. Au bout de quelques jours le Saint vint, selon sa coutume, à la fête de la dédicace de l'église cathédrale de Jérusalem. Le patriarche le pria de se rendre à ses enfants qui étaient depuis tant d'années privés de sa présence. Le Saint y résista quelque temps, s'excusant non pas sur l'indocilité de ses disciples, mais sur sa propre incapacité ; mais le patriarche lui fit tant d'instances sur ce point, qu'il fut obligé de déférer à ses sentiments. Il l'avertit néanmoins des mauvais desseins de quelques-uns des Frères, et écrivit ensuite à toute la communauté, en ces termes : « Je vous apprends, mes Frères en Jésus-Christ, que votre Père n'a pas été dévoré par les bêtes, ainsi qu'on vous l'avait rapporté ; mais qu'il est vivant, et qu'il est venu ici pour la fête. Je l'ai retenu et je vous le renvoie, ne jugeant pas raisonnable que la laure qu'il a bâtie avec tant de peine soit sous une autre conduite que la sienne. Recevez-le donc, et rendez-lui l'obéissance que vous lui devez ; que si quelqu'un de vous ne veut pas se soumettre à son autorité, nous lui commandons de sortir à l'instant même de la laure ». Cette lettre, que le Saint fit lire publiquement dans l'église en arrivant, remplit ces rebelles de fureur. Ils firent beaucoup de violence, et, s'étant saisis des pauvres meubles de la laure, ils en sortirent en furie, et passèrent en un autre lieu vers le torrent de Théon. Ils y raccommodèrent quelques anciennes cellules, ils en bâtirent de nouvelles, et par ce moyen firent un monastère qu'ils appelèrent la nouvelle laure. Sabas, nonobstant leurs outrages, ne les oublia pas ; mais, rempli de cette charité qui aime les ennemis et pardonne les injures, il les secourut corporellement et spirituellement en tout ce qui lui fut possible. Comme ils manquaient des choses les plus nécessaires, et que personne ne voulait les assister, il leur procura des aumônes considérables et leur porta lui-même de l'argent, des vivres et des habits ; et parce qu'ils étaient dans une division épouvantable, faute de supérieurs, il leur en donna qui les ramenèrent peu à peu dans les sentiments de religion dont ils s'étaient si malheureusement écartés. Ainsi, sa laure fut purgée de ce mauvais grain, et il eut la joie de revoir ces libertins dans le chemin du salut. Il y a encore dans sa vie divers exemples de plusieurs solitaires désobéissants ou hérétiques, qu'il convertit par son extrême douceur et même par ses miracles ; mais pour ne pas trop étendre cet abrégé, nous laissons au lecteur le soin de les voir dans son histoire entière. L'opposition de l'Église d'Alexandrie au saint Concile de Chalcédoine, et l'opiniâtreté de celle de Constantinople à ne pas effacer des saints diptyques le nom d'Acace, son ancien évêque, excommunié par les souverains Pontifes, avaient rempli tout l'Orient de confusion en la troisième année du règne de l'empereur Anastase qui favorisait l'hérésie de ces deux sièges: le patriarche Elie, pour remédier à un si grand mal, et pour tâcher de faire revenir ce prince à des sentiments catholiques, lui envoya à Constantinople saint Sabas, âgé pour lors de soixante-dix ans, avec plusieurs autres solitaires des plus considérables de la Palestine ; il les chargea d'une lettre conçue en ces termes : « J'envoie à Votre Majesté, au nom des Églises, une compagnie de solitaires conduits par Sabas, chef de tous ceux qui habitent le désert, dans l'espérance que le respect que vous aurez pour leur vertu et pour leurs travaux vous portera à mettre fin à la guerre dont ces Églises sont troublées. Ne permettez pas, je vous en supplie, qu'un si grand mal passe plus avant, puisque vous désirez plaire à Dieu qui vous a mis la couronne sur la tête ». Lorsque ces bienheureux députés furent au palais impérial, les gardes voyant Sabas mal vêtu et sans aucune apparence extérieure, le repoussèrent et ne voulurent pas lui en permettre l'entrée ; les autres allèrent jusqu'au cabinet du prince et y eurent audience. Il leur demanda qui d'entre eux était Sabas, dont il était fait mention dans leur lettre de créance. Chacun le chercha des yeux, et comme il ne se trouva point, on envoya aussitôt des gardes du corps pour le faire venir. Il était devant la porte, dans un petit lieu à l'écart, où il récitait tranquillement des psaumes. Ils lui dirent que l'empereur le demandait, et ils l'amenèrent promptement devant Sa Majesté. Lorsqu'il fut près de son trône, Dieu, pour lui apprendre combien le Saint lui était cher, lui fit voir un ange tout brillant de lumière qui marchait devant lui et l'environnait de ses rayons. Il reconnut par là que c'était un homme divin ; et, s'étant levé, il l'accueillit avec beaucoup de respect et lui rendit de grands honneurs ; ensuite il leur commanda à tous de s'asseoir et leur donna la liberté de proposer ce qu'ils désiraient. Alors, chacun laissant le bien commun, ne pensa qu'à ses intérêts particuliers ou à ceux de sa communauté : Sabas fut le seul qui parla