Se réjouir des échecs : Différence entre versions
De Salve Regina
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Version actuelle datée du 10 mars 2011 à 16:27
Vie spirituelle | |
Auteur : | Apostolus |
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Source : | Revue "La Vie Spirituelle" n°204 |
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Difficulté de lecture : | ♦ Facile |
Paradoxe ou folie, en apparence, et que nous voudrions expliquer.
Il est de faux mystiques extravagants pour qui cette formule est dangereuse. Ils sont capables d'une joie morbide de l'échec, sous prétexte de mortification, d'anéantissement, d'union au Christ, au grand détriment de l'objectivité de leur action et de l'obligation pour tous de la prudence.
L'échec ne doit jamais apparaître comme un but, et la multiplication indéfinie des échecs comme une solution de vie chrétienne. Le chrétien doit, plus que quiconque, se conduire selon la raison, et l'usage sain de la raison conduit normalement au succès. Se réjouir à priori de ses insuccès, sans réfléchir au devoir que l'on avait de remplir sa vie, de choisir des buts possibles, d'adapter les moyens aux fins, est enfantillage ou faiblesse d'esprit. Qui continue de rater tout ce qu'il entreprend avec la confiance de s'unir par là davantage au Christ souffrant, a besoin de se ressaisir, de reconnaître qu'il n'est pas en sa voie, et de changer d'orientation. Mais il en sera souvent incapable : orgueilleux, il s'entêtera dans ses entreprises ; esprit faux, il ne saisira pas la portée morale de ses expériences ; simple, ou malade, il continuera de s'exalter en son dérèglement.
Ce n'est d'ailleurs pour aucun de ceux‑là, plus nombreux sans doute qu'on le pense, que nous écrivons.
Nous écrivons pour nos frères très aimés qui ont entrepris pour Dieu, avec ardeur, le travail de l'apostolat. Il leur arrive si souvent de rencontrer des difficultés insurmontables, et de constater l'inutilité de leurs démarches et de leurs efforts, qu'ils sont prêts à se décourager. Des milliers de débutants en apostolat jettent bientôt le manche après la cognée, et abandonnent leur vocation de lutteurs et de conquérants. Nous voudrions leur redonner confiance, les consoler de leurs mésaventures, et leur apprendre à en tirer parti.
L'échec est pour l'homme d'action le grand éducateur. On échoue le plus souvent par sa propre faute : l'objectif était mal défini, ou mal choisi ; ou bien, l'objectif étant excellent, on a pris pour l'atteindre des moyens insuffisants ou inadaptés. L'action engagée dans ces conditions ne pouvait aboutir. Ici, cependant, la plupart des hommes oublient de s'accuser eux‑mêmes : à les en croire, leur échec est la faute des circonstances, ou la faute d'autrui : ennemis qui ont fait de l'opposition, événement imprévu qui a tout détruit, collaborateurs qui n'ont pas compris. Pas un instant, l'orgueilleux, l'entêté, le fat, le stupide, ne se disent que les ennemis prétendus pouvaient avoir raison, que l'événement malheureux aurait dû être prévu, que les collaborateurs auraient dû être ou mieux choisis, ou mieux formés, ou mieux éclairés, ou mieux entraînés.
La meilleure tactique, dans l'action, c'est de prendre toute pour soi la responsabilité des insuccès. Il est si facile, à la réflexion, d'en découvrir les raisons vraies. Un homme parfaitement prudent n'entreprend d'action qu'à coup sûr, dans la ligne de sa vocation providentielle, contrôlée par la direction et par les lumières intimes de l'oraison. S'il risque parfois, il le sait, mais il a assez de raisons de tenter l'aventure ; l'échec à demi prévu ne saurait le surprendre, ni l'atterrer.
Pendant des années et des années, l'apôtre commençant ne sera qu'imparfait en prudence. Il doit faire ses classes en pleine vie, et risquer souvent l'insuccès. Mais chaque insuccès lui sera la leçon aimée. À examiner froidement l'action entreprise, à la critiquer sans vanité, il se rend compte des manques de préparation, des hâtes déréglées, des entraînements passionnés. Avant d'agir, il eût fallu savoir, savoir plus exactement où l'on allait, et par quels chemins, et quels obstacles on y rencontrerait. On est parti en avant tête baissée ou les yeux au ciel ; rien d'étrange à la rencontre de quelque mur, ou à la chute en quelque fossé ; rien d'étrange si les passants ont crié casse-cou.
