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La réforme de 1969
Auteur : Cardinaux Ottaviani et Bacci
Date de publication originale : Fête-Dieu 1969

Résumé : Etude très importante sur le nouvel Ordo Missae, présentée au pape par deux cardinaux, dont le Préfet du Saint-Office.
Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen

Bref examen critique du nouvel Ordo Missae

Préface : Lettre à Paul VI des cardinaux Ottaviani et Bacci

Très Saint Père,


Après avoir examiné et fait examiner le nouvel ORDO MISSAE préparé par les experts du « Comité pour l'application de la Constitution sur la liturgie », après avoir longuement réfléchi et prié, nous sentons le devoir, devant Dieu et devant Votre Sainteté, d'exprimer les considérations suivantes :


1. Comme le prouve suffisamment l'examen critique ci-joint, si bref soit‑il, oeuvre d'un groupe choisi de théologiens, de liturgistes et de pasteurs d'âmes, le nouvel ORDO MISSAE si l'on considère les éléments nouveaux, susceptibles d'appréciations fort diverses, qui y paraissent sous‑entendus ou impliqués, s'éloigne de façon impressionnante, dans l'ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la Sainte Messe, telle qu'elle a été formulée à la XXe session du Concile de Trente, lequel, en fixant définitivement les « canons » du rite, éleva une barrière infranchissable contre toute hérésie qui pourrait porter atteinte à l'intégrité du Mystère.


2. Les raisons pastorales avancées pour justifier une si grave rupture, même si elles avaient le droit de subsister en face de raisons doctrinales, ne semblent pas suffisantes. Tant de nouveautés apparaissent dans le nouvel ORDO MISSAE, et en revanche tant de choses éternelles s'y trouvent reléguées à une place mineure ou à une autre place, ‑ si même elles y trouvent encore une place, ‑ que pourrait se trouver renforcé et changé en certitude le doute, qui malheureusement s'insinue dans de nombreux milieux, selon lequel des vérités toujours crues par le peuple chrétien pourraient changer ou être passées sous silence sans qu'il y ait infidélité au dépôt sacré de la doctrine auquel la foi catholique est liée pour l'éternité. Les récentes réformes ont suffisamment démontré que de nouveaux changements dans la liturgie ne pourront pas se faire sans conduire au désarroi le plus total des fidèles qui déjà manifestent qu'ils leur sont insupportables et diminuent incontestablement leur foi. Dans la meilleure part du clergé cela se marque par une crise de conscience torturante dont nous avons des témoignages innombrables et quotidiens.


3. Nous sommes assurés que ces considérations, direc­tement inspirées de ce que nous entendons par la voix vibrante des pasteurs et du troupeau, devront trouver un écho dans le cœur paternel de Votre Sainteté, toujours si profondément soucieux des besoins spirituels des fils de l'Eglise. Toujours les sujets, pour le bien desquels est faite la loi, ont eu le droit et plus que le droit, le devoir, si la loi se révèle tout au contraire nocive, de demander au législateur, avec une confiance filiale, son abrogation.

C'est pourquoi nous supplions instamment Votre Sainteté de ne pas vouloir que ‑ dans un moment où la pureté de la foi et l'unité de l'Eglise souffrent de si cruelles lacérations et des périls toujours plus grands, qui trouvent chaque jour un écho affligé dans les paroles du Père commun ‑ nous soit enlevée la possibilité de continuer à recourir à l'intègre et fécond Missel romain de saint Pie V, si hautement loué par Votre Sainteté et si profondément vénéré et aimé du monde catholique tout entier.


Cardinal Ottaviani.
Cardinal Bacci.


Bref examen critique

I

Le Synode épiscopal convoqué à Rome au mois d'octobre 1967 eut à prononcer un jugement sur la célébration expérimentale d'une messe dite « messe normative ». Cette messe avait été élaborée par le Consilium ad exequendam Constitutionem de Sacra Liturgia (Comité pour l'application de la Constitution conciliaire sur la liturgie).


Une telle messe provoqua la plus grave perplexité parmi les membres du Synode : une vive opposition (43 non placet), de nombreuses et substantielles réserves (62 juxta modum) et 4 abstentions, sur un total de 187 votants.


La presse internationale d'information parla d'un « refus » du Synode. La presse de tendance novatrice passa l'événement sous silence. Un périodique connu, destiné aux évêques et exprimant leur enseignement, résuma le nouveau rite en ces termes :


« On veut faire table rase de toute la théologie de la Messe. En substance, on se rapproche de la théologie protestante qui a détruit le sacrifice de la Messe »

Dans le nouvel ORDO MISSAE promulgué par la Constitution apostolique Missale romanum du 3 avril 1969, en retrouve identique dans sa substance, la « messe normative ». Il ne semble pas que, dans l'intervalle, les Conférences épiscopales en tant que telles aient été consultées à ce sujet.


La Constitution apostolique Missale romanum affirme que l'ancien Missel promulgué par saint Pie V (Bulle Quo Primum, 19 juillet 1570), ‑ mais qui remonte en grande partie à Grégoire le Grand et même à une antiquité encore plus haute[1] ‑ fut pendant quatre siècles la norme de la célébration du Sacrifice pour les prêtres de rite latin. La Constitution apostolique Missale romanum ajoute que dans ce Missel, répandu par toute la terre, « d'innombrables saints trouvèrent la nourriture surabondante de leur piété envers Dieu ».


Et pourtant la réforme qui veut mettre ce Missel définitivement hors d'usage aurait été rendue nécessaire, selon la même Constitution, « à partir du moment où commença à se répandre davantage dans le peuple chrétien et à s'affermir le. goût d'une culture liturgique dont il convenait de soutenir la ferveur ».


Cette dernière affirmation renferme, de toute évidence, une grave équivoque.


Si en effet le peuple chrétien exprima son désir, ce fut quand ‑principalement sous l'impulsion de saint Pie X il se mit à découvrir les trésors authentiques et immortels de sa liturgie. Jamais, absolument jamais, le peuple chrétien n'a demandé que, pour la faire mieux comprendre, on change ou on mutile la liturgie. Ce qu'il demande à mieux comprendre, c'est l'unique, c'est l'immuable liturgie, que jamais il n'aurait voulu voir changer.


Le Missel romain de saint Pie V était très cher au cœur des catholiques qui, prêtres et laïcs le vénéraient religieusement. On ne voit pas en quoi l'usage de ce Missel, accompagné d'une initiation appropriée, pourrait faire obstacle à une plus grande participation et à une meilleure connaissance de la liturgie sacrée ; on ne voit pas pourquoi, tout en lui reconnaissant de si grands mérites, comme fait la Constitution Missale romanum, on ne l'a plus estimé capable de continuer à nourrir la piété liturgique du peuple chrétien.


Ainsi donc, le Synode épiscopal avait refusé cette « messe normative » qui est aujourd'hui reprise en substance et imposée par le nouvel Ordo Missae. Celui‑ci n'a jamais été soumis au jugement collégial des Conférences épiscopales. Jamais le peuple chrétien (et surtout pas dans les missions) n'a voulu une quelconque réforme de la Sainte Messe. On ne parvient donc pas à discerner les motifs de la nouvelle législation qui ruine une tradition dont la Constitution Missale romanum elle‑même reconnaît qu'elle est inchangée depuis le IVe ou le Ve siècle.


Par conséquent, les motifs d'une telle réforme n'existant pas, la réforme elle‑même apparaît dépourvue du fondement raisonnable qui, en la justifiant, la rendrait acceptable au peuple catholique.


Le Concile avait bien exprimé, au numéro 50 de sa Constitution sur la liturgie, le désir que les différentes parties de la Messe fussent réordonnées « de telle sorte que la raison propre de chacune de ses parties ainsi que leurs connexions mutuelles apparaissent plus clairement. » Nous allons voir comment le nouvel ORDO MISSAE répond à ces voeux, dont nous pouvons dire qu'il ne reste, en fait, aucun souvenir.


L'examen détaillé du nouvel ORDO MISSAE révèle des changements d'une telle portée qu'ils justifient sur lui le même jugement que sur la « messe normative ».


Le nouvel ORDO MISSAE comme la « messe normative », est fait pour contenter sur bien des points les plus modernistes des protestants.


II

Commençons par LA DÉFINITION DE LA MESSE. Elle est donnée au numéro 7 du second chapitre de l'Institutio generalis. Ce chapitre est intitulé : « La structure de la Messe ».


