L'hérésie antiliturgiste : Différence entre versions

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La réforme de 1969
Auteur : Dom Guéranger
Source : Extrait des Institutions Liturgiques
Date de publication originale : 1840

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen
Remarque particulière : Introduction par Luc J. Lefèvre.

Disciples de dom Guéranger, nous aimons de lire et de méditer à longueur d'année et de vie, l'ANNÉE LITURGIQUE du célèbre Abbé de Solesmes. Cet admirable commentaire de la Prière de l'Eglise était encore, au début du siècle, dans tous les foyers catholiques français. Nous savons que beaucoup parmi nos lecteurs usent toujours de ce précieux ouvrage pour éclairer et affermir leur foi et pour goûter mieux les richesses de la Voix de l'Epouse.


Mais peu nombreux, sans nul doute, sont ceux qui connaissent les INSTITUTIONS LITURGIQUES du plus savant liturgiste bénédictin du XIXe siècle : ses lourds in‑folio ne sont pas à portée de la main.


Aussi avons‑nous estimé qu’il peut être bon ‑ pour leur instruction et leur réconfort spirituel ‑ de reproduire ici quelques pages tirées du Tome I, Chap. IV des INSTITUTIoNs LITURGIQUES de dom Guéranger. De l'hérésie antiliturgiste, et de la réforme protestante du XVIe siècle considérée dans ses rapports avec la liturgie : pp. 396 à 407 de la deuxième édition, parue en 1878 (1ère édition du T.I : 1840).


Luc J. LEFÈVRE.


…Pour donner une idée des ravages de la secte antiliturgiste, il nous a semblé nécessaire de résumer la marche des prétendus réformateurs du christianisme depuis trois siècles, et de présenter l'ensemble de leurs actes et de leur doctrine sur l'épuration du culte divin. Il n'est pas de spectacle plus instructif et plus propre à faire comprendre les causes de la propagation rapide du protestantisme. On y verra l'œuvre d'une sagesse diabolique agissant à coup sûr, et devant infailliblement amener de vastes résultats.


1° Le premier caractère de l'hérésie antiliturgiste est la haine de la Tradition dans les formules du culte divin. On ne saurait contester ce caractère spécial dans tous les hérétiques, depuis Vigilance[1] jusqu'à Calvin, et la raison en est facile à expliquer. Tout sectaire, voulant introduire une doctrine nouvelle, se trouve infailliblement en présence de la Liturgie, qui est la tradition à sa plus haute puissance, et il ne saurait avoir de repos qu'il n'ait fait taire cette voix, qu'il n'ait déchiré ces pages qui recèlent la foi des siècles passés. En effet, comment le luthéranisme, le calvinisme, l'anglicanisme se sont‑ils établis et maintenus dans les masses ? Il n'a fallu pour cela que la substitution de livres nouveaux et de formules nouvelles, aux livres et aux formules anciennes, et tout a été consommé. Rien ne gênait plus les nouveaux docteurs; ils pouvaient prêcher tout à leur aise : la foi des peuples était désormais sans défense. Luther comprit cette doctrine avec une sagacité digne de nos jansénistes, lorsque, dans la première période de ses innovations, à l'époque où il se voyait obligé de garder encore une partie des formes extérieures du culte latin, il établit le règlement suivant pour la messe réformée :


« Nous approuvons et nous conservons les introït des dimanches et des fêtes de Jésus‑Christ, savoir de Pâques, de la Pentecôte et de Noël. Nous préférerions volontiers les psaumes entiers d'où ces introït sont tirés, comme on faisait autrefois ; mais nous voulons bien nous conformer à l'usage présent. Nous ne blâmons pas même ceux qui voudront retenir les introït des Apôtres, de la Vierge et des autres Saints, LORSQUE CES TROIS INTROIT SONT TIRÉS DES PSAUMES ET D'AUTRES ENDROITS DE L'ÉCRITURE[2] » Il avait trop en horreur les cantiques sacrés composés par l'Eglise elle‑même pour l'expression publique de la foi. Il sentait trop en eux la vigueur de la Tradition qu'il voulait bannir. En reconnaissant à l'Eglise le droit de mêler sa voix dans les assemblées saintes aux oracles des Ecritures, il s'exposait par‑là même à entendre des millions de bouches anathématiser ses nouveaux dogmes. Donc, haine à tout ce qui, dans la Liturgie, n'est pas exclusivement extrait des Ecritures saintes.