L'humble, seul, tire tout à fait parti de ses échecs ; mais l'âme de bonne volonté et objective devient à la fois humble et forte par le jeu de cette critique honnête de l'action. L'orgueilleux s'entêtera à toujours mal recommencer : l'humble rectifiera ses enquêtes, ses buts, ses méthodes et deviendra constructeur. Après tout, il ne reste rien, le plus souvent, des échecs, et les succès demeurent. Chaque échec est un vide ; il suffit d'une bonne pierre pour le remplir. Les succès sont des pierres qui toutes ensemble font un mur, une maison, la cathédrale. Du faux mouvement qui fit tomber une brique ou crouler un échafaudage, que reste‑t‑il ? Et si même tel raccordement malhabile, telle amorce toujours en attente témoigne aux générations successives du génie incertain des bâtisseurs, leur œuvre est là cependant, encore solide, et c'est l'affirmation de leur triomphe.
Combien ne voudraient construire que des cathédrales ? Combien ne voudraient réaliser que des chefs‑d'œuvre ? Puissent les premiers échecs de leur action leur faire comprendre qu'en un petit village, il suffit d'une modeste église, et qu'il est inutile de forcer son talent. Chacun ne doit entreprendre que des oeuvres à sa taille, et des œuvres utiles. Béni soit l'échec qui nous fait prendre notre place vraie, ou repousser nos chimères.
L'objectivité de l'action, la lente préparation, le choix judicieux des moyens, le souci du détail joint à la grande largeur du regard, l'abandon des chantiers sans rendement, l'humilité vraie, autant de résultats des échecs en qui les sait lire.
Après cet examen loyal, et ces acquisitions vertueuses, on pourra peut‑être s'en prendre aux circonstances et aux personnes, au malencontreux jeu d'autrui en notre jeu ; on pourra en tout cas se tourner vers le Christ pour se réjouir en lui de lui ressembler.
Effectivement, les échecs conduisent l'apôtre vers le Christ. Ils sont un écho du grand échec de la croix, quand Pharisiens, Saducéens et Pouvoirs établis triomphèrent visiblement de Jésus. Ne fut‑il pas, par dérision, couronné d'épines, vêtu de blanc, puis de pourpre, et crucifié sous l'étiquette, pour tous ridicule, de roi des Juifs. Les siens l'avaient trahi ou avaient fui. C'était l'écroulement de son oeuvre. Or, dans le même temps, Jésus commençait son triomphe : en acceptant la mort, il en devenait le dominateur; en se laissant élever sur la croix, il élevait l'humanité jusqu'au Père, il réalisait sa vocation, il remplissait son rôle de Sauveur.
Ainsi, toutes proportions gardées, de nos échecs.
Ceux dont nous ne sommes nullement responsables, et qu'il faut imputer totalement aux forces mauvaises acharnées contre l'œuvre du Christ, sont encore le crucifiement de Jésus, son retentissement en chacun de nous. Ils font pénétrer en nous la rédemption et le Sauveur, ils nous font ressembler, en notre âme spirituelle et en notre sensibilité, au Christ vrai ; ils nous aident à le trouver en nous, ses membres endoloris, beaucoup plus que nous le pouvions trouver en le contemplant en ses images, fussent‑elles peintes par l'Angelico ou Van der Weyden.
Les autres, ceux que nous avons mérités par imprévoyance ou par précipitation, par médiocrité on par orgueil, par inintelligence ou par mollesse, loin de nous arrêter et abattre, nous doivent stimuler. Mais comme le Christ fut objectif, fort, persévérant et humble en même temps que magnanime, nous le devons devenir comme lui par ces échecs mérités, en juste réflexion sur nous-mêmes. Ces vertus, cette mesure, cette adaptation qui nous manquaient, nous allons donc les acquérir et de la sorte lui ressembler.
Heureuse faute, disait Augustin. Heureux échecs, dirons‑nous, qui tous nous conduisent à notre Maître.