Voici cette définition :


« La Cène dominicale est la synaxe[2] sacrée ou le rassemblement du peuple de Dieu se réunissant sous la présidence du prêtre pour célébrer le mémorial du Seigneur[3]. C'est pourquoi vaut éminemment pour l'assemblée locale de la sainte Eglise la promesse du Christ : Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux (Mat., XVIII, 20). "


La définition de la Messe est donc réduite à celle d'une « cène » : et cela réapparaît continuellement (aux numéros 8, 48, 55, 56 de l'Institutio generalis).


Cette « cène » est en outre caractérisée comme étant celle de l'assemblée présidée par le prêtre ; celle de l’assemblée réunie afin de réaliser « le mémorial du Seigneur », qui rappelle ce qu'il fit le jeudi‑saint.


Tout cela n'implique ni la Présence réelle, ni la réalité du Sacrifice, ni le caractère sacramentel du prêtre qui consacre, ni la valeur intrinsèque du Sacrifice eucharistique indépendamment de la présence de l'assemblée[4].


En un mot, cette nouvelle définition ne contient aucune des données dogmatiques qui sont essentielles à la Messe et qui en constituent la véritable définition. L'omission, en un tel endroit, de ces données dogmatiques, ne peut être que volontaire.


Une telle omission volontaire signifie leur " dépassement » et au moins en pratique, leur négation[5].


Dans la seconde partie de la nouvelle définition, on aggrave encore l'équivoque. On y affirme en effet que l'assemblée en laquelle consiste la Mes se réalise " éminemment » la promesse du Christ : " Là où deux ou trois d'entre vous sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux ».


Or cette promesse concerne formellement la présence spirituelle (lu Christ en vertu de la grâce.


En sorte que l'enchaînement et la suite des idées, dans le numéro 7 de l'Institutio generalis, induit à penser que cette présence spirituelle du Christ, à l'intensité près, est qualitativement homogène à la présence substantielle propre au sacrement de l'Eucharistie.


La nouvelle définition du numéro 7 est immédiatement suivie, au numéro 8, par la division de la Messe en deux parties :

‑ liturgie de la parole

‑ liturgie eucharistique.


Cette division est accompagnée par l'affirmation que la Messe comporte la préparation:

‑ de la « table de la parole de Dieu »,

‑ de la « table du Corps du Christ », afin que les fidèles soient « enseignés et restaurés».


Il y a là une assimilation des deux parties de la liturgie, comme s'il s'agissait de deux signes d'égale valeur symbolique. Assimilation qui est absolument illégitime. Nous y reviendrons plus loin.


L'Institutio generalis, qui constitue l'introduction du nouvel ORDO Missae, emploie pour désigner la Messe des expressions nombreuses qui seraient toutes acceptables relativement. Elles sont toutes à rejeter si on les emploie comme elles le sont ‑ séparément et dans l'absolu chacune acquerrant une portée absolue du fait qu'elle est employée séparément.


En voici quelques‑unes


« action du Christ et du peuple de Dieu »

« Cène du Seigneur »

« repas pascal » ;

« participation commune à la table du Seigneur »

« prière eucharistique »;

« liturgie de la parole et liturgie eucharistique », ,etc...


Il est manifeste que les auteurs du nouvel ORDO MIS­SAE, ont mis l'accent, de façon obsessionnelle, sur la cène et sur la mémoire qui en est faite, et non pas sur le renouvellement (non sanglant) du sacriflee de la Croix.


On doit même observer que la formule : « Mémorial de la Passion et de la Résurrection du Seigneur » n'est pas exacte. La Messe se réfère formellement au seul Sacrifice, qui est, en soi, rédempteur ; la Résurrection en est le fruit[6]. ‑ Nous verrons plus loin avec quelle cohérence systématique, dans la formule consécratoire elle‑même et en général dans tout le nouvel ORDO, les mêmes équi­voques sont renouvelées et répétées avec insistance.


III

Venons‑en maintenant aux FINALITÉS de la MESSE : à savoir sa finalité ultime, sa finali prochaine et sa finalité immanente.


1. ‑ FINALITÉ ULTIME.

La fin ultime de la Messe consiste en ce quel sacrifice de louange à la Très Sainte Trinité, conformément à l'intention primordiale de l'Incarnatio déclarée par le Christ Lui‑même : « Entrant dans le monde il dit : Tu n'as voulu ni victime ni oblation, mais tu m’as formé un, corps » (Ps. 40, 7‑9 ; Heb., X, 5).


Cette finalité ultime et essentielle, le nouvel ORDO MISSAE la fait disparaître :

‑ premièrement, de l'Offertoire, où ne figure plus la prière Suscipe Sancta Trinitas (ou Suscipe Pater) ;

‑ deuxièmement, de la conclusion de la Messe ne comporte plus le Placeat tibi Sancta Trinitas

- troisièmement, de la Préface : puisque la de la Sainte Trinité ne sera plus prononcé qu’une fois l'an.


2. ‑ FINALITÉ PROCHAINE.

La fin prochaine de la Messe consiste en ce qu’elle est un sacrifice propitiatoire[7].


Cette finalité est compromise elle aussi : alors que la Messe opère la rémission des péchés, tant pour les vivants que pour les morts, le nouvel ORDO met l'accent sur la nourriture et la sanctification des membres présents de l'assemblée.


Le Christ institua le Sacrement pendant la dernière Gène et se mit alors en état de victime pour nous unir à son état de victime ; c'est pourquoi cette immolation précède la manducation[8] et renferme plénièrement la valeur rédemptrice qui provient du Sacrifice sanglant. La preuve en est que l’on peut assister à la Messe sans communier sacramentellement[9].


3. ‑ FINALITÉ IMMANENTE.

La fin immanente de la Messe consiste en ce qu'elle est primordialement un Sacrifice.


Or il est essentiel au Sacrifice, quelle qu'en soit la nature, d'être agréé de Dieu, c'est‑à‑dire d'être accepté comme sacrifice.


Dans l'état de péché originel, aucun sacrifice ne serait, en droit, acceptable par Dieu. Le seul sacrifice qui puisse et doive en droit être accepté est celui du Christ. Aussi était‑ce éminente convenance que l'Offertoire référât d’emblée le Sacrifice de la Messe au Sacrifice du Christ.


Mais le nouvel ORDO Missae dénature l'offrande en la dégradant. Il la fait consister en une sorte d'échange entre Dieu et l'homme : l'homme apporte le pain et Dieu le change en pain de vie ; l'homme apporte le vin, et Dieu en fait une boisson spirituelle : « Tu es béni, Seigneur Dieu de l'univers, parce que de ta libéralité nous avons reçu le pain (ou : le vin) que nous t'offrons, fruit de la terre (ou : de la vigne) et du travail de l'homme, d'où provient pour nous le pain de vie (ou : la boisson spirituelle) ».


Est‑il besoin de faire remarquer que les expressions « pain de vie » (panis vitae ) et « boisson spirituelle » (potus spiritualis) sont absolument indéterminées : elles peuvent signifier n'importe quoi. Nous retrouvons ici la même équivoque capitale que dans la définition de la Messe : dans la définition, référence à la présence spirituelle du Christ parmi les siens ; ici, le pain et le vin sont changés spirituellement : on ne précise plus qu'ils le sont substantiellement[10]. Dans la préparation des oblats[11], un semblable jeu d'équivoques est réalisé par la suppression des deux admirables prières .


Deus qui humanae substantiae.

Offerimus tibi, Domine...


La première de ces deux prières déclare « O Dieu qui avez créé la nature humaine d'une manière admirable et qui d'une manière plus admirable encore l'avez rétablie dans sa première dignité. » C'est un rappel de l'antique condition d'innocence de l'homme et de sa condition actuelle de racheté par le sang du Christ ; c'est une récapitulation discrète et rapide de toute l'économie[12] du sacrifice depuis Adam jusqu'au temps présent.

La seconde de ces deux prières, qui est la finale de l'Offertoire, s'exprime sur le mode propitiatoire ; elle demande que le calice s'élève cum odore suavitatis en présence de la Majesté divine dont on implore la clémence elle souligne merveilleusement cette même économie du sacrifice.


Ces deux prières sont supprimées dans le nouvel ORDO Missae


Supprimer ainsi la référence permanente à Dieu qu'explicitait la prière eucharistique, c'est supprimer toute distinction entre le sacrifice qui procède de Dieu et celui qui vient de l'homme.