vigoureusement pour la défense du patriarche Elie, que l'empereur persécutait, et pour la paix des Églises qui étaient dans le trouble. Anastase, bien loin d'en concevoir de l'indignation et de la haine contre lui, l'en aima davantage ; il lui fit donner mille écus d'or pour l'assistance de ses monastères. Il voulut aussi qu'il demeurât quelque temps à Constantinople, afin de converser quelquefois avec lui ; et, dans une de ces conférences, Sabas lui ôta la mauvaise impression qu'on lui avait donnée du patriarche Elie, et lui fit révoquer la sentence d'exil qu'il avait fait publier contre lui. Il travailla aussi au soulagement de plusieurs bourgs de la Palestine et des environs de Jérusalem, sur lesquels, par édit impérial, on rejetait les impôts des autres bourgs que la peste et la famine avaient dépeuplés. Il fit voir l'injustice de cet édit et combien il était préjudiciable à l'empire, parce que, peu à peu, il ruinait les bons bourgs qui restaient et les mettait hors d'état de payer dans la suite quelque chose à l'épargne. L'empereur était tout porté à suivre ses avis ; mais un trésorier des finances, nommé Marin, renversa toutes ces bonnes dispositions, alléguant que les habitants de Jérusalem et des environs n'étaient pas dignes de cette grâce, parce qu'ils étaient Nestoriens. C'était ainsi que les nouveaux hérétiques appelaient tous ceux qui tenaient pour le concile de Chalcédoine. Saint Sabas reprit sévèrement Marin d'un si mauvais conseil, et lui dit que, s'il ne se rétractait, il sentirait bientôt la main de Dieu s'appesantir sur sa tête. Il la sentit en effet, car dans une sédition, on pilla ses biens, on brûla sa maison, et la seule résolution qu'il prit de faire pénitence fit que Dieu lui sauva la vie. Cependant l'empereur, ayant plus déféré à son sentiment qu'à celui du bienheureux abbé, laissa les impôts qu'il avait établis, et ce ne fut que dans les règnes suivants qu'ils furent supprimés. L'hiver empêchant saint Sabas de remonter sur mer et de retourner à son monastère si tôt qu'il l'aurait souhaité, il se retira au faubourg de Ruffin, pour éviter le trouble et le tumulte de la ville, et il y fut visité par les plus grandes princesses, qu'il anima à travailler à leur avancement spirituel. Dès que la saison fut propice, il se rendit à sa laure, où il trouva de nouvelles occasions de combat. Ce fut pour la défense du même concile de Chalcédoine que l'empereur, nonobstant les remontrances que cet homme admirable lui avait faites et les espérances qu'il avait données de laisser l'Église en paix, ne laissa pas de l'opprimer en poursuivant ceux qui en soutenaient la pureté et les décrets. Il assembla donc les plus éclairés et les plus vertueux d'entre les solitaires, et, environné de ce grand nombre de défenseurs de la foi, il s'opposa avec une générosité incroyable à une si cruelle tyrannie. Il délivra d'abord le patriarche Elie d'une foule d'Eutychiens et de Sévériens, qui l'environnaient et voulaient lui faire outrage. Ensuite, ce bienheureux prélat ayant été déposé de son siège et envoyé en exil par Olympe, député de l'empereur, et Jean, fils de Marcien, ayant été mis en sa place, ii eut tant de crédit sur l'esprit de celui-ci, qu'il l'obligea de prononcer anathème contre Eutychès, Sévère et leurs partisans, et d'embrasser de nouveau la foi orthodoxe, que sa faiblesse ou son ambition lui avait fait abandonner. Enfin, comme il vit que l'empereur ne manquerait pas après cela de se déchaîner contre l'Église de Jérusalem et les monastères, il lui écrivit une lettre pleine de l'esprit de Dieu et d'une vigueur apostolique. Dans cette lettre, il représente les violences incroyables que ses officiers faisaient aux prêtres, aux diacres et aux religieux de l'Église de Jérusalem, que l'on pouvait appeler la mère de toutes les autres, puisqu'elle avait reçu la doctrine céleste de la bouche même du Sauveur, qu'elle avait ensuite communiquée à tout l'univers, et il le supplie très humblement de faire cesser ces scandales, d'arrêter l'insolence de ses ministres, de rendre la liberté et la paix à celle à qui Notre-Seigneur a eu la bonté de la donner, et de ne pas laisser plus longtemps dans la persécution ceux qui n'avaient d'autre dessein que de maintenir la foi confirmée et établie dans les quatre Conciles généraux. L'empereur ne répondit pas sur-le-champ à cette lettre, parce qu'il était alors occupé à une guerre contre les barbares. Cependant, toute la Palestine fut affligée pendant cinq ans de la famine, de la sécheresse, de l'infection des sauterelles et de beaucoup d'autres fléaux qui la réduisirent à une extrême misère. Les sept monastères de saint Sabas eurent part à cette grande nécessité, parce qu'ils n'avaient point de revenus, et que ceux qui leur faisaient l'aumône étaient eux-mêmes tombés dans une indigence incroyable ; mais le bienheureux abbé, sans perdre courage, assembla les supérieurs de ces maisons et les exhorta à attendre tout de la miséricorde