2° C'est en effet, le second principe de la secte antiliturgiste, de remplacer les formules de style ecclésiastique par des lectures de l'Ecriture sainte. Elle y trouve deux avantages : d'abord, celui de faire taire la voix de la Tradition qu'elle craint toujours ; ensuite, un moyen de propager et d'appuyer ses dogmes, par voie de négation ou d'affirmation. Par voie de négation, en passant sous silence, au moyen d'un choix adroit, les textes qui expriment la doctrine opposée aux erreurs qu'on veut faire prévaloir ; par voie d'affirmation, en mettant en lumière des passages tronqués qui, ne montrant qu'un des côtés de la vérité, cachent l’autre aux yeux du vulgaire. On sait depuis bien des siècles que la préférence donnée, par tous les hérétiques, aux Ecritures saintes sur les définitions ecclésiastiques, n'a pas d'autre raison que la facilité qu'ils ont de faire dire à la parole de Dieu tout ce qu'ils veulent, en la laissant paraitre ou l'arrêtant à propos. Nous verrons ailleurs ce qu'ont fait en ce genre les jansé­nistes, obligés, d'après leur système, à garder le lien extérieur avec l'Eglise ; quant aux protestants, ils ont presque réduit la Liturgie tout entière à la lecture de l'Ecriture, accompagnée de discours dans lesquels on l'interprète par la raison. Quant au choix et à la détermination des livres canoniques, ils ont fini par tomber au caprice du réformateur, qui, en dernier ressort, décide non plus seulement du sens de la parole de Dieu, mais du fait de cette parole. Ainsi Martin Luther trouve que, dans son système de panthéisme, l'inutilité des œuvres et la suffisance de la foi sont dogmes à établir et dès lors il déclarera que l'Epître de saint Jacques est une épître de paille, et non une épître canonique, par cela seul qu'on y enseigne la nécessité des œuvres pour le salut. Dans tous les temps, et sous toutes les formes, il en sera de même ; point de formules ecclé­siastiques ; l'Ecriture seule, mais interprétée, mais choisie, mais présentée par celui ou ceux qui trouvent leur profit à l'innovation. Le piège est dangereux pour les simples, et ce n'est que longtemps après que l'on s'aperçoit qu'on a été trompé, et que la parole de Dieu, ce glaive à deux tranchants, comme parle l'Apôtre, a fait de grandes blessures, parce qu'elle était maniée par des fils de perdition.


3° Le troisième principe des hérétiques sur la réforme de la Liturgie est, après avoir expulsé les formules ecclésiastiques et proclamé la nécessité absolue de n'employer que les paroles de l'Ecriture dans le service divin, voyant ensuite que l'Ecriture ne se plie pas toujours, comme ils le voudraient, à toutes leurs volontés, leur troisième principe, disons‑nous, est de fabriquer et d'introduire des formules diverses, pleines de perfidie, par lesquelles les peuples sont plus solidement encore enchaînés à l'erreur, et tout l'édifice de la réforme impie sera consolidé pour des siècles.