Si l'on détruit ainsi la clef de voûte, on est bien forcé de fabriquer des échafaudages de remplacement : si l'on supprime les finalités véritables de la Messe, on est bien forcé d'en inventer de fictives. Voici donc des gestes nouveaux pour souligner l'union entre le prêtre et les fidèles, et celle des fidèles entre eux ; voici la superposition, destinée à s'effondrer dans le grotesque, des offrandes faites pour les pauvres et pour l'église à l'offrande de l'Hostie destiné au Sacrifice.


Par cette confusion, la singularité primordiale de l'Hostie destinée au Sacrifice est effacée ; en sorte que la participation à l'immolation de la Victime deviendra une réunion de philanthropes ou un banquet de bienfaisance.


IV

Considérons maintenant L'ESSENCE DU SACRIFICE dans le nouvel ORDO MISSAE.


Le mystère de la Croix n'est plus exprimé de manière explicite. Il est dissimulé à l'ensemble des fidèles. Cela résulte de multiples dispositifs dont voici les principaux.


1. ‑ LE SENS DONNÉ A LA DÉNOMMÉE « PRIÈRE EUCHA­RISTIQUE ».

Le numéro 54 (in fine) de l'Institutio déclare :

« Le sens de la prière eucharistique consiste en ce que toute l'assemblée des fidèles s'unisse au Christ pour confesser les grandeurs de Dieu et offrir le sacrifice. »


De quel sacrifice s'agit‑il ?


Qui est celui qui offre le sacrifice ?


Aucune réponse à ces questions.


Le même numéro 54 donne en commençant une définition de la « prière eucharistique» :

« Voici que commence maintenant ce qui constitue le centre et le sommet de toute la célébration, la Prière eucharistique, ou prière d'action de grâces et de sanctification ».


On le voit : les EFFETS sont ainsi substitués à la cause


De la cause, on ne dit pas un seul mot. La mention explicite de la finalité ultime de la Messe, qui se trouve dans le Suspice que l'on a supprimé, n'est remplacée par rien. Le changement de formule révèle le changement de doctrine.


2. ‑ L'OBLITÉRATION DU RÔLE JOUE PAR LA PRÈ­SENCE RÉELLE DANS L'ÉCONOMIE DU SACRIFICE.

La raison pour laquelle le Sacrifice n'est plus mentionné explicitement est que l'on a supprimé le rôle central de la Présence réelle.


Ce rôle central est mis en une éclatante lumière dams toute la liturgie eucharistique du Missel romain de saint Pie V. Dans l'Institutio generalis au contraire, la Présence réelle n'est mentionnée qu'une seule fois, dans une note (note 63 au numéro 241), qui est l'unique citation du Concile de Trente ! Cette mention se rapporte d'ailleurs à la Présence réelle en tant que nourriture. Mais il n'y a nulle part aucune allusion à la Présence réelle et permanente du Christ avec son Corps, son Sang, son Ame et sa Divinité dans les espèces transsubstantiées. Le mot lui-même de transsubstantiation ne figure nulle part.


La suppression de l'invocation à la Troisième Personne de la Sainte Trinité (Veni Sanctificator), pour qu'elle descende sur les oblats comme jadis elle descendit dans le sein de la Vierge pour y accomplir le miracle de la Divine Présence, s'inscrit dans ce système de négations tacites, de désintégration en chaîne de la Présence réelle.


Enfin il est impossible de ne pas remarquer l'abolition ou l'altération des gestes par lesquels s'exprime spontanément la foi en la Présence réelle. Le nouvel ORDO Missae élimine :


‑ les génuflexions, dont le nombre est réduit à trois pour le prêtre célébrant et à une seule (non sans exceptions) pour l'assistance, au moment de la consécration ;


‑ la purification des doigts du prêtre au‑dessus du calice et dans le calice ;


‑ la préservation de tout contact profane pour les doigts du prêtre après la consécration;


‑ la purification des vases sacrés, qui peut être différée et faite hors du corporal ;


‑ la pale protégeant le calice ;


‑ la dorure intérieure des vases sacrés;


‑ l'a consécration de l'autel mobile;


‑ la pierre sacrée et les reliques disposées sur et dans l'autel lorsque celui‑ci est mobile, eu lorsqu'il se réduit à une simple table quand la célébration ne se fait pas dans un lieu sacré (cette dernière clause instaure en droit la possibilité d' « eucharisties domestiques » dans les maisons particulières) ;


‑ les trois nappes d'autel, réduites à une seule


‑ l'action de grâces à genoux (remplacée par un grotesque remercie ‑ment du prêtre et des fidèles assis, aboutissement de la communion debout) ;


‑ les prescriptions concernant le cas où une Hostie consacrée tombe à terre, réduites au numéro 239 à un « reverenter accipiatur » presque sarcastique.


Toutes ces suppressions ne font qu'accentuer de façon provocante la répudiation implicite du dogme de la Présence réelle.


3. ‑ LE RÔLE ASSIGNÉ A L'AUTEL PRINCIPAL.

L'autel est presque toujours désigné par le mot table[13]


« L'autel ou table dominicale, qui est le centre de la liturgie eucharistique » (cf. numéros 49 et 262). ‑ On stipule que l'autel doit être séparé des parois pour qu'on puisse en faire le tour et que la célébration puisse se faire face au peuple (numéro 262). On précise qu'il doit être au centre de l'assemblée des fidèles, afin que l'attention se porte spontanément sur lui (ibid). Mais la comparaison du numéro 262 et du numéro 276 exclut nettement que le Saint Sacrement puisse être conservé sur l'autel majeur. Cela consacrera une irréparable dichotomie entre la Présence du Souverain Prêtre dans le prêtre célébrant et cette même Présence réalisée sacramentellement. Auparavant, c'était une unique présence[14].


Désormais, on recommande de conserver le Saint Sacrement à part, dans un lieu favorable à la dévotion privée des fidèles, comme s'il s'agissait d'une relique. Ainsi, ce qui attirera immédiatement ‑le regard quand on entrera dans une église, ce ne sera plus le Tabernacle, mais une table dépouillée et nue. On oppose encore une fois piété liturgique et piété privée, on dresse autel contre autel.


On recommande avec insistance de distribuer à la communion les hosties qui ont été consacrées au cours de la même Messe, et même de consacrer un pain de dimensions assez grandes[15] pour que le prêtre puisse le partager avec une partie au moins des fidèles[16] : c'est toujours la même attitude méprisante envers le Tabernacle comme envers toute piété eucharistique en dehors de la Messe ; c'est une nouvelle et violente atteinte à la foi en la Présence réelle tant que durent les Espèces consacrées[17].


4. ‑ LES FORMULES DE LA CONSÉCRATION.

L'antique formule de la Consécration est une formule proprement sacramentelle, du type intimatif et non du type narratif.


En voici trois preuves


A) Le texte du récit de l'Ecriture n'y est pas repris à la lettre. L'insertion paulinienne : « mysterium fidei » est une confession de foi immédiate du prêtre dans le mystère réalisé par le Christ dans l'Eglise au moyen de son sacerdoce hiérarchique[18].


B) Ponctuation et caractères typographiques. Dans le Missel romain de saint Pie V, le texte liturgique des paroles sacramentelles de la Consécration est ponctué et mis en évidence d'une manière propre.


Le HOC EST ENIM est en effet séparé par un point à la ligne de la formule qui le précède : « ... manducate ex hoc omnes ». Ce point à la ligne marque le passage du mode narratif au mode intimatif qui est propre à l'action sacramentelle.


Les paroles de la Consécration, dans le Missel romain, sont imprimées en caractères typographiques plus grands, au centre de la page ; souvent en une couleur différente.


Tout cela manifeste que les paroles consécratoires ont une valeur propre et par conséquent autonome.


C) L'anamnèse[19] du Canon romain se réfère au Christ en tant qu'il est opérant, et non pas seulement au souvenir du Christ ou de la Cène comme événement historique HAEC QUOTIESCUMQUE FECERITIS, IN MEI MEMORIAM FACIETIS en grec : EIS TÉN EMOU ANAMNESIN ; c'est‑à‑dire : « tournés vers ma mémoire ». Cette expression n'invite pas simplement à se ressouvenir du Christ ou de la Cène : c'est une invitation à refaire ce qu'il fit, de la même manière qu'il le fit.