de Dieu, qui connaissait leurs besoins et pouvait, par sa toute-puissance, y remédier. En effet, sa laure s'étant trouvée en une telle extrémité qu'il n'y avait pas même du pain pour offrir à Dieu le saint sacrifice, il eut recours à sa bonté et on lui amena, sans qu'il sût d'où, trente chevaux chargés de froment, de vin, d'huile et d'autres provisions propres à des religieux, de sorte qu'il eut de quoi réparer les forces abattues de ses disciples. L'amitié qu'il portait au patriarche Elie fit qu'il l'alla visiter dans son exil, et qu'il y demeura plusieurs jours avec lui. Ce fut en ce temps-là qu'ils eurent tous deux révélation de la mort funeste de l'empereur Anastase, la nuit même qu'elle arriva, qui était le 19 juillet 518. Sabas, de son côté, vit en songe des foudres lancés d'en haut contre ce prince, et comment, en s'enfuyant dans les lieux les plus secrets de son palais pour tâcher de les éviter, il rendait l'esprit d'une manière épouvantable ; quant à saint Elie, il apprit cette mort par une lumière céleste, et eut en même temps révélation qu'il devait lui-même mourir dans dix jours, pour aller plaider sa cause au jugement de Dieu contre ce persécuteur des orthodoxes. Justin lui succéda, et, dès qu'il fut en possession de l'empire, il fit publier dans tous ses États un édit par lequel il ordonnait que le saint concile de Chalcédoine fût reçu de tout le monde ; il rappela les bannis, rétablit les prélats dans leurs sièges et rendit le calme à toute l'Église. Notre bienheureux abbé avait alors quatre-vingts ans, et ses forces étaient épuisées ; mais, son zèle lui donnant une nouvelle vigueur, il se transporta à Césarée, à Scythopolis et en plusieurs autres endroits, pour publier cet édit et faire enregistrer les quatre conciles généraux dans les tables de ces Églises. Il travailla aussi avec beaucoup de succès à la conversion de tous ceux que les hérétiques avaient séduits et engagés dans leur parti. D'ailleurs, il remédia par ses prières et par ses larmes aux maux dont la Palestine était affligée ; car ce fut par elles qu'il obtint de la pluie à une des laures où l'on mourait de soif, et ensuite à tout le pays, où, faute d'eau, l'on était réduit à une extrême misère. Étant âgé de quatre-vingt-onze ans, il eut encore le courage d'entreprendre le long voyage de Constantinople, pour apaiser la colère de l'empereur Justinien, successeur de Justin, contre les chrétiens de la Palestine, à qui les Samaritains avaient malicieusement imputé la cause de leur révolte dans cette province. L'accueil qu'on lui fit à la cour fut merveilleux. Dès que Justinien sut qu'il arrivait, il envoya au-devant de lui le patriarche de cette ville impériale, avec des seigneurs et des gardes de son corps pour le lui amener. Quand il fut dans sa chambre, il aperçut sur sa tête une couronne toute brillante, qui montrait assez qu'il était un enfant de lumière. Il se leva de son siège, vint au-devant de lui, l'embrassa tendrement et l'obligea de lui donner sa bénédiction. L'impératrice le vint aussi recevoir ; mais comme elle le pria de lui obtenir du ciel la fécondité et d'avoir un fils, le Saint ne répondit rien à sa requête, quoiqu'elle la réitérât par trois fois ; il se contenta seulement de lui dire qu'il prierait Dieu de la vouloir conserver, ajoutant que, si elle avait des enfants, il était à craindre qu'ils ne fussent encore plus grands fauteurs de l'hérésie de Sévère que ne l'avait été Anastase. Il obtint ensuite de Justinien tout ce qu'il lui demanda, et ce prince, à sa prière, chassa de Jérusalem tous les Samaritains, abolit leurs synagogues et leur ôta le pouvoir de se succéder les uns aux autres, pour empêcher qu'ils ne devinssent trop riches. Il condamna aussi à mort les auteurs de la sédition qui avait causé tant de meurtres, ce qui étonna si fort un seigneur de cette secte, nommé Arsène, que, la crainte de Dieu se mêlant avec celle des hommes, il se convertit et demanda le baptême qui lui fut administré par saint Sabas. L'empereur voulut encore lui donner de plus grandes marques de son affection, car il offrit un revenu certain et annuel pour chacun des monastères qui étaient sous sa conduite. Mais ce généreux abbé, qui ne voulait point d'autres richesses que les fonds de la divine Providence, sur laquelle il mettait et voulait que ses religieux missent toute leur confiance, lui répondit avec un désintéressement merveilleux : « Pour nous, seigneur, nous aurons toujours assez de biens si nous sommes fidèles à nous acquitter de nos devoirs ; mais, puisque Votre Majesté veut bien ouvrir ses trésors en notre faveur, nous la supplions d'exercer sa magnificence envers ce pauvre peuple de la Palestine. Les Samaritains ont ruiné leurs maisons, brûlé leurs églises, désolé leurs campagnes, enlevé leurs bestiaux et ils se trouvent maintenant réduits à la dernière extrémité ; déchargez-les pour quelque temps de tout impôt, afin qu'ils puissent se mettre en état de les payer à