La prière vaut-elle un anti-dépresseur ? : Différence entre versions

De Salve Regina

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Version actuelle datée du 14 mars 2017 à 16:12

Vie spirituelle
Auteur : Sandrine Planchette, psychologue
Source : Extrait des cahiers Saint Raphaël , n° 80
Source web : Consulter
Date de publication originale : Septembre 2005

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen

Les personnes déprimées s’entendent souvent dire : "Mais pensez moins à vous et priez plus le Bon Dieu : ça ira mieux !". Si cette opinion est coutumière et fréquemment exprimée par les clercs ou religieux, est-elle un bon conseil pour quelqu’un de déprimé ? Arrive-t-on à guérir de la dépression en restaurant en soi une vie chrétienne fervente ? Et, qu’est-ce qu’une vie chrétienne fervente, quand à cause de la dépression, on n’a plus goût à rien et que tout ne paraît que vide, pesanteur et dégoût ?

Avant d’entrer dans le vif du sujet, commençons par le délimiter : nous parlerons ici des personnes qui souffrent de troubles dépressifs graves, non pas de la déprime passagère dont nous parlent les maga­zines populaires à l’entrée de l’hiver. Rappelons que les troubles dépressifs se caractérisent par une grande tristesse présente quasiment toute la journée. Cette tristesse s’accompagne de représentations sur soi, sur l’avenir et sur ce que pensent les autres, particulièrement négatives, avec parfois des idées noires allant jusqu’aux idées suicidaires. Sur le plan physique, on constate une perte de dynamisme, une grande fatigue souvent plus présente le matin que le soir, des symptômes somatiques tels que la perte d’appétit, de sommeil. Ensuite, nous ne parlons pas des "prières de guérison" pratiquées par cer­taines communautés charismatiques et/ou protestantes lors de cérémonies plutôt folkloriques où il y a fort à parier que c’est l’effet "cathartique" qui agit (c’est-à-dire la libération émotionnelle qui est provoquée par les mouvements de foule, la musique etc.).

Alors, qu’en est-il ? "Les déprimés ont-ils (vraiment) besoin de comprimés ?" comme l’intitulait avec humour un conférencier célèbre ? Et bien oui ! Que les médecins se réjouissent mais que les âmes pieuses se rassurent : les médicaments, une thérapie, souvent nécessaires dans la dépression grave ne dispensent cependant pas le malade de prier, mais il faut l’aider à prier. Aussi pour bien comprendre, je propose de revenir d’abord sur les conséquences de la dépression sur la vie spirituelle pour dégager plus clairement les principes spirituels qui doivent être rappelés, enseignés souvent, et maintes fois répétés à la personne dépressive pour qu’elle ne désespère pas .

La dépression : un bouleversement total de l’homme

Je fais volontiers mienne la conclusion du Dr de Labriolle dans son article "la maladie mentale : maladie du corps ou maladie de l’âme"[1] : "Quelle est donc en définitive la substance malade ? L’homme tout entier pardi !". Pie XII a d’ailleurs souvent rappelé cette vérité aux professionnels de la santé mentale qui l’interrogeaient, en particulier dans son discours du 1er octobre 1953 : "L’attitude fondamentale du psychologue et du psychiatre chrétien devant l’homme doit consister à le considérer comme une unité et totalité psychique, une unité organisée en elle-même, une unité sociale, une unité transcendantale, c’est-à-dire tendant vers Dieu."

Or, face à quelqu’un de déprimé, nous oublions trop facilement, parce qu’il nous paraît comme nous, que la dépression vient établir une dissociation profonde entre les domaines affectif, intellectuel et sensible.

L’homme est une unité ordonnée

La dépression n’est pas une maladie qui touche seulement l’un de ces secteurs. Pour mieux comprendre, nous pouvons nous aider de la pensée du Dr Stocker, psychiatre genevois, qui dans plusieurs de ses ouvrages a mis en évidence la constitution ontologique de l’être humain sous la forme d’un sché­ma simple à saisir.