A cette formule traditionnelle du Missel romain, le rite nouveau substitue une formule de saint Paul . « Hoc facite in meam commemorationem » qui sera proclamée quotidiennement en langues vernaculaires. Elle aura pour effet inévitable, surtout dans ces conditions, de déplacer l'accent, dans l'esprit des auditeurs, sur le souvenir du Christ. La « mémoire » du Christ se trouvera désignée comme le terme de l'action eucharistique, alors qu'elle en est le principe. « Faire mémoire du Christ » ne sera plus qu'un but humainement poursuivi. A la place de l'action réelle, d'ordre sacramentel, s'installera l'idée de « commémoration »[20].


Dans le nouvel ORDO Missae le mode narratif (et non plus sacramentel) est explicitement signifié dans la description organique de la « prière eucharistique », au numéro 55, par la formule : « récit de l'institution » ; et encore, au même endroit, par la définition de l'anamnèse


« L'Eglise fait mémoire (memoriam agit) de ce même Christ ».


La conséquence de tout cela est d'insinuer un changement du sens spécifique de la Consécration. Selon le nouvel ORDO MISSAE, les paroles de la Consécration seront désormais énoncées par le prêtre comme une narration historique, et non plus comme affirmant un Jugement catégorique et intimatif proféré par Celui en la Personne de qui le prêtre agit : HOC EST CORPUS MEUM et non Hoc est Corpus Christi[21].


Enfin, l'acclamation dévolue à l'assistance aussitôt après la Consécration : « Nous annonçons ta mort, Seigneur... jusqu'à ce que tu viennes », introduit, sous un déguisement eschatologique[22], une ambiguïté supplémentaire sur la Présence réelle. On proclame en effet, sans solution de continuité, l'attente de la venue du Christ à la fin des temps, juste au moment où Il est venu sur l'autel où il est substantiellement présent : comme si la venue véritable était seulement à la fin des temps, et non point sur l'autel.


Cette ambiguïté est encore renforcée dans la formule d'acclamation facultative proposée en Appendice (no 2) : « Chaque fois que nous mangeons ce pain et buvons ce calice, nous annonçons ta mort, Seigneur, jusqu'à ce que tu viennes ». L'ambiguïté atteint ici au paroxysme, d'une part entre l'immolation et la manducation, d'autre part entre la Présence réelle et le second avènement du Christ[23].


V

Considérons enfin le nouvel ORDO MISSAE au point de vue de FACCOMPLISSEMENT DU SACRIFICE.


Les quatre éléments qui interviennent dans cet accomplissement sont, par ordre : le Christ, le prêtre, l'Eglise, les fidèles.


1. ‑ SITUATION DES FIDÈLES DANS LE NOUVEAU RITE.

Le nouvel ORDO Missae présente le rôle des fidèles comme autonome, ce qui est manifestement faux. Cela commence dans la définition initiale du numéro 7 : « La Messe est la synaxe sacrée ou le rassemblement du peuple de Dieu ». Cela continue par la signification que le numéro 28 attribue au salut que le prêtre adresse au peuple : « Le prêtre, par une salutation, exprime à la communauté réunie la PRÉSENCE du Seigneur. Par cette salutation et par la réponse du peuple est manifesté le mystère de l'Eglise assemblée ». Vraie présence du Christ ? Oui, mais seulement spirituelle. Mystère de l'Eglise ? Certes, mais seulement en tant qu'assemblée manifestant ou sollicitant cette présence spirituelle.


Cela se retrouve continuellement. C'est le caractère communautaire de la Messe qui revient constamment comme une obsession (numéros 74 à 152). C'est la distinction, inouïe jusqu'à présent, entre la Messe avec peuple (cum populo) et la Messe sans peuple (sine populo) (numéros 77 à 231). C'est la définition de la « prière universelle, ou prière des fidèles » (numéro 45), où l'on souligne encore une fois « le rôle sacerdotal du peuple » (populus sui sacerdotii munus exercens) : ce sacerdoce est présenté en l'occurrence comme s'exerçant de manière autonome, par l'omission de sa subordination à celui du prêtre ; et alors que le prêtre, consacré comme médiateur, se fait l'interprète de toutes les intentions du peuple dans le Te igitur et dans les deux Memento.


Dans la « Prière eucharistique III » (Vere Sanctus, page 123 de l'ORDO MISSAE), on va jusqu'à dire au Seigneur : « Ne cesse pas de rassembler ton peuple POUR QUE (Ut) du lever du soleil à son coucher une oblation pure soit offerte en ton Nom ». Ce « pour que » (ut) donne à penser que le peuple, plutôt que le prêtre, est l'élément indispensable à la célébration ; et comme il n'est point précisé, pas même en cet endroit,. qui est l'offrant[24] (1), c'est le peuple lui-même qui se trouve présenté comme investi d'un pouvoir sacerdotal autonome.


Dans ces conditions et selon ce système, il ne serait pas étonnant que bientôt le peuple soit autorisé à se joindre au prêtre pour prononcer les paroles de la Consécration. En plusieurs endroits, d'ailleurs, c'est déjà un fait accompli.


2. ‑ SITUATION DU PRETRE DANS LE NOUVEAU RITE.

Le rôle du prêtre est minimisé, altéré, faussé.


PREMIÈREMENT . par rapport au peuple. Il en est le « président » et le « frère », mais il n'est plus le ministre consacré célébrant in persona Christi.


SECONDEMENT : par rapport à l'Eglise. Il en est un membre parmi d'autres, un quidam de populo. Au numéro 55, dans la définition de l'épiclèse[25], les invocations sont attribuées anonymement à l'Eglise . le rôle du prêtre s'évanouit.


TROISIÈMEMENT : dans le Confiteor devenu collectif, le prêtre n'est donc plus juge, témoin et intercesseur auprès de Dieu. Il est donc logique que le prêtre n'ait plus à donner l'absolution, qui a été effectivement supprimée. Le prêtre est intégré aux « frères » : l'enfant de choeur servant la Messe l’appelle ainsi dans le Confiteor de la « Messe sans peuple ».


QUATRIÈMEMENT : déjà la distinction entre la communion du prêtre et celle des fidèles avait été supprimée. Cette distinction est cependant chargée de signification. Le prêtre tout au cours de la Messe, agit in persona Christi. En s'unissant intimement à la victime offerte, d'une manière qui est propre à l'ordre sacramentel, il exprime l'identité du Prêtre et de la Victime ; identité qui est propre au Sacrifice du Christ, et qui, manifestée sacramentellement, montre que le Sacrifice de la Croix et le Sacrifice de la Messe est substantiellement le même.


CINQUIÈMEMENT : plus un seul mot désormais sur le pouvoir du prêtre comme ministre du Sacrifice, ni sur l'acte consécratoire qui lui revient en propre, ni sur la réalisation par son intermédiaire de la Présence eucharistique. On ne laisse plus apparaître ce que le prêtre catholique a de plus qu'un ministre protestant.


SIXIÈMEMENT ‑ l'usage de nombre d'ornements est aboli ou rendu facultatif : dans certains cas ‑l'aube et l'étole suffisent (numéro 298). Ces ornements sont des signes de la conformation du p~être au Christ : ils disparaissent. Le prêtre ‑ ne se présente plus comme revêtu de toutes les vertus du Christ ; il ne sera plus qu'une sorte de gradé ecclésiastique, à peine distingué de la masse par un ou deux galons[26]. Le prêtre sera en somme, selon la formule involontairement humoristique d'un prédicateur moderne[27], « un homme un peu plus homme que les autres ».


3. SITUATION DE L'ÉGLISE DANS LE NOUVEAU RITE.

C'est‑à‑dire : relation de l'Eglise au Christ.


Dans un seul cas, au numéro 4, on daigne admettre que la Messe est une « action du Christ et de l'Eglise » : c'est dans le cas de la Messe « sans peuple ».


En revanche, dans la Messe « avec peuple », on n'exprime d'autre but que de « faire mémoire du Christ » et de sanctifier l'assistance. Le numéro 60 déclare : « Le prêtre célébrant... s'associe le peuple... en offrant le Sacrifice à Dieu le Père par le Christ dans le Saint‑Esprit. » Il aurait fallu dire : « associer le peuple au Christ, qui s'offre Lui‑même à Dieu le Père... ».


C'est dans ce contexte que s'insèrent la très grave omission du per Christum Dominum nostrum, formule qui signifie et fonde, pour l’Eglise de tous les temps, l'assurance d'être exaucé (Jean XIV, 13‑14 ; XV, 16 , XVI, 23‑24) ;


- l'eschatologisme nuageux et maniaque, dans lequel la communication d'une réalité à la fois actuelle et éternelle : la grâce, est présentée comme le fruit d'un progrès à venir, ;


‑ le peuple de Dieu est « en marche », l'Eglise n'est plus l'Eglise militante qui combat contre la puissance des ténèbres : elle est pérégrinante vers un avenir qui n'apparaît plus lié à l'éternel (c'est‑à‑dire aussi à l'au‑delà actuel), mais uniquement temporel.