l'avenir. Les pèlerins, qui viennent à Jérusalem pour adorer le saint-sépulcre, n'y trouvent point de logements où ils puissent se délasser. Faites-y bâtir un hôpital pour les recevoir. L'église de la Sainte-Vierge, commencée par le patriarche Elie, manque de toutes les choses nécessaires au service divin ; donnez-lui des ornements pour le saint sacrifice et pour les autres ministères ecclésiastiques. Il n'y a point, auprès des monastères, de places fortes où les solitaires puissent se réfugier dans les incursions subites des barbares, faites-en bâtir une. Enfin, l'on enseigne publiquement les erreurs d'Arius, de Nestorius, d'Eutychès, de Sévère et d'Origène, au grand scandale de l'Église ; remédiez à ce mal par vos édits et faites que la doctrine soit une comme Jésus-Christ est un. Si vous le faites, j'espère que vous verrez bientôt rentrer sous votre domination l'Italie, l'Afrique et d'autres grands pays qui en ont été soustraits ». Justinien agréa toutes ces demandes et tint plusieurs conseils pour les faire exécuter. Dans l'un de ces conseils, où il voulait que Sabas fût toujours présent, ce grand serviteur de Dieu fit voir son exactitude pour ce qui regardait le service de son divin Maître, car, l'heure de Tierce étant arrivée, il sortit pour l'aller dire. Un de ses disciples lui remontrant qu'il manquait de convenance en laissant ainsi l'empereur pendant qu'il travaillait avec tant de zèle pour l'obliger : « Il n'y a rien en cela que de bien », répondit-il, « car l'empereur, en travaillant au soulagement de son peuple et à la conversion de la foi, fait ce qu'il doit, et moi, en disant mes prières aux heures prescrites, je m'acquitte de ce que je dois ». Dieu avait répandu ses grâces avec tant d'abondance dans l’âme de cet homme céleste, que, non seulement il prédisait les choses futures, mais il guérissait encore toutes sortes de maladies et faisait une infinité de miracles. Il était modeste, doux, de facile accès, agréable dans ses paroles, simple dans ses actions, prudent dans sa conduite, plein de charité envers tout le monde et extrêmement zélé pour la mortification religieuse ; et on rapporte que, se promenant un jour le long du Jourdain, avec un jeune frère, une compagnie de personnes du monde, parmi lesquelles était une jeune fille fort bien faite, passa devant eux. Le Saint, pour connaître si son disciple avait été mortifié, lui dit qu'il lui semblait que cette jeune fille était désagréable et qu'elle n'avait qu'un œil. — « Pardonnez-moi, mon père », répondit le novice, « je vous assure qu'elle a deux beaux yeux et je l'ai bien considérée ». Le saint abbé prit de là sujet de lui faire une sévère réprimande, et, pour le punir de sa légèreté, il le chassa de sa cellule, et l'envoya en un lieu pour faire pénitence, où il eut le loisir d'apprendre à mortifier ses sens. Lorsque les affaires de Constantinople furent terminées, saint Sabas retourna à Jérusalem, rendit compte à Pierre, patriarche de cette ville, qui l'avait envoyé, de ce qu'il avait obtenu de l'empereur, et visita pour la dernière fois les saints lieux. Ensuite, il retourna dans sa première laure, pour y finir ses jours dans la solitude ; peu de temps après il tomba malade et eut révélation de sa mort. Le Patriarche le visita, et, le voyant destitué de toutes choses dans sa cellule, il le fit porter à une maison de sa dépendance, pour le mieux traiter ; mais le Saint, qui n'avait souffert ce transport que par obéissance, voyant son heure proche, se fit reporter dans sa pauvre cabane, où, ayant donné le baiser de paix à ses enfants et établi pour supérieur en sa place un saint homme, nommé Mélite, il rendit son âme entre les mains de Dieu, le 5 décembre 531, étant âgé de quatre-vingt-douze ans, ainsi que le prouve le cardinal Baronius. Son corps fut solennellement enterré au milieu de sa laure, entre les deux églises, par les évêques, les religieux et les habitants de la Palestine ; son âme fut conduite au ciel par les anges et par les saints martyrs, ainsi que saint Théodore le révéla à Romule, diacre de Gethsémani. Les miracles qui ont été opérés à son tombeau ont rendu sa mémoire célèbre et vénérable dans l'Orient et l'Occident. Il y a à Rome une église et un monastère de son nom, que Grégoire III donna au collège des Allemands, qu'il avait fondé pour le rétablissement de la foi catholique dans les provinces du Septentrion. On croit que son corps a été transporté à Venise et qu'il s'y conserve religieusement. Saint Sabas est représenté : 1° tenant la Règle de son monastère, qu'il présente aux moines de son Ordre ; 2° assis sur le bord d'un précipice qui lui sert de retraite : il est découvert par deux voyageurs ; 3° assis dans une caverne, priant, ayant près de lui un lion. — On peut aussi le représenter conférant avec les empereurs Anastase et Justinien, auprès desquels il avait été envoyé par le Patriarche de Jérusalem pour diverses questions difficiles à traiter, dans le bien de l'Église.