Constitution ontologique.jpg

Pour lui, comme pour St Thomas, la nature humaine a une sensibilité, une intelligence et une volonté qui sont essentiellement hiérarchisées : l’homme est en contact avec la réalité par la connaissance sensible ; c’est par les infor­mations que nous communiquent nos sens que nous appréhendons le monde qui nous entoure. L’intelligence "extrait" de cette connaissance sensible des idées abstraites. Et la volonté nous porte, nous entraîne vers ce qui nous parait être bon, bien, convenable pour nous. A travers cette représentation, nous voyons combien nous sommes par essence orientés de la terre vers le Ciel, vers Dieu, bien suprême de l’âme humaine.

L’engluement du déprimé en lui-même

Or, dans la dépression (quelle qu’en soit la cause, et à fortiori plus encore évidemment si la cause de la dépression réside dans un ou des péchés mor­tels), cet ordre ontologique est profondément bouleversé. En effet, lorsque nous discutons avec le malade, nous constatons qu’il ne perçoit plus la réalité de manière adéquate : même s’il a fait des efforts pour aller travailler, ou s’occuper des enfants, il juge tout comme "raté" ou "insuffisant parce que les autres font plus ou mieux". Si nous lui demandons de se projeter dans l’avenir, tout est noir, inaccessible… Le déprimé en effet ne vit plus et ne juge plus selon ce que ses sens et sa conscience du réel lui indique mais en fonc­tion d’un certain nombre de pensées et de jugements dysfonctionnels dépressogènes du type : "je suis nul", "personne ne se préoccupe de moi", "je rate tout" etc. Le schéma qui serait le plus proche du fonctionnement du dépres­sif serait le suivant :

Constitution ontologique depressif.jpg

La volonté est donc comme "prise en sandwich" entre l’intelligence qui tourne sans contact avec le réel et qui pense mal et la sensibilité qui ne perce­vant pas la réalité, ne reçoit que des thèmes tristes et décourageants. La volonté qui est la faculté qui nous porte vers ce qu’on aime est donc prison­nière et ne peut permettre à l’individu de "s’oublier" en se donnant : voilà entre autre, pourquoi les personnes dépressives ont tant de mal à s’intéresser à ce qui se passe autour d’elles et sont comme enfermées en elles, sans y trouver de plaisir d’ailleurs !

Ces distorsions empêchent l’âme de connaître vraiment Dieu, et de se livrer à Lui car la personne dépressive est engluée dans sa maladie. C’est un "regard réflexe" comme le Père Calmel l’évoquait souvent où, au lieu d’aller vers Dieu, le sujet se contemple lui-même.

Ainsi, comme l’enseigne Pie XII, dans son discours de 1953 : "C’est toute la personnalité qu’il faut redresser pour rendre l’équilibre indispensable à l’exercice de la liberté." Nous retrouvons là d’ailleurs un adage bien connu des théologiens scolastiques : "la grâce ne détruit pas la nature, elle la présup­pose". Les moyens naturels ordinaires sont donc nécessaires pour restaurer la nature humaine : médicaments, psychothérapie si nécessaire pour éviter les rechutes, et conseils spirituels du prêtre.

En effet, la prière vraie est bien difficile à celui ou celle qui subit une dépression : elle est difficilement ordonnée à Dieu en raison de tout ce que nous venons de voir. Il est donc nécessaire d’aider la personne déprimée à remettre de l’ordre dans son être, et en particulier de l’aider à porter, supporter la pesanteur de la dépression, de l’angoisse et du désespoir parfois qui l’accompagne.

Comment la prière, la vie chrétienne peuvent-elles aider la personne déprimée ?