Dans la « Prière eucharistique IV », la prière du Canon romain pro omnibus orthodoxis atque catholicae fidei cultoribus est remplacée par une prière pour « tous ceux qui Te cherchent d'un coeur sincère ».


Pareillement, le Memento des morts ne mentionne plus ceux qui sont morts cum signo fidei et dormiunt in somno pacis (marqués du signe de la foi et qui dorment du sommeil de la paix), mais simplement « ceux qui sont morts dans la paix du Christ ». On leur adjoint l'ensemble des déf unts « dont toi seul connais la foi », ce qui constitue une nouvelle ‑atteinte à l'unité de l'Eglise considérée en sa manifestation visible.


Dans aucune des trois nouvelles « prières eucharistiques » ne figure la moindre allusion à l'état de souffrance des trépassés ; en aucune il n'y a place pour une intention particulière à leur égard : ce qui, à nouveau, émousse la foi en la nature propitiatoire et rédemptrice du Sacrifice[28].


Un peu partout, diverses omissions avilissent le mystère de l'Eglise en le désacralisant. Ce mystère est méconnu avant tout en tant que hiérarchie sacrée. Les Anges et les Saints sont réduits à l'anonymat dans la seconde partie du Confiteor collectif ; ils ont disparu de la première partie[29] comme témoins et juges en la personne de saint Michel Archange. Les différentes hiérarchies angéliques disparaissent aussi, fait sans précédent, de la nouvelle Préface dans la « Prière eucharistique II » ; disparaît pareillement, dans le Communicantes, la mémoire des Saints, Pontifes et Martyrs sur qui l'Eglise de Rome demeure fondée, et qui sans aucun doute transmirent les traditions apostoliques et en firent ce qui devint avec saint Grégoire la Messe romaine. Supprimée encore, dans le Libera nos, la mention de la Bienheureuse Vierge Marie, des Apôtres et de tous les saints : son intercession et la leur n'est plus demandée, même au moment du péril.


L'unité de l'Eglise est compromise enfin en ceci : on a poussé l'audace jusqu'à l'intolérable omission dans tout le nouvel ORDO MISSAE, y compris dans les trois nouvelles « prières eucharistiques », des noms des Apôtres Pierre et Paul, fondateurs de l'Eglise de Rome, et des noms des autres Apôtres, fondement et signe de l'unité et de l’universalité de l'Eglise. Leurs noms ne figurent plus que dans le Communicantes du Canon romain.


Le nouvel ORDO MISSAE porte encore atteinte au dogme de la communion des saints en supprimant, quand le prêtre célèbre sans servant, toutes les salutations et la bénédiction finale ; et en supprimant l'Ite Missa est dans la Messe sans peuple avec. servant[30].


Le double Confiteor au début de la Messe montre comment le prêtre, revêtu de ses ornements qui le désignent comme ministre du Christ, et ‑s'inclinant profondément se reconnaît indigne d'une si haute mission, indigne du tremendum mysterium qu'il se dispose à célébrer. Puis, ne se reconnaissant (dans l'Aufer a nobis) aucun droit d'entrer dans le Saint des Saints, il se recommande (dans l'Oremus, le Domine) à l'intercession et aux mérites des martyrs dont l'autel renferme les reliques. Ces deux prières et le double Confiteor sont supprimés !


Sont également profanées les conditions qui conviennent pour célébrer le Sacrifice en tant qu'il est l'accomplissement d'une réalité sacrée : c'est ainsi que, lorsque la célébration a lieu en dehors d'une église, l'autel peut être remplacé par une simple table sans pierre consacrée ni reliques (numéros 260 à 265).


La désacralisation est portée à son comble par les nouvelles et parfois grotesques modalités de l'offrande. L'insistance est mise sur le pain ordinaire aux lieu et place du pain azyme. La faculté est donnée aux enfants de choeur, et aux laïcs lors de la communion sous les deux espèces, de toucher les vases sacrés (numéro 244). Une invraisemblable atmosphère se trouvera créée dans l'église : on verra en effet y alterner sans trêve le prêtre, le diacre, le sous-diacre, le psalmiste, le commentateur (le prêtre lui‑même est d'ailleurs devenu commentateur, puisqu'il est invité à « expliquer » continuellement ce qu'il est sur le point d'accomplir), les lecteurs hommes et femmes, les clercs ou les laïcs qui accueillent les fidèles à la porte de l'église et les accompagnent à leur place, qui font la quête, qui portent les offrandes, qui trient les offrandes... Et au milieu d'une telle furie de retour à l'Ecriture, voici, au numéro 70, en opposition formelle à l'Ancien Testament comme à saint Paul, la présence de la mulier idonea, de la « femme ad hoc », qui pour la première fois dans la tradition de l'Eglise sera autorisée à faire les lectures de l'Ecriture. Sainte et à accomplir d'autres « ministères qui sont remplis par d'autres que les membres du presbyterium ». Et enfin la manie de la concélébration : elle achèvera de détruire la piété eucharistique du prêtre et d'estomper la figure centrale du Christ, unique Prêtre et Victime, et de la dissoudre dans la présence collective des concélébrants


VI

Nous nous sommes limités ci‑dessus à un bref examen du nouvel ORDO Missae et de ses déviations les plus graves par rapport à la théologie de la Messe catholique, Les observations que nous avons faites ont surtout un caractère typique. Il faudrait un plus vaste travail pour établir une évaluation complète des embûches, périls et éléments spirituellement et psychologiquement destructeurs que contient le rite nouveau.


Les nouveaux Canons ‑ dénommés « prières eucharistiques » ‑ont été déjà critiqués plusieurs fois et avec autorité. Nous n'y revenons pas. Observons que la seconde « prière eucharistique »[31] avait immédiatement scandalisé les fidèles par sa brièveté. On a fait remarquer entre autres choses que cette « Prière eucharistique Il » peut être employée en toute tranquillité de conscience par un prêtre qui ne croit plus ni à la transsubstantiation ni au caractère sacrificiel de la Messe : cette « prière eucharistique » peut très bien servir pour la célébration d'un ministre protestant.


Le nouvel ORDO MISSAE fut présenté à Rome comme un « abondant matériel pastoral », comme « un texte plus pastoral que juridique », auquel les Conférences épiscopales pourraient apporter, selon les circonstances, des modifications conformes au génie respectif des différents peuples.


Du reste, la première section de la nouvelle « Congrégation pour le culte divin » sera responsable « de l'édition et de la constante révision des livres liturgiques ».


A quoi fait écho le bulletin officiel des Instituts liturgiques d'Allemagne, de Suisse et d'Autriche[32] en écrivant : « Les textes latins devront à présent être traduits dans les langues des différents peuples ; le style « romain » devra être adapté à l'individualité de chaque Eglise locale : ce qui a été conçu sur un mode intemporel devra être transposé dans le contexte mouvant des situations concrètes, dans le flux constant de l'Eglise universelle et de ses innombrables assemblées. »


La Constitution Missale romanum elle‑même, s'opposant à la volonté expresse de Vatican II, donne le coup de grâce au latin comme langue universelle, en affirmant : « Dans une si grande diversité de langues s'élèvera la même et unique (?) prière de tous... « La mort du latin est donc donnée comme un fait acquis. Celle du grégorien en découle inéluctablement : le grégorien que pourtant Vatican II avait reconnu comme « le chant propre de la liturgie romaine » et dont il avait ordonné qu'il garde « la première place » (Const. conciliaire sur la liturgie, numéro 116). Le libre choix, entre autres, des textes de l'Introït et du Graduel achève d'éliminer le chant grégorien.


Le nouveau rite se présente comme pluraliste et expérimental, et comme lié au temps et au lieu. L'unité de culte étant ainsi définitivement brisée, on ne voit plus en quoi pourra consister désormais l'unité de la foi qui lui est intimement liée et dont pourtant on continue de parler comme de la substance qu'il faut défendre sans compromission.


Il est évident que le nouvel ORDO MISSAE renonce en fait à être l’expression de la doctrine que le Concile de Trente a définie comme étant de foi divine et catholique. Et cependant la conscience catholique demeure à jamais liée à cette doctrine. Il en résulte que la promulgation du nouvel ORDO MISSAE met chaque catholique dans la tragique nécessité de choisir.