4° On ne doit pas s'étonner de la contradiction que l'hérésie présente ainsi dans ses œuvres, quand on saura que le quatrième principe, ou, si l'on veut, la quatrième nécessité imposée aux sectaires par la nature même de leur état de révolte, est une habituelle contradiction avec leurs propres principes. Il en doit être ainsi pour leur confusion dans ce grand jour, qui vient tôt ou tard, où Dieu révèle leur nudité à la vue des peuples qu'ils ont séduits, et aussi parce qu'il ne tient pas à l'homme d'être conséquent; la vérité seule peut l'être. Ainsi, tous les sectaires, sans exception, commencent par revendiquer les droits de l'antiquité; ils veulent dégager le christianisme de tout ce que l'erreur et les passions des hommes y ont mêlé de faux et d'indigne de Dieu ; ils ne veulent rien que de primitif, et prétendent reprendre au berceau l'institution chrétienne. A cet effet, ils élaguent, ils effacent, ils retranchent; tout tombe sous leurs coups, et lorsqu'on s'attend à voir reparaitre dans sa première pureté le culte divin, il se trouve qu'on est encombré de formules nouvelles qui ne datent que de la veille, qui sont incontestablement humaines, puisque celui qui les a rédigées vit encore. Toute secte subit cette nécessité ; nous l'avons vu chez les monophysites, chez les nestoriens; nous retrouvons la même chose dans toutes les branches des protestants. Leur affectation à prêcher l'antiquité n'a abouti qu'à les mettre en mesure de battre en brèche tout le passé, et puis ils se sont posés en face des peuples séduits, et leur ont juré que tout était bien, que les superfétations papistes avaient disparu, que le culte divin était remonté à sa sainteté primitive. Remarquons encore une chose caractéristique dans le changement de la Liturgie par les hérétiques. C'est que, dans leur rage d'innover, ils ne se contentent pas d'élaguer les formules de style ecclésiastique qu'ils flétrissent du nom de parole humaine, mais ils étendent leur réprobation aux lectures et aux prières mêmes que l'Eglise a empruntées à l'Ecriture ; ils changent, ils substituent, ne voulant pas prier avec l’Eglise, s'excommuniant ainsi eux‑mêmes, et aussi craignant jusqu'à la moindre parcelle de l'orthodoxie qui a présidé au choix de ces passages.


5° La réforme de la Liturgie étant entreprise par les sectaires dans le même but que la réforme du dogme dont elle est la conséquence, il s'ensuit que, de même que les protestants se sont séparés de l'unité afin de croire moins, ils se sont trouvés amenés à retrancher dans le culte toutes les cérémonies, toutes les formules qui expriment des mystères. Ils ont taxé de superstition, d'idolâtrie, tout ce qui ne leur semblait pas purement rationnel, restreignant ainsi les, expressions de la foi, obstruant par le doute et même la négation toutes les voies qui ouvrent sur le monde surnaturel. Ainsi, plus de sacrements, hors le baptême, en attendant le socinianisme qui en affranchira ses adeptes; plus de sacramentaux, de bénédictions, d'images, de reliques des saints, de processions, de pèlerinages, etc. Il n'y a plus d'autel, mais simplement une table; plus de sacrifice, comme dans toute religion, mais simplement une cène ; plus d'église, mais seulement un temple, comme chez les Grecs et les Romains; plus d'architecture religieuse, puisqu'il n'y a plus de mystères ; plus de peinture et de sculpture chrétiennes, puisqu'il n'y a plus de religion sensible; enfin, plus de poésie dans, un culte qui n'est fécondé ni par l'amour ni par la foi.


6° La suppression des choses mystérieuses dans la Liturgie protestante devait produire infailliblement l'extinction totale de cet esprit de prière qu'on appelle onction dans le catholicisme. Un cœur révolté n'a point d'amour, et un cœur sans amour pourra tout au plus produire des expressions passables de respect ou de crainte, avec la froideur superbe du pharisien ; telle est la Liturgie protestante. On sent que celui qui la récite s'applaudit de n'être pas du nombre de ces chrétiens papistes qui rabaissent Dieu jusqu'à eux par la familiarité de leur langage vulgaire.