Ce récit est dit Père Giry.
SAINT CYRAN, PATRON DE LA BRENNE,
FONDATEUR ET PREMIER ABBE DES ABBAYES DE MEOBECQ ET DE LONREY Vers 657. — Pape : Vitalien. — Roi de France : Clotaire III.
Rien ne manque au pauvre à qui le Christ suffit. Pierre de Blois.
Issu d'une noble famille du Berri, Cyran ou Sigiran eut pour père Sigelaïc, qui fut, dit-on, comte de Bourges, puis évêque de Tours, au temps de Dagobert, dont il était le parent. Après avoir fait ses études dans cette dernière ville, il fut confié, malgré les secrètes aspirations qui l'entraînaient vers Dieu, à Flaocat, l'un des leudes les plus puissants et les plus accrédités du roi franc. Flaocat l'ayant emmené avec lui à la cour, Sigiran ne tarda pas à s'attirer par ses rares qualités l'attention et les bonnes grâces du monarque, qui l'admit parmi la jeunesse attachée à sa personne et lui conféra la haute dignité d'échanson. Loin de s'enorgueillir de ces succès et de les attribuer à son mérite personnel, l'enfant ne cessait d'en remercier le Seigneur qu'il avait toujours regardé comme le but et la cause de toutes ses actions. Cependant, pour ne pas faire disparate au milieu de la pompe royale, il se couvrait de beaux habits, sous lesquels il portait un cilice, et qu'il s'empressait de remplacer par de plus humbles vêtements quand il sortait du palais pour rentrer chez lui. Dans la suite, son père voulant assurer son avenir, le fiança à la fille d'un de ses riches amis, nommé Adroald ; mais, tout entier à Dieu, Sigiran se détournait de cette union, et bientôt, malgré de solennelles promesses, il résolut de rompre du même coup ce projet de mariage et les liens qui l'attachaient à la cour. Dans ces dispositions, il exposa respectueusement à son maître les graves motifs de sa détermination ; puis, il partit du palais et revint à Tours où, après une longue prière au tombeau de saint Martin, il coupa sa chevelure et se voua au service du Très-Haut. Quel que fût son regret de manquer à la parole donnée, l'évêque Sigelaïc ne put résister à cette dernière preuve de l'ardente vocation de son fils, et l'inscrivit sur le livre des clercs. Peu de temps après, Sigiran était nommé archidiacre ; mais plus il s'élevait, plus il voulait s'humilier, plus il se livrait avec emportement aux œuvres d'amour et de charité, sans s'inquiéter s'il dépassait les limites de sa fortune et de la raison. Si bien qu'après la mort de son père, ces libéralités excessives suggérèrent à un certain Etienne, questeur de la ville, l'idée de le faire passer pour fou et de l'enfermer comme tel. Sigiran ne souffrit pas longtemps de cette cruelle oppression, car, par une juste représailles de la colère divine, le questeur Etienne devint fou lui-même, et, surpassé dans sa folie par un autre insensé, tomba misérablement sous le fer d'un assassin. Rendu à la liberté, Sigiran abandonna le reste de ses biens aux pauvres et résigna ses fonctions d'archidiacre « pour suivre nu le Christ nu ». II y avait alors dans la province de Tours un évêque irlandais nommé Flavius, célèbre par sa sainteté et la rigueur de sa doctrine. Sigiran rechercha sa société, reçut ses enseignements et entreprit de l'imiter dans tous ses actes. Flavius ayant annoncé son intention de se rendre à Rome, il lui demanda la permission de l'accompagner, et, s'armant du bourdon, partit en effet avec lui. Chemin faisant, ils rencontrèrent et s'adjoignirent plusieurs groupes de pèlerins, avec lesquels ils continuèrent leur route, en visitant les églises et les lieux de dévotion. L'époque des vendanges était arrivée ; la campagne se mettait en mouvement et redoublait d'activité. Les pieux voyageurs se trouvaient alors dans un petit village où, d'un commun accord, ils avaient résolu de séjourner quelque temps. Là, saisi de compassion à la vue des paysans couverts de sueur et de poussière, Sigiran laissa ses compagnons au logis et se mêla aux vendangeurs, pour aider les plus pauvres, accomplissant ainsi le vœu qu'il avait fait de gagner désormais sa vie par le travail, selon ce verset du Psalmiste : « Tu mangeras le produit de tes mains ». Le soir, il réunissait les gens du lieu, leur adressait des sermons, et leur lisait les actes des Saints, fournissant ainsi à leur esprit et à leur cœur un aliment tout à la fois solide et agréable. En entendant ces suaves prédications, plusieurs habitants des villes et des châteaux voisins abandonnèrent les biens profanes