VII

La Constitution « Missale romanum » parle explicitement d'une richesse de doctrine et de piété que le nouvel ORDO MISSAE emprunterait aux Eglises d'Orient.


Ce prétendu emprunt aura pour résultat effectif d'éloigner les fidèles de rite oriental : car l'inspiration du rite oriental n'est pas seulement étrangère, elle est tout à fait opposée a l'esprit du nouvel ORDO MISSAE.


A quoi, en effet, se réduisent ces emprunts qui se déclarent inspirés par l'œcuménisme?


En substance, à la multiplicité des anaphores[33], mais non à leur ordonnance ni à leur beauté ; à la présence du diacre ; à la communion sous les deux espèces.


Mais il semble bien que l’on a voulu éliminer tout ce qui, dans la liturgie romaine, était le plus proche de la liturgie orientale[34] ; qu'on a voulu, en reniant l'incomparable et immémorial caractère romain de la liturgie, renoncer à ce qui lui était spirituellement le plus propre et le plus précieux. On a substitué à la romanité des éléments qui rapprochent le nouvel ORDO MISSAE de certains rites protestants, et point de ceux qui étaient les plus proches du catholicisme : ces éléments dégradent la liturgie romaine et éloigneront de plus en plus l'Orient, comme on l'a déjà vu avec les réformes liturgiques qui ont immédiatement précédé le nouvel ORDO MISSAE


En revanche, le nouvel ORDO MISSAE aura la faveur des groupes proches de l’apostasie qui, s'attaquant dans l'Eglise à l'unité de la doctrine, de la liturgie, de la morale et de la discipline, y provoquent une crise spirituelle sans précédent.


VIII

Saint Pie V avait conçu l'édition du Missel romain comme un instrument d’unité catholique : la Constitution « Missale romanum » elle‑même le rappelle. En conformité avec les prescriptions du Concile de Trente, le Missel romain de saint Pie V devait empêcher que pût s'introduire dans le culte divin aucune des subtiles erreurs dont la foi était menacée par la Réforme protestante.


Les motifs de saint Pie V étaient si graves que jamais en aucun autre cas ne paraît avoir été plus justifiée la formule rituelle et en l'occurrence quasi prophétique qui termine la Bulle de promulgation du Missel romain (Quo primum, 19 juillet 1570) :


« Celui qui oserait porter la main contre cette oeuvre, qu'il sache encourir la colère du Dieu Tout‑Puissant et des bienheureux Apôtres Pierre et Paul. »


On a eu l'outrecuidance d'affirmer, en présentant officiellement le nouvel ORDO Missae dans la salle de presse du Vatican, que les raisons alléguées par le Concile de Trente ne subsistent plus !


Non seulement elles subsistent, mais encore nous n'hésitons pas à affirmer qu'il en existe aujourd'hui d'infiniment plus graves. C'est précisément pour faire face aux insidieuses déviations qui de siècle en siècle menacèrent la pureté du dépôt reçu[35] que l'Eglise a élaboré autour de ce dépôt les défenses inspirées de ses définitions dogmatiques et de ses décisions doctrinales[36]. Ces définitions et ces décisions eurent leurs répercussions immédiates dans le culte, qui devint progressivement le monument le plus complet de la foi de l'Eglise. Vouloir à tout prix remettre en vigueur le culte antique en refaisant froidement, in vitro, ce qui à l'origine eut la grâce de la spontanéité jaillissante, c'est tomber dans cet archéologisme insensé condamné par Pie XII[37]. Car cela équivaut, comme on l'a malheureusement vu, à dépouiller la liturgie de toutes les beautés pieusement accumulées pendant des siècles, et de toutes les défenses théologiques plus que jamais nécessaires en un moment critique, ‑ peut‑être le plus critique de l'histoire de l’Eglise.


Aujourd'hui, ce n'est plus à l'extérieur, c'est à l'intérieur même de la catholicité que l'existence de divisions et de schismes est officiellement reconnue[38]. L'unité de l'Eglise n'en est plus à être seulement menacée : déjà elle est tragiquement compromise[39]. Les erreurs contre la foi ne sont plus seulement insinuées : elles sont imposées par les aberrations et les abus qui s'introduisent dans la liturgie[40].


L'abandon d'une tradition liturgique qui fut pendant quatre siècles le signe et le gage (le l'unité de culte, son remplacement par une autre liturgie qui ne pourra être qu'une cause de division par les licences innombrables qu'elle autorise implicitement, par les insinuations qu'elle favorise et par ses atteintes manifestes à la pureté de la foi : voilà qui apparaît, pour parler en termes modérés, comme une incalculable erreur.