La vie chrétienne n’est pas (seulement) une vie d’effort, c’est d’abord une vie de docilité à la grâce. Attention, ce n’est pas une vie passive où on ne fait rien, mais une vie où on offre à Dieu notre misère, en ayant, en essayant d’avoir l’in­tention droite de plaire à Dieu, et de Lui obéir. Au fond, le seul effort que nous ayons vraiment à faire est celui de se laisser faire : "Si vous ne redevenez de petits enfants" disait Notre-Seigneur… L’enfant et mieux encore le bébé se laisse faire par l’adulte qui s’occupe de lui. Il se laisse prendre dans les bras, coucher, retourner, laver, habiller, déshabiller etc. Il ne se pose pas de ques­tions sur ce qui va lui arriver : il fait confiance. Et, c’est cette confiance à Dieu dans l’épreuve qui va pouvoir aider la personne déprimée. Il s’agit qu’elle arrive avec l’aide du prêtre, les bons conseils et les encouragements de son entourage à s’abandonner entre les mains de Dieu, à Lui faire confiance là où tout paraît impossible. Il ne s’agit pas d’arrêter de lutter contre la maladie car la lutte fait partie du processus de guérison. Examinons cela de plus près.

Nous sommes des êtres dépendants

Pour s’abandonner, il faut avoir conscience que nous ne pouvons rien par nous-mêmes : tout ce que nous avons - santé, richesses, beauté, force physique, intel­ligence etc., tout nous vient de Dieu et peut nous être retiré par la maladie, la mort, la ruine. St Paul le dit magnifiquement : "Dieu opère en nous le vouloir et le faire, selon son bon plaisir"[2]. Il dit aussi : "C’est en Lui, que nous avons le mouvement, la vie et l’être". Si nous méditons ces quelques phrases, il apparaît clairement que nous n’avons pas décidé de naître homme ou femme, avec telle constitution physique, tel milieu d’appartenance. Nous n’avons pas plus décidé d’avoir telle forme d’intelligence, tels dons ou telles disgrâces ou maladies ! Notre inégalité est voulue par Dieu et Il est le maître. Il en va de même pour cette maladie, la dépression, qui touche telle ou telle personne selon la volonté ou au moins la permission de Dieu. De même, c’est Dieu qui maintient l’union du corps et de l’âme : ma vie est de Dieu, vient de Dieu, appartient à Dieu à chaque instant. Et ce n’est pas parce que nous sommes malades, déprimés que Dieu ne s’occupe pas de nous ou ne nous aime pas.

S’offrir avec son dégoût de soi, sa tristesse morbide et ses misères

Dans la dépression, la sensibilité nous envahit, la tristesse, le doute, le découragement (parfois le désespoir) sont omniprésents.

La personne déprimée n’a que cela à offrir à Dieu ? Et bien, elle a toutes ces misères, ce découragement à offrir à Celui qui nous a dit : "Sans moi, vous ne pouvez rien faire." Dieu aime notre misère, Il sait mieux que nous encore, combien nous sommes faibles, limités, incapables, bornés… Pourtant, c’est dans ce fond, cet abyme de misère que Son amour veut reposer et nous sanc­tifier : pourquoi Lui refuser l’entrée de notre cœur ? Dom Guillerand, lui-même victime de problèmes nerveux sérieux donnait ce conseil[3] : "Ne vous étonnez pas que votre prière demeure douloureuse ; elle n’en est ni moins prière ni moins puissante sur le cœur de Dieu. Le bon Dieu ne demande pas de ne pas souffrir ; il demande de prendre votre croix à deux mains et de la lui offrir en union avec la sienne. Nous comprendrons un jour que les heures où il la dépose sur nos épaules sont les plus précieuses de nos vies."

Job ou la patience dans les épreuves

On peut donc dire que la dépression oblige à une certaine ascèse : il ne s’agit pas de rechercher l’apaisement dans le silence de la prière (mais demander cet apaisement n’est pas interdit bien au contraire !), ni les consolations ; il s’agit de croire que Dieu est présent au fond de l’âme, prêt à aider la personne déprimée à porter sa croix. Il ne s’agit pas de présenter une vision naturaliste de la prière et de ses effets : les personnes anxieuses apprécient souvent de faire oraison, car cela leur apporte une détente. Il s’agit que les personnes déprimées comprennent que par la foi, elles sont toujours unies à Dieu (surtout si elles sont en état de grâce) alors même que leur sensibilité leur laisserait croire le contraire. La prière courte, la lecture spirituelle, et bien évidemment la réception des sacrements vont donc aider l’âme à rester orien­tée vers Dieu et à vouloir ce qu’Il veut pour elle.