et périssables, dont ils étaient auparavant si jaloux, et se rangèrent aux humbles préceptes du saint homme qui ne cessa de faire la joie et l'admiration de la contrée, jusqu'au moment de son départ pour Rome. Après avoir accompli son pèlerinage et visité la ville éternelle, Sigiran revint dans les Gaules, où il retrouva son premier protecteur Flaocat qui se prit pour lui d'une nouvelle amitié et subit aussitôt le charme de sa douce et fervente parole. Dans les fréquentes conférences qu'ils avaient ensemble, Sigiran exprimant sans cesse le désir de trouver une solitude favorable à la prière, où il pourrait mener la vie des moines, Flaocat entreprit de favoriser ses projets et conçut même un instant la pensée de renoncer aux grandeurs humaines pour se vouer avec lui au service de Dieu. En conséquence, il mit à sa disposition, de l'aveu du roi, un bel endroit du nom de Meobecq, avantageusement situé en Berri, au milieu des forêts de la Brenne. Sigiran y construisit d'abord une cellule en bois, puis une église et un monastère de Bénédictins, dont il fut proclamé l'abbé par les nombreux disciples qui étaient venus le rejoindre, et avec lesquels, dans un calme profond, loin des regards du monde, il ne cessa dès lors de chanter nuit et jour les louanges du Seigneur. Ce monastère acquit en peu de temps un tel développement et une telle célébrité que, ne pouvant accueillir les demandes de tous ceux qui désiraient se ranger sous sa loi, le vénérable abbé dut, sur un ordre d'en haut, songer à fonder une seconde maison. A la prière de Flaocat, le roi s'empressa d'octroyer à Sigiran un riche domaine appelé Lonrey, qu'il possédait sur les bords de la Claise, dans une agréable position, et dont son leude favori avait la jouissance. Sous les successeurs de Clovis, la plus grande partie de la Brenne appartenait au domaine de la couronne, et ses vastes forêts, peuplées de bêtes fauves, furent plus d'une fois témoins des ébats du bon roi Dagobert, dont le nom est resté populaire dans la contrée. Dagobert avait une affection particulière pour Lonrey, déjà renommé par le culte qu'on y rendait à la Vierge, et il se proposait d'en faire une de ses résidences habituelles, lorsqu'il le donna à Sigiran avec les droits, les honneurs, les prérogatives, les églises, les dîmes, les hommes, les péages, les pâturages, les terres cultivées ou incultes, et enfin généralement tout ce qu'il avait en propre entre l'Indre et la Creuse. Toutefois, il y conserva son palais, où il fit dresser un autel en attendant la construction de l'église, et l'enrichit, entre autres reliques, d'un fragment de la vraie croix, d'un morceau de la robe de la Vierge renfermé dans un coffret d'or, et d'une partie du menton de saint Jean-Baptiste. Le roi ne se montra pas seul libéral en cette circonstance, car à peine le projet de Sigiran fut-il connu dans le pays, que les dons de toutes sortes arrivèrent de toutes parts en telle abondance qu'on dut en refuser plusieurs. On rapporte qu'un riche seigneur des environs, appelé Magnobodus, ayant envoyé sur un chariot un vase contenant mille livres d'huile, le Saint le pria d'ajourner son présent jusqu'à l'entier achèvement du monastère. Quand un établissement définitif eut remplacé les cabanes de bois provisoirement élevées à Lonrey, un pieux essaim quitta les murs de Meobecq, devenus trop étroits, et s'installa dans la nouvelle ruche dont la réputation, bientôt égale à. celle de la maison-mère, amena de Guyenne un noble et dévot personnage du nom de Didier, qui prit l'habit monastique et devint lui-même, à cette grande école, un saint du Berri. Cependant, la quiétude et la satisfaction de Sigiran ne tardèrent pas à être troublées par un douloureux événement annoncé dans un songe. Après le départ de son ami, Flaocat ayant promptement oublié ses conseils et ses dévotes inspirations, s'était abandonné plus que jamais au torrent des passions mondaines. Parmi les courtisans se trouvait un de ses anciens élèves, nommé Willibald, homme plein d'honneur et de piété, dont les mérites et l'influence croissante lui avaient inspiré une abominable jalousie et la résolution de le perdre. A cet effet, il lui chercha querelle sur des griefs imaginaires, obtint du roi la permission de l'appeler en combat singulier, et, dans cette rencontre, le vainquit et le tua. Mais le châtiment suivit de près le crime ; car, onze jours après, celui qui avait opprimé