Corpus Domini 1969


  1. Les prières du Canon romain se trouvent dans le traité ne Sacrmentis (fin du IVe on début du Ve siècle). Notre Messe remonte, sans changement essentiel, à l'époque où pour la première fois elle prenait la forme développée de la plus ancienne liturgie commune. Elle garde encore le parfum de cette liturgie primitive, contemporaine des jours où César gouvernait le‑ monde et espérait pouvoir éteindre la foi chrétienne ; des jours où nos pères se rassemblaient avant l'aurore pour chanter une hymne au Christ qu'ils reconnaissaient comme leur Dieu (cf. Pline le Jeune, Ep. 96). Il n'existe pas, dans toute la chrétienté un rite aussi vénérable que la Messe romaine (A. Fortescue, The Mass, a study of the Roman Liturgy, 1912). ‑ c Le Canon romain, tel qu'il est aujourd'hui, remonte à saint Grégoire le Grand. Il n'existe ni en Orient ni en Occident aucune prière eucharistique qui, demeurée en usage jusqu'à nos jours, puisse se prévaloir d'une telle antiquité. Non seulement au jugement des orthodoxes, mais également au regard des anglicans et même à ceux des protestants qui ont conservé un certain sens de la tradition, rejeter ce Canon équivaudrait, de la part de l'Eglise romaine, à renoncer pour toujours ii la prétention de représenter la véritable Eglise catholique. " (P. Louis Bouyer.)
  2. Synaxe : assemblée religieuse. Mot du vocabulaire chrétien désignant, par opposition au terme juif " synagogue " issu de, la même racine grecque, la communauté chrétienne assemblée pour la prière, la lecture et l'eucharistie.
  3. Le nouvel ORDO Missae renvoie en note, pour appuyer une pareille définition, à deux textes de Vatican Il. Mais si l'on se reporte à ces deux textes, on n'y. trouve rien qui puisse justifier une telle définition. ‑ Le premier de ces deux textes est tiré du Décret Presbyterorum Ordinis : " ... Les prêtres sont consacrés à Dieu par le ministère de l'évêque ; en sorte que... dans les célébrations sacrées, ils agissent comme ministres de Celui qui exerce en notre faveur dans la liturgie son Sacerdoce permanent... et cela est vrai principalement lorsque, dans la célébration de la Messe, ils offrent sacramentellement le Sacrifice du Christ... ". ‑ Et voici le second texte, tiré du numéro 33 de la Constitution sur la liturgie : " Dans la liturgie Dieu parle à son peuple, et le Christ continue d'annoncer l'Evangile. Le peuple à son tour répond à Dieu par la prière et par le chant. Et les prières adressées à Dieu par le prêtre qui préside l'assemblée en la Personne du Christ (in Persona Christi) sont dites au nom de tout le peuple saint et de tous les assistants. ». ‑ On ne voit vraiment pas comment on peut tirer de ces textes la définition de la Messe donnée par le nouvel ORDO MISSAE
  4. Le Concile de Trente affirme la Présence réelle : " En premier lieu, le saint Concile enseigne et confesse ouvertement et absolument que, dans l'auguste sacrement de la sainte Eucharistie, Notre Seigneur Jésus‑Christ vrai Dieu et vrai homme est présent réellement et substantiellement sous les apparences sensibles du pain et du vin après leur consécration » (Denziger, édition de 1965, numéro 1636 ; Dumeige, édition de 1969, page 405). ‑ Dans la XXIIe session du Concile de Trente, la doctrine de la Messe fut précisée en neuf canons. En voici quelques points essentiels ‑ I. ‑ La Messe est un vrai Sacrifice visible et non pas une re‑présentation symbolique : " Notre Seigneur Jésus‑Christ, voulut laisser à l'Eglise un sacrifice visible... où serait rendu présent le sacrifice sanglant qui allait s'accomplir une unique fois sur la Croix... dont la vertu salutaire s'appliquerait à la rédemption des péchés que nous commettons chaque jour » (Denziger, éd. de 1965, numéro 1740 ; Dumeige, éd. de 1969, page 415). ‑ II. ‑ Jésus‑Christ Notre Seigneur, " prêtre pour l'éternité selon l'ordre de Melchisédec " (Ps., 109, 4), opère instrumentalement par le prêtre qui célèbre la Messe : « Il offrit, à Dieu son Père, son Corps et son Sang sous les espèces du pain et du vin ‑et, sous ces mêmes signes sensibles, il les distribua à manger à ses Apôtres qu'il établissait alors prêtres du Nouveau Testament ; à eux et. à leurs successeurs dans le. sacerdoce il donna l'ordre de les offrir par ces paroles : « Faites ceci en mémoire de moi », comme l'Eglise l'a toujours compris et enseigné. » (Denziger et Dumeige, loc. cit.). Celui qui célèbre, qui offre, qui sacrifie, c'est le prêtre, consacré pour cette fonction, et non pas l'‑assemblée du peuple de Dieu : « Si quelqu'un dit que par ces paroles : « Faites ceci on mémoire de moi », le Christ n'a pas institué prêtres les apôtres, ou bien n'a pas ordonné qu'eux et les autres prêtres offrent son corps et son sang, qu'il soit anathèmes » (Denziger, édition. citée, numéro 1752 ; Dumeige, édition citée, page 419). ‑ III. ‑ Le Sacrifice de la Messe est un vrai sacrifice PROPITIATOIRE et lion pas une simple commémoration du sacrifice de la Croix : < Si quelqu'un dit que le sacrifice de la Messe n'est qu'un sacrifice de, louange et d'action de grâces, ou une simple commémoration du sacrifice accompli sur la Croix, mais non pas un sacrifice propitiatoire ou qu'il n'est profitable qu'à ceux qui reçoivent le Christ et qu'on ne doit l'offrir ni pour les vivants, ni pour les morts, ni pour les péchés, les peines, les satisfactions et autres nécessités, qu'il soit anathème » (Denz., numéro 1753 ; Dum., p. 149). ‑ On se rappellera en outre le canon 6 : « Si quelqu'un; dit que le Canon de Id Messe contient des erreurs et qu'il faut pour cette raison l'abroger, qu'il soit anathème » (Denz., n'l 1756 ; Dum., loc. cit.) ; et le canon 8 : " Si quelqu'un dit que les Messes où seul le prêtre communie sacramentellement sont illicites et que, pour cette raison, il faut les abroger, qu'il soit anathème » (Denz., no 1758 ; Dum., loc. cit.).
  5. Faut‑il rappeler que si un seul des dogmes déjà définis était abandonné, tous les dogmes s'écrouleraient du même coup, y compris évidemment celui de l'infaillibilité du suprême et solennel Magistère hiérarchique.
  6. Si l'intention était de reprendre l'Unde et memores, il fallait alors ajouter aussi l'Ascension. Mais l'Unde et memores n'amalgame pas des réalités de nature différente, il distingue nettement et avec finesse : « ... faisant mémoire non seulement de la bienheureuse Passion, mais encore de la Résurrection des enfers, et encore de la glori&we Ascension dans le Ciel. »
  7. Propitiatoire : qui a la vertu de rendre Dieu propice, par une expiation procurant la remise des fautes.
  8. Manducation : action de manger. Ce mot n'est guère employé que pour désigner une action religieuse : l'action de manger l'Agneau pascal chez les Juifs ; la communion encharistique.
  9. Le même déplacement d'accent apparaît dans les trois nouveaux canons, dits « prières eucharistiques », par la surprenante élimination du Memento des morts et de toute mention de la souffrance des âmes du Purgatoire, auxquels le sacrifice propitiatoire est appliqué.
  10. L'introduction soit de formules nouvelles, soit d'expressions qui se trouvent matériellement dans les textes des Pères ou du Magistère, mais que l'on réemploie dans un sens absolu et sans référence au corps de doctrine où elles trouvent place et signification (par ex. : « spiritualis alimonia », « cibus spiritualis », « potus spiritualis »), ‑ a été dénoncée dans l'encyclique Mysterium fidei.
  11. Oblats : le pain et le vin apportés sur l'autel pour être consacrés. (Le terme oblat, d'autre part, désignait primitivement l'enfant offert par ses parents à un monastère pour y devenir moine ; depuis le XIXe siècle, il désigne aussi le fidèIe vivant dans le monde qui s'affilie à un monastère par une oblation qui n'est cependant pas un voeu.)
  12. Économie : au sens religieux : ensemble ordonné et harmonieux des dispositions prises par la Providence (pour réaliser la rédemption et le salut des hommes).
  13. La fonction primordiale de l'autel n'est reconnue qu'une fois, au numéro 259 : « L'autel sur lequel le sacrifice de la croix est rendu présent sous les signes sacramentels. » Ce qui est bien peu pour éliminer les équivoques de l'autre et constante dénomination.
  14. Pie XII, allocution au Congrès de liturgie, 18‑23 septembre 1956 : « Séparer le tabernacle de l'autel, c’est séparer deux choses qui doivent rester unies par leur origine et leur nature. »
  15. Le nouvel ORDO MISSAE emploie rarement le mot hostie, qui est d'usage traditionnel dans les livres liturgiques, avec la signification précise de victime. C'est toujours la même volonté systématique de mettre en évidence seulement les aspects de " cène » et de « nourriture » de la Messe.
  16. La version française du Breve esame critico procurée par la Fondation Lumen gentium contient ici ‑un développement supplémentaire de l'argumentation ‑ " Ces pratiques auraient pu étre chargées d'un symbolisme enrichissant si le Tabernacle fût demeuré présent. Mais le Tabernacle étant absent, puisqu'il ne doit plus être sur l'autel où se consomme le Sacrifice, ces mêmes pratiques ne feront que confirmer au regard des fidèles la dichotomie entre la Présence liée à la « Cène » et la Présence réelle ; elles ruineront la dévotion à l'égard du Tabernacle.”
  17. C'est le processus habituel : processus de glissement et de remplacement subreptice d'une chose par une autre. La Présence réelle est assimilée à la présence dans la parole (numéros 7 et 54). Mais ce sont deux choses de nature différente. La présence dans la parole n'a de réalité que selon l'usage qu'on en fait, tandis que la Présence réelle est objective, permanente et indépendante de la réception qui en est faite dans le Sacrement. ‑ Formule typiquement protestante : c Le Christ est présent au milieu de ses fidèles par la parole » (numéro 33 ; cf. Sacros. conc., numéros 33 et 77) ‑ formule qui strictement parlant n'a aucun sens. La présence de Dieu dans la parole n'est pas immédiate ; elle est liée à un acte de l'esprit humain en sa condition temporelle ; cet acte peut être renouvelé, mais il ne fonde objectivement aucune permanence. Funeste conséquence d'une telle formule ‑ elle insinue en effet que la Présence réelle est, comme la présence dans la parole, liée à l'usage que l'on en fait, et qu'elle cesse en même temps que lui.