7° Traitant noblement avec Dieu, la Liturgie protestante n'a point besoin d'intermédiaires créés. Elle croirait manquer au respect dû à l'Etre souverain en invoquant l'intercession de la Sainte Vierge, la protection des saints. Elle exclut toute cette idolâtrie papiste qui demande à la créature ce qu'on ne doit demander qu'à Dieu seul ; elle débarrasse le calendrier de tous ces noms d'hommes que l'Eglise romaine inscrit si témérairement à côté du nom de Dieu ; elle a surtout en horreur ceux des moines et autres personnages des derniers temps qu'on y voit figurer à côté des noms révérés des apôtres que Jésus‑Christ a choisis, et par lesquels fut fondée cette Eglise primitive qui seule fut pure dans la foi et franche de toute superstition dans le culte et de tout relâchement dans la morale.


8° La réforme liturgique ayant pour une de ses fins principales l'abolition des actes et des formules mystiques, il s'ensuit nécessairement que ses auteurs devaient revendiquer l'usage de la langue vulgaire dans le service divin. Aussi est‑ce là un des points les plus importants aux yeux des sectaires. Le culte n'est pas une chose secrète, disent‑ils ; il faut que le peuple entende ce qu'il chante. La haine de la langue latine est innée au cœur de tous les ennemis de Rome ; ils voient en elle le lien des catholiques dans l'univers, l'arsenal de l'orthodoxie contre toutes les subtilités de l'esprit de secte, l'arme la plus puissante de la papauté. L'esprit de révolte qui les pousse à confier à l'idiome de chaque peuple, de chaque province, de chaque siècle, la prière universelle, a, du reste, produit ses fruits, et les réformés sont à même tous les jours de s'apercevoir que les peuples catholiques, en dépit de leurs prières latines, goûtent mieux et accomplissent avec plus de zèle les devoirs du culte que les peuples protestants. A chaque heure du jour, le service divin a lieu dans les églises catholiques ; le fidèle qui y assiste laisse sa langue maternelle sur le seuil ; hors les heures de la prédication, il n'entend que des accents mystérieux qui même cessent de retentir dans le moment le plus solennel, au canon de la messe ; et cependant ce mystère le charme tellement qu'il n'envie pas le sort du protestant, quoique l'oreille de celui‑ci n'entende jamais que des sons dont elle perçoit la signification. Tandis que le temple réformé réunit, à grand‑peine, une fois la semaine, les chrétiens puristes, l'Eglise papiste voit sans cesse, ses nombreux autels assiégés par ses religieux enfants ; chaque jour, ils s'arrachent à leurs travaux pour venir entendre ces paroles mystérieuses qui doivent être de Dieu, car elles nourrissent la foi et charment les douleurs. Avouons‑le, c'est un coup de maître du protestantisme d'avoir déclaré la guerre à la langue sainte ; s'il pouvait réussir à la détruire, son triomphe serait bien avancé. Offerte aux regards profanes, comme une vierge déshonorée, la Liturgie, dès ce moment, a perdu son caractère sacré, et le peuple trouvera bientôt que ce n'est pas trop la peine qu'il se dérange de ses travaux ou de ses plaisirs pour aller entendre parler comme on parle sur la place publique. Otez à l'Eglise française ses déclamations radicales et ses diatribes contre la prétendue vénalité du clergé, et allez voir si le peuple ira longtemps écouter le soi‑disant primat des Gaules crier : Le Seigneur soit avec vous ; et d'autres lui répondre: Et avec votre esprit. Nous traiterons ailleurs, d'une manière spéciale, de la langue liturgique.


9° En ôtant de la Liturgie le mystère qui abaisse la raison, le protestantisme n'avait garde d'oublier la conséquence pratique, savoir l'affranchissement de la fatigue et de la gêne qu'imposent au corps les pratiques de la Liturgie papiste. D'abord, plus de jeûne, plus d'abstinence ; plus de génuflexion dans la prière ; pour le ministre du temple, plus d'offices journaliers à accomplir, plus même de prières canoniales à réciter, au nom de l'Eglise. Telle est une des formes principales de la grande émancipation protestante : diminuer la somme des prières publiques et particulières. L'événement a montré bientôt que la foi et la charité, qui s'alimentent par la prière, s'étaient éteintes dans la réforme, tandis qu'elles ne cessent, chez les catholiques, d'alimenter tous les actes de dévouement à Dieu et aux hommes, fécondées qu'elles sont par les ineffables ressources de la prière liturgique accomplie par le clergé séculier et régulier, auquel s'unit la communauté des fidèles.


