La nuit de l'âme : Différence entre versions

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Version actuelle datée du 10 mars 2011 à 17:17

Vie spirituelle
Auteur : Sacerdos
Source : Revue "La Vie Spirituelle" n° 189

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen

Le péché fait naître en notre âme une nuit désolée: le péché qui entre par la porte secrète, que l'on ouvre sciemment.

Cette nuit s'oppose à la « nuit obscure » dont parle saint Jean de la Croix : l'une est pleine du mystère divin, dans l'autre nous guette la tentation du néant; qui s'élève là, devine la présence cachée du Dieu vivant ; qui descend ici, goûte la mort spirituelle: au sommet de la foi, dépassant toute lumière de la terre, l'âme connaît un obscur face‑à‑face; au fond de l'abîme du mal s'annonce déjà le malheur d'une absence éternelle.

On se fait rarement une idée vive de cette nuit malheureuse. On déserte ce fond de l'âme, où ces ombres descendent : péché sur péché, mensonge sur mensonge. On vit à la surface de soi‑même, le visage vers le monde extérieur. On est poussé par un secret dégoût « dans ces prodigieux égarements », où notre conscience « n'a jamais le loisir de nous parler », où « toutes nos heures sont si occupées qu'il ne reste plus de temps pour cette audience ». Ainsi peut s'épaissir au fond du cœur, silencieusement, cette nuit qui nous cache l'essentiel de la vie.

Mais Dieu peut déchirer cette nuit d'un éclair et nous en montrer la profondeur. Au détour d'un chemin, à l'heure marquée par son amour, le coup nous vient droit : une blessure du cœur, une amitié qui se brise, une certitude qui croule, une. tombe qui s'ouvre; la sensation subite qu'on se perd, si l'on ne revient à la lumière, l'impression nette que la vie n'a plus de sens, à cette minute où l'âme et seule en présence de ce sphinx mystérieux qui l'interroge au carrefour de ses voies intérieures; parfois même une terrible ironie et comme le ricanement d'un esprit méchant qui nous livre ses assauts dans le dernier retranchement du cœur. Touches brûlantes d'une grâce qui nous poursuit à la limite du néant, appel d'une Bonté qui ne se lasse pas de nous circonvenir jusqu'à la mort.

A ces coups, pour sortir dé cet obscur état, il faut voir le chemin que la nuit a suivi, remonter cette pente et revenir au point où l'ombre, commença de descendre.

L'obscurité semble venir d'un désaccord essentiel où nous met le péché. La transgression du droit divin entraîne une position fausse de l'âme avec la source de sa vie qui rompt l'écoulement de la lumière. Il se fait un tort, un « déjettement », si l'on peut dire, où se brise notre équilibre, parce que notre essence n'a plus son juste appui sur l'essence éternelle. Nos puissances se trouvent dans une position de mort comme les racines d'un arbre abattu par le vent.

Non que le péché atteigne l'essence de l'âme ; il ne touche que sa position profonde, il la décale seulement à sa base divine. La nature des puissances échappe à son atteinte. L'intelligence demeure intacte, que de pécheurs de génie ! Mais ses visées ne s'élèvent plus limpidement vers la fin véritable. La volonté ne se porte plus d'un désir pur et fort vers le bien souverain. L'absence de Dieu laisse l'âme seule, en prise avec le monde et la vie. Son Dieu n'est plus sa lumière; son jugement ne peut plus sortir de la face du Seigneur, comme dit l'Écriture.

Car la lumière, pour conduire la vie, nous vient de la fin ; non pas d'une conception, posée par la seule pensée comme un but Idéal, mais de Dieu même, caché au fond de l'âme et présent à ses saints. Quand l'homme croit en cette présence du « beau Dieu ami », s'il peut lui parler dans sa prière, lui confier sa pensée, lui demander son conseil et son secours, quelle clarté naît de ce commerce mystérieux ! La vie n'est plus fermée sur son énigme, elle a son aire solide pour le départ et l'élan, son appui merveilleux et son point d'arrivée dans l'espérance ‑ spe gaudentes.

Si Dieu manque à l'homme, si le royaume infini de l'espérance éternelle n'est plus pour lui qu'un rêve d'enfant, il doit trouver sa fin dans le temps qui finit : il n'a plus pour terme,que la mort, une mort certaine qui s'évanouit dans un doute angoissant. Il ne peut reporter au‑delà de la tombe la certitude de son bonheur, et comme le mal heurte ses pas sur ce dur chemin de la terre, il trébuche dans la douleur inexplicable. A une certaine profondeur de vie, tout pour l'homme sans Dieu est obscur : il perd le sens de lui-même.

Il ne reste plus à ce « roseau pensant » que le champ de la science ou de l'action dans la limite de ce monde. Il fuit son âme trop seule et trop obscure, cette âme qui s'épuiserait dans ce combat intérieur et qui ne peut porter seule l'existence profonde. Il vaut mieux ne pas penser à ces mystères du cœur... Et l'homme sort de lui‑même pour fuir son ennui, toujours présent aux « fonctions » extérieures, au labeur temporel, toujours absent de ce fond où se noue son essence, où se lie son destin.

Ainsi l'usage de sa lumière ne lui sert plus qu'à déchiffrer ce monde fermé, qu'à mesurer des volumes et des forces, qu'à combiner des mécanismes, qu'« à construire des ponts » ou définir le mouvement des étoiles; non pas à se conduire dans la vie, non pas à former son cœur pour un amour immuable. Quel drame dans cet esprit fait pour Dieu et qui n'a plus son Dieu !

Or le mouvement des étoiles importe peu à l'homme à l'heure où son destin se décide; nous n'avons enfin que faire d'une science qui ne mesure que les pas que nous faisons dans le temps. Que nous sert de gagner l'univers, si nous venons à perdre notre âme ? Parole vraiment divine! Il nous faut rejoindre ce Maître qui seul nous apprend le salut.

La Lumière nous vient du Verbe fait chair : « Il était, dit saint Jean, la vraie lumière, ‑ qui éclaire tout homme ‑ venant en ce monde. » Elle vient à toute âme qui la désire en se renonçant.

L'homme qui, veut remonter de la nuit à cette lumière ne peut y parvenir par un rite purement extérieur : une confession du bout des lèvres, sans conviction, sans douleur, sans accusation déchirante, n'y fera rien. Il faut revenir à ce point de la foi où nous éprouvons que les paroles de Jésus sont « esprit et vie », à ce point où l'accord est parfait entre son Cœur et le nôtre.

Là ne, peut se souffrir la plus subtile déloyauté : l'on doit rejeter ce qu'il rejette, aimer ce qu'il aime, faire ce qu'il veut, et lui donner les mains, et les pieds et la tête, comme Pierre, se laisser ceindre et le suivre par­ tout où il ira.

A ce prix seulement nous retrouverons la Lumière.

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