la vertu, dont il eût dû par position être le plus ferme appui, subit la mort du corps et de l'âme, et comparut au tribunal suprême couvert d'un sang innocent. Tandis que ces choses terribles se passaient à la cour, la grâce continuait de descendre sur les abbayes de Meobecq et de Lonrey et se manifestait par deux miracles que nous ne pouvons omettre. Un soir que Sigiran et quelques frères s'étaient rendus à Meobecq pour la conclusion d'une affaire, des voleurs les suivirent furtivement et dérobèrent leurs montures. Mais Dieu ayant jeté la confusion dans l'esprit de ces misérables, ils se perdirent à travers les bois, et, après avoir erré toute la nuit, se retrouvèrent au point du jour devant le guichet de Meobecq, à la vue duquel ils abandonnèrent les chevaux et s'enfuirent. Les affaires terminées, le pieux abbé et ses compagnons s'acheminèrent vers Lonrey. Ils arrivèrent sur la brune dans le voisinage d'une ferme et mirent pied à terre pour lire en commun les prières du soir, à la clarté d'un cierge tenu par un enfant. Pendant cette lecture, le vent éteignit la lumière, et l'enfant, rouge de honte, se disposait à aller chercher du feu, quand le Saint le retint doucement et lui dit : « Ne te dérange pas, mon fils, car je porte avec moi la flamme divine ». Puis il fit un signe de croix sur le cierge, qui se ralluma aussitôt. Après la prière, les voyageurs remontèrent à cheval et ne s'arrêtèrent plus qu'à l'abbaye, où ils reprirent leur vie dévote et studieuse. L'histoire garde le silence sur le reste de la vie et sur la mort du premier abbé de Lonrey et de Meobecq. Nous savons seulement qu'à un âge déjà avancé, il fut pris d'un violent accès de fièvre et partit pour un monde meilleur au milieu du chœur des anges, la veille des nones de décembre, vers l'an 657.
CULTE ET RELIQUES.
Saint Cyran fut enseveli derrière l'autel d'une petite église du Blanc fondée par lui et placée sous son vocable, qu'on voit encore en la ville haute, près du vieux château des Naillac. En 1629, le dimanche de l'octave de Pâques, l'archevêque de Bourges, Jean de Sully, vint au Blanc pour vérifier ces restes, et fit ouvrir le sarcophage de pierre qui les contenait. Après les avoir reconnus, il les déposa dans un coffret de bois qui fut lui-même enfermé dans le tombeau de pierre, couvert d'un drap de soie où était peint l'écusson d'Albert Turpin, homme d'armes, en présence de celui-ci, de dame Marthe de Crelay, son épouse, de l'archiprêtre du Blanc, de maître Guillaume de Saga, chanoine de Vatan, et de plusieurs autres membres du clergé. L'année suivante, le dimanche après l'Assomption, le même prélat revint au Blanc et transporta de nouveau les reliques dans une châsse de cuivre doré, en présence des religieux de Saint-Sulpice de Bourges, de Saint-Gildas, de Meobecq, de Saint-Cyran, de Fontgombault, de La Celle-Saint-Eusice, de Jean de Belmont, d'Albert Turpin, hommes d'armes, et de plusieurs autres. Ce fut sans doute à l'occasion de ces translations que l'abbaye de Saint-Cyran put obtenir divers fragments du corps de son glorieux patron, qu'elle conserva jusqu'à la Révolution de 93, avec d'autres reliques précieuses, dans une belle châsse rehaussée d'or. Cette châsse, portée tous les ans à la procession du dimanche avant la fête de saint Jean-Baptiste, devait naturellement exciter la convoitise des révolutionnaires, qui, en mars 1794,1a brisèrent pour s'en approprier les ornements et dispersèrent ses reliques. Celles-ci furent providentiellement recueillies par M. l'abbé Bouley, et renfermées dans un sachet scellé, avec un écrit signé de lui indiquant la nature et l'importance des objets sauvés, parmi lesquels se trouvaient : le morceau des vêtements de la Vierge dont fait mention la charte de Dagobert, des ossements de saint Paul, de saint Antoine, de saint Laurent, de saint Génitour du Blanc, de saint Fiacre, de saint Silvain de Levroux et de sainte Radegonde, enfin une partie du bras de saint Cyran. Après le rétablissement du culte, ces richesses revinrent à l'église de Saint-Michel en Brenne, voisine de l'abbaye désormais supprimée, et furent déposées dans une châsse en bois plus que modeste, avantageusement remplacée en 1860 par un magnifique reliquaire de bronze doré, présent de l'impératrice Eugénie.
Entrait des Pieuses légendes du Berri, par M. Just Veillat.
LA BIENHEUREUSE ÉLISABETH DE WALDSECH,
DU TIERS ORDRE DE SAINT-FRANÇOIS (1420).