10° Comme il fallait au protestantisme une règle pour discerner parmi les institutions papistes celles qui pouvaient être les plus hostiles à son principe, il lui a fallu fouiller dans les fondements de l'édifice catholique, et trouver la pierre fondamentale qui porte tout. Son instinct lui a fait découvrir tout d'abord ce dogme inconciliable avec toute innovation : la puissance papale. Lorsque Luther écrivit sur sa bannière : Haine à Rome et à ses lois, il ne faisait que promulguer une fois de plus le grand principe de toutes les branches de la secte antiliturgiste. Dès lors, il a fallu abroger en masse le culte et les cérémonies, comme l'idolâtrie de Rome ; la langue latine, l'office divin, le calendrier, le bréviaire, toutes abominations de la grande prostituée de Babylone. Le Pontife romain pèse sur la raison par ses dogmes, sur les sens par ses pratiques rituelles il faut donc proclamer que ses dogmes ne sont que blasphème et erreur, et ses observances liturgiques qu'un moyen d'asseoir plus fortement une domination usurpée et tyrannique. C'est pourquoi, dans ses litanies émancipées, l'Eglise luthérienne continue de chanter naïvement: De l'homicide fureur, calomnie, rage et férocité du Turc et du Pape, délivrez‑nous, Seigneur[3]. C'est ici le lieu de rappeler les admirables considérations de Joseph de Maistre, dans son livre Du Pape, où il montre, avec tant de sagacité et de profondeur, qu'en dépit des dissonances qui devraient isoler les unes des autres les diverses sectes séparées, il est une qualité dans laquelle elles se réunissent toutes, celle de non romaines. Imaginez une innovation quelconque, soit en matière de dogme, soit en matière de discipline, et voyez s'il est possible de l'entreprendre sans encourir, bon gré, mal gré, la note de non romain, ou si vous voulez de moins romain, si on manque d'audace. Reste à savoir quel genre de repos pourrait trouver un catholique dans la première, ou même dans la seconde de ces deux situations.


11° L'hérésie antiliturgiste, pour établir à jamais son règne, avait besoin de détruire en fait et en principe tout sacerdoce dans le christianisme ; car elle sentait que là où il y a un pontife, il y a un autel, et que là ou il y a un autel, il y a un sacrifice, et partant un cérémonial mystérieux. Après donc avoir aboli la qualité du Pontife suprême, il fallait anéantir le caractère de l'évêque, duquel émane la mystique imposition des mains qui perpétue la hiérarchie sacrée. De là un vaste presbytérianisme, qui n'est que la conséquence immédiate de la suppression du Pontificat souverain. Dès lors, il n'y a plus de prêtre proprement dit ; comment la simple élection, sans consécration, ferait‑elle un homme sacré ? La réforme de Luther et de Calvin ne connaîtra donc plus que des ministres de Dieu, ou des hommes, comme on voudra. Mais il est impossible d'en rester là. Choisi, installé par des laïques, portant dans le temple la robe d'une certaine magistrature bâtarde, le ministre n'est qu'un laïque revêtu de fonctions accidentelles ; il n'y a donc plus que des laïques dans le protestantisme ; et cela devait être, puisqu'il n'y a plus de Liturgie; comme il n'y a plus de Liturgie, puisqu'il n'y a plus que des laïques.