  18. La version française du « Bref examen critique » procurée par la Fondation Lumen gentium ajoute ici deux autres considérations : 1. ‑ L'omission du quod pro vobis tradetur après Hoc est enim Corpus meum signifie que, en cet instant, bien que la Présence soit déjà réalisée, le Sacrifice (auquel cette Présence est immédiatement ordonnée) n'est pas encore réalisé. ‑ 2. ‑ La substitution du démonstratif à l’indéfini dans la formule qui introduit les paroles consécratoires : « Accipiens et Hunc (ce) praeclarum calicem in sanctas ac venerabiles manus suas... », ‑ alors que les Synoptiques et saint Paul disent : « Il prit le (ou : un) calice... »
  19. Anamnèse : nom donné par les liturgistes à la prière qui suit la Consécration. Littéralement : « souvenir ».
  20. L'action sacramentelle, telle qu'elle est décrite dans l'Insti­tutio generalis du nouvel ORDOapparaît caractérisée par le fait que Jésus a donné aux Apôtres son Corps et son Sang en nour­riture sous les espèces du pain et du vin. Elle n'est plus caractériséepar l'acte de la Consécration, et par la séparation mystique entre le Corps et le Sang résultant de cet acte dans l'ordre sacramentel. Or c'est cette séparation mystique qui constitue l'essence du Sacrifice eucharistique : cf. Pie XII, encyclique Mediator Dei, tout le premier chapitre de la seconde partie : « Le culte eucharistique ».
  21. Telles qu'elles figurent dans le nouvel ORDO MISSAE, les paroles de la Consécration peuvent être valides en vertu de l'intention du prêtre; mais elles peuvent aussi ne l'être pas : elles ne le sont plus par la force même des paroles, ou plus précisément : elles ne le sont plus en vertu de leur signification propre (du modus significandi) qu'elles ont dans le Canon romain du Missel de saint Pie V. ‑ Les prêtres qui, dans un proche avenir, n'auront pas reçu la formation traditionnelle, et qui se fieront au nouvel ORDO MISSAE et à son Institutio generalis pour « faire ce que fait l'Eglise », consacreront‑ils validement? Il est légitime d'en douter.
  22. Eschatologique : qui se rapporte aux fins dernières de l'homme et au retour du Christ à la fin du monde.
  23. Qu'on n'aille pas dire que ces expressions appartiennent au même contexte scripturaire (I Cor. XI, 24‑28). Justement ‑ l'Eglise en a toujours écarté la juxtaposition et la superposition, précisément pour éviter la confusion entre les réalités différentes désigné« respectivement par ces expressions différentes. Assimiler quant à leur nature des choses qui sont simplement présentées ensemble par l'Ecriture constitue un procédé bien connu de la critique protestante.
  24. Luthériens et calvinistes affirment que tous les chrétiens sont prêtres et que par suite tous offrent la Cène. Au contraire, conformément au Concile de Trente (Denz., no 1752 ; Dum,, p. 419) il faut maintenir que : " Tous les prêtres, et eux seuls, sont à proprement parler les ministres secondaires du sacrifice de la ‑Hesse. Le Christ en est le ministre principal. Les fidèles offrent aussi, mais indirectement, et non pas am sens strict, par l'intermédiaire du prêtre. » (A. Tanquerey Sgnopsis theologiae dogmaticae, Desclée 1930, t. III.)
  25. Epiclèse : prière de la liturgie eucharistique sollicitant l'action du Saint‑Esprit sur les oblats.
  26. Innovation incroyable et désastreuse. pour la psychologie du peuple chrétien ‑ le Vendredi‑Saint en ornements rouges et non plus noirs : la couleur de la commémoration d'un martyr entre beaucoup d'autres et non plus la couleur du deuil que l'Eglise entière porte de son Époux.
  27. Le P. Roguet.
  28. Déjà, dans certaines traductions du Canon romain, aux mots locus refrigerii, lucis et pacis était substituée une simple qualification d'état (« béatitude, lumière, paix »). Maintenant on supprime toute allusion à l'Eglise souffrante.
  29. Dans cette fièvre d'omissions, un seul enrichissement ‑ le péché d'omission dans le Confiteor.
  30. Dans la conférence de presse où fut présenté le nouvel Ordo MISSAE, le P. Lécuyer, dans une profession de foi nettement rationaliste, alla même jusqu'à envisager d'exprimer au, singulier les salutations de la Messe sans peuple : « Dominus tecum », « orate fratres » : afin qu'il n'y ait rien de factice, rien qui ne corresponde à la vérité !
  31. Que l'on a voulu présenter comme le “Canon d'Hippolyte” ! Il en conserve à peine quelques réminiscences verbales.
  32. Gottesdienst, numéro 9 du 14 mai 1969.
  33. Anaphore (mot qui veut dire : « offrande ») : prière eucharistique de la messe du rite grec dit de saint Jean Chrysostome. Presque tous les rites orientaux disposent de plusieurs anaphores.
  34. Ainsi, pour ne rappeler que la liturgie byzantine les prières pénitentielles, longues, insistantes, répétées; ‑ les rite solennels de vêture du célébrant et du diacre; ‑ la préparation des offrandes (proscomidia) qui est déjà un rite complet ; ‑ la mention permanente, dans les oraisons et jusque dans l'offertoire, de la Sainte Vierge, des Saints et des hiérarchies angéliques, les­quelles, lors de l'Entrée avec l'Evangile, sont de nouveau invoquées comme invisiblement concélébrantes et avec lesquelles le chœur s'identifie dans le Cherubicon ; ‑ l'iconostase qui sépare nettement le sanctuaire du reste du temple, le clergé du peuple; ‑ la consé­cration hors des regards, symbole évident de l'Inconnaissable à qui se réfère toute la liturgiel'attitude du célébrant toujours tour vers Dieu et jamais vers le peuple ; ‑ le fait que la communion est toujours distribuée par le célébrant et par lui seul ; ‑ les marques de profonde adoration, continuellement répétées, des Saintes Espèces ; ‑ l'attitude essentiellement contemplative du peuple. ‑ En outre, le fait que les liturgies orientales, même dans leurs formes les moins solennelles, durent plus d'une heure, et les ex­pressions qui s'y retrouvent constamment ( « terrible et ineffable liturgie », « terrible, céleste et vivifiant mystère », etc.) suffisent à tout dire, ‑ Notons enfin que, aussi bien dans la Divine Liturgie de saint Jean Chrisostome que dans celle de saint Basile, l'idée de « cène » ou. de « banquet » est clairement subordonnée à celle de Sacriflee, comme dans la Messe romaine de saint Pie V.
  35. Saint Paul, 1 Tim., VI, 20 : « Garde le dépôt, évite les nouveautés profanes des discoureurs ».
  36. Le Concile de Trente, dans sa session XIII (Décret sur la sainte Eucharistie, Introduction) déclare son intention : « Arracher jusqu'à la racine la zizanie des erreurs exécrables et des schismes que l'homme ennemi... a semés dans la doctrine de la foi sur l'usage et le culte de la très sainte Eucharistie, alors que notre Sauveur a laissé dans son Eglise ce Sacrement comme le symbole de l'unité et de la charité en lesquelles Il a voulu que tous les chrétiens fussent unis et conjoints entre eux. » (Denz., éd. citée, n° 1635 ; Dum., éd citée, p. 405.)
  37. Pie XII, encyclique Mediator Dei : « Revenir par l'esprit et le coeur aux sources de la liturgie sacrée est chose sage et louable, car l'étude de cette discipline, en remontant à ses origines, est d'une utilité considérable, pour pénétrer avec plus de profondeur et de soin la signification des jours de fêtes, le sens des formules en usage et des cérémonies sacrées ; ‑mais il n'est pas sage ni louable de tout ramener en toute manière à l'antiquité. De sorte que, par exemple, ce serait sortir de la voie droite de vouloir rendre à l'autel sa forme primitive de table, de vouloir supprimer radicalement des couleurs liturgiques le noir, d'exclure des temples les images saintes et les statues, de faire représenter le divin Rédempteur sur la Croix de telle façon que n'apparaissent point les souffrances aiguës qu'il a endurées... Une telle façon de penser et d'agir ferait revivre cette excessive et malsaine passion des choses anciennes qu'excitait le Concile illégitime de Pistoïe et réveillerait les multiples erreurs qui furent à l'origine de ce faux Concile et qui en résultèrent pour le plus grand dommage des âmes, erreurs que l'Eglise, gardienne toujours vigilante du " dépôt de la foi " à elle confié par son divin Fondateur, a réprouvées à bon droit. »
  38. Paul VI, homélie du Jeudi‑Saint 1969 ‑ « Un ferment qui est pratiquement celui du schisme divise, morcelle et brise l'Eglise. »
  39. Paul VI, même homélie : « Il y a également parmi nous ces schismes et ces divisions que saint Paul dénonce avec douleur dans le passage dont nous venons de faire la lecture. »
  40. Il est de notoriété publique que Vatican II est aujourd'hui renié par ceux‑là mêmes qui se vantaient d'en être les pères. Ils quittèrent le Concile décidés à en « faire exploser » le contenu. Au contraire le Souverain Pontife, lors de la clôture, déclarait que ce Concile n'avait introduit aucune mutation. ‑ Malheureusement le Saint‑Siège, avec une hâte inexplicable, a permis ou même encouragé, par l'intermédiaire du « Comité pour l'application de la Constitution sur la liturgie », une infidélité toujours croissante aux textes conciliaires, ‑infidélité qui va de modifications apparemment de pure forme (latin, grégorien, suppression de rites vénérables, etc.) à d'autres qui touchent à la substance de la foi et que consacre le nouvel ORDO MISSAE. ‑ Les terribles, conséquences que nous avons tenté de mettre en relief dans la présente étude se sont répercutées, d'une manière encore plus dramatique psychologiquement, dans le domaine de la discipline et dans celui du magistère ecclésiastique.
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