Notre Bienheureuse, que la sainteté de sa vie avait fait surnommer la bonne Élisabeth, vint au monde l'an 1386 à Waldsech, pays de Souabe, diocèse de Constance. Prévenue, dès le berceau des bénédictions célestes, et élevée dans la crainte du Seigneur par sa pieuse mère, elle croissait de jour en jour en sagesse. On la mit de bonne heure en pension chez les Religieuses du Tiers Ordre, et la jeune enfant fit en peu de temps d'admirables progrès dans la science des Saints. Elle n'avait encore que quatorze ans lorsqu'à force d'instances elle obtint la permission de revêtir les livrées franciscaines, que sa mère prit aussi plus tard, après la mort de son mari. Dés lors, sa ferveur étonna les plus anciennes sœurs du monastère. On la voyait toujours la première dans tous les exercices de la communauté ; ni la faiblesse de l’âge, ni la délicatesse du tempérament ne purent jamais lui servir de prétexte pour se dispenser des austérités de la Règle. Jamais on ne vit Religieuse plus humble et plus mortifiée ; elle n'avait d'ambition que pour les plus vils emplois de la maison. C'était d'ailleurs un couvent très pauvre ; chaque sœur vivait du travail de ses mains, et la supérieure ne s'occupait que de la direction des travaux. Les Religieuses n'avaient de commun que les exercices spirituels et l'habitation. Élisabeth travaillait, priait, jeûnait et avait à soutenir de rudes assauts de la part du démon. Injustement accusée de vol, elle fut en proie au mépris de ses compagnes, et lorsque son innocence reconnue lui rendit l'estime dont elle jouissait, il lui survint une lèpre infecte qui couvrait tout son corps et la rendait insupportable à tout le monde. Sa patience pourtant ne se démentit jamais dans toutes ses épreuves. Le Très-Haut, voulant attester la vertu de sa fidèle servante, la favorisa de grâces particulières. Douée du don de prophétie, Élisabeth prédit la fin du schisme qui désolait alors l'Église, et la prochaine élection du pape Martin V. Ses fréquentes communications avec l'Époux céleste lui faisaient goûter ici-bas les plus pures délices. Son oraison était comme une extase, elle en sortait tout embrasée du divin amour. Ses paroles toutes de feu étaient accompagnées d'une douce suavité qui gagnait les cœurs. On ne l'appelait que l'ange tutélaire de la maison. Élisabeth s'occupait sans cesse de la Passion de Notre-Seigneur ; la méditation de ce grand mystère lui faisait verser, comme à son bienheureux patriarche, des torrents de larmes. Tous les vendredis, elle honorait les stations de la voie douloureuse par des mortifications et des souffrances volontaires. L'amour qu'elle éprouvait pour le divin Sauveur dans la sainte Eucharistie était sans bornes. Ce pain des anges était parfois sa seule nourriture de la journée ; la communion, qu'elle faisait tous les jours, la réjouissait et la fortifiait tellement que, malgré ses pénitences, elle paraissait la mieux portante des sœurs. Sa tendre dévotion pour la sainte Vierge répondait à l'amour ardent qu'elle avait pour son divin Fils. Cette digne enfant de saint François célébrait avec une vive ardeur les fêtes qui sont consacrées à la divine Mère. Tous les objets qui lui appartenaient, portaient le nom de Marie, car elle les lui avait tous dédiés. Sur ses instances, les religieuses et les pensionnaires de la maison s'unissaient à la bonne Élisabeth pour chanter des hymnes et des cantiques en l'honneur de la Vierge sans tache. Le chapelet, qu'elle ne quittait jamais, était sa prière favorite. Mais de tous les mystères de la très-sainte Vierge, celui de son immaculée Conception faisait l'objet particulier de son culte. Elle ne tarissait point sur cette matière, et quand on voulait l'entendre parler avec plus de zèle, on n'avait qu'à la mettre sur cette voie. L'historien de sa vie assure que cette Reine des anges lui apparaissait fréquemment, surtout au milieu des rudes combats qu'elle eut longtemps à soutenir contre l'esprit du mal. Lorsque Dieu voulut enfin récompenser les vertus de cette âme séraphique, il lui fit connaître que l'heure de sa mort approchait. Le bruit s'étant répandu dans le monastère, qu'on était à la veille de perdre la bonne Élisabeth, on ne saurait dire quelle désolation causa parmi les sœurs cette triste nouvelle ; chacune s'empressait de prévenir cette perte par un accroissement de vénération et de respect. Une légère fièvre prouva bientôt que leurs craintes n'étaient que trop fondées. Notre Bienheureuse, se sentant de plus en plus pressée d'aller à Dieu, passa le peu de temps qui lui restait dans l'exercice continuel du plus pur amour. Enfin, ayant reçu les derniers sacrements avec une nouvelle ferveur, ne cessant de prononcer les doux noms de Jésus et de Marie, elle se fit lire l'Évangile de la Passion, et à ces mots : « Jésus rendit son esprit », elle expira, et termina ainsi sa sainte vie par une précieuse mort, le 25 novembre 1420, à l'âge de trente-quatre ans. Son corps fut enterré solennellement dans son monastère. Le pape Clément XIII approuva le culte immémorial qu'on lui rendait ; sa fête est fixée au 5 décembre.
Extrait des Annales de Tiers Ordre de Saint-François d'Assise.