12° Enfin, et c'est là le dernier degré de l'abrutissement, le sacerdoce n'existant plus, puisque la hiérarchie est morte, le prince, seule autorité possible entre laïques, se proclamera chef de la Religion, et l'on verra les plus fiers réformateurs, après avoir secoué le joug spirituel de Rome, reconnaître le souverain temporel pour pontife suprême, et placer le pouvoir sur la Liturgie parmi les attributions du droit majestatique. Il n'y aura donc plus de dogme, de morale, de sacrements, de culte, de christianisme, qu'autant qu'il plaira au prince, puisque le pouvoir absolu lui est dévolu sur la Liturgie par laquelle toutes ces choses ont leur expression et leur application dans la communauté des fidèles. Tel est pourtant l'axiome fondamental de la Réforme, et dans la pratique et dans les écrits des docteurs protestants. Ce dernier trait achèvera le tableau, et mettra le lecteur à même de juger de la nature de ce prétendu affranchissement, opéré avec tant de violence à l'égard de la papauté, pour faire place ensuite, mais nécessairement, à une domination destructive de la nature même du christianisme. Il est vrai que, dans les commencements, la secte antiliturgiste n'avait pas coutume de flatter ainsi les puissants : albigeois, vaudois, wiclefites, hussites, tous enseignaient, qu'il fallait résister et même courir sus à tous princes et magistrats qui se trouvaient en état de péché, prétendant qu'un prince était déchu de son droit du moment qu'il n'était pas en grâce avec Dieu. La raison de ceci est que ces sectaires, craignant le glaive des princes catholiques, évêques du dehors, avaient tout à gagner en minant leur autorité. Mais du moment que les souverains, associés à la révolte contre l’Eglise, voulaient faire de la religion une chose nationale, un moyen de gouvernement, la Liturgie, réduite, aussi bien que le dogme, aux limites d'un pays, ressortissait naturellement à la plus haute autorité de ce pays, et les réformateurs ne pouvaient s'empêcher d'éprouver une vive reconnaissance envers ceux qui prêtaient ainsi le secours d'un bras puissant à l'établissement et au maintien de leurs théories. Il est bien vrai qu'il y a toute une apostasie dans cette préférence donnée au temporel sur le spirituel, en matière de religion ; mais il s'agit ici du besoin même de la conservation. Il ne faut pas seulement être conséquent, il faut vivre. C'est pour cela que Luther, qui s'est séparé avec éclat du pontife de Rome, comme fauteur de toutes les abominations de Babylone, ne rougit pas lui‑même de déclarer théologiquement la légitimité d'un double mariage pour le landgrave de Hesse, et c'est pour cela aussi que l'abbé Grégoire trouve dans ses principes le moyen de s'associer tout à la fois au vote de mort contre Louis XVI à la Convention, et de se faire le champion de Louis XIV et de Joseph II contre les Pontifes romains.


Telles sont les principales maximes de la secte antiliturgiste. Nous n'avons certes, rien exagéré ; nous n'avons fait que relever la doctrine cent fois professée dans les écrits de Luther, de Calvin, des Centuriateurs de Magdebourg, de Hospinien, de Kemnitz, etc. Ces livres sont faciles à consulter, ou plutôt l'œuvre qui en est sortie est sous les yeux de tout le monde. Nous avons cru qu'il était utile d'en mettre en lumière les principaux traits. Il y a toujours du profit à connaitre, l'erreur; l'enseignement direct est quelquefois moins avantageux et moins facile. C'est maintenant au logicien catholique de tirer la contradictoire.


Dom GUÉRANGER




  1. “Vigilance, ce Gaulois immortalisé par les éloquents sarcasmes de saint Jérôme. Il déclame contre la pompe des cérémonies, insulte grossièrement à leur symbolisme, blasphème les reliques des saints, attaque en même temps le célibat des ministres sacrés et la continence des vierges ; le tout pour maintenir la pureté du christianisme, Comme on voit, cela n'est pas mal avancé pour un Gaulois du IVè siècle.” (Dom Guéranger, Institutions Liturgiques, t. I, p. 391.)
  2. Lebrun, Explications de la Messe, t. IV, P. 13.
  3. Lutherisches Gesanbuch, Leipzig, p. 667.
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