L’histoire du saint homme Job est pleine d’enseignements pour notre sujet et il est bon à chacun de la méditer. L’Eglise a d’ailleurs fait du bienheureux Job, le Patron des personnes mélancoliques et l’on trouve dans le Missel Romain de Limoges de 1527, l’oraison suivante :

"Dieu, qui pour l’instruction des âges futurs, avez orné le bienheureux Job, votre confesseur et prophète, de la vertu de patience au milieu des épreuves, faites dans votre miséricorde qu’à son exemple, nous supportions d’une âme égale, les afflictions de la vie présente et que nous méritions d’obtenir les joies de la vie future. Par N. S."

Les personnes déprimées peuvent également lire avec profit certains psaumes (les psaumes de Complies du dimanche par exemple) qui chantent à longueur de verset l’amour de Dieu, sa miséricorde, sa connaissance de nos misères et les secours constants qu’Il nous apporte.

La dépression : un splendide cadeau de Dieu !

Titre provocateur ? Oui et non, puisque rien ne nous arrive par hasard ! Que la dépression soit un châtiment pour une âme qui a offensé Dieu ou qu’elle soit une épreuve qu’Il lui envoie, le malade peut en faire son profit. Lutter contre la dépression avec l’aide de la prière est l’occasion pour l’âme de prouver à Dieu qu’elle l’aime. La dépression et son cortège de maux pesants oblige l’âme qui veut lutter et aimer Dieu quand même, à passer par-dessus la sensibilité, et l’entraîne vers les régions de la foi pure, de la charité vraie (c’est-à-dire de l’amour qui s’oublie) et de l’espérance confiante. Ecoutons une dernière fois Dom Guillerand dont nous ne saurions que trop conseiller la lecture : "C’est la grande erreur de notre vie… Nous confondons la sensibilité avec l’âme. La sensibilité, c’est la partie inférieure de l’âme, c’est l’âme ensevelie dans la matière, et liée à toutes ses conditions si changeantes. Mais ce n’est pas la part vraiment, et proprement humaine ; la part humaine c’est la raison spirituelle, qui est supérieure à toute la part inférieure, qui est éclairée d’en haut et qui doit diriger tout notre être selon sa lumière plus pure. Les troubles, les craintes, les amertumes, c’est le monde d’en bas… Nous n’avons pas sur lui l’autorité absolue qui n’a qu’un mot à dire pour ramener la paix… Pratiquement notre pouvoir se ramène à deux choses et ne peut s’exercer que de deux façons :

1° l’acceptation : " Mon Dieu, j’accepte et je vous offre cet état pénible, et l’impuissance à le faire cesser ". Cela nous le pouvons toujours… Quand nous acceptons cette épreuve de la main de Dieu et quand nous la Lui offrons, nous sommes et nous faisons comme le prêtre, qui offre une victime : et la victime c’est nous, et l’offrande c’est notre vie même. Notre vie et notre être s’élèvent à ce moment-là vers Dieu et se perdent en Lui… Que peut-on faire de plus grand et de plus beau ?

2° la transformation qui résulte de l’acceptation. A force de prendre ces peines de la main de Dieu et de les Lui donner à force de les envisager dans cette lumière plus haute, on finit par en voir plus aisément le beau côté et par les trouver beaucoup moins pénibles. Les peines prennent pour nous une forme nouvelle. Mais pour cela il faut se tenir en contact avec Dieu, et voilà pourquoi la prière et les sacrements sont indispensables".[4]

Ainsi, munies des secours de la médecine, soutenues et encouragées sur le plan spirituel, les personnes dépressives peuvent faire grâce à cette maladie, des pas de géants vers la sainteté, puisqu’il est bien connu que :

"Bienheureux ceux qui sont dans l’affliction, car ils seront consolés" St Matthieu, V, 4.

Notes et références

  1. Cahiers Saint Raphaël, n°79, juin 2005
  2. Phil, 2
  3. In Dom Augustin Guillerand, un maître spirituel de notre temps, André Ravier, Desclée de Brouwer, 1965, p.70
  4. Dom Guillerand, Voix Cartusienne